Y a-t-il une histoire des émotions ?
Une version préliminaire de cet article a déjà été publiée dans la revue ASDIWAL, Revue Genevoise d’Anthropologie et d’Histoire des Religions 1, 2006, pp. 23-35. Il s’agit d’une version légèrement révisée de la conférence que j’ai donnée dans le cadre de la Journée d’études internationale « Les émotions en Grèce : quelques points de vue », le 16 juin 2006, au Centre Interfacultaire en Sciences Affectives de l’Université de Genève, dans le cadre du Pôle de Recherche National en Sciences Affectives (Project 12 : « Mythes and Rites as Cultural Expression of Emotion », sous la direction de Philippe Borgeaud). Je remercie Regina Höschele et Ilaria Ramelli d’avoir corrigé le texte français.
Dans sa principale œuvre théorique, The Political Unconscious (1981, p. 62), Fredric Jameson observe « Que la structure de la psyché soit historique, et qu’elle ait une histoire, est pour nous aussi difficile à comprendre que le fait que les sens eux-mêmes ne soient pas des organes naturels, mais plutôt le résultat d’un long travail ou processus de différentiation dans l’histoire humaine ». Dans la référence à l’évolution des sens, on peut voir une allusion au jeune Marx, qui écrit dans les Manuscrits économiques et philosophiques (1844) : « La formation des cinq sens est un travail de l’histoire entière du monde et jusqu’à nos jours »1. De même, ce n’est que très récemment qu’on a commencé à considérer sérieusement l’idée que les émotions, elles aussi, ont une histoire, et qu’elles ne sont pas forcément toujours les mêmes partout et en tout temps.
Etant donné que j’ai récemment publié un ouvrage sur les émotions des Grecs anciens2 – dans lequel je mets en évidence les différences entre leur conception des émotions et celle qui prévaut aujourd’hui, du moins dans le monde anglo-saxon – je suis tout naturellement enclin à penser que les émotions varient, en effet, d’une culture à l’autre. Ce que je veux dire, c’est que les émotions définies ou décrites par les Grecs peuvent, chacune, être différentes des émotions invariablement reconnues comme fondamentales aujourd’hui : leur « colère », par exemple, ne se conforme pas totalement à notre concept de « la colère » – et l’idée même de ce qu’est une émotion, leur concept de l’émotion en soi, n’équivaut pas toujours exactement au nôtre. Mes recherches visent ainsi à illustrer comment une émotion grecque ancienne, ou l’idée que les Grecs avaient de cette émotion, peut diverger de la nôtre ou être en désaccord avec elle. Cependant, je n’ai pas l’intention de considérer ici en détail des cas ou des exemples concrets. Je voudrais plutôt examiner plus profondément ce qu’implique l’affirmation que les émotions ont une histoire ; en bref, quelle est la signification d’une telle assertion ? J’espère ainsi également éclairer de manière utile comment les émotions sont conçues aujourd’hui, et ce que signifie d’en faire l’histoire culturelle.
Je voudrais commencer par décrire brièvement les grandes lignes du débat sur la variabilité des émotions, tel qu’il a lieu actuellement. D’un côté, il y a ceux qui soutiennent l’idée que les émotions sont innées et universelles chez toutes les espèces humaines (et même chez certains animaux) ; qu’elles sont « hard-wired », comme on dit en physiologie. Cette perspective dérive de Charles Darwin, plus précisément de son dernier livre, L’expression des émotions chez l’homme et chez les animaux, édité en 18723. Darwin y associe les formes d’expression qu’il a examinées pour une grande quantité d’émotions, comme la souffrance, l’anxiété, le deuil, la tristesse et le désespoir, autant que la joie, l’amour et la dévotion, la méditation, la bouderie et la détermination, la haine et la colère, le dédain, le mépris, le dégoût, la culpabilité, la patience, la surprise, la peur et l’horreur, la honte, la timidité, et la pudeur. Paul Ekman, un disciple moderne de Darwin, a poursuivi ce type de recherche sur les expressions du visage. Le livre d’Ekman, Darwin and Facial Expression : A Century of Research in Review (1973), a été, de fait, publié de façon à coïncider avec le centenaire de l’ouvrage de Darwin. Plus récemment (1998), Ekman a édité et actualisé l’ouvrage original de Darwin. Dans ses propres investigations, Ekman a ramené l’ample gamme des émotions de Darwin à quelques sentiments fondamentaux dont les représentants principaux, faciles à distinguer, sont : la colère, le dégoût, la tristesse, la jouissance, la peur, et la surprise (les deux dernières étant quelquefois combinées en une), et il suggère que le mépris, et peut-être les complexes de honte et de culpabilité, peuvent également trouver des expressions universellement reconnaissables4. Craig Smith et Heather Scott5 formulent prudemment la même idée centrale : « Il y a des indices importants prouvant l’existence de signaux du visage distincts et prototypiques qui, dans une large gamme de cultures, peuvent être reconnus avec fiabilité et qui correspondent à au moins six émotions différentes (le bonheur, la tristesse, la surprise, le dégout, la colère, et la peur), et peut-être aussi à d’autres, comme l’attention, la honte, et le mépris »6. Toujours dans la tradition darwinienne, la nouvelle « quasi-discipline » de la psychologie évolutionniste a essayé de donner des explications fonctionnelles de ces émotions et des avantages supposés qu’elles fournissent pour la survie de l’espèce (ou une alternative douteuse : pour la reproduction de gènes identiques). Ces théories supposent donc qu’un ensemble d’émotions distinctes ont été sélectionnées pendant la préhistoire de la race et que, en conséquence, ces émotions sont communes à toutes les cultures humaines.
L’opinion contraire veut que les émotions soient profondément dépendantes de la culture : ce que nous percevons comme de la colère, par exemple, peut ne correspondre à aucune émotion en particulier dans l’éventail des sentiments qu’on reconnaît et éprouve dans une autre société. Bien sûr, si l’on demande aux représentants de n’importe quelle société d’identifier et de nommer des expressions extrêmes du visage, au moyen de photographies, ils vont généralement proposer des termes essentiels de leur vocabulaire (je laisse de côté les problèmes méthodologiques inhérents au programme de recherche d’Ekman : par exemple, le fait que, quand les photographies sont accompagnées de sous-titres narratifs, c’est la narration qui détermine la réponse, et que les réponses aux vidéos, par contraste avec les photographies, sont moins cohérentes). Mais la question demeure de savoir si leurs mots signifient la même chose que les nôtres, quand nous réagissons à la même image. Pour confirmer cette proposition, on doit savoir exactement ce que les termes désignant des émotions veulent dire dans la culture particulière que l’on examine. Ainsi, un Grec ancien pourrait (on imagine) répondre à une image qui montre un visage avec les yeux grand ouverts et une expression intense de moquerie sur les lèvres en employant le terme d’orgê, mot qui se traduit en français le plus souvent par « colère ». Cependant, cela ne garantit pas que ce que le Grec voulait dire par orgê soit la même chose que ce que nous voulons dire par « colère ». Pour vérifier cela, il faut examiner comment le terme d’orgê était utilisé et défini par les Grecs. En fait, Aristote nous fournit une définition claire de ce terme, ainsi que des exemples des conditions dans lesquelles orgê est évoquée. Voici sa définition : « L’orgê est le désir, accompagné de douleur, d’une vengeance, résultant d’une insulte [ou diminution, dégradation, dévaluation] perçue comme provenant de ceux qui n’ont pas le droit d’insulter l’individu lui-même ou les siens »7. Or, cette définition est assez éloignée de celle que l’on trouve, par exemple, dans le dictionnaire on-line Merriam-Webster : « un sentiment fort de courroux et, le plus souvent, d’hostilité » (a strong feeling of displeasure and usually of antagonism, http://www.m-w.com/cgi-bin/dictionarys.v.). Le dictionnaire indique ensuite des différences entre quelques mots de signification proche, en anglais, et note que la colère « est le nom de la réaction, mais en soi, il n’indique guère ni l’intensité, ni la justification, ni la manifestation de l’état émotionnel ». Cependant, Aristote signale spécifiquement la cause de la réponse, à savoir, une diminution ou une insulte de la part d’une personne qui n’a pas le droit d’humilier. Certes, on peut dire que la différence entre les deux définitions n’est pas de caractère essentiel : la colère des Grecs anciens et celle des Anglais ou des Français modernes se réfèrent toutes les deux (ou trois) à une réponse douloureuse ou déplaisante qui implique l’animosité ; et le fait qu’Aristote mentionne la cause de l’orgê, autant que sa spécification en tant que désir de vengeance, ne fait que remplir ou combler, pour ainsi dire, la silhouette dénudée fournie par le Merriam-Webster, silhouette qui correspond au caractère élémentaire et transhistorique de la colère en soi. Toutefois, cette vue suppose que la définition de la colère comme « sentiment fort » est la base universelle de l’émotion, tandis que des définitions qui incluent une référence au stimulus ou à l’état intentionnel donnent des détails ou des aspects qui ne sont ni nécessaires ni essentiels.
En effet, la définition de la colère fournie par le dictionnaire Merriam-Webster est parfaitement conforme aux significations qu’il donne pour le terme « émotion » lui-même : « l’aspect affectif de la conscience » ; « un état de sensibilité » ; « une réaction psychique et physique (comme la colère ou la peur) éprouvée subjectivement comme un sentiment fort incluant des changements physiologiques qui préparent le corps à l’action immédiate et vigoureuse » (« the affective aspect of consciousness » ; « a state of feeling » ; « a psychic and physical reaction (as anger or fear) subjectively experienced as strong feeling and physiologically involving changes that prepare the body for immediate vigorous action »). Il faut noter ici l’accent mis sur le « sentiment » (« feeling »), « l’aspect affectif », et la « réaction psychique » : tous ces termes sont centrés autour d’un état présumé intérieur, sans référence à aucune cause externe du sentiment. Ici, bien sûr, le Merriam-Webster ajoute un commentaire sur des transformations physiologiques, auxquelles il assigne la fonction de préparer le corps à « l’action immédiate et vigoureuse ». On se demande précisément quelle action est préparée par des émotions comme la honte ou la pitié, ou encore, une autre émotion aristotélicienne : la gratitude. Sans doute, y a-t-il une réponse physique associée à ces derniers sentiments, mais serions-nous communément disposés à la caractériser comme « vigoureuse » ? Le Merriam-Webster pense évidemment à une impulsion de fuite ou de réaction agressive, c’est-à-dire, à une disposition d’esprit forte mais transitoire, qui consiste à être prêt à tout, et non à une disposition intentionnelle, de longue durée et stable, visant à répondre à ce qu’une personne nous a fait. Cette interprétation coïncide mieux avec la conception aristotélicienne de la colère, ce désir de vengeance, qui peut assumer des formes variées et attendre le moment convenable ou favorable (on peut penser à l’adage : la vengeance est un plat qui se mange froid !).
En outre, le portrait qu’Aristote brosse de l’orgê se conforme lui aussi à la définition qu’il donne de l’émotion en général, ou, plus exactement, du pathos : « Les émotions sont toutes ces choses à cause desquelles les personnes changent leurs opinions et diffèrent quant à leurs jugements, et qui sont suivies par la douleur et le plaisir, par exemple, la colère, la pitié, la peur, et toute autre chose de ce type et leurs opposés »8. On relèvera qu’il n’y a ici aucune mention du sentiment (« feeling »), ni de la condition d’être prêt à tout, ni des états physiologiques, ni des expressions du visage spécifiques à chaque émotion. Les seuls critères, pour Aristote, qui caractérisent une émotion, sont qu’elle affecte le jugement ou la discrimination, et qu’elle est accompagnée de plaisir et de douleur. Réduire l’idée de la colère à un sentiment nu, conformément à la définition du Merriam-Webster, ne nous aide pas à discerner le niveau de base, ou commun, de l’émotion en soi, au contraire, il risque de dépouiller l’orgê de ce qui, précisément, est nécessaire pour qu’on le qualifie d’émotion, ou plus exactement, de pathos, selon la conception d’Aristote. Avant d’affirmer que l’orgê d’Aristote est plus ou moins l’équivalent de notre « colère », nous devrions nous assurer que notre idée de l’émotion elle-même n’est pas propre à notre culture, et, en conséquence, relative et non universelle.
Selon Aristote, le désir de vengeance, provoqué par un geste de dédain, affecte naturellement la manière dont nous jugeons la personne ou l’acte qui a causé cette offense ; en conséquence, on peut le qualifier de pathos. En outre, en mettant l’accent sur la cause de la passion et non sur le sentiment ou la sensation intérieure qui en résulte, et de l’expression du visage, Aristote ouvre manifestement le chemin à beaucoup de variations culturelles dans la constitution des sentiments semblables à la colère et aux autres émotions. Ainsi, l’orgê, telle qu’entendue par Aristote, est le produit du dédain et d’aucune autre cause. C’est une gamme de raisons beaucoup plus limitée ou étroite que celle que nous associons à la colère aujourd’hui. Ainsi, si nous interprétons Aristote au pied de la lettre, sa définition exclut la possibilité de se fâcher contre un objet inanimé, ou contre une chose quelconque qui soit par nature incapable de nous insulter. Je ne peux pas me fâcher, stricto sensu, avec un chien qui m’a mordu, par exemple, à moins que je ne croie qu’il l’a fait dans l’intention de me nuire. Pour indiquer la qualité surprenante de l’analyse aristotélicienne de l’orgê, en comparaison avec l’idée moderne de colère, je vais citer deux de ses assertions à ce propos. D’abord, Aristote dit qu’on ne peut pas se fâcher, c’est-à-dire éprouver de l’orgê, contre ceux qui ont peur de nous. La raison en est que leur peur manifeste précisément leur respect à notre égard, et, en conséquence, ils ne sont pas capables de nous dédaigner ou de nous mépriser. De plus, on ne peut pas éprouver de la colère en échange de ou en réponse à la colère d’un autre. Cela s’explique ainsi : si une personne se fâche avec moi, c’est qu’il répond à mon insolence ou à mon mépris pour lui, et, en conséquence, il ne se trouve pas en condition de m’insulter par un geste de mésestime. Le mépris n’est pas simplement une chose privée ou personnelle, mais un acte social, public, qui affecte notre image et notre honneur. Si nous voulons renverser la situation et diminuer l’autre en retour, nous nous devons d’abord de venger l’affront antérieur en restaurant l’équilibre premier ; c’est précisément pourquoi Aristote définit la colère comme un désir de vengeance.
Aussi, si nous acceptons provisoirement le critère qui permet à Aristote de reconnaître l’émotion en général, nous pouvons peut-être tirer quelques comparaisons plausibles entre l’orgê grecque et la colère moderne – comparaisons qui deviennent plus difficiles si l’on conçoit au contraire la colère principalement comme une sensation, car comment peut-on évaluer la façon dont un Grec ancien, ou bien nous-mêmes, éprouvons une émotion, d’un épisode émotionnel à l’autre ? D’après l’exposé d’Aristote, on peut dire, par exemple, que les Grecs étaient très sensibles à des défis vis-à-vis de leur estime publique, et qu’Aristote croyait, en conséquence, qu’il était parfaitement raisonnable d’isoler des affronts de ce type comme étant la cause d’une réponse émotionnelle fondamentale. La colère, selon Aristote, est une réaction à un manque de respect. Aujourd’hui, les questions d’honneur n’ont peut-être pas autant d’importance dans la vie sociale et, ainsi, notre concept de colère a changé ; nous le comprenons maintenant comme une réponse à une gamme plus large de stimulations. Peut-on dire, par conséquent, que le noyau de l’émotion « colère » est resté le même, et que, ce qui a changé, c’est le genre du comportement ou l’activité qui l’évoque ?
Une telle notion satisferait les conditions d’existence d’une histoire de la colère. Car, pour qu’un sujet ait une histoire, il doit changer : ce qui reste entièrement identique à soi-même est intemporel – comme la proposition que deux plus deux font quatre – et n’a pas de véritable histoire. Mais le sujet doit également manifester une certaine continuité, car sinon nous aurions, au lieu de l’histoire d’un sujet unique, une série de sujets (par exemple, l’orgê dans le temps d’Aristote et « la colère » aujourd’hui). Toutefois, je ne suis pas convaincu que l’on puisse produire une telle histoire de la colère (ou des émotions qui ressemblent et correspondent à la colère) en présupposant simplement que la réponse – qu’elle soit une sensation ou une expression du visage – est uniforme, et que ce qui change n’est que la cause ou la stimulation de l’émotion. Considérons le cas de la peur. On pourrait identifier des choses qui, typiquement, provoquent de la peur dans certains groupes ou certaines cultures et pas dans d’autres : les chiens, par exemple, ou les insectes, ou les reptiles. Je connais des amis qui ont peur de voler, une peur qui, j’imagine, n’était pas commune dans l’antiquité classique, à part peut-être dans le cercle immédiat d’Icare ! Ainsi, l’histoire de la peur devient l’histoire des choses qui engendrent la peur. Mais dans la mesure où ces motifs de peur surgissent par hasard, ils ne sont pas les objets propres d’une histoire, ils n’ont pas la continuité qui, comme nous l’avons dit, est essentielle à une analyse historique. Faire une liste de toutes les choses que les hommes ont craintes, ce serait comme essayer d’écrire l’histoire de la couleur verte, en compilant ou collectionnant toutes les choses vertes au cours des âges, comme si l’idée même du vert n’avait pas changé, ce qui, à mon sens, n’est pas vrai. Pour écrire une histoire de la peur, on doit également rechercher comment l’idée de la peur elle-même a changé. Effectivement, il y a des raisons de croire qu’elle a changé. De nouveau, prenons Aristote comme point de départ. Aristote définit le phobos, communément traduit par « la peur », ainsi : « la peur est une espèce de douleur ou de perturbation qui dérive de l’impression d’un mal futur, destructif ou douloureux »9. Ceci peut, certes, apparaître comme une définition indiscutable, mais elle est moins innocente qu’on peut le supposer. Pour avoir peur d’une chose, selon Aristote, il faut comprendre qu’elle peut causer un dommage, c’est-à-dire, qu’il faut se rendre compte, par un processus d’inférence, qu’une impression actuelle annonce ou indique un préjudice qui va se produire dans un temps postérieur. La fonction de l’inférence est fondamentale. Comme William Fortenbaugh l’observe, à bon droit je pense, « les hommes ont la capacité de penser et peuvent donc croire qu’une insulte est advenue et qu’un danger menace. Les animaux sont privés de cette capacité cognitive et ne peuvent donc pas éprouver des émotions telles qu’analysées par Aristote »10 ; c’est dire qu’ils ne peuvent éprouver ni colère ni peur. On voit donc que ce ne sont pas simplement les objets de la peur qui divergent les uns des autres selon la théorie d’Aristote et notre conception, mais la peur elle-même se modifie. Comme l’orgê, la peur, ou plutôt le phobos, est essentiellement un phénomène cognitif, et la relation entre lui et son objet, quel que soit cet objet, diffère de la relation entre la peur et son objet, dans la mesure où « la peur » moderne est comprise comme un « état de sensation ».
Je voudrais m’arrêter un instant sur une conséquence de cette différence entre la conception aristotélicienne de la peur (ou du phobos) et l’idée moderne. Le dictionnaire Merriam-Webster explique que, parmi plusieurs synonymes de la peur comme l’anxiété, la panique, la terreur, etc. « la peur est le terme le plus général et implique l’anxiété et souvent la perte de courage ». Aristote, au contraire, affirme (Ethique à Nicomaque, 1115b23-28) que, loin d’être courageux, un homme qui n’éprouve point de peur (il utilise le mot aphobia) « serait ou fou ou insensible à la douleur ». Ainsi, Socrate, selon Xénophon (Memorabilia, 4.6.10), conclut que « ceux qui n’ont pas peur face à des choses terribles, n’ont pas peur parce qu’ils ne savent pas ce qu’elles sont, et ils ne sont pas du tout courageux », et son interlocuteur répond : « Bien sûr, parce qu’autrement, beaucoup d’hommes fous et lâches seraient considérés comme courageux ». Loin d’être un simple état d’anxiété, « la peur », nous dit Aristote, « fait que les hommes deviennent délibératifs », c’est-à-dire, rationnels (Rhétorique, 2.5, 1382a5). Une histoire de la peur se devrait de rendre compte de cette différence dans la relation entre « la peur » et le phobos d’un côté, le courage et la raison de l’autre.
Or, il est intéressant de remarquer que la conception de l’émotion comme une sensation crue, telle qu’elle est présentée par le dictionnaire Merriam-Webster, a cessé d’être la vue dominante dans la psychologie et la philosophie moderne, et a cédé le pas à une perspective précisément plus cognitive11. C’est le cas, par exemple, de la « appraisal theory », ou théorie d’évaluation, qui soutient que « les émotions sont évoquées par des évaluations […] d’événements et de situations »12. En effet, Richard Lazarus, un des fondateurs de cette théorie moderne, observe que ceux qui sont en faveur d’une telle méthode « doivent aussi reconnaître que la Rhétorique d’Aristote, il y a plus de deux mille ans, avait appliqué ce mode d’analyse sur un grand nombre d’émotions en des termes qui paraissent remarquablement modernes »13. Pourrait-on dire, donc, que l’opposition radicale entre l’émotion et la raison, caractéristique de la pensée populaire et scientifique pendant plusieurs siècles, était simplement une erreur dans l’histoire de la psychologie, qu’on pourrait comparer peut-être à la doctrine des quatre éléments (la terre, l’air, le feu, et l’eau) comme principes fondamentaux de la matière, et qu’Aristote avait, en effet, raison tandis que le Merriam-Webster a tort ? Dans ce cas, il n’y a eu ni évolution ni transformation des idées grecques de pathos jusqu’aux notions modernes d’« émotion », puisque rien n’a changé ; en conséquence, il n’y a pas d’histoire ici. On pourrait seulement dire que les conditions cognitives des émotions ont changé, selon les valeurs qui prévalaient dans la société antique et la société moderne. En ce temps-là, le dédain avait plus d’importance comme motif de colère, ce qui était tout naturel dans une culture d’honneur, alors que maintenant, ce motif aurait moins d’importance. De manière similaire, le danger de mourir à la guerre était plus répandu, du moins parmi les citoyens adultes et mâles d’Athènes, qui étaient presque toujours en guerre, tandis qu’aujourd’hui la peur assume habituellement la forme d’un vague sentiment d’angoisse ou d’anxiété. Une telle vue a de plus l’avantage de rattacher, ou de connecter les émotions, la colère, la peur, la honte, la pitié, aux conditions de la vie sociale : l’histoire des émotions devient ainsi un aspect de l’histoire des cultures et de leurs valeurs.
C’est une idée attractive ; mais elle n’est pas, je crois, entièrement adéquate. Une histoire des émotions ne devrait pas mettre entre parenthèses une conception de l’émotion qui a été dominante durant des milliers d’années, comme si elle n’était qu’une simple erreur. Car l’interprétation des émotions comme « des états de sentiments ou de sensations », telle qu’elle est présentée par le dictionnaire Merriam-Webster, n’est pas simplement l’effet ou le résultat d’une théorie. Les émotions étaient, et sont toujours, éprouvées ainsi, et non comme des phénomènes cognitifs ou des évaluations. Une histoire devrait aussi être capable de décrire et d’expliquer ce fait. En outre, notre tâche ne consiste pas seulement à suivre les sentiments qui correspondent à la colère ou à la peur à travers des cultures différentes. Même si nous nous rendons compte des circonstances variées dans lesquelles ils étaient évoqués, nous reconnaissons que, à certaines époques, ces émotions étaient perçues comme des états intérieurs, tandis qu’à d’autres, leurs causes paraissaient être un élément indispensable à leur définition, le nombre et la variété des sentiments inclus dans la catégorie de l’émotion ayant changé également. Dans le deuxième livre de la Rhétorique, où Aristote examine les émotions en détail (qu’il le fasse précisément dans un traité sur la rhétorique, et non, par exemple, dans un traité sur l’âme, est révélateur de son concept particulier de l’émotion), il considère la colère et l’apaisement de la colère, qu’il traite comme deux émotions distinctes ; l’amour et la haine (ou l’animosité) ; la peur et son contraire ; l’assurance ou l’excitation ; la honte et l’absence de honte (ou l’impudence) ; la gratitude ; la pitié et son contraire ; l’indignation ; l’envie et la rivalité (qu’il regarde comme une forme positive de l’envie où l’on veut acquérir ce que les égaux possèdent, tandis que, dans le cas de l’envie, on se trouble simplement parce que les autres prospèrent), et enfin, le contraire de la rivalité, le dédain. On peut douter que toutes ces espèces de pathos, pour utiliser le terme d’Aristote, soient reconnues comme des émotions dans un inventaire moderne. J’ai noté que la pitié n’est presque jamais incluse dans de telles listes aujourd’hui, même si elles comprennent des douzaines d’émotions, tandis qu’elle se trouve invariablement à sa place dans les discussions grecques et romaines sur le même thème. De la même façon, la gratitude est très rare dans les listes actuelles, et la rivalité, le dédain et l’assurance (le contraire de la peur) nous semblent appartenir à un champ totalement séparé de celui de l’émotion. Si nous regardons d’autres textes grecs, au-delà de l’analyse aristotélicienne de la Rhétorique, nous trouvons incluse, sous le titre ou la dénomination de pathos, une gamme encore plus large de sentiments. Ainsi, le traité appelé la Rhétorique à Alexandre, attribué aujourd’hui à un certain Anaximène plus ou moins contemporain de la Rhétorique d’Aristote, donne comme exemples de pathos le dédain et la peur, la sensation du plaisir et de la douleur, et le désir ou l’appétence (7.5 = 1428a36-b5). Ailleurs dans le même traité (7.14), la catégorie s’étend jusqu’à inclure l’amour passionnel, la colère, l’ivresse et l’ambition. L’ivresse nous paraît certainement déplacée dans une classification des émotions, et il en va de même, je crois, de l’ambition. Parfois, Aristote lui-même emploie le terme pathos dans un sens plus large que dans la Rhétorique, en ajoutant, par exemple, le désir et la joie aux passions les plus typiques (NE, 1105b21-23).
Or, une manière d’expliquer cette variété des sentiments inclus dans le terme pathos serait d’affirmer, comme je l’ai moi-même soutenu, que le Grec de l’Antiquité n’avait pas de mot correspondant exactement à l’idée moderne d’émotion et qu’Aristote, dans son catalogue de la Rhétorique, a en effet inventé le concept d’émotion, précisément en démarquant ou délimitant sa gamme et en excluant des sentiments tels que le plaisir et la douleur. Quoi qu’il en soit, une histoire des émotions doit reconnaître, d’abord, que d’autres cultures peuvent classer comme émotions, à côté de la peur et de la colère, des sentiments qui nous semblent exotiques dans une telle taxinomie, et aussi qu’elles peuvent exclure, comme appartenant à une catégorie assez différente, des concepts qui, selon nous, ont une place privilégiée parmi les émotions.
En effet, si nous regardons la liste des émotions de base qu’Ekman prétend avoir identifiées au travers d’expressions du visage distinctes, celle-ci inclut aussi quelques objets qui pourraient nous paraître étranges. Souvenons-nous que son inventaire contenait la colère, le dégoût, la tristesse, la jouissance ou le bonheur, la peur et la surprise. Or, le dégoût et la surprise semblent être différents des émotions régulières. Les deux paraissent avoir peu de contenu cognitif. La répugnance, qui résulte d’une odeur putride, par exemple, a l’air d’être presque instinctive, et la surprise peut se produire simplement suite à un bruit soudain. Même si nous adoptons une vision des émotions moins intellectuelle que celle d’Aristote, et que nous éliminons presque complètement l’élément d’évaluation, la colère et la peur semblent plus susceptibles d’argumentation et de raison que le dégoût ou la surprise. Nous pouvons parfois convaincre une personne de ne pas se fâcher ou de ne pas avoir peur, si nous lui expliquons par exemple que l’insulte n’était pas délibérée, ou que ce qui lui paraît un serpent dangereux est, en réalité, docile, ou qu’il s’agit simplement d’un bout de bois. On ne peut pas, cependant, changer à l’aide d’une conversation la réaction à l’odeur d’un œuf pourri. En outre, le bonheur et la tristesse me semblent plus des états ou des humeurs (« moods ») que des émotions ; mais peut-être mes intuitions sont-elles, à cet égard, simplement différentes de celles d’Ekman et de ses collaborateurs.
Une histoire des émotions, me paraît-il, devra considérer les diverses classes de réponses psychologiques qui sont typiquement groupées ensemble dans une culture donnée, ou même dans les communautés subordonnées d’une société particulière. Cela revient à façonner une sorte de carte spirituelle et à révéler les façons variées dont les émotions peuvent être distribuées en différentes régions mentales. Bien qu’il y ait probablement des similarités entre les cartes d’une culture et celles de l’autre, il ne sera pas toujours possible de trouver une correspondance parfaite entre elles. En général, les exemples du pathos donnés par Aristote, dans la Rhétorique, semblent coïncider assez bien avec des spécimens qu’on pourrait trouver dans une liste moderne, au moins avec ceux qu’on rencontre dans les théories qui prennent en compte le rôle de l’évaluation. Néanmoins, il faut noter que seulement deux sur six émotions élémentaires reconnues par Ekman se trouvent dans l’inventaire d’Aristote, et que dix ou douze des émotions aristotéliciennes n’entrent pas dans la série d’Ekman. Pour comprendre pourquoi ces répertoires diffèrent à un tel degré, il faudrait probablement faire une recherche détaillée sur la composition du « soi » dans les diverses cultures.
Il serait très intéressant d’examiner la formation du champ émotionnel dans plusieurs cultures (examiner s’il y a un champ particulier des émotions dans le vocabulaire de toutes les cultures) et cela nécessiterait évidemment la collaboration de bien des spécialistes. Mais je voudrais terminer cette réflexion sur la question de savoir s’il est possible ou non de faire une histoire des émotions, en prenant une perspective un peu différente. Ce que je vais dire maintenant peut paraître en contradiction avec les commentaires faits ci-dessus, parce que je vais essayer d’exposer une méthode pour comparer les émotions dans différentes cultures (pour comparer l’incomparable, selon les mots de Marcel Detienne), incluant même les cas où il n’y a pas de catégorie psychologique indigène qui se conforme précisément à notre concept d’émotion, ou au mien. On peut donc m’accuser, avec raison, d’imposer mes propres critères de ce qui constitue une émotion sur des conceptions assez différentes, et de construire une histoire sur la base d’exclusions qui ne sont pas justifiables d’un point de vue méthodologique. Je vais néanmoins courir ce risque, et vous devrez juger s’il en vaut la peine.
Paul Griffiths, dans son livre What Emotions Really Are14 a essayé de résoudre la tension entre les perspectives néo-darwiniste et cognitive, en distinguant deux classes d’émotions : celles qui peuvent être analysées par le « programme de sentiments » (« affect program ») de Paul Ekman, et les émotions plus cognitives et plus « hautes », comme l’envie, la culpabilité, la jalousie et l’amour (« higher cognitive emotions such as envy, guilt, jealousy, and love », p. 9). Avec cette division, Griffiths conclut qu’« il est peu probable que le concept d’émotion soit utile dans la théorie psychologique » (« the concept of emotion is unlikely to be a useful concept in psychological theory », p. 14), puisqu’il inclut des choses qui sont catégoriquement distinctes ; il propose que le terme ‘émotion’ soit éliminé de notre vocabulaire psychologique (« the term ‘emotion’ should be eliminated from our psychological vocabulary », p. 15). Comme je ne crois pas que la colère soit moins cognitive que l’envie, je ne dessinerais pas la frontière là où le fait Griffiths. De toute façon, les deux classes de Griffiths sont trop dépendantes d’idées modernes relatives à l’émotion pour être utiles à la comparaison interculturelle. Cependant, je crois qu’il est possible de définir un assemblage ou une combinaison de réponses pré- ou proto-émotionnelles qui peuvent être considérées comme innées et universelles, à la différence des « émotions » dans le sens plein du terme, soit dans les théories modernes soit dans la théorie aristotélicienne. D’une certaine manière, Silvan Tompkins a déjà essayé de séparer ce qu’il appelle les « affects », des émotions proprement dites, bien qu’il y ait plusieurs problèmes avec sa manière de développer sa théorie, entre autres, le fait qu’il utilise les mêmes noms (par exemple « la haine ») pour l’« affect » et pour l’émotion. Pourtant, il y a certaines formes de comportement, comme l’attachement à un autre individu que l’on peut observer chez les bébés, la fuite devant de grandes choses qui paraissent trop proches, la réponse à des caresses, la tendance à se cacher devant des stimulations fortes, des signaux de tension, etc., qui semblent être communes aux hommes partout, et qui sont même partagées par certains animaux. Ces comportements ont souvent des corrélations physiologiques, que les savants mesurent dans les laboratoires et qu’ils considèrent souvent comme preuves que les émotions élémentaires sont innées. Le problème, selon moi, réside dans l’attribution du nom « émotion » à ces réponses. En général, il me semble que les émotions proprement dites sont beaucoup plus complexes que ces réactions élémentaires, et en conséquence plus variables. On ne doit pas accepter totalement la conception aristotélicienne du pathos et de ses espèces, ni son insistance vigoureuse sur le rôle du jugement et des rapports personnels, comme le lieu et la cause du comportement émotionnel – quoique je reconnaisse ma prédilection particulière pour les points de vue d’Aristote qui, je le crois, peuvent toujours contribuer aux théories modernes. De toute façon, si l’on pouvait isoler un répertoire judicieux de comportements sentimentaux universels, on pourrait déterminer le degré ou la forme de leurs incorporations dans les concepts émotifs de cultures diverses, sans pouvoir s’attendre à identifier les mêmes combinaisons dans les vocabulaires populaires de toutes les sociétés. Peut-être pourrait-on même déterminer quelles sortes de réponses primitives se rencontrent dans le comportement émotionnel, ou quels sont les éléments de base des émotions, dans ces sociétés distinctes. Enfin, on pourrait mettre de telles corrélations, si elles peuvent être établies, en rapport avec les dimensions plus cognitives du pathos ou de l’émotion, c’est-à-dire avec des valeurs et des expectatives, déterminées principalement par les communautés collectives, qui fournissent les stimuli des émotions proprement dites (la colère, la peur, la honte, etc.), dans la mesure où elles sont nommées et perçues dans les différentes cultures.
Le projet que je viens de présenter est énorme, et la recherche, soit physiologique soit sociologique, qui peut le réaliser reste primitive et élémentaire. Néanmoins, considérant les progrès immenses qui sont accomplis actuellement à l’égard de notre compréhension des bases physiologiques des réactions affectives, dans le cerveau et dans le corps entier, considérant aussi les études comparatives sur la structure du vocabulaire affectif dans des sociétés diverses apparues il y a dix ou vingt ans (et plus récemment dans les mondes classiques de Grèce et de Rome), on peut, je le crois, penser d’une manière raisonnablement optimiste qu’un tel projet peut aboutir. Et ainsi serait fondée une authentique histoire des émotions ; une histoire qui tiendrait compte des constructions et des combinaisons très variées du « soi » émergeant dans des sociétés diverses, et qui soit capable de reconnaître et de définir les éléments communs et universels qui s’insèrent dans la formation des émotions.
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1 Cf. Karl Marx, Economic and Philosophic Manuscripts of 1844, (trad. Martin Milligan), Buffalo, 1988. Cf. David Howes, The Varieties of Sensory Experience, Toronto, 1991 ; David Howes, Sensual Relations : Engaging the Senses in Culture and Social Theory, Ann Arbor, 2003.
2 David Konstan, The Emotions of the Ancient Greeks, Studies in Aristotle and Greek Literature, Toronto, 2006.
3 Charles Darwin, The Expression of the Emotions in Man and Animals, 3rd edition, with Introduction, Afterword and Commentary by Paul Ekman, London, 1998 [1872].
4 Paul Ekman, « Afterword », in Darwin, op. cit., pp. 390-391.
5 Craig A. Smith, Heather S. Scott, « A Componential Approach to the Meaning of Facial Expression », in James A. Russel & José M. Fernández-Dols (éds.), Psychology of Facial Expression, Cambridge, 1997, pp. 229-254.
6 Pour un résumé du débat sur l’expression du visage comme signal d’émotion, voir Brian Parkinson, Ideas and Realities of Emotion, London, 1995, pp. 121-138.
7 Aristote, Rhétorique, 2.2, 1378a31-33.
8 Aristote, Rhétorique, 2.1, 1378a20-23.
9 Aristote, Rhétorique, 2.5, 1382a21-25.
10 William W. Fortenbaugh, Aristotle on Emotion, London, 20022 [1975], p. 94.
11 C’est la vision dominante dans certains cercles, du moins ; on pourrait mettre en contraste l’approche de Steven Mithen, dans, Steven Mithen, The Singing Neanderthals : The Origins of Music, Language, Mind and Body, Cambridge MA, 2006 : « Most anthropologists are tempted to equate the large brain of Homo neanderthalensis with a capacity for language […] But the temptation must be resisted ; the Neanderthals who inhabited Europe and south-west Asia had brains as large as those of modern humans but behaved in quite different fashion, one that indicates the absence of language […] They were ‘singing Neanderthals’ – although their songs lacked any words – and were also intensely emotional beings : happy Neanderthals, sad Neanderthals, angry Neanderthals, disgusted Neanderthals, envious Neanderthals, guilty Neanderthals, grief-stricken Neanderthals, and Neanderthals in love. Such emotions were present because their lifestyle required intelligent decision-making and extensive social cooperation » (cité par William H. McNeill, « Beyond Words », un compte-rendu de Mithen, The New York Review of Books 53.7 (27 avril 2006).
12 Ira J. Roseman and Craig A. Smith, « Appraisal Theory : Overview, Assumptions, Varieties, Controversies », in Klaus R. Scherer, Angela Schorr & Tom Johnstone (éds.), Appraisal Processes in Emotion : Theory, Methods, Research, Oxford, 2001, pp. 3-19, sp. p. 3.
13 Richard S. Lazarus, « Relational Meanings and Discrete Emotions », in Klaus R. Scherer, Angela Schorr & Tom Johnstone (éds.), o.c. n.12, pp. 37-67, sp. p. 40.
14 Paul E. Griffiths, What Emotions Really Are : The Problem of Psychological Categories, Chicago, 1998.