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La gestion de l’angoisse et de l’agression dans l’Évangile de Jean

Une contribution à la psychologie du christianisme primitif

Petra VON GEMÜNDEN

Université d’Augsbourg

Gérer sa propre angoisse face aux menaces d’agressions ou aux agressions subies a constitué pour bon nombre des premiers chrétiens un lourd défi à relever. Ce défi, nous le retrouvons aussi et surtout dans l’Evangile de Jean, lequel traite explicitement de l’angoisse et de l’oppression ressenties dans un monde hostile, mais aussi de la manière d’entrer dans la joie et la paix en restant actif et positif pour affronter cette situation menaçante. Cette façon particulièrement intéressante de gérer la peur, et qui va à l’encontre de notre pensée (magique) moderne, sera explicitée tout au long de ce travail.

Pour commencer, nous présenterons brièvement les thèses de cet exposé, puis nous les examinerons en détail dans la partie centrale. Pour finir, nous nous intéresserons à l’objectif pragmatique de l’Evangile de Jean.

« En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité (θλῖψις) ». Ces mots qui apparaissent dans l’Evangile de Jean (Jn 16,33) reflètent la situation de la communauté johannique en butte à des agressions et des persécutions pouvant les conduire jusqu’à la mort. Cette situation menaçante qui, dans l’Evangile de Jean, peut être interprétée comme « haine du monde » suscite chez les chrétiens johanniques diverses émotions, en particulier la peur (φόβος).

Dans ce climat de violence et d’angoisse que vivent les chrétiens johanniques, l’Evangile de Jean peut être lu comme une tentative de réinterprétation de l’histoire de Jésus, visant à les aider à gérer leur peur et leur découragement afin qu’ils puissent accéder à la joie et la paix. Pour ce faire, les auteurs de l’Evangile de Jean1 ont recours à différentes stratégies.

L’expression et la stimulation des émotions : l’expression des émotions constitue déjà une première étape dans la gestion des émotions. La stimulation des émotions s’effectue par une codification des agressions et persécutions potentielles ou subies, sous la figure mythique du diable, « homicide dès le commencement » (Jn 8,44). Concrètement, Satan est assimilé à un être humain, en l’occurrence, Judas Iscariote2, et, sur un plan plus abstrait aux « ténèbres », par opposition à la « lumière »3. Par trois fois, et dans des passages importants, le diable est appelé « prince du monde » et les épreuves infligées présentement par les princes de ce monde se trouvent ainsi symboliquement amplifiées et insérées dans un cadre mythique.

La gestion de l’angoisse et des agressions subies s’opère par distanciation à l’aide d’une autre figure, celle de Jésus, dont le Père est la contre-figure de Satan. En effet, Jésus a été haï et persécuté avant que les chrétiens de la communauté johannique ne le soient (Jn 15,18).

Ainsi, dans l’Evangile de Jean, Jésus devient, au plan mythique, le fondement sur lequel la communauté johannique peut prendre appui pour surmonter son angoisse puisque, par sa mort sur la croix, Jésus a vaincu définitivement Satan et le monde hostile qui lui était associé : « Prenez courage, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33). Jésus prend alors valeur de sacrement dans la gestion de l’angoisse, le sacrement étant compris ici comme un acte mythique qui procure le salut.

Par ailleurs, au plan terrestre, Jésus qui exprime son angoisse par la prière qu’il adresse à Dieu et se soumet au martyre de son plein gré, devient le modèle à imiter et prend ainsi valeur d’exemple dans la gestion de l’angoisse. Cette focalisation sur la figure de Jésus dans la gestion de l’angoisse rend d’autant plus douloureuse l’absence de ce dernier. Dans la situation difficile qu’ils ont à vivre, les disciples éprouvent alors un sentiment d’abandon qui ne fait que renforcer leur angoisse. Cette crainte de l’abandon, l’Evangéliste et son école la traitent de manière à la fois narrative4 et argumentative5 en montrant que le départ de Jésus est nécessaire pour assurer par la suite sa présence bienfaisante et indéfectible en tout temps et en tout lieu6. La peur est ici surmontée par la promesse que le Christ sera auprès des destinataires de l’Evangile et qu’il les accompagnera dans les épreuves qu’ils ont et auront à traverser7.

Un certain nombre d’indices textuels montrent que l’auteur de l’Evangile et son école poursuivent des objectifs pragmatiques face à la situation ressentie comme menaçante : ils veulent fournir aux destinataires le moyen de gérer leur angoisse8, ancrer la joie eschatologique dans leur cœur (Jn 16,20.22), leur donner du courage9, leur insuffler la paix de Jésus et les rendre ainsi capables de se confronter à nouveau à un monde hostile (Jn 17,18 ; Jn 20,21)10. Manifestement, l’auteur atteint cet objectif pragmatique en stimulant la peur tout en sachant la mettre à distance. C’est la combinaison optimale de ces deux facteurs et leur importance pour la gestion des émotions que Thomas J. Scheff, thérapeute et sociologue, expose dans sa théorie de la catharsis dont je parlerai à la fin de mon article.

I. Présupposés pour l’interprétation de la gestion de l’angoisse (et de l’agression) dans l’Evangile de Jean

1.1. La technique johannique de la « fusion des horizons »11

Dans l’Evangile de Jean, nous pouvons constater que l’horizon du temps de Jésus se confond toujours avec celui de la communauté postpascale : dans son discours d’adieu, par exemple, le Jésus johannique dit à ses disciples : « En ce monde, vous faites l’expérience de l’adversité, mais soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde » (Jn 16,33). Sur un plan littéraire, ce verset précède le récit de la Passion, mais la formulation « j’ai vaincu le monde » montre que ce n’est pas le Jésus terrestre d’avant la Passion qui parle aux disciples, mais le Jésus ressuscité qui, selon la conception de l’école johannique, a vaincu, à la croix, le monde obscur et par conséquent le diable. Alors que sur un plan purement narratif, Jésus prend congé de ses disciples, l’auteur de l’Evangile met dans la bouche de Jésus une interprétation postpascale de sa mort12 et fait, en quelque sorte, une rétroprojection de l’interprétation chrétienne postpascale dans la vie du Jésus terrestre. Quand Jésus constate que les disciples auront à souffrir dans le monde, il s’adresse, sur le plan narratif, aux Douze, mais les destinataires du texte, exposés à des souffrances, à l’adversité et à une situation pénible et angoissante, peuvent s’identifier aux apôtres13.

1.2. La situation de la communauté johannique

L’une des clés d’interprétation de la situation de la communauté johannique (ou d’un groupe à l’intérieur de cette communauté) nous est fournie en Jn 16,2 : « Ils vous excluront de leurs synagogues ; l’heure même vient où quiconque vous fera mourir croira présenter un sacrifice à Dieu ». Il s’agit là de menaces de mort contre les chrétiens johanniques. L’Evangile de Jean mentionne l’exclusion des synagogues par trois fois14. De toute évidence, la profession de foi chrétienne était ressentie comme blasphématoire15. De nombreux adeptes, même haut placés (Jn 12,42), évitaient de confesser publiquement leur foi en Jésus comme Christ, par crainte (φόβος) « des Juifs ». Comme le texte le montre, les chrétiens vivaient, au moins potentiellement, sous la menace de violentes persécutions, et cette menace revient régulièrement dans tout le christianisme primitif16. La formulation du verset 16,2 : « présenter un sacrifice à Dieu » (λατρείαν προσφέρειν τῷ θεῷ), prouve que ceux qui persécutaient les chrétiens johanniques considéraient le meurtre des infidèles comme un acte cultuel. Cette interprétation renvoie aux cercles des zélotes dans lesquels on révérait la figure de Pinhas, lequel, afin de conjurer le mauvais sort qui menaçait son peuple, avait tué son coreligionnaire Simri, coupable d’avoir épousé une Madianite17. Ainsi selon Jn 16,2 ceux qui confessaient publiquement leur foi en Jésus-Christ étaient menacés, directement ou indirectement, par la violence des Juifs fondamentalistes18. Or à l’exception de Jn 13,33 la mention des Juifs (oἱ ’Ιουδαῖοι), ne figure plus dans les discours d’adieux (Jn 13-17) et une série d’indices signale des cercles pagano-chrétiens au sein de la communauté johannique19. Par conséquent, on ne peut pas exclure l’hypothèse d’un déplacement de la situation conflictuelle à une phase ultérieure20. En Jn 15,18, nous trouvons la formule plus générale de « haine du monde »21. Or, s’il est difficile de préciser en quoi consistaient les menaces qui planaient sur les destinataires de l’Evangile de Jean22, il est manifeste que les chrétiens johanniques se trouvaient dans une situation menaçante23, et ce qui nous importe dans cette recherche, c’est le fait que ces menaces, quelles qu’elles fussent, généraient chez ces derniers des émotions, et en particulier de la crainte et de l’angoisse.

Le terme « crainte » (φόβος) revient d’ailleurs à plusieurs reprises explicitement dans le texte24 :

En Jn 7,12ss., le peuple murmure au sujet de Jésus à la fête des Tabernacles, mais personne n’ose s’exprimer ouvertement par crainte (φόβος) des Juifs, des Juifs johanniques, s’entend25.

En Jn 9,21, les Juifs veulent savoir qui a guéri l’aveugle de naissance. Ses parents leur répondent qu’ils ne le savent pas et que leur fils est assez grand pour le dire lui-même. Cette réponse évasive nous est expliquée en Jn 9,22 où il est dit que c’était « parce qu’ils avaient peur des Juifs » (ὅτι ἐφοβοῦντο τοὺς ’Ιουδαίους). Et lorsque le fils guéri dit aux pharisiens que Jésus devait être « de Dieu », ils le « jetèrent dehors » (καὶ ἐξέβαλον αὐτὸν ἔξω). Cette remarque montre que la crainte des parents de l’aveugle n’était pas sans fondement.

En Jn 19,38, Joseph d’Arimathée, un disciple de Jésus, demande à Pilate, mais en secret, « par crainte (φόβος) des Juifs », l’autorisation de prendre le corps de Jésus.

Enfin, en Jn 20,19, il est dit que les disciples au soir de Pâques avaient verrouillé les portes, « par crainte des Juifs » (διὰ τὸν φόβον τῶν ’Ιουδαίων)26.

Or, le peuple de Jérusalem, Joseph d’Arimathée, les parents de l’aveugle né et les disciples de Jésus étaient eux-mêmes des Juifs. Le discours sur la « crainte des Juifs » pose dès lors un problème, historiquement parlant. Et pourtant, il prend tout son sens lorsque l’on sait que selon Jean, la communauté johannique fut exclue de la synagogue protectrice. Nous trouvons donc ici une indication de cette fusion des horizons mentionnée plus haut et une justification au fait que les menaces qui pesaient sur la communauté johannique faisaient effectivement peur aux chrétiens johanniques27. Cette peur telle qu’elle est décrite dans le texte se manifeste concrètement : tout discours public sur Jésus est étouffé28 et les portes restent verrouillées lorsque les adeptes de Jésus se réunissent. Ils se terrent ainsi par crainte d’un monde qu’ils ressentent comme hostile.

La réaction à une telle situation se traduit non seulement par la peur (φόβος), mais aussi, directement ou indirectement, par d’autres émotions. Dans ce monde hostile, l’inquiétude, le bouleversement (ταράσσω)29, le découragement (δειλιάω)30, les pleurs (κλαίω), les plaintes (θρηνέω), le chagrin (λύπη) face au sentiment d’abandon31 (ils sont « comme des orphelins »32), sont autant de termes employés pour exprimer de manière directe les émotions ressenties, et de manière indirecte un manque de sérénité (εἰρήνκη)33.

Comment l’Evangéliste et son école s’y prennent-ils pour gérer toutes ces émotions ?

II. Gestion de l’angoisse et de l’agression par l’Evangéliste Jean et son école

2.1. L’expression et la stimulation des émotions

2.1.1. L’expression des émotions

L’expression directe ou indirecte des émotions peut être considérée comme la première étape de leur gestion34. L’Evangéliste et ses disciples s’expriment de manière explicite lorsqu’ils font mention directe de réactions émotionnelles telles que la peur, le bouleversement, les plaintes, le chagrin et l’inquiétude. Nommer les émotions, c’est les replacer sur un plan cognitif en les rendant conscientes et par conséquent, commencer à les gérer35. En évoquant les émotions et en les distanciant par le biais de l’Evangile36, l’auteur permet aux destinataires de prendre du recul par rapport à leur situation et d’en assurer la gestion grâce à la lecture de l’Evangile37.

2.1.2. La stimulation des émotions : la figure de Satan comme codification mythique de l’agression et de la persécution

L’agression, passivement subie et sans cesse menaçante, est exprimée par la figure mythique du « diable » (διάβολος) ou de « Satan » (ὁ σατανᾶς) ou encore du « prince de ce monde »38. A la différence des évangiles synoptiques, l’Evangile de Jean présente toujours cette contre-figure de Dieu en relation avec la mort violente de Jésus39. Ainsi le regard se focalise entièrement sur la volonté de tuer le diable ou Satan. La figure du diable qui vise la destruction totale de celui qu’il attaque, permet d’exprimer la crainte de l’agression, en recourant à des notions et des concepts culturels établis40.

En Jn 8,44, le Jésus johannique dit du « diable » (διάβολος) qu’il est celui qui était « homicide dès le commencement (ἀνθρωποκτόνος… ἀπ’ ἀρχῆς) ». Ce terme41 exprime en toutes lettres la volonté de destruction du diable et se réfère probablement à la conception traditionnelle de Satan qui fait perdre à l’être humain son immortalité42, ainsi qu’à l’histoire fratricide de Caïn43 qui suit immédiatement le récit de la Chute, dans la Genèse. Selon la représentation de l’Evangile de Jean, le diable est donc toujours à l’œuvre dans l’adversité.

La mention du diable considéré comme homicide et menteur, est précédée d’un double constat adressé aux Juifs johanniques : d’abord la remarque de Jésus « Vous cherchez à me faire mourir »44, puis à la fin du chapitre « ils ramassèrent des pierres pour les lancer contre lui »45. Dans ce contexte, le Jésus johannique argumente en disant qu’ils ne le comprennent pas, alors qu’il leur a transmis la vérité qu’il a entendue de Dieu46 et qu’ils cherchent à le tuer au lieu de l’aimer. C’est pourquoi leur père ne peut être que le diable dont ils cherchent à réaliser les désirs meurtriers47. Il faut mentionner ici que ce passage est l’un des plus anti-judaïques du Nouveau Testament et que nous ne pouvons que le rejeter énergiquement aujourd’hui. Mais ceci ferait l’objet d’un autre exposé48. Pour l’heure, relevons que traiter les Juifs d’enfants du diable soucieux d’accomplir les désirs meurtriers de leur père (Jn 8,44) permet aux chrétiens johanniques de transformer la menace qui pèse sur eux en contrattaque verbale d’ordre mythique49.

En outre, le diable n’œuvre pas seulement dans le groupe extérieur ennemi, mais aussi à l’intérieur du groupe car là aussi, plane la menace de l’apostasie et de la trahison mortelle, notamment sous la figure traditionnelle de Judas Iscariote qui permet d’exprimer de manière détournée la peur de la délation50. En effet, en Jn 6,70s., Judas Iscariote est explicitement qualifié de diable (διάβολος)51 « car il devait le trahir »52. Le diable se manifeste et s’incarne en Judas, en ce personnage qui ose livrer à la violence et à la mort un de ses intimes, en l’occurrence Jésus. De même, en Jn 13,2, au début des discours d’adieux qui préparent le récit de la Passion tout en l’interprétant dans une perspective postpascale, il est dit, quoiqu’exprimé un peu différemment, que le diable avait jeté au cœur de Judas Iscariote, fils de Simon, la pensée de le livrer (παραδοῖ)53. La même idée est exprimée en Jn 13,27 dans la scène du dernier repas, quand on raconte comment Satan (ὁ σατανᾶς) pénétra en Judas lorsque celui-ci prit la bouchée que lui tendait Jésus (par amour)54.

En outre, la remarque qui suit : « il sortit immédiatement : il faisait nuit (ἦν δὲ νύξ) »55, gagne encore en valeur symbolique grâce au contraste lumière-ténèbres qui traverse toute la première partie de l’Evangile de Jean. Judas quitte la sphère lumineuse de Jésus56 pour rejoindre dehors le monde des ténèbres57. L’obscurité qui cherche à dominer sur les ténèbres (Jn 1,5a) symbolise la situation de menace vécue sur un plan abstrait et comme phénomène mythique58 et ce, dès le prologue de l’Evangile.

Par trois fois et à des endroits clés59, il est fait mention du « prince de ce monde » (ὁ ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου)60, sous-entendu de ce monde qui est hostile à Dieu61. Il s’agit là d’une notion propre à Jean, qui personnifie le Mal, menaçant et destructeur62. Ceci reflète sans doute les expériences négatives et la peur des chrétiens johanniques face aux délateurs et détenteurs du pouvoir63.

2.2. La gestion de la peur et de l’agression à l’aide de la distanciation : Jésus surmonte la peur pour lui-même et pour ses lecteurs et lectrices

2.2.1. La figure de Jésus comme sacrement (sacramentum) pour surmonter la peur

Dans l’Evangile de Jean, l’agression subie et la peur face aux menaces qui planent sur la communauté sont traitées « du point de vue christologique, d’une manière qui diffère totalement des autres évangiles »64. Tout d’abord à l’aide des codes mythiques mentionnés ci-dessus. Jean et son école montrent que par sa mort sur la croix et sa glorification, Jésus a déjà vaincu définitivement Satan et le monde hostile qu’il domine, et qu’il s’agit là d’une victoire à laquelle les siens auront part.

Ainsi, à la fin de la « scène johannique de Gethsemané », quand Jésus a décidé de prendre sur lui la Passion et la mort, nous retrouvons la mention du « prince de ce monde » (ὁ ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου) qui va être jeté dehors (Jn 12,31). Le redouté « prince de ce monde » subit donc le même sort que l’aveugle de naissance qui est « jeté dehors » par les Pharisiens65 lorsqu’il atteste de l’origine divine de Jésus. Il s’agit là d’un indice de la riposte mythique dont nous parlions plus haut66. Cette victoire sur le prince de ce monde s’opère par la mort de Jésus, interprétée non pas de manière négative comme défaite, mais de manière positive, comme élévation de Jésus, avec des conséquences salvatrices pour les siens. Ceci est d’ailleurs renforcé par la prophétie de Jésus qui suit : « Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12,32)67.

A la fin du premier discours d’adieux, qui va droit au cœur des disciples effrayés et découragés68, Jésus dit expressément : « … le prince de ce monde vient. Certes, il n’a en moi aucune prise » (Jn 14,30)69. En effet, le prince de ce monde n’a aucun pouvoir sur Jésus car, comme l’affirme l’Evangile de Jean, Jésus, – comme tous les siens70 – « n’est pas de ce monde »71. Celui qui détient de fait le pouvoir dans ce drame cosmomythique n’est justement pas le prince de ce monde, à savoir le diable, mais le Père de Jésus (cf. Jn 14,31)72. A partir de là, la Passion et la mort de Jésus sont à comprendre, non pas comme victoire de Satan, mais comme départ de Jésus vers le Père. Il n’y a donc aucune raison d’avoir peur, mais toutes les raisons d’être joyeux (Jn 14,28) quand on comprend les propos de Jésus et qu’on est en lien avec Lui.

A la fin du deuxième discours d’adieux qui fait explicitement allusion à la haine du monde (Jn 15) et au meurtre d’adeptes de Jésus (Jn 16,2), le Jésus johannique annonce la venue du Paraclet. Celui-ci est supposé convaincre le monde et montrer73 que le prince de ce monde a déjà été jugé et qu’il n’a donc plus de pouvoir (Jn 16,8-11)74. Il est donc définitivement condamné, et ce qui en Jn 12,31, était rendu par « jeté dehors »75, s’exprime ici en style forensique. La victoire ultime de Jésus sur le prince de ce monde est acquise et l’impuissance de ce dernier définitivement scellée (Jn 14,30). Cette interprétation est censée procurer aux destinataires de l’Evangile la paix en Jésus. C’est pourquoi, Jésus peut dire : « Soyez pleins d’assurance, j’ai vaincu le monde » (16,33)76.

L’impuissance du mal qui, malgré son offensive, ne peut rien contre la lumière est déjà évoqué dès le prologue de l’Evangile, dans un langage mythique fondateur77. En effet, avant l’incarnation du Λόγος (du Verbe), il est dit de celui-ci : « En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point vaincue / comprise » (Jn 1,5)78. Ceci signifie que les ténèbres n’ont pas compris la lumière et ont essayé de l’éteindre par la force79, mais en vain80.

2.2.2. La figure de Jésus comme modèle pour surmonter la peur

Parallèlement à la gestion de la peur sur le plan mythique où Jésus a remporté une victoire définitive sur ses ennemis, Jésus fonctionne, sur le plan terrestre, comme modèle, comme exemplum de la gestion de la peur face à la menace qui pèse sur sa propre existence81. Nous en avons l’illustration dans la scène johannique de Gethsémané (Jn 12,27ss.) qui évoque comment Jésus gère ses émotions face à la situation angoissante à laquelle il doit faire face. Cette scène a sans doute été lue avec beaucoup d’attention par les chrétiens qui, craignant d’être harcelés et persécutés82, pouvaient se référer à Jésus qui, devant sa mort imminente, exprimait son effroi, sa confusion et son désarroi : « Maintenant, mon âme est troublée (Νῦν ἡ ψυχή μου τετάρακται) »83. Or, en verbalisant sa peur à Dieu, Jésus fait un premier pas pour surmonter cette peur. Il l’exprime à Dieu, s’appuyant sur la formulation de Ps 6,4ss.84, dans lequel le psalmiste crie son désarroi lorsqu’il est dans les affres de la mort. La scène montre que par la prière, on peut gérer sa propre peur en reprenant à son compte des paroles connues auxquelles on peut s’identifier. Jésus pourrait prier pour son salut avec le psalmiste, et c’est du reste ce qui est évoqué par le Jésus johannique en Jn 12,27aß. Mais à la différence du Jésus de Marc qui prie son Père en disant : « Ecarte de moi cette coupe » (Mc 14,36), le Jésus johannique prie en disant : « Père, glorifie ton nom » (Jn 12,28). Il surmonte ainsi sa peur de la mort en demandant à son Père sa Passion et sa mort, laquelle, dans l’Evangile de Jean, est indissolublement unie à sa gloire, à sa vie en plénitude85.

En Jn 14,31, il dit explicitement : « Levez-vous, partons d’ici », ce qui veut dire dans le contexte : Allons affronter la Passion86. On voit donc que la capacité de gérer la peur est ici fortement marquée par la christologie johannique. Pour les lecteurs (et les lectrices) de cet Evangile sans cesse menacés, il devient manifeste que Jésus surmonte ici sa peur en entrant consciemment et de son plein gré dans la situation redoutée et en donnant à sa mort une signification positive87.

2.2.3. La gestion de la peur exacerbée par le sentiment d’abandon chez les disciples

Unique dans l’Evangile de Jean, cette focalisation sur la figure de Jésus dans la gestion de la peur chez les chrétiens johanniques88, rend d’autant plus aigu le problème de l’absence de Jésus qui a quitté ses disciples pour aller vers son Père89. Il n’est plus auprès d’eux et cela suscite encore plus d’angoisse face à la situation difficile qu’ils vivent. Ce sentiment d’abandon des chrétiens johanniques, les rédacteurs de l’Evangile le prennent au sérieux en le traitant d’une part sur un mode narratif dans le passage sur les œuvres publiques de Jésus et d’autre part de manière plus rhétorique et argumentative dans les discours d’adieux.

2.2.3.1. La péricope de la tempête apaisée (Jn 6, 16ss.)

L’abandon des disciples au milieu des dangers qui les menacent est traité de manière narrative en Jn 6,16ss., selon une reprise de la tradition synoptique90. On se place ici dans la perspective des disciples91, en racontant comment ceux-ci, livrés à la tempête92 sont rejoints par Jésus dans la nuit, au milieu d’un lac houleux. Cependant, la remarque introduisant l’événement dramatique : « Déjà l’obscurité (σκοτία) s’était faite et Jésus ne les avait pas encore rejoints »93 ne se trouve que chez Jean et manque chez Marc et Matthieu. Cette remarque met en évidence le fait que les disciples sont seuls et que l’obscurité règne. Le mot employé ici (σκοτία) acquiert alors, dans l’Evangile de Jean, un surplus de sens symbolique94 : la tempête (Jn 6,18) représente les « forces adverses »95 qui s’acharnent sur les disciples. Lorsque ceux-ci se trouvent au milieu du lac96, c’est-à-dire quand ils sont en péril, ils voient Jésus marcher sur les eaux et s’approcher du bateau et ils prennent peur (καὶ ἐφοβήθησαν).

Incontestablement, les disciples se trouvent dans une situation hautement périlleuse et leur peur résonne sans doute chez tout lecteur, mais ce n’est que lorsque Jésus apparaît qu’il est explicitement dit que ces derniers prennent peur97. S’agit-il d’une peur à caractère numineux ? La peur survient-elle au moment où Jésus apparaît parce que la communauté se rend compte que c’est justement Jésus ou plutôt l’adhésion à Jésus qui l’expose à toutes ces vicissitudes ? 98 Ou les deux à la fois ? Toujours est-il que Jésus leur dit : « C’est moi », et que c’est dans cet ἐγώ εἰμι que vient résonner la façon dont Dieu se présente99. Ce « c’est moi » est de toute évidence la raison pour laquelle il les exhorte en disant : « Ne craignez pas ». Les disciples veulent ensuite faire monter Jésus à bord, mais, à la différence de Marc et Matthieu, on ne dit pas que Jésus le fait, ni que la tempête s’apaise100. Les lecteurs de l’Evangile peuvent ainsi retrouver, grâce au récit, leur propre solitude au milieu des forces menaçantes, mais de manière distanciée. En effet, ils voient que la venue de Jésus ne supprime pas le danger101, mais que lui-même s’engage en disant : « C’est moi, ne craignez pas ». Ce n’est donc que la présence divine qui motive ici l’absence de crainte102, et l’épisode se clôt merveilleusement par un accostage inexplicable.

2.2.3.2. Les discours d’adieux de Jésus (Jn 13-17)

Les discours d’adieux de Jésus sont encore plus éloquents lorsqu’il s’agit de montrer comment le sentiment d’abandon des disciples est géré face à une situation menaçante103. En effet, dans ces discours, la mort de Jésus est interprétée selon une perspective postpascale : dans le texte, de manière prospective, Jésus y thématise en détail son départ et évoque la peur, l’effroi, le découragement et la tristesse des disciples face aux difficultés qu’ils ont à surmonter à l’extérieur et au sentiment qu’ils éprouvent en se sentant abandonnés dans leurs difficultés, comme des « orphelins » (Jn 14,18). Nous pouvons, du reste, percevoir que ce sentiment est encore plus aigu104 lorsqu’on passe du premier au deuxième discours d’adieux, la situation allant probablement en s’aggravant105.

Dans ces discours, on tente de hisser les émotions et les facteurs déclenchant ces émotions au plan cognitif106 et de les traiter de manière argumentative et réflexive. Relevons ici quelques-unes de ces stratégies :

a) L’anticipation de la situation qui suscite la peur : Le Jésus johannique annonce son départ, la haine du monde et la persécution. La fonction de cette annonce, exprimée au plan du métalangage, est explicitée en Jn 16,1 : « Je vous ai dit cela pour que vous ne trébuchiez pas (μὴ σκανδαλισθῆτε) »107. Cet avertissement doit aider les chrétiens à se préparer à faire face à la haine du monde et à ses conséquences, sans se laisser submerger par l’effroi ou la peur. Il s’agit là d’une stratégie qui rappelle la praemeditatio recommandée par le stoïcisme108.

b) Le renforcement des liens sociaux entre les disciples et avec Jésus : en Jn 13,34, on demande aux destinataires de s’aimer les uns les autres, comme Jésus les a aimés109. L’amour au sein du groupe110 contraste avec la haine du monde111. La haine du monde est expliquée au plan cognitif : les adeptes de Jésus, tout comme Jésus, ne sont pas de ce monde112 et c’est par cet argument que les disciples sont liés à Jésus. Ils le sont non seulement par leur origine, mais aussi par leur destinée, lorsque le Jésus johannique déclare : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï avant vous » (Jn 15,18)113. La communauté se rapproche ainsi de Jésus en subissant de la part du monde extérieur la haine et les agressions qu’il a lui-même endurées114. La proximité et le lien (mystique) avec Jésus sont mis en valeur et accentués de manière encore plus visible à mesure qu’on avance dans les discours d’adieux115.

c) L’interprétation positive de l’abandon des disciples : le départ de Jésus est interprété comme condition de la venue de l’Esprit. Le départ de Jésus n’est pas interprété négativement, mais plutôt positivement et comme une preuve de sollicitude. Le Jésus johannique explique aux adeptes qu’il part afin de leur préparer une place dans la maison de son Père116. Il promet de revenir et de les prendre avec lui pour les ramener « à la maison »117, ouvrant ainsi une perspective aux destinataires. On explique de surcroît que le départ de Jésus ne signifie pas qu’il abandonne les disciples et les laisse orphelins118 car entretemps, Dieu va leur envoyer un autre consolateur, l’Esprit Saint, (le Paraclet)119. Ce départ est donc un bien et une nécessité pour les disciples car il conditionne la venue du Paraclet120, une présence nouvelle d’essence supérieure121, libre des contingences spatio-temporelles122, une sorte de « surplus de présence divine »123 œuvrant « pour leur salut »124. En outre, le Paraclet n’assure pas seulement la présence du Ressuscité au sein de la communauté, mais revêt une fonction herméneutique en interprétant les paroles de Jésus pour la situation de la communauté125.

d) La promesse d’une métamorphose de la peur en joie – la peur ouvre le passage vers une joie plus grande : En Jn 16,6.20ss., le deuil, les lamentations et les plaintes des disciples sont mentionnés par contraste avec la joie du monde. On leur prédit un changement radical de l’affliction (λύπη) en joie (χαρά)126. Ce changement est illustré en Jn 16,21 par la femme qui enfante, image directement compréhensible au plan cognitif et affectif et par ailleurs largement répandue à l’époque127. Lorsque la femme met au monde son enfant, elle est dans l’affliction (λύπη)128, mais lorsque l’enfant est né, elle ne « se souvient plus de son accablement (θλῖψις), elle est toute à la joie (χαρά) d’avoir mis un être humain au monde ». L’arrivée d’un être humain, d’un enfant, provoque chez la femme qui enfante un profond changement. Les douleurs et la peur de l’accouchement (λύπη / θλῖψις) se métamorphosent en joie. La métaphore est d’autant plus convaincante que l’Evangéliste recourt de toute évidence au livre d’Esaïe (Es 66, 5-17) dans lequel, sur la trame d’une histoire analogue, le cadeau de la joie (χαρά) est figuré par la naissance129. Ainsi, pour illustrer la manière dont la peur peut se gérer, l’Evangéliste a recours à la tradition vétéro-testamentaire avec une image préfigurant le changement eschatologique de la tristesse en joie130. Insérée dans un cadre analogue, l’image est revalorisée pour ses destinataires : « C’est ainsi que vous êtes maintenant dans l’affliction (λύπην ἔχετε). Mais je vous verrai à nouveau, votre cœur se réjouira et cette joie (χαρά), nul ne vous la ravira » (Jn 16,22).

III. L’objectif pragmatique de l’Evangile de Jean : stabilité intérieure, confiance et joie pour les destinataires

Devant les menaces venant de l’extérieur, la déstabilisation et les émotions qui en résultent, l’Evangéliste et son école, comme on peut le déduire des indices textuels, œuvrent dans le but pragmatique de transformer le trouble en stabilité, la peur en confiance, l’affliction en joie, afin que les destinataires puissent s’engager et vivre dans un monde hostile malgré leur foi et par leur foi en Jésus-Christ131. L’expression directe des émotions, la manière dont les agressions et persécutions qui planent sur la communauté sont codées dans le texte et traitées de manière mythique et exemplaire à l’aide de la figure de Jésus, et, corrélativement, la façon dont est traité le problème fondamental de l’absence de Jésus après sa mort, sont autant de moyens qui permettent une restructuration cognitive et par là même un travail sur les émotions et en fin de compte, induisent un nouveau comportement. Ainsi à la fin du premier comme du dernier discours d’adieux, le Jésus johannique oppose sa paix132 à la peur, au découragement et aux souffrances133 des disciples134. Mais en Jn 14,17, il précise aussitôt qu’il ne donne pas la paix comme le monde la donne. Ce faisant, il se distancie nettement de l’idée de la Pax Romana, largement propagée dans l’Empire, qui offrait la « paix » par les armes, la peur et l’oppression135. La paix de Jésus se caractérise par le fait qu’elle éloigne la peur et le découragement136. Ce n’est pas une paix137 octroyée par le monde, mais une paix offerte par Jésus138. Et comme cette paix n’est pas de ce monde, le monde ne peut pas la détruire139. A la fin du premier et du deuxième discours d’adieux de Jésus, la victoire mythique et définitive de Jésus est mise en relief (Jn 14,30 ; Jn 16,33b)140. Par la lecture de l’Evangile de Jean, le mythe devra s’ancrer dans le cœur des destinataires en détresse, afin qu’ils soient remplis de joie141. En incluant ces derniers dans la victoire cosmique et mythique de Jésus, l’Evangéliste cherche à leur transmettre la « joie » et la « paix » malgré la peur et les attaques qu’ils subissent142. Ils restent dans un monde de haine et de tourments (Jn 16,33 ; 17,15), mais sans cesse143, comme ce sera développé de manière narrative en Jn 20, le Ressuscité apparaît au milieu des disciples apeurés et pris par le doute. Il leur donne sa paix144, remplit leur cœur de joie145, éveille en eux la foi146 et les envoie dans le monde147.

Cet objectif d’une gestion de la peur réussie face à un contexte menaçant et haineux, l’Evangéliste cherche à l’atteindre en thématisant la peur que subissent ses lecteurs. Il ne l’exprime pas directement, mais de manière distanciée par le biais de l’Evangile. Ceci procure aux lecteurs de l’Evangile la sécurité de l’observateur. Ainsi, cette securité leur permet de ne pas se laisser paralyser par la peur et ne la refoulent pas non plus, mais ils peuvent s’y confronter et s’atteler au problème de manière discursive et argumentative en rejouant mentalement la situation déclenchante et leur propre réaction (praemeditatio).

La forme de l’Evangile permet non seulement de créer la distance de sécurité de l’observateur, mais aussi, et en même temps, d’induire une certaine tension en donnant aux lecteurs (et lectrices) la possibilité de s’impliquer émotionnellement et d’éprouver de l’empathie. Thomas Scheff, sociologue californien, a présenté une théorie de la catharsis qui correspond à nos propres observations sur l’Evangile de Jean148. Cette théorie, Scheff l’a développée à partir de ce qu’il a observé dans le cadre thérapeutique et de son étude du drame classique et des mythes antiques149. Selon lui, une catharsis réussie nécessite la combinaison de deux stimuli, l’un induisant la tension et l’autre procurant la sécurité. Le drame classique en est l’illustration car on y déclenche des sentiments douloureux chez la plupart des spectateurs tout en leur rappelant qu’ils ne sont que spectateurs150. Pour une bonne gestion des affects, il est primordial que le spectateur (ou le lecteur) ne reste pas seulement spectateur mais soit impliqué simultanément sur le plan émotionnel151. Pour autant que « la distanciation esthétique » soit optimale, il est affectivement touché et s’implique émotionnellement, tout en restant conscient qu’en tant que spectateur et donc observateur, il est protégé152. De cette manière, il peut devenir observateur de ses propres tensions et émotions et ce cadre rassurant lui permet de les prendre en compte et de les gérer de manière appropriée153.

Selon Scheff154, si la distance est optimale155, les deux stimuli, celui qui réduit la tension et celui qui apporte la sécurité, donnent la possibilité de surmonter ses affects, notamment son angoisse. Et c’est bien l’effet que l’Evangile de Jean semble produire : grâce à des stimuli qui induisent des tensions tout en étant rassurants, ceux et celles qui entendent ou lisent l’Evangile sont en mesure d’affronter leur peur, de la vivre et de la gérer dans la sécurité de la distanciation pour finalement faire face au monde hostile qui les entoure et s’y confronter.

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1 Dans sa version finale, l’Evangile de Jean, n’est pas l’œuvre d’un seul auteur, mais de plusieurs personnes faisant toutes partie d’un cercle théologique appelé l’école johannique, cf. seulement Christian Dietzfelbinger, Das Evangelium nach Johannes I, Zürich, ZBK.NT 4.1, Theologischer Verlag Zürich, 2001, p. 14 ; Jean Zumstein, « L’Evangile selon Jean », in Daniel Marguerat (éd.), Introduction au Nouveau Testament, son histoire, son écriture, sa théologie, Genève, Le Monde de la Bible 41, Labor et Fides, 2000, pp. 345-370, spécialement pp. 360-362.

2 Jn 13,27 (σατανᾶς) ; Jn 6,70 ; Jn 13,2 (διάβολος).

3 Cf. Jn 13,30 (νῦξ). Pour l’opposition de σκοτία et φῶς cf. Jn 1,5 ; 3,19 ; 8,12 ; 12,35.46 ; pour l’opposition du « bas » et du « haut », cf. Jn 8,23 ; Jn 3,13.31.

4 En Jn 6 : dans la partie concernant l’action publique de Jésus.

5 Dans les discours d’adieux de Jésus, Jn 13,31-16,33.

6 C’est ici que se situe la promesse du Paraclet.

7 La psychologie décrit ce phénomène comme « soutien social », cf. infra.

8 Takashi Onuki, Gemeinde und Welt im Johannesevangelium. Ein Beitrag zur Frage nach der theologischen und pragmatischen Funktion des johanneischen « Dualismus », Neukirchen-Vluyn, Wmant 56, Neukirchener Verlag, 1984, pp. 99-100, définit même la suppression de la peur et l’affermissement de la foi comme un objectif, en se référant à Jn 14,1.

9 θαρσεῖτε « soyez sans crainte ! » (Jn 16,33).

10 Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.168, pp. 109-111.

11 L’expression est due à Hans G. Gadamer, cf. Hans G. Gadamer, Wahrheit und Methode. Grundzüge einer philosophischen Hermeneutik, Tübingen, Mohr, 19754 [1960], pp. 289-290, pp. 356-357, p. 375 et ailleurs. Cette expression fut reçue dans l’exégèse avec certaines modifications, cf. Ferdinand Hahn, « Sehen und Glauben im Johannesevangelium », in Heinrich Baltensweiler, Bo Reicke (éds.), Neues Testament und Geschichte, FS O. Cullmann, Zürich et al., 1972, pp. 125-141, ici : pp. 140141, n.49 ; Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, pp. 12-13. Parfois, on trouve d’autres définitions ou désignations de ce phénomène, qui se concentrent sur l’aspect temporel : « Verschmelzung der Zeitenhorizonte » (Franz Mussner, Die johanneische Sehweise und die Frage nach dem historischen Jesus, Freiburg i. Br. et al., QD 28, 1965, p. 28), ou « Verschmelzung der Zeiten » (Christina Hoegen-Rohls, Der nachösterliche Johannes. Die Abschiedsreden als hermeneutischer Schlüssel zum vierten Evangelium, Tübingen, WUNT II/84, 1996, pp. 227-228 ; Klaus Scholtissek, « Abschied und neue Gegenwart. Exegetische und theologische Reflexionen zur johanneischen Abschiedsrede 13,31-17,26 », Ephemerides Theologicae Lovanienses, LXXV, 1999, pp. 332-358, ici : p. 343).

12 Cf. seulement Gail R. O’Day, « ‘I have overcome the World’ (John 16 : 33) : Narrative Time in John 13-17 », Semeia, LIII, 1991, pp. 153-166, p. 157, n.5 ; Klaus Scholtissek, Abschied, l.c., n.11, p. 344. Pour cette forme particulière de pseudonymie, caractéristique du genre du discours d’adieux, cf. Klaus Scholtissek, Abschied, l.c., n.11, p. 357. Pour la prétention de l’évangéliste et de l’école johannique à faire parler Jésus ipsissima verba lors de son heure d’adieux, cf. Klaus Scholtissek, Abschied, l.c., n.11, p. 357, qui pense que l’Evangéliste et l’école johannique se savent « selbst wiederum autorisiert durch die Kontinuität zum Ursprung, die insbesondere durch das Zeugnis des geliebten Jüngers und das Parakletwirken gesichert ist ».

13 La technique de la fusion des horizons à l’aide de la rétroprojection de la réalité postpascale dans un temps prépascal permet aux destinataires, non seulement d’y voir leur propre situation et de s’y identifier, mais aussi de prendre du « recul par rapport à leur propre situation » – et d’entamer une « réflexion critique et productive » sur cette situation, cf. Christina Hoegen-Rohls, o.c., n.171, p. 228.

14 Jn 9,22 ; 12,42 et 16,2. Seule la dernière annonce est au futur, les autres sont au présent.

15 On peut le déduire de Jn 9,22. Cf. aussi Jn 12,42, ainsi que Ulrich Wilckens, Das Evangelium nach Johannes, Göttingen, NTD 4, Vandenhoeck & Ruprecht, 1998, pp. 13-14 ; pp. 170-171 ; pp. 335-336 ; p. 348 ; Peter Hirschberg, Das eschatologische Israel. Untersuchungen zum Gottesvolkverständnis der Johannesoffenbarung, Neukirchen-Vluyn, WMANT 84, Neukirchener Verlag, 1999, pp. 111-117, en part. p. 113, à propos des judéo-chrétiens (probablement) d’Asie mineure.

16 En effet, il n’y a pas que Jésus et Jean-Baptiste qui furent persécutés, torturés et exécutés ; les disciples de Jésus-Christ subirent aussi des persécutions (pouvant aller jusqu’au martyre) : Ac 7,54-60 relate la lapidation d’Etienne ; en Ac 14,15-19 et 2 Co 11,25, il est également question de (tentatives de) lapidations ; Ac 8,1 mentionne aussi la persécution de « l’église de Jérusalem » ; Paul, persécuteur des chrétiens avant sa conversion, est maintes fois mentionné (Ga 1,13-14.23, Ph 3,6 ; cf. Ac 8,3 ; 9,1-2.13-14 ; 22,3 sqq. ; 26,10 sqq. ; dans les écrits trito-pauliniens : 1 Tm 1,13 ; 2 Tm 3,11). Comme chrétien, Paul est lui-même menacé et persécuté (cf. Ga 5,11 ; 2 Co [4,9] ; 11,24.32 ; 2 Co 12,10 ; Ph 1,7.13.17 ; Phm 1 ; 22 ; Rm 15,30-31, cf. Ac 9,23-24 ; 13,50 ; 21,27-40 ; Col 4,3.10.18 ; Ep 3,1 ; 4,1 ; 6,20 ; 2 Tm 1,8.16-17 ; 2,9 ; 3,11 ; 4,8). Paul finit par mourir (Ac 20,23 ; 21,11.13 y fait allusion), en subissant le martyre (1 Clem 5,5-7) ; cf. Tert., praescr. h. 36 ; Euseb, h.e. 11. 22, 2 ; Epistulae Senecae ad Paulum et Pauli ad Senecam, prologue. Jacques, le frère de Jean est, selon Ac 12,2 passé au fil de l’épée (cf. Jos., Ant 20, 200-201) et Pierre subit aussi le martyre (Jn 21,18 y fait allusion) ; cf. 2 P 1,14-15, ainsi que 1 Clem 5,4 ; Euseb, h.e. 11,25,5. Tert., praescr. h. 36). Quant à la persécution de l’εκκλησία elle est mentionnée en 1 Th 2,14 sqq. ; en Ga 6,12, Paul critique la circoncision comme « moyen » employé pour échapper à la persécution et Ac 12,1-2, relate les arrestations et mauvais traitements subis sous le roi Hérode, notamment avec le récit du martyre de Jacques. Dans Epistulae Senecae ad Paulum et Pauli ad Senecam, la lettre 11 – bien que tardive – vise la persécution de Néron. L’Apocalypse mentionne le martyre d’Antipas à Pergame (Ap 2,13) et beaucoup d’autres martyrs anonymes (Ap 6,9 sqq. ; 18,24 ; 19,2).

Ce n’est certainement pas sans raison qu’a été formulée, transmise et actualisée la béatitude de ceux qui furent humiliés et persécutés (Mt 5,10-11.44, par. – Lc 6,22 parle même de « rejet », ce qui signifie de toute évidence une expulsion de la synagogue). Mentionnons encore les paroles d’exhortation au martyre (Mt 10,28.38-39 par. ; Mc 8,34 sqq. par.), l’annonce de persécutions (Mc 13,9 sqq. par. ; cf. Mc 4,17 par.) et la mention de θλῖψις et de meurtres (1 Th 3,3-4 [7] ; cf. 2 Th 1,4 sqq. ; Mc 13,12 par. ; l’Apocalypse de Jean). La parénèse en 1 P mentionne des calomnies (1 P 2,12 ; 3,16) et les souffrances endurées « comme chrétien » (1 P 4,15-16), cf. aussi 2 Tm 2,1-13 ; 3,1012 ; 4,5 sqq. Selon Eusèbe, h.e. III, 32,3, Syméon, le parent du Seigneur, fut accusé sous Trajan d’être Davidide et exécuté ; la persécution des chrétiens par Bar Kochba est relatée par Justin, 1 apol. 31,6 (cf. Apocalypse de Pierre 2,8-10 et cf. à ce sujet Richard Bauckham, « Apocalypse de Pierre, Introduction », in François Bovon et Pierre Geoltrain (éds.), Ecrits apocryphes chrétiens I, Paris, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, pp. 747-749, ici : p. 748). Aussi bien Ignace d’Antioche (cf. les lettres d’Ignace ; Iren, haer. V, 28,4), Polycarpe de Smyrne (M.Polyc ; Euseb, h.e. IV, 15) que Justin (Acta Iusitini) ont subi le martyre.

17 Cf. Nombres Rabba 21,3 ; Tanch Pinchas § 3, éd. Buber 76a. Au sujet de Pinhas, cf. Nb 25,6-13 ; Ps 106,30-31 ; Si 45,23 ; 1 M 2,54 ; Philon, Vit. Mos. I, 300-302 ; Jos, Ant IV, 141-155 ; Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Evangile selon Jean III, Paris, Ed. du Seuil, 1993, p. 206 ; Martin Hengel, Die Zeloten. Untersuchungen zur jüdischen Freiheitsbewegung in der Zeit von Herodes I. bis 70 n. Chr., Leiden/Köln, Arbeiten zur Geschichte des antiken Judentums und des Urchristentums 1, E.J. Brill, 19762 [1961]), pp. 152-181. Paul suivit lui aussi, selon ses propres dires, l’idéal du « zèle » dans sa période préchrétienne, lorsqu’il persécutait « avec frénésie l’Eglise de Dieu » et qu’il cherchait « à la détruire » (Ga 1,13, cf. Ac 8,3 ; Ac 22,3-5).

Pour l’exclusion de la synagogue, cf. seulement Hermann L. Strack, Paul Billerbeck, Kommentar zum Neuen Testament aus Talmud und Midrasch IV/1, C.H. Beck, München 19562 [1928], pp. 329-333 ; Klaus Wengst, « Die Darstellung ‘der Juden’ im Johannes-Evangelium als Reflex jüdisch-judenchristlicher Kontroverse », in Dietrich Neuhaus (éd.), Teufelsbringer oder Heilsbringer – die Juden im Johannesevangelium, Frankfurt a. M., Arnoldshainer Texte 64, Haag & Herchen, 1990, pp. 22-38, ici : pp. 28-30. Selon Rainer Metzner, l’Evangile de Jean est à situer après 70, à l’époque de la controverse avec le judaïsme rabbinique et pharisien, lequel prônait une stricte observance de la loi (cf. Rainer Metzner, Das Verständnis der Sünde im Johannesevangelium, Tübingen, WUNT 122, Mohr, 2000, p. 80, cf. aussi pp. 203-204, pp. 322-324).

18 Cf. Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, p. 139, n.310 ; Jean Zumstein, « Zur Geschichte des johanneischen Christentums », ThLZ, CXXII, 1997, pp. 417-428, ici : p. 423 où il est question de persécution synagogale en Syrie, cf. B. Olsson, « The History of the Johannine Movement », in Lars Hartmann, Birger Olsson (éds.), Aspects on the Johannine Literature. Papers presented at a conference of Scandinavian New Testament exegetes at Uppsala, June 16-19, 1986, Uppsala, CB.NTS 18, Almqvist & Wiksell International, 1987, pp. 27-43, par. pp. 32-33 ; cf. également James L. Martyn, History and Theology in the Fourth Gospel, Nashville, 19792 [1968], pp. 24-62. – Parfois, on pense que le verset 16,2 ne reflète pas la situation actuelle de la communauté johannique, mais que ce verset est issu du schéma de la « tradition de persécution », cf. Jürgen Becker, Das Evangelium nach Johannes II, Gütersloh, ÖTK 4/2, Gütersloher Verlagshaus, 19842 [1981], p. 493. Et ici se pose pourtant la question de savoir quelles sont les expériences qui sont supposées être gérées au moyen du schéma de la tradition de la persécution (voir Klaus Wengst, Bedrängte Gemeinde und verherrlichter Christus. Ein Versuch über das Johannes-evangelium, Kaiser Verlag, München, 1992, pp. 82-83 ; Jean Zumstein, L’Evangile selon Saint Jean [13-21], Genève, CNT IVb, Labor et Fides, 2007, p. 123, n.71). Selon Jn 16,2-3, il semble que la synagogue aussi ait contribué à la situation de détresse et de mise en danger de la communauté johannique, cf. Jörg Frey, « Das Bild ‘der Juden’ im Johannesevangelium und die Geschichte der johannischen Gemeinde », in Michael Labahn, Klaus Scholtissek, Angelika Strotmann (éds.), Israel und seine Heilstraditionen im Johannesevangelium. FG J. Beutler, Paderborn et al., 2004, pp. 33-53, p. 49). La formulation générale πᾶς ὁ ἀποκρείνας, même si elle ne nomme pas explicitement les juifs comme auteurs des meurtres, peut être interprétée dans le sens que les dénonciations des (judéo-) chrétiens par des membres de la communauté synagogale pouvaient avoir pour conséquence le martyre (en ce qui concerne l’Asie mineure et la persécution de Domitien, voir Peter Hirschfeld, Israel, p. 114, cf. p. 115, n.405, et François Vouga, Le cadre historique et l’intention théologique de Jean, Paris, Beauchesne Religions, éd. Beauchesne, 1977, p. 104).

19 C’est ainsi que sont interprétés les mœurs et les usages juifs dans l’Evangile de Jean (Jn 2,6 ; 4,9-10, etc.). En Jn 12,20 sqq., il est question des « Grecs » et en Jn 10,16, « d’autres brebis » et de plus, on parle des fêtes juives et de la loi de manière étonnamment distanciée (cf. Jörg Frey, Bild ‘der Juden’, l.c., n.18, pp. 33-53, ici : pp. 41-42 ; Enno E. Popkes, Die Theologie der Liebe Gottes in den johanneischen Schriften. Zur Semantik der Liebe und zum Motivkreis des Dualismus, Tübingen, WUNT II/197, 2005, pp. 317-318 ; Martin Hengel, Die johanneische Frage. Ein Lösungsversuch mit einem Beitrag zur Apokalypse von J. Frey, Tübingen, WUNT 67, Mohr, 1993, pp. 300[-305] ; Jörg Frey, Die johanneische Eschatologie II, Das johanneische Zeitverständnis, Tübingen, WUNT 110, 1998, p. 259 ; Udo Schnelle, Einleitung in das Neue Testament, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1994, p. 541 [« überwiegend heidenchristliche Gemeinde »]).

20 Un déplacement de la situation conflictuelle à une phase ultérieure de la communauté est supposé par Klaus Scholtissek, Abschied, l.c., n.11, p. 339 ; cf. de même Jörg Frey, Bild ‘der Juden’, l.c., n.18, p. 43 ; Christian Dietzfelbinger, Das Evangelium nach Johannes II, Zürich, ZBK.NT 4.2, Theologischer Verlag Zürich, 2001, p. 182 et Manfred Lang, « Johanneische Abschiedsreden und Senecas Konsolations-literatur. Wie konnte ein Römer Jn 13,31-17,26 lesen ? », in Jörg Frey, Udo Schnelle (éds.), Kontexte des Johannesevangeliums. Das vierte Evangelium in religions-und traditionsgeschichtlicher Perspektive, Tübingen, WUNT 175,2004, pp. 365-412, ici : p. 399, n.141. L’importance de l’arrière-plan hellénistique de l’Evangile de Jean est soulignée par Michael Labahn dans sa contribution : « Die παρρησία des Gottessohnes im Johannesevangelium. Theologische Hermeneutik und philosophisches Selbstverständnis », in Jörg Frey, Udo Schnelle (éds.), Kontexte, o.c., pp. 321-363. Takashi Onuki, en revanche, justifie l’alternance des termes concrets « les juifs », « les pharisiens » et « synagogue » et de la notion générale ὁ κόσμος par le fait, que dans les discours d’adieux, l’évangéliste aurait rehaussé les détails relatifs à l’histoire réelle à un niveau de sens « homogène et de portée générale » (« einheitlich-allgemeingültige Sinnebene ») (Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, p. 101). Comme le texte du discours d’adieux s’abstrait doublement de la réalité historique – d’abord dans la mise à distance par rapport à la situation d’annonce dans la lecture de l’Evangile de Jean, puis dans le texte même, quand on passe de la description des actions publiques de Jésus aux discours d’adieux – le texte du discours d’adieux serait alors « le texte le plus pauvre en réalité historique concrète de tout l’Evangile de Jean », « der an historischer Konkretheit ärmste Text innerhalb des ganzen JohEv » (Takashi Onuki, « Zur Literatursoziologischen Analyse des Johannesevangeliums. Auf dem Wege zur Methodenintegration », in id., Heil und Erlösung. Studien zum Neuen Testament und zur Gnosis, Tübingen, WUNT 165, Mohr, 2004, pp. 152-185, ici : pp. 164-167, cit. p. 166). Mais cette dernière observation ne constitue pas nécessairement une alternative à la première.

21 Le monde contraste avec la communauté qui est présentée comme lieu d’amour réciproque, cf. en plus précis Enno E. POPKES, o.c., n.19, pp. 325-327.

22 Il faut considérer ici que l’Evangile de Jean est sans doute le fruit d’un processus de création long et complexe et que l’histoire de la communauté johannique comporte différentes phases. C’est pourquoi, il faut compter également avec une situation changeante, qui va probablement en empirant (il suffit pour cela de comparer le premier discours d’adieux au deuxième).

23 Cf. le διώκω en Jn 15,20.

24 φόβος peut être traduit aussi bien par « crainte » que par « peur » (cf. Walter Bauer, Griechisch-deutsches Wörterbuch zu den Schriften des Neuen Testaments und der frühchristlichen Literatur, 6., völlig neu bearb. Aufl. hg.v. K. Aland und B. Aland, Walter de Gruyter, Berlin, New York, 1988, p. 1721 ad verb. 2. pass.). A la suite de Kierkegaard, on distingue, par contre, dans les temps modernes, crainte et peur : alors que la crainte se réfère à un objet et est donc concrète, la peur est sans objet et plus diffuse et va ainsi plus loin. La peur est donc une manière d’exister dans le monde. Comme la « crainte des Juifs » s’insère, dans toute la conception johannique, dans l’opposition plus vaste de la lumière et des ténèbres, l’Evangile de Jean, dans son ensemble, développe non seulement le rapport à la gestion de la « crainte », mais aussi le rapport à la gestion de la « peur ».

25 Pour la problématique du discours sur « les Juifs » dans L’Evangile de Jean, cf. infra.

26 Jn 12,15 diverge des passages cités plus haut : μὴ φοβοῦ, θυγάτηρ Ζιών (formulation éventuellement sous l’influence d’Es 40,9).

27 Le mot θλῖψις rendu par « détresse » (« Drangsal », « Bedrängnis ») a un rapport étroit avec le mot « crainte » comme on le voit dans 2 Corinthiens et l’Epître aux Romains : « toutes sortes de détresses (θλιβόμενοι) » et de « combats au-dehors, craintes au-dedans (ἔξωθεν μάχαι, ἔσωθεν φόβοι) », 2 Co 7,5 ; on voit ici que la crainte est le versant intérieur de la détresse (θλῖψις). Dans Rm 2,9 und Rm 8,35, θλῖψις et στενοχωρία sont juxtaposés, cf. également 2 Co 6,4.

28 Pour φόβος par contraste avec παρρησία, cf. également 1 Jn 4,17-18. Pour la liberté de langage, παρρησία, du Jésus johannique par opposition à son environnement, au peuple et à ses chefs, cf. Michael Labahn, « Die παρρησία des Gottessohnes im Johannesevangelium. Theologische Hermeneutik und philosophisches Selbstverständnis », in Jörg Frey, Udo Schnelle (éds.), Kontexte, o.c., n.180, pp. 321-363.

29 Cf. Jn 14,1.27.

30 Jn 14,27 (Μὴ ταρρασσέσθω ὑμῶν ἡ καρδία μηδὲ δειλιάτω), cf. aussi le discours d’adieux de Moïse, Dt 31,6 (μὴ φοβοῦ μηδὲ δειλία μηδὲ πτοηθῇς) et Dt 31,8 (μὴ φοβοῦ μηδὲ δειλία). Le mot ταpάσσεσθαι se retrouve aussi à côté de δειλιάω dans Es 13,7-8. Dans Ap 21,8, δειλός apparaît à côté de ἄπιστος, il n’est donc pas approprié pour un chrétien.

31 Jn 16,6.20 sqq.

32 ὀρφανούς, Jn 14,18.

33 Quand Jésus donne aux siens, à plusieurs reprises, sa paix (εἰρήνη) (Jn 14,27 ; Jn 16,33 ; Jn 20,19), on peut en déduire qu’ils manquent de sérénité intérieure. Le « ἐν ἐμοί » de Jn 16,33 démontre que manifestement, εἰρήνη ne peut pas être réduit à la paix extérieure. Retenons que la paix extérieure et la paix intérieure ne doivent pas être conçues comme des alternatives, mais qu’elles vont de pair.

34 Philip G. Zimbardo, Psychologie. Vers. all. de S. Hoppe-Graff, B. Keller und Irma Engel, 6., nouvelle éd. remaniée et augmentée, Berlin et al., Springer Verlag, 1995, p.593.

35 L’importance de l’expression des passions fut déjà observée par Philon d’Alexandrie, comme nous pouvons le voir dans le De Josepho au § 5 où Philon explique que la non expression de la haine fait croître celle-ci : « [Les frères de Joseph] n’exprimaient pas cette haine, mais la conservaient dans leur cœur, ce qui eut pour effet, naturellement, de la rendre plus âpre encore, car les passions (πάθη) cachées s’aggravent lorsque les mots sont contenus, et qu’elles ne parviennent pas à s’échapper » (trad. : Joseph Laporte, De Iosepho, Paris, Ed. du Cerf, 1964).

36 Pour les perspectives de la gestion des problèmes par « la distance » cf. 2 S 12,1-10, ainsi que Klaus Schilling, Die Bibel verstehen lernen, Limburg, Lahn-Verlag, 1974, p. 103 ; Petra von Gemünden, Vegetationsmetaphorik im Neuen Testament und seiner Umwelt. Eine Bildfelduntersuchung, Fribourg/Suisse, Göttingen, NTOA 18, Universitätsverlag Freiburg, Vandenhoeck & Ruprecht, 1993, pp. 140-141. Pour la technique de la mise à distance dans la psychologie moderne, cf. Philip G. Zimbardo, o.c., n.34, p. 593.

37 Pour Takashi Onuki, la fonction pragmatique de l’Evangile de Jean consiste à créer un cercle de distanciation à partir de la situation problématique (en dehors du texte), permettant une interprétation postérieure des expériences largement négatives des destinataires. Ensuite, quand une nouvelle identité est construite, la réintégration dans la situation problématique est possible, cf. Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, en particulier pp. 111-112. Ce cercle a son pendant à l’intérieur du texte : les discours d’adieux de Jésus (Jn 13-14 ; 15-17) opèrent une distanciation par rapport aux actions publiques de Jésus, relatées en Jn 1,19-12,50. Dans les discours d’adieux, s’effectue – à l’intérieur du texte et de manière prospective – une réflexion sur le sens à un niveau plus élevé, plus fondamental, transcendant les particularités. Ensuite, nous voyons qu’il y a une réintégration au niveau narratif dans l’histoire difficile de la Passion (Jn 18, 1 sqq.) « Auf die Lesergemeinde, die von ihrer zeitgeschichtlichen Situation Distanz nimmt und zu ihrer Sinndeutung zurückkommt, übt das Johannes-evangelium als ganzes dieselbe pragmatische Funktion aus, die von der Abschiedsrede… innerhalb seines Textes, d.h. textintern, ausgeübt wird… [es] besteht hier… eine Koinzidenz zwischen der innertextlichen (textinternen) und der außertextlichen (textexternen) Bewegung der Lesergemeinde » (Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, p. 111, cf. le schéma ibid., p. 112).

38 Nous trouvons la mention du « mal » – ὁ πονηρός en Jn 17,15 ; cf. 1 Jn 2,13-14 ; 3,12 ; 5,18-19. Le changement de διάβολος en σατανᾶς en Jn 13,27 relève sans doute du goût de Jean pour « l’emploi de synonymes », cf. Hartwig Thyen, Das Johannes-evangelium, Tübingen, HNT 6, Mohr, 2005, p. 382.

39 A la différence des évangiles synoptiques, l’Evangile de Jean ne comporte pas d’épisode de tentation de Jésus ; il y manque également les exorcismes. Par conséquent, la figure de Satan est entièrement dévolue à la mort violente de Jésus sur la croix (cf. aussi Gerd Theissen, Die Entstehung des Neuen Testaments als literaturgeschichtliches Problem, [Schriften der Philosophisch-historischen Klasse der Heidelberger Akademie der Wissenschaften 40], Heidelberg, Universitätsverlag Winter Heidelberg, 2007, p. 228). Partant de cette observation, on peut se demander si dans l’Evangile de Jean, les nombreux démons ne se réduisent pas à un seul démon qui est leur roi ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου. Tout se concentre alors sur un seul être négatif – la victoire de Jésus sur Satan se focalise alors entièrement sur son élévation à la croix (voir Hartwig Thyen, o.c., n.38, p. 448).

40 Voir Jörg Frey, « Licht aus den Höhlen ? Der, Johanneische Dualismus’ und die Texte von Qumran », in Jörg Frey, Udo Schnelle (éds.), Kontexte, o.c., n.20, pp. 117-203, ici : p. 179.

41 La notion ἀνθρωποκτόνος ne se rencontre dans le Nouveau Testament que chez Jean et, à part en Jn 8,44, uniquement en 1 Jn 3,15. Dans ActPhil 119 (= Ms Vaticanus graecus 824 : Mart. 13,6), ce terme désigne le serpent du Paradis.

42 La chute d’Adam et Eve, racontée dans Gn 3, pouvait, dans le judaïsme, être reliée au diable, cf. Sg 2,23-24 : « Or Dieu a créé l’homme pour qu’il soit incorruptible… Mais par l’envie du diable, la mort est entrée dans le monde » (Sg 2,24). Ce motif de l’envie fait défaut en Jn 8,44 ; on le rencontre toutefois sous forme implicite dans 1 Jn 3,10-12, où est établi un lien entre le diable et Caïn. Pour l’interprétation du serpent comme Satan dans le christianisme, cf. par ex. Didyme d’Alexandrie, Commentarius in Genesim, ad Gen 3,14.

43 L’association avec Caïn, le meurtrier de son frère (Gn 4), est tout à fait plausible, comme le montre Jn 3,12-15. Cf. également la formulation de Philon, praem. § 68, rappelant Jn 8,44 : « Il y a eu, dès les premiers âges,… (ἀπ’ἄρχάς)… un fratricide » (trad. : André Beckaert, De praemiis et poenis. De exsecrationibus, Paris, éd. du Cerf, 1961).

44 ζητεῖτε με ἀποκτεῖνει, Jn 8,37-40.

45 Jn 8,59.

46 Jn 8,40.

47 Jn 8,37-44. Pour les stéréotypes argumentatifs juifs repris dans Jn 8,38-47, cf. Urban C. von Wahlde, « ‘You Are of Your Father the Devil’ in its Context : Stereotyped Apocalyptic Polemic in Jn 8 : 38-47 », in Reimund Bieringer, Didier Pollefeyt, Frederique Vandecasteele-Vanneuville (éds.), Anti-Judaism and the Fourth Gospel. Papers of the Leuven Colloquium, 2000, Assen, Jewish and Cristian Heritage Series 1, 2001, pp. 418-444, ici : pp. 425-441.

48 Pour le problème de l’antijudaïsme de l’Evangile de Jean qui se profile ici, cf. Gerd Theissen, « Aporien im Umgang mit den Antijudaismen des Neuen Testaments », in Erhardt Blum, Christian Macholz, Ekkehard W. Stegemann (éds.), Die Hebräische Bibel und ihre zweifache Nachgeschichte, FS R.Rendtorff, Neukirchen-Vluyn, Neukirchener Verlag, 1990, pp. 535-553 ; ainsi que de manière générale James D.G. Dunn, « The Question of Antisemitism in the New Testament Writings of the Period », in James D.G. Dunn, Jews and Christians. The Parting of the Ways AD 70 to 135, Tübingen, WUNT 66,1992, pp. 177-211, ici : pp. 195-203 ; Reimund Bieringer et al., o.c., n.47 ; Klaus Scholtissek, « Antijudaismus im Johannesevangelium ? Ein Gesprächsbeitrag », in Rainer Kampling (éd.), « Nun steht aber diese Sache im Evangelium ». Zur Frage nach den Anfängen des christlichen Antijudaismus, Paderborn et al., Schöningh, 1999, pp. 151-181.

49 Les juifs johanniques en Jn 8 se défendent contre le reproche qui leur était fait, d’être des enfants du diable, en prétendant à leur tour que Jésus était possédé par un démon (Jn 8,48.52 : δαιμόνιον ἔχεις), ce que celui-ci réfute à son tour (Jn 8,49).

50 La diabolisation de la figure traditionnelle de Judas Iscariote dans l’Evangile de Jean est unique dans le Nouveau Testament et témoigne d’un problème aigu dans la communauté. Il est intéressant de noter que dans l’Evangile de Jean, la figure de Judas surgit immédiatement après une division (un schisme) entre les disciples – dans le présent contexte, il s’agit de la controverse sur l’Eucharistie (Jn 6,60-65.70-71) : dès lors, la ligne de partage entre foi et non foi ne se situe pas simplement entre la communauté et le groupe extérieur – elle se situe aussi à l’intérieur de la communauté, 1 Jn 2,18-19, qui peut être compris comme commentaire de Jn 6,60-71 (Jean Zumstein, Christentum, l.c., n.18, pp. 417-428, ici : p. 417 ; Michael Theobald, « Häresie von Anfang an ? Strategien zur Bewältigung eines Skandals nach Jn 6,60-71 », in R. Kampling, Th. Söding (éds.), Ekklesiologie des Neuen Testaments, FS K. Kertelge, Herder, Freiburg et al., 1996, pp. 212-246, ici : pp. 235-236), décrit également une scission à l’intérieur de la communauté : les « antéchrist » (on vise par ce terme ceux qui professent une christologie divergente) sont « parmi nous », c’est-à-dire issus de notre communauté. On remarque que la manière dont les dissidents sont caractérisés dans la première épître de Jean est proche de la figure de Judas de l’Evangile de Jean (cf. Hans-Joseph Klauck, Der erste Johannesbrief, Zürich/Braunschweig, EKK XXIII/1, Benzinger Verlag, Neukirchener Verlag, 1991, p. 154). Dans 1 Jn 3,15 le ἀντρωποκτόνος est repris de Jn 8,44 et se réfère à celui qui hait son frère, ce à quoi fait allusion 1 Jn 3,12 avec l’exemple de Caïn, tout comme Jn 8,44 sans doute. Notons également l’allusion au diable de ἀπ’ ἀρχῆς dans Jn 8,44 et 1 Jn 3,8, cf. infra. Qu’il s’agisse de l’Evangile de Jean ou de la première épître de Jean, nous pouvons observer la stratégie problématique consistant à diaboliser le membre déviant de la communauté.

Concernant le risque d’être dénoncé par des membres (déviants) du in-group dans le christianisme primitif, cf. Mc 13,12-13 ; ainsi que Tacite, Ann. 15,44 (les aveux de chrétiens incarcérés, sans doute extorqués sous la torture, conduisent à l’arrestation de nombreux autres chrétiens sous le règne de Néron). La lettre de Pline le Jeune à Trajan (Pline l. J., ép. X, 96) et la réponse de Trajan (ép. X, 97) ne permettent pas d’établir avec exactitude de qui émanent les dénonciations. Pour la dénonciation par des membres de la communauté dans le judaïsme, cf. Jos, bell VII, 41-53.

51 Dans le livre d’Esther, Haman qui veut anéantir le peuple juif est également traité de διάβολος (Est 8,1). Dans le texte massorétique, on trouve le terme « oppresseur des Juifs » (צדד). Mais alors qu’Haman est considéré comme ennemi extérieur du peuple juif, le problème s’amplifie en Jn 6 dans la mesure où Judas Iscariote fait partie intégrante de la communauté. Sur le plan narratif de l’Evangile de Jean, la première parole de Jésus sur Judas le désigne comme le diable et la dernière parole le désigne comme le « fils de perdition » (υἱὸς τῆς ἀπωλείας, Jn 17,12) ; au sujet de cette notion, cf. 2 Th 2,3.

52 Cf. 6,64 ; 12,4 ; le récit se trouve en Jn 18,2.5. La trahison est également associée à Judas Iscariote dans les Evangiles synoptiques. Mais on n’y assimile pas Judas Iscariote au diable. En Lc 22,3 (et uniquement là !), il y a une référence à Satan, mais Judas n’est pas identifié à Satan. La formulation « Satan entra en Judas appelé Iscariote » (Lc 22,3) se rapproche davantage de Jn 13, (2).27. Ce constat montre que l’Evangile de Jean se caractérise par une diabolisation de Judas Iscariote parallèlement à celle des « Juifs » johanniques, ce qui laisse à penser qu’on évoque ici un problème communautaire aigu.

53 Le fait que Judas livre Jésus contraste avec Jn 3,35 : « Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main », par conséquent, Jésus détient, en définitive, tout le pouvoir, cf. Klaus Wengst, Das Johannesevangelium II, Stuttgart, Theologischer Kommentar zum Neuen Testament 4/2, Kohlhammer Verlag, 2001, p. 90.

54 Jn 13,2 et 13,27 ne se contredisent pas nécessairement car selon Hans-Joseph Klauck, Judas – Ein Jünger des Herrn, Freiburg, QD 111, 1987, p. 81 : « Zwischen Eingeben eines Planes und Besitzergreifen besteht ein Unterschied ». En Mc 14,18 sqq., lors du dernier repas, Jésus évoque la trahison par l’un des Douze, à savoir celui qui plonge la main dans le plat avec lui ; chez Luc, il s’agit de l’un de ceux qui sont à table avec lui (Lc 22,21). Mais le traître n’est pas nommé, à la différence de Mt 26,25, où Jésus acquiesce lorsque Judas lui demande s’il s’agit de lui. Dans les synoptiques, contrairement à l’Evangile de Jean, le motif de la possession par Satan n’est pas associé au dernier repas.

55 Jn 13,30.

56 C’est-à-dire au niveau des lecteurs et lectrices de l’Evangile : « Il quitte la sphère lumineuse de la communauté » (cf. Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, p. 110).

57 Cf. Lc 22,53 : αὕτη ἐστὶν ὑμῶν ἡ ὥρα καὶ ἡ ἐξουσία τοῦ σκότους.

58 Jn 15 peut parler de haine du cosmos en relation avec l’environnement hostile.

59 A la fin de chaque alinéa important avant l’histoire de la Passion proprement dite. Ainsi à la fin de la première partie de l’Evangile de Jean sur l’action publique de Jésus en Jn 12,31 ; à la fin du premier et du dernier discours d’adieux (Jn 14,3 ; 16,11).

60 En Jn 12,31 ; 16,11. Jn 14,30 le formule autrement : ὁ τοῦ κόσμου ἄρχων (« prince du monde »).

61 Il est en opposition à Dieu, et au Christ, dont le royaume n’est pas de ce monde (Jn 18,36). Pour les éléments d’un dualisme cosmique des puissances (« kosmischen Mächtedualismus ») apparaissant en Jn 12,31 ; 14,30 ; 16,11, cf. Jörg Frey, Udo Schnelle (éds.), Kontexte, o.c., n.20, pp. 177-178.

62 Andreas Dettwiler, Die Gegenwart des Erhöhten. Eine exegetische Studie zu den johanneischen Abschiedsreden (Jn 13,31-16,33) unter besonderer Berücksichtigung ihres Relecture-Charakters, Göttingen, FRLANT 169, Vandenhoeck & Ruprecht, 1995, p. 211, qui souligne à raison la « perspective fondamentale » qui s’exprime dans la figure du prince du monde, cf. également Jürgen U. Kalms, Der Sturz des Gottesfeindes. Traditionsgeschichtliche Studien zur Apokalypse 12, Neukirchen-Vluyn, WMANT 93, Neukirchener Verlag, 2001, pp. 266-267. Le « mal » est nommé explicitement en Jn 17,15 ; 1 Jn 2,13-14 ; 3,12 ; 5,18.

63 La notion ὁ ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου ne se trouve que chez Jean. Le terme est plus large que celui que Paul emploie (mais au pluriel) en 1 Co 2,6-8 : ἄρχων τοῦ αἰῶνος τούτου, qui se réfère sans doute à des détenteurs du pouvoir humains. En 2 Co 4,4, Paul parle du « Dieu de ce éon » (ὁ θεὸς τοῦ αἰῶνος τούτου). On retrouve souvent chez Ignace d’Antioche le terme ἄρχων τοῦ αἰῶνος τούτου, cf. IgnEph 17,1 ; 19,1 ; IgnMg 1,2 (3) ; IgnPhld 6,2 ; IgnRm 7,1 ; IgnTr 4,2. La polyvalence du mot ἄρχων, qui peut désigner ceux qui détiennent le pouvoir au niveau terrestre et ceux qui le détiennent au niveau supra-terrestre permet d’associer ce terme à des souverains séculiers (David E. Aune, s.v. « Archon », Dictionary of Deities and Demons in the Bible, 19992, pp. 82-85).

Dans l’Evangile de Jean, la notion ὁ ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου désigne, – tout en reprenant des conceptions mythologiques et imagées du diable, de Satan et du mal – le pouvoir opposé à Dieu ou au Christ, le mal dans son aspect menaçant et destructeur (cf. supra ; Rudolf Schnackenburg, Das Johannesevangelium II, Sonderausgabe, Freiburg i. Br. et al., HThK IV/2,2001 [1971], pp. 490-491). Cette notion, d’une large signification mythique, peut se couler dans différentes associations comme, a) celle de Judas Iscariote et b) celle des Romains :

ad a : Tant le prince de ce monde que Judas jouent un rôle actif en Jn 14,30 et 18,3 : on utilise pour les deux ἔρχεται (Jn 14,30 ; Jn 18,3). Tous deux font partie de la sphère du pouvoir obscur (cf. Jn 13,27.30 ; 12,31 ; 14,30 ; 16,11).

ad b : A propos du « prince de ce monde » – et plus exactement par rapport à ses actes – Gerd Theissen pense surtout aux Romains qui gouvernaient le monde à l’époque. Il renvoie à AscJes 1,3 ; 10,29, où le maître du monde est identique à l’empereur romain et fait valoir trois arguments :

1.) D’après la description de L’Evangile de Jean, où la figure de Satan se concentre complètement sur la Passion, Jésus fut crucifié sans aucun doute par les Romains, car les Juifs – comme ils le disent explicitement – n’ont pas le droit de condamner quelqu’un à mort (Jn 18,31-32).

2.) Il renvoie au rapport entre Judas, le prince du monde (Jn 14,30) et les Romains en Jn 13-18, rapport qui devient perceptible en Jn 18,3, où Judas peut « prendre la tête » d’une cohorte.

3.) Dans le jugement de Jésus, la question de la loyauté vis-à-vis de César est déterminante (Jn 19,15), de sorte qu’en dernier ressort, c’est César le responsable de la mort de Jésus (voir Gerd Theissen, Gospel Writing and Church Politics. Socio-rhetorical Approach, Hong Kong, Chuen King Lecture Series 3, Chung Chi College, 2001, pp. 138-142. Richard J. Cassidy qui interprète l’Evangile de Jean sur le fond des persécutions romaines infligées par des « political officials » (p. 62), ne relie ἄρχων « qu’à » Satan, cf. Richard J. Cassidy, John’s Gospel in New Perspective. Christology and the Realities of Roman Power, New York, 1992, p. 106, n.6).

Dans ce contexte, il faut, à mon avis, remarquer que dans la version de l’Evangile de Jean, Pilate, le représentant le plus élevé du pouvoir romain, agit « par crainte des Juifs » lors du procès contre Jésus. Selon Jn 19,12, ceux-ci menacent de dénoncer Pilate auprès de l’empereur pour manque de loyauté vis-à-vis de ce dernier, si Jésus était libéré. Ainsi, cette « crainte des Juifs », souvent répétée dans l’Evangile de Jean (Jn 7,13 ; 19,38 ; 20,19), se trouve encore légitimée et soulignée du fait que même le représentant du pouvoir romain en Palestine craint les Juifs. En Jn 19,8 on parle explicitement de la peur de Pilate, lorsque les Juifs évoquent leur loi qui condamne Jésus à mort pour s’être prétendu fils de Dieu : « Lorsque Pilate entendit cela, il fut de plus en plus effrayé (μᾶλλον ἐφοβήθη) ». En Jn 19,8 on ne trouve pas sous forme explicite ce qui effraie Pilate : la crainte des Juifs johanniques, la crainte du pouvoir romain et d’une carrière brisée ou encore la crainte numineuse de Jésus comme figure potentielle supraterrestre et divine (cf. Jn 19,9) ne constituent pas forcément des alternatives valables (Hartwig Thyen, o.c., n.38, pp. 725-726).

64 A raison chez Enno E. Popkes, o.c., n.19, p. 323, n.28. Ici, à partir de la christologie, la structuration conséquente de l’Evangile de Jean se condense directement dans la stratégie de gestion des émotions.

65 On utilise la même formulation « jeté dehors » pour le prince de ce monde et l’aveugle : ἐκβάλλω + ἔξω. Ce qui distingue les deux occurrences, c’est le fait que Jn 9,34 emploie l’aoriste actif avec comme sujet les Pharisiens, alors que Jn 12,31 est au futur passif et que le sujet n’est pas nommé explicitement.

66 Une série de témoins textuels (Θ it sys sa ; Epiph.) écrivent « jeter en bas » au lieu de « jeter dehors ». Dans ce cas, ce choix de mots ne correspond pas à Jn 9,34, mais se rapproche davantage de la conception apocalyptique de la chute de Satan, cf. Lc 10,18 (« Je voyais Satan tomber du ciel comme l’éclair ») et Ap 12,9 (« … le grand dragon, l’antique serpent celui qu’on nomme Diable et Satan, le séducteur du monde entier » est précipité sur la terre avec ses anges), ainsi que Es 14,12, cf. Jürgen H. Kalms, o.c., n.62, pp. 207-234 (sur Lc et Ap 12). « Jeter en bas » souligne la victoire cosmique sur le prince de ce monde (donc Satan) et renforce le contraste entre la chute du prince de ce monde et l’élévation de Jésus (Jn 12,32).

67 La mort de Jésus sur la croix, son élévation, est liée de toute évidence ici à un jugement (κρίσις), avec une séparation signifiant mort ou vie. L’Evangéliste l’a déjà dépeint en Jn 3, en établissant une analogie entre la mort de Jésus sur la croix et l’élévation du serpent d’airain par Moïse dans le désert (cf. Nb 21,4-9) : tous deux sont élevés et renvoient à Dieu. Et de la même manière que ceux qui ont été mordus par une vipère échappent à la mort lorsqu’ils regardent vers le serpent dressé par Moïse, celui qui croit au Fils de l’homme élevé sur la croix (Jn 3,14 sqq.) est sauvé et a la vie éternelle. Mais celui qui ne croit pas en lui, « est déjà jugé » (Jn 3,18). Le discours de « l’élévation » du Fils de l’homme par rapport à la crucifixion ne signifie pas (contre Siegfried Schulz, Das Evangelium nach Johannes, Göttingen, NTD 4, Vandenhoeck & Ruprecht, 1972, pp. 59-60) que l’Evangéliste veut, à la manière des docètes, « minimiser » les souffrances de Jésus ; cf. Klaus Wengst, Das Johannesevangelium I, Stuttgart et al., Theologischer Kommentar zum Neuen Testament 4.1, Kohlhammer, 2000, pp. 134-135, n.76, qui renvoie à la situation de détresse dans laquelle Jean et les siens vivent et constate qu’on ne peut guère lui reprocher un refoulement de la souffrance, au contraire, il cherche plutôt à trouver une perspective dans la souffrance et en dépit de la souffrance.

68 Jn 14,1 (« Que votre cœur ne se trouble pas » Μὴ ταρασσέσθω ὑμῶν ἡ καρδία) ; Jn 14,27 (Μὴ ταρασσέσθω ὑμῶν ἡ καρδία μηδὲ δειλιάτω), cf. IV Esd 10,55.

69 Sur moi il n’a aucun pouvoir » (trad. de Xavier Léon-Dufour, Jean III, o.c., n.17, p. 136, cf. même éd. p. 141). Pour les variantes dans les manuscripts, cf. Charles K. Barrett, Das Evangelium nach Johannes, Göttingen, KEK Sonderband, Vandenhoeck & Ruprecht, 1990, p. 457.

70 Jn 17,16 : ἐκ τοῦ κόσμου οὐκ εἰσὶν καθὼς ἐγὼ οὐκ εἰμὶ ἐκ τοῦ κόσμου.

71 Jn 8,23 ; cf. Jn 8,42 ; 17,14 ; 18,36.

72 Ce n’est pas le prince de ce monde, mais le Père de Jésus qui est en définitive le maître (et l’initiateur) de la Passion, cf. Jn 3,16 und Jn 19,11. Jésus ne meurt pas parce que le « prince de monde », le diable, le tient en son pouvoir, mais parce qu’il est prêt à donner sa vie de son plein gré (Jn 10,17-18).

73 Il faut penser ici à l’action du Paraclet à l’intérieur de la communauté, cf. Jörg Frey, Die johanneische Eschatologie III, Tübingen, WUNT 117, Mohr, 2000, p. 184.

74 Le parfait (κέκριται) reflète le point de vue de l’Eglise et transmet aux destinataires de l’Evangile le message suivant : le prince de ce monde a déjà été jugé. En revanche, en Jn 12,31 le jugement, κρίσις – celui du cosmos dans ce passage – a lieu dans le présent (νῦν).

75 Peu après, Jn 16,13 ; cf. déjà Jn 14,17, le Paraclet est considéré comme Esprit de vérité. Cela rappelle le diable qui, à la différence de Jésus, n’est pas dans la vérité et est considéré comme menteur (Jn 8,44). Malgré la mort de Jésus et son « retrait », malgré la haine et les persécutions qu’elle endure, la communauté doit être convaincue par l’annonce de la venue du Paraclet et assurée que la mort de Jésus signifie pour elle la victoire eschatologique sur le prince de ce monde et la certitude du salut, cf. Jörg Frey, Eschatologie III, o.c., n.73, p. 184.

76 La supériorité de Jésus se manifeste également vis-à-vis de Judas. Il le désigne comme traître (Jn 13,2-3.21 sqq.) et lui ordonne de faire vite ce qu’il a à faire (Jn 13,27). Il sait que le Père lui a tout donné dans les mains (Jn 13,3) et évoque, après la sortie de Judas dans l’obscurité, la glorification du Fils de l’homme (Jn 13,31 sqq.). La scène de l’arrestation, enfin, est traitée comme une scène de révélation et d’hommage. Aux soldats de la cohorte romaine (σπεῖρα) et aux policiers juifs (ὑπηρέται) menés par Judas (Jn 18,1 sqq.), Jésus se révèle en disant ἐγώ εἰμί (comme Dieu) et Judas et les représentants du monde hostile reculent et tombent (cf. Hans-Joseph Klauck, Judas, o.c., n.54, pp. 89-90).

77 Hans-Joseph Klauck a finement observé que le diable en Jn 8,44 est « meurtrier dès le commencement (ἀπ’ ἀρχῆς) », tandis que le λόγος est déjà « dans le commencement (ἐν ἀρχῇ) ». Il s’ensuit que le diable n’est pas originellement l’égal de Dieu ni du λόγος et occupe donc un rang inférieur (Hans-Joseph Klauck, Johannesbrief, o.c., n.50, p. 191).

78 Le terme utilisé en Jn 1,5 (fin) καταλαμβάνειν peut tout aussi bien signifier « maîtriser » que « comprendre ». On peut supposer que l’Evangéliste joue ici sur les deux sens du mot (Charles K. Barrett, o.c., n.69, 185f.), de sorte qu’il faut entendre ici les deux à la fois. Le καταλαμβάνειν signifie non seulement que les ténèbres n’ont pas compris la lumière, mais aussi qu’ils ont tenté de l’éteindre par la force.

79 Judith L. Kovacs, « ‘Now shall the Ruler of this World be Driven Out’ : Jesus’ Death as Cosmic Battle in Jn 12 : 20-36 », JBL CXIV/II, 1995, pp. 227-247, ici : p. 231 et Barnabas Lindars, The Gospel of John, London, Oliphants, 1972, pp. 46-54, y voient déjà une allusion à la croix.

80 Le verset, hautement symbolique, où Judas (en qui Satan était entré) sort dans l’obscurité (Jn 13,30), n’est pas suivi par la Passion, mais par les discours d’adieux qui interprètent la Passion à la lumière de Pâques (Jn 13-17 ; du reste, immédiatement après Jn 13,30, Jésus parle de la glorification du Fils de l’homme !). Il s’agit donc d’une transposition symbolique et narrative de Jn 1,5 : τὸ φῶς ἐν τῇ σκοτίᾳ φαίνει cf. Rudolf Bultmann, Das Evangelium des Johannes, Göttingen, KEK 2, Vandenhoeck & Ruprecht, 197820 (= réimpression inchangée de la 10e édition de 1941), p. 368.

81 Même si l’Evangile de Jean a une très forte orientation christologique et qu’il ne faut pas mélanger ce qui est d’ordre christologique avec ce qui est d’ordre anthropologique, le comportement du Christ face aux menaces qui pesaient sur son existence a pu servir de modèle aux lecteurs de l’Evangile de Jean – argument tout à fait plausible au vu de l’importance du Christ pour la foi de la communauté. On peut déjà discerner une telle tendance dans l’Evangile de Jean (cf. infra).

82 Jn 12,27-28 se distingue nettement du récit de Gethsémané dans les synoptiques (Mc 14,32-42). Pour ces différences, cf. par ex. Charles H. Dodd, La tradition historique du quatrième Evangile, trad. de l’anglais par M. et S. Montabrut, Paris, LD 128, éd. du Cerf, 1987, pp. 99-104, ainsi que Jörg Frey, Eschatologie III, o.c., n.73, pp. 441-442, n.129. La « scène de Gethsemané » est préparée par l’image du grain de blé qui doit mourir pour porter du fruit en abondance, image qui reflète la mort de Jésus et sa glorification (Jn 12,24). Les versets suivants (Jn 12,25-26) reviennent sur la nécessité de mourir (de ἀποθανεῖν) et démontrent, sur fond de persécutions, que souffrances et mort font partie de l’existence chrétienne dans la suivance de Jésus. Mais à la différence de Jésus, la communauté se place « unter der Zusage und Aufgabe…, das Leben zum ewigen Leben zu bewahren », cf. Petra VON Gemünden, o.c., n.36, p. 208, n.188.

83 ταράσσω au passif est traduit par Walter Bauer-Aland, Wörterbuch, o.c., n.24, 1606 par « in Bestürzung, Schrecken geraten » (= être bouleversé, effrayé). Ceslas Spicq, Lexique théologique du Nouveau Testament, Réédition en un volume des Notes de lexicographie néo-testamentaire, Fribourg, Cerf/Editions Universitaires Fribourg, 1991, p. 1514 rend ταράσσω dans Jn 11,33 ; 13,21 et 12,27 par « tremblement » et « effroi » et déclare : « Jésus est bouleversé », cf. Xavier Léon-Dufour, « Père, fais-moi passer sain et sauf à travers cette heure », in Heinrich Baltensweiler, Bo Reicke (éds.), o.c., n.11, pp. 157-165, ici : p. 164. Comme Xavier Léon-Dufour, Lecture de l’Evangile selon Jean II, Paris, Ed. du Seuil, 1990, p. 466, Marie-Joseph Lagrange, Evangile selon Saint Jean, Paris, J. Gabalda, 19365 [1925], p. 333 traduit Jn 12,27a par : « … mon âme est troublée », cf. également Raymond E. Brown, The Gospel According to John (I-XII). Introduction, Translation, and Notes, New York et al., AB 29, 1966, p. 465 : « Now my soul is troubled ». Marie-Joseph Lagrange, o.c., p. 332, commente : « Jésus… a éprouvé l’angoisse que cause l’approche de la mort… c’est… son âme… qui est troublée, c’est-à-dire agitée d’un pressentiment qui la remue ». Face à Jn 12,27b.28 sqq., on conteste parfois, pour Jn 12,27a, l’acception classique de ταράσσω dans le Ps 6,4, cf. Christian Dietzfelbinger, Joh I, o.c., n.1, 391-392. Christian Dietzfelbinger interprète ταράσσω de Jn 12,27a (uniquement) dans le sens de « in Erregung (oder in erregte Erwartung) geraten ». Cf. aussi Josef Blank, Das Evangelium nach Johannes 1/b, Düsseldorf, Geistliche Schriftlesung 4/1b, 1981, p. 315 qui pense que ce terme ne signifie pas que Jésus a peur de la mort, mais qu’il est consterné par la puissance cosmique de la mort (« … nicht… Ausdruck der Todesangst Jesu, sondern… Betroffenheit durch die kosmische Todes-Macht »). Mais ceci me paraît invraisemblable au vu de l’allusion au Ps 6,4. En effet, l’Evangile de Jean présente une haute christologie et une theologia gloriae – il faut cependant retenir avec Klaus Wengst que cette angoisse exprimée par Jésus devrait être prise en compte et ne pas être oblitérée par la suite du texte (Klaus Wengst, Joh II, o.c., n.53, p. 65). Le verbe ταράσσω est utilisé aussi en Jn 14,1.27 où Jésus dit à ses disciples : Μὴ ταρασσέσθω.

84 Dans la Septante, la version du Ps 6,4 diverge de Jn 12,27a, surtout par la forme verbale καὶ η ψυχή μου ἐταράχθη σφόδρα. Klaus Wengst suppose que les différences sont dues au fait que Jean traduit lui-même du texte hébreu (Klaus Wengst, Joh II, o.c., n.53, p. 65, n.61).

85 Xavier Léon-Dufour, Jean II, o.c., n.83, pp. 468-469. – La dimension ecclésiologique de la glorification de Jésus est exprimée en Jn 12,24-25 ; notez également le discours sur « l’heure » de Jn 12,23.

86 Cf. Jn 18,1. – Ce n’est pas seulement la mort qui est consciemment supportée – dans d’autres situations d’oppression, Jésus se montre également offensif. Par exemple, malgré la haine (Jn 7,7) et les menaces de mort (Jn 7,1), il se rend finalement à Jérusalem lors de la fête de Soukkot (Jn 7,10) ; lorsqu’on tente de le lapider, il confronte ses adversaires avec les bonnes œuvres qu’il a accomplies (Jn 7,32) et argumente avec les Ecritures (Jn 7,34). En dépit de la décision des grands prêtres et des Pharisiens qui veulent le tuer (Jn 11,53) Jésus, finalement, part à Jérusalem (Jn 12), contre toute attente de la foule (Jn 11,56) et malgré l’ordre d’arrestation lancé contre lui (Jn 11,57).

87 Une telle « gestion de la peur » peut être observée chez Ignace d’Antioche et d’autres martyres de l’Antiquité. La psychologie moderne sait, elle aussi, qu’on peut gérer la peur en entrant de son plein gré dans la situation redoutée, cf. Philip G. Zimbardo, o.c., n.34, p. 288 ; pour l’importance de l’évaluation cognitive, cf. Philip G. Zimbardo, o.c., n.34, p. 590, cf. p. 677. Il se peut également que le Jésus de la scène décrite en Jn 19,25-27 soit un exemple de gestion de la peur grâce au soutien des autres. Quand Jésus ne laisse pas sa mère seule et abandonnée dans le monde hostile, mais demande au disciple bien-aimé d’être là pour elle (cf. Ex 20,12), il peut devenir un modèle pour les Chrétiens qui risquent de mourir. On peut comprendre Jn 19,25-27 aussi bien comme concrétisation narrative, que comme accomplissement du commandement d’amour réciproque formulé au moment du départ de Jésus (Jn 13,14-15 ; 15,12-13.17).

88 Cf. Enno E. Popkes, o.c., n.19, p. 323, n.28, qui compare la stratégie employée pour gérer les situations de détresse dans l’Evangile de Jean avec celle d’autres textes du Nouveau Testament.

89 Jn 16,5-6.16a.28b.

90 Cf. Mc 6,45-51 ; Mt 14,22-33.

91 A la différence de Mc, cf. Rudolf Schnackenburg, o.c., n.63, pp. 34-35.

92 ἀνέμου μεγάλου. Il s’agit d’une amplification de Mc 6,48 (ἄνεμος – vent [contraire]) comme le souligne Ismo Dunderberg, Johannes und die Synoptiker, Studien zu Jn 1-9, Helsinki, AASF.DHL 69, 1994, p. 163.

93 Rudolf Schnackenburg, o.c., n.63, pp. 34-35 attribue Jn 6,17b à l’Evangéliste. Jn 12,35 souligne : « Celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va ».

94 Jn 6,17 utilise σκοτία à la différence de Mc et Mt. Ce terme apparaît dans l’Evangile de Jean également en Jn 1,5 (cf. supra : τὸ φῶς ἐν τῇ σκοτίᾳ φαίνει) ; 8,12 ; 12,35.46 ; 20,1 – et revêt, chez Jean, une dimension symbolique claire, cf. Udo Schnelle, Das Evangelium nach Johannes, Leipzig, ThHK 4, Evangelische Verlagsanstalt, 1998, p. 118 ; cf. Josef Blank, o.c., n.63, pp. 345-346. Dans son ouvrage : Krisis, Untersuchungen zur johanneischen Christologie und Eschatologie, Freiburg i. Br., 1964, p. 97, Josef Blank est plus prudent par rapport au double sens symbolique en Jn 6,17 : « dort ist die nächtliche Dunkelheit gemeint, vielleicht mit einem symbolhaften Doppelsinn ».

95 Rudolf Schnackenburg, o.c., n.63, p. 35.

96 Cf. seulement Udo Schnelle, Johannes, o.c., n.94, p. 119.

97 A la différence de l’Evangile de Jean, la crainte est justifiée chez Mc et Mt par le fait que les disciples pensent d’abord voir un fantôme.

98 Klaus Wengst, Joh I, o.c., n.67, p. 225. Rudolf Schnackenburg, o.c., n.63, p. 36, se référant à Jn 20,19 sq., veut attribuer le motif à la tradition, puisque les disciples n’ont jamais peur de Jésus.

99 Il s’agit du premier ἐγώ εἰμι absolu dans l’Evangile de Jean.

100 Le fait que la tempête s’apaise est supposé implicite pour Michael Labahn, Offenbarung in Zeichen und Wort. Untersuchungen zur Vorgeschichte von Jn 6,1-25a und seiner Rezeption in der Brotrede, Tübingen, WUNT II/117, 2000, p. 212. En revanche, Klaus Wengst, Joh I, o.c., n.67, p. 225, est d’avis que, selon Jean, la tempête et la houle persistent.

101 Cf. Jn 17,15 : « Je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du mauvais ».

102 En Jn 16,32, la présence divine est soulignée, de manière analogue, par le modèle de Jésus. En effet, bien que les disciples abandonnent Jésus dans la difficulté, celui-ci n’est pas seul, ὅτι ὁ πατὴρ μετ’ ἐμοῦ ἐστιν. Pour l’importance du soutien social dans des situations de menaces et, de manière concomitante, de stress, cf. Philip G. Zimbardo, o.c., n.34, pp. 591-592 ; Toni Faltermaier, Gesundheitspsychologie, Stuttgart, Grundriss der Psychologie 21, 2005, pp. 232-234.

103 Jn 13,31-16,33.

104 Le deuxième discours d’adieux (Jn 15,1-16,33) est un élargissement tardif du premier (Jn 13,1-14,31).

105 Tandis que dans le premier discours d’adieux, le Jésus johannique fait en Jn 13,36 « seulement » allusion au martyre de Pierre († env. 64 après J.-C.), dans le deuxième discours d’adieux, il prédit explicitement des persécutions de la communauté (Jn 16,1-4). En outre dans ce deuxième discours d’adieux, en Jn 15,18, la « haine » (μισεῖν), vise pour la première fois les disciples (la communauté). Mais dans le premier discours d’adieux, en Jn 7,7, les disciples ne sont pas encore haïs (à la différence de Jésus) : οὐ δύναται ὁ κόσμος μισεῖν ὐμᾶς. La μισεῖν du monde contre Jésus est déjà mentionnée en Jn 3,20 et 7,7.

106 La verbalisation constitue déjà une première étape dans la gestion des émotions, cf. supra, sous 2.1.1.

107 Jn 16,1, cf. 16,4. C’est-à-dire, afin que vous n’abandonniez pas la foi chrétienne. Cf. Charles K. Barrett, o.c., n.69, p. 470 ainsi que Jn 14,29 : « Je vous ai parlé…, afin que, lorsqu’il arrivera, vous croyiez ».

108 Le stoïcisme recommande la praemeditatio, la προενδημεῖν comme moyen pour ne pas être submergé par ses propres passions, cf. SVF III, 482 (de Chrysippe) ; Cic., Tusc III, 52 sqq. et en outre Max Pohlenz, « Das dritte und vierte Buch der Tusculanen », Hermes, ΧLI, 1906, pp. 321-355, ici : pp. 333-334). Cf. pour Jean : Christian Dietzfelbinger, Joh II, o.c., n.20, p. 131 : « Einem Schrecken, der vorher angekündigt wurde, ist das Moment der betäubenden Uberraschung genommen (14,29) » ; Manfred Lang, l.c., n.20, pp. 365-412, ici : pp. 399-401. La psychologie moderne désigne ce phénomène sous le terme de « préparation cognitive », cf. Philip G. Zimbardo, o.c., n.34, p. 590.

109 Jn 13,34 (le commandement nouveau de Jésus : ἀγαπᾶτε ἀλλήλους) ; dans le deuxième discours d’adieux, ce commandement d’amour réciproque, recourant à une maxime antique largement répandue (voir Platon, Banquet 179b ; Gustav Stählin, s.v. φιλέω, κτλ., ThWNT 9, 1990, pp. 112-169, ici : p. 151 l. 19-43), va jusqu’au martyre (Jn 15,917). Dans la première épître de Jean, Jésus devient explicitement le modèle pour la communauté : « Jésus s’est dessaisi de sa vie pour nous ; nous aussi nous devons nous dessaisir de notre vie pour les frères » (1 Jn 3,16).

Dans le contexte de Jn 15,9-17, surgit aussi le motif de la joie (Jn 15,12, cf. Jn 16,2022.24) et de la prière de supplication (Jn 15,16, cf. Jn 16,23-24 – la prière et la joie totale sont associées).

110 Il est interprété comme amour pour Jésus (en tant que fidélité à ses commandements, Jn 14,15.21), et en retour, le Père et Jésus donneront leur amour (Jn 14,21).

111 Jn 15,9 sqq. versus Jn 15,18 sqq. Certes, il existe un amour du monde, mais il est égoïste (τὸ ἲδιον φιλεῖν), il ne supporte pas ce qui lui est étranger (Jn 15,19). Or les adeptes de Jésus sont des étrangers pour le monde, cf. Takashi Onuki, Gemeinde, p. 133 et infra, o. c., n.8.

112 ἐκ τοῦ κόσμου Jn 15,19.

113 Jn 15,18, cf. Jn 7,7, ainsi que Jn 15,20b : « ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront… ».

114 Avec leur témoignage (Jn 15,27), les chrétiens attestent que Jésus Christ, par le biais de l’Esprit-Paraclet (Jn 15,26) parle lui-même par la bouche des chrétiens – le rejet des chrétiens est à interpréter ainsi comme rejet du Christ.

115 Alors que dans le premier discours d’adieux, le Christ johannique renvoie à sa glorification en disant : « Là où je vais, vous ne pouvez venir » (Jn 13,33) et renvoie à l’être en Christ pour « ce jour-là » (Jn 14,20), dans le deuxième discours d’adieux, l’image de la vigne symbolise l’être en Christ permanent (Jn 15,1-8) – cette fois-ci avec une tendance parénétique. Au-delà du verset 15,15 Jésus ne s’adresse plus aux disciples comme à des δοῦλοι, mais comme à des φίλοι, ce terme impliquant une plus grande reconnaissance. La paix que Jésus offre en Jn 14,27 est précisée en Jn 16,33. Il s’agit d’une paix en lui (« ἐν ἐμοὶ… »).

116 Jn 14,1-3.

117 Jn 14,3.18.

118 Jn 14,18.

119 Jn 14, 16-17 : l’Esprit de vérité ; Jn 14, 26 : l’Esprit Saint qui garde présentes les paroles de Jésus ; Jn 15, 26 : l’Esprit de vérité qui témoignera de Jésus ; Jn 16, 7.

120 Jn 16,7.

121 Cf. le εἰς τὸν αἰῶνα dans Jn 14,16c.

122 Cf. Andreas Dettwiler, o.c., n.62, p. 189 ainsi que p. 204 : « … in der Gegenwart des Geistes wird letztlich die Gegenwart des erhöhten Jesus zum Ereignis ».

123 Cf. Gottfried W. Locher, « Der Geist als Paraklet. Eine exegetisch-dogmatische Besinnung », EvTh XXVI, 1966, pp. 565-579, ici : p. 575 : « Die geistliche Präsenz des Parakleten anstelle der leiblichen des Inkarnierten enthält keineswegs eine Minderung, sondern vielmehr eine Steigerung der Gegenwart Gottes… Die volle Erfahrung Christi kann erst nach seiner Erhöhung gemacht werden ».

124 Hartwig Thyen, o.c., n.38, p. 659.

125 Cf. Jn 14,26 ; 16,8 sqq. Après le verset 16,8 sqq., le Paraclet revêt une fonction cognitive : il transmettra aux disciples une nouvelle perception, à savoir que le prince de ce monde (ὁ ἄρχων τοῦ κόσμου τούτου) est déjà jugé (κέκριται) et qu’il n’a donc plus de pouvoir. Cette connaissance est de nature dynamique – elle est donnée et se fait progressivement, cf. Jn 16,13. Pour cette façon de les amener par étapes vers la connaissance, cf. aussi Jn 16,12 : « J’ai (= Jésus) encore bien des choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant ».

126 « … vous serez affligés (λυπηθήσεσθε), mais votre affliction (λύπη) tournera en joie (χαρά) » (Jn 16,20b).

127 Pour l’image de la femme qui enfante cf. IV Esdras 4,42-43 ; 1 QH 3,7 sqq. ; cf. Mc 13,8, ainsi que G. Bertram, s.v. ὠδίν, ὠδίνω, ThWNT IX (Studienausgabe 1990), pp. 668-675 ; Wolfgang Harnisch, Eschatologische Existenz. Ein exegetischer Beitrag zum Sachanliegen von 1 Thessalonicher 4,13-5,11, Göttingen, FRLANT 110, Vandenhoeck & Ruprecht, 1973, pp. 62-75. Selon Jörg Frey, Eschatologie III, o.c., n.73, p. 209, l’image de la femme qui enfante est manifestement le centre de la structure sémantique de tout le discours.

128 A la différence de Mc 13,8 // Mt 24,8 et 1 Th 5,3 ; Ap 2,24 ; Ga 4,19.27 et Ap 12,2, Jn 16,21 n’utilise pas le terme usuel ὠδῖνες (douleurs d’accouchement), mais λύπη. Toutefois, on retrouve également ce terme en Gn 3,16 LXX, pour désigner les douleurs. L’emploi du terme λύπη nous indiquerait que l’Evangéliste, en choisissant ses mots, tient compte des destinataires de l’Evangile, pour lesquels ce terme est plus judicieux (Raymond E. Brown, o.c., n.83, AB 29a, p. 721).

129 Cf. l’analyse détaillée de Jörg Frey, Eschatologie III, o.c., n.73, pp. 211-124, qui analyse précisément les analogies de la situation avec Jn 15-16 (pp. 112-113). Outre Es 66,5-17 (en part. 7-9), l’Evangeliste reprend expressément l’image de la femme qui enfante pour évoquer la θλῖψις de la communauté (Es 26,16-21).

130 En Es 66.

131 Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, en part. pp. 9-102.

132 Que votre cœur cesse de se troubler et de craindre ! » (Jn 14,27, cf. Jn 14,1).

133 Cf. Jn 16,33b (θλῖψις).

134 Il faut comprendre cette paix d’après le contexte de Jn 14,27 comme don de l’Esprit (cf. Ulrich Wilckens, o.c., n.15, p. 233), ce qui correspond au langage du christianisme primitif (Ga 5, 22 ; cf. Rm 14,17). Sur le plan narratif, en Jn 12,27, Jésus est passé du bouleversement intérieur à la paix, sans que ce terme n’apparaisse dans cette péricope.

135 Son règne est fondamentalement différent du règne politique des Romains, cf. Jn 18,36 : ἡ βασιλεία ἡ ἐμὴ οὐκ ἔστιν ἐκ τοῦ κόσμου τούτου… Pour la « paix des Romains », cf. Jn 11,48 et le récit de la Passion johannique. Pour la Pax Romana en général, cf. Klaus Wengst, Pax Romana. Anspruch und Wirklichkeit. Erfahrungen und Wahrnehmungen des Friedens bei Jesus und im Urchristentum, München, Kaiser Verlag, 1986. Pour la compréhension du côté romain de la pax comme securitas publica et de la pax romana imposée de manière brutale, cf. Harald Fuchs, Augustin und der antike Friedensgedanke. Untersuchungen zum 19. Buch der civitas dei, Berlin, NPhU 3, Garland, 1926, pp. 190-205.

136 Cf. Marie-Joseph Lagrange, o.c., n.83, p. 393 (« Jésus parle surtout de l’opposition entre la paix extérieure… et celle qui se maintient au dedans de l’âme, quoi qu’il en soit des périls et de la guerre qu’il faudra affronter ») et Charles K. Barrett, o.c., n.69, p. 456 estime que le reste du verset (v. 27) montre que la paix signifie l’éloignement de la peur et l’inquiétude du cœur, de même Bernhard Weiss, Das Johannes-Evangelium, nouv. éd. remaniée à partir de la 6e éd., Göttingen, KEK II, 19029 [18866], p. 415. Cette conception psycho-spirituelle de la « paix » fondée théologiquement et une compréhension en opposition avec l’idéologie politique de la pax romana ne sont pas nécessairement des alternatives comme semble le montrer Klaus Wengst, Joh II, o.c., n.53, p. 133 : guerre intérieure et extérieure pouvaient aller de pair dans le judaïsme hellénistique, cf. Philon, De Iosepho § 57. Dans De opificio mundi § 79 sqq., Philon décrit la vie régie par les « plaisirs brutaux qui dominent l’âme » (ἄλογοι ἡδοναὶ ψυχῆς) dans laquelle « les afflictions » (λύπη) « brident et dévient la pensée » ; « la peur (φόβος), mauvaise conseillère qui paralyse les élans vers les œuvres vertueuses », la lâcheté (δειλία), l’injustice (ἀδικία) qui « font irruption dans l’âme ». Il poursuit au § 81 : « Mais si l’on pouvait modérer par la tempérance les élans outranciers des passions (αἱ ἄμετροι τῶν παθῶν ὁρμαί)… une fois abolie la guerre (πόλεμος) à l’intérieur de l’âme, de toutes les guerres assurément la plus pénible et la plus grave, sous le règne de la paix (εἰρήνη) qui, dans le calme et la douceur, procure aux forces qui sont en nous un régime bien réglé, on pourrait espérer que Dieu… fournirait au genre humain, par une production spontanée, des biens tout préparés » (Trad. Roger Arnaldez, De opificio mundi, Introduction, traduction et notes, Paris, éd. du Cerf, 1961). Il y aurait alors la possibilité de regagner le paradis perdu (Andreas Fuchs, o.c., n.135, p. 181).

Dans De somniis II, § 147, Philon parle de la paix intérieure (εἰρήνη), par opposition à la guerre (πόλεμος) qui constitue l’archétype de la paix des Etats. Selon lui, la paix intérieure est toujours menacée par des événements extérieurs qui bouleversent les hommes et les perturbent (cf. Philon, De somniis II, § 229 ; II, § 145 sqq.).

137 Il est dit expressément en Jn 14,27 : εἰρήνη ἡ ἐμή « ma paix ».

138 L’importance de la paix et le fait qu’elle soit offerte (comme en Jn 14,27) sont deux aspects soulignés par Philon VitMos I au § 304 (en référence à Pinhas) : « le plus grand des biens, la paix, qu’aucun homme n’est capable d’assurer » (trad. : Roger Arnaldez et al., De Vita Mosis I-II, Introduction, traduction et notes, Paris, éd. du Cerf, 1967).

L’aspect du don de la paix (lié au Christ) (tout comme celui de la joie) rend perceptible la différence par rapport au stoïcisme du temps de l’Empire (cf. [pour ce qui est de la joie] : Christian Dietzfelbinger, Der Abschied des Kommenden : eine Auslegung der johanneischen Abschiedsreden, Tübingen, WUNT 95, Mohr, 1997, p. 137) et se trouve dans la tradition vétérotestamentaire où c’est Dieu qui donne la paix, cf. Ps 29,11 ; Es 57,19 ; Nb 6,26. Cet aspect du don se retrouve également en Lc 2,14 ; Rm 5,1 ; Phil 4,7.

139 Cf. Christian Dietzfelbinger, Abschied, o.c., n.138, p. 66 : une telle paix, le cosmos ne peut « ni la contester ni la détruire » (« nicht in Frage stellen und zerstören »).

140 ἀλλὰ θαρσεῖτε Jn 16,33b.

141 Selon le Midrash PesK Nispachim 2 (Mandelbaum, p. 458), la joie complète arrive à l’heure où « Dieu avale pour toujours la mort » (Klaus Wengst, Joh I, o.c., n.67, p. 146). La joie parfaite est causée ici par la victoire définitive sur la mort – dans l’Evangile de Jean, cette victoire sur les puissances des ténèbres et sur la mort s’effectue essentiellement sur la croix. Dans le contexte de Jn 15,9-17, surgit le motif de la joie (Jn 15,12, cf. Jn 16,20-22.24) et de la prière (Jn 15,16, cf. Jn 16,23-34 – prière et joie parfaite sont associées). La joie parfaite indique en Jn 16,24 une relation à Dieu accomplie (Jn 16,23b), sans questionnement (Jn 16,23a) cf. Christian Dietzfel-Binger, « Die eschatologische Freude der Gemeinde in der Angst der Welt. Johannes 16,16-33 », EvTh, XL, 1980, pp. 420-436, ici : pp. 428-429.

142 Takashi Onuki, Gemeinde, o.c., n.8, p. 162, définit la « paix » comme le contenu pragmatique des discours d’adieux et même de l’Evangile de Jean tout entier. La victoire mythique de Jésus sur le cosmos est opposée à la pseudo-victoire du cosmos sur Jésus.

143 Notez le motif récurrent (!) des portes fermées en Jn 20,19.26.

144 Jn 20,19.21.26.

145 ἐχάρησαν Jn 20,20.

146 Jn 20,28-29.

147 Jn 20,21b ; cf. Jn 17,18.

148 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle. Uber die kulturelle und therapeutische Bedeutung kathartischen Erlebens, trad. de l’américain par E. Martin et S. Friedrichs, Weinheim/Basel, Beltz, 1983.

149 Cf. Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 68 ss. Il reconnaît aussi un « fonctionnement » analogue dans les mythes.

150 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 68, c’est l’auteur, P.v. G., qui souligne. Selon Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 68 le drame classique déclenche chez la majorité des spectateurs des sentiments douloureux, mais leur rappelle en même temps qu’ils ne sont que spectateurs « … so dass bei den meisten Zuschauern schmerzliche Gefühle ausgelöst werden, aber gleichzeitig daran erinnert wird, dass sie nur Beobachter sind ».

151 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 63.

152 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 68 : « Ästhetisch distanzierte Stimuli sind so arrangiert, dass sie Schmerz und Sicherheit gleichzeitig repräsentieren ». Une distanciation optimale permet au spectateur / lecteur d’être à la fois participant et observateur.

153 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 110.

154 D’après Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, p. 68 s.

155 Thomas J. Scheff, Explosion der Gefühle, o.c., n. 148, en particulier p. 68 ss. A propos de Scheff, voir aussi G. Theissen, Erleben und Verhalten der ersten Christen. Eine Psychologie des Urchristentums, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus 2007, p. 321.