Émotions et performance poétique
La « katharsis » érotique dans la poésie mélique des cités grecques
I. Expression poétique des émotions : de la poésie lyrique au mélos
« Se dit de la poésie qui exprime des sentiments intimes au moyen de rythmes et d’images propres à communiquer au lecteur l’émotion du poète », telle est la définition que donne le Petit Robert de la poésie lyrique ; ou, si l’on se tourne vers la définition de la Lyrik proposée dans l’une des dernières éditions du Duden : « Literarische Gattung, in der mit den formalen Mitteln von Reim, Rythmus, Metrik, Takt, Vers, Strophe u. a. bes. subjektives Empfinden, Gefühle, Stimmungen od. Reflexionen, weltanschauliche Betrachtungen o. ä. ausgedruckt werden ». Or en Grèce ancienne, le terme lyrique apparaît essentiellement à l’époque impériale pour désigner la poésie ou le poète qui s’accompagne sur la lyre (ce que reconnaît le Petit Robert en élargissant à l’accompagnement musical la définition valable pour l’Antiquité). En revanche, dans le retour critique aux catégories indigènes exigé par toute perspective de sémantique anthropologique, on constate que dès l’époque archaïque c’est par le terme mélos que l’on désigne la phrase musicale, la mélodie, puis – par extension – le poème chanté dans ses trois composantes définies plus tard par Platon : paroles chantées, accompagnement musical, chorégraphie ; ou – pour reprendre les termes de Platon – lógos, harmonie et rythme ; ceci en contraste non seulement avec la poésie épique et avec la poésie dramatique (tragédie et comédie), mais aussi avec l’iambe et l’élégie1. Ce n’est que très tardivement, chez les grammairiens latins, que les melopoioí deviennent des poètes lyriques et ce n’est guère qu’à la Renaissance que la poésie lyrique commence à être attachée, en tant que genre poétique, à l’expression de la passion, notamment amoureuse, référée à l’auteur lui-même. Il faudra donc attendre le Romantisme allemand pour que la poésie lyrique soit canonisée au sein de la triade « Epos-Lyrik-Drama » ; elle exprimerait alors, de manière spécifique, les mouvements intimes d’un poète désormais pourvu d’une intériorité individuelle, saisie en termes de Seele et de Geist.
Telle sera dès lors la définition donnée, de manière rétrospective, au mélos grec devenu frühgriechische Lyrik, Greek lyric poetry, lirica greca arcaica ou lyrisme archaïque. Point d’étonnement en conséquence à voir Bruno Snell, par exemple, trouver dans la Lyrik succédant à la poésie homérique l’éveil de la personnalité du poète (par l’expression des mouvements de son âme) ; il y situe par conséquent, dans une perspective hégélienne, la découverte poétique de l’esprit (européen…) : « Im persönlichen Empfinden der Lyriker ist die Zwiespältigkeit der Seele und das Bewusstsein von der Gemeinschaft im Geistigen entdeckt »2. Ce qui n’empêche pas par ailleurs le grand philologue de Hambourg de reconnaître que la majeure partie de la poésie lyrique archaïque parvenue jusqu’à nous relève de la « Festdichtung » ; elle est donc essentiellement composée de poèmes destinés à célébrer, dans des occasions rituelles, les dieux et les hommes.
Mais le retour, en guise de prélude, aux catégories indigènes implique le retour aux textes.
D’abord quelques vers attribués à Alcman :
Eros à nouveau, par la volonté de Cypris,
Me réchauffe, inondant doucement mon cœur.
Puis deux vers de Sappho :
Eros à nouveau m’agite, lui qui rompt les membres,
Le doux piquant, l’impossible animal.
Pour terminer avec un fragment d’Anacréon :
A nouveau, Eros m’a frappé de sa longue cognée,
Tel un bronzier, et il m’a plongé dans un torrent glacial.
Trois fragments dont la syntaxe et la manière dont ils sont cités montrent qu’ils correspondent à des débuts de poèmes ; trois poèmes qui commencent par ce que l’on peut appeler une formule avec les variations, conditionnées par le schéma métrique, que l’on attend d’un langage formulaire : Éro̱s me daûte ; trois distiques qui disent les effets physiques contrastés provoqués par la force du désir incarnée dans la figure du jeune Eros – on y reviendra3. Dans une poésie de communication essentiellement orale ces similitudes ne seraient sans doute pas très surprenantes si les vers comparés n’émanaient pas de poètes actifs dans des cités au régime politique varié, et surtout s’ils ne portaient par les indices de conditions d’énonciation très différentes, dans la « performance chantée » : poème probablement chanté par un chœur de jeunes filles dont le poète est présenté comme l’éducateur en ce qui concerne Alcman ; poème peut-être également choral pour Sappho dont le je n’est jamais explicitement identifié par son nom propre ; poème sans doute « monodique » pour Anacréon qui déléguait souvent le je poétique de ses compositions aux convives du symposion auxquels elles étaient en général destinées.
Trois situations d’énonciation en contraste : exécution d’un chant collectif et cultuel dans l’une des cérémonies initiatiques dédiées à l’une des divinités tutélaires de la ville de Sparte, dominée par les grandes familles des deux rois de la cité et de leurs alliés aristocratiques ; performance peut-être chorale au cours d’une célébration cultuelle de la beauté féminine dans un sanctuaire de la déesse de l’amour tel qu’il est attesté dans la Lesbos en proie aux rivalités des hétairies aristocratiques et de leurs leaders ; chant de l’amour au banquet dans le jeu de la reprise poétique par chacun des convives souvent à l’une ou l’autre des cours des tyrans dominant les cités grecques en ce même début du VIe siècle. Trois situations énonciatives distinctes du point de vue des acteurs assumant la position du je (qui correspond à l’« instance d’énonciation ») : un chœur chantant dans une perspective de jeune fille des poèmes composés par un poète adulte, avec une fonction éducative au service de la cité (Alcman) ; un groupe choral ou une jeune femme chantant les effets d’Eros dans des vers composés par l’animatrice adulte d’un groupe chargé de faire des jeunes filles aristocratiques des femmes achevées (Sappho) ; un individu adulte ou le poète lui-même chantant pour ses pairs l’éros provoqué tour à tour par une indomptable cavale de Thrace ou par un jeune homme au regard de jeune fille (Anacréon)4. Dans ces trois cas de figure une double distinction s’impose : d’une part, entre celles et ceux qui dans le poème assument la position énonciative du je (la persona loquens, le locuteur) et celles et ceux qui exécutent le poème dans une performance chantée d’ordre rituel ; d’autre part, entre le ou les exécutants du poème et le poète-auteur qui apparaît en général davantage dans sa « fonction-auteur » que dans sa personne biographique avec ses implications psycho-sociales5.
Si l’on admet ces médiations énonciatives dans leurs différentes modalités, si l’on accepte des circonstances de communication qui ont souvent un caractère cultuel et qui confèrent une dimension rituelle à la voix poétique elle-même, il n’en reste pas moins que les poèmes cités sont l’expression d’un sentiment fort : la passion amoureuse qui prend en Grèce classique la forme du désir érotique incarné dans la figure du très jeune parèdre d’Aphrodite. Sans doute le fait même que l’expression poétique du désir d’amour ne renvoie pas directement à la personne du poète devrait nous faire abandonner la catégorie générique romantique de la lyrique pour lui préférer le catégorie indigène du mélos. Néanmoins, par ce biais, on verra que la poésie rituelle et pragmatique qu’est le mélos implique une expression collective des émotions, une expression ritualisée des affects par les moyens mêmes de la poésie dans sa performance musicale. Et puisque la théorie indigène définit par les émotions qu’il suscite un genre tragique qui reprend au mélos ses formes chantées, on peut se demander dans quelle mesure la procédure de la kátharsis est pertinente pour une poésie mélique qui, pour être rituelle et traditionnelle, n’en est pas moins passionnelle ; une poésie mélique qui est sans doute expression de l’émotion, mais une émotion portée par une voix chorale et rituelle. L’interrogation est d’autant plus nécessaire que le théoricien grec de la kátharsis, d’ailleurs assez chiche à ce propos, exclut implicitement le mélos, si ce n’est dans la tragédie, de sa réflexion sur l’art poétique ! La kátharsis donc comme catégorie opératoire par anachronisme interne.
II. La kátharsis passionnelle dans ses deux définitions, poétique et politique
On a pressuré à satiété le seul passage explicite de la Tékhne̱ poie̱tiké̱ d’Aristote décrivant de manière très sommaire le processus de la kátharsis : « La tragédie est la représentation (míme̱sis) d’une action noble et achevée, ayant une certaine étendue, dans une langue agrémentée et variant selon les formes des différentes parties, assumée par des acteurs et non pas par la narration, réalisant par l’affliction et l’effroi la purification (kátharsis) de telles émotions »6. La controverse suscitée par ce passage excessivement concis est fondée sur un malentendu qui a débouché sur une question insoluble : qui, des acteurs de la tragédie ou de son public, éprouve affliction (ou compassion) et effroi ? Qui bénéficie, dans le soulagement, du processus de la purification ou de l’épuration des affects ressentis (je réserverai le terme purgation à l’analogie médicale) ? Quels sont les ressorts de cette purification, de cette libération apparemment du même par le même, au-delà de l’interprétation romantique de la kátharsis comme expiation (« Entsühnung ») ? L’expression « (purification) de telles émotions » doit-elle être prise comme un génitif ablatif, comme un genitivus separativus désignant la libération de l’âme à l’égard des deux affects mentionnés, ou correspond-elle à un génitif subjectif indiquant l’épuration par le moyen de ces deux passions ? 7
Sans oublier le fait que ces questions s’insèrent dans le problème plus général de traduction transculturelle déjà mentionné à propos de la notion « étique » du lyrique et la catégorie « émique » du mélos. De même que pour les genres poétiques ou pour les couleurs la perception et la désignation des émotions varient d’une culture à l’autre, et c’est pourquoi on préférera « affliction et effroi » à « crainte et pitié », comme l’on traduit traditionnellement en français éleos kaì phóbos (en inversant les termes de l’expression)8.
2.1. Définition minimale : la Poétique d’Aristote
Dans l’état de concision d’un texte probablement constitué sur la base de notes de cours, avec toutes les petites incohérences que cela implique, ces différentes questions n’ont pas de réponse. On remarquera simplement, par référence au contexte immédiat de ce passage si souvent discuté et malmené, que la procédure de la kátharsis est moins provoquée par le langage de la tragédie avec ses effets musicaux variant suivant les parties que par la représentation de l’action elle-même. En effet si Aristote rappelle bien que le rythme, la mélodie et le chant (mélos) sont les « assaisonnements » de la langue tragique, c’est pour s’empresser de déclarer que la tragédie est principalement et premièrement la représentation d’une action, d’une action agie par ses protagonistes. Dans la célèbre définition en six éléments constitutifs qui suit le passage sur l’épuration des émotions, l’accent est mis sur l’intrigue (mûthos) et sur les caractères des acteurs ; viennent ensuite l’expression verbale (léxis) et l’intention ; enfin si la composante visuelle de la tragédie s’avère tout simplement ne pas ressortir à l’art poétique, la composition musicale (melopoiía) ne concerne que les « assaisonnements » qui agrémentent la représentation de l’intrigue, entendue comme agencement d’actions (sústasis tô̱n pragmáto̱n).
D’autre part, par référence probable aux interventions chantées des acteurs, mais aussi aux parties chorales de la représentation tragique, la signification attribuée à mélos dans la Poétique se révèle particulièrement fluctuante ; mélos oscille entre le sens restreint de mélodie et le sens compréhensif de chant musical. Ainsi il peut figurer à côté du rythme et de l’harmonie comme séquence mélodique vocale ; en tant que tel, le mélos se combine avec le rythme métrique et chorégraphique et avec la tonalité ou l’accord harmonieux de la séquence. Mais ce terme renvoie aussi au chant musical en général, qu’il soit assumé par l’un des acteurs ou par le groupe des choreutes ; il semble alors être le synonyme de lógos, dans le sens de discours ou émission verbale marquée par le rythme et l’harmonie musicale comme c’est le cas dans la définition générale que donne Aristote des arts mimétiques en ouverture à la Poétique. Quoi qu’il en soit, le mélos en tant que grand genre autonome n’est pas mentionné dans la Poétique, si ce n’est peut-être sous la forme du dithyrambe ; le mélos en tant que tel ne relève pas des arts de la représentation (d’une action)9.
Si du contexte immédiat de l’énoncé controversé on passe à l’ensemble de la Poétique, on constate que le terme et le concept de la kátharsis connaissent encore un autre emploi dans le traité. A propos de la pertinence des épisodes intégrés dans l’action tragique, le mot désigne en effet le processus de purification rituelle auquel est soumis Oreste dans la tragédie homonyme, produite par Euripide ; poursuivi par les Erinyes après le meurtre de sa mère, le jeune héros est saisi de la folie inspirée par les dieux. Si Apollon, au terme de l’Oreste, étrangement ne mentionne pas de procédure de purification, mais uniquement l’absolution du jeune homme par les dieux dans le jugement rendu par l’Aréopage avec l’appui des Euménides, en revanche, dans l’Iphigénie en Tauride, la sœur aînée d’Oreste recourt à la ruse des « saintes purifications » (hagnoîs katharmoîs) auxquelles elle entend soumettre son frère matricide et la statue qu’il a touchée pour soustraire l’un et l’autre à l’attention du roi Thoas ; tous deux seront lavés de leurs souillures par un bain dans l’eau de la mer10. Par un geste rituel inséré dans l’action et le récit tragiques, la purification relève dans ce cas de l’ordre du religieux.
Même si la pratique rituelle de la kátharsis ressort dans le cas cité à l’action héroïque représentée sur la scène tragique, il convient encore de rappeler que les spectateurs de la tragédie, probables sujets de la kátharsis poétique, sont assemblés au sanctuaire de Dionysos Eleuthéreus pour y célébrer musicalement et rituellement le dieu des drames masqués. De ce point de vue, on peut se demander si, dans l’énoncé pour le moins énigmatique de la Poétique, l’ordre dans lequel les deux émotions suscitées par la tragédie sont présentées n’est pas significatif : éleos, puis phóbos. En effet, au sein de la taxinomie des passions développée dans la Rhétorique, l’affliction est comprise comme compassion pour des proches placés dans des situations où nous ressentirions nous-mêmes de l’effroi : dans cette mesure on pourrait s’imaginer que, dans l’esprit de cet énoncé si concis, le public ressente d’abord de l’affliction et de la compassion pour les protagonistes engagés dans des situations tragiques avant d’éprouver l’effroi face à un tel spectacle11.
2.2. L’analogie médicale : la Politique
Or, en passant de la Poétique à la Politique, c’est précisément dans le développement sur le rôle joué par la musique dans l’éducation du bon citoyen qu’au terme de ce traité, la kátharsis fait une apparition d’autant plus appréciée qu’elle est plus explicite. La réflexion d’Aristote sur les fonctions pédagogiques à attribuer aux airs musicaux, qu’ils soient instrumentaux ou vocaux, s’inscrit dans la perspective de distinction classificatoire qui anime la plupart de ses traités. Avec son sens devenu commun de « musique », la mousikè̱ tékhne̱, l’art musical consiste donc dans l’usage et la maîtrise des mélodies et des rythmes. Si ceux-ci correspondent à la cadence du phrasé musical, celles-là renvoient aux harmonies comprises comme articulations différenciées des sons dans la phrase musicale : méle̱ au sens restreint du terme. En poursuivant avec Aristote la classification taxinomique, les harmonies sont au nombre de trois, correspondant à des mélodies éthiques, pratiques ou dynamiques ; et elles peuvent assumer trois fonctions qui peuvent apparemment se combiner, contribuant à l’éducation, à l’épuration ou au divertissement12. La kátharsis figure donc au centre de la pragmatique attribuée à l’art musical.
Sans que les correspondances que suggèrent les deux triades soient établies de manière systématique, la fonction éducative se fondera, à l’évidence, essentiellement sur les mélodies morales. Par ailleurs, en coïncidant avec un sentiment de détente et de délassement après un état de tension, la fonction de divertissement touchera, en particulier dans la musique de théâtre, les travailleurs manuels et salariés. En contraste la procédure de l’épuration provoquée par la musique théâtrale semble s’adresser surtout aux spectateurs libres et éduqués, c’est-à-dire aux citoyens adultes. Dans ce contexte, Aristote explique en effet que les mélodies ou les harmonies dynamiques, celles qui provoquent exaltation et enthousiasme et qui méritent ainsi leur désignation de enthousiastiká, touchent la capacité émotive du public. Cette réceptivité émotionnelle de l’âme concerne des passions plus ou moins universelles ; en leur nombre Aristote mentionne, outre la possession divine qu’est l’enthousiasme, la pitié et la crainte – ou mieux et à nouveau : l’affliction et l’effroi ! Le processus de l’épuration/purification est dès lors décrit avec précision : « Certains hommes sont spécialement réceptifs à ce mouvement et, sous l’effet des chants sacrés, nous les voyons recourir à des mélodies qui mettent l’âme hors d’elle-même (exorgiázousi) avant de se calmer comme s’ils avaient été soumis à une cure médicale ou à une purgation (kátharsis) ». Qu’ils soient doués d’une sensibilité particulière à certaines passions, parmi lesquelles Aristote mentionne à nouveau l’affliction et l’effroi, qu’ils disposent d’une émotivité plus générale ou qu’ils soient normalement sensibles, tous les hommes sont susceptibles de connaître le sentiment de soulagement et de plaisir provoqué par le processus de la kátharsis.
Déjà dans les lignes précédentes, en évaluant la portée éducative des mélodies instrumentales aptes par leur beauté et leur rythme à provoquer un sentiment de réjouissance (khaírein), Aristote écartait l’aulos, en même temps que la cithare. Le double hautbois en effet, au lieu de la portée éthique attendue dans le cadre de l’éducation musicale, aurait une influence de l’ordre du dynamique, de l’orgiastique. Dans cette mesure, de telles mélodies seraient à réserver aux occasions spectaculaires dont l’effet relève davantage de la kátharsis que de l’éducation du citoyen ; aux yeux du philosophe, ce constat est à même de donner une raison au célèbre récit du rejet du double hautbois par Athéna, l’artisane qui refuse de voir ses joues déformées par ce jeu13. A l’occasion de cette anticipation de la classification triadique des harmonies en éthiques, pratiques et dynamiques (ou « enthousiastiques »), la perspective contrastive oppose donc essentiellement l’apprentissage par le biais de la mélodie au processus d’une épuration située, comme dans la Poétique, dans le domaine du spectacle. Restent, pour le vulgaire, le divertissement, et par conséquent le plaisir (he̱doné̱).
III. Les passions dans la philosophie médicale : de Hegel à Hippocrate
La conclusion du développement qu’Aristote consacre dans la Politique au processus de la kátharsis musicale est sans ambiguïté. C’est bien la comparaison avec le domaine de la cure médicale qui conduit à la proposition fondamentale : « Pour tous adviennent un sorte de purgation (kátharsis) et un sentiment de soulagement mêlé de plaisir ; de manière semblable, les mélodies cathartiques également procurent aux hommes un sentiment d’innocente réjouissance (khará) »14. Mais la référence au processus curatif reste de l’ordre de l’analogie !
Bien avant le philologue Jacob Bernays dont on mentionne régulièrement le travail à cette occasion, Hegel avait intégré à sa poétique de la subjectivité lyrique le processus de l’épuration et de la purification des sentiments. Sans qu’elle soit identifiée comme telle, la kátharsis est mise au service de la libération de l’esprit (der Geist) par le biais de la lyrique. En lui tendant une sorte de miroir, la passion exprimée par la poésie lyrique permet à l’esprit de s’affranchir du sentiment qui l’oppresse. L’épanchement poétique (der poetische Erguss) a une double fonction : le rôle de soulager le cœur par l’expression de la douleur et de la joie, et la charge plus complexe « non de délivrer l’esprit du sentiment qui l’oppresse, mais de l’affranchir dans la sphère même du sentimen. ;» (« die Aufgabe nämlich, den Geist nicht von der Empfindung, sondern in derselben zu befreien »). Dans cette mesure, l’âme (à vrai dire, le cœur : das Herz) « s’ouvre à l’expression d’elle-même. Ce qu’elle ne faisait qu’éprouver, elle le conçoit et l’exprime sous forme de pensées et d’images dont elle a conscience » (« das Herz, dass sich zum Aussprechen seiner selber aufschliesst, und deshalb das vorher nur Empfundenes in Form selbstbewusster Anschauungen und Vorstellungen fasst und äussert »). Dans l’expression des sentiments les plus intimes, dans l’expression de cette intériorité (Innerlichkeit), la poésie lyrique concourt donc à l’objectivation de l’esprit ; elle concourt à la saisie de l’esprit par lui-même. Point essentiel : cette prise de conscience par le biais poétique concerne aussi bien le poète que son auditeur. Ainsi le style lyrique de Schiller dans ses ballades contribue-t-il, par la profondeur des idées exprimées, à entraîner l’âme de l’auditeur dans un même mouvement lyrique (« Was nämlich der Dichter im Hörer beabsichtigt, ist die gleiche Gemütsstimmun. ;»)15. Il s’agit donc, par une sorte d’homéopathie, de provoquer auprès du public des sentiments analogues à ceux exprimés dans la création poétique pour obtenir une libération auto-réflexive de l’âme.
Si la métamorphose philosophique que Hegel fait implicitement subir à la kátharsis aristotélicienne concerne désormais clairement aussi bien la production poétique que sa réception, la transformation s’est opérée à l’écart de l’analogie médicale. Or il est revenu au philologue que l’on vient de mentionner de poursuivre la comparaison rapidement proposée par Aristote lui-même dans la Politique. Autant la réflexion de Platon sur les effets psychiques de la poésie que les explications proposées par les médecins hippocratiques quant à la composante somatique des passions concourent à reconstruire une représentation de la kátharsis poétique comme un processus d’ordre physiologique : la purification/épuration comme purgation. Retour donc aux catégories indigènes, également dans le domaine sensible des émotions.
3.1. Gorgias et la rhétorique affective
Plus d’un demi-siècle avant Aristote, le rhéteur sicilien Gorgias offrait dans son Eloge d’Hélène les éléments d’une psychopathologie des émotions suscitées par le discours. Ce bref lógos est revêtu des habits de la poésie par la saturation de jeux sur la matière phonique et de figures de rhétoriques. Des rimes internes aux innombrables allitérations en passant par antithèses, parisoses, chiasmes, métaphores et métonymies, Gorgias jette les fondements d’une prose poétique dont il défend explicitement le principe : conférer à la prose le pouvoir de persuasion en jeu dans la poétique de l’éloge et du reproche sous-jacente aux pratiques de ses prédécesseurs, sages techniciens et habiles poètes au service des Muses. De l’aède de l’Iliade jusqu’à Stésichore, Alcée ou Sappho, nombreux ont été les poètes qui ont évoqué le rôle joué par Hélène dans le déclenchement de l’expédition en Troade : Hélène comme cause et par conséquent responsable sinon coupable de la guerre de Troie ? Toute la stratégie rhétorique développée par Gorgias pour tenter de disculper la belle héroïne consistera à identifier la cause de son action avec une force extérieure. Après l’examen de la violence physique du rapt ou de l’inéluctable volonté des dieux et avant la focalisation sur la contrainte exercée par la puissance impérative d’Eros, le pouvoir de la parole figure en très bonne place pour rendre compte de l’égarement de l’épouse de Ménélas. Prétexte à une réflexion sur les pouvoirs du lógos tel que le conçoit le rhéteur sicilien. En touchant l’âme, le discours s’avère être un remarquable monarque. Par l’organe le plus petit, il est susceptible de produire les actes les plus remarquables. En effet, par les moyens de la poésie, il suscite chez ses auditeurs le frissonnement significatif de l’effroi (phríke̱ períphobos), la compassion provoquant les larmes (éleos polúdakrus) – dans un ordre inverse de celui proposé par Aristote ! – ou encore le regret dans l’affliction (póthos philopenthé̱s). Grâce aux qualifications dont elles sont affublées les passions évoquées plus tard par Aristote sont ici saisies dans leur composante somatique. C’est ainsi sans doute, par le biais physiologique, que le discours est susceptible de servir de vecteur à l’émotion et à la passion qui sont transmises dans l’âme de l’auditeur par l’intermédiaire d’actions et d’individus extérieurs16.
La prise en compte de la dimension physiologique attribuée à la capacité verbale conduit d’une part à l’esquisse d’un mécanisme cathartique : « le lógos a le pouvoir de faire cesser l’effroi, de soulager de l’affliction, de provoquer la réjouissance (khará) et d’accroître la compassion ». Le moment où l’on éprouve les émotions suscitées par le discours et le moment où l’on en est libéré sont donc mêlés de même que sont mêlés les sentiments d’affliction et de réjouissance ; chez Aristote ces mêmes sentiments seront éprouvés de manière successive, le plaisir étant la conséquence du soulagement ressenti après effroi et compassion. D’autre part, la dimension physique du pouvoir verbal induit la comparaison avec la pensée médicale. En effet le rhéteur de Sicile actif à Athènes à la fin du Ve siècle non seulement compare les effets affectifs du discours poétique au charme exercé par les incantation. ; inspirées par les dieux, elles sont susceptibles d’induire le plaisir tout en réduisant l’affliction, agissant sur l’âme et trompant ses croyances comme par une pratique magique d’envoûtement (éthelxe). Mais l’action du discours persuasif sur l’âme est aussi comparée à l’action de certaines drogues (pharmaká) ; de là la formulation d’une véritable homologie, soulignée par une série de jeux divers sur le signifian. : « le pouvoir du discours à l’égard de la disposition de l’âme est proportionnel à la disposition des médications vis-à-vis de la nature des organismes ».
L’analogie conduit à l’esquisse d’une théorie physiologique de la kátharsis (le terme lui-même n’est pas employé par Gorgias) puisque les discours inspirant tour à tour l’affliction, le plaisir (éterpsan) ou l’effroi sont comparés aux remèdes qui permettent d’expulser du corps les humeurs, provoquant soit la fin de la maladie, soit la fin de la vie ! Dans cette mesure, on peut affirmer que les discours, par assimilation, sont capables aussi bien d’envoûter l’âme que de la soigner par purgation. Cette conception physiologique de l’action du discours permet de disculper Hélène si c’est bien à la persuasion qu’a cédé la belle Spartiate17.
On l’aura compris, si elle éclaire un processus aussi bien affectif qu’intellectuel dans une dimension somatique inséparable de sa portée « spirituelle », la comparaison étendue avec les pratiques soit de la magie, soit de la médecine hippocratique semble superposer des moments que nous voudrions distinguer : non pas l’excès émotionnel suivi d’un sentiment d’apaisement par épuration et purgation, mais une étrange alternance d’excès et de sédations, suivant l’affect impliqué. C’est que le discours, dans l’action d’envoûtement qu’il exerce sur l’âme, peut avoir des effets tantôt revitalisants, tantôt mortifères. Quoi qu’il en soit, l’organisme affecté est celui de l’auditeur et le discours poétique a le pouvoir contraignant d’une force extérieure.
3.2. Platon et la physiologie hippocratique des affects
Pour autant que l’allégation de passages isolés fasse sens, on a trouvé dans les dialogues les plus divers de Platon les éléments susceptibles de combler les lacunes pour construire un enchaînement cohérent des causes et des effets. Ainsi en va-t-il par exemple de ce passage des Lois consacré à l’éducation des nourrissons aussi bien pour les soins du corps que pour ceux de l’âme. Accompagné d’une mélodie, le bercement joue un rôle déterminant, en particulier pour les mères ou les nourrices qui entendent endormir un nouveau-né. Au silence et à l’immobilité se substitue un mouvement rythmé qui est comparé à la cure corybantique que pratiquent ces femmes elles-mêmes. A l’instar de la guérison de celles et ceux qui sont saisis du délire bachique, le calme et le sommeil sont provoqués par les moyens du rythme dansé et de la musique. C’est donc bien, de manière quelque peu paradoxale et à nouveau dans l’analogie médicale, le mouvement lui-même qui induit l’état de tranquillité : l’équilibre atteint par l’excès. Par ailleurs, à propos des poètes méliques qui entrent dans un état de possession analogue à la transe corybantique ou bachique dès qu’ils sont pénétrés du rythme et de la mélodie des chants qu’ils ont composés, Socrate (mis en scène par Platon face au rhapsode Ion dans le dialogue homonyme) choisit l’image de la pierre magnétique qui parvient à aimanter une séquence d’anneaux pour expliquer la transmission de cet état second du poète au spectateur. Il s’agit en fait d’un enchaînement d’éléments aimantés qui concerne également la récitation des poèmes homériques : de la divinité inspiratrice jusqu’au public en passant par l’aède auteur du poème et par le rhapsode qui le récite comme un acteur, tous sont successivement les victimes du même état de transe. En remontant la chaîne jusqu’à la Muse, les uns se révèlent possédés par les autres, tour à tour saisis par le pouvoir du magnétisme18. Par cette osmose homéopathique qui touche tous les protagonistes de la chaîne rhapsodique, poète, exécutants et public sont appelés à se trouver dans un état affectif identique.
Mais sans doute est-ce le Timée qui offre des affects et des passions l’explication physiologique la mieux intégrée. Le recours à la théorie médicale ne relève ici ni de l’analogie, ni de la comparaison, et encore moins de la métaphore. Evoquant par anticipation la manière dont les sciences neuronales rendent compte du rôle des affects dans le fonctionnement du cerveau, Platon explique, au terme d’un long développement d’anthropologie médicale, que les maladies de l’âme que sont la tristesse et le chagrin, la hardiesse et la lâcheté, l’oubli et la paresse sont provoquées par un excès d’humeur. Ne parvenant pas à s’échapper les humeurs les plus acides et les plus bilieuses errent dans le corps pour pénétrer dans l’âme et susciter des affects négatifs. L’excès de plaisir autant que l’excès dans l’affliction sont donc à considérer comme des maladies de l’âme. De là la nécessité des exercices du corps et de l’esprit, en coordination intégrée et en harmonie avec l’ordre de l’univers ; de là l’invitation à des mouvements rythmés en accord avec les mouvements de l’intellect et du tout ; de là le recours occasionnel et mesuré à des médications dépuratives pour éliminer les excès d’humeur19. Dans cette physiologie des affections les plus négatives de l’âme humaine, la procédure cathartique à proprement parler est réservée à la pratique médicale.
Du côté de la médecine hippocratique donc, nombreux sont les traités qui réfèrent la maladie à un excès dans l’organisme soit de l’une des quatre humeurs animant le corps de l’homme, soit de l’une des qualités qui en traversent la constitution en des couples d’opposés structurels : le froid et le chaud, le sec et l’humide. L’auteur hippocratique d’un petit traité consacré à l’influence de l’environnement sur la constitution humaine n’hésite pas à étendre de la maladie au caractère des hommes cette théorie de l’excès rompant le mélange équilibré de qualités opposées. Les qualités des eaux et des vents propres à la situation climatique d’une région ont une influence déterminante sur la constitution et le caractère des femmes et des hommes qui l’habitent. Ainsi les habitants du Phase en Colchide, sur les bords de la Mer Noire, vivent dans une région marécageuse dans un climat chaud et humide, caractérisé par des brouillards fréquents. Ce climat singulier détermine non seulement leurs habitudes de vie, mais la consommation d’eaux stagnantes et l’inhalation d’un air saturé d’humidité ont pour conséquences une constitution adipeuse et amollie ainsi qu’un teint jaunâtre qui ont eux-mêmes pour corollaire moral une certaine paresse ; le caractère de ces gens du nord-est s’intègre donc dans la douceur des mœurs et l’absence de combativité des Asiatiques, en raison de l’uniformité du climat dont ils bénéficient et en contraste avec le courage, la fougue et la témérité des Européens.
Dans cette remarquable conception de physiologie humaine intégrée, les écoulements menstruels des femmes sont saisis dans les termes d’une purgation qui peut être entravée par les qualités de l’organisme induites par la conjoncture climatique. Ainsi dans les cités exposées aux vents froids et secs et disposant d’eaux froides et dures la constitution tendue des habitants entrave le flux menstruel des femmes, provoquant difficultés à l’accouchement, allaitement insuffisant et stérilité. Mais dans la partie géographique du traité on apprend que les femmes des Scythes, parce qu’elles habitent une région humide de l’Asie, disposent d’une constitution dont l’adiposité, la mollesse et l’humidité entravent la kátharsis menstruelle tout en empêchant la semence masculine d’atteindre la matrice20. La nécessaire purgation d’une humeur excédentaire tel le sang menstruel est donc entravée par la prédominance de l’une ou l’autre des qualités qui, entre le sec et l’humide ou le froid et le chaud, prédomine dans une constitution humaine déterminée par climat et environnement.
Les hommes n’échappent pas à la nécessité de cette kátharsis d’ordre physiologique puisque dans les cités connaissant de forts contrastes climatiques, soumises à un hiver pluvieux et doux puis à un printemps sec et froid, les habitants subissent des maladies qui sont la conséquence de l’absence des purgations que représentent au printemps rhume et enrouemen. ; la sécheresse et la rigueur du climat printanier empêchent l’excès d’humidité provoqué par l’hiver tempéré de s’écouler. Occasionnellement les états émotifs forts sont reconduits aux mêmes causes physiologiques et environnementales. Ainsi, par analogie avec la « maladie sacrée », la frayeur subite de l’enfant correspond à un frissonnement qui coupe le souffle et qui, par contraction, prive le cerveau du sang qui l’irrigue ; ce blocage a pour conséquence un flux de phlegme vers le bas du corps, provoquant une attaque analogue à celle de l’épilepsie. « En tant qu’hommes, nous devons savoir que nos plaisirs, nos réjouissances, nos rires et nos jeux n’ont pas d’autre source que cet endroit (i.e. le cerveau, par opposition au diaphragme ou au cœur) de même que nos chagrins, nos angoisses, nos tristesses et nos pleurs (…). Tous ces états dépendent du cerveau et nous les subissons quand il n’est pas sain, soit plus chaud, soit plus froid, soit plus humide, soit plus sec que dans son état naturel »21. On croirait lire Antonio Damasio…
En médecine hippocratique l’état de santé résulte donc d’une élimination des humeurs excédentaires ; cette élimination est souvent saisie en termes de kátharsis22. En reportant ce processus sur l’effet affectif produit par le spectacle tragique tel que pourrait l’avoir conçu Aristote, l’épuration semble porter sur la compassion et l’effroi éprouvés par le spectateur ; la purgation de ces états excessifs, que la pensée hippocratique explique par la prédominance nuisible d’une seule humeur, pourrait être suivie de la satisfaction que semble provoquer, dans la kátharsis musicale, le retour à un état stable. Elimination de l’excès par l’excès (génitif subjectif ?!) : le spectacle tragique et, à plus forte raison, la cure musicale semblent bien relever d’une thérapie de type homéopathique, mais par des moyens différents de la cure médicale. Non pas les humeurs ou les qualités opposées, mais, de manière directe, les affects entendus dans leur dimension matérielle23.
Quoi qu’il en soit d’une épuration tragique et musicale qu’il convient de prendre au sens physiologique du terme sans la confondre avec la purgation médicale, frappe la remarquable perméabilité entre l’ordre du corps et celui de l’esprit que présupposent autant la conception organique des affects que la théorie médicale des humeurs. Cette porosité du corps humain en ses différentes fonctions a pour corollaire une plasticité psycho-physique des plus modernes24 ; elle est implicitement exploitée dans la conception des émotions qui sous-tend la performance poétique ritualisée dans l’ensemble que forment flux vocal, rythme musical et gestualité chorégraphique.
IV. Une kátharsis non mimétique : la poésie érotique
« Dès l’enfance les hommes ont, inscrites dans leur nature, à la fois une tendance à représenter (…) et une tendance à trouver du plaisir (khaírein) aux représentation. ;», telles sont – on s’en souvien. ;– les deux « causes naturelles » de l’art poétique selon Aristote. Réjouissance ou sentiment de douceur, le plaisir provient – précise le poéticien – de l’apprentissage par la míme̱sis ; il résulte de la dimension cognitive des représentations dans leur production autant que dans leur contemplation. Combinée chez les hommes avec compétence mélodique et aptitude rythmique, cette capacité naturelle à « imiter » serait à l’origine de l’art poétique25. Or, s’il est vrai qu’il n’y a de représentation que d’une action avec ses protagonistes, s’il est vrai que l’art poétique et mimétique concerne la poésie narrative dans ses formes et traditions épique et tragique d’une part, iambique et comique de l’autre, s’il est bien vrai que la composante essentielle de la tragédie est l’intrigue (mûthos) entendue comme « agencement des action. ;», les différentes formes de la poésie mélique semblent exclues des arts susceptibles de provoquer réjouissance et plaisir ; si ce n’est peut-être par cette composante secondaire qu’est la musique et dont la désignation en tant que hé̱dusma renvoie étymologiquement au concept de he̱doné̱ (cf. supra § 2.1).
4.1. Le double paradoxe du charme mélique
Serait-ce à dire que la poésie mélique échappe au processus de l’épuration des affects tel qu’il est à peine esquissé dans la Poétique ? Est-ce à dire que les formes poétiques qui passent pour être les mieux adaptées à l’expression des passions ne sont pas soumises à cet effet de kátharsis que la Politique associe pourtant à la production mélodique, au mélos dans son sens restreint, ainsi qu’aux maladies organiques provoquant des états seconds ?
Le paradoxe est double :
D’un côté, on a vu Gorgias ajouter la réjouissance de la grâce (khará dérivant de khaírein) aux passions d’effroi et d’affliction provoquées par toute forme de discours. Et Gorgias de préciser que ce plaisir naît en particulier des discours qui agissent comme des incantations, éloignant le sentiment de l’affliction pour ensorceler l’âme et la transformer comme par un charme magique. Or le terme thélgein, employé dans ce contexte pour désigner le pouvoir du charme séducteur exercé par la parole, trouve un large usage déjà dans la poésie homérique. D’une part, dans l’Iliade, le ruban brodé qu’Aphrodite remet à Héra pour achever la parure destinée à séduire Zeus dans la fameuse scène d’amour entre le maître et la maîtresse de l’Olympe contient tous les charmes (thelkté̱ria, de thélgein) susceptibles de tromper l’intellect : relation amoureuse, désir impératif, mots séducteurs, paroles trompeuses (de même, dans les Travaux d’Hésiode, pour la jeune Pandôra créée par Héphaïstos et Athéna avec la collaboration des Grâces, des Heures et d’Hermès). Vers la fin de l’Odyssée, Pénélope, parée des dons d’Aphrodite, se présente aux prétendants dans l’éclat d’un apparat qui rompt leurs genoux et ensorcelle (éthelkhthen) leur cœur ; tous désirent s’étendre au côté de la femme revêtue des charmes de la beauté26. Séduction érotique qui se manifeste dans ses effets physiologiques aussi bien par la vue que par l’ouïe.
D’autre part, de manière plus précise, c’est le doux chant des Sirènes qui exerce sur le marin de passage un charme (thélgousin) érotique et finalement mortifère, ou ce sont les mots tendres et enjôleurs de Calypso qui par leur charme provoquent chez Ulysse l’oubli d’Ithaque et de l’épouse qui l’y attend. Par ailleurs, les récits d’Ulysse encore mendiant suscitent auprès d’Eumée un enchantement (thélgoito, éthelge, en structure annulaire) que le porcher compare au ravissement érotique provoqué par les vers de l’aède auprès d’un public sous le charme : au-delà du simple charme qu’exerce la poésie aédique, son effet d’envoûtement n’a pas uniquement des connotations négatives. La narration épique n’est d’ailleurs pas la seule à avoir sur l’auditeur des effets analogues à ceux exercés par le pouvoir d’Eros puisqu’à Délos, le chant choral des Déliades parvient à enchanter le public réuni pour célébrer Apollon par la représentation (mimeîsthai) des voix de tous les hommes27. Les formes de la poésie mélique figurent donc en bonne place aux côtés de la poésie narrative et épique pour envoûter leur public comme par le charme d’Eros. Et quand le plaisir provoqué par la pratique poétique n’est pas saisi en termes de charme envoûtant, il est qualifié par les mots dérivés d’un térpein qui désigne fréquemment, dans les différentes formes de la poésie archaïque, la jouissance amoureuse28.
Par ailleurs, il convient de rappeler que dans la louange et la défense rhétoriques d’Hélène rédigées en prose poétique par Gorgias le pouvoir d’Eros apparaît comme la quatrième et ultime cause pouvant expliquer l’acte d’Hélène tout en disculpant l’héroïne. En effet, de même que le lógos par l’ouïe, la puissance de l’amour agit sur l’âme par la vue ; de même que le discours, Eros laisse sur l’âme une empreinte matérielle, apte à modifier sa « tournure ». Comme l’effroi, l’éros peut mettre l’entendement hors de lui-même par l’intermédiaire d’un regard qui inscrit en lui les choses vues ; il provoque le désir amoureux, mais aussi maladies et folies difficiles à guérir. Ainsi l’âme d’Hélène fut-elle prise d’une agitation et d’un trouble subits dès que ses yeux furent touchés par le beau corps de Pâris. Cette physiologie de la vision amoureuse, qui fait du regard le vecteur même de la puissance d’Eros conçue comme un flux, est déjà largement illustrée dans la poésie mélique de l’époque dite « archaïque » :
Eros à nouveau, me jetant de sous ses paupières sombres
Un regard qui fait fondre,
Me précipite par ses multiples charmes
Dans les filets inextricables de Cypris.
Oui, à sa venue, je suis saisi d’un tremblement…
Chante le convive ou le groupe choral qui représente Ibycos, un poète de cour du VIe siècle29. C’est sur une représentation physiologique du même type que se fonde la théorie hippocratique de la purgation des humeurs rapidement évoquée dans un paragraphe précéden. ; par analogie, cette anthropologie organique permettait à Aristote de faire comprendre, dans la Politique, le phénomène de l’épuration des passions dans le spectacle théâtral, en particulier par l’effet de sa composante musicale. Or avec le poème fragmentaire d’Ibycos, rédigé en un rythme anapestique qui le destine à une exécution chantée et chorégraphiquement rythmée, on a quitté les genres narratifs considérés comme mimétiques par Aristote, tels la poésie homérique ou la tragédie attique, pour pénétrer dans le vaste domaine du mélos, de la poésie « lyrique » : non plus le mélos au sens de la mélodie accompagnant par exemple le drame tragique comme l’entend Aristote, mais le mélos au sens large du terme, englobant les différents genres de la poésie rituelle.
4.2. Sappho : physiologie et envoûtement érotiques
Sans doute nulle autre composition mélique que le poème « L’égal des dieux » de Sappho ne peut mieux illustrer les surprenantes affinités qui, dans les différentes formes de la poésie érotique grecque, rapprochent la description poétique des effets émotionnels provoqués par la puissance d’Eros et l’évocation en termes érotiques des effets affectifs suscités par la poésie, qu’elle soit épique ou mélique :
Il me paraît égal aux dieux,
Celui qui, face à face,
Assis tout près de toi,
Entend ta voix si douce,
Et ce rire charmant qui, je le jure,
Dans ma poitrine affole mon cœur.
Sitôt que je te vois, ne fût-ce qu’un instant,
Aucun son ne passe plus sur mes lèvres,
Mais ma langue sèche,
Un feu subtil court soudain sous ma peau,
Mes yeux ne voient plus rien,
Mes oreilles bourdonnent,
Je ruisselle de sueur,
Un tremblement me saisit toute,
Je deviens plus verte que l’herbe.
Il me semble que je vais mourir…
(Trad. André Bonnard).
Quelle qu’en soit la forme générique – épithalame, poème choral et rituel ou « monodie » –, quelles qu’en soient les circonstances d’énonciation – cérémonie nuptiale, groupe de jeunes filles célébrant Aphrodite, réflexion poétique personnelle –, quels que soient les mobiles psychologiques animant les symptômes physiologiques décrits – jalousie féminine, anxiété homosexuelle, névrose partagée –, ce poème à l’interprétation controversée s’il en est s’inscrit dans la tradition des compositions érotiques rédigées généralement par des poètes et parfois par des poétesses appartenant aux petites communautés civiques de l’époque dite « archaïque ». Depuis de nombreuses années les innombrables commentateurs de ce poème cent fois traduit en français n’ont pas manqué de relever que la plupart de ces symptômes physiologiques de l’émotion profonde sont déjà attestés dans les poèmes homériques, mais qu’ils correspondent aussi à des manifestations identifiées par les médecins hippocratiques dans leur pathologie des affects. En ce qui concerne notre point de vue marqué par une tradition extrêmement lacunaire, l’originalité de la composition de Sappho réside dans la référence de ces différentes manifestations physiologiques de l’émotion au pouvoir du charme érotique ; il émane d’une voix et d’un sourire pour être transmis par l’ouïe et la vue. L’auteur du traité Du Sublime, qui cite le poème, y avait déjà reconnu la collection et l’articulation, en un seul ensemble, des traits saillants révélateurs des souffrances (pathé̱mata) relatives aux délires amoureux30. Ces manifestations du désir érotique suscité par la beauté, ici féminine, et transmis par audition et regard convergent vers un sentiment de mort qui, dans la représentation hellène, se confond non seulement avec le sommeil, mais aussi avec l’amour31.
Par ailleurs, au-delà des traits formels qui semblent conférer aux quelques poèmes fragmentaires de Sappho parvenus jusqu’à nous une dimension incantatoire, quelques indices révèlent la valeur de séduction érotique que la poétesse de Lesbos attribue à la poésie mélique. Comme Pindare ou Bacchylide, Sappho ne manque pas, par exemple, d’associer aux Muses les Charites, incarnation de la grâce séductrice, pour en appeler la présence dans les vers mêmes qui chantent ces figures divines ; et dans l’un des fameux poèmes du souvenir est évoqué le charme exercé sur l’une des compagnes du groupe de Sappho par le chant d’une jeune fille, probablement retournée comme femme adulte en Lydie, prête à assumer son rôle de jeune épouse32. En comparant de tels indices quant à l’effet de charme érotique attribué à des poèmes méliques avec les compositions qui mettent en scène les effets physiologiques et délétères de la passion amoureuse, on pourrait faire l’hypothèse que l’expression poétique des affects provoqués par le pouvoir d’Eros débouche, par leur épuration, sur le plaisir de la « performance » poétique. Mais il s’agit là encore d’une pure extrapolation.
4.3. Alcman : une kátharsis chorale ?
Pour le lecteur moderne habitué à associer la poésie lyrique à l’expression par le poète des sentiments les plus intimes, plus surprenants sont les poèmes érotiques composés à Sparte par le poète Alcman, à la même époque que Sappho à Lesbos, et chantés collectivement par un groupe choral de jeunes filles. Identifiés en tant que genre poétique dès la période classique, ces parthénées étaient exécutés à l’occasion de cérémonies cultuelles destinées à l’une ou l’autre des divinités civiques protégeant le passage des jeunes gens et des jeunes filles à l’âge adulte. C’est dire que ces poèmes rituels ont un caractère initiatique fortement marqué comme le montrent les fragments étendus d’un parthénée composé par Pindare pour la célébration d’Apollon Isménios, l’un des dieux tutélaires de Thèbes ; au cours de la daphnéphorie thébaine, la procession vers le sanctuaire du dieu, situé hors les murs auprès de la rivière Isménos, était conduite par un jeune garçon portant la hampe au laurier suivi d’un chœur formé de jeunes filles de la cité chantant de manière autoréférentielle l’action rituelle féminine et musicale présente, dédiée en offrande au dieu protecteur des jeunes citoyens33.
Exécuté non pas à Thèbes mais dans la cité de Sparte environ un siècle et demi plus tôt mais dans des circonstances cultuelles et civiques analogues, le plus célèbre des parthénées de notre histoire de la littérature grecque chante la beauté d’une femme. Dans une relation qui semble inverser les positions offertes par le poème de Sappho que l’on vient de mentionner, ce sont ici les dix ou onze adolescentes composant le groupe choral qui, collectivement, disent leur fascination pour la femme un peu plus âgée conduisant le chœur. Or chanter la beauté féminine parvenue au seuil de la maturité, c’est aussi dire le désir que suscitent l’éclat du visage et la chevelure fleurissante de la belle et jeune chorège : jeux érotiques du regard, à nouveau.
Mais ne les vois-tu pas ?
D’un côté le coursier vénète ;
De l’autre la chevelure
De ma compagne Hagésichora
Fleurit comme de l’or pur.
Son visage d’argent,
Pourquoi te le décrire ?
C’est Hagésichora.
Car, dans l’alternance des formes singulières et plurielles du je et du nous, c’est bien la jeune femme dont le nom propre dit la fonction qui, « en dirigeant le chœur », provoque auprès des choreutes adolescentes le sentiment d’être assaillies : « C’est Hagésichora qui me poursuit » (vers 77). De même, dans un fragment d’Hésiode, le jeune Thésée est-il poursuivi par le désir érotique funeste que suscite la jeune Aiglé34. Dans un mouvement de prétérition, les jeunes filles énumèrent tour à tour les qualités érotiques dont, pour l’instant, aucune d’entre elles ne dispose : atours de pourpre, bracelet d’or finement ciselé, mitre de Lydie, mais aussi chevelure brillante, paupières de violette, regard perçant et finalement un corps de déesse évoquant les charmes d’éros. Cette manière d’attribuer en creux les qualités de la femme désirable à la chorège débouche sur une qualification positive : la voix d’Hagésichora est presque aussi mélodieuse que celle des Sirènes ; elle mérite donc la comparaison avec l’éclat du chant du cygn. ; ceci au terme d’un poème qui, fragmentaire, revenait en conclusion sur le pouvoir érotique (ephímeros, vers 101) de la chevelure aux blonds reflets de la jeune chorège35.
Expression poétique et chorale, dans la célébration rituelle, non plus des symptômes de la folie amoureuse, mais des qualités physiques propres à susciter le désir érotique. En ce qui concerne ce « premier parthénée » d’Alcman, cette expression émotionnelle ritualisée est assortie d’une allusion à un processus qui pourrait être comparé, sinon assimilé au processus de la kátharsis par la récitation épique ou par le spectacle tragique. Le groupe choral des jeunes Spartiates constate en effet que, par la fréquentation d’Hagésichora, les jeunes filles atteignent, à l’issue de leurs questions répétées sur les causes de l’émotion érotique qu’elles ressentent, un certain état de tranquillité (eiré̱ne̱). Cet état d’apaisement est comparable à la jouissance tranquille dont bénéficie Héraclès, selon Pindare, à l’occasion de son mariage avec Hébé, marquant le terme de ses travaux. L’analogie est d’autant plus frappante que la déesse de l’Aube à qui s’adressent les jeunes filles du groupe choral est dénommée « médecin de nos peines » (iáto̱r póno̱n, vers 88-89). Correspondant fort probablement à Hélène (vénérée à Sparte dans un double culte en tant que jeune fille et comme femme adulte), la déesse est donc susceptible, sans doute au terme de leur parcours initiatique, de libérer les jeunes filles, parvenues à la maturité de la femme prête au mariage, des fatigues physiques et des effets émotionnels entraînés par leur éducation chorale et musicale36.
V. Conclusion : la kátharsis dans l’acte poétique rituel
Si par anticipation anachronique (et opératoire) on peut parler de kátharsis pour la performance des chants appartenant au grand genre du mélos, il s’agit d’un processus de libération de l’ordre du rite ; ce processus passe par des actes de chant qui correspondent à des actes de culte. L’« épuration » s’accomplit bien dans l’expression affective du sentiment (amoureux), mais de manière collective et rituelle. Tout se passe donc comme si les effets de la míme̱sis narrative telle que la conçoit Aristote dans la Poétique étaient produits par l’exécution même du poème ; tout se passe comme donc si dans la poésie mélique c’étaient les exécutantes et les exécutants eux-mêmes à ressentir par l’intermédiaire de la parole poétique les affects essentiellement éprouvés par le public face aux différentes formes de la poésie narrative et dramatique. Si míme̱sis il y a dans l’exécution chantée et auto-référentielle de poèmes rituels, cette représentation n’est pas déléguée à un aède racontant l’action héroïque ou à des acteurs masqués jouant cette action sur la scène.
Avec les affects qu’elle sollicite, cette représentation rituelle chantée et dansée est assumée directement, sans masque ni narratif ni dramatique, par ses protagonistes : l’émotion suscitée par l’acte poétique non plus par la projection sur les spectateurs de celle suscitée par la situation narrée ou jouée, mais ressentie et chantée directement par les protagonistes de cette situation. Accomplis dans les sanctuaires des dieux tutélaires de la cité, ces actes poétiques confèrent à l’effet cathartique de la jouissance musicale un caractère collectif et performatif qui implique une ritualisation des passions37. Non pas le « souci de soi » comme dirait Michel Foucault, mais par l’expression poétique du désir érotique, sa maîtrise rituelle dans un processus initiatique et éducatif conduisant à l’accomplissement de l’adulte avec son statut social.
Eros à nouveau, par la volonté de Cypris,
Me réchauffe, inondant doucement mon cœur.
Probablement extraits d’un parthénée d’Alcman, on a vu en commençant que ces deux vers pourraient tout aussi bien provenir d’une composition de Sappho chantant les jeunes beautés de son cercle ou d’un poème d’Anacréon destiné aux convives d’un symposion38. Quelle qu’en soit l’orientation poétique, quel qu’en soit le caractère homo- ou hétérosexuel, la poésie mélique érotique est régulièrement fondée sur la relation asymétrique entre un ou une adulte et un jeune homme ou une jeune fille. Cette asymétrie entraîne un décalage amoureux qui fonde l’expression poétique du désir érotique : l’adolescente ou l’adolescent suscite par sa jeune beauté le désir érotique auquel elle ou il est encore incapable de répondre. Dans une relation asymétrique en général marquée par l’homophilie, tout se passe comme si la performance poétique comblait en quelque sorte ce décalage constitutif en permettant aux jeunes gens et aux jeunes filles, par la voie du rituel à caractère initiatique et à travers l’éducation chorale, d’atteindre la maturité de la sexualité accomplie39.
Dans ce processus d’une kátharsis qui n’est pas la purification rituelle d’une souillure, mais qui libère de sentiments pénibles et qui comble affectivement les protagonistes du rite chanté par l’expression poétique du désir amoureux, la langue joue un rôle essentiel ; pour le mélos, il s’agit d’une langue traditionnelle à caractère incantatoire comme le montre par exemple la réitération de l’expression « Eros à nouveau… » dans les différents poèmes cités ; c’est une langue dont le caractère formulaire montre la fonction rituelle, que ce soit dans les cultes rendus aux divinités de l’adolescence et de la beauté ou dans les symposia où la poésie érotique assume son plein rôle d’éducation à Eros ; c’est une langue poétique dont l’usage dans la performance rituelle, assumée collectivement, opère une épuration des émotions elle-même d’ordre rituel et s’inscrivant dans un processus d’éducation à la maturité sexuelle et affective de l’adulte40.
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1 Mélos comme mélodie : Hymne homérique 19, 16-18, Alcman fr. 39 Page-Davies ou Pindare fr. 140b, 16-17, par exemple, comme chant : Alcman fr. 14 (a) Page-Davies, Sappho fr. 44, 25-26 Voigt, Pindare, Olympique 10, 84, etc. ; cf. Platon, République 399c. Voir l’analyse de sémantique comparative sur le concept de « lyrique » que j’ai proposée dans « La poésie lyrique grecque, un genre inexistant ? », Littérature 111, 1998, pp. 87-110, part. pp. 95-97 et pp. 104-108. Une première version de la présente étude est parue en allemand sous le titre « Erotische Katharsis in der melischen Kultdichtung der frühgriechischen Poleis », in Martin Vöhler & Bernd Seidensticker (éds), Katharsiskonzeptionen vor Aristoteles, Zum kulturellen Hintergrund des Tragödiensatzes, Berlin – New York, de Gruyter, 2007, pp. 119-148.
2 Bruno Snell dans un chapitre intitulé « Das Erwachen der Persönlichkeit in der frühgriechischen Lyrik », in Die Entdeckung des Geistes. Studien zur Entstehung des europäischen Denkens, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 19753 [1948], pp. 56-81 (p. 81 pour la citation) ; pour le « Lyrisches » selon Goethe en comparaison avec la poésie de Sappho, voir Claude Calame, « Identifications génériques entre marques discursives et pratiques énonciatives : pragmatique des genres ‘lyriques’ », in Raphaël Baroni & Marielle Macé (éds.), Le savoir des genres, Rennes, La Licorne, 2006, pp. 35-55.
3 Ont été successivement cités et traduits Alcman fr. 59 (a) Page-Davies, Anacréon fr. 413 Page, et Sappho fr. 130, 1-2 Voigt. Les détails techniques de l’utilisation d’une formule qui connaît dans la poésie encore d’autres variations sont abordés dans mon étude « Diction formulaire et fonction pratique dans la poésie mélique archaïque », in F. Létoublon (éd.), Hommage à Milman Parry. Le style formulaire de l’épopée homérique et la théorie de l’oralité poétique, Amsterdam, Gieben, 1998, pp. 215-222 ; voir aussi Gregory Nagy, Poetry as Performance. Homer and Beyond, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, pp. 94-100. Quant aux effets physiques contradictoires provoqués par Eros, voir infra n.28.
4 Ces différentes conditions de communication de la poésie érotique sont évoquées dans mon ouvrage, Le Récit en Grèce ancienne. Enonciations et représentations de poètes, Paris, Belin, 20002, pp. 101-145 ; voir encore infra § 4.3.
5 Sur ces différentes situations d’énonciation impliquant du point de vue énonciatif des scénarios poétiques différents, je me suis expliqué à plusieurs reprises, en dialogue avec d’autres érudits : cf. Claude Calame, L’Eros dans la Grèce antique, Paris, Belin, 20022, pp. 17-27 et Claude Calame, « Deictic Ambiguity and Auto-Referentiality. Some Examples from Greek Poetics », Arethusa 37, 2004, pp. 415-443, part. pp. 415-423, notamment pour les indispensables références aux travaux de ces savants.
6 Aristote, Poétique 6, 1449b 24-36 ; voir aussi 6, 1450a 7-23 et 1450b 15-20. On a été jusqu’à estimer que ce passage correspond à une glose insérée tardivement dans le texte : cf. dernièrement à ce propos Claudio W. Veloso, « Aristotle’s Poetics Without Katharsis, Fear, or Pity », Oxford Studies in Ancient Philosophy 23, 2007, pp. 255-284, part. pp. 266-275.
7 Les enjeux de la controverse sont exposés par Hellmut Flashar, avec la référence précise à chacune des thèses soutenues à ce propos : « Die medizinischen Grundlagen der Lehre von der Wirkung der Dichtung in der griechischen Poetik », Hermes 84, 1956, pp. 12-48, part. pp. 12-18, (aussi, in Matthias Luserke (éd.), Die Aristotelische Katharsis. Dokumente ihrer Deutung im 19. und 20. Jahrhundert, Hildesheim – Zürich – New York, Olms, 1991, pp. 289-325) ; ces enjeux sont bien résumés par Donald W. Lucas, Aristotle. Poetics, Oxford, Clarendon Press, 1968, pp. 275-278. Sur la « purgation », voir Jonathan Lear, « Katharsis », in Amelie Oksenberg Rorty (éd.), Essays on Aristotle’s Poetics, Princeton, Princeton University Press, 1992, pp. 315-340. On a encore proposé de comprendre l’expression tô̱n toioúto̱n pathe̱máto̱n comme un génitif objectif : l’épuration se produirait dans l’action tragique elle-même ; sur les différentes possibilités de l’interprétation syntaxique d’un énoncé pour le moins ambigu, voir la mise au point de Wolfgang O. Schadewaldt, « Furcht und Mitleid ? Zur Deutung des Aristoteles Tragödiensatzes », Hermes 83, 1955, pp. 129-171, part. pp. 148-150 (aussi in Luserke (éd.) 1991, pp. 246-288) ; références complémentaires chez Donato Loscalzo, « Catarsi tragica », Quaderni Urbinati di Cultura Classica 104, 2003, pp. 67-84, part. pp. 72-79.
8 Selon la proposition (inversée) de Schadewaldt, 1955 (art. c., n. 7), pp. 129-131 et pp. 137-143, qui au traditionnel « Furcht und Mitleid » préfère à raison « Schrecken und Jammer » (ou « Schauder und Rührung ») ; sur la « pitié », voir également David Konstan, Pity Transformed, London, Duckworth, 2001, pp. 62-67. Pour la question essentielle de la traduction transculturelle des émotions, voir par exemple Anna Wierzbicka, Emotions Across Languages and Cultures, Cambridge, Cambridge University Press, 1999 ; en général Claude Calame, « Interprétation et traduction des cultures. Les catégories de la pensée et du discours anthropologiques », L’Homme 163, 2002, pp. 51-78.
9 On comparera par exemple Aristote, Poétique 6, 1449b 8-10 avec 1, 1447a 21-22 ou 1, 1447b 25 ; pour le mélos du chœur tragique dans ses différentes interventions, voir 12, 1452b 19-24. Le mélos ainsi que le spectacle sont naturellement exclus de la poésie épique, qui est purement narrative : 24, 1459b 8-12. Pour le sens de mélos en combinaison avec celui de harmonía, cf. Jean-Louis Labarrière, « Le caractère musical de la voix chez Aristote. Apotasis, melos, dialektos », Philosophie Ancienne 2, 2002, pp. 89-108, part. pp. 99-101, ainsi que le commentaire de Lucas, 1968 (o. c., n. 7), pp. 57-58, p. 61 et p. 98 (texte mal assuré).
10 Aristote, Poétique 17, 1455b 15 ; cf. Euripide, Oreste 1646-1652 et Iphigénie en Tauride 1189-1204 (cf. 1163).
11 Aristote, Rhétorique 2, 8, 1386a 17-36 ; il y aurait donc purification des passions par identification du public avec les protagonistes de l’action tragique : voir à ce propos les propositions intéressantes développées par Pierre Destrée, « Education morale et catharsis tragique », Les Etudes philosophiques 4, 2003, pp. 518-540, part. pp. 522-531. Sur les rapports entre Poétique et Rhétorique, voir Alexander Nehamas, « Pity and Fear in the Rhetoric and the Poetics », in Amelie Oksenberg Rorty (éd.), Essays on Aristotle’s Poetics, Princeton, Princeton University Press, 1992, pp. 94-140, ainsi que Ismene Lada-Richards, « ‘Empathic Understanding’ : Emotion and Cognition in Classical Dramatic Audience-Response », Proceedings of the Cambridge Philological Association 39, 1991, pp. 90-140, part. pp. 122-125, qui parle de « compréhension empathique ». Importantes sont à cet égard les remarques de David Konstan, The Emotions of the Ancient Greeks. Studies in Aristotle and Classical Literature, Toronto, University of Toronto Press, 2006, pp. 107-121.
12 Aristote, Politique 8, 7, 1341b 19-42a 28 ; sur les effets de la musique par l’intermédiaire des affects, cf. encore Premiers Analytiques 2, 27, 70b 7-12. On se souviendra qu’au début de la Poétique 1, 1447a 27-28, Aristote indique que les rythmes chorégraphiques sont susceptibles d’imiter les caractères (é̱the̱), les actions (práxeis) et les émotions (páthe̱). Dans son commentaire à ce passage de la Politique, Andrew Ford, « Catharsis : The Power of Music in Aristotle’s Politics », in Penelope Murray, Peter Wilson (éds), Music and the Muses. Culture of Mousike in the Classical Athenian City, Oxford, Oxford University Press, 2004, pp. 309-336, part. pp. 327-333, concentre l’attention sur les effets émotionnels provoqués par les mélodies et non par les mots.
13 Aristote, Politique 8, 6, 1341a 18-b 9 ; Aristote oppose ici le charme exercé par les belles mélodies au plaisir commun, au plaisir naturel (koiné̱, physikè̱ he̱doné̱) provoqué par toute musique (8, 5, 1340a 3-7) : cf. Hellmut Flashar, « Die musikalische und die poetische Katharsis », in Vöhler & Seidensticker (éds), 2007 (o. c., n. ;1), pp. 173-179, pour le rapport avec la tragédie dans la Poétique. Dans la légende, Athéna est la victime du mimétisme déformant du jeu sur l’aulos : cf. Pindare, Pythique 12, 5-27, avec le commentaire de Zozie Papadopoulou & Vinciane Pirenne-Delforge, « Inventer et réinventer l’aulos : autour de la XIIe Pythique de Pindare », in Pierre Brulé & Christophe Vendriès (éds), Chanter les dieux. Musique et religion dans l’Antiquité grecque et romaine, Rennes, Presses Universitaires, 2001, pp. 37-58, part. pp. 44-47. Pour les effets curatifs de l’enthousiasme poétique, cf. infra n. 18.
14 Aristote, Politique 8, 6, 1342a 15-16, avec le commentaire sensible de Stephen Halliwell, « La psychologie morale de la catharsis. Un essai de reconstruction », Les Etudes philosophiques 4, 2003, pp. 499-517, part. pp. 506-517 ; dans cet énoncé conclusif, la classe des harmániai enthousiastikaí est apparemment devenue celle des méle̱ kathartiká. On verra les critiques légitimes que Destrée, 2003 (art. c., n.11), pp. 518-523, adresse à la thèse purement médicale ; voir aussi Goeffroy E.R. Lloyd, In the Grip of Diseases. Studies in the Greek Imagination, Oxford, Oxford University Press, 2003, pp. 184-189. Quant à la composante physique des affections (pathé̱mata) de l’âme, cf. De l’âme 403a 16-28.
15 Jacob Bernays, Zwei Abhandlungen über die aristotelische Theorie des Dramas, Berlin, W. Hertz, 1880. Georg W. F. Hegel, Vorlesungen über die Aesthetik, éd. H. G. Hothe, Berlin, 19702 [1842], cité ici in Werke XV, Frankfurt a/M., Suhrkamp, 1970, III, 416-417 et 422 (trad. fr. par Ch. Bénard, revue par B. Timmermans & P. Zaccaria, Paris, Le Livre de Poche, 1997, II, 571 et 575-576).
16 Gorgias, Hélène 8-9. Pour la question de la culpabilité d’Hélène dans le déclenchement de la guerre de Troie voir les différentes versions et les études que j’ai évoquées dans Poétique des mythes dans la Grèce antique, Paris, Hachette, 2000, pp. 145-167.
17 Gorgias, Hélène 10-11 ; cf. Charles P. Segal, « Gorgias and the Psychology of the Logos », Harvard Studies in Classical Philology 66, 1962, pp. 99-155, part. pp. 104-109, notamment sur la réciprocité entre l’ordre du physique et celui du psychique.
18 Platon, Lois 790de ainsi que Ion 533d-34a et 535e-36c ; la chaîne de l’inspiration poétique est commentée par Penelope Murray, Plato. On Poetry, Cambridge, Cambridge University Press, 1996, pp. 112-116 et pp. 122-125, ainsi que par Lucas, 1968 (o.c., n.7), pp. 279-290 et Roberto Velardi, Enthousiasmòs. Possessione rituale e teoria della comunicazione poetica in Platone, Roma, Ateneo, 1989, pp. 73-98, sur la cure musicale corybantique. D’autres éléments dispersés d’une théorie de la kátharsis qui ne constitue pas chez Platon un système sont cités par Flashar, 1956, pp. 18-26. Théophraste semblait insister sur les vertus curatives de la musique instrumentale définie comme « un mouvement de l’âme susceptible de dissoudre les maux provoqués par les passion. ;» : cf. frr. 87 et 89 Wimmer.
19 Platon, Timée 86d-87a et 88b-89d. cf. Jackie Pigeaud, La maladie de l’âme. Etudes sur la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Paris, Les Belles Lettres, 1981, pp. 27-39.
20 Hippocrate, Airs, eaux, lieux 15, 1-16, 3 ainsi que 4, 1-4 et 21, 1-3 (cf. aussi 7, 6). Sur l’ensemble de ce remarquable système de physiologie et d’anthropologie climatologiques et cosmologiques intégrées, voir les références que j’ai données dans Masques d’autorité. Fiction et pragmatique dans la poétique grecque antique, Paris, Les Belles Lettres, 2005, pp. 237-273.
21 Hippocrate, Airs, eaux, lieux 10, 5-7 et Maladie sacrée 13, 2-4 et 17, 1-4 ; Jacques Jouanna, Hippocrate. La maladie sacrée, Paris, Les Belles Lettres, 2003, LIII-LXII, pp. 102-109 et pp. 122-130, établit, dans un commentaire abondant, les parallèles qui s’imposent entre ces deux traités. Pour d’autres attestations dans les traités hippocratiques de l’époque classique d’explications physiologiques du même type, voir Flashar, 1956 (art. c., n. 7), pp. 26-36, ainsi que le chapitre que Vincenzo Di Benedetto, Il medico e la malattia. La scienza di Ippocrate, Torino, Einaudi, 1986, pp. 35-69, consacre aux troubles psychiques.
22 Pour une analyse sémantique exhaustive des nombreux emplois de kátharsis dans le Corpus hippocratique, voir Heinrich von Staden, « Purity, Purification, and Katharis in Hippocratic Medicin. ;», in Vöhler & Seidenticker (éds), 2007 (o. c., n. 1), pp. 21-51, part. pp. 32-44, voir aussi Fortunat Hoessly, Katharsis : Reinigung als Heilsverfahren. Studien zum Ritual der archaischen und klassischen Zeit sowie zum Corpus Hippocraticum, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2001.
23 Cf. Roseline Dupont-Roc & Jean Lallot, Aristote. La Poétique, Paris, Seuil, 1980, pp. 188-195.
24 Voir par exemple François Ansermet & Pierre Magistretti, A chacun son cerveau. Plasticité neuronale et inconscient, Paris, Odile Jacob, 2004, pp. 165-181, pour l’interface plastique entre capacités neuronales et dispositif psychique, ainsi que Lambros Couloubaritsis, La proximité et la question de la souffrance humaine, Bruxelles, Ousia, 2005, pp. 203-222.
25 Aristote, Poétique 4, 1448b 4-24 (trad. Dupont-Roc & Lallot) ; voir aussi 23, 1459a 17-21 (plaisir procuré par les histoires racontées dans la poésie diégétique) et 13, 1453a 32-39 (plaisir provoqué par l’agencement de l’action dans la comédie et dans la tragédie), avec le commentaire de Dupont-Roc, Lallot, 1980 (o. c., n. 23), pp. 164-169.
26 Homère, Iliade 14, 213-217 (cf. Hésiode, Travaux, 72-79) ; Homère, Odyssée 21, 190-196 et 208-213.
27 Homère, Odyssée 12, 39-46, 1, 55-57 et 17, 514-521 ; Hymne homérique à Apollon, 156-164 notammen. : sur le mimeîsthai choral des Déliades comme « reenactmen. ;», cf. Gregory Nagy, Pindar’s Homer. The Lyric Possession of an Epic Past, Baltimore – London, The Johns Hopkins University Press, 1990, pp. 41-46. Voir les références bibliographiques que j’ai données à ce sujet en 2002 (o. c., n. 5), p. 53, n. 52 ; en particulier sur les effets du chant des Sirènes, cf. Pietro Pucci, The Songs of the Sirens. Essays on Homer, Lanham – Boulder – New York – Oxford, Rowman & Littlefield, 1998, pp. 1-11.
28 Les effets du térpein poétique sont décrits en particulier par Charles Segal, Singers, Heroes, and Gods in the Odyssey, Ithaca-London, Cornell University Press, 1994, pp. 113-132 ; voir aussi Jacqueline De Romilly, « Gorgias et le pouvoir de la poésie », Journal of Hellenic Studies 93, 1973, pp. 155-167, part. pp. 156-160 ; pour la térpsis érotique, voir les nombreuses références indiquées dans mon ouvrage (o. c., n. 5), pp. 53-55 et pp. 58-62.
29 Gorgias, Hélène 15-19 et Ibycos fr. 287 Page-Davies (cf. les textes cités supra n. 3). J’ai exploré les ressorts poétiques de cette physiologie du désir amoureux dans l’ouvrage de 2002 (o.c., n. 5), pp. 30-35, où l’on trouvera des références nombreuses quant aux théories matérialistes et atomistes du regard élaborées par les sages grecs.
30 Sappho fr. 31 Voigt (dans l’une des traductions reproduites par Philippe Brunet, L’Egal des dieux. Cent versions d’un poème de Sappho, Paris, Allia, 1998, p. 113), cité par Pseudo-Longin, Du Sublime 10, 1-2 ; les aspects homériques et hippocratiques des manifestations organiques de la passion amoureuse énumérés par Sappho sont analysés en particulier par Giuliana Lanata, « Il linguaggio amoroso di Saffo », Quaderni Urbinati di Cultura Classica 2, 1966, pp. 63-79, part. pp. 67-73 ; état de la question et interprétation proche de celle proposée par le traité sur le sublime chez Jackie Pigeaud, Sappho. Poèmes, Paris, Payot & Rivages, 2004, pp. 23-55 ; voir notamment Anne P. Burnett, Three Archaic Poets : Archilochus, Alcaeus, Sappho, London, Duckworth, 1983, pp. 230-243.
31 On se référera aux nombreux textes poétiques et philosophiques attestant de cette conception mortifère du pouvoir d’Eros dont j’ai indiqué la référence, avec bibliographie correspondante, en 2002 (o.c., n. 5), pp. 13-16, pp. 49-52 (avec n. 50) et pp. 159-166.
32 Sappho frr. 128 et 96, 4-9 Voigt ; cf. Burnett, 1983 (o.c., n.30), pp. 211-213 (sur « la maison des servantes des Muses » ; fr. 150 Voigt) et pp. 302-313. L’effet d’envoûtement suscité par certaines des compositions de Sappho en relation avec la thélxis érotique a été étudié avec pertinence par Charles P. Segal, « Eros and Incantation : Sappho and Oral Poetry », Arethusa 7, 1974, pp. 139-160, repris dans Aglaia. The Poetry of Alcman, Sappho, Pindar, Bacchylides, and Corinna, Lanham – Boulder – New York – Oxford, Rowman & Littlefield, 1998, pp. 43-61, part. pp. 43-57.
33 Pindare fr. 94 b Maehler ; on trouvera les quelques informations documentaires et bibliographiques à disposition sur la daphnéphorie thébaine et sur les aspects initiatiques du culte rendu à Apollon Isménios à Thèbes dans mon ouvrage Choruses of Young Women in Ancient Greece. Their Morphology, Religious Role, and Social Functions, Lanham – Boulder – New York – Oxford, Rowman & Littlefield, 2001, pp. 59-63 et pp. 101-104.
34 Alcman fr. 1, 50-77 Page-Davies ; cf. Hésiode fr. 298 Merkelbach-West.
35 Par parallèles interposés, j’ai tenté de montrer les valeurs et connotations érotiques des attributs de la chorège dans mon commentaire préalable Les chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque II. Alcman, Roma, Ateneo & Bizzarri, 1977, pp. 86-97.
36 Alcman fr. 1, 87-91 Page-Davies ; cf. Pindare, Néméenne 1, 69-73. Voir à ce propos le commentaire donné en 1977 (o. c., n. 35), pp. 116-128.
37 Une telle ritualisation des émotions sur la scène tragique, en particulier par le biais de la voix du chœur, a été proposée par Diego Lanza, La disciplina dell’emozione. Un’introduzione alla tragedia greca, Milano, Il Saggiatore, 1997, pp. 176-184.
38 Cf. supra n. 3.
39 A propos du décalage amoureux constitutif des relations d’homophilie dont la poésie mélique est l’expression verbale et rituelle, voir la thèse que j’ai défendue dans l’o. c., n.5, pp. 35-46.
40 Bibliographie complémentaire pour l’ensemble du présent article : Stephen Halliwell, « Pleasure, Understanding, and Emotion in Aristotle’s Poetics », in Amelie Oksenberg Rorty (éd.), Essays on Aristotle’s Poetics, Princeton (Princeton University Press), 1992, pp. 241-260 ; Diego Lanza, Aristotele. Poetica, Milano, Rizzoli, 1987 ; Velvet Yates, « A Sexual Model of Catharsis », Apeiron 31, 1998, pp. 35-57.