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Les martyrs chrétiens et l’inversion des émotions

Guy G. STROUMSA

Université d’Oxford, Université Hébraïque de Jérusalem

« Voici que se leva le jour brillant de leur victoire et ils quittèrent la prison pour se rendre à l’amphithéâtre, comme s’ils allaient au ciel, joyeux, le visage serein ; s’ils frémissaient, c’était de joie et non de peur (si forte gaudio pauentes non timore ; ptooumenoi ei tuchoi charai mallon e phoboi). Perpétue marchait à leur suite, le visage lumineux et la démarche tranquille, comme une matrone unie au Christ »1

Dans ce passage de la Passion de Perpétue et de Félicité, l’un des plus célèbres Actes des Martyrs dans l’empire romain, le martyr ne s’efforce pas tant de maîtriser ses émotions, comme le sage stoïcien avait appris à dominer ses passions, que de les transformer. Alors que le public s’attendrait à voir frémir de peur celui ou celle qui va consciemment à sa mort, le martyr ne marche pas seulement d’un pas ferme et tranquille, épanoui, comme allant vers la victoire au combat. Pour surmonter sa peur devant le supplice qui l’attend, le martyr ne l’a pas tant supprimée que transformée en l’émotion opposée, la joie. La littérature chrétienne ancienne nous a laissé plusieurs témoignages similaires décrivant ainsi le martyr. Pour ne citer qu’un exemple, on peut se référer à Irénée, le jeune évêque de Sirmium, en Pannonie, martyrisé en 304. Au préfet Probus, qui lui demande de sacrifier aux dieux, il répond qu’il ne sacrifie qu’au Dieu unique. Soumis à la torture, les femmes présentes le supplient d’agréer à la demande du préfet et de prendre sa jeunesse en pitié. Mais il s’obstine, « emporté par une passion bien plus puissante (meliore cupiditate detentus) »2.

Dans ce sens, il s’agit d’une attitude qui est fort éloignée de celle du sage stoïcien, qui a appris à pratiquer l’apatheia, la neutralisation des passions, plutôt que leur absence, dans la conduite de ses affaires dans le monde – la séparation totale entre la passivité du corps et l’activité de l’intellect – qui a réussi à se libérer des émotions et passions. A l’encontre du philosophe, le martyr ne s’efforce pas de supprimer ses émotions, mais se situe, au contraire, dans un paroxysme émotionnel3.

Certains au moins des martyrs chrétiens des premiers siècles, ceux qu’on appelle les martyrs volontaires, se désignaient eux-mêmes aux autorités romaines comme chrétiens, fièrement, sachant pertinemment qu’une telle attitude les condamnait à une mort certaine. Ils représentent un phénomène étrange, qui était déjà reconnu comme tel à l’époque4. Dans quelle mesure sont-ils des biothanatoi, ceux dont la mort a été violente (biothanes), une importante catégorie dans la pensée ancienne, même si sa définition n’est pas toujours claire5. Les officiels romains, d’ailleurs, restaient parfois pantois devant un tel désir suicidaire. Ainsi, C. Arrius Antoninus, gouverneur d’Asie Mineure sous Commode, était incapable de comprendre pourquoi des gens désirant tant la mort ne se jetaient pas dans un précipice, ou ne se pendaient pas, plutôt que de laisser la tâche ingrate aux autorités romaines6. A Pionios, martyrisé à Smyrne au milieu du IIIe siècle, on demande, au milieu des supplices qu’il subit pour s’obstiner dans son refus de sacrifier : « Pourquoi aspires-tu a la mort ? » Et lui de répondre : « Non à la mort, mais à la vie7 ».

De même, certains parmi les premiers penseurs chrétiens (pas tous, certes), tel Clément d’Alexandrie, vers la fin du second siècle, s’opposent à l’idée du martyre volontaire, et le condamnent comme une perversion de la religion vraie. Le martyre volontaire, un phénomène religieux surtout documenté dans l’empire romain, même s’il se reproduisit ailleurs, comme en Andalousie musulmane, exhibe une violence radicale8. Malgré la pléthore d’études parues, et continuant à paraître, sur les martyrs dans le christianisme des origines, il reste encore aujourd’hui très mal expliqué.

On a récemment essayé de comparer les martyrs volontaires au phénomène contemporain des kamikazes, ou hommes (et femmes) bombes, qui, un peu partout dans le monde, mais surtout dans les sociétés islamiques ou à partir d’elles, se font exploser dans l’espoir de tuer avec eux autant de personnes que possible, semant ainsi la terreur dans la population. Soulignons que le terme arabe pour un tel terroriste shahid (pluriel shuhada), littéralement « témoin », « martyr », est un calque du terme chrétien, martys en grec et sahed, sahada en syriaque.

La question est de toute urgence : l’étude d’un phénomène du monde ancien peut-elle nous offrir certaines intuitions sur la nature d’un phénomène grave et préoccupant pour les sociétés contemporaines ? Et vice-versa, les exemples actuels de « martyrs » volontaires peuvent-ils nous éclairer sur des phénomènes que nous ne pouvons connaître que grâce aux sources ? En d’autres mots, l’histoire et l’anthropologie peuvent-elles ici se prêter mutuellement secours ? 9 Un récent et remarquable film palestinien, Paradise Now, réussit à représenter de façon convaincante le flux d’émotions différentes, et parfois contraires, qui s’emparent de ces jeunes volontaires pour des missions suicides. Dans un article intitulé « The motivation of martyrs : Perpetua and the Palestinians », Jan Bremmer, un excellent historien de la religion dans le monde ancien, a tenté de comparer les deux phénomènes10. Ecrivant au plus fort de la « deuxième Intifada », quand les autobus explosaient sans répit dans les rues de Jérusalem et d’autres villes israéliennes, l’auteur insiste, à juste titre, sur les conditions politiques – l’occupation des territoires palestiniens – dans lesquelles s’inscrit l’activité des « martyrs ». Les profondes frustrations causées par cette occupation et les conditions de vie de nombreux palestiniens ne sont certes pas sans attiser la haine et la soif de revanche. Mais nous savons aujourd’hui (et les interrogatoires des « candidats au suicide » n’ayant pas réussi à accomplir leur mission, pour une raison ou pour une autre, le confirment) que c’est à d’autres sources qu’il faut chercher pour expliquer le phénomène. Bremmer n’a pas assez insisté, me semble-t-il, sur le fait que seules de profondes motivations religieuses peuvent expliquer une telle volonté de mort, accompagnée par la promesse des délices paradisiaques accordés au « martyr ». Les atrocités quotidiennes à Bagdad, par exemple, entre chiites et sunnites, sont là pour nous le rappeler : il s’agit avant tout d’un comportement religieux, alimenté par des passions religieuses. Si tel est le cas, la question des émotions chez les martyrs se doit d’être posée dans le cadre du système religieux dans lequel leur martyre s’inscrit.

Or, on peut affirmer sans forcer les choses, que l’une des grandes contributions du premier christianisme (une contribution qui n’a pas assez retenu l’attention des historiens) fut justement son affirmation de la puissance du paradoxe dans l’expression des émotions, et la transformation dialectique qu’il permit des émotions en leur contraire11. La souffrance et la mort du Christ, homme-dieu, résument cette puissance accordée aux expériences paradoxales dans les débuts même de la nouvelle foi, une puissance reconnue, et utilisée, par Paul. Source de vie éternelle, la mort du Christ transforme la tristesse du croyant en joie, et les tribulations présentes ne sont que l’annonce de la joie éternelle à venir, ainsi que l’affirme I Pierre :

C’est là ce qui fait votre joie, quoique maintenant, puisqu’il le faut, vous soyez attristés pour un peu de temps par diverses épreuves, afin que l’épreuve de votre foi, plus précieuse que l’or périssable (qui cependant est éprouvé par le feu), ait pour résultat la louange, la gloire et l’honneur, lorsque Jésus-Christ apparaîtra12.

Une telle juxtaposition de tristesse présente et joie future se retrouve certes dans toute la tradition eschatologique hébraïque dont hérite le premier christianisme. Ce dernier, cependant, grâce surtout à la particularité de la personne de Jésus-Christ, et à la réalisation présente de l’attente eschatologique, donne une puissance nouvelle à cette juxtaposition. C’est maintenant hic et nunc, grâce à la foi en la personne de Jésus-Christ, que la tristesse est transformée en joie. La persécution des premiers chrétiens, perçue par eux comme leur permettant, mutatis mutandis, de revivre la Passion de Jésus, elle-même devient donc, dès les débuts du christianisme, l’occasion pour eux de se réjouir de l’inversion totale des valeurs, de la rupture radicale avec le monde présent. Nietzsche avait bien perçu la force de cette transformation des valeurs, qu’il abhorrait. Dans le monde romain, où la nouvelle religion reste jusqu’en 312 religio illicita, choisir la mort équivaut à une mimesis de la passio Christi. Ainsi, pour Pionius et ses compagnons, accepter le martyre signifie la promesse d’une joie éternelle13.

Dans Rome et le martyre, Glen W. Bowersock proposa de considérer le martyre chrétien comme un phénomène nouveau, ne pouvant être compris que dans le contexte urbain sous l’empire romain, sans véritables antécédents juifs ou païens. Il rejetait ainsi la conception traditionnelle voyant dans le martyre chrétien l’héritier direct de la tradition martyrologique juive depuis la révolte maccabéenne14. On a pu à juste titre s’étonner d’une telle approche, et penser qu’elle équivaut à dénier au christianisme ses racines juives15. Et pourtant, l’intuition de Bowersock souligne ce que le martyre chrétien, en particulier le martyre volontaire, a d’original. Même si les martyrs juifs annoncent les martyrs chrétiens et semblent leur offrir un parallèle naturel, ces derniers agissent dans le cadre d’une théologie bien particulière, et leur effort vers l’imitatio Christi ne trouve pas d’équivalent dans la tradition juive16.

Par ailleurs, on peut comparer les martyrs chrétiens aux quelques excentriques dont nos sources décrivent l’immolation publique, dans une mise en scène théâtrale, tel le faux prophète Pérégrin si bien décrit par Lucien de Samosate17. De même, Dion Cassius rapporte le cas d’un philosophe indien, arrivé avec une ambassade à Athènes, sous Auguste, et initié aux mystères d’Eleusis, qui, « afin de préserver à son maximum sa joie de vivre » s’étant oint, sauta en riant dans un bûcher funéraire, « selon la coutume de son pays ». Malgré le rire du brahmane au moment de son immolation, ce phénomène n’est pas vraiment l’équivalent du martyre chrétien18.

Bowersock a bien mis l’accent sur la nouveauté radicale du martyr volontaire chrétien, mais sans pouvoir vraiment l’expliquer. Cette difficulté vient peut-être du fait qu’il n’a pas assez souligné le contexte religieux des martyrs chrétiens, qui seul permet de mieux comprendre ce phénomène étrange19. C’est à cela que je voudrais ici accorder mon attention. En se demandant il y a une génération, à propos de certains phénomènes d’encratisme radical dans le premier monachisme chrétien, « d’où pouvait bien provenir toute cette folie ? », E. R. Dodds avait noté la nouvelle intensité du sentiment religieux sous les premiers siècles de l’Empire20. On peut affirmer que si les chrétiens ne furent pas les premiers, ou les seuls, à exprimer cette nouvelle intensité, il semble bien qu’ils surent, mieux que d’autres, la cultiver. Si les martyrs chrétiens, en particulier, représentent un phénomène sui generis, c’est parce qu’ils reflètent, tout simplement, une nouvelle forme de religion. Dans un ouvrage récent, j’ai tenté d’élucider certains aspects de cette nouvelle perception de la religion, en proposant de voir dans « la fin des sacrifices », l’abandon, dans l’antiquité tardive, des sacrifices animaux comme étant au cœur même de toute praxis religieuse. Dans le monde religieux des premiers siècles de notre ère, où les sacrifices représentent encore, à travers l’empire romain, la norme religieuse (même si, dans le cas du judaïsme après la destruction du Temple de Jérusalem en 70, cette norme ne peut être appliquée), la conception chrétienne du sacrifice de Jésus-Christ, avec ses vertus expiatoires, représente une exception. Dès ses débuts, le christianisme représente une religion qui ne peut être appelée sacrificielle que de façon métaphorique. Au cœur de la liturgie chrétienne, on trouve l’anamnesis, la re-présentation, du seul sacrifice véritable, celui du Fils unique de Dieu, mort en assumant les péchés des hommes, et ressuscité, une fois pour toutes, et ayant offert à tous (ou au moins à tous ceux qui croient en lui) la victoire sur la mort et la vie éternelle. La liturgie chrétienne répète donc, même si le sang est vin et la chair est pain, le sacrifice du Fils de Dieu.

Or le martyr, qui accepte volontairement la mort, assume ainsi une adéquation au sort de Jésus-Christ, effectue l’imitatio Christi de la façon la plus concrète possible. Il devient donc lui-même, ainsi, le sacrifice21. Ainsi Irénée, l’évêque de Sirmium, auquel référence a déjà été faite : au préfet qui lui ordonne de sacrifier, il répond : « c’est par la confession de ma foi que je sacrifie à Dieu, à qui j’ai toujours sacrifié »22. En refusant de sacrifier à des démons, Irénée est conscient du fait qu’il se condamne à mort, et s’adresse ainsi au préfet : « Je serai heureux si tu me forces à partager les souffrances de mon Seigneur »23. La torture et la mort qui l’attendent, Irénée les voit donc comme l’occasion de pratiquer l’imitatio Christi, et donc d’être, comme Lui, transformé en sacrifice expiatoire pour le genre humain.

A ce sujet, l’historien de l’art Jas Elsner a bien montré comment l’iconographie romaine des premiers siècles présente le martyre comme un sacrifice animal24. Mais le martyre est un sacrifice humain, pas un sacrifice animal. Or s’il y a dans le monde romain un limes spirituel, séparant civilisation de barbarie, c’est bien le sacrifice humain25. Dans le monde romain, le martyr chrétien, acceptant sa mort avec joie, plutôt qu’avec sérénité, pouvait donc apparaitre comme un scandale.

Depuis l’Essai sur la nature et la fonction du sacrifice d’Hubert et de Mauss (1899) et la Thémis de Jane Harrison (1912), on reconnaît l’importance de l’acquiescement de l’animal à son sacrifice dans les systèmes sacrificiels du monde ancien. L’esprit d’une victime non consentante, en effet, chercherait vengeance. Ainsi que l’écrit Jean-Pierre Vernant, « Il ne suffit pas que l’animal soit, d’un bout à l’autre, conduit sans violence, sans lien, sans qu’on la force, de son plein gré ; la bête est aussi censée donner par un mouvement de tête ou un frisson du corps son assentiment au coup qui va l’atteindre ; à la limite elle se précipite elle-même dans le feu sacrificiel »26.

La lecture des Actes des martyrs chrétiens dans le contexte des attitudes religieuses du monde ancien s’impose. Ainsi, La Passion de Perpétue et de Félicité nous présente les martyrs « forcés à revêtir un costume, pour les hommes celui des prêtres de Saturne, pour les femmes celui des prêtresses de Cérès »27. Le martyr est ainsi déguisé, un peu comme le pharmakos dans la cité ancienne, un pauvre homme qu’on revêtait de vêtement somptueux, ou sacrés, avant de l’immoler au nom de la cité tout entière – un peu comme Jésus lui-même, roi des juifs, est crucifié avec sa couronne grotesque28.

La force que tire le martyr de son acceptation de la mort provient d’une transformation profonde des structures psychologiques, qui n’a pas été assez soulignée. Aline Rousselle, à ce sujet, parle des « coupures anthropologiques » de l’antiquité tardive29. Dès ses débuts, le christianisme insiste sur le fait que ce qui se passe après la mort est infiniment plus important que les événements de cette vie terrestre. Même si les chrétiens ne sont pas les seuls à affirmer l’importance de la vie post mortem, ils le font de façon plus radicale que tout autre groupe religieux. Il s’agit ici d’une véritable révolution psychologique, peut-être de la plus radicale des révolutions psychologiques dans l’histoire. C’est cette transformation historique de la psyché qui à la fois permet et souligne l’insistance des chrétiens pour lesquels accepter la mort, c’est choisir la vraie vie. S’il y a une histoire de la psyché, il y a aussi une histoire des émotions. Et c’est dans ce chapitre capital de l’histoire des émotions que nous devons situer le martyr volontaire chrétien. Relisons donc certains textes clefs.

Glen Bowersock a insisté, à juste titre, sur la fréquence avec laquelle les récits martyrologiques mentionnent joie rayonnante, sourires, et même rire chez les chrétiens prêts à subir le martyre30. De même, Jan Bremmer donne plusieurs exemples où les martyrs expriment leur joie face au supplice et à la mort imminente. Ainsi Perpétue et ses compagnons, martyrisés, très probablement, dans le cirque de Carthage, le 7 mai 203, se réjouissent à l’idée d’obtenir une part des souffrances du Seigneur31. De même, Carpe, probablement martyrisé sous Marc-Aurèle, sourit alors qu’on le cloue à sa croix. Quand on l’interroge sur le sens de ce rire étrange (Quid risisti ?), il répond : « J’ai vu la gloire du Seigneur et en ai été heureux, car maintenant, je suis libre de vous et n’ai plus part à vos péchés »32. De même, Agathonice se jette avec joie (agalliômenê) sur le bûcher33.

Cette joie de mourir est en fait une joie de vivre – de vivre la vie éternelle. Ainsi, Apollonius répond au proconsul Perennis, qui l’interroge : « Je suis heureux de vivre (hêdeôs men zô), Perennis, mais je n’ai pas peur de la mort, grâce à mon amour de la vie. Il n’y a rien de plus précieux que la vie – la vie éternelle, j’entends – qui est l’immortalité de l’âme ayant bien vécu sur terre »34. On peut détecter ici l’expression hellénique de valeurs chrétiennes. Pionios, de même, répond à ceux qui lui demandent de sacrifier, par amour de la vie :

Moi aussi, je dis qu’il est bon de vivre, mais ce que nous désirons est encore meilleur. Oui, la lumière, mais la vraie lumière. Oui, certes, tout cela est bon. Nous n’avons pas le goût de la mort, nous ne détestons pas les œuvres de Dieu, et nous ne fuyons pas ; mais c’est la supériorité d’autres grands biens qui nous fait mépriser ceux-ci, qui sont des pièges35.

Comme ce texte le montre, le paradoxe de l’acceptation joyeuse de la mort n’est qu’une illusion : c’est à l’idée de la vie éternelle qui lui est promise que le martyr se réjouit. Sa foi lui permet de voir ce que les païens ne savent pas reconnaître, eux qui, sacrifiant aux idoles, restent pris dans leur rets. Ainsi, c’est la promesse non seulement de vie éternelle, mais d’une entrée immédiate au paradis céleste, qui permet au martyr de se réjouir en courant à la mort : « … c’est avec joie, pas avec peur, qu’ils vinrent au lieu du martyre » ainsi nous sont présentés Montan et Lucius36.

Si la peur est transformée en joie, et la mort terrestre en vie céleste, ne nous étonnons pas que le martyr nous soit présenté comme ne souffrant pas lors du supplice. Ainsi, dans ces mêmes Actes de Montan et Lucius (probablement martyrisés à Carthage en 259), Flavien est rempli de joie (exinde iam gaudens) dès la sentence prononcée, certain maintenant de son martyre. Dans sa joie, il dicte ses visions :

Voici la vision que j’ai eue quand notre évêque Cyprien était notre seul martyr. Je crus avoir demandé à Cyprien si le coup de grâce était douloureux ; en tant que futur martyr, je voulais recevoir son conseil sur comment surmonter la douleur. Sa réponse fut : « C’est un autre corps qui souffre quand l’âme est aux cieux. Le corps ne ressent absolument rien quand l’esprit est entièrement absorbé par Dieu »37.

Je propose d’appeler le phénomène remarquable décrit ici un « docétisme inversé ». De même que certains parmi les premiers chrétiens, pour échapper au paradoxe du Messie (ou d’un Messie divin) ayant souffert, avaient imaginé que Jésus n’avait pas vraiment été crucifié (de même qu’Isaac, attaché sur l’autel par son père, n’avait pas été sacrifié, et qu’un bélier lui avait été substitué [Genèse 22]). Les racines et la nature du docétisme, l’une des toutes premières hérésies, ne sont pas de notre propos présent. Notons toutefois que les tendances docétiques et gnostiques dans le christianisme ancien semblent souvent se superposer, et qu’il est pratiquement impossible de tracer une limite nette entre les deux. Chez certains penseurs gnostiques, tel Basilide, il semble bien que la tendance docétisme ait été liée au rejet du martyre : si Jésus-Christ lui-même n’a pas vraiment souffert sur la croix, il n’y a pas de raison pour que les chrétiens offrent aux puissances démoniaques qui dominent ce monde le plaisir de leur faire souffrir le martyre. Ainsi, ces penseurs gnostiques recommandent aux chrétiens, quand ils n’ont pas le choix, de renier leur foi aux autorités impériales, ou d’accepter de sacrifier aux idoles, afin de sauver leur vie. Une telle attitude, qui est bien connue, sous le nom de taqqyya, dans la tradition shi’ite, ne provoqua pas seulement l’approbation.

Dans un article récent, et dans un autre, écrit en collaboration avec Ronnie Goldstein, j’ai étudié divers aspects du docétisme, en essayant de cerner les racines grecques et juives du phénomène38. Je me suis arrêté, en particulier, à certains textes gnostiques décrivant le Christ comme riant aux cieux, en voyant l’erreur des archontes, croyant l’avoir crucifié alors que c’est son sosie, le pauvre Simon de Cyrène, qui souffre à sa place sur la croix. Mon argument portait en partie sur ce rire du Christ, l’identifiant à Isaac (ytzhak, il rira). Le rire du Christ, dans ces textes et traditions gnostiques, trouve son écho dans le rire éternel promis par le salut.

Parlant au peuple, Pionios dit : « Si je pouvais vous persuader de devenir chrétiens ! » Mais eux éclatèrent de rire très fort, en disant : « Tu ne peux pas nous faire brûler vivants ». Pionios dit : « Il est bien pire de brûler après sa mort ». Comme Sabine souriait, le néocore et ses gens dirent : « Tu ris (gelas) ? » Elle répondit : « Si Dieu le veut, oui ; car nous sommes chrétiens ; or tous ceux qui croient au Christ sans doute aucun riront dans une joie éternelle (gelasousin en charai aidioi) ». [Ils lui dirent : « Toi, tu vas subir ce que tu ne veux pas ; car celles qui ne sacrifient pas sont exposées au bordel ». Elle répondit : « Dieu saint y pourvoira »]39.

Une telle attitude ne peut que convaincre les juges (et la majorité du public) que ces candidats au suicide sont des fous. Quand le proconsul qui interroge Pionios apprend que ce dernier enseigne les chrétiens, il lui demande : « Tu étais maître de folie (tês morias didaskalos es) ? » Réponse : « De piété »40.

La même insistance sur le mépris des martyrs pour la souffrance physique, un mépris souligné par leur joie et leur rire, se retrouve dans Les martyrs de Palestine, ou Eusèbe de Césarée célèbre les martyrs des persécutions de Dioclétien, au début du IVe siècle, juste avant la paix de l’Eglise. Quand on ordonne à Procope de sacrifier, « le saint martyr de Dieu éclata de rire en se moquant de ses paroles ». Pour Agapius de Gaza, de même, c’est « avec un esprit joyeux » qu’il accepte sa sentence41. Et voici une description de martyrs sur le bûcher :

Et quand ils furent apportés aux flammes, ils se jetèrent dans elles sans peur, se consacrant eux-mêmes, comme quelque chose de plus acceptable que tout encens ou oblation, et présentèrent à Dieu, le roi de tous, leur corps, comme une offre de paix, meilleure que les sacrifices42.

Dans un ouvrage important, Richard Sorabji accorde un chapitre au passage de l’idéal stoïcien de l’apatheia, ou éradication des émotions, aux théologiens chrétiens de l’antiquité. Il traite, en particulier, de Clément d’Alexandrie, le premier des penseurs patristiques à avoir subi une profonde influence stoïcienne. Pour Clément, la libération totale des émotions n’est possible qu’après la venue du Christ, la seule personne à avoir été complètement étrangère à elles. Clément prêche l’apatheia aux chrétiens, avec toutefois deux exceptions : ni l’amour (en particulier l’amour de Dieu), ni la pitié (un héritage de la théorie aristotélicienne de la catharsis) ne détruisent l’apatheia de principe43.

Si Clément admire les sages stoïciens, c’est parce qu’ils savent que l’âme reste indifférente (il utilise ici le concept stoïcien d’adiaphoron) à ce qui arrive au corps44. Pour Clément, donc, l’amour est en son essence profondément différent de la peur, une émotion produite par la Loi45. Dans le quatrième livre de ses Stromata, Clément offre une longue discussion sur le martyre. Pour lui, le véritable martyr chrétien est le Gnostique, qui a appris à se conduire selon les principes de l’Evangile, un texte établissant la psyché sur l’amour, plutôt que sur la peur, comme la Torah, et qui permet donc au véritable chrétien, le Gnostique, d’abandonner famille, richesse et possessions, afin de mener une vie délivrée des passions46.

Si le véritable martyr est le gnostique, qui témoigne dans sa vie libérée des passions et des émotions de Jésus-Christ, Clément n’a pas grande sympathie pour ceux qui, s’offrant a la persécution, deviennent ainsi les complices des persécuteurs. Pour lui, Jésus Christ ne commande ni de fuir la persécution, ni de la rechercher – comme s’il s’agissait ici d’appliquer le concept stoïcien des adiaphora47.

Après Clément, c’est une attitude toute différente vis-à-vis du martyre qu’affiche Origène. N’oublions pas qu’alors que Clément était un converti, le jeune Origène avait été témoin du martyre de son père, et n’avait lui-même échappé au martyre que de près, lors de la persécution de Septime Sévère48. Pour Origène, les martyrs, dans leur mépris serein de la mort, montrent la voie aux plus faibles, pour les aider à maitriser leur anxiété face à la mort49. C’est surtout dans son Exhortation au martyre qu’il développe ses idées sur le sujet. Ce texte reflète la tension entre un vocabulaire issu de la tradition stoïcienne qui avait marqué Clément. Les martyrs, imitateurs des sept frères de II Maccabées, appartiennent à une race élue, et savent se dénier eux-mêmes en portant leur croix, et en luttant, en public comme en secret, avec le monde. D’autre part, Origène utilise le vocabulaire stoïcien pour parler de la paix profonde et du calme, du repos, dont jouit le martyr50. Ce vocabulaire stoïcien laisse croire que le martyr est passé au delà des émotions. Origène aborde d’ailleurs directement la question des émotions, en écrivant que le martyr réussit à ne sentir aucune honte en souffrant des indignités honteuses51. Mais cet « au delà de la honte » n’est pas simplement dû à la suppression des émotions. En effet, c’est parce qu’il sait qu’il va être assis à la droite de Dieu au paradis céleste que le martyr conquiert la honte, un sentiment naturel du point de vue terrestre. Citant ici Jean 15 : 19, Origène ajoute que celui qui est prêt au martyre, se sait être haï et méprisé par « le monde », justement parce qu’il n’est pas de ce monde52. On retrouve donc ici, me semble-t-il, l’inversion des émotions décrite plus haut. Cette lecture est renforcée par le langage métaphorique d’Origène, qui fait encore une fois allusion à Jean (5 : 24 ; cf. I Jean 3 : 14) : « Si nous sommes passés de la mort à la vie par notre passage de l’incroyance à la foi, ne soyons pas surpris que le monde nous haïsse »53.

On voit donc à quel point l’attitude chrétienne, même quand elle s’efforce de se fonder sur des concepts stoïciens, reste éloignée de l’attitude stoïcienne. Il ne s’agit pas tant de séparer, aussi radicalement que possible, l’âme du corps, des émotions et des passions, mais bien de se séparer, âme et corps, de ce bas-monde, afin d’entrer au paradis céleste. De même, l’attitude du martyr chrétien, fondée sur la croyance en Dieu, est profondément différente de celle du gladiateur, ou du héros romain54. C’est en pratiquant une inversion radicale des émotions que le martyr réussit ce défi, en fondant la possibilité même d’une telle inversion sur les textes néotestamentaires et l’exemple de Jésus-Christ lui-même. Si la mort est la vraie vie, c’est parce que Jésus-Christ a vraiment souffert et qu’il est ressuscité. Comme nous l’avons vu, la conception docétique prévient l’acceptation du martyre. C’est la violence du sacrifice divin qui libère des attitudes religieuses qu’on peut appeler enthousiastes, ou fanatiques, et dans lesquelles s’exprime la violence des émotions. Dans les systèmes sacrificiels du monde ancien, violence et émotions étaient contenues, canalisées, et s’exprimaient dans des cadres rituels bien précis. Avec la venue du christianisme et la fin des sacrifices animaux, c’est certes une nouvelle conception de la religion, en même temps qu’un nouveau chapitre dans l’histoire des émotions, qui s’annonce. Avec l’effondrement du système rituel ancien, c’est la vie même, et la vie paroxystique, jusqu’à la mort, qui remplace le rite, et qui se doit de reproduire le mythe central de la nouvelle religion. La formule classique de l’offrande au dieu, do ut des, reçoit un nouveau sens, radical : c’est la vie et la mort mêmes que le dieu et l’homme échangent. La mort du martyr est le nouveau sacrifice. La nature publique, théâtrale, de cette mort implique un rôle nouveau, que le martyr joue avec toute la violence de ses émotions.

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1 Passion de Perpétue et de Félicité, XVIII.1 ; je cite d’après l’édition et traduction de Jacqueline Amat, Passion de Perpétue et Félicité, suivi des Actes, Paris, Sources Chrétiennes 417, 1996, pp. 164-165. Je tiens à remercier Jan Bremmer pour sa lecture critique d’un premier jet de ces pages.

2 Martyrdom of Irenaeus, in Herbert Musurillo (éd. trad.), Acts of the Christian Martyrs, Oxford, Oxford Early Christian Texts, 1972, pp. 296-97. Voir aussi, en particulier pour l’introduction générale et les commentaires, Antonius A.R. Bastiaensen et al. (éds. trads.), Atti e passioni dei martiri, Fondazione Valla, 1987.

3 Pour les influences stoïciennes sur la littérature chrétienne ancienne, voir Michel Spanneut, Le stoïcisme des Pères de l’Eglise, de Clément de Rome à Clément d’Alexandrie, Paris, 1969 [1957], ainsi que Richard Sorabji, Emotion and Peace of Mind, from Stoic Agitation to Christian Temptation, Oxford, 2000.

4 Voir en particulier l’étude détaillée de Christel Butterweck, « Martyriumssucht’ in der Alten Kirche ? Studien zur Dartellung und Deutung fruehchristicher Martyrien », Beiträge zur historischen Theologie 87, Tübingen, 1995. Cf. Anthony Birley, « Voluntary Martyrs in the Early Church : Heroes or Heretics ? », Cristianesimo nella Storia 27, 2006, pp. 99-127 ; et aussi Alessandro Falcetta, « From Jesus to Polycarp : Reflections on the Origins of Christian Martyrdom », Cristianesimo nella Storia 27, 2006, pp. 67-98. Voir aussi Geoffrey De Ste. Croix, « Voluntary Martyrdom in the Early Church », pp. 152-200, in Geoffrey De Ste. Croix, Michael Whitby, Joseph Streeter éds., Christian Persecution, Martyrdom, and Orthodoxy, Oxford, 2006.

5 Voir Louis Robert, Le martyre de Pionios, notes pp. 84-85.

6 Tertullien, ad Scap. 5 ; voir Glen W Bowersock, Martyrdom and Rome, Cambridge, 1995, p. 1, n.1 (traduction française : Rome et le martyre, Paris, 2002).

7 Le martyre de Pionios, prêtre de Smyrne, édité, traduit et commenté par Louis Robert, mis au point et complété par Glen W. Bowersock et Christopher P. Jones, Washington, 1994, XX.5, pp. 44-45.

8 Voir Butterweck, « ‘Martyriumssucht’ in der Alten Kirche ? », pp. 221-224.

9 Voir à ce sujet Guy Nicolas, Du don rituel au sacrifice suprême, Paris, 1996, qui offre une perspective anthropologique sur les « martyrs-suicides » contemporains et la violence fondatrice des identités politiques.

10 Jan Bremmer, « The Motivation of the Martyrs : Perpetua and the Palestinians », in Brigitte Luchesi, Kocku von Stuckrad éds., Religion im kulturellen Diskurs : Festschrift fuer Hans G. Kippenberg zu seinem 65. Geburtstag/Religion in Cultural Discourse. Essays in Honor of Hans G. Kippenberg on the Occasion of his 65th. Birthday, Berlin, New York, 2004, pp. 534-554.

11 Voir Antigone Samellas, Alienation in Late Antiquity : the Experience of the Eastern Mediterranean (50-600 A.D), Bern, 2009. Je remercie l’auteur pour m’avoir permis de lire le manuscrit de cette étude remarquable.

12 I Pierre, 1 : 1-6 ; voir Wolfgang Nauck, « Freude im Leiden : zum Problem einer urchristlichen Verfogungstradition », Zeitschrift fuer Neutestamentliche Wissenschaft 46,1955, pp. 68-80.

13 Voir Martyre de Pionios, VII.5, 24, 37. Cf. Judith Perkins, The Suffering Self : Pain and Narrative Representation in the Early Christian Era, Londres, New York, 1995, chapitre I : « Death as a Happy Ending », pp. 15-40.

14 L’étude classique est William H.C. Frend, Martyrdom and Persecution in the Early Church : A Study of a Conflict from the Maccabees to Donatus, Oxford, 1965. Pour une excellente étude comparative du phénomène, incluant une anthologie, voir Jan W. van Henten et Friedrich Avemarie, Martyrdom and Noble Death : Selected Texts from Graeco-Roman, Jewish and Christian Antiquity, Londres, New York, 2002.

15 Voir par exemple le compte rendu de Martyrdom and Rome par James W. Halporn dans Bryn Mawr Classical Review, Avril, 1996.

16 Les différences profondes entre traditions martyrologiques juives et chrétiennes n’empêchent certes pas de reconnaître à la fois l’influence capitale des premières sur les secondes, et aussi leurs relations réciproques. Daniel Boyarin, dans Dying for God : Martyrdom and the Making of Christianity and Judaism, Stanford, Cal., 1999, est conscient de ces relations qu’il exploite, mais la rigueur de son argument laisse à désirer. Voir en particulier son Chapitre 4, pp. 93-126. Sur la martyrologie dans la littérature rabbinique, voir aussi Ra’anan S. Boustan, From Martyr to Mystic : Rabbinic Martyrology and the Making of Merkavah Mysticism, Tübingen, Texts and Studies in Ancient Judaism 112, 2005. Cf. Sidney Goldstein, Suicide in Rabbinic Literature, Hoboken, NJ, 1989, Chapter 6, « Suicide as an Act of Martyrdom », pp. 41-50.

17 On a beaucoup écrit sur Pérégrin. Voir, tout récemment, Jan Bremmer, « ‘Peregrinus’ Christian Career », in Festschrift Florentino Garcia Martinez, avec bibliographie.

18 Dion Cassius 54.9.10 ; cf. Bowersock, Martyrdom and Rome, 66. Pour Lucien, je me réfère à son The Passing of Peregrinus dans Lucian, Works, V (Loeb Classical Library), 1-27. Notons que selon la tradition indienne, une veuve qui désire s’immoler sur le bûcher funéraire de son mari afin de devenir sati est censée le faire avec enthousiasme.

19 Voir Guy G. Stroumsa, La fin du sacrifice : les mutations religieuses de l’antiquité tardive, Paris, 2005, pp. 133 sqq. où je suggère que la perception du martyre comme sacrifice (une perception impossible tant que des sacrifices journaliers étaient offerts au Temple de Jérusalem) renforce l’intuition de Bowersock sur la différence profonde entre martyrs juifs de l’époque maccabéenne et martyrs chrétiens.

20 Eric R. Dodds, Pagan and Christian in an Age of Anxiety : Some Aspects of Religious Experience from Marcus Aurelius to Constantine, Cambridge, 1965.

21 J’ai développé ce point dans « Sacrifice and Martyrdom in the Roman Empire », Archivio di Filosofia 76, 2008, pp. 145-154.

22 Sacrificio per bonam confessionem Deo meo, cui semper sacrificavi, Passio Sancti Irenaei 2.4 (Musurillo 294-295).

23 Gaudeo si feceris ut domini mei passionibus particeps inveniar. Ibid., 2.3.

24 Jas Elsner, Art and the Roman Viewer : the Transformation of Art from the Pagan World to Christianity, Cambridge, 1995, chapitre II, p. 157 sq.

25 Voir James B. Rives, « Human Sacrifice among Pagans and Christians », Journal of Roman Studies 85, 1995, pp. 65-85.

26 Jean-Pierre Vernant, « Théorie générale du sacrifice et mise à mort dans la thusia grecque », in Le sacrifice dans l’antiquité, Genève, 1981, pp. 1-39, en particulier p. 7. Voir Carlin Barton, « Honor and Sacredness », in Margaret Cormack éd., Sacrificing the Self : Perspectives on Martyrdom and Religion, Oxford, 2002, p. 38.

27 Perpétue et Félicité 18.4 ; voir à ce sujet Kathleen Coleman, « Fatal Charades : Roman Executions Staged as Mythological Enactments », Journal of Roman Studies 80, 1990, pp. 44-73.

28 Sur le pharmakos, voir Jan N. ;Bremmer, « Scapegoat Rituals in Ancient Greece », in, Richard Buxton éd., Oxford Readings in Greek Religion (Oxford, 2000), pp. 271-293.

Isidore de Séville note (Etymologiae VII.11 De Martyribus) qu’Etienne, le Protomartyr, a pour nom couronne : Martyrum primus in Novo Testamento Stephanus fuit, qui Hebraeo sermone interpretatur norma… : Cette étymologie étrange peut être expliquée de la façon suivante : kelal, (kaf, lamed, lamed), hébreu pour « norme », s’écrit avec les mêmes consonnes que kalil (kaf, lamed, yod, lamed), « couronne ». Je remercie Isabelle Heullant-Donat pour avoir attiré mon attention sur ce texte.

29 Aline Rousselle, La contamination spirituelle : science, droit et religion dans l’antiquité tardive (Paris, 1998), pp. 281-295.

30 Glen W. Bowersock, Martyrdom and Rome, pp. 59-60.

31 Jan N. ;Bremmer, « Perpetua and Her Diary : Authenticity, Family and Vision », in Walter Ameling éd., Märtyrer und Märtyrerakten, Altertumswissenschaftliches Kolloquium, 6 ; Frank Steiner Verlag, 2002, pp. 77-120, part. pp. 94-95. Parmi d’autres études récentes de ce texte fondamental, citons au moins Brendt D. Shaw, « The Passion of Perpetua », Past and Present 139, 1993, pp. 3-45 ; Erin Ronsse, « Rhetoric of Martyrs : Listening to Saints Perpetua and Felicitas », Journal of Early Christian Studies 14, 2006, pp. 283-327.

32 Acts of Carpus, Papylus and Agathonice, 4 ; Musurillo, Acts, 32-33 ; cf. Bremmer, art. cit., 95.

33 Acts of Carpus… 36 (version grecque, 45 ; 28-29 Musurillo).

34 Act of Apollonius, 30 (98-99 Musurillo).

35 Pionios, V.4-5 (24, 36 Robert).

36 ad passionis locum cum gaudio et sine pauore venerant. Acts of Montanus and Lucius 13 (226-227 Musurillo).

37 Alia caro patitur cum animus in caelo est. nequaquam corpus hoc sentit, cum se Deo tota mens devovit. Acts of Montanus and Lucius 21 (234-235 Musurillo).

38 Guy G. Stroumsa, « Christ’s Laughter : Docetic Origins Reconsidered », Journal of Early Christian Studies 12, 2004, pp. 267-288 ; Ronnie Goldstein et Guy G. Stroumsa, « The Greek and Jewish Origins of Docetism : A New Proposal », Zeitschrift für Antikes Christentum/Journal of Ancient Christianity 10, 2006, pp. 423-441.

39 Pionios, VII. 3-6 (24-25, 37 Robert).

40 Pionios XIX. 6-7 (31, 43 Robert).

41 Martyrs de Palestine I.1 et VI.6.

42 lbid., XIII.3.

43 Richard Sorabji, Emotion and Peace of Mind : From Stoic Agitation to Christian Temptation, Oxford, 2000, pp. 384-391.

44 Strom. IV.5.19.1. Texte dans Otto Staehlin éd., Clemens Alexandrinus, II, Stromata I-VI, Leipzig, GCS, 1906, p. 256.

45 Oukoun pathos ho phobos hou gennetikos ho nomos. Strom. IV. 3. 11.1, (252, l. 5-6 Staehlin).

46 dia to aprospahtos bioun. Ibid., IV. 15. 4-5 (255 Staehlin).

47 Ibid. IV.10.76-77 (282 Staehlin). Cf. Arthur J. Droge et James D. Tabor, A Noble Death : Suicide and Martyrdom among Jews and Christians in the Ancient World, San Francisco, 1991, pp. 141-144.

48 Eusèbe, Histoire Ecclesiastique, VI.2.5.

49 Origène, Contra Celsum, III.8.

50 Origène, Exhortation au martyre, 31. Je cite d’après la traduction d’Henry Chadwick dans John E. L. Oulton et Henri Chadwick, Alexandrian Christianity, Philadelphie, 1954, pp. 386-429 ; ici p. 413.

51 Ibid., 36 (418 Chadwick).

52 Ibid., 39 (420-421 Chadwick).

53 Ibid., 41 (422 Chadwick).

54 Voir Carole Straw, « A Very Special Death : Christian Martyrdom in its Classical Context », in Margaret Cormack éd., Sacrificing the Self : Perspectives on Martyrdom and Religion, Oxford, 2002, pp. 39-57. Sur les gladiateurs, voir en particulier Georges Ville, La gladiature en occident des origines à la mort de Domitien, Rome, Bibliothèque des Ecoles Françaises d’Athènes et de Rome, 245, 1981. Le chapitre IV, qui traite du sujet du point de vue psychologique, n’apporte pas de parallèles significatifs avec les martyrs chrétiens. Voir aussi Leonard L. Thompson, « The Martyrdom of Polycarp : Death at the Roman Games », Journal of Religion 82, 2002, pp. 27-52, qui montre, en se fondant sur le récit du martyre de Polycarpe, à Smyrne en 155, à quel point l’exécution du martyr est intégrée aux jeux de gladiateurs dans le stade.

Sur l’unité corps-âme dans la personne chrétienne, voir Guy G. Stroumsa, « Caro salutis cardo : Shaping the Person in Early Christian Thought », History of Religions 30, 1990, pp. 25-50, en français dans Guy G. Stroumsa, Savoir et salut, Paris, 1992.