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Prémisse

Lycophron1

André HURST

Biographie sommaire du poète

Lycophron de Chalcis (-330 - ??? -IIIe s.) est surtout connu pour être l’auteur du plus obscur des poèmes de l’Antiquité. Il s’agit d’une prophétie de Cassandre intitulée Alexandra. Il est né à Chalcis en Eubée et s’est établi à Alexandrie aux environs de -283. Là, il devint un membre de la « Pléiade » des poètes tragiques alexandrins et collabora aux travaux de la célèbre bibliothèque d’Alexandrie. Sa relation avec la famille royale macédonienne d’Egypte se reflète dans deux anagrammes des noms de « Ptolémée » et d’« Arsinoé ». Selon le témoignage de l’Ibis d’Ovide (vers 531sqq), il serait mort tué d’un coup de flèche. Même s’il devait s’agir d’une invention, cette indication montre que Callimaque, auteur du poème imité par Ovide, et qui meurt aux environs de -240, a survécu à Lycophron.

Œuvres

Tragédies

L’encyclopédie byzantine de la Souda (Xe s.) donne vingt titres de tragédies (et si l’Alexandra est comptée comme une tragédie, il y aurait donc vingt et un titres), mais nous n’avons de fragments que d’une seule d’entre elles (Les Pélopides). Lycophron est également l’auteur d’un drame satyrique, le Ménédème, nom du philosophe érétrien connu par ailleurs (Diog. Laert. 2.140), une pièce probablement écrite lorsque

Lycophron résidait encore en Eubée. Sur la comédie

On considère en général que le traité de Lycophron Sur la comédie reflète l’activité qui fut la sienne à la bibliothèque d’Alexandrie : éditer et classer les comédies. C’est l’époque où Zénodote était chargé des poèmes homériques et Alexandre d’Etolie des tragédies. Il reste quelques traces de ce traité, qui comportait au moins neuf livres. La plupart des fragments conservés traitent de questions lexicographiques.

Alexandra

« Le poème obscur » (Souda) est un monologue tragique de la dimension d’une tragédie (1474 vers) : un serviteur rapporte au roi Priam le mot à mot d’une prophétie prononcée par Cassandre le jour même où Pâris quitte Troie pour aller à Sparte et enlever Hélène. C’est la situation que l’on trouvait aussi dans les Chants Cypriaques. Cassandre prédit la guerre de Troie, les retours des chefs Achéens et la fondation de Rome, cette dernière constituant la revanche des Troyens. La prophétie s’achève par une évocation générale des guerres qui ont opposé l’Asie et l’Europe (la guerre de Troie n’en forme qu’un épisode) depuis les origines, comme chez Hérodote, jusqu’aux temps du poète. En effet, Alexandre le Grand, de l’avis général, est le « lion » évoqué aux vers 1439sqq, le personnage qui ramène la paix entre ces deux parties du monde. Sur les 1474 vers du poème (des trimètres iambiques de facture très stricte), 44 vers seulement forment les déclarations du serviteur au début et à la fin du texte, tout le reste est constitué par le monologue prophétique de Cassandre. La langue est celle de la tragédie, avec des additions dialectales. L’obscurité du texte correspond aux habitudes du style oraculaire et prophétique, mais on a noté que même les déclarations du serviteur sont énigmatiques. La première énigme du texte se trouve d’ailleurs dans son titre : « Alexandra » est le nom que porte Cassandre dans un culte spartiate (Cf. Pausanias 3.19.6 ; 3.26.5). Des traits typiquement hellénistiques du poème résident dans la densité de l’expression ainsi que dans l’intérêt pour des curiosités rituelles et légendaires.

Faut-il considérer qu’il existe un « autre Lycophron » ?

Une scholie du vers 1226 contient la suggestion selon laquelle l’Alexandra serait d’un « autre Lycophron », et non du poète tragique connu sous ce nom. La suggestion est liée à la question que pose la mention de Rome dans la fin de la prophétie. Depuis l’Antiquité, seul un scholiaste avait émis des doutes. Plus récemment, on a imaginé un « autre Lycophron » qui aurait vécu au -IIe s. et serait l’auteur de l’Alexandra. Je renvoie pour le détail de cette discussion à mon édition du texte2. On constatera cependant que je ne suis pas partisan de cette hypothèse.

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1 Adaptation française de mon article « Lykophron » à paraître dans Encyclopedia of Ancient History (Blackwell).

2 Hurst (2008), xiii-xxv.