Ménandre et la tragédie
Remarque : le texte est cité d’après l’édition de F.H. Sandbach, Menandri Reliquiae Selectae, Oxford, 1972. Pour les fragments, on a recours aussi à l’édition d’A. Koerte, Menandri quae supersunt, t. II, Leipzig, 1959.
La question du rapport de la comédie de Ménandre et de la tragédie nous est quasiment posée par le codex Bodmer lui-même. Voici les éléments qu’il convient de relever dans ce sens :
1. Sur le cinquième feuillet du codex, côté fibres horizontales, une notation marginale dit ceci : οιδιπου ευριποδου (sic), signalant dans le texte un nouveau fragment d’Euripide au vers 326 de la Samienne, première pièce du codex.
2. La seconde pièce du codex, le Dyscolos, débute par l’apparition d’un θεὸς προλογίζων dans la manière tragique.
3. L’entrée en scène du personnage principal de cette deuxième pièce du codex (nos vers 153-157) comporte une référence au personnage de Persée : le problème du rapport avec une figure de la tragédie est donc posé.
4. Dans la troisième et dernière pièce du codex, le Bouclier, une scène comporte des citations de tragiques, Eschyle, Karkinos, Chérémon (ce dernier restitué, comme on sait, par E. Handley) et Euripide étant explicitement invoqués comme sources (vers 414, 417 et 427, feuillet 25, côté fibres horizontales).
On peut s’en tenir à ce premier relevé : il indique de façon manifeste que la question posée découle du document lui-même.
Dès avant la publication du Dyscolos, la question de la « dette » de Ménandre à l’égard de la tragédie avait été posée. On possédait déjà, dans ce que l’on nommait alors la « Comoedia Florentina », la scène des citations tragiques du Bouclier, publiée en 1913 par G. Vitelli (PSI, t. II). C’est ainsi que T.B.L. Webster, dans ses Studies in Menander (Manchester, 1950, 153 sqq) posait la question de cette « dette » de Ménandre : quelle est sa nature, et accessoirement est-elle directe ou passe-t-elle par l’école d’Aristote ? En quoi consiste-t-elle au juste ? Webster parvient à la conclusion que Ménandre trouve dans la tragédie une forme de sagesse (« wisdom »), un art de peindre les caractères, des techniques, mais que son matériel est tout autre que celui de la tragédie.
Après la publication du Dyscolos, au moment où l’on voit s’enfler la rubrique « Menander comicus » de l’Année philologique, cette question donne lieu à des études parmi lesquelles on relèvera surtout :
Pénélope Photiadès, Pan’s Prologue to the Dyscolos of Menander (G&R, Ser. II, 5, 1958, 108-122 et 6, 1959, 89) : l’auteur, alors assistante de Victor Martin, rapproche le prologue du Dyscolos de l’art d’Euripide.
Victor Martin lui-même, aux « Entretiens » de la Fondation Hardt de 1960, évoquait Euripide et Ménandre face à leur public (Euripide, Entretiens de la Fondation Hardt, t. VI, 245-272), mais il s’agissait, comme le remarque J.C. Kamerbeek dans la discussion qui suit (273) de sociologie de la littérature, de ce qui faisait le succès ou l’insuccès d’Euripide et de Ménandre, non pas à proprement parler d’une étude sur des moyens dramatiques que Ménandre pourrait devoir à Euripide dans sa façon d’agir sur son public.
Jerzy Lanowski, ϰενὴ τραγωιδία, Menander on Tragedy, Eos LV, 1965 (1968), 245-253 : ce travail pose la question du rapport de Ménandre et de la tragédie de façon très nuancée : Ménandre apparaît comme un poète qui inclut des échos des tragiques tout en sachant subtilement utiliser la dérision des tragiques pour produire le comique.
Dans son livre La formazione spirituale di Menandre (Torino, 1965), A. Barigazzi analyse dans un chapitre ce qu’il nomme l’éthique tragique de Ménandre (pp. 116-134). A ses yeux, le caractère sérieux de la comédie de Ménandre entraîne naturellement le recours au pathos tragique, mais l’éthique de la tragédie n’est au fond qu’une composante mineure de l’éthique de Ménandre ; dans ses comédies, selon Barigazzi, la philosophie – et particulièrement celle d’Aristote – jour un rôle de premier plan.
Deux livres ont été consacrés à notre problème par A.G. Katsouris (Linguistic and Stylistic Characterization, Tragedy and Menander, Joannina, 1975 ; Tragic Patterns in Menander, Athens, 1975) : leur mérite principal consiste dans une réunion du matériel pertinent, même si l’on peut naturellement diverger d’avis quant à son traitement. Pour l’instant, on relèvera surtout que l’optique adoptée est celle d’une « influence » de la tragédie sur Ménandre, donc une fois encore l’évaluation d’une « dette ». On peut se demander s’il ne vaut pas mieux considérer la question en termes de réaction du poète comique à ce qu’il pouvait percevoir sur la scène tragique.
On trouve plusieurs digressions sur l’importance de la tragédie chez Ménandre dans le livre d’A. Blanchard, Essai sur la composition des comédies de Ménandre (Paris, 1983). Un spectateur d’Euripide, observe Blanchard, ne devait pas voir de barrière infranchissable entre la tragédie et la comédie (p. 28). Le problème qui se pose, selon lui, est même de savoir pourquoi Ménandre affiche une continuité entre son œuvre et celle d’Euripide (p. 19). On n’hésitera donc pas à utiliser la Poétique d’Aristote pour analyser Ménandre (pp. 153 sqq), impliquant que les deux genres connaissent une évolution parallèle sur le plan de leur composition. A propos du Dyscolos, par exemple, Blanchard remarque en outre la présence constante d’une issue tragique possible ainsi que l’effet de tragédie que constituerait l’arrivée finale de Cnémon sur l’eccyclème (pp. 111-113).
Relevons enfin un excellent chapitre sur la question dans le livre de R.L. Hunter, The new comedy of Greece and Rome (Cambridge, 1985, pp. 114-136). Dans ce texte à la fois subtil et informé, on retrouvera les concepts de « dette » à l’égard de la tragédie, d’« influence » de la tragédie et d’« exploitation » du tragique au niveau du ton ou de la construction. Pour Hunter, le recours à la tragédie peut être utilisé par Ménandre à la fois comme un signal envoyé au public cultivé et comme un moyen que se donne le poète comique pour conférer à son texte des lettres de noblesse littéraire.
Par ailleurs, la question des rapports de Ménandre et de la tragédie n’est jamais vraiment absente des études et des commentaires que l’on a consacrés au comique athénien dans la foulée de la parution des comédies du codex Bodmer, même si elle ne retient pas exclusivement l’attention des auteurs.
Un bon point d’attaque de la question nous est offert par Ménandre dans la scène du troisième acte du Bouclier au cours de laquelle Daos se précipite hors de la maison de Chéréstrate en ponctuant sa lamentation de citations tragiques. Pour le spectateur athénien qui voyait ce serviteur pontifier sur la fragilité de la vie en s’appuyant sur de pareilles références, il était un premier rapport qui s’imposait : ce même personnage venait de dire, peu auparavant (vers 329) : δεῖ τραγωιδῆσαι πάθος / ἀλλοῖον ὑμᾶς. « Vous devez mettre en scène une aventure tragique (vel. sim.) ». Par conséquent, le recours à des citations évidentes servait à marquer un clivage entre des spectateurs complices de l’action et le « spectateur en scène », Smicrinès, victime de la machination. On rit ainsi de Smicrinès. Cependant, quelques réactions de Smicrinès lui-même (γνωμολογεῖς, τρισάθλιε ; 414 « malheureux, tu me récites des maximes ? » ; λέγεις δὲ τί ; 419 « Et qu’entends-tu dire ? ») montrent que le poète veut aussi que son public rie de la tragédie elle-même. Rien de bien nouveau à cela pour l’Athénien, dira-t-on : dès les premiers textes en notre possession, la comédie se permet des allusions à la tragédie – alors que l’inverse est apparemment impossible. Cela va de la citation de quelques mots ou d’un vers, trop fréquente chez Aristophane pour qu’il vaille la peine d’en citer des exemples, à la présentation sur scène de poètes tragiques (l’exemple le plus célèbre étant Les Grenouilles) en passant par la parodie de telle ou telle scène tragique (comme dans Les Acharnions). Et pourtant, entre ces exemples tirés d’Aristophane et le moment où se joue notre scène de Ménandre, quelque chose de déterminant s’est passé, dont le célèbre fragment de la Poésie d’Antiphane, conservé par Athénée (222a sq) nous offre un écho : la tragédie et la comédie se sont vues opposées sur le plan théorique du point de vue de leur résultat, de leur relation avec le public, des difficultés de composition impliquées par chacun des deux genres. Ainsi donc, on peut dire que l’acteur comique ménandréen qui se précipite en scène avec des vers tragiques à la bouche ne fait pas exactement la même chose que son collègue du siècle précédent, et cela tout particulièrement lorsque, comme dans notre troisième acte du Bouclier, il cite ses sources, et que de surcroît tout cela se situe dans une perspective présentée par le poète comme une pièce tragique à l’intérieur d’une comédie.
La question de savoir comment la comédie de Ménandre réagit en face de la scène tragique présente un intérêt tout particulier, du fait que cette comédie voit le jour à un moment où l’on s’interroge théoriquement sur le théâtre. Je n’entrerai pas dans le difficile débat qui fait rage autour du Tractatus Coislinianus et du second livre de la Poétique d’Aristote, mais on relèvera qu’il nous reste indéniablement une partie de ce que le philosophe a pensé de la tragédie. En revanche, nous avons perdu le traité sur le rire de Théophraste, ainsi que les traités sur la comédie de Théophraste et de Lycophron1. La lecture de Ménandre, telle que la parution des comédies du codex Bodmer l’a renouvelée, donne la possibilité de voir comment un poète comique directement impliqué dans le jeu qui se déroule entre comédie et tragédie, marque implicitement ou explicitement sa position2.
Revenons à Daos et au Bouclier : si l’on y regarde de plus près, on s’aperçoit que l’astucieux serviteur fait en réalité plusieurs choses différentes qui peuvent nous servir d’indices. Il commence par prononcer les mots ὦ δαίμονες (399), une expression tragique, comme le montrent les parallèles chez Eschyle et Euripide3. Les mots qui suivent font penser à ce qu’un messager tragique ou un comparse pourraient dire à propos de l’action qui se déroule :
(399) (…) φοβερόν γε, νὴ τὸν ῞Ηλιον,
τὸ συμβεβηϰός‧ οὐϰ ἂν ὠιήθην ποτὲ
ἄνθρωπον εἰς τοσοῦτον οὑτωσὶ ταχὺ
πάθος ἐμπεσεῖν.
« Quel malheur nous arrive ! Par le Soleil ! Jamais je n’aurais cru qu’on puisse si vite tomber si bas ! »
Pour l’ouïe de l’Athénien, le respect de la métrique tragique (loi de Porson en l’occurrence) constitue également un indice. On peut dire que jusqu’à ce point de sa réplique, Daos « parle le tragique », qu’il s’exprime selon des conventions de vocabulaire, de tournures usuelles et de métrique qui reflètent le style de la tragédie. Lorsqu’il se met à citer tels quels des vers tragiques, Daos continue quasiment sur la même lancée. Il serait d’ailleurs vain de vouloir ici distinguer deux niveaux : certaines citations peuvent parfaitement nous échapper en tant que telles et se retrouver à nos yeux dans la classe de la « diction tragique ». En revanche, Daos franchit un pas décisif lorsqu’il se met à nommer des poètes tragiques. L’autre genre dramatique n’est plus seulement évoqué, il est explicitement désigné. Dans le premier cas, le parler tragique pouvait apparaître comme l’un des moyens que la comédie se donne. Ici, le poète comique désigne clairement la tragédie comme un monde extérieur au genre qu’il pratique. Montrer du doigt la tragédie de manière explicite peut se faire, comme ici, en nommant des poètes ; mais on peut bien entendu classer dans la même catégorie toute forme de désignation de la tragédie, que ce soit à travers ses auteurs, ses acteurs, ses sujets, ses machines, et ainsi de suite.
En outre, on se souviendra que Daos prononce ces mots dans une situation dramatique bien définie : il est censé faire croire à Smicrinès, le « spectateur en scène », que le frère de ce dernier est mort. Cette trame a été décrite comme une « fin tragique ». C’est ainsi qu’une rencontre banale entre un « vieillard » et le serviteur de son frère se transforme en quelque chose qui ressemble à une scène dans laquelle un personnage héroïque apprend de la bouche d’un messager quelque catastrophe, cependant que le messager tente d’adoucir le coup par le rappel de maximes générales sur la condition humaine. Le comique naît ici de ce que le messager en fait trop, de ce qu’il cite des sources tragiques. Ainsi, Daos, sur un troisième niveau, pénètre dans ce qu’on a défini comme l’essentiel de la poésie dramatique : le μύθος, la « trame »4. On peut dire qu’il ordonne l’action scénique à la manière dont le ferait la tragédie.
Trois plans peuvent ainsi être distingués, grossièrement et pour simplifier l’exposé, dans la manière dont la tragédie se reflète dans la comédie de Ménandre :
1. Le parler tragique.
2. La désignation de la tragédie comme telle.
3. L’ordonnance de l’action scénique à la manière tragique.
Nous considérerons successivement ces trois plans, non pas pour établir un catalogue exhaustif des passages concernés de Ménandre, mais pour tenter d’identifier ceux qui sont les plus pertinents à la question que nous nous posons et qui feront le mieux apparaître comment la recherche, depuis la publication du Dyscolos, nous permet de progresser.
C’est, bien entendu, sur le premier plan que l’on trouvera les allusions les plus fugitives. On pourrait être tenté par un cas comme celui du Bouclier, 288 : le jeune Chéréas déclare qu’il est tombé amoureux sans l’avoir voulu (ἔρωτι περιπεσὼν γὰρ οὐϰ αὐθαιρέτωι). On connaît ici un parallèle tragique évident pour le recours au mot αύθαίρετος : οὐϰ αὐθαίρετοι βροτοῖς ἔρωτες (Eur., fr. 339 Nauck) « les mortels ne choisissent pas l’objet de leurs amours ». Cependant, il est manifeste qu’en dépit de ce parallèle, le mot n’a rien de spécifiquement tragique. Il se trouve simplement qu’il apparaît dans des contextes analogues chez Euripide et chez Ménandre, mais on sait par ailleurs que son usage est répandu : cela va d’Aristote (E.N., 1114b6 ce qui pourrait encore passer pour un arrière-plan de Ménandre) jusqu’à des textes historiques5. On se gardera donc de tenir le mot pour une allusion à la langue tragique. D’autres cas de ce genre sont constitués par le recours à οἴμοι (Heros, 6) et ὦ δυστυχής (ibid., fr. 8). Ménandre semble nous mettre en garde lui-même contre de semblables abus d’interprétation lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages qu’il pensait que jamais les riches n’avaient d’insomnies, qu’ils ne se retournaient pas la nuit en gémissant οἴμοι (Cyth. fr. 1 KT). L’exclamation se trouve ainsi projetée dans un contexte très quotidien, et ne pourrait être située comme une allusion à la tragédie qu’au travers d’un recours du langage familier à des tournures tragiques.
Dans le Dyscolos, par conséquent, la même prudence s’impose à l’égard d’un mot comme απάνθρωπος (Dysc., 6), malgré son usage dans le passage célèbre du Prométhée enchaîné : προσπασσαλεύω τῶιδ’ ἀπανθρώπωι πάγωι (Aesch, P.V., 20), et malgré le fait que le mot pourrait être une création du langage tragique. La manière dont il s’est répandu par la suite ne permet pas de penser qu’il ait conservé définitivement sa connotation tragique.
Le terrain devient plus sûr avec le mot δυσποτμία. Le cuisinier du Bouclier l’utilise (220) et le mot est si fortement marqué par la tragédie qu’il existe un tour proverbial : δυσποτμία Οἰδίποδος (Souda, s.v. δυσποτμότερον). Le fait que le mot ne se trouve pas tel quel dans ce qui nous reste des tragiques ne doit pas ici faire obstacle : δύσποτμος est bien attesté dans nos tragédies et la rubrique de la Souda suffit à montrer que les composés de la famille sont bien perçus comme rattachés à la sphère tragique. Or, Ménandre met dans la bouche de son cuisinier le tour τῆς δυσποτμίας au moment où ce dernier vient de voir annuler sa commande ; on l’avait engagé pour le mariage de Chéréas, et voilà que l’annonce de la mort de Cléostratos (le spectateur sait déjà qu’il s’agit d’une erreur) vient interrompre les préparatifs. On s’aperçoit immédiatement que le contexte est de la plus grande importance : l’intrusion du mot δυσποτμία dans le discours du cuisinier n’est pas seulement comique de par le saut stylistique qu’il provoque, il l’est encore parce qu’il souligne un contraste : pour la famille de Cléostrate, qui croit le jeune homme mort, il est bel et bien arrivé quelque chose qui rappelle le ton de la tragédie ; une indication du texte (233-235) nous donne à penser que le public entend des lamentations en provenance de la maison de Chéréstrate. Ainsi, le chagrin « réel » d’une famille est opposé à la préoccupation vulgaire du cuisinier qui se lamente, lui, d’avoir perdu son engagement de la journée. A l’intérieur de ce contraste, le mot tragique δυσποτμία est utilisé pour le sort du cuisinier, et par lui-même, non pour désigner les sentiments qui agitent la famille de Cléostrate. Un tel usage du mot est de nature à faire ressentir subitement comme superficiel l’univers entier de la tragédie.
Une autre figure qui se met subitement à parler la langue tragique est Déméas, dans La Samienne : c’est lui qui nous livre le nouveau fragment de l’Œdipe d’Euripide (325sq) si l’on interprète correctement la glose marginale du vers 326 :
λάβ’ αὐτόν, ὧ πόλισμα Κεϰροπίας χθονός,
ὧ ταναὸς αἰθήρ, ὧ — τί, Δημέα βοαῖς ;
τί βοᾶις, ἀνόητε ; ϰτλ
« … Arrêtez-le ! Oh, cité de la terre de Cecrops. Oh, ciel immense, oh,… Mais pourquoi ces cris, Déméas ? Pourquoi ces cris, imbécile ? »
Aucun doute dans ce cas : même sans la note marginale, nous pourrions à coup sûr déceler le recours à la langue tragique : le poète lui-même nous le dit dans la manière dont il fait constater à son personnage la rupture dans son langage, et le style emprunté est parti culièrement évident6. Une fois encore, il nous faut considérer le contexte dramatique : lorsque Déméas dit « Pourquoi ces cris ? », il ne nous livre pas seulement une indication relative à son intensité vocale, il laisse entrevoir également dans quel état d’esprit il se trouve à ce point de la scène. Que s’est-il passé ? Déméas vient de se rendre compte que le nouveau-né qu’il vient de trouver chez lui à son retour de voyage, un fils qu’il croyait être de lui et de sa concubine Chrysis (la Samienne), est en réalité un enfant de son fils adoptif Moschion. Il imagine par conséquent que Moschion l’a trahi, qu’il a eu Chrysis pour maîtresse. Ce que Déméas ignore encore, c’est que ce nouveau-né se trouve être le fils de Moschion et de la fille du voisin, qu’il n’est en rien l’enfant de Chrysis, et qu’ainsi, comme le spectateur le sait déjà, tout va pour le mieux. Fort de son information incomplète, Déméas interroge l’esclave Parménon : il veut s’entendre confirmer ce qu’il vient de surprendre. Parménon est sur le point de révéler toute la vérité – ce qui mettrait fin à tout malentendu et, soit dit en passant, à la comédie – lorsque Déméas éclate de rage ; il se croit trahi, dans une situation qui n’est pas sans rappeler celle d’un Thésée dans une tragédie d’Hippolyte, le langage de la tragédie fait surface en même temps que la colère qui aveugle, et Parménon doit s’enfuir, saisi de terreur. La vérité est ainsi chassée de la scène par l’irruption de la tonalité tragique, jusqu’au moment où Déméas parvient à se ressaisir. Ainsi, le poète associe l’intrusion de la langue tragique avec ! ‘impossibilité d’apprendre la vérité, qui était pourtant à portée de main ; tout se passe comme si les sentiments tragiques suffisaient à rendre aveugle le plus raisonnable des hommes. Pour retrouver son bon sens, Déméas doit explicitement quitter la sphère de la tragédie : « Pourquoi ces cris, Déméas ? Pourquoi ces cris, imbécile ? »
On peut mieux évaluer ce cas en lui opposant le célèbre discours du messager dans le Sicyonien (176 sqq). Au quatrième acte de cette comédie, deux personnages dialoguent, peut-être en présence d’un troisième ; puis, l’un de ces personnages s’engage dans un récit. Les premiers mots de ce récit, en plus d’un endroit, rappellent le récit du messager de VOreste d’Euripide7. Le contexte dramatique a visiblement quelque chose de commun lui aussi avec la scène de l’Oreste ainsi convoquée. Pour reprendre la formule de Gomme & Sandbach : « There is a parallel between this speech and that of Orestes in that both give an account of a debate before a popular assembly that decides the fate of a man and a woman. »8 Il est difficile d’aller plus avant. On tombera d’accord avec l’observation faite par H.-D. Blume selon laquelle un récit de messager n’est pas à proprement parler un « tragic pattern », mais faut-il considérer qu’il s’agit simplement d’un phénomène stylistique9 ? Un élément de réponse pourrait se trouver dans le contraste observable entre cette scène et l’usage de la langue tragique dans l’exclamation du Déméas de la Samienne. Il y a sans doute une critique implicite de la tragédie et de ses effets dans la façon qu’a Ménandre de mettre en œuvre dramatiquement l’exclamation de Déméas. Dans le Sicyonien, tout au contraire, on a l’impression que le poète s’incline devant les possibilités qu’offre le parler tragique : non seulement il est clair qu’il imite une tirade d’Euripide, mais il semble qu’il veuille qu’on s’en aperçoive. L’axe dans lequel le théâtre comique se situe de la sorte est celui d’une appropriation explicite des moyens de la tragédie.
Sur notre premier plan, il existe donc une ambiguïté : le personnage comique de Ménandre peut parler la langue de la tragédie soit pour impliquer à l’égard de cette dernière une attitude critique (et la question qui se pose alors est de savoir si cela signifie qu’il faut tenir la comédie pour supérieure), soit pour jouer avec la possibilité d’intégrer ce langage dans les moyens que se donne la comédie, parmi d’autres moyens. Le seul fait qu’une telle ambiguïté soit possible veut dire que le théâtre comique, au cours de son évolution, a conclu un pacte avec son public : on admet l’usage du langage tragique dans la comédie quel que soit le but poursuivi. L’inverse, bien évidemment, n’est pas admis.
Un dernier exemple du premier plan mérite ici l’attention : c’est un cas limite dans lequel Ménandre fait dire à son personnage qu’il s’exprime comme on le ferait dans une tragédie. Il s’agit du fr. 740 Koerte (« … a fairly tedious piece of moralizing » selon Gomme & Sandbach)10 : un personnage, esclave ou affranchi, parle à son maître (1, τρόφιμε) et tente de le consoler. On ignore ce qui s’est passé, mais le public devait trouver vraisemblable que l’aventure soit désignée par les mots μέτρια… κακά, « un ennui tolérable » : le recours au langage tragique devait ainsi paraître exagéré. De fait, langage tragique et langage « ordinaire » se trouvent ici explicitement opposés :
… εἰ δ’ ἐπὶ τοῖς αὐτοις νόμοις
ἐφ’ οἷσπερ ἠμεῖς ἔσπασας τὸν ἀέρα
τὸν ϰοινόν, ἵνα σοι <ϰαί> τραγικώτερον λαλῶ,
9 οἰστέον ἄμεινον ταῦτα ϰαί λογιστέον.
« Puisque c’est en accord avec la loi de tous que tu inspires l’air qui nous est commun, pour le dire sur le mode tragique, il te faut mieux que cela endurer et penser ton malheur. »11
C’est alors que surgit le contraste :
τὸ δὲ ϰεφάλαιον τῶν λόγων, ἄνθρωπος εἷ ϰτλ
« Mais le fond de tout cela, c’est que tu n’es qu’un être humain, etc. »
Il existe donc une manière plus simple de dire la même chose.
Ainsi, la langue de la tragédie est présentée comme différente de la langue du sens commun, et l’on n’a pas de peine à voir ici de quel côté le poète se situe.
Ce cas, on l’a dit, est un cas limite : en effet, il appartient simultanément aux deux premiers niveaux tels qu’ils ont été définis. La langue de la tragédie est à la fois parlée et désignée explicitement comme telle. Le passage présente encore un autre avantage pour nous : il nous met en garde contre la tentation de considérer automatiquement qu’un personnage discutant de comportement est un personnage qui fait allusion à la tragédie (on sait à quel point, dans la tragédie, des personnages de toutes catégories s’expriment sur ces questions) ; il est manifeste que les raisonnements du personnage qui parle au fr. 740 Koerte sont présentés comme « simples » par opposition avec ce qui pourrait se faire dans la tragédie. Il se produit alors comme un choc en retour, dans la mesure où le refus explicite d’une allusion constitue en lui-même une allusion.
Le deuxième plan nous oblige d’abord à considérer quelques cas dont il y a peu d’informations à tirer, et ce malgré leur caractère explicite. C’est ainsi que le fr. 763 Koerte dit :
τραγωιδοῖς ἧν ἀγών, Διονύσια
« C’était le concours tragique, la fête de Dionysos. »
Ces mots semblent tirés d’un récit, mais quant au contenu du récit, il n’y a pas plus à dire que sur les indices qu’on pourrait en tirer relativement à notre question.
Lorsqu’au fr. 5 de la Teophorouméné, quelqu’un dit :
ἀπὸ μηχανῆς θεὸς ἐπεφάνης.
« Tu es apparu comme un dieu descendu de sa machine de scène »,
on est d’abord tenté de lire cette déclaration à la lumière du célèbre fragment de la Poésie d’Antiphane, et des mots dans lesquels il est dit que lorsque le poète tragique n’a plus rien à dire, il lui suffit de recourir à la machine pour que le public soit ravi12. Pourtant, la scholie du Clitophon platonicien, qui nous livre le fragment, implique que le tour avait un caractère proverbial et s’appliquait à toute personne qui surgissait au bon moment pour résoudre une difficulté. Le fragment signale donc un risque de confusion : on reviendra sur cette question des proverbes.
Une autre source de confusion est constituée par la mention de figures légendaires. Il semble difficile, souvent, de distinguer les cas dans lesquels de telles mentions proviennent de la tragédie. C’est ainsi que la plus grande prudence s’impose lorsque, dans le Flatteur, 120 sqq, un tenancier de bordel évoque Ulysse et la guerre de Troie, mais dans des termes qui ne correspondent pas à ce que nous dit l’Iliade :
(122) … άλλ’ έάν αίσθηθ’ δμ[ως
πρόσεισιν έξήϰονθ’ εταίρους παραλαβών,
δσ]ους Όδυσσευς ήλθεν εις Τροίαν εχων ϰτλ
« Mais lorsqu’il va l’apprendre, il va venir avec soixante compagnons, autant qu’en avait Ulysse à l’expédition de Troie. »
La différence entre cette indication et celle de l’épopée pourrait signifier qu’il y a dans ce cas le démarquage d’un texte tragique connu comme tel du public. Rien n’est moins certain : Ulysse n’est pas connu qu’au travers des seules épopées de l’Iliade et de l’Odyssée d’une part, et d’autre part le poète comique pourrait s’amuser, devant un public relativement cultivé, à se moquer de son personnage en lui faisant produire une information inexacte.
Il faut s’armer de la même prudence devant un cas comme celui du fr. 250 Koerte, cité par Stobée comme un extrait des Pilotes de Ménandre. On lit aux vers 5-6 :
ἀθανασίας δ’ οὐϰ ἔστιν, οὐδ’ ἂν συναγάγηις
τὰ Ταντάλου τάλαντ’ ἐϰεῖνα λεγόμενα
« Il n’y a pas (de prix) pour l’immortalité, même si l’on amasse les légendaires talents de Tantale » (peut-être faut-il même comprendre : « les talents proverbiaux de Tantale »).
La tournure τὰ λεγόμενα, la paréchèse Ταντάλου τάλαντα, le fait qu’il existe un proverbe sur la richesse de Tantale13, tout cela fait penser que l’on se trouve devant une référence à un proverbe et non pas devant une allusion à une tragédie.
Enfin, nouvelle précaution que nous inspire le fr. 718 Koerte, on peut se trouver parfois en présence d’allusions aux arts visuels :
εἷτ’ οὐ διϰαίως προσπεπατταλευμένον
γράφουσι τὸν Προμηθέα πρὸς ταῖς πέτραις ϰτλ
« N’a-t-on pas raison de peindre Prométhée attaché à son rocher ? »
Il est évident que dans un cas comme celui-ci, la tragédie ne pourrait être reflétée au mieux que de manière indirecte, au travers d’effets visuels dérivant d’une représentation scénique.
Voilà donc l’épopée, les proverbes, les arts visuels se présentant comme des alternatives à la tragédie chaque fois qu’un segment de mythe ou de légende est évoqué sur la scène comique. La tragédie pourrait tout aussi bien avoir marqué le domaine des proverbes et celui des arts visuels, mais cela n’aurait d’incidence sur notre question que si l’on pouvait démontrer que le reflet dans la comédie précède les autres.
Tout cela nous amène à la célèbre entrée en scène du Dyscolos lui-même. En effet, voici quels sont ses premiers mots :
(153) εἷτ’ oὐ μαϰάριος ἧν ὁ Περσεὺς ϰατὰ δύο
τρόπους ἐϰεῖνος, ὅτι πετηνὸς ἐγένετο
ϰοὐδενὶ συνήντα τῶν βαδιζόντων χαμαί,
εἷθ’ ὅτι τοιοῦτο ϰτῆμ᾽ ἐϰέϰτηθ’ ὧι λίθους
ἅπαντας ἐπόει τοὺς ἐνοχλοῦντας ; ὅπερ ἐμοι
νυνί γένοιτ’’ ούδέν γάρ αφθονότερου
λίθινων γένοιτ’ <αν> άνδριάντων πανταχοΰ.
« Le fameux Persée, voilà un bienheureux, oui, et pour deux raisons : primo, il avait des ailes et ne rencontrait aucun de ceux qui circulent ici-bas. Secundo : il possédait le moyen de changer en pierre ceux qui le gênaient. Ah, si je l’avais, moi, ce moyen, on ne verrait que des statues de pierre partout. » (Traduction V. Martin-L. Gaulis)
J.-M. Jacques remarque à ce propos : « La référence à Persée, comme toutes les allusions mythologiques analogues, vient sans doute de la tragédie. »14 Après ce qui a été dit, j’inclinerais plutôt à penser que nous n’en savons rien. Il ne manque pas d’attestations prouvant que Persée a été utilisé par les poètes tragiques, mais aussi par les peintres ; il existe un proverbe à son sujet (Apostolios, 5, 58) ; il est mentionné dans l’Iliade (14, 319) et dans la Théogonie d’Hésiode (276 sqq). L’une de ses plus prestigieuses évocations se trouve dans le premier poème qui nous reste de Pindare (la dixième Pythique). On le constate, le terrain est trop mouvant pour qu’on puisse affirmer une provenance tragique du motif, surtout s’il fallait la poser comme la seule provenance.
Nous aurions le même doute à propos des vers 336 sqq de la Samienne si nous n’avions le contexte dramatique. Déméas affirme que Chrysis est « une Hélène », pour dire qu’elle est disposée à jouer de ses charmes pour séduire les hommes. Or, il se trouve que le spectateur vient de voir en Déméas un amateur de tragédies : en effet, cette déclaration fait suite de près à l’exclamation « euripidéenne » des vers 325326־. Mais il y a plus encore, si l’on considère l’ensemble du personnage : au vers 586 sqq, lorsqu’il a finalement compris ce qui s’est passé, qu’il respire de soulagement (Moschion ne l’a pas trompé, l’enfant n’est pas de Chrysis), il entreprend de calmer son voisin Nikératos. Ce dernier sait lui aussi toute la vérité, mais, en sa qualité de père de la fille séduite, il n’a pas les mêmes raisons que Déméas d’en éprouver du soulagement, il est au contraire furieux. Déméas lui propose une petite promenade :
(586) | ΔΗ | (…) φλυαρεῖς, λήψεται μὲν τὴν ϰόρην ἔστι δ’ οὐ τοιοῦτον. ἀλλὰ περιπάτησον ἐνθαδὶ μιϰρὰ μετ’ ἐμοῦ. |
ΝΙ | περιπατήσω ; | |
ΔΗ | ϰαὶ σεαυτὸν γ’ ἀνάλαβε. οὐϰ ἀϰήϰοας λεγόντων, εἰπε μοι, Νιϰήρατε, τῶν τραγωιδῶν ὡς γενόμενος χρυσός ὁ Ζεὺς ἐρρύη διὰ τέγους ϰαθειργμένην τε παῖδ’ ἐμοίχευσέν ποτε ; | |
ΝΙ | εἷτα δὴ τί τοῦτο ; ἴσως δεῖ πάντα προσδοϰᾶν, σϰόπει τοῦ τέγους εἴ σοι μέρος τι ῥεῖ. | |
ΝΙ | το πλεῖστον. ἀλλὰ τί τοῦτο πρὸς ἐϰεῖν’ ἐστί ; | |
ΔΗ | τότε μὲν γίνεθ’ ὁ Ζεὺς χρυσίον, τότε δ’ ὕδωρ, ὁρᾶις. ἐϰείνου τοὗργον ἐστίν. ὡς ταχὺ εὕρομεν. | |
ΝΙ | ϰαὶ βουϰολεῖς με ; « Déméas : Bavardage ! Π l’épousera ta fille, ce n’est pas du tout ça. Viens avec moi, faisons quelques pas. Nikératos : Moi, quelques pas ? Déméas : Et ressaisis-toi. N’as-tu pas entendu au théâtre, Nikératos, les tragédiens qui racontent comment Zeus s’est transformé un jour en or et s’est écoulé à travers un toit pour coucher avec une fille enfermée ? Nikératos : Oui, et alors ? Déméas : Il faut songer à tout. Vérifie s’il n’y a pas une partie de ton toit qui laisse couler l’eau. Nikératos : Presque tout le toit, mais je ne vois pas ce que ça vient faire. Déméas : Quelquefois, Zeus se transforme en or, quelquefois en eau. Tu saisis ? C’était vite trouvé. Nikératos : Tu te paies ma tête ? » |
L’évocation du sujet de Danaé tel que peut le montrer la scène tragique est ici parfaitement explicite. Mais ce qui est dramatiquement parlant le plus intéressant, c’est l’usage qui en est fait : voici Déméas, l’homme riche et raisonnable, qui recourt à la tragédie pour se moquer de Nikératos, le voisin pauvre, au moment où celui-ci a lieu d’être inquiet pour sa fille : le riche jeune homme qui l’a séduite va-t-il vraiment l’épouser ? Le public, lui, n’ignore plus depuis le début de la pièce que ce jeune homme, Moschion, n’a pas de plus cher désir que ce mariage (50-53) : Ménandre le présente à la fois comme amoureux et généreux. Pourquoi donc son père adoptif ne se montre-t-il pas aussi spontanément généreux ? Quel est le sens de cette digression (au propre comme au figuré) dans l’univers de la tragédie ? Le public ne peut que constater à quel point la digression attise la rage de Nikératos : le malheureux n’a plus rien à apprendre, doit-il en outre subir des moqueries ? On notera d’ailleurs que Déméas ne lâche pas prise avant d’avoir entendu Nikératos gémir οἴμοι τάλας (598).
Pour répondre à cette question, il n’est pas inutile de remonter un peu plus haut dans la scène qui nous occupe. Quelques instants auparavant, alors que le malentendu était encore total, que Déméas croyait encore son fils coupable d’une liaison avec la Samienne, on avait entendu Nikératos s’exclamer (commettant la même confusion que Déméas) :
492 | NI | ὧ ϰάϰιστ’ ἁνδρών ἁπάντων ὑπονοεῖν γὰρ ἄρχομαι τὴν τύχην ϰαὶ τἀσέβημα τὸ γεγονὸς μόλις ποτέ. |
MO | τέλος ἔχω τοίνυν ἐγώ | |
ΔΗ | νῦν αἰσθάνει, Νιϰήρατε ; | |
NI | οὗ γάρ ; ὢ πάνδεινον ἔργον ὢ τὰ Τηρέως λέχη Οἰδίπου τε ϰαὶ Θυέστου ϰαὶ τὰ τῶν ἄλλων, ὅσα γεγονόθ’ ἡμῖν ἐστ’ ἀϰοῦσαι, μιϰρὰ ποιήσας — | |
MO | ἐγώ ; | |
NI | τοῦτ’ ἐτόλμησας σὺ πρᾶξαι, τοῦτ’ ἔτλης ; ᾿Aμύντορος νῦν ἐχρῆν ὀργὴν λαβεῖν σε. Δημέα, ϰαὶ τουτονὶ ἐϰτυφλῶσαι. « Nikératos : Non, mais tu es le dernier des derniers ! Je commence tout juste à soupçonner l’horrible chose qui s’est passée ! Moschion : Ça y est, je suis fichu ! Déméas : tu vois ce que je veux dire, Nikératos ? Nikératos : Et comment ! C’est épouvantable ! Les amours de Térée, d’Œdipe, de Thyeste et de tous les autres, pour autant qu’on en sache quelque chose, ce n’est rien du tout à côté de ce que tu as fait. Moschion : Moi ? Nikératos : Tu as eu cette audace ! Th n’as pas reculé ? Déméas, il te faudrait le courage d’Amyntor pour l’aveugler. »15 |
Selon le commentaire de Gomme & Sandbach, il ne semblerait pas que Nikératos parle de ces mythes comme s’il les avait vus représentés sur la scène16. Si nous n’avions le reste de la scène, nous serions tentés de tomber d’accord, nous pourrions même joindre à ce scepticisme les motifs de prudence énoncés plus haut. Mais il se trouve que Déméas va justement citer les tragiques pour faire enrager Nikératos. Au moment où Nikératos vient d’énumérer dans sa colère tant de figures tragiques, il semble bien que l’humour très souligné des mots de Déméas (οὐϰ ἀϰήκοας λεγόντων, εἰπέ μοι, Νικήρατε, / τῶν τραγωιδῶν…) ne soit vraiment compréhensible que si Déméas est en train d’ironiser sur ce penchant pour le spectacle tragique, en d’autres termes, que Nikératos s’est donc bien référé à des intrigues telles qu’elles apparaissent dans la tragédie. Les remarques de Sandbach sur le langage de Nikératos dans cette scène vont d’ailleurs dans le même sens17.
Le résultat est clair pour le poète : les modèles tragiques auxquels Nikératos se réfère sont à ce point dans la ligne de ses fausses inductions qu’il finit par se convaincre qu’elles correspondent à la vérité. Le public, lui, sait fort bien que Nikératos se trompe, et que Moschion ne ressemble en rien aux figures tragiques évoquées. Il est ainsi poussé vers la conclusion que le spectateur de tragédies surgit en Nikératos à point nommé pour venir tout brouiller. Les modèles tragiques viennent ainsi interférer avec la perception du réel, faussent complètement les données et la plus grande confusion s’installe là où tout était en place pour un charmant arrangement matrimonial entre deux familles de voisins. On se rappelle que chez Déméas, les choses se passent de manière analogue lorsqu’il met en fuite son esclave Parménon.
On parvient, à ce point de la scène, au virage décisif : le jeune homme naïf se montre plus raisonnable que les pères érudits. Il ne se voyait pas en héros tragique : il ne comprenait donc pas les soupçons qui pesaient sur lui. A présent il comprend, il explique tout à Déméas. Ce dernier se calme et présente des excuses à son fils adoptif (537). Or, malgré ce retournement, il ne peut s’empêcher de jouer à Nikératos la farce de la petite digression tragique. Cette farce apparaît comme d’autant plus cruelle que Déméas, désormais libre de toute anxiété, se plaît ainsi à maintenir dans l’angoisse son voisin moins fortuné, que ce soit pour s’amuser ou pour lui montrer comment d’autres modèles tragiques peuvent amener à commettre d’autres confusions. Le public est conduit à se dire que la tragédie, contrairement à ce que proclament Gorgias, Aristophane et ceux qui se situent dans leur ligne, ne rend pas meilleurs ceux qui s’y rendent18. Implicitement, on pourrait lire ici entre les lignes que ce rôle revient à la comédie.
Si l’on revient à présent à l’expression « mon Hélène » utilisée par Déméas à propos de Chrysis – donc utilisée par Ménandre pour dépeindre le caractère de Déméas – il semble bien qu’il faille la rattacher à ce même fond de culture tragique qui conduit systématiquement les pères de cette comédie dans la mauvaise direction. Dire de Chrysis qu’elle est « une Hélène », c’est reproduire le schéma selon lequel la perception de la réalité est faussée par une interférence venue du monde de la tragédie.
On trouve un autre cas de ce genre dans Le Sicyonien, à l’occasion du discours qui fait allusion à l’Oreste d’Euripide. On sait que la situation d’ensemble est relativement obscure, mais cette partie de la narration est claire : le narrateur fait parler un personnage (probablement Moschion) qui intervient pour contredire le discours tenu par le Sicyonien et s’exprime en ces termes :
260 (…) « ταυτί συμπέποιθ’, ώς ούτοσὶ
νῡv εξαπίνης εϊληφε διαθήκας ποθέν
έστί τε πολίτης ύμέτερος, τραγωιδίαι
ϰενῆι τ’ άγόμενος την ϰόρην άφήσετ[αι. »
« Pour sûr, je vais croire que ce personnage vient tout juste de trouver quelque part la preuve qu’il est votre concitoyen et que dans sa vaine tragédie, il emmènera la jeune fille pour la laisser libre. »
Le contexte montre que « vaine tragédie » désigne ici une version des faits que le locuteur considère comme hautement improbable, qui n’a pas de rapport avec la « vraie vie » (ou encore, comme on est tenté de le penser selon Aristote, avec le vraisemblable, l’εἰϰός de la tragédie). Ce qui est affirmé, c’est qu’aucun homme, dans la réalité, ne s’assure la possession d’une jeune esclave simplement pour aller la rendre à sa famille comme le Sicyonien prétend le faire. Un tel comportement relève de la « vaine tragédie » conçue dans une opposition radicale avec la « vie » (Gomme & Sandbach suggèrent, comme équivalent pour un public moderne, le mot « mélodrame »)19.
Le cas est complexe : d’une part, on trouve l’opposition du réel et du tragique à la manière de la Samienne, d’autre part, ces mots prennent place dans un discours qui utilise, comme on l’a vu, le parler tragique pour accréditer le sérieux de ce qui va être dit. C’est bien entendu un locuteur interne au discours qui s’exprime, mais le poète qui tire tous ces fils montre bien par là que sa position est plus nuancée qu’il n’y pourrait paraître. On n’est donc pas étonné de tomber sur un cas comme celui de l’Arbitrage. Dans la scène où l’on voit Syriscos et Daos se disputer devant un « arbitre » qu’ils ont choisi pour les départager à propos d’un enfant trouvé et des objets qui se trouvaient près de lui, Syriscos invoque la tragédie dans son plaidoyer :
325 (…)τεθέασαι τραγωιδούς, οἷδ’ ὅτι
ϰαὶ ταῦτα ϰατέχεις πάντα. Νηλέα τινὰ
Πελίαν τ’ ἐϰείνους εὗρε πρεσβύτης ἀνὴρ
αἰπόλος, ἔχων οἵαν ἐγὼ νῦν διφθέραν,
ὡς δ’ ἤισθετ’ αὐτοὺς ὄντας αὑτοῦ ϰρείττονας,
330 λέγει τὸ πρᾶγμ’, ὡς εὗρεν, ὡς ἀνείλετο.
ἔδωκε δ’ αὑτοῖς πηρίδιον γνωρισμάτων,
ἐξ οὗ μαθόντες πάντα τὰ ϰαθ’ αὑτοὺς σαφῶς
ἐγένοντο βασιλεῖς οἱ τότ’ ὄντες αἰπόλοι.
εἰ δ’ ἐϰλαβὼν ἐϰεῖνα Δᾶος ἀπέδοτο,
335 αὐτὸς ἵνα ϰερδάνειε δραχμὰς δώδεκα,
άγνῶτες ἂν τὸν πάντα διετέλουν χρόνον
οἱ τηλιϰοῦτοι ϰαὶ τοιοῦτοι τῶι γένει.
« Tu as vu des tragédies, je le sais bien, et tu connais tout cela. Un Nélée, un Pélias sont trouvés par un vieux chevrier, vêtu d’une peau, tout comme moi ; il s’aperçoit que les enfants sont d’un rang supérieur au sien : il raconte l’affaire, la découverte, les soins prodigués. II leur donne le petit sac qui contient les signes de reconnaissance, et c’est ainsi qu’ils apprennent de manière incontestable qui ils sont, et qu’ils deviennent rois, eux qui ont débuté dans la vie comme chevriers. Si un Daos avait pris ces objets, les avait vendus pour en tirer douze drachmes de profit, ces enfants auraient passé leur vie dans l’anonymat, eux, des gens de si noble naissance ! »
L’ensemble de la scène reproduit sans doute jusqu’à un certain point ce qui pouvait réellement se passer lors d’un arbitrage – question de vraisemblance devant un public athénien. Or, citer des exemples mythologiques est de bon aloi dans un plaidoyer. Syriscos va plus loin : il déclare explicitement qu’il tire ses exemples de la tragédie. Probablement compte-t-il de la sorte flatter l’arbitre en laissant entendre qu’il se trouve devant un homme cultivé. Un point, cependant, fait dresser l’oreille et constitue une mise en parallèle de la tragédie et de la comédie. Les mots « vêtu d’une peau, tout comme moi » (328) amènent comédie et tragédie à se recouper exactement pour un bref instant : la figure du serviteur vêtu d’une peau oscille, sous les yeux du spectateur, entre l’univers tragique et l’univers comique. L’implication est claire : c’est ici le poète qui parle ; il souligne le parallélisme des deux formes dramatiques et tire de la crédibilité de la tragédie une forme de soutien pour la crédibilité de la trame comique. On a donc l’impression de se trouver aux antipodes de la position célèbre d’Antiphane. Puis, soudain, c’est la rupture des deux mondes. La comédie envahit l’univers évoqué de la tragédie : qu’arriverait-il si un serviteur de comédie se présentait dans le tissu mythique et se comportait comme un véritable serviteur de comédie (donc un personnage tiré de la « vraie vie ») ? La réponse est qu’il n’y aurait plus de mythe. Ainsi, après avoir laissé entendre que la tragédie et la comédie agissent de même, le poète souligne une différence de taille : étant donné des situations similaires, à tel point similaires qu’on peut se demander devant quel genre de spectacle on se trouve, le poète comique doit tenir compte des données de la vie réelle – et l’on se retrouve par conséquent dans le même type d’argumentation qu’Antiphane, avec cette différence que dans cette tirade, c’est en quelque sorte au second plan qu’on perçoit une telle argumentation, qu’elle ne constitue pas l’objet même de la discussion.
Plus tard dans cette même comédie, lorsque tout est arrangé, l’esclave Onésimos se moque de Smikrinès, l’irascible père de la fiancée, en lui déclarant que sa colère est désormais hors de saison. Comme Smikrinès refuse de comprendre qu’il est d’ores et déjà devenu grand-père, un personnage que certains éditeurs désignent comme Sophroné (la servante de Smikrinès), d’autres comme Onésimos20, cite Euripide :
1123 « ἡ φύσις ἐβούλεθ’, ἧι νόμων οὐδὲν μέλει’
γυνὴ δ’ ἐπ’ αὐτῶι τῶιδ’ ἔφυ ». τί μῶρος εἷ ;
τραγιϰὴν ἐρῶ σοι ῥῆσιν ἐξ Αὔγης ὅλην
ἂν μή ποτ’ αἴσθηι, Σμιϰρίνη.
« Nature l’a voulu, et Nature des lois n’a cure : ce qui arrive est le dessein même pour lequel ta fille est née femme. » Pourquoi te montrer si fou ? Je te réciterai toute la tirade de la tragédie « Augé », si tu t’obstines à ne pas comprendre, Smikrinès !
En premier lieu, on observera la similitude avec la situation de Déméas et de Nikératos dans la Samienne, lorsque le premier recourait à la tragédie pour faire enrager l’autre (et donc provoquer le rire du public). Simultanément, toutefois, ce passage montre, tout comme le discours de Syriscos, que la tragédie peut être utilisée du fait qu’elle offre un supplément de crédibilité, et que si l’on recourt explicitement à la tragédie pour s’en détacher ensuite explicitement, c’est que la comédie doit être tenue pour supérieure dans la représentation de la vie réelle. La perspective est ici la même que dans le discours de Syriscos sur le point qui consiste à établir que si la tragédie est de la littérature – avec tous les mérites que cela comporte – la comédie se réfère, elle, à la réalité. Une fois encore, avant de passer au troisième plan, on relève une ambiguïté : la tragédie déforme la vision que l’on a de la réalité (voir les cas de Nikératos et de Déméas), mais elle peut constituer une ressource importante pour le poète qui cherche à accréditer un récit (cas de Syriscos), même s’il importe alors de marquer immédiatement une distance.
Sur le troisième plan, celui où l’on voit le poète organiser son action scénique à la manière tragique, il convient aussi de considérer tout d’abord quelques dangers qui guettent l’interprétation. Il existe des similarités entre les situations de la scène comique et de la scène tragique que l’on ne peut faire remonter à une réaction des poètes comiques en face du spectacle tragique ; elles appartiennent, semble-t-il, au donné théâtral lui-même : tel le fait même que des acteurs dialoguent devant un public, par exemple. Certains faits scéniques peuvent aussi s’expliquer à ce niveau le plus élémentaire, sans qu’on puisse y déceler à coup sûr une interaction des deux genres : ainsi la succession de discours destinés à défendre des points de vue opposés montre-t-elle l’influence des tribunaux et de l’enseignement de la rhétorique sur chacun des deux types de spectacle plutôt qu’une influence de l’un sur l’autre. La mise en œuvre de situations similaires peut s’expliquer aussi par les possibilités de la scène ; ainsi, par exemple, on trouve aussi bien dans la tragédie que dans la comédie le cas du personnage qui vient frapper à une porte cependant que le public sait déjà qu’une surprise l’attend (Héraklès dans l’Alceste d’Euripide, Gétas et Sikôn dans le Dyscolos). Dans la tragédie comme dans la comédie, des personnages doivent venir en scène pour rapporter ce qui s’est passé hors de la vue des spectateurs (des allusions à un récit de messager tragique doivent donc être particulièrement explicites, comme dans le Sicyonien, si l’on veut qu’elles soient perçues comme telles). Par conséquent, on serait tenté de penser à première vue que le cas des prologues se situe dans la même ligne. Mais, dans ce cas justement, Ménandre semble utiliser, outre la métrique, une possibilité que lui offre le prologue comique de se distinguer de son équivalent tragique. Lorsque le dieu Pan prononce les premiers mots du prologue du Dyscolos, ces premiers mots contiennent de quoi frapper le texte au coin de comédie :
ΠΑΝ τῆς ᾽Αττιϰῆς νομίζετ’ εἷναι τὸν τόπον
Φυλήν ϰτλ
Pan : Imaginez, spectateurs, que nous sommes en Attique, à l’endroit qui se nomme Phylé.
La mention directe d’un public dans une adresse qui lui est faite, comme c’est ici le cas, n’a pas de parallèle dans la tragédie. Certes, le θεὸς προλογίζων s’adresse à lui et sa présence ne s’explique pas sans lui, mais il n’utilise pas de procédés qui, comme l’impératif du premier vers, le fassent surgir explicitement dans le texte. On pourrait faire la même remarque à propos du prologue inséré du Bouclier : au vers 98, la déesse Fortune en appelle au « vraisemblable » (… / θεὸν οὗσαν οὐϰ ἧν ἀϰολουθεῖν ἐμέ) dans des termes qui montrent clairement que le point de vue est celui du spectateur : c’est le spectateur qui ne jugerait pas vraisemblable que la Fortune, une déesse, parût sur scène si vraiment il y avait eu mort d’homme comme la première scène le dit. Le prologue de la Tondue présente un cas tout à fait clair d’adresse au public, comme dans Dyscolos (127 sq : « la jeune fille que vous voyez vous-mêmes », et les vœux au public qui terminent le prologue (170 sq). Si le poète semble souligner la différence, faut-il en conclure nécessairement qu’il entend marquer ses distances par rapport à la tragédie ? On pourrait le supposer sans que cela implique l’aveu d’un emprunt que la comédie lui aurait fait : le poète comique pourrait simplement souligner qu’il fait un usage original de la forme donnée (comme c’est le cas, au niveau de la métrique, pour le trimètre iambique par exemple).
On parvient à un cas plus assuré avec les vers 768 sqq de la Tondue. Il s’agit d’une scène d’ἀναγνώρισις une reconnaissance d’un père et de sa fille (Pataikos et Glykèra). Toute scène de reconnaissance ne constitue pas un reflet de la pratique tragique, bien évidemment ; celle-ci présente toutefois deux autres traits qui attestent cet aspect. Tout d’abord, la situation rappelle fortement la scène de reconnaissance de l’Ion d’Euripide (dans les deux cas, un tissu et les représentations qu’on y voit servent d’indices) ; en second lieu, une partie de la scène est écrite sous la forme d’une stichomythie obéissant aux lois de la métrique tragique21. Sandbach fait ici une remarque subtile : il convient de tenir compte de la présence en scène d’un auditeur (Moschion) qui, lui, parle le langage de la comédie22. Le public, selon lui, était supposé s’amuser du langage tenu par les uns et par les autres autant que s’émouvoir de leurs sentiments, ce qui supposerait une réaction « multiple et complexe » (« complicated multiple response »)23. On se situera dans la même ligne d’interprétation en utilisant dans le cas de cette stichomythie les trois plans sur lesquels on peut distribuer le reflet de la tragédie. Le public remarque tout d’abord que l’on parle la langue tragique ; en second lieu, que cette appropriation s’accompagne du recours à un procédé la dénonçant comme telle (ici, le personnage à l’écoute, qui, par son langage de comédie, sert justement à marquer la frontière des deux genres) ; enfin, la conjonction de ces deux éléments avec l’événement dramatique d’une reconnaissance dans le goût d’Euripide permet de désigner l’ensemble comme un reflet de la tragédie.
Qu’en est-il d’autres scènes de reconnaissance ? Toutes n’apparaissent pas dans un contexte aussi net. Dans le Misoumenos, 208 sqq, on se trouve devant une scène de reconnaissance d’une simplicité appuyée : un père voit sa fille, elle le voit, ils tombent dans les bras l’un de l’autre :
210 | ΔΗ | ὧ Ζεῦ, τίν’ δψιν οὐδὲ προσδοϰωμένην ὁρῶ ; |
ΚΡ | τί βούλει, τηθία ; τί μοι λαλεῖς ; πατὴρ ἐμός ; ποῦ ; | |
ΔΗ | παιδίον Κράτεια. | |
ΚΡ | τίς ϰαλεῖ με ; πάππα. χαῖρε πολλά, φίλτατε. | |
ΔΗ | ἔχω σε, τέκνον. | |
ΚΡ | ὢ ποθούμενος φανείς ϰτλ Déméas : Zeus ! Quel spectacle inattendu ! Krateia : Que veux-tu, nourrice ? Que dis-tu ? Mon père ? Où cela ? Déméas : Mon enfant, Krateia ! Krateia : Qui m’appelle ? Papa ! Quelle joie de te voir ! Déméas : Je te retrouve, ma petite. Krateia : Comme je désirais te revoir, etc. |
La simplicité du langage frappe autant que celle de la situation. Sans doute le jeu des acteurs devait-il compter ici pour beaucoup, mais cela n’explique pas tout. On a bel et bien l’impression de se trouver devant le renversement du modèle de la reconnaissance tragique. Un défi pourrait être lancé : écrire une scène de reconnaissance qui n’utilise aucun des procédés obligés : pas d’objet servant d’indice, aucun récit, aucune lettre, aucune hésitation de la part des personnages au moment de se reconnaître. Il est d’autant plus frappant, dans ce contexte, que le mot τέκνον, « ma petite », soit scandé rigoureusement à la façon tragique. R.L. Hunter remarque d’ailleurs qu’un certain ton tragique passe du langage du père à celui de la fille (Op. cit., pp. 132 sq).
On aimerait ici posséder dans un meilleur état de conservation la scène de reconnaissance de l’Arbitrage, explicitement qualifiée d’ἀναγνωρισμός (1121). Cependant, le passage du texte où la reconnaissance se produit est dans un état qui ne permet pas d’en tirer des observations assurées (908-978).
Le cas du Sicyonien, en revanche, est à nouveau clair : nous sommes placés devant une scène brève. Comme dans ce que l’on entrevoit de la reconnaissance de l’Arbitrage, les personnages principaux ne sont pas en présence l’un de l’autre : ils apprennent la vérité par un tiers. Ici, un père, Kichésias, apprend d’un de ses anciens esclaves, Dromon, que la fille qu’on lui avait enlevée lorsqu’elle était enfant est vivante, qu’elle va bien et qu’elle se trouve là. Ce qui se produit alors sur la scène est clairement impliqué par le texte : Dromon s’exclame :
363 (…)μή πέσηις. άνίστασο,
Κιχησία. Θηρών, ύ’δωρ, ύδωρ, ταχύ.
(…) Ne tombe pas ! Relève-toi ! Kichésias ! Théron, de l’eau, de l’eau, et vite !24
Le réalisme de cette réaction forme un contraste saisissant avec les longues déclarations stichomythiques qui souvent font suite à l’instant de la reconnaissance dans la tragédie. Le public doit-il faire ce rapprochement et sentir cette différence ? Non, sans doute. Mais le poète ? Peut-il écrire ainsi sans référence implicite à la tragédie ?
Cette question nous ramène à la scène du Bouclier qui nous a servi de point de départ. Lorsque Daos déclare : « Vous allez ici mettre en scène une fin tragique » (329), il annonce cette pièce dans la pièce qui va se dérouler ensuite, avec son faux médecin et son faux cadavre. Il est manifeste cependant que l’idée ne vient à Daos que parce qu’il existe une « vraie » maladie de Chéréstrate, et un « vrai » danger de mort. Comme J.-M. Jacques l’a bien montré, les symptômes de dépression que Ménandre prête à son personnage sont observés de manière précise, et Chéréstrate est ainsi présenté au public comme un homme véritablement mal en point. Or, c’est ce donné de la « vraie vie » qui inspire à l’esclave l’idée de sa pièce « tragique ». On ne saurait plus nettement opposer la tragédie et la « vraie vie » : Ménandre nous montre d’un côté un chagrin sincère, les symptômes d’un mal réel, de l’autre, et sous l’appellation tragique, tout ce qu’on peut échafauder de faux à partir de là.
On observe incidemment que l’on tient ici une raison supplémentaire de donner raison à J.-M. Jacques lorsqu’il suggère que l’eccyclème est utilisé dans le deuxième acte du Bouclier : à ceux qui objectent que cette machine est réservée soit à la tragédie soit à la parodie tragique, on peut répondre que l’émulation entre comédie et tragédie qu’implique la situation observée rend justement très plausible le recours à une machine dont les connotations tragiques sont évidentes aux yeux du public25. Une seconde observation au passage : l’opposition qui se dessine entre vérité dans la comédie et mensonge dans la tragédie est de nature à conforter ! ‘interprétation selon laquelle, dans le Sicyonien, la scène de reconnaissance réaliste peut être perçue comme un défi à la tragédie.
Pour en revenir au cas du Bouclier, on remarque que Daos trace une même frontière entre comédie et tragédie sur les deux premiers plans : lorsqu’il cite des vers (premier plan) et lorsqu’il donne ses références à la tragédie (deuxième plan), le fond du message est toujours le même : le spectacle auquel vous assistez en ce moment n’est justement pas de la tragédie. C’est également ce que signifie, comme on vient de le voir, la déclaration relevant du troisième plan et selon laquelle la tragédie se situe du côté du factice. Ce qui est impliqué, c’est que la comédie, de son côté, a pour objet la vie réelle. La situation dans laquelle Daos s’exprime au troisième acte du Bouclier est du reste telle qu’on a l’impression que les poètes tragiques sonnent faux même – et peut-être surtout ? – lorsqu’ils prétendent s’exprimer sur la vie : les éloges qui leur sont alors décernés n’en apparaissent que plus bouffons.
Chacun se rappelle l’exclamation célèbre d’Aristophane de Byzance : « O Ménandre, ô vie, lequel de vous deux a imité l’autre ? »26 Quel que soit le contenu que le public attend du mot « vie » dans ce contexte, on voit bien que c’est là le terrain sur lequel Ménandre situe sa réaction en face de la tragédie. Or, depuis les Grenouilles d’Aristophane jusqu’à la Poétique d’Aristote, il se trouve que c’est à la tragédie qu’on a reconnu le pouvoir, et la tâche, de reproduire « la vie ». Antiphane s’en prend justement à cette conception, et Ménandre lui fait écho, en insistant sur l’idée que la comédie reproduit la « vraie » vie, et ce malgré les conventions scéniques auxquelles très évidemment elle se soumet elle aussi. Peut-être un poète comique a-t-il des raisons de penser que son public partage ce point de vue, ce qui fait de la question un bon terrain sur lequel défier la tragédie.
On notera cependant que le troisième plan fait apparaître chez Ménandre la même ambiguïté que les deux premiers plans. Ici encore, l’idée que la comédie doit marquer clairement sa différence coexiste avec une tendance à emprunter des procédés de la tragédie, comme le montre la scène de reconnaissance de la Tondue. Il convient d’ajouter deux points à ce deuxième versant de l’attitude de Ménandre (on laissera de côté le recours à la pitié, qui n’est pas commun seulement à la tragédie et à la comédie, mais aussi à la pratique des tribunaux).
Le premier point consiste dans le fait que l’action comique se déroule en une journée, et que Ménandre prend la peine de souligner cette circonstance27. Il y a certes des exceptions : l’Arbitrage semble bien se dérouler en deux jours, par exemple. Mais le cas général rappelle nettement la célèbre observation de la Poétique d’Aristote qui fut à l’origine de notre classique « unité de temps » (Poet. 1449bl2). Du reste, si nous avons sur un papyrus l’indication explicite qu’une action dure deux jours28, c’est bel et bien que la chose méritait d’être relevée comme exceptionnelle.
Le second point est que la comédie ménandréenne fait souvent coïncider la péripétie et la reconnaissance : on pouvait le dire déjà de la Tondue et de l’Arbitrage : le codex Bodmer est venu apporter les cas particulièrement évidents du Dyscolos et de la Samienne, cependant que les fragments de la fin du Bouclier permettent au moins de faire l’hypothèse qu’il en allait de même dans cette dernière comédie du codex. Une fois encore, on est dans la ligne de l’observation énoncée par Aristote dans la Poétique et selon laquelle « la reconnaissance est la plus belle lorsqu’elle se produit en même temps que la péripétie, comme dans Œdipe (Poet. 1452a32), c’est-à-dire lorsqu’un changement radical dans l’information dont disposent les personnages entraîne comme conséquence un renversement total du cours de l’action.
On peut alors se demander, et beaucoup l’ont fait, s’il faut considérer qu’Aristote a directement influencé Ménandre29. Si l’on tient compte de l’ambiguïté observée sur chacun de nos trois plans dans l’attitude que Ménandre adopte en face de la tragédie, on sera moins tenté de parler d’influence (et c’est pourquoi le terme même de « dette » peut sembler jusqu’à un certain point inadéquat) ni d’influence de la tragédie, ni, sans doute et à plus forte raison, d’influence de la Poétique d’Aristote (le cas des écrits « éthiques » étant réservé) : on a au contraire l’impression que comme d’autres, mais peut-être plus que d’autres, Ménandre est fasciné par la tragédie ; il est soumis à la double tentation de pénétrer son univers, de recourir à son langage, à ses procédés, mais du même coup de faire bien voir qu’il n’est pas de ce monde-là (dans cette perspective, la comédie serait presque un produit de la tragédie). Sur le mode scénique, il se livre à un travail qui n’est pas sans rappeler ce qu’Aristote fait sur le mode théorique. Mais il agit en professionnel de la scène et pourrait bien ne rien devoir à des écrits d’analyse du théâtre.
Enfin, il est une dernière question sur laquelle les trois comédies du codex Bodmer jettent un jour très révélateur pour peu que l’on songe à la confrontation de la comédie et de la tragédie. On sait que le Bouclier nous a fourni la solution d’un point délicat de droit attique : la trame de cette comédie atteste en effet qu’une fille devient épiclère également si elle hérite d’un frère30. Il est évident que si la trame d’une comédie pénètre suffisamment le monde de la législation pour en éclairer à nos yeux certains détails, c’est qu’elle s’y intéresse de près. On a pu d’ailleurs voir dans le Bouclier une attaque en règle contre la loi de l’épiclérat. Les deux autres comédies du codex Bodmer possèdent des traits qui indiquent la même direction : tout comme le Bouclier remet en cause une norme sociale codifiée dans une loi, elles mettent en cause elles aussi des normes sociales, qu’elles soient ou non régies par des textes de loi. Dans la Samienne, Ménandre invite son public à réfléchir sur ce que signifie la légitimité des enfants et l’adoption, sur la qualité des relations d’homme à femme selon qu’ils se situent dans le mariage ou dans le concubinat (ces deux questions étant très évidemment reliées dans les faits pour n’en former qu’une bien souvent). Dans le Dyscolos, outre la démonstration de l’aspect « politique » de la vie humaine, qui fait songer à la formule d’Aristote disant de l’homme qu’il est un « animal politique »31, on assiste à des discussions, puis à des décisions qui remettent en cause la ligne séparant les catégories sociales : le double mariage de la fin renverse les idées reçues relatives à l’opportunité des mariages, et le texte ne se fait pas faute de le dire (cf. 794-796).
La comédie « ancienne », donc essentiellement Aristophane (mais les fragments d’Eupolis et de Cratinos qui nous sont conservés sont sur ce point dans la même ligne) ne nous présente pas de telles remises en question. On y attaque tel ou tel personnage, mais pour aboutir à l’affirmation de normes qui sont posées comme admises dès le départ, et au nom desquelles justement on critique le personnage qui donne lieu à la comédie. Même Les Guêpes ne proposent pas de remise en cause du système judiciaire athénien : cette comédie s’en prend bien plutôt à l’usage qui en est fait par Cléon pour détourner les citoyens de problèmes plus importants ; la comédie des Oiseaux, malgré l’intention affichée de changer de société, aboutit à l’affirmation des normes courantes moyennant la correction, au passage, de ce qui est présenté comme s’en étant écarté (au départ, ce n’est pas Athènes dans ce qu’elle a de permanent qui va mal, c’est le point auquel on l’a réduite). La comédie ancienne nous apparaît ainsi comme une institution théâtrale qui propose des corrections de surface pour que soit maintenu l’essentiel : un ensemble de données sociales dans lesquelles on ne veut pas provoquer de bouleversements et que le texte réaffirme, fût-ce par les implications de ses moqueries.
La confrontation de la comédie de Ménandre et de la tragédie, telle que le codex Bodmer nous contraint de la considérer, permet de situer cela sur un terrain où l’on voit apparaître un parallélisme avec ce qui se passe touchant la représentation de la « vie ». En effet, de même que la reproduction des événements de la vie est tenue pour l’apanage de la tragédie, de même la remise en cause des normes profondes de la société lui revient, à l’enseigne de Dionysos, organisateur du désordre qui vise le maintien de l’ordre32 ; c’est d’ailleurs au nom d’une telle conception de la tragédie qu’Aristophane écrit Les Grenouilles et qu’il propose sur le mode burlesque d’aller rechercher un poète tragique, et non un législateur ou un spécialiste des oracles. Ménandre, lui, ne suggère aucunement qu’un poète tragique s’interpose : il prend à bras le corps, avec les moyens de la scène comique, les questions que pose l’état de la société athénienne. Ce faisant, il dispute donc son terrain à la tragédie, tout comme il le lui dispute au niveau de la représentation de la « vraie vie ». Peut-être même les deux démarches sont-elles nécessairement complémentaires.
L’état fragmentaire de ce qui nous reste de la comédie dite « moyenne » ne nous permet pas toujours d’observer les virages qui ont été pris entre l’état de la comédie que l’on appelle « ancien » et l’état que l’on dit « nouveau ». Nous sommes, jusqu’à plus de découvertes, dans la situation de pouvoir observer un point de départ avec Aristophane et, depuis peu, un point d’arrivée avec Ménandre. Pour l’entre-deux, nous sommes tributaires d’une transmission fragmentaire. La rivalité de la tragédie et de la comédie telle qu’on peut la penser sur le plan théorique nous apparaît chez Antiphane déjà : malheureusement, nous avons si peu de son œuvre qu’il nous est impossible de dire si Ménandre innove ou s’il développe un apport d’Antiphane lorsqu’il renonce au débat tel qu’Antiphane le présente pour porter plus ingénieusement le débat dans la trame elle-même et le langage de ses pièces, aboutissant à l’attidude de fascination ambiguë qui ressort de nos quelques analyses.
Pour ce qui touche le défi lancé au niveau de la discussion des normes de la société, nous sommes plus mal pourvus encore dans les fragments de la comédie moyenne. Peut-être l’amorce du virage se trouve-t-elle dans la dernière manière d’Aristophane. Sans doute n’y a-t-il pas, dans le Ploutos, une vraie remise en question de la distribution des richesses, comme on la trouve dans le Dyscolos : tout y est bien trop burlesque. Mais on a l’impression que le chemin n’est plus trop long ; l’utopie carnavalesque, on le pressent, peut ici faire place à une véritable critique de la société. Chez Ménandre, et dès cette pièce de jeunesse qu’est le Dyscolos, le pas est franchi. Et l’on peut dire que si l’on s’en aperçoit, c’est que les premiers mots de cette comédie nous lancent sur la voie d’une confrontation avec les moyens et les fins de la tragédie. Peut-être cette confrontation souligne-t-elle ainsi, à nos yeux, ce qu’il y a de fondamentalement nouveau dans la comédie nouvelle.
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1 Le second livre, perdu, de la Poétique d’Aristote a connu récemment une certaine célébrité due au roman d’Umberto Eco, Il nome della rosa (Milano, 1980). En outre, la controverse a été lancée par R. Janko, Aristotle on Comedy, London, 1984, qui voit flans le Tractatus Coislinianus un précis du deuxième livre de la Poétique (cf. pp. 52-90). Pour les autres traités, on en trouve des échos dans les textes recueillis par G. Kaibel, Comicorum Graecorum Fragmenta, Berlin, 1899, pp. 3-83.
2 Par simple prudence, on s’en tiendra aux textes de Ménandre qui nous sont transmis en grec. En effet, les textes dont nous avons des adaptations latines, en leur qualité de transpositions, s’adressent à un public dont le monde culturel n’est pas athénien ; ils perdent donc inévitablement de leur valeur de témoignage dans le cadre de notre question. Cette difficulté est du reste soulevée par R.L. Hunter, Op. cit., p. 114.
3 Aesch., Sept., 174 ; Eur. Hec., 97 (plus souvent au singulier chez Euripide : cf. Andr., 1036 ; Hel., 455 ; Hipp., 871 : cf. également Soph., Phil., 1186).
4 Aristote, Poet., 1450a38 et la remarque de D.W. Lucas, Aristotle, Poetics, Oxford, 1968, p. 105. Pour l’attitude de Daos dans cette scène et la vraisemblance de ces citations, cf. F.H. Sandbach, in Ménandre, Entretiens Hardt 16, Vandœuvres-Genève, 1970, pp. 133sqq.
5 Cf. e.g. Xen., Hist. Gr., 6.2.36 : Thuc., 6.40.2.
6 On trouvera des parallèles dans A. Barigazzi, Op. cit., p. 121, n. 29, ainsi que dans le commentaire de A.W. Gomme, F.H. Sandbach, Menander, a Commentary, Oxford, 1973, pp. 577 sq, avec la remarque ingénieuse que le rire du public est dû au fait que l’on sait que l’émotion de Déméas repose sur une erreur. On trouvera un aperçu des analyses antérieures du monologue de Déméas chez Barigazzi (loc. cit.), mais, pour lui, la scène ne semble pas contenir de ressort comique.
7 Cf. Sic., 176 / Or., 866 Sic., 177 / Or., 867 ; Sic., 182 / Or., 920 et A.G. Kat-souris, Tragic Patterns, pp. 35-54 ; R.L. Hunter, Op. cit., pp. 129 sq (intéressant parallèle avec Aristophane pour la distribution des allusions tragiques au début et à la fin de la tirade).
8 Menander, A Commentary, Oxford, 1973, p. 651 ; A. Blanchard, Op. cit., pp. 368-370.
9 H.-D. Blume, Gnomon 51,1979, p. 728 : « Wenn also Menander im Sikyonios die berühmte Botenrede des euripideischen Orestes zwanglos, jedoch bis in Einzelheiten erkennbar nachbildet, so ist das in erster Linie ein stilistisches Phänomen. Menander gibt damit eine Probe seiner vielgerühmten Kunstfertigkeit. »
10 Menander, a Commentary, p. 719. Contrairement à ce que pense Hunter (Op. cit., pp. 118-119), il ne me semble pas que les mots ἴνα-λαλῶ s’appliquent à l’ensemble de la tirade ; ils concernent le tour amphigourique εἰ-τὸν ϰoινόν ; les considérations qui suivent, par contraste, montrent que la comédie peut s’approprier la sagesse populaire sans recourir au registre tragique.
11 On notera que cette traduction tente de résoudre le problème soulevé par Gomme & Sandbach, Menander, a Commentary, pp. 719 sq : ταῦτα du v. 9 ne pourrait être à la fois objet de λογιστέον et de οἰστέον. Il n’y a cependant ni impossibilité syntaxique ni obstacle conceptuel, même en anglais, semble-t-il (« You must put up with these things philosophically » traduit Hunter, Op. cit., pp. 118 sq).
12 Athénée 222 b-c = Antiphane, fr. 191 Kock, 13-16.
13 Corpus Paroemiographorum Graecorum, ed. E.L.A. Leutsch, F.G. Schneidewin, t. I (Göttingen, 1839), pp. 161 sq (Zenobios 6.4.), t. II (1851), p. 214 (Macarios 8.1.), p. 660 (Apostolios 16.16). Les autres proverbes relatifs à Tantale ne se rapportent pas à sa richesse.
14 Ménandre, Le Dyscolos (Paris, 1976), éd. J.-M. Jacques p. 15, n. 1.
15 Persée dans la tragédie : cf. RE, 19, 1 (1937) s.v. Perseus (J.L. Catterall), col. 978, 51-59. Dans les arts : Enciclopedia dell’arte antica, t. 6, pp. 66-69 (Roma, 1965). La partie de la geste de Persée qui le met en contact avec Andromède est désormais documentée sur le plan iconographique dans l’article « Andromeda » du Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae dû à K. Schauenburg, t. I, 1, pp. 774-790 ; t. I, 2 (illustrations) pp. 682-642 (Zürich-München, 1981).
16 Gomme & Sandbach, Menander, a Commentary, pp. 598 sq. : « Euripides wrote a Thyestes. But Nikeratos does not speak as if his knowledge of these stories came from seeing them on the stage. »
17 Ménandre, Entretiens Hardt 16, Vandœuvres-Genève, 1979, pp. 131 sq. (Nikératos change à plusieurs reprises du registre quotidien au registre tragique).
18 Gorgias : cf. Plut., De glor. Ath., 5, 348c = D.K. 82 B 23. G. Lanata, Poetica Pre-Platonica, Firenze, 1963, fr. 3, pp. 206 sq. Aristophane : Ran., 964 sq, 1008 sqq, e.g.
19 Gomme & Sandbach, Op. cit., p. 657, ad 262.
20 EH. Sandbach, Proc. Cambr. Phil. Soc., 1967, 44 et Ménandre, Entretiens Hardt 16, 1970, pp. 134-136.
21 Gomme & Sandbach, Op. cit., p. 519. Sur la question de l’ἀναγνώρισις en général dans la comédie, cf. R.L. Hunter, Op. cit., pp. 130-134.
22 Ménandre. Entretiens Hardt 16, 1970, pp. 126-128.
23 Ibid., p. 128.
24 Sur cette expression (« au feu ! »), cf. A. Heubeck, ZAnt, 20, 1970, p. 77. Peut-être, cependant, y a-t-il trop de subtilité à vouloir lire dans notre passage, comme il le fait, une utilisation de ce qui serait un cri courant doublée d’allusions à trois passages d’Aristophane.
25 J.-M. Jacques, Mouvement des acteurs et conventions scéniques dans l’acte II du « Bouclier » de Ménandre, GB 7, 1978, pp. 37-56 ; cf. aussi A. Blanchard, Op. cit., p. 112 (à propos du Dyscolos) et R.L. Hunter, Op. cit., pp. 127 sq.
26 Syrianus, in Hermog. 2, 23, 10 sq, ed. H. Rabe, Leipzig, 1913 : ὧ Μένανδρε ϰαὶ βίε, πότερος ἄρ’ ὑμῶν πότερον ἀπεμιμήσατο ; cf. aussi Aristote, Poet. 1450al6 : ἡ γὰρ τραγωιδία μίμησίς ἐστιν οὐϰ ἀνθρώπων ἀλλὰ πράξεων ϰαὶ βίου. On peut ici maintenir le texte de la vulgate malgré la proposition de C. Gallavotti, Aristotele, Dell’arte poetica, Fondazione Lorenzo Valla, 1974, pp. 22 et 141. En effet, lorsqu’Aristote veut parler de la carrière d’un personnage, il ne recourt justement pas à βίος. D’autre part, des exemples de βίος utilisé au sens large se trouvent chez D.W. Lucas, Aristotle, Poetics, Oxford, 1968, p. 102, ad. loc.
27 Cf. e.g. Dysc., 187, 864 ; Karch., 7-8 ; Sam., 428, 709 sq ; J.-M. Jacques, Le Dyscolos, pp. 20 sq ; E.W. Handley, The Dyskolos of Menander, London, 1965, ad vv. 186 sq (p. 164), ad v. 864 (p. 281) ; A. Hurst, REG, 86, 1973, pp. 314 sq. Dans les adaptations latines, le thème est également fréquent : e.g. Ter. Andr. 705 sq, Eun. (1047).
28 Papyrus IFAO 337, ed. B. Boyaval, ZPE, 6, 1970, p. 5 ; τοῦτο δυεῖν ἡμερῶν χρόν[.
29 Cf. en particulier les ouvrages cités de Webster et de Barigazzi. Cf. aussi D.A. Russell, Criticism in Antiquity, London, 1981, p. 32.
30 E. Karabelias, Une nouvelle source pour l’étude du droit attique, Le Bouclier de Ménandre, Revue historique de droit français et étranger, 48, 1970, pp. 357-389.
31 Aristt., Pol., 1253al-4.
32 Pour le rapport de la tragédie avec la pensée sociale et juridique de la cité, cf. J-P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, 1977 ; J.-P. Vernant s’y réfère en particulier à des cours non publiés donnés par Louis Gernet (p. 15, n. 1). Sur Dionysos vu dans cette perspective, cf. André Hurst, Dionysos et les lettres, Cahiers roumains d’études littéraires, 1/1980, pp. 46-58.