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Prépositions au service de la scalarité

Silvia ADLER

Maria ASNES

0. Introduction1

La notion de scalarité se situe au carrefour des différents domaines de la linguistique : pragmatique, lexicologie, sémantique, syntaxe. Si on entend par scalarité une référence à une échelle de valeurs, on pourrait associer à cette notion des phénomènes de nature variée :

– les degrés de comparaison des adjectifs graduables : grand – plus/moins grand – le plus/moins grand (Kennedy 1999, Kennedy et McNally 1999, Whittaker 2002)

– adverbes de degré : beaucoup, très (Doetjes 1997, Caudal et Nicolas 2003a, 2003b)

– modifieurs comparatifs : plus que, moins que (Muller 2004)

– hypéronymie/hyponymie : aimer/adorer

– antonymie scalaire : brûlant/chaud/tiède/frais/froid/glacial, marcher/ courir (Abeillé et Godard 1999, 2000)

– prédicats mesurables selon différentes échelles : cuire (échelle de température et de temps), remplir (échelle de quantité), adorer (échelle de qualité)

– prédicats à échelle fermée/ouverte : remplir/aimer (Kennedy et McNally 2005)

– préfixes : estimer/sous-estimer/surestimer, doué/sous-doué/surdoué (Gilbert et Dubois 1961, Amiot 2004)

– expressions anaphoriques de degré (cf. Inkova dans ce volume)

– connecteurs (Hancil 2004, pour l’anglais ; De Cesare 2004 et Visconti 2005a, 2005b, pour l’italien)

– achèvements de degrés (Hay, Kennedy, Levin 1999 ; Piñón 2000 ; Kennedy et Levin 2002)

Mais il est également possible d’intégrer dans l’étude de la scalarité le cas de certains groupes prépositionnels qui spécifient (voire quantifient) le degré des prédicats modifiés :

(1) aimer jusqu’à l’adoration2

(2) aimer au-delà de toute expression

(3) estimer au-dessus de sa valeur

(4) estimer au-dessous de sa valeur

L’emploi scalaire des prépositions n’a pas beaucoup attiré l’attention des chercheurs. Parmi les études traitant de prépositions particulières, nous pouvons signaler celles de Leroy 2004, Pierrard et Léard 2004 sur la préposition comme en français3 ; Grolla 2004 sur hasta et até en espagnol et portugais ; Leeman 2005b sur jusqu’à dans l’expression aller jusqu’à ; Visconti 2005a et 2005b sur fino a en italien ; Adler et Asnes 2007b sur au-delà de, me’ever et beyond en français, hébreu et anglais ; Berthelon 1955 sur les expressions scalaires en à du français.

Pour ce qui est des prépositions jusqu’à et au-delà de, qui feront l’objet de notre analyse, leurs emplois spatio-temporels ont été décrits par Boons 1987, Vandeloise 1990, Bonami 1997, Borillo 1998, Tobin 1999 et leurs emplois scalaires par Adler et Asnes 2004, 2007a. Dans cette étude, nous nous appliquerons à donner une analyse contrastive des deux prépositions dans leur fonction d’opérateur de scalarité, afin de discerner leurs dénominateurs communs, mais aussi les différences de leur fonctionnement scalaire illustré par les exemples (1)-(2).

Ce qui réunit les GPréps scalaires en jusqu’à et en au-delà de, c’est que les deux fonctionnent comme des intensifieurs de prédicats, en l’occurrence, en (1) et (2) ci-dessus, ils évaluent la propriété « aimer » sur une échelle de qualité, en augmentant son degré. Ils ne le font pas cependant de la même façon : tandis que le GN dans la portée de jusqu’à dénote un point culminant (adoration) atteint par le référent du prédicat de gauche, au-delà de GN n’exprime qu’un dépassement d’une certaine borne relative à la propriété modifiée (représentée par le prédicat de gauche), sans spécifier le point culminant atteint. En d’autres termes, l’intensification est bornée dans le cas de jusqu’à ; non bornée dans le cas de au-delà de. Dans les deux cas, il y a une borne qui représente un degré sur l’échelle d’intensité du prédicat modifié, mais sa nature varie selon la préposition : avec jusqu’à GN le prédicat modifié atteint son degré maximal, avec au-delà de GN, quoiqu’il y ait un dépassement d’un standard supérieur d’aimer (toute expression), on reste sans renseignements quant au degré maximal auquel peut arriver le référent du prédicat modifié.

Notre étude procédera comme suit :

Dans la première section (§ 1.) nous analysons les types de constructions qui autorisent une lecture scalaire des GPréps régis par jusqu’à et au-delà de, ainsi que le mode de fonctionnement de ces derniers. Cette analyse nous permettra ensuite (§ 2.) de décrire la nature de la limite établie par les GPréps en jusqu’à et au-delà de. L’étape suivante de notre étude (§ 3.) nous fait soulever la question des relations sémantiques, notamment en termes d’intensité, entre le prédicat modifié et le prédicat modifiant, ce qui nous amènera à établir la différence entre degré qualitatif et degré quantitatif (§ 4.). Les sections 5. et 6. montrent que nos prépositions connaissent d’autres emplois qui pourraient s’associer à la notion de scalarité.

1. La sémantique de syntagmes en ‘jusqu’à’/ ‘au-delà de’

1.1. ‘Jusqu’à’

1.1.1. Typologie des constructions

Le syntagme dont la tête est jusqu’à dénote le degré culminant atteint par un/e procès/ état/ propriété désigné/e par le prédicat principal, correspondant syntaxiquement à des adjectifs (voir exemples (15)-(18)), noms4 (voir exemples (8), (23)) ou verbes (voir exemples (5)-(14)) 5. Si, sur le plan syntaxique, on n’observe pas de contraintes catégorielles, du point de vue sémantique, le prédicat modifié ne peut être que graduable6.

Voici les principales classes sémantiques de prédicats compatibles avec jusqu’à. La typologie que nous proposons repose sur une série de critères : classe lexicale (a) ; classe aspectuelle (b, c) ; propriété permanente  / transitoire (d) ; échelle ouverte/ fermée (e, f). La dernière catégorie (g) regroupe des exemples faisant intervenir des prédicats de mouvement dans un emploi abstrait. Il y va de deux sortes de constructions : dans (20) et (21), jusqu’à relie le verbe de mouvement à un infinitif, le résultat en est que l’infinitif présente le point culminant du parcours dénoté par le prédicat aller. Dans (22)-(24), le verbe de mouvement devient une sorte d’opérateur qui relie un prédicat nominal modifié à un prédicat modifiant.

a. prédicats psychologiques7

(5) aimer/être aimé jusqu’à l’adoration8

(6) troubler/ être troublé jusqu’au fond du cœur

(7) émouvoir/être ému jusqu’aux larmes

(8) dégoûter/ être dégoûté/ pousser le dégoût jusqu’à l’écœurement

b. prédicats verbaux d’activité

(9) crier jusqu’à l’épuisement

(10) courir jusqu’à perdre haleine

c. achèvements de degré9

(11) maigrir jusqu’à l’autodestruction

(12) sécher jusqu’à la déshydratation complète

13) refroidir jusqu’à devenir rigide

(14) raccourcir jusqu’à la disparition complète

d. prédicats de propriété permanente/transitoire10

(15) être froid jusqu’à l’impolitesse

(16) audacieux jusqu’à la témérité

(17) poli jusqu’à l’obséquiosité

e. prédicats à échelle ouverte

(18) ravi jusqu’à l’extase

f. prédicats à échelle fermée11

(19) remplir jusqu’à éclatement

g. prédicats de mouvement (dans un emploi abstrait)12

(20) il est allé jusqu’à vendre la maison de ses parents (dit à propos de quelqu’un qui parie, par exemple)

(21) dans sa colère, il alla jusqu’à dénoncer son associé (GLLF)

(22) jusqu’où peut aller la jalousie dans un cœur comme celui de mon fils ? (TLF)

(23) pousser le courage jusqu’à la témérité

(24) pousser l’argument jusqu’à l’absurde

1.1.2. La sémantique de ‘jusqu’à’

Dans tous les exemples de 1.1.1, jusqu’à fonctionne comme un opérateur qui établit une relation entre un/e propriété/état/procès et un degré sur une échelle, de telle manière que le degré en question est supérieur au degré standard de ce (tte) propriété/état/procès.

La sémantique de jusqu’à peut se représenter formellement comme suit :

(25) [[jusqu’àSCALE]] = λd. λx. λe. Ǝe’ : e’⊆ e ˄ e’ = CULM(e) ˄ SCALE (e’) (x) = d13

où e = événement, e’ = degré de l’événement e, x = individu, SCALE = type d’échelle, d= degré.

Jusqu’à établit un mapping entre un argument de degré (d), un argument d’individu (x) et un argument d’événement(e) de sorte qu’il existe une valeur sur l’échelle de l’événement (e’), qui est incluse dans e14 et qui est le point culminant (CULM) de e. La position de x qui correspond à l’événement e’ est le degré de e sur cette échelle.

(26) Paul a effrayé Max jusqu’à la nausée.

La phrase (26) est vraie ssi (= si et seulement si) il existe un événement e d’effrayer dont le patient est Max (x), et que la position de Max sur l’échelle de peur (SCALE (e’) (x) = la nausée) est le degré culminant de l’événement d’effrayer.

(27) λe.effrayer (Max) (e) ˄ Ǝe’ : e’⊆ e ˄ e’ = CULM (e) ˄ PEUR (e’) (Max) = la nausée.

1.2. ‘Au-delà de’

1.2.1. Typologie des constructions

Le syntagme en au-delà de dénote le dépassement d’une valeur de référence contextuellement définie de propriétés/états/procès, correspondant à des adjectifs, noms ou verbes. Là non plus, il n’y a aucune restriction sur la catégorie syntaxique, mais, à l’instar de jusqu’à, le prédicat modifié doit être graduable : aimer/ heureux/ une réussite au-delà de toute expression.

Observons de plus près les propriétés sémantiques des prédicats de la périphérie gauche qui peuvent être modifiés par au-delà de (les critères sur lesquels se base la typologie sont les mêmes que pour les constructions en jusqu’à) :

a. prédicats psychologiques

(28) aimer au-delà de toute expression

(29) émouvoir/être ému au-delà de l’imaginable

b. états, activités, accomplissements, achèvements15

(30) danser au-delà de ses capacités

(31) remplir la salle au-delà de sa capacité maximale

(32) surprendre au-delà de l’imaginable

c. prédicats de propriété permanente/transitoire

(33) beau au-delà de toute expression

(34) heureux au-delà de toute expression16

d. prédicats à échelle ouverte

(35) heureux au-delà de toute expression

e. prédicats à échelle fermée

(36) remplir la salle au-delà de sa capacité maximale

f. prédicats de mouvement (dans un emploi abstrait)

(37) cette blague est allée au-delà de l’humour de mauvais goût

(38) pousser quelqu’un au-delà de ses propres limites

(39) pousser le courage au-delà de la témérité

1.2.2. La sémantique de ‘au-delà de’

Tout comme pour jusqu’à, au-delà de fonctionne dans les exemples (28)-(39) comme un opérateur qui établit une relation entre un/e propriété/ état/procès et un degré sur une échelle, de telle sorte que le degré en question est supérieur au degré de référence de ce (tte) propriété/ état/ procès.

(40) Paul est heureux au-delà de ce qu’on pouvait attendre

Dans l’exemple (40), le point de départ ou le degré de référence de la propriété d’être heureux attachée à Paul est « ce qu’on pouvait attendre », mais l’intensification fait que la position de Paul sur l’échelle de bonheur devienne supérieure à « ce qu’on pouvait attendre », sans pour autant expliciter le degré maximal possible pour cet état de bonheur.

La sémantique de au-delà de peut se représenter formellement comme suit :

(41) [[au-delà deSCALE]] = λd. λx. λe.Ǝe’ Ǝe” : e’⊆ e ˄ e”⊆ e ˄ e”>e’ ˄ SCALE (e’) (x) = dR SCALE (e”) (x) = d ˄ d> dR

où e = événement, e’ = événement standard, e”=événement intensifié, x = individu, SCALE = type d’échelle, d= degré, dR = degré de référence

(42) Paul a épouvanté Max au-delà de l’horreur

La phrase (42) est vraie ssi il existe un événement d’épouvanter(e) dont le patient est Max (x) et dont le degré de référence (dR) est « l’horreur », et si la position de Max sur l’échelle de peur (SCALE (e”) (x)) est supérieure (>) à l’horreur (SCALE (e’) (x)).

(43) λe.épouvanter (Max) (e) ˄ Ǝe’ Ǝe” : e’⊆ e ˄ e”⊆ e ˄ e”>e’ ˄ PEUR (e’) (Max) = horreur ˄ PEUR (e”) (Max) > horreur

1.3. Les points de partage

Les données exposées dans les sections 1.1. et 1.2. nous permettent de dégager deux points de partage majeurs entre jusqu’à et au-delà de : le premier consiste en l’absence ou la présence d’un point culminant, le second concerne le nombre de paramètres impliqués dans la comparaison. Plus précisément, seul jusqu’à impose une borne au prédicat modifié tandis que seul au-delà de définit un nouveau degré de référence contextuel dans la périphérie droite. Dans :

(44) aimer jusqu’à/au-delà de l’adoration

jusqu’à compare deux degrés : le degré standard/ moyen dénoté par le prédicat de gauche, qui est un degré naturel/inhérent, et le degré supérieur dénoté par le prédicat de droite :

adorer > aimer

Au-delà de, quant à lui, met en relation trois degrés : le degré standard naturel/moyen, dénoté par le prédicat de gauche, le degré de référence contextuel, dénoté par le prédicat de droite, et un degré encore plus élevé dénoté par l’expression entière.

aimer au-delà de l’adoration > adorer > aimer

2. Limite atteinte vs limite dépassée

L’intensification par jusqu’à XP et au-delà de XP implique deux types de limite, laquelle est fournie par le prédicat modifiant :

1. une limite, atteinte (jusqu’à) ou dépassée (au-delà de), qui explicite le point culminant de la propriété modifiée (pour des prédicats téliques et les propriétés à échelle fermée, déjà bornés de façon inhérente). Ce type de relation est associé à des prédicats quantitatifs.

Ainsi, en (45) :

(45) remplir jusqu’à éclater,

éclater indique explicitement le point terminal du prédicat d’accomplissement remplir. Ce point terminal dépasse une limite naturelle, il s’agit donc d’un degré excessif. Dans l’exemple (46) :

(46) remplir la salle au-delà de sa capacité maximale,

la comparaison se fait non entre deux degrés, mais entre un degré standard ou, plus exactement, le point final standard du procès télique à échelle fermée remplir, représenté explicitement par maximale (une espèce de point de référence), et le nouveau point terminal qui dépasse le point terminal inhérent/ standard/ original. La relation de comparaison en (46) s’établit entre le nouveau point terminal du procès remplir et le point terminal standard/ original, qui, dans ce cas, est une capacité maximale. Ainsi, l’intensification est obtenue ici par une extension du point terminal. Le point terminal actuel du procès télique remplir représente un degré excessif, supérieur au standard.

2. une limite, atteinte (jusqu’à) ou dépassée (au-delà de), qui indique un degré supérieur de la propriété modifiée (pour des prédicats atéliques et les propriétés à échelle ouverte) :

(47) aimer jusqu’à/ au-delà de l’adoration.

En (47), jusqu’à maintient une relation lexicale entre adoration (hyponyme/ prédicat spécifié) et aimer (hyperonyme/ prédicat non spécifié) de sorte que jusqu’à l’adoration indique un degré supérieur du référent du prédicat de gauche aimer. Etant plus spécifique que aimer, le degré d’intensité de adoration est par conséquent supérieur à celui de aimer.

Par contre, l’intensification par le syntagme en au-delà de consiste dans le fait que le degré du prédicat aimer devient supérieur à celui du prédicat adorer. En d’autres termes, si la présupposition est que le degré de aimer est inférieur à celui de adorer, ici l’assertion annule cette présupposition en posant que le degré actuel de aimer devient supérieur à celui de adorer, lequel est considéré comme un degré de référence nouveau, contextuellement défini17. La mise en relation par au-delà de fait que aimer devient plus spécifié que adorer.

Malgré les ressemblances mentionnées et le fait que les deux prépositions intensifient le prédicat de gauche, dans le cas de jusqu’à la limite est atteinte18, tandis que dans le cas de au-delà de la limite est dépassée. Par conséquent, l’intensification est bornée dans le cas de jusqu’à et non bornée dans le cas de au-delà de.

De ce fait, la limite établie par jusqu’à représente le point culminant du prédicat de gauche, tandis que la limite dans le cas de au-delà de est un degré de référence contextuel qui devient une nouvelle base pour la comparaison. Il s’ensuit que jusqu’à introduit une limite finale (F) ou un point final atteint par le prédicat de gauche, alors que au-delà de fournit une sorte de limite intermédiaire, en ce sens que c’est une limite finale pour le prédicat de gauche, mais, en même temps, c’est une limite initiale (I) pour le prédicat de droite. Le degré supérieur atteint par le prédicat modifié par au-delà de dépasse la portée du prédicat de droite (cf. Fig. 1) :

Aimer jusqu’à l’adoration

Aimer au-delà de l’adoration

19

Fig. 1

3. Relations de degré

Cette section expose les types de relation existant entre le prédicat modifié et le complément de la préposition. On distinguera deux types de relation : l’une de symétrie (section 3.1.), une autre d’asymétrie (section 3.2.).

3.1. Relation de symétrie

Normalement, il y a symétrie lorsque le prédicat principal modifié et le complément de la préposition sont du même type dénotationnel. Cette relation peut être représentée par la formule suivante :

(48) P1 SYM P2 ssi [[P1]] ∈ De → [[P2]] ∈ De → P1 (d) (x) ↔ P2 (d) (x)20

où SYM est une relation de symétrie, P1 est un prédicat à gauche de jusqu’à/au-delà de, P2 est un prédicat à droite de jusqu’à/au-delà, De est un domaine d’événements. Autrement dit, la relation de symétrie s’établit si et seulement si les deux prédicats appartiennent au même domaine dénotationnel (ici, deux états, deux événements ou deux propriétés). De plus, P (d) (x) signifie que P est un prédicat graduable qui a au moins deux arguments, un argument lexical et un argument abstrait de degré.

On distinguera deux sous classes de symétrie, selon l’existence ou non d’une inclusion sémantique entre les deux prédicats.

3.1.1. Type a (inclusion sémantique P2 ⊂ P1)

Observons les séquences suivantes :

(49) pousser le courage jusqu’à/au-delà de la témérité

Nadj SYM Nadj (Ppsy SYM Ppsy)

(50) aimer jusqu’à/au-delà de l’adoration

V SYM Nver (Ppsy SYM Ppsy)

La dénotation du prédicat modifié (P1) inclut celle du prédicat modifiant (P2) mais en diffère par le degré. Le prédicat intensifiant de droite est un hyponyme du prédicat de gauche (hyperonyme < jusqu’à/au-delà de < hyponyme).

Alors qu’en (50) la relation de symétrie est établie entre deux états (aimer – hyperonyme – et adorer – hyponyme), en (49) deux propriétés sont corrélées au moyen du prédicat pousser qui fonctionne comme un opérateur causatif (pousser est un élément fonctionnel qui assure la relation de symétrie entre l’argument du verbe et celui de la préposition ; cf. la note 4 ci-dessus). La propriété d’être téméraire est une intensification du courage.

Quel serait l’apport de chacune des prépositions dans la relation hyponymique existant entre les prédicats modifié et modifiant dans un énoncé comme (50) ? L’intensification par jusqu’à suit, pour ainsi dire, un parcours naturel : d’un point inférieur (aimer) au point maximal (adorer), du non-spécifié au spécifié. En revanche, l’intensification par au-delà de consiste dans le fait que le degré du prédicat aimer devient supérieur à celui du prédicat adorer. Ainsi, adorer est en même temps un hyponyme de aimer et un hyperonyme pour aimer au-delà de l’adoration. Ceci découle du fait que au-delà de, comme nous l’avons déjà suggéré, annule la présupposition lexicale selon laquelle le degré de aimer est inférieur à celui de adorer et pose que le degré actuel de aimer est supérieur à celui de adorer, qui est pris désormais comme un degré de référence nouveau (cf. Fig. 2) :

Aimer jusqu’à l’adoration

Aimer au-delà de l’adoration

Fig. 2

Une autre différence majeure entre les deux prépositions est que au-delà de permet un type supplémentaire de relation de symétrie à part celui de hyperonyme (prédicat non spécifié)/hyponyme (prédicat spécifié). Au-delà de, mais non jusqu’à, peut établir une relation entre deux prédicats non hiérarchisés :

(51) Epouvanter au-delà de l’horreur.

En (51), une relation est établie entre deux prédicats synonymiques (épouvanter/ horreur) : le degré d’intensité des deux prédicats est présupposé être égal21. C’est l’opérateur au-delà de qui annule la relation présupposée d’égalité en posant une autre relation, qui consiste en une intensification du degré du prédicat de gauche. Le degré de celui-ci est considéré désormais comme étant supérieur au degré standard dénoté par le prédicat de droite.

Par conséquent, on pourrait avancer qu’il y a ici une relation hyper-onymique entre les deux prédicats, considérés ailleurs comme synonymiques, mais il faudrait souligner que cette hyperonymie est construite et non lexicalement inhérente.

3.1.2. Type b (non-inclusion sémantique P2 ⊄ P1)

Examinons les exemples (52)-(53) :

(52) brave jusqu’à/au-delà de la folie22

(53) indulgent jusqu’à/au-delà de la faiblesse.

Bien que la dénotation de P1 n’inclue pas celle de P2, une symétrie est établie grâce à une analogie entre certaines propriétés des deux prédicats en question. Dans ce cas, P2 fonctionne comme un modifieur de P1.

Le dénominateur commun des types a et b est la dénotation du degré intensifié de P1. Cependant, la distinction entre les deux types est justifiée par la relation sémantique entre P1 et P2 : à l’encontre du type a, P2 du type b n’appartient pas au même champ sémantique que P1.

La symétrie du type b s’établit du fait d’un rapprochement analogique entre certaines propriétés des deux prédicats en question23. Une zone d’intersection permet le passage graduel d’une propriété à l’autre (cf. Fig. 3).

Fig. 3

Un test qui permet de distinguer les deux types de symétrie est l’adjonction d’un adverbe de degré au prédicat modifié et une équation possible avec le prédicat modifiant :

(54) a. aimer beaucoup = adorer (type a)

b. très bravẹ ≠ fou (type b)

Soulignons que toutes les corrélations faites par jusqu’à ne sont pas possibles avec au-delà de. Les exemples (55) et (56) illustrent ce point :

(55) exploiter le système jusqu’à sa destruction24

(56) *exploiter le système au-delà de sa destruction

Au-delà de sa destruction, en (56), ne serait possible que dans le cas où au-delà de fonctionnerait comme un marqueur discursif (un adjoint de phrase) signifiant « en plus de, à part », emploi dont il sera question dans la section 6.

Expliquons à présent comment la symétrie fonctionne en (55), contenant deux prédicats d’événement, à gauche et à droite de jusqu’à. Le prédicat destruction (P2) fonctionne ici comme un état résultant du procès exploiter (P1) et représente le point culminant de P1. La combinaison du prédicat principal à échelle ouverte (exploiter beaucoup/*complètement) et un prédicat à échelle fermée derrière jusqu’à (détruire *beaucoup/ complètement) contribue à l’interprétation sémantique d’état résultant : le prédicat à échelle fermée impose de façon naturelle un terme au procès. Si, dans le type a, nous avons pu observer qu’une relation d’inclusion telle que aimer beaucoup mène à une adoration, ici on voit que exploiter beaucoup ne signifie pas nécessairement détruire. Néanmoins, il existe ici une sorte de rapprochement analogique du fait qu’on passe d’un mode d’utilisation prudent d’un système à un mode qui pourrait être jugé comme imprudent, à l’instar de follement brave de l’exemple (52) qui implique un mode de comportement audacieux ou risqué.

Etant donné que les deux prépositions peuvent mettre en rapport les mêmes types de prédicats, leur conjonction est possible :

(57) brave jusqu’à et au-delà de la folie

(58) aimer jusqu’à et au-delà de l’adoration.

La juxtaposition des deux prépositions met en avant le parcours suivi par un/e propriété/ procès/ état. Ce parcours se déploie en deux étapes : la première décrit l’extension de la limite naturelle/ lexicale de P1 jusqu’au point terminal, tandis que la seconde étend davantage cette limite, de sorte que le point terminal devient le point initial de la nouvelle étape du parcours.

3.2. Relation d’asymétrie

L’asymétrie, le second type de relation de degré établi par les deux prépositions, est définie comme une relation entre deux prédicats – modifié et modifiant – n’appartenant pas au même type dénotationnel. De plus, et ceci est capital, un des prédicats n’est pas graduable.

Formellement parlant,

(59) P1 ASYM P2 ssi [[P1]] ∈ De → [[P2]] ∉ De ˄ P1 (d) (x) ↔ P2 (x) ˄ P1 (x) ↔ P2 (d) (x),

où ASYM est une relation d’asymétrie, P1 est un prédicat à gauche de jusqu’à/au-delà de, P2 est un prédicat à droite de jusqu’à/au-delà de, De est un domaine d’événements. De plus, P(d) (x) signifie que le prédicat P a pour argument le degré d, c’est-à-dire qu’il est graduable. L’absence de l’argument d indique que le prédicat en question n’est pas graduable.

Tout comme dans 3.1., on distinguera deux types d’asymétrie, mais contrairement à 3.1., seul un type d’asymétrie sera commun à jusqu’à et au-delà de. L’autre est spécifique à chaque préposition.

Dans le type a, commun à jusqu’à et au-delà de, le prédicat modifiant représente la borne droite du prédicat modifié.

L’asymétrie du type b est basée sur le contraste entre l’absence et la présence d’une propriété, mais fonctionne différemment selon la préposition : dans le cas de jusqu’à, le contexte droit de la préposition dénote une propriété non existante dans le contexte gauche. Dans celui de au-delà de, le contexte de droite représente une négation épistémique de la propriété modifiée. Par conséquent, nous avançons que jusqu’à est un opérateur de présence tandis que au-delà de est un opérateur d’absence. En d’autres termes, les deux prépositions construisent des itinéraires opposés.

3.2.1. Type a – borne droite

Dans le cas de jusqu’à, la borne droite peut être dénotée par des parties du corps et des noms de mesure :

(60) être troublé jusqu’au fond du cœur

(61) votre argument est vrai jusqu’à un certain point.

Jusqu’au fond du cœur en (60) marque la profondeur extrême atteinte par l’état être troublé. En (61) un certain point borne la vérité de l’argument en question. Ce type de borne rappelle celui qui est fourni par les constructions locatives et temporelles en jusqu’à, mais il manque à ces deux dernières constructions la dimension de profondeur, plus exactement, la propriété d’intensité :

(62) pousser la voiture jusqu’au garage/jusqu’au soir.

En simplifiant un peu25, signalons que, d’un point de vue sémantique et syntaxique, cette différence se manifeste dans les propriétés suivantes :

a. Dans les constructions spatio-temporelles, le GN introduit par jusqu’à doit être de type locatif ou temporel.

b. Dans les séquences spatiales en jusqu’à le prédicat verbal doit être dynamique. Pour le temps et le degré, on retrouve aussi des prédicats statifs.

c. Dans le cas des constructions spatio-temporelles, le GPrép en jusqu’à est externe au prédicat. Sémantiquement, il constitue une cause externe qui met fin au procès décrit par le prédicat. Ceci n’est pas le cas des constructions scalaires, où le GPrép en jusqu’à modifie la propriété du prédicat, c’est-à-dire son intensité. Sémantiquement, le GPrép en jusqu’à constitue donc la conséquence de l’intensité du procès décrit par le prédicat. La lecture spatio-temporelle est donc de type extensionnel, alors que la lecture scalaire est de type intensionnel26.

Considérons à présent les séquences en au-delà de :

(63) consommer au-delà de 3 verres de vin par jour

(64) remplir la salle au-delà de sa capacité maximale.

Ce type de relation associe des prédicats quantitatifs. Ceux-ci s’opposent aux prédicats d’intensité en ce sens que seuls les premiers peuvent être modifiés par les quantifieurs cardinaux (trois verres de vin en (63)), ou des expressions indiquant ou impliquant des unités de mesure (maximale en (64)).

En (63), trois verres de vin par jour dans la périphérie droite représente le degré de référence, qui est pris comme la consommation normative. L’intensification existe du fait de pouvoir dépasser cette norme et donc d’arriver à une consommation abusive.

L’exemple (64) est un cas particulier où la comparaison n’est pas faite entre deux degrés (comme une consommation normative et une autre abusive, en (63)), mais entre un degré de référence ou, plus précisément, le point final standard du procès télique à échelle fermée remplir, représenté explicitement par maximale, et le nouveau point final qui dépasse le point final inhérent/ standard/ original.

La relation de comparaison en (64) est établie entre le nouveau point terminal de l’événement remplir et le point terminal standard et original, qui, dans ce cas, est la capacité maximale. L’intensification s’obtient donc ici par une extension du point final. La borne actuelle du procès télique remplir représente le degré excessif, supérieur au standard.

3.2.2. Type b (absence – présence)

Le type b est différent pour jusqu’à et au-delà de : jusqu’à est un opérateur de présence/création ; au-delà de, lui, est un opérateur de négation.

Jusqu’à

(65) pousser l’argument jusqu’à l’absurde

(66) pousser les clichés jusqu’au ridicule

En (65), nous observons un parcours allant d’une absence à une présence de propriété attribuée à argument. L’intensification consiste dans une attribution d’une propriété scalaire à un objet non scalaire (argumentargument absurde). Cette propriété représente une limite atteinte par argument. Il en va de même pour (66), où la propriété scalaire ridicule est attribuée à clichés.

(67) il est allé jusqu’à prétendre que…

L’exemple (67), quoique différent de tous les autres décrits dans le présent chapitre, révèle aussi une intensité du fait qu’il implique une dimension d’exagération révélant l’attitude du locuteur à l’égard de la prédication dans la portée de jusqu’à. Par conséquent, les conditions de vérité de cette phrase sont relativisées au monde des croyances du locuteur. La différence entre aller jusqu’à Vinf et le verbe fléchi correspondant (sans aller jusqu’à) réside dans le fait que dans le deuxième cas, l’exagération et la surprise vis-à-vis d’un événement inattendu sont absentes, à savoir, il n’y a pas d’évaluation de la part du locuteur.

Au-delà de

(68) mépriser/ humilié/ un échec au-delà du possible/ de ce qu’on pouvait attendre/ du compréhensible/ de l’imaginable/ de l’acceptable, etc.

Ce type de relation est normalement exprimé par les prédicats modaux (épistémiques, aléthiques et déontiques). Ici, le degré standard est fourni par les expressions modales possible, ce qu’on pouvait attendre, etc. dans la périphérie droite. La gradation par au-delà de consiste ici en une négation du degré standard : le résultat est un(e) mépris/ humiliation/ échec impossible/ inattendu/ incompréhensible/ inimaginable/ inacceptable27.

4. Degré qualitatif/quantitatif

Dans la section précédente, nous avons pu voir que l’échelle de gradation sur laquelle est mesuré le prédicat peut être soit extérieure aux propriétés inhérentes de celui-ci, ce qui explique l’absence de restriction sur la nature sémantique du prédicat (cf. (65) et (68), soit directement liée aux propriétés lexicales du prédicat et, par conséquent, elle restreint considérablement le champ sémantique de la périphérie gauche. L’échelle sous-jacente à la propriété décrite peut être de type quantitatif ou qualitatif, selon le prédicat en question.

(69) remplir la salle jusqu’à/au-delà de sa capacité maximale

(70) baisser le salaire jusqu’au/au-delà du minimum prévu par la loi

Ainsi, dans (69) et (70) l’échelle établie par le prédicat est de type quantitatif. La construction de l’échelle quantitative n’est possible que pour les prédicats mesurables soit sur une échelle arithmétique de nombre, soit sur une échelle plus subjective (beaucoup, peu, maximale en (69) et minimum en (70), etc.) basée sur un jugement de quantité, mais avec des mécanismes interprétatifs identiques à ceux mis en place par l’échelle ‘objective’, numérique (Rivara 1990). En effet, la capacité maximale d’une salle peut être égale à 500 places, par exemple.

En revanche, il est impossible d’associer une expression de mesure à un prédicat d’intensité, tel que convaincre, aimer, heureux, épouvanter, plaire etc. 28. L’évaluation, subjective par définition, de ce type de prédicat ne peut se faire que sur une échelle de qualité ; cf. l’exemple (71) qui illustre la quantification évaluative faite sur une échelle de type qualitatif.

(71) aimer jusqu’à/au-delà de l’adoration

5. Emploi de quantifieur

La notion d’échelle inhérente aux emplois scalaires des prépositions au delà et jusqu’à est centrale pour un autre emploi de ces prépositions, à savoir l’emploi quantificationnel illustré par les séquences (72)-(73) :

(72) remplir jusqu’à 5 demandes (5 ≤)

(73) inviter au-delà de 5 personnes (> 5)

Il faut dire que cet emploi est connu également par les deux autres prépositions, au-dessus de et au-dessous de, citées au début de ce chapitre (cf. Adler et Asnes à paraître) 29 :

(74) nos paquets de graines sont bons pendant au-dessus de 3 années de non-ouvert. (> 3)

(75) ne pas écrire au-dessous de 10 feuilles d’impression (<10).

Dans les exemples (72)-(75), il est possible d’établir des équivalences avec d’autres quantifieurs superlatifs ou comparatifs. Ainsi, jusqu’à dans (72) pourrait être paraphrasé par tout au plus ; au-delà de dans (73) pourrait être paraphrasé par plus de ; dans (74) nous pouvons faire commuter au-dessus de avec au moins ou plus de ; finalement dans (75) il est possible de remplacer au-dessous de par moins de.

Contrairement à l’emploi scalaire proprement dit, où ces prépositions fonctionnent comme des opérateurs de gradation permettant un mapping entre une valeur sur une échelle de propriété ou d’événement et une valeur sur une échelle de degré, dans les emplois quantificationnels, il ne s’agit plus d’une échelle de propriété, ou établie sur la prédication, mais d’une échelle de nombres/quantification externe à la prédication.

En tant que modifieurs de quantifieurs, jusqu’à, au-delà de, de même que au-dessus de et au-dessous de, modifient avant tout la quantité représentée par le numéral cardinal, et n’altèrent pas l’intensité du prédicat :

(76) vous pouvez acheter jusqu’à 10 kilos de sucre.

Dans (76), la manière d’acheter ne devient pas du coup plus intense (on peut dire aussi acheter beaucoup, mais beaucoup réfère à la quantité d’objets acquis = « acheter une grande quantité »).

Une autre différence saillante entre les deux lectures – scalaire ou quantificationnelle – consiste dans la nature du prédicat dans la périphérie gauche : pour les emplois scalaires, le prédicat modifié doit être graduable (ou bien, du moins introduit par un prédicat de mouvement dans un emploi abstrait, tel que pousser ou aller). Ceci n’est pas le cas de l’emploi quantificationnel, où l’on trouve des prédicats comme acheter, écrire, inviter, etc. (*acheter intensément, *écrire intensément, *inviter intensément).

6. Emploi d’adjoint de phrase

Pour au-delà de, mais non pour jusqu’à, il existe un emploi supplémentaire en tant qu’adjoint de phrase signifiant « en plus de », « en dehors de ». Sur le plan syntaxique, cet emploi diffère de tous les autres considérés dans la section 3, en ce sens que ce GPrép n’est plus un adjoint de verbe, d’adjectif ou de nom :

(77) Ce qui est insupportable dans l’acte de torture, c’est qu’au-delà du sadisme pratiqué sur un être humain, la torture est utilisée comme acte politique

(78) Au-delà de la destruction pure et simple, la forêt subit d’autres atteintes, parfois aussi graves30.

La solution la plus immédiate est d’écarter cet emploi du domaine de la gradation. Cependant, il est possible d’y voir une extension de l’emploi scalaire à échelle quantitative qui conduit finalement à l’emploi concomitant : si au-delà de en tant qu’adjoint de verbe, adjectif ou nom est paraphrasable par « plus de (>) » et fonctionne donc comme un opérateur de comparaison, l’adjoint de phrase correspond à « en plus de (+) » et fonctionne comme opérateur d’addition. Ainsi, dans l’exemple (78) d’autres atteintes s’ajoutent à la destruction pure et simple. La gradation consiste ici en une intensification d’une situation donnée : le fait que l’acte de torture représente du sadisme en (77) et le fait que la forêt subit une destruction en (78). L’adjoint de phrase construit une échelle argumentative.

En fait, la séquence en au-delà de fonctionne ici comme un topic représentant l’information connue (qui est un degré de référence ou une valeur standard) : par exemple, la propriété standard de l’acte de torture est d’être sadique. C’est le focus qui dépasse la valeur standard en ajoutant l’information nouvelle, plus importante argumentativement, qui est celle, pour un acte de torture, d’être utilisé non seulement comme une torture, mais, en plus, comme un acte politique.

L’emploi d’adjoint de phrase est également possible pour les autres locutions prépositives citées au début de ce chapitre, à l’exclusion de jusqu’à :

(79) Au-delà des 3 personnes que tu as déjà vues, j’ai invité d’autres amis à moi

(80) Au-dessus de deux ou, exceptionnellement, trois personnes accueillies, tout hébergement de longue durée de personnes âgées relève de la loi de 1975

(81) Au-dessous de dix étudiants, l’ouverture du cours doit être autorisée par le doyen

(82) *jusqu’à dix copains, tu peux fêter ton anniversaire à la maison31.

7. Conclusion

Reprenons sommairement les propriétés essentielles qui distinguent les GPréps scalaires en jusqu’à et en au-delà de :

1. la nature de la borne : seul jusqu’à impose une borne sur le prédicat modifié tandis que seul au-delà de définit un nouveau degré de référence contextuel dans la périphérie droite.

2. la nature de la relation : jusqu’à met en relation deux degrés : le degré standard moyen dénoté par le prédicat de gauche, qui est le degré inhérent/ naturel, et le degré supérieur, dénoté par le prédicat de droite. Au-delà de, de son côté, compare trois degrés : le degré standard naturel moyen dénoté par le prédicat de gauche, le degré de référence contextuel dénoté par le prédicat de droite et un degré encore plus haut dénoté par l’expression entière.

Pour ce qui est de la relation instaurée entre le prédicat modifié (de gauche) et le complément de la préposition (le prédicat de droite), nous avons distingué deux types de cette relation : l’une de symétrie, qui existe entre deux prédicats du même domaine dénotationnel, et l’autre d’asymétrie, lorsque les prédicats n’appartiennent pas au même domaine dénotationnel.

Nous avons pu également voir que les prépositions étudiées connaissent d’autres emplois : celui de modifieur de quantifieur (possible pour jusqu’à et au-delà de, ainsi que pour au-dessus de et au-dessous de) et celui d’adjoint de phrase (possible pour au-delà de, au-dessous de, au-dessus de, mais non pas pour jusqu’à).

En fait, il n’est pas étonnant de trouver des prépositions typiquement spatio-temporelles dans l’emploi scalaire : ce qui relierait les deux emplois en question serait le concept d’axe. Tandis que l’axe spatio-temporel est lié à l’étendue/durée d’un procès, l’axe présent dans la lecture scalaire, on l’a vu dans le présent chapitre, concerne l’intensité du prédicat modifié.

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1 Ce chapitre constitue une version remaniée et élargie d’une communication présentée à l’atelier sur la scalarité dans le cadre de la 39e Rencontre Annuelle de la Société Linguistique Européenne : Relativisme et Universalisme en Linguistique, organisée par le Département de Linguistique et l’Institut de Linguistique Générale et Appliquée, 30 août-2 septembre, 2006, Université de Brême, Allemagne.

2 De nombreux exemples sont extraits de Google.

3 Remarquons que selon le TLF et Le Bon Usage, comme est un adverbe qui participe dans la construction d’une « morphologie comparative », mais, pour Riegel et al. (1994), comme fonctionne comme une préposition dans les constructions comparatives elliptiques, lorsqu’il introduit un GN.

4 Remarquons que les prédicats nominaux susceptibles d’être modifiés par les GPréps en jusqu’à doivent être précédés par un prédicat de mouvement abstrait (ex. pousser). Apparemment, cette contrainte est liée à la possibilité, pour le nom, de remplir la fonction prédicative (en position d’attribut) : Pierre est un salaud au-delà de l’imaginable – Mon sentiment est *un dégoût jusqu’à l’écœurement. Cette construction sera analysée plus en détail dans la section 3.2.2.

5 Dans certaines expressions, la préposition scalaire à fonctionne à la manière de jusqu’à : ennuyé à mort, aimer à la folie, aimer à mourir, etc.

6 On accepte de dire, par exemple, brave jusqu’à la folie mais non *enceinte/morte jusqu’à la folie. Des séquences comme enceinte jusqu’aux yeux (Leeman 2005a) ou enceinte jusqu’au cou ne sont que des exceptions apparentes à la contrainte de gradabilité : l’adjectif enceinte n’est pas gradable par lui-même en ce sens qu’on est enceinte ou on ne l’est pas, mais l’état de grossesse implique tout de même un processus. Le résultat visible de la croissance de l’utérus coïncide avec une croissance progressive de la surface du ventre d’où les possibilités d’exagération ou de gradation qui vont jusqu’à faire sortir l’état de grossesse de ses limites possibles. Dans la même ligne d’idées, on peut citer encore un exemple qui joue sur le caractère non-gradable de l’adjectif « mort » : « – Donc il est mort ! fit le Scapin avec une intonation de surprise douloureuse en se penchant sur le visage du cadavre. – Très mort, on ne peut plus mort, s’il y a des degrés en cet état, […] répondit Blazius d’une voix troublée […] » (Th. Gautier) (exemple suggéré par Olga Inkova).

7 Cf. Filip 1996.

8 Des exemples tels que Il aime jusqu’à la littérature de gare n’entrent pas dans la catégorie des constructions scalaires, mais plutôt dans celles des constructions quantifiantes (cf. section 5). Jusqu’à est ici synonyme de même et y compris et dénote la limite pour l’inclusion dans un ensemble (la littérature). Dans cette lecture, jusqu’à précède un GN avec lequel il fonctionne comme objet direct du verbe aimer. Le statut de jusqu’à est différent de celui retrouvé dans les constructions scalaires, étant donné qu’il peut disparaître sans altérer la grammaticalité de la phrase : Il aime (jusqu’à) la littérature de gare. Jusqu’à ne semble pas se comporter comme une véritable préposition dans cette construction mais plutôt comme un adverbe intensifieur (cf. Adler et Asnes, à paraître). En fait, une seule structure de surface correspond à deux structures profondes :

Aimer jusqu’à l’adoration [GPrép jusqu’à l’adoration]

Aimer jusqu’à la littérature de gare [GN jusqu’à la littérature de gare].

9 Degree achievements (cf. Dowty 1979, Hay 1998, Hay et alii 1999, Piñón 2000).

10 Cf. Kratzer 1995.

11 Les prédicats à échelle fermée sont compatibles avec les modifieurs proportionnels tels que complètement, partiellement, à moitié. Ainsi, remplir est un prédicat à échelle fermée avec un degré maximal lexicalement inhérent. Au contraire, dans le cas des prédicats à échelle ouverte (aimer, heureux), aucun degré maximal n’est associé aux prédicats (*complètement, partiellement, à moitié). A l’encontre de ce qui est souvent dit (Caudal et Nicolas 2003), les adverbes comme complètement, entièrement ou à moitié peuvent être compatibles avec certains prédicats à échelle ouverte (aimer/ adorer complètement), mais l’effet produit est différent de celui qui apparaît dans la combinaison avec les prédicats à échelle fermée. Pour les prédicats à échelle fermée complètement explicite l’aboutissement du procès, tandis que pour les verbes comme aimer cet adverbe fonctionne comme une sorte de superlatif sans marquer l’aboutissement : si on remplit ou on convainc complètement, on ne peut plus continuer à remplir/convaincre, tandis que si on aime complètement on peut continuer à aimer.

12 Nous retrouvons dans cette classe de prédicats des opérateurs fonctionnels :

aller et mener intransitifs assurent la directionnalité du parcours menant à l’atteinte du degré dénoté par [jusqu’à GN].

pousser sert d’opérateur causatif.

13 La formule représentant la sémantique de jusqu’à constitue une version légèrement modifiée de l’analyse de Grolla 2004.

14 Précisons que l’événement e’ ne correspond pas au prédicat de droite, mais il s’agit d’un degré quelconque de e, en tant que prédicat gradable, qui est inclus de façon inhérente dans e. Précisons encore que e peut représenter non seulement un événement, mais aussi un état ou une propriété.

15 Les quatre classes aspectuelles de Vendler 1967.

16 L’opposition entre l’échelle ouverte/ fermée existe parallèlement à d’autres classifications. Ainsi, un prédicat tel que « heureux » peut être classé à la fois comme un prédicat de propriété provisoire et un prédicat à échelle ouverte.

17 Nous ne suggérons pas que adorer est l’acception standard de aimer, mais que le locuteur le prend comme un degré supérieur standard de aimer, qui sert de base de comparaison pour une intensification supplémentaire.

18 Atteinte, en ce sens que la limite ne peut pas être dépassée. Par exemple en (10) courir jusqu’à perdre haleine, il s’agit d’un épuisement des capacités.

19 dS NAT – degré standard naturel, dR CTXT – degré de référence contextuel, dmax – degré maximal attribué, I = point initial, F = point final.

20 Rappelons que e peut représenter non seulement un événement, mais aussi un état ou une propriété.

21 Cf. le Robert qui donne horreur comme synonyme de épouvante. Les deux termes représentent un degré supérieur à celui de peur.

22 Pour éviter tout malentendu, une séquence comme brave jusqu’à la folie n’implique en aucun cas qu’on devient fou, mais uniquement qu’on devient pour ainsi dire « follement brave ». En d’autres termes, P2 fonctionne comme un modifieur de P1.

23 On ne dira pas ??brave jusqu’à l’adoration faute de propriétés communes entre les deux prédicats. En revanche, lorsqu’on associe la folie au courage, on reste toujours dans le domaine du courage et de l’hardiesse, sauf que ce courage est intensifié du point de vue de son degré (pour devenir une sorte de témérité ou d’imprudence).

24 Notons que l’exemple (55) peut avoir une lecture temporelle : Ils ont exploité le système jusqu’à sa destruction par le tremblement de terre. Pour la différence de structure sémantique et syntaxique de l’emploi spatio-temporel et l’emploi scalaire des deux prépositions, cf. § 3.2.1.

25 Pour plus de détails, nous renvoyons aux recherches de Boons 1987, Vandeloise 1990, Bonami 1997, Borillo 1998, Tobin 1999.

26 Nous comprenons sous extension et intension l’ensemble des propriétés référentielles décrites par le mot.

27 Soulignons qu’il ne s’agit pas de la négation du procès, de l’état ou de la propriété de gauche, mais de celle du degré exprimé par le prédicat de droite. Dans la phrase (68), il s’ensuit que l’on ne situe plus le degré du mépris au niveau de ce qu’on pouvait attendre. L’existence même du procès de gauche n’est pas affectée ; seulement son degré dans le monde des croyances du locuteur s’est avéré faux et est rectifié. Remarquons qu’on ne réduit pas à la négation le sens de au-delà de : la négation n’est qu’une conséquence du sens scalaire de cette préposition.

28 Pour une analyse plus détaillée des exemples de cette section, cf. Adler et Asnes 2007a.

29 Il existe d’autres locutions prépositives qui connaissent l’emploi quantificationnel : aux environs de, autour de (ça coûte aux environs de/autour de 100 Euros) (Adler & Asnes 2008). Dans le domaine des prépositions simples, on peut encore citer dans (ça coûte dans les 100 Euros. Cf. Melis 2001, 2003 et Vaguer 2005, 2006, à propos des prépositions dans, sur et vers). Contrairement à jusqu’à, au-delà de, au-dessus de et au-dessous de qui sont des quantifieurs comparatifs/superlatifs, aux environs de, autour de, dans les impliquent une égalité approximative. Qui plus est, ces trois derniers opérateurs ne connaissent pas l’emploi scalaire (*aimer autour de l’adoration).

30 Remarquons que ce sens discursif n’est pas toujours convoqué en portée large : dans Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, au-delà de XP a une portée phrastique mais le sens est spatio-temporel. La position initiale et la pause après au-delà XP joue un rôle non-négligeable dans le choix de la portée du GPrép.

31 Signalons pourtant que dans un contexte de reprise ou de réaction à un énoncé précédent –bref, dans un essai de précision –, on pourrait bien accepter une séquence comme Jusqu’à dix, ça reste possible, où jusqu’à GN fonctionne comme un adjoint de phrase.