Sociabilité mondaine et réseaux intellectuels
Les salons parisiens au XVIIIe siècle
A première vue, les salons parisiens du XVIIIe siècle peuvent apparaître comme un terrain privilégié pour appliquer à l’histoire des écrivains les méthodes de l’analyse des réseaux. Le terme qui sert alors couramment à désigner ces lieux de sociabilité est le mot société : on fréquente la société de Mme Du Deffand, on visite les sociétés de Paris. Or ce terme est justement fondé sur le sémantisme du lien interpersonnel : en ce sens, la société de Mme Du Deffand désigne l’ensemble des personnes avec qui elle est en relation, à la fois son réseau social et son cercle de sociabilité, son ego-réseau en quelque sorte1. De plus, l’ensemble des salons, à l’échelle parisienne comme à l’échelle européenne, semble dessiner, sinon un réseau, du moins un espace relationnel où les liens d’interconnaissance multiples et croisés organisent la circulation des élites. Toutefois, avant de songer à dessiner un tel espace sous la forme d’un ensemble de liens, il est nécessaire de poser une question essentielle qui est celle de la forme même du lien, et des enjeux qu’il recouvre. Que signifie le fait de fréquenter un salon ? Qu’y fait-on ? Quelle est la nature de la relation entre ceux qui sont reçus et ceux qui les accueillent ? C’est ici que la notion de sociabilité apparaît éminemment heuristique car elle permet d’interroger les codes qui régissent ces relations et de comprendre comment la fréquentation des salons permet aux hommes du monde comme aux hommes de lettres de façonner leur propre identité sociale. Autrement dit, au lieu de réifier le réseau comme un ensemble de liens objectivés dont la signification serait extérieure aux acteurs historiques, on souhaite étudier la relation de sociabilité dans une perspective qui étudie de front les pratiques sociales et les représentations qui leur donnent sens.
D’une certaine manière, ces deux démarches correspondent à deux types d’approches historiographiques. D’un côté, l’analyse de réseau, qui peut prendre plusieurs formes, mais repose en toute rigueur sur les méthodes mathématiques de « l’analyse de réseaux »2. De l’autre, l’histoire des sociabilités, qui appartient plutôt à l’histoire socio-culturelle, et a été illustrée notamment par les travaux de Maurice Agulhon et Daniel Roche3. Récemment, certains travaux se sont efforcés de dresser des passerelles entre ces deux approches, en particulier dans l’étude de la franc-maçonnerie4. Dans ma thèse, consacrée aux salons parisiens du XVIIIe siècle, j’ai privilégié la seconde approche, en étudiant les salons comme une forme spécifique de sociabilité, la mondanité, dont les effets sont à la fois sociaux et culturels5. Je voudrais montrer pourquoi cette approche, qui s’efforce de comprendre d’abord les mécanismes de l’échange mondain et la signification des salons pour ceux qui les fréquentent, me paraît être un préalable indispensable à une analyse statistique des réseaux mondains, qui reste à faire.
La présence des hommes de lettres dans les salons, en effet, divise profondément l’historiographie. Pour certains, les salons doivent être compris comme des espaces égalitaires dévolus à l’activité littéraire et au débat intellectuel, des institutions de la République des lettres et de l’espace public, où les querelles inhérentes à la vie intellectuelle sont évitées grâce au rôle irénique des femmes6. Dans une telle perspective, la place des hommes de lettres y est naturelle et on peut voir les salons comme autant de réseaux intellectuels qui organisent la République des lettres. D’autres y reconnaissent plutôt un espace du loisir aristocratique, mais s’expliquent mal la présence des écrivains, à moins de la réduire à la recherche de prébendes par des auteurs médiocres7. Comment comprendre que le salon de Mme Geoffrin, souvent retenu comme l’exemple le plus achevé de salon littéraire, si ce n’est philosophique, soit tout autant un salon aristocratique, fréquenté par les représentants les plus en vue de la bonne société parisienne et de l’aristocratie de cour ?
Pour comprendre cette énigme, il est préférable de s’affranchir des cadres que sont la République des lettres ou l’espace public, et de réfléchir aux rapports qu’entretiennent les hommes de lettres avec la sociabilité mondaine. Celle-ci repose sur des pratiques d’hospitalité distinctive, foncièrement aristocratique, mais aussi sur des pratiques culturelles, comme la lecture, le théâtre de société, les concerts ou la poésie fugitive. Dès lors, il faut étudier à la fois l’intégration de ces écrivains à la vie des élites parisienne et la façon dont cette intégration est activement théorisée et débattue au sein même du champ littéraire. Il convient donc d’insister sur les relations de protection, qui permettent aux écrivains qui fréquentent les salons d’accéder aux ressources matérielles et symboliques des élites mondaines, et de penser la figure de l’homme du monde comme un horizon social de l’homme de lettres.
Les salons, institution mondaine
La première difficulté que rencontre une approche en termes de réseau est celle de la fréquentation des salons. Par principe, les salons ne fournissent pas de sources fiables et exhaustives sur leur composition : pas de listes de membres ou de procès-verbaux qui permettraient de connaître avec précision les habitués ou les invités occasionnels. Il faut donc se contenter de quelques énumérations au hasard des correspondances et des mémoires, avec toutes les précautions nécessaires car il est fréquent que la mémoire soit sélective ou défaillante. Certaines sources, trop rares malheureusement, permettent d’obtenir des résultats plus fiables. De septembre 1779 à septembre 1780, Mme Du Deffand a tenu un journal quotidien dans lequel elle notait scrupuleusement tous les gens qui venaient chez elle et assistaient aux trois soupers hebdomadaires qu’elle donnait. Sur les cent deux personnes ayant fréquenté son salon dans cette période, on trouve presque exclusivement des membres de l’aristocratie de cour, comme les ducs de Praslin, de Choiseul, de Broglie, la duchesse de Luxembourg ou le prince de Beauvau, des membres de l’administration royale, un médecin (Tissot), des évêques et seulement trois hommes de lettres et un savant (Barthélémy, La Harpe, Marmontel, Le Roy). Loin d’être un « salon littéraire », il s’agit d’un lieu de sociabilité aristocratique, où une poignée d’écrivains sont admis à faire des lectures, ou à participer aux divertissements de cette élite mondaine (on y joue aux cartes, on raconte les nouvelles du jour, on lit les lettres reçues par la marquise…). Il n’y a pas de différence notable entre ce salon et des sociétés très aristocratiques, comme celles de la duchesse de La Vallière ou de la comtesse de Boufflers8.
Si on se tourne vers le salon le plus emblématique des Lumières, celui de Mme Geoffrin, dont la dimension « littéraire » et « intellectuelle » ne semble faire aucun doute, on constate là aussi qu’il s’agit bien moins d’une institution littéraire que d’un espace de sociabilité mondaine. En premier lieu, les carnets d’adresses de Mme Geoffrin ne permettent peut-être pas de connaître avec précision les habitués de son salon, mais donnent une bonne idée de son réseau social. On y trouve essentiellement des noms aristocratiques, français et étrangers, et des listes de « connaissances et visites à faire », dans lesquelles ne figurent, à quelques exceptions près, que des membres de la bonne société parisienne (comme le duc et la duchesse de Bouillon, le prince et la princesse de Beauvau, le comte et la comtesse de La Marck, le duc et la duchesse de Fitzjames, etc.)9. D’autres sources confirment cette impression. Sur les quarante-sept personnes que mentionne Walpole dans son journal, lors des visites qu’il rend à Mme Geoffrin en 1765-1766, ne figurent qu’une poignée d’hommes de lettres (Thomas, Helvétius, d’Alembert, Burigny) et d’artistes (Vernet, Cochin, Soufflot), qui côtoient quelques représentants de la finances et de l’administration royale et de nombreux aristocrates français et étrangers (duc de Bouillon, comte de Coigny, duc de Fronsac, duchesse de Cossé, comtesse d’Egmont…)10. Par ailleurs, la correspondance de Mme Geoffrin montre qu’elle est très liée avec la marquise de Rochechouart, le duc de Montmorency, et la duchesse de La Vallière, et qu’elle organise des soupers pour la comtesse d’Egmont, le duc de Rohan, la marquise de Duras et la comtesse de Brionne. Enfin, les rapports de police du contrôle des étrangers signalent la présence dans son salon de figures importantes de la bonne société comme la maréchale de Luxembourg et la duchesse de Rohan-Chabot.
Au-delà des listes de noms, retenons que les salons ne sont pas des lieux de sociabilité intellectuelle, où se rencontreraient des écrivains et des savants, sous la houlette d’une maîtresse de maison désireuse avant tout de participer au progrès des Lumières. Ils sont plutôt des lieux de sociabilité aristocratique, plus ou moins ouverts aux hommes de lettres, et où le divertissement mondain joue un rôle essentiel. Par conséquent, en termes de réseau, l’enjeu des salons n’est pas d’abriter et de façonner des réseaux intellectuels, mais d’intégrer les hommes de lettres aux réseaux de la mondanité parisienne, voire européenne.
Un des principaux débats qui animent l’historiographie des salons porte sur la nature « égalitaire » de cette sociabilité. En effet, si on tient les salons pour des institutions intellectuelles, conformes aux idéaux de la République des lettres, ou si on les étudie uniquement à travers certains traités de civilité et les représentations littéraires de la conversation, il peut être tentant de voir dans les salons un espace égalitaire, préservé des hiérarchies d’Ancien Régime et des enjeux de la vie de cour. En revanche, si l’on étudie ce qui se passe dans les salons, on découvre que la politesse feutrée des cercles mondains ne fait disparaître ni les tensions, ni les différentiels de pouvoir, de richesse et de considération. Les salons sont des lieux de distinction sociale où la violence symbolique est particulièrement vive, et le ridicule y stigmatise aussi sûrement qu’à la cour11. Dans le cas des écrivains, dont le statut social reste largement marqué par la dépendance à l’égard des élites et du pouvoir dans la société corporatiste d’Ancien Régime, la distance qui les sépare des grands aristocrates et des riches financier dont ils fréquentent les salons est une évidence qui ne risque guère d’être oubliée12. La politesse et l’amabilité des Grands entretiennent une fiction d’égalité qui ne dissipe pas les différences de statut mais les rend supportables. Ce jeu de l’estime réciproque, toutefois, n’est valable que dans la mesure où les Grands en gardent le contrôle : « c’est ce qu’on aperçoit surtout dans les conversations où l’on n’est pas de leur avis. Il semble qu’à mesure que l’homme d’esprit s’éclipse, l’homme de qualité se montre, et paraisse exiger la déférence dont l’homme d’esprit avait commencé par dispenser13 ». Et le maréchal de Richelieu prend soin de rappeler fermement la règle d’or de la sociabilité : « le premier [talent] de tous dans une société, c’est d’être sociable ; et quand cette société a des supérieurs, ne pas s’écarter des lois de la subordination14 ». Les hommes de lettres en ont bien conscience, et ne confondent nullement la politesse des salons et l’égalité dans la conversation. Diderot écrit que « la connaissance des égards attachés aux différentes conditions forme une partie essentielle de la bienséance et de l’usage du monde15 », ce qu’il commente ainsi : « J’ai le son de la voix aussi haut et l’expression aussi libre qu’il me plaît avec mon égal ; pourvu qu’il ne m’échappe rien qui le blesse, tout est bien. Il n’en sera pas ainsi avec le personnage qui occupe dans la société un rang supérieur au mien16. »
Pour les écrivains qui fréquentent les salons parisiens, la relation mondaine est par définition asymétrique puisque ces hommes de lettres sont toujours reçus et ne reçoivent pas en retour. L’hospitalité, qui est alors à sens unique, structure des réseaux de protection qui se traduisent par des avantages non seulement symboliques mais aussi matériels. Les maîtres et maîtresses de maison offrent de nombreux cadeaux aux écrivains qu’ils reçoivent. De Suard à l’abbé Georgel, en passant par Morellet, Thomas, et d’Alembert, les écrivains qui fréquentaient le salon de Mme Geoffrin ont bénéficié de, « ses richesses et sa bienfaisance », « mine toujours ouverte » aux gens de lettres, selon une formule de l’abbé Georgel17. De ces cadeaux, dont Mme Geoffrin comblait les écrivains, mais aussi les artistes qui fréquentaient son salon, on a de nombreux témoignages, des pièces d’argenterie offertes aux Suard aux deux mille écus d’or dont elle gratifie Thomas. Bien sûr, l’échange de cadeaux est une constante de la vie mondaine, mais il prend une signification sociale très particulière dans le cas des dons faits aux hommes de lettres car l’absence de réciprocité rend la relation asymétrique. Il ne s’agit pas seulement de doubler et de renforcer le lien mondain par un échange de cadeaux, mais d’inscrire dans la sociabilité mondaine une relation financière, a fortiori lorsque celle-ci est pérennisée sous la forme de rentes, comme celles que Mme Geoffrin, mais aussi d’Holbach, Helvétius ou les Necker constituent en faveur de certains habitués de leurs salons.
Sociabilité mondaine et réseaux de protection
Les avantages matériels que les écrivains retiraient de la fréquentation des salons ne se réduisaient pas aux dons qu’ils recevaient de leurs hôtes, mais devaient beaucoup à la protection que ces derniers leur accordaient, en leur donnant accès aux cercles proches de la cour, en les recommandant, en intervenant en leur faveur. Les salons ne sont pas seulement les lieux désincarnés de la conversation ou du loisir mondain, mais aussi des espaces stratégiques qu’il convient d’occuper pour se frayer un chemin dans la société d’Ancien Régime. Ils étaient des appuis importants pour la carrière des auteurs, non pas en tant qu’institutions littéraires, mais au contraire parce qu’ils permettaient aux hommes de lettres de sortir des cercles de la République des lettres et d’accéder aux ressources du patronage aristocratique et du mécénat royal. Qu’il s’agisse d’éviter les foudres de la censure, de faire sortir un auteur intrépide de la Bastille, d’obtenir une audience ou une pension, de briguer une place à l’Académie, l’appartenance à la bonne société et le soutien d’efficientes protectrices étaient indispensables. A ses débuts dans les salons parisiens, Marmontel expliquait sans ambages qu’il recherchait dans le monde, « des protecteurs et quelques moyens de fortune18 ».
Ce langage de la protection revient très souvent dans les textes qui évoquent les relations entre les écrivains et les réseaux mondains des salons, mais il recouvre plusieurs choses. Son sens premier désigne une protection défensive, contre les dangers nombreux qui guettent les écrivains. Ceux-ci ont peu de moyens de se défendre contre le pouvoir royal ou contre la colère des puissants, comme le rappelle l’exemple de Voltaire, bastonné par les sbires du chevalier de Rohan. Aussi quand Morellet est jeté à la Bastille, pour avoir offensé la protectrice de Palissot, ses propres amis se tournent vers d’autres dames du grand monde, qui interviennent en sa faveur et le reçoivent ensuite dans leurs salons19. D’une certaine manière, son passage à la Bastille, en lui offrant un peu de notoriété, lui a ouvert les portes des salons, mais à l’inverse ce sont les salons qui lui ont ouvert les portes de la Bastille. La protection qu’offre aux écrivains l’insertion dans les réseaux mondains n’est pas seulement défensive ; elle est aussi une capacité d’action.
Lorsque l’on étudie les carrières des écrivains les mieux implantés dans les salons parisiens ou lorsque l’on regarde le détail des élections à l’Académie, on s’aperçoit que les salons fonctionnent comme des espaces intermédiaires entre le monde littéraire, celui des élites parisiennes, et celui de la cour. La fréquentation des salons offre des protections mais aussi un savoir social et politique immédiatement mobilisable dans l’action, notamment lorsqu’il s’agit de se repérer dans l’univers des intrigues de cour et d’approcher ceux qui ont une influence sur la politique royale. Ainsi, lorsque Suard perd son poste à la Gazette de France en 1770, il fait appel à ses « amis », c’est-à-dire à ses protecteurs et protectrices, dont il fréquente les salons (Mme de Tessé, Mme de Grammont, Mme de Beauvau, Mme de Choiseul), qui lui permettent de s’approcher du duc de Nivernais, dont l’influence est importante auprès du ministre, le duc d’Aiguillon. Dès lors ils sont invités chez le duc de Nivernais et pénètrent dans son réseau de sociabilité. Par la suite, Nivernais interviendra à plusieurs reprises, jusqu’auprès du roi, en faveur de son protégé20.
De même, chaque élection à l’Académie française donne lieu à un entrelacs de négociations qui mettent en branle les réseaux de protection mondaine, dont les ramifications se trouvent à la cour et dans les milieux littéraires. Les maîtresses de maison les plus actives font pression à la fois sur les académiciens qui fréquentent leur salon et sur les hommes de cour qui peuvent jouer un rôle dans l’élection. Montesquieu écrit par exemple à Mme Du Deffand : « Je ferai sur la place de l’Académie ce que voudront madame de Mirepoix, d’Alembert et vous ; mais je ne vous réponds pas de M. de Saint-Maur, car personne n’a été tant à lui que lui21. » Les protections et les influences sont nombreuses, les pressions contradictoires, et les élections s’apparentent souvent à une rivalité entre femmes du monde, qui mettent leurs ressources et leur talent de négociatrices au service de leurs protégés. A l’occasion de l’élection de d’Alembert, Mme Du Deffand est félicitée en ces termes par son ami Formont : « vous avez eu besoin de tous les talents que vous avez pour la négociation ; mais on n’est pas surpris quand on fait réflexion que vous aviez affaire à l’illustre et à la savante duchesse de Chaulnes22 ». Le propos est ironique car la suite se charge d’éclairer le pouvoir qu’exerce la duchesse en faisant la liste de ses amants, mais montre bien que les influences qui s’affrontent ne sont pas nécessairement littéraires.
Contrairement à une idée reçue selon laquelle l’Académie des sciences couronnerait le talent scientifique pur, là où l’Académie française laisserait libre cours aux brigues, les élections à l’Académie des sciences n’échappent pas à cette règle. La duchesse de Choiseul sollicite Mme du Deffand pour qu’elle mobilise les savants qui fréquentent son salon en faveur de son protégé, M. Poissonnier, qui devient par là-même celui de la marquise, en dépit de son échec final : « Vous aviez eu la bonté ma chère petite-fille de me procurer les voix de MM. d’Alembert et Le Maunier pour M. Poissonnier à la dernière élection de l’Académie des sciences. Quoique le succès n’ait pas répondu à d’aussi bons titres, je n’en ai pas moins de reconnaissance pour vous et pour ces messieurs, et votre protégé n’en sent pas moins l’avantage d’avoir excité votre intérêt et obtenu leurs suffrages ; je vous le demande encore pour l’une des deux places qui vont être créées »23.
Le système académique des Lumières et les réseaux mondains ont une dimension européenne et il n’est donc guère surprenant que l’on retrouve à cette échelle les mécanismes de protection liés aux salons24. Par exemple, en 1748, Mme Geoffrin utilise l’influence de Mairan pour faire campagne en faveur de Gabriel Cramer. Elle ne réussit pas à le faire élire, ce qui ne l’empêche pas de rappeler au candidat malheureux les « remerciements » qu’il doit à Mairan pour ses efforts, même infructueux. Elle l’engage ensuite à se présenter à la Royal Society : « à présent que voilà la paix vous devriez penser à la société royale de Londres. La facilité d’écrire en droiture va réveiller bien des gens que je sais qui ont envie d’en être. Pensez-y25. » Deux ans plus tard, Cramer est toujours sur les rangs, et Mme Geoffrin lui assure non seulement le soutien de Mairan et de d’Alembert, mais aussi celui du comte d’Argenson, ministre de la maison du roi, convaincu par son fils qui, lui-même, a été approché par Watelet, habitué des lundis de Mme Geoffrin26. Il devra pourtant patienter encore, car la place semble promise à un autre. La duchesse d’Enville, qui cumule le haut patronage aristocratique et les réseaux académiques s’efforce de faire élire milord Stanhope, qui s’adresse à elle par l’intermédiaire du physicien genevois George-Louis Lesage : « Je n’ai point perdu de temps, Monsieur, pour dresser toutes mes batteries en faveur de Milord Stanhope au moment que j’ai appris par votre lettre qu’il désirait une place à l’académie des sciences27 ». Elle a écrit à Malesherbes, à Montigny et à Trudaine. Mably qui est chez elle au château de La Rocheguyon s’est chargé d’écrire à Vaucanson et de « faire parler » à d’Alembert. Le duc de Belle-Isle et le fils de la duchesse, le duc de la Rochefoucauld, se sont employés auprès de Mairan, et, enfin, prometelle, si Buffon est à Paris, il sera sollicité par M. de la Bourdonnaye et par le duc de La Rochefoucauld.
Pour comprendre le rôle des salons dans ces élections, il faut donc sortir du cadre trop étroit de la « République des lettres » car c’est en tant que lieux de sociabilité des élites que les salons sont une ressource pour les écrivains : ils leur permettent de s’insérer dans les réseaux mondains, qui sont aussi des réseaux de pouvoir et des réseaux de protection. De même, plutôt que d’attribuer trop de pouvoir à l’institution « salon », telle que l’histoire littéraire l’a construite, il faut plutôt la replacer dans le contexte des réseaux mondains de sociabilité. Par exemple, lorsque Elisabeth Badinter écrit que Maupertuis, candidat pour l’élection à l’Académie française en 1743, « pouvait compter sur le salon de la comtesse de Rochefort », elle en veut pour preuve que la présence de Maupertuis est attestée chez Mme de Rochefort, à Meudon, à l’été 1742, et que Hénault et du Deffand, qui fréquentaient la comtesse, ont fait campagne pour lui28. Or, la causalité est ténue. En premier lieu, Mme du Deffand et le président Hénault connaissaient Maupertuis avant de le rencontrer à Meudon et le fréquentaient dans d’autres lieux. Il n’est donc pas évident d’imputer au « salon de la comtesse de Rochefort » leur action en sa faveur. Surtout, qu’est-ce que ce salon en 1742-1743 ? A Meudon, se réunissait dans ses années-là, à la belle saison, la société du maréchal de Brancas, père de la comtesse de Rochefort. Celle-ci contribuait à l’animer, ainsi que son frère, le comte de Forcalquier, archétype de l’aristocrate bel-esprit, et la femme de celui-ci. L’évocation du « salon de la comtesse de Rochefort » est une réminiscence peu pertinente, qui contribue à brouiller les cartes, en suggérant un cénacle d’hommes de lettres alors qu’il s’agit d’une des sociétés les plus aristocratiques de Paris29. Maupertuis, dont on ignore s’il en fut un habitué ou un invité occasionnel, put y rencontrer des puissants, notamment Maurepas, qui était alors ministre de la maison du roi. Plutôt que d’imaginer une mobilisation du « salon de la comtesse de Rochefort », il est préférable de comprendre à la fois l’élection de Maupertuis et sa fréquentation de la société des Brancas par son intégration déjà bien affirmée aux réseaux aristocratiques de la capitale, comme l’attestent ses liens avec la duchesse d’Aiguillon, la duchesse de Saint-Pierre, ou la duchesse de Chaulnes30. La société des Brancas lui sert moins à se gagner directement de nouvelles voix – Montesquieu qui la fréquente est déjà gagné à sa cause et sera le fer de lance de sa campagne – qu’à se gagner des protections et à se frayer un chemin à la cour. Maupertuis, dès ces années-là, encore plus nettement dans celles qui suivent, jusqu’à son départ pour Berlin, est un courtisan, heureux à Fontainebleau dans « le tumulte du grand monde, à la cour, devenu joueur, quasi chasseur », selon la formule de la duchesse de Saint-Pierre, qui ajoute « Quelle vie pour un géomètre !31 ».
L’homme de lettres est-il un homme du monde ?
Maupertuis est devenu un homme du monde, tout autant qu’un savant. Il faut entendre par là qu’il est inséré dans les réseaux de sociabilité des salons, mais aussi qu’il pense sa propre identité sociale en se référant aux normes en vigueur dans la bonne société : la politesse, l’honnêteté, la civilité. En ce sens, il est représentatif du milieu des hommes de lettres du milieu du XVIIIe siècle, qui se réclament, pour la plupart, d’un modèle mondain de l’homme de lettres qui leur sert à penser leur identité sociale, à justifier leurs pratiques mondaines, mais aussi à lutter dans les innombrables polémiques qui secouent le champ littéraire. Voltaire est un des principaux promoteurs de cet idéal mondain, qu’il développe notamment dans de très nombreux textes. Dans son article « Gens de lettres » de l’Encyclopédie, il refuse de définir l’homme de lettres par la pratique de l’écriture et fait de l’accès à la bonne société la caractéristique principale des hommes de lettres du XVIIIe siècle, et un de leurs principaux titres de gloire : « L’esprit du siècle les a rendus pour la plupart aussi propres pour le monde que pour le cabinet et c’est en quoi ils sont fort supérieurs à ceux des siècles précédents32 ». Tout l’effort de l’article tend à associer l’esprit philosophique et l’accès au monde. L’esprit philosophique est défini par le rejet des superstitions, mais aussi par la critique de la scolastique, de l’école, de l’érudition et du pédantisme. Ainsi l’homme du monde est l’idéal social du philosophe, mais il est aussi celui sur qui il convient de s’appuyer pour imposer l’esprit philosophique. Dans d’autres textes, et notamment dans sa correspondance, Voltaire fait sans cesse du monde et de la bonne société à la fois la cible du discours philosophique et le modèle de l’homme de lettres. « Il faut être homme du monde avant d’être homme de lettres » écrit-il à Mme du Deffand33.
Cette représentation de l’homme de lettres en homme du monde est largement partagée dans les milieux littéraires, en particulier dans la mouvance encyclopédiste, mais aussi au-delà, au point de former une véritable topique, ensemble cohérente et de valeurs que les hommes de lettres utilisent pour penser leur place dans la société d’Ancien Régime. Ainsi, les auteurs dramatiques qui désirent être joués à la Comédie-Française ne cessent de se réclamer de ce modèle de comportement qui fait d’eux de parfaits honnêtes hommes, polis et désintéressés, soumis aux impératifs de la protection aristocratique et aux règles de fonctionnement des institutions curiales. Il ne s’agit pas d’une stratégie hypocrite car la plupart des ces écrivains adhèrent sincèrement à cette figure de l’homme du monde, socialement plus prestigieuse que celle de l’écrivain professionnel : Gregory Brown souligne très justement cette adhésion des hommes de lettres aux pratiques et aux valeurs des élites mondains : « Etre un homme de lettres signifiait être accepté comme appartenant à un groupe de statut défini par sa participation aux réseaux sélectifs et hiérarchiques des élites sociales et culturelles, dont les normes d’association et de comportement informaient les comportements des auteurs, l’image qu’ils se faisaient d’eux-mêmes et leur identité sociale34 ».
Cette topique mondaine de l’homme de lettres s’accompagne d’une intense promotion de la notion de politesse. L’article « politesse » de l’Encyclopédie est à ce titre emblématique. Alors que la civilité est destinée aux personnes d’une condition inférieure, et correspond à des règles arbitraires dictant des attitudes extérieures, la politesse, associée au monde et gens de la cour, est définie de façon toute aristocratique comme l’association d’une « disposition naturelle » et de « l’usage du monde ». On pourrait multiplier les textes de Voltaire, de Grimm, de Suard, de Morellet, d’Helvétius, ou du baron d’Holbach qui font l’apologie de la politesse, dans laquelle ils voient à la fois une valeur sociale et linguistique, c’est-à-dire une façon d’agir et de parler. Comme façon d’agir, ils la justifient par la théorie des vertus sociales et de la bienfaisance. Comme façon de parler, la politesse leur apparaît comme le garant des normes langagières et ils continuent à faire de la cour et des salons les garants de l’universalité de la langue française35.
Amitié et bienfaisance : la « politesse protectionnelle »
Cette topique mondaine permet aussi aux hommes de lettres de décrire les relations de protection qui structurent l’espace mondain à travers le langage de l’amitié. Morellet, par exemple, écrit que les « bienfaits » de Mme Geoffrin furent reçus avec « une reconnaissance aussi noble que la bienfaisance à laquelle l’amitié cédait36 », utilisant le vocabulaire de la bienfaisance et de la reconnaissance, de l’amitié et de la noblesse des sentiments. Le couple « bienfaisance/reconnaissance », systématiquement mobilisé pour décrire la relation entre les hommes du monde et les hommes de lettres, inscrit l’asymétrie de la relation de protection dans une relation amicale, fortement moralisée. Le vocabulaire de l’amitié et l’obligation morale de la reconnaissance font du protégé un homme du monde, capable de se soumettre aux codes de la bonne société. L’asymétrie de la relation n’est pas masquée par le langage de l’amitié ; elle est à la fois reconnue et pensée à travers le prisme de l’échange mondain, où le langage affectif de l’amitié n’est pas contradictoire avec un fort différentiel de puissance sociale.
De la même façon, la politesse qui règle le commerce du monde n’est en rien contradictoire avec la relation asymétrique protecteur/protégé. Bien au contraire, la politesse permet un échange entre des personnages dont la grandeur sociale est sans commune mesure, et l’usage du monde consiste justement à discerner les distinctions sociales, qui permettent aux grands de se montrer aimables avec les hommes de lettres qu’ils protègent. La politesse permet d’intégrer à la sociabilité mondaine des hommes de lettres, justement parce que les distances sociales sont tellement importantes que personne ne risque de se méprendre sur la dimension fictive de cette égalité et sur la bienveillance avec laquelle les écrivains sont reçus et traités. Duclos conseille aux hommes de lettres qui veulent des liaisons de société de ne fréquenter que des hommes de cour « Les Courtisans ne pensent pas à nuire à ceux qui ne peuvent les traverser et font quelquefois gloire de les obliger. Plus on est grand, moins on s’avise de faire sentir une distance trop marquée pour être méconnue ». Pour désigner cette relation où politesse et protection font bon ménage, Collé utilise une formule de son cru : « la politesse protectionnelle37 ».
Il y a donc deux dangers qu’il faut éviter lorsqu’on essaye de comprendre ce qui se joue dans les salons pour les hommes de lettres. Le premier consiste à croire que les normes de la politesse et le langage de l’amitié impliquent une relation égalitaire dont le principe serait le plaisir commun ou le retrait hors des affres de la politique et de la vie de cour. Le second consiste à ne voir dans la politesse ou dans ce langage moral qu’un leurre, un mensonge, par lequel les hommes de lettres s’efforceraient de masquer le calcul intéressé qui les attire dans les salons. En réalité, le langage de l’amitié dans lequel se dit la relation de protection est justement ce qui la rend possible en lui donnant un sens nouveau, à distance du mécénat, a fortiori des formes de la domesticité littéraire : l’homme de lettres n’y figure pas en tant qu’écrivain, mais en tant qu’homme du monde.
Cette économie mondaine de la protection se distingue à la fois du lien clientélaire ou du mécénat. Le lien de clientèle institutionnalise une relation domestique entre un Grand et un auteur, selon un modèle qui est celui de la fidélité politique et du service de plume. Il se traduit souvent par une charge de secrétaire ou de lecteur, au service d’un prince ou d’un grand aristocrate. Le mécénat récompense plus explicitement des auteurs en tant qu’auteurs et met en avant l’échange symbolique entre l’œuvre dédicacée au mécène et la récompense38. Le mécénat implique donc une reconnaissance spécifique de la valeur des productions culturelles. Le prestige qu’elles confèrent à ceux qui les protègent est sanctionné par le genre de l’épître dédicatoire, qui publie la générosité du mécène, mais aussi l’incommensurabilité des positions respectives du mécène et de l’écrivain, du protecteur et du protégé. Dans le cadre du salon, la situation est différente, car le don ne vient pas récompenser une œuvre ou un service de plume, et n’appelle pas un éloge public. Il se présente sous la forme d’une générosité amicale inscrite dans la relation de sociabilité.
Cette topique mondaine de l’homme de lettres, qui met en avant les notions d’honnêteté et de politesse, fait l’éloge du monde et de sa sociabilité, et promeut un idéal non professionnel de l’écrivain, constitue à l’apogée des Lumières une puissante représentation de l’homme de lettres et de ses liens légitimes avec les élites sociales. Dans les dernières années de l’Ancien Régime, elle est soumise à une violente critique qui dénonce la mondanité et défend une nouvelle figure d’écrivain. Celle-ci doit beaucoup à Jean-Jacques Rousseau, mais se nourrit aussi du nouveau langage politique « patriote ». Cette nouvelle topique repose à la fois sur une dénonciation sociale et politique de la domination que dissimule le conformisme mondain et sur une revendication d’autonomie pour les écrivains. Ses implications sont à la fois sociales (rompre avec le régime de la protection), politiques (la dénonciation du despotisme et l’appel au public) et stylistiques (l’éloquence civique et l’épanchement des cœurs contre l’esprit, l’ironie ou l’équivoque). Pour les nouveaux arrivants dans le champ littéraire, elle fournit tous les éléments d’une critique des institutions académiques, un programme littéraire fondé sur la rupture avec les sujets mondains et avec l’esprit, et une stratégie : l’appel au public, contre la bonne société et les protecteurs. Il reste que, malgré cette nouvelle représentation de l’écrivain, la topique mondaine de l’homme de lettres continue à fournir des arguments aux écrivains qui fréquentent les salons et, à nourrir les représentations positives de la mondanité, bien au-delà de la Révolution.
Pour comprendre les enjeux de la sociabilité mondaine, du point de vue d’une histoire des intellectuels, il faut donc échapper à l’alternative stérile entre une analyse cynique, qui ne voit dans les philosophes des salons que des arrivistes à la recherche de places et de prébendes, et une analyse enchantée, qui veut voir dans les salons les lieux idylliques de la reconnaissance sociale et intellectuelle des Lumières. Le débat entre ces deux interprétations n’a en effet guère de sens sur un plan historiographique : il se condamne à rejouer indéfiniment les querelles littéraires du XVIIIe siècle, dans lesquelles les enjeux intellectuels et les positions au sein du champ littéraire étaient inséparables des débats sur l’identité sociale de l’homme de lettres. Ces débats s’appuyaient sur des traditions argumentatives, sur des lieux communs, sur des ressources littéraires éprouvées, qui donnaient un sens aux liens de sociabilité.
Comme on le voit, si les salons se prêtent mal, faute de sources homogènes, aux méthodes rigoureuses de l’analyse de réseaux, ils invitent à traiter avec précaution le thème des « réseaux intellectuels ». Le danger, ici, serait d’interpréter la présence des écrivains dans les salons à partir de cet artefact historiographique qu’est le « salon littéraire » comme lieu de rencontre des écrivains. Si les salons constituent des réseaux, ce sont des réseaux mondains dont les dynamiques sont tout autant, et peut-être davantage, familiales et politiques qu’intellectuelles. En fréquentant ces salons, les hommes de lettres s’insèrent dans les réseaux de protection qui organisent toute la société d’Ancien Régime.
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1 Sur le sémantisme de « société », voir Sonia Branca-Rosoff, Jacques Guilhaumou, « De ‘société’ à ‘socialisme’ : l’invention néologique et son contexte discursif. Essai de colinguisme appliqué », in Langage et société, 1988, nos 83-84.
2 Sur ces méthodes et leurs applications, voir Alain Degenne, Michel Forsé, Les réseaux sociaux, Paris, 1994 ; Emmanuel Lazega, Réseaux sociaux et structures relationnelles, Paris, 1998 ; Claire Lemercier, « Analyse de réseaux et histoire », in Revue d’histoire moderne et contemporaine (2005), offre un très utile panorama historiographique de leurs usages. Ces méthodes sont lourdes à mettre en place et impliquent des sources relativement homogènes, mais permettent d’utiliser efficacement la notion de réseaux, en évitant les usages vagues et métaphoriques où les réseaux ne désignent que des « milieux intellectuels » ou servent à évacuer les clivages sociaux. Sur les enjeux politiques que recouvrent le vocabulaire du réseau, voir Luc Boltanski, Eve Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, 2000.
3 Maurice Agulhon, Pénitents et Francs-Maçons de l’Ancienne Provence : Essai sur la sociabilité méridionale, Paris, 1968. Pour une approche synthétique, voir Stéphane Van Damme, « La sociabilité intellectuelle. Les usages historiographiques d’une notion », in Hypothèses, Revue de l’école doctorale de Paris I, Paris, 1997, pp. 123-132.
4 Pierre-Yves Beaurepaire, L’Espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, Rennes, 2003. Voir aussi La Plume et la toile. Pouvoirs et réseaux de correspondance dans l’Europe des Lumières, Etudes réunies par Pierre-Yves Beaurepaire, préface de Daniel Roche, Arras, 2002.
5 Antoine Lilti, « Le monde des salons. La sociabilité mondaine à Paris dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Paris, Fayard, 2005.
6 Dena Goodman, The Republic of Letters. A Cultural History of the French Enlightenment, Ithaca, 1994.
7 Robert Darnton, « The High Enlightenment and the low-life of literature in prerevolutionary France », in Past and Present : a journal of historical studies, 1971, n° 51, pp. 81-115, repris dans Bohème littéraire et révolution. Le monde des livres au XVIIIe siècle, Paris, 1983, pp. 7-41.
8 « Journal de Mme du Deffand », in The Yale Edition of Horace Walpole’s Correspondence, New-Haven, 1941-1983, vol. VI, pp. 421-461.
9 Archives privées du comte de Bruce, carnets de Mme Geoffrin, « Connaissances et visites à faire », dans le carnet intitulé « Adresses de la province et de Paris ».
10 Horace Walpole, « Paris Journal », in Horace Walpole correspondence, t. 7, pp. 257-417. Horace Walpole vient pour la première fois à Paris en septembre 1765. Il y passe huit mois, ce qui lui laisse le temps de découvrir la capitale et sa vie mondaine. Riche, célèbre, muni de nombreuses lettres de recommandation, et vite mis à la mode par une plaisanterie dont Rousseau est la victime, Walpole n’a guère de mal à être admis dans les principales sociétés. Malgré l’amitié qu’il noue avec Mme du Deffand et le peu d’estime qu’il porte aux philosophes, il fréquente aussi bien le salon de Mme Geoffrin que celui du baron d’Holbach.
11 Voir par exemple, l’humiliation subie par le financier La Reynière, qui essayait de recevoir dans son salon la bonne société parisienne, et qui fait les frais d’une plaisanterie du vicomte de Narbonne, qui fait mine de vouloir le provoquer en duel. Le récit de cette plaisanterie, qui renvoie La Reynière à son statut de financier (il a peur du duel), circule dans les salons et discrédite son salon. Voir Marc de Bombelles, Journal, (éd. J. Grassion et F. Durif), Genève, 1982, t. 1, pp. 189.
12 Voir notamment Daniel Roche, Les Républicains des lettres, gens de culture et Lumières au XVIIIe siècle, Paris, 1988 ; Robert Darnton, Gens de lettres, gens du livre, Paris, 1992 ; Eric Walter, « Les auteurs et le champ littéraire », in Roger Chartier, Henri-Jean Martin (éds.), Histoire de l’édition française, Le livre triomphant 1660-1830, Paris, 1984, t. 2, pp. 382-399 ; Roger Chartier, « l’homme de lettres », in Michel Vovelle (éd.), L’Homme des Lumières, trad. fr., Paris, 1996, pp. 159-209.
13 D’alembert, Essai sur la société des gens de lettres et des grands, sur la réputation, sur les mécènes, et sur les récompenses littéraires, in Œuvres, Paris, 1822, (1re éd. 1752), t. 4, pp. 337-373, citation pp. 357.
14 Lettre du Maréchal de Richelieu à Mme Favart, du 30 août 176*, in Favart, Mémoires et correspondance littéraire, t. 3, pp. 91.
15 Diderot, Lettre à M*, 1776, Correspondance complète, éd. G. Roth, Paris : Editions de Minuit, 1955-1970, t. 14, pp. 224.
16 Ibid., pp. 225.
17 Jean-François Georgel, Mémoires pour servir à l’histoire des événements de la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1817, 6 vol.. t. 1, pp. 218.
18 Marmontel, Mémoires, op. cit., pp. 135.
19 Morellet, Mémoires, op. cit.
20 Amélie Suard, Essais de mémoires sur M. Suard, Paris, Didot, 1820, pp. 96 ; Robert Darnton, « The High Enlightenment and the low-life of literature in prerevolutionary France », in Past and Present : a journal of historical studies, 1971, n° 51, pp. 81-115, not. pp. 8-11.
21 Lettre de Montesquieu à Mme du Deffand, 13 septembre 1752, in Correspondance complète de Mme du Deffand, op. cit., t. 1, pp. 144.
22 Lettre de Formont à Mme du Deffand du 4 décembre 1754, in Correspondance complète, t. 1, pp. 224.
23 Lettre de la duchesse de Choiseul à Mme du Deffand, n.d., in Correspondance de Mme du Deffand avec les Choiseul…, vol. I, pp. 15.
24 James Mac Clellan, « l’Europe des Académies », in Dix-huitième siècle, 1993, vol. XXV, pp. 1153-1165.
25 Genève, D. O. Geoffrin : lettre de Mme Geoffrin à Gabriel Cramer du 18 août 1748.
26 Lettre de Mme Geoffrin à Gabriel Cramer du 26 juin 1750, publiée par Maurice Tourneux, Revue d’Histoire littéraire de la France, I, 1894, pp. 53.
27 BPU Genève, Papiers Lesage, Ms sup. 512 : lettre de la duchesse d’Enville à George-Louis Lesage du 15 novembre 1768.
28 Elisabeth Badinter, Les Passions intellectuelles, I, Désirs de gloire (1735-1751), Paris, 1999, pp. 240.
29 Il est difficile d’en parler avant 1759, quand la comtesse de Rochefort s’installe au Luxembourg et se met à y recevoir.
30 E. Badinter montre bien les ramifications de ce réseau aristocratique. Voir aussi la correspondance de Maupertuis avec la duchesse de Saint-Pierre, la duchesse d’Aiguillon, Mme du Deffand, la comtesse de Rochefort, Mme de Talmont, la duchesse de Chaulnes et la baronne de Bentick, (BN, NAF 10398).
31 BnF, NAF 10398 : lettre de la duchesse de Saint-Pierre à Maupertuis, n.d.
32 Voltaire, art. « Gens de lettres », in Encyclopédie.
33 Lettre du 1er juillet 1760 à Mme du Deffand, Cher Voltaire. La Correspondance de Mme du Deffand avec Voltaire, éd. Isabelle et Jean-Louis Vissière, Paris, 1987.
34 Gregory Brown, A Field of Honnor : Writers, Court Culture and Public Theater in French Literary Life from Racine to the Revolution, Columbia University, New York, édition électronique : <http://www.gutenberg-e.org>, pp. 26.
35 Daniel Gordon, Citizens without Sovereignty. Equality and Sociability in French Thought (1670-1789), Princeton, 1994. Insiste aussi sur l’importance de la sociabilité et de la politesse dans la pensée des Lumières, mais il l’interprète comme le témoignage d’une opposition radicale entre les salons (lieu de la sociabilité égalitaire) et la cour (lieu de l’étiquette).
36 Morellet, Mémoires, op. cit., pp. 32.
37 Charles Collé, Journal et mémoires sur les hommes de lettres, les ouvrages dramatiques et les événements les plus mémorables du règne de Louis XV, Paris : Didot, 1868, [Genève, Slatkine Reprint, 1967], 3 vol., t. 3, pp. 36.
38 Alain Viala, Naissance de l’écrivain, Paris, 1985 ; Daniel Roche, « Les modèles économiques du mécénat », in Les Républicains de lettres, Paris, 1988, pp. 51-84 ; Christian Jouhaud et Hélène Merlin, « Mécènes, patrons et clients. Les médiations textuelles comme pratiques clientélaires au XVIIe siècle », in Terrain, 1993, n° 21, pp. 47-62.