Penser les réseaux
« Faisceaux (Jardinage) sont composés de plusieurs canaux en forme de réseaux, servant à porter le suc nourricier dans toutes les parties de l’arbre »1.
« La propagation et les progrès des lumières doivent aussi beaucoup à la protection constante des souverains, qui s’est manifestée en cent manières diverses, entre lesquelles il me semble qu’il y aurait ou bien de la prévention ou bien de l’ingratitude à passer sous silence les sages règlements qu’ils ont institués sur le commerce de la librairie, à mesure que les circonstances fâcheuses qui le troublaient les ont exigés »2.
Au temps des Lumières, la République des lettres s’ancre dans la « crise de la conscience européenne » que Paul Hazard pense dès 1935 comme le crépuscule de l’âge classique3. Réaffirmée autour de Pierre Bayle, mobilisant ensuite les « philosophes » – Montesquieu, Voltaire, Morellet, Rousseau – elle se renforce avec les membres des Académies, les encyclopédistes, les publicistes jésuites ou jansénistes, les gazetiers, les avocats, les apologistes ou encore les journalistes, ainsi que les diplomates et les voyageurs. Fragilisée par l’environnement culturel de l’Ancien Régime dominé par l’oralité, cette institution culturelle et sociale forge en Europe continentale la culture politique et le cosmopolitisme des Lumières dont l’héritage aujourd’hui est celui des sociabilités changeantes et fragilisées du livre4. Liée à la « communauté des libraires », qui selon Diderot diffuse les imprimés dans les réseaux du commerce licite ou illicite5, face aux privilèges d’imprimatur octroyés par l’Etat, la République des lettrés affronte le travail des censeurs et les réseaux de la police du livre. Dès la Renaissance, les censeurs contrôlent plus ou moins bien la circulation des idées à travers les réseaux éditoriaux et contribuent paradoxalement à la publicité littéraire en vitalisant la contrefaçon née de l’autodafé6. Ecclésiastiques ou séculiers, liés à l’Etat moderne, les censeurs traquent les « mauvais livres », ainsi que les « écrits séditieux » qui irriguent, bon an mal an, les « réseaux » philosophiques. La modernité des Lumières repose sur cette généralisation des « réseaux ». Ils unissent et polarisent dans un champ conflictuel l’Europe éclairée et celle des « anti-philosophes » – soit les mouvements dévots, ceux liés aux confréries religieuses et aux courants mystiques ou maçonniques7. Tous génèrent des sociabilités et des usages de réseaux. Leurs formes secrètes ou mondaines ne peuvent être dissociées ou totalement opposées à celles mieux connues des réseaux philosophiques8.
Réseaux intellectuels
Au temps des Lumières, autour des activités juridiques et économiques, autour des réseaux épistolaires et ceux du livre (imprimerie, librairie, etc.) de nouvelles sociabilités urbaines émergent et affirment la modernité du contrat social9. Elles rayonnent des loges maçonniques qui s’ajoutent à celles des cercles lettrés – académies, sociétés savantes, salons, cafés. Elles forgent la culture des sociabilités de l’esprit où s’enracinent les institutions privées ou étatiques du pouvoir de l’intellectuel d’aujourd’hui10. En 1783, un auteur satirique russe pose cette question provocatrice dans un pamphlet : « Pourquoi n’est-il pas honteux chez nous de ne rien faire ? » Despote « éclairée » sensible aux « philosophes » dont elle aimerait s’entourer, Catherine II réplique dans son propre journal en désignant l’idéal de la sociabilité du cercle lettré : « Vivre en société ce n’est pas rien faire ». Ainsi, au temps des Lumières, à l’orient comme à l’occident de l’Europe continentale, la sociabilité littéraire devient un problème « philosophique » et politique. Durant les ultimes décennies de l’Ancien Régime, elle désigne une question cruciale : sur quelles valeurs, avec quelles pratiques et dans quels lieux fondera-t-on une vie sociale sécularisée qui permette de valoriser la méritocratie et l’individu pensant comme matrice des sociabilités intellectuelles ?
Par-delà les finalités, les motivations, les convictions idéologiques qui structurent les différentes formes de sociabilité, leur fondation ultime reste in fine la « sociabilité pour la sociabilité ». Selon Maurice Agulhon, « l’étude de la sociabilité s’impose en somme là où la forme l’emporte sur le fond »11. Certes, cette approche cadre difficilement les milieux intellectuels, où, précisément, les affinités, les orientations, les congruences, les valeurs constituent l’essence des sociabilités, de même que pour celles identitaires de nature villageoise, politique, sportive ou musicale12. Peut-on étudier la sociabilité en tant que telle en ignorant les valeurs fondatrices qui animent tout « réseau social » comme colonne vertébrale d’une communauté d’individus volontaristes, acteurs peut-être d’un groupe de pression ?13 Peut-on isoler cette abstraction qui qualifie des réseaux idéologiquement très différents : ceux de la franc-maçonnerie constitués dès 1725, ceux des Jésuites après leur dissolution en 1764, ceux encore des « philosophes » qui se multiplient au XVIIIe siècle ? Le plus sociologue des historiens ne peut dénier le contenu culturel des sociabilités, sous peine de ressembler à un musicologue qui étudierait les partitions de Jean-Sébastien Bach sans en entendre la musique. La réponse à la question posée, toutefois, peut être positive, à condition de ne pas extraire les sociabilités hors du temps ni de l’espace. Elles signalent un ample mouvement de société propre à l’Europe des Lumières, comme l’illustre ce livre collectif.
Fruit d’un colloque international tenu à l’Université de Genève en hiver 2003 sur les institutions, les figures sociales, les imprimés ainsi que les milieux religieux et spirituels pour penser les réseaux et la sociabilité culturelle dès la seconde moitié du XVIIIe siècle14, le volume donné ici à lire aborde la sociabilité intellectuelle comme un objet d’histoire sociale et culturelle pour penser la modernisation de l’espace intellectuel. Les trois parties de l’ouvrage construisent les réseaux de l’esprit en emboîtant les sociabilités en leurs usages et leurs institutions aux imprimés comme point de convergence, mais aussi comme bien culturel inséré dans des espaces culturels plus amples. Dans les années 1960, Maurice Agulhon et Michel Vovelle en ont montré les enjeux (sociabilité) pour l’histoire sociale de l’Europe moderne et contemporaine. Soudant la structure des réseaux aux usages variés de la sociabilité mondaine, savante ou philosophique en une problématique commune que marquent la sociologie de Georg Simmel ou celle de Georges Gurvitch ainsi que l’histoire culturelle d’aujourd’hui, ce livre périodise son objet entre les Lumières et la Restauration, âge d’or des réseaux et de la sociabilité que structure la République des Lettres à la française. Dès les années 1760, en Europe occidentale ainsi qu’en Europe centrale et orientale, coïncident l’épaississement social et démographique des sociabilités littéraires et une extension des usages urbains qui y sont liés. Allemagne, Russie, Belgique, Moravie, Europe centrale, France : dépassant le cadre habituel de la « France des Lumières », donnant sens à des institutions culturelles et politiques, ainsi qu’à des projets éditoriaux et épistolaires, les vingt chapitres de ce livre comparatiste illustrent le cosmopolitisme de l’Europe des réseaux intellectuels, mouvement qualifié par Willem Frijhoff d’« universalisme socio-culturel » des Lumières dont l’ambition invasive vise et touche largement l’Europe. Souvent déconnectées du champ historiographique classique ou alors confinées dans des monographies régionales, les régions de l’Europe centrale et orientale (Empire d’Autriche, Pologne, Russie) offrent ici un important champ d’enquête. Non seulement par l’histoire de ces lieux excentrés par rapport aux Lumières occidentales, parce qu’ils ont été souvent présentés comme des terres d’exportation de celles-ci, notamment en ce qui concerne la Russie jusqu’au début du XIXe siècle, l’étude des phénomènes de sociabilité, transférés, puis nourris dans ces zones suite à des contacts personnels et des médiations individuelles, permet de les reconsidérer de manière moins gallocentriste, tout en enrichissant la connaissance des réseaux occidentaux. Un peu partout en Europe, la massification des réseaux intellectuels recoupe la densification des réseaux des l’imprimés. Leur circulation augmente et s’accélère, grâce aux réseaux urbains des agents littéraires et des commissionaires de la librairie qui rayonnent depuis les centres de l’imprimerie (i.e. Société typographique de Neuchâtel)15.
Opinion publique
Entre « commerce épistolaire », échanges livresques, voyages et fréquentation des cercles de l’esprit, la République des Lettres tire sa force mobilisatrice des réseaux intellectuels tissés après la Renaissance dans l’Europe urbaine des érudits, des diplomates, des savants et des « philosophes »16. Au temps des Lumières, mondaine ou philosophique, la sociabilité née du réseau intellectuel comme instance de légitimité sociale dans les « cercles à vocation savante » consolide le statut public de l’homme de lettres (« écrivain »), précaire ou plus fortuné, écrivain de « prestige » ou de « savoir », avide d’un public mondain, « philosophique » ou lié au pouvoir étatique17.
Chaise de poste puis « paquebot » : de Douvres via Boulogne, en route pour Genève par Dijon, l’historien de la « chute de la décadence de l’Empire romain » Edward Gibbon (1737-1794) arrive à Paris le 28 janvier 1763. Esprit voltairien fasciné par les Anciens et le siècle de Louis XIV, il consacre de nombreuses heures à « parcourir Paris et ses environs ; à visiter les églises, et les palais remarquables par leur architecture, les manufactures royales, les collections de livres et de tableaux, et tous les trésors divers des arts, des sciences et du luxe ». Le patrimoine culturel culmine dans la sociabilité de l’esprit : Gibbon désire « converser avec quelques auteurs dont [s]on imagination exaltée se représentait la conversation, soit pour le plaisir, soit pour l’instruction, comme bien supérieure à leur esprit ». Ainsi, fort d’une « recommandation personnelle » qui lui assure un réseau de « civilité et de reconnaissance », il est bientôt « regardé comme un homme de lettres » par l’intelligentsia de la capitale. En conséquence, sa place est vite assurée « sans invitations aux tables hospitalières de Mesdames Geoffrin et du Bocage, du célèbre Helvétius et du baron d’[H]olbach ». Il y fréquente les « artistes et les auteurs de Paris moins vains, et plus raisonnables que dans les cercles de leurs pareils ». « Quatre jours par semaine », échappant à la rigueur saisonnière, il ajoute aux « plaisirs de la table, ceux d’une conversation libre et instructive. La compagnie, quoique variée, était choisie », notamment l’abbé Barthélémy et le marquis de Mirabeau. Homme de lettres cosmopolite, fasciné par la culture classique, Gibbon l’érudit tire ainsi profit des réseaux salonniers de Paris. L’« urbanité nationale » de la capitale lui offre cette sociabilité intégrante qui singularise la République des Lettres selon les Lumières18.
Moment historique de la « majorité morale » de l’individu qui selon Kant ose apprendre, les Lumières illustrent les résistances culturelles aux formes traditionnelles de l’autorité. Pour Alphonse Dupront, l’histoire des Lumières est celle d’une « médiation » culturelle dans laquelle s’insèrent les « réseaux » intellectuels recherchés par Gibbon et objets de cet ouvrage collectif : « s’ils n’ont pas régné directement, les définisseurs des Lumières ont eu des truchements du règne. Entre la conscience et le pouvoir, il y a une structure intermédiaire. Ces intermédiaires ont-ils été simplement promus par les Lumières, profiteurs habiles en somme, ou bien sont-ils, de près ou de loin, ceux qui ont, par les Lumières, satisfaits leurs propres besoins vitaux » lorsqu’ils forgent l’opinion publique ?19 Entre « philosophie » et « anti-philosophie », celle-ci est forgée par l’emboîtement complexe de l’« espace public », des « réseaux d’information, de diffusion du savoir » et de son « mode de réception »20.
Hostile aux « philosophes » matérialistes qui désacraliseraient l’Eglise et la monarchie de droit divin, l’avocat général au Parlement de Paris entre 1755 et 1790 Antoine Louis Séguier (1726-1792), fustige en 1786 le célèbre Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue de l’avocat Charles-Marguerite-Jean-Baptiste Mercier Dupaty (1744-1788), ami de Condorcet avec qui il fréquente les « réseaux » du salon de Madame Helvétius. Séguier réclame la censure et l’incinération publique du factum « séditieux » pour la justice du roi. Ce « défenseur éclairé de la religion » évoque notamment l’« opinion publique », soit le « concours de toutes les lumières, le produit de toutes les réflexions, le résultat de tous les suffrages, la réunion de tous les sentiments, un concert d’avis uniformes, et en quelque sorte le rapprochement de tous les esprits. C’est une voix composée de toutes les voix qui rendent les mêmes sons, qui présentent les mêmes images, qui tendent au même but. C’est un vœu généralement exprimé et dont l’autorité est d’autant plus forte, que ceux qui le prononcent se trouvent réunis par la même façon de sentir et de penser sans s’être consultés, se rapprochent sans se connaître, et s’accordent le plus souvent sans le vouloir. Voilà ce que l’on peut appeler l’opinion publique »21. Néologisme en français dès les années 1750 selon Mona Ozouf22, l’« opinion publique » condenserait « toutes les lumières » que soudent les « réseaux » épistolaires, ceux des imprimés échangés, ceux encore de la sociabilité de l’esprit afin de fonder l’autorité publique de la critique sociale que forge le « clan philosophique ».
Du filet au réseau
Or, longtemps avant de s’apparenter à la « dignité des gens de lettres » ou au « sacre de l’écrivain » dont l’« apothéose » coïncide dès 1750 avec la « croissance de la production imprimée »23, le mot « réseau » (« résille », « tissu de mailles ») désigne un rets de petite dimension utilisé par les chasseurs pour capturer des oiseaux ou du menu gibier. Ensuite, le terme décrit, de façon abstraite, les « artifices par lesquels on s’empare de quelqu’un ou de son esprit ». Selon Pierre Larousse qui fait écho à Voltaire, au temps des Lumières, les « jésuites étaient parvenus à jeter leurs réseaux sur toutes les classes »24. Dès le XIIIe siècle, s’ajoutant sémantiquement à l’« ensemble des choses abstraites emprisonnant peu à peu un individu », comme le voyageur égaré à « travers un réseau de petites ruelles » d’une ville inconnue, le mot « réseau » prend un sens figuré, puis technique. Théophile Gautier (1811-1872) déplore le « réseau de la légalité [qui] nous enveloppe de mailles invisibles et souples et nous ôte le franc usage de nos mouvements »25. Jusqu’à aujourd’hui, ce sens abstrait s’accroît pour signifier l’entrelacement, la mise en liaison (communication), tant des individus que des institutions : « réseau douanier », « réseau de communication » télégraphique (1849), téléphonique (1879), réseau de transport ferroviaire (1870) et aérien (début XXe siècle), récemment « réseau » informatique. Au XVIIIe siècle, le mot reste rare dans le langage commun. Pierre Richelet, en son Dictionnaire de la langue française ancienne et moderne (Bâle, nouvelle édition, 1735), évoque deux objets sous l’entrée « Réseau ». D’une part le « tissu de fil ou de soie fait au tour, dont quelques femmes se servent pour mettre à des coiffes, à des tabliers et à autres choses ». De l’autre, le « nom qu’on donne au second ventricule des animaux qui ruminent ».
Par ailleurs, entreprise de mise en réseau de la raison et du savoir basé sur l’observation directe des choses, l’Encyclopédie (1751-1772), sous la plume du chevalier de Jaucourt, publie deux brefs articles intitulés « Réseau (« Ouvrage de fil ou de soierie ») » et « Réseaux des Indes (Soierie) ». Le premier texte désigne un « ouvrage de fil simple, de fil d’or, d’argent ou de soie, tissu de manière qu’il y a des mailles et des ouvertures ». Le second article évoque les « ouvrages de soie propres à faire des ceintures ou des jarretières. Ceux qui sont destinés pour des ceintures, sont apportés des Indes ». Le « réseau » est donc un tissu dentelé de fine facture. Sa ligature subtile repose sur le travail artisanal minutieux qui donne forme et sens au vêtement.
Or, après la révolution scientifique de la Renaissance qui naturalise le monde en sécularisant les catégories du savoir (droit, philosophie, économie politique, géométrie, sciences naturelles, « religion naturelle », etc.), à l’instar d’autres abstractions conceptuelles nécessaires à penser les « sciences de l’homme en société » – action, cellule, réaction, révolution26 – la sémantique du mot « réseau » est marquée par celle des sciences exactes de la vie. La notion de « réseau » permet de « connaître », « analyser », « décompenser », « réduire », « expliquer », « identifier », « mesurer », « mettre en équation » le vivant, d’imager le « milieu intérieur » d’un organisme : « voilà pourquoi – affirme Georges Canguilhem –, dans quelque perspective finaliste ou mécaniste que le biologiste se soit d’abord placé, les concepts utilisés primitivement pour l’analyse des fonctions des tissus, organes ou appareils, étaient inconsciemment chargés d’un import pragmatique et technique proprement humain. Par exemple, le sang, la sève s’écoulent comme l’eau »27. Au temps des Lumières, dans le contexte du mécanisme et du vitalisme28, la sémantique naturaliste du mot « réseau », comme pivot du maillage vital, culmine dans le vocabulaire de la botanique, de l’astronomie et surtout de la médecine (anatomie, physiologie, pathologie). L’article « végétation » de l’Encyclopédie associe la puissance vitale du règne végétal à la « communication de toutes les cellules », solidaires mais autonomes. Vitalisme qu’assure le maillage serré et complexe de « différents réseaux » fibreux indispensables à la « gestation » et à la « croissance » de chaque plante29. Circulation de la sève vitale pour les plantes, mais aussi irrigation vasculaire ou nerveuse des organes du corps humain : les mots « réseau/réseaux » appartiennent à l’épistémologie des sciences de la vie.
Anatomie
Dans les années 1760, avec l’idée d’un tissu constitué de fibres entrelacées, « réseau » désigne l’entrelacement vital de « ramuscules vasculaires ou nerveux, disposés les uns par rapport aux autres de manière à figurer une espèce de filet » d’irrigation sanguine30, comme le « réseau » artériel qui irrigue le cerveau pour maintenir en vie le corps humain. Sur le plan anatomo-physiologique, l’« œil » – ce « miroir de l’âme » indispensable au sens primordial de la vue comme mode de connaissance directe du monde – est notamment composé d’un « réseau vasculaire très fin » qui assure le fonctionnement optimal du « nerf optique », comme le souligne le chevalier de Jaucourt dans l’Encyclopédie (article « Œil (Anatomie) »). Ainsi, progressivement, autour des notions intégratives et vitalistes de « maillage », d’« irrigation » ou de « tissu », le mot « réseau » se spécialise, par réduction conceptuelle, en d’autres contextes scientifiques. Des contextes épistémologiques de clarification identificatrice d’entités naturelles complexes, comme l’« entrelacement des fils de la toile d’araignée » (1875), la surface striée d’une lentille optique (« réseau cristallin »), l’ensemble des canalisations d’évacuation des eaux de ruissellement (hydrologie) ou le tissu fluvial de la géographie physique (1924), voire encore le « réseau nucléaire » en biologie du noyau cellulaire (1904). Concept de représentation objective de la nature que le savant analysera et quantifiera, le « réseau » indispensable à la vie humaine, animale et végétale, structure la métaphore organiciste de la sociabilité intellectuelle visant à l’échange ou à la « mise en boucle » de l’information, ce « fluide électrique » vital entre les esprits31. La sociabilité de la « circulation » cognitive vise à « unir » et « incorporer » dans le réseau invisible de l’esprit par l’« économie épistolaire ». Par « sympathie » entre ses protagonistes, la sociabilité intellectuelle mise en réseaux « éclaire » donc une société comme le réseau sanguin vitalise un corps vivant.
Après l’anatomie vitaliste du corps humain, l’anatomie, donc, du corps social. Si la circulation rapide du crédit peut l’irriguer (« réseaux » genevois de la banque et de la finance protestantes selon Herbert Lüthy), l’échange épistolaire rapproche affectivement les individus éloignés dans l’espace32. Corps virtuel, le réseau de l’esprit est composé d’individualités que lient les « affinités » ou les « attractions ». Il ressemble ainsi à la dynamique subtile de la mécanique newtonienne33. Selon Didier Masseau, si les « gens de lettres européens acquièrent un pouvoir intellectuel au XVIIIe siècle, c’est en grande partie parce que l’espace de communication s’ouvre dans des proportions inédites », avec les « voyages » philosophiques, les « réseaux académiques », l’« essor de la franc-maçonnerie » et l’« évolution des salons littéraires »34. Soutenus par l’imprimerie, tournés vers le « cosmopolitisme »35, ces réseaux amplifient l’espace communicationnel. Déjà pour Condorcet, l’essor du « progrès général des lumières » dépend bien de cette puissance des réseaux intellectuels qui soudent l’Europe de l’esprit humain. Forgeant l’« opinion générale », les « hommes célèbres » (« Colins, Bolingbroke, Bayle, Fontenelle, Voltaire, Montesquieu » et les « écoles formées » par eux) « combattirent en faveur de la vérité ». Les Lumières deviennent des réseaux actifs : « il se forma bientôt en Europe une classe d’hommes moins occupés encore de découvrir ou d’approfondir la vérité que de la répandre, qui, se dévouant à poursuivre les préjugés dans les asiles ou le clergé, les écoles, les gouvernements, les corporations anciennes les avaient recueillis et protégés, mirent leur gloire à détruire les erreurs populaires plutôt qu’à reculer les limites de la connaissance humaine […] »36.
Espace public
Dès 1850, en écho aux valeurs de la sociabilité intellectuelle des Lumières, le mot « réseau » prend alors son sens abstrait le plus moderne, celui qui est lié à l’« espace public » qu’évoque Condorcet. Dès 1750 environ, son essor qualitatif et quantitatif par la « sociabilité culturelle » des « cercles des lettrés » et l’éducation, ne cesse de s’amplifier37. Le concept de « réseau » s’adosse à la métaphore méritocratique de la République des Lettres qu’incarnent au crépuscule du XVIIe siècle Pierre Bayle – « ennemi des religionnaires » – puis ses « disciples »38, avant les « philosophes », académiciens, « mondains » des salons et frères maçons au temps de l’Encyclopédie, souvent adeptes de la nature qui garantit la raison. « Réseau » qualifie ainsi un corps social, soit des individus isolés dont les accointances réciproques les lient entre eux. Association, collaboration, connivence, contacts, union : de manière directe ou indirecte, les membres du « réseau » communiquent en échangeant – voie épistolaire, troc d’imprimés – des informations scientifiques, politiques et culturelles. La coordination simple ou sophistiquée de tels échanges vitalise le réseau intellectuel cohérent, organisé, structuré et divisé comme les mailles serrées ou lâches d’un filet. Vécue dans l’éloignement géographique, resserrant les sympathies et les solidarités pour un objet ou une cause, dessinant les convergences, fédérant les esprits, combinant les alliances, désignant les « ennemis », la sociabilité intellectuelle s’irrigue des mailles entremêlées du « réseau » qui la soude.
En évoquant les « supports » institutionnels des Lumières qui veulent encourager les sciences, Ulrich Im Hof affirme que le « nouvel esprit de liberté, de mouvement, la curiosité de tout ne sont pas seulement l’affaire des penseurs, des philosophes, des écrivains et autres, qui individuellement se livrent à une réflexion sur leur époque et agissent dans le cadre de cette époque, elles sont essentiellement le fait de ‘sociétés’ organisées ou non organisées »39. « Sociétés » savantes ou amicales, « académies » (Berlin, Berne, Milan, Paris, province) pour l’étude des sciences, de la langue, de la littérature et de l’histoire souvent calquées sur le modèle idéal de l’Académie de Platon (Athènes), « salons » (Paris, Genève, Coppet), « sociétés et cabinets de lecture », « sociétés économiques d’utilité publique » et d’« agriculture », loges maçonniques comme « écoles de tolérance » dès les années 1720 (« Grande loge d’Angleterre »), clubs et cercles (Genève, Neuchâtel) comme matrice du « patriotisme républicain », entreprises éditoriales (i.e. Société typographique de Neuchâtel), crue rapide du nombre et du tirage des périodiques scientifiques (Journal des Savants), des « gazettes » séculières (Mercure) ou des revues religieuses (Mémoires de Trévoux) selon le modèle anglais du Spectator, à quoi s’ajoute la « brochuromanie » que censure en 1788 un conservateur genevois hostile au « fanatisme » littéraire40 : la densification urbaine du tissu communicationnel qui gagne les provinces caractérise ainsi les « supports » volontaristes comme « formations associatives »41 des institutions culturelles et des sociabilités des Lumières. D’une façon ou d’une autre, via l’imprimé, elles veulent marquer l’« opinion publique » en dissipant les « ténèbres de la superstition ». Parfois réformistes sur le plan social et politique, animés par l’idéologie « républicaine » malgré l’élitisme de ses membres, prônant la « conscience individuelle » comme moyen critique de connaissance, souvent dotés d’organes de publication, cherchant à « éclairer le public » avec des « Mémoires » ou par l’organisation de concours (économie, réforme de la justice criminelle, etc.), les « réseaux » intellectuels qui construisent et vitalisent la République des Lettres s’adossent aux échanges épistolaires, indispensables au commerce des imprimés et à l’union cordiale ou conflictuelle des « philosophes »42. De l’Encyclopédie patronnée par Diderot et d’Alembert de 1751 à 1772 à l’Encyclopédie méthodique mise en chantier en 1782 par le magnat de la presse Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798) et que conduit jusqu’en 1832 sa fille la veuve Agasse, les « réseaux » du savoir éclairé construisent ceux de la commercialisation et de la réception de ces « monuments » de l’esprit qui irriguent les « esprits » éclairés grâce au travail des Lumières – soit celui de l’Homme de lettres43. En quelque sorte, Tocqueville le prétend : la Révolution est préparée dès le siècle des Lumières par les réseaux philosophiques, matrice de l’irréligion, car les « écrivains, prenant en main la direction de l’opinion, se trouvèrent un moment tenir la place que les chefs de parti occupent d’ordinaire dans les pays libres »44.
République des Lettres
Savants naturalistes ou philosophes : l’activité épistolaire construit les « réseaux » intellectuels qui élargissent l’horizon mental des individus. Mesurée dans des correspondances de « dimensions monumentales »45, l’activité épistolaire incarne le « mode de vie » de l’Homme des Lumières – savant, écrivain, magistrat, voyageur. Dépendant du réseau encore fragile des postes étatiques, accéléré ou ralenti par la vitesse équestre et l’état des voies de communications selon les saisons, fragilisé par la censure comme en témoignent notamment maintes lettres de Rousseau après 1760, l’échange épistolaire institutionnalise les « réseaux » de l’esprit. Avec près de 2700 lettres rédigées par Rousseau et peut-être, selon Théodore Bestermann (1904-1976), « 40 000 au moins » rédigées par la main de Voltaire à ses 6000 correspondants46, l’homme de lettres est épistolier. En 1764, membre de l’Accademia dei Pugni à Milan (1764-1766) où excellent les frères Alessandro et Pietro (1728-1797) Verri dont le périodique Il Caffè focalise le réseau des Lumières en Italie du nord47, inspiré par le libéralisme modérateur de Montesquieu et le contractualisme de Rousseau, l’économiste milanais Cesare Beccaria (1738-1794) actualise le problème lancinant alors de la sécularisation et de la modernisation du droit de punir désincarné en son réquisitoire contre l’arbitraire, la peine capitale pour les crimes de droit commun et la « question » comme matrice corporelle de la preuve (Dei deliti e delle pene/Des délits et des peines)48. Jusqu’aux années 1772, ancrée dans l’horizon d’attente des Lumières les plus radicales, la notoriété de Beccaria – ce « frère en philosophie » selon Voltaire animateur du réseau contre l’« infâme » – se mesure dans la réception universelle de son pamphlet, mis à l’Index en 176649, vite traduit et commenté dans toutes les langues vivantes grâce au réseau des Lumières qui s’étend jusqu’en Amérique. Le succès littéraire et « moral » de Beccaria ressort en outre du réseau d’environ 190 correspondants européens (circa 600 lettres). Libraires, magistrats, « publicistes », « philosophes », diplomates, voyageurs : tous saluent, d’une manière ou d’une autre, son apport « philosophique » aux Lumières. Selon l’abbé André Morellet (1727-1819) qui écrit le 3 février 1766 à Beccaria dont il vient de traduire l’ouvrage, le corps social dispersé de la République des Lettres se vitalisera par le réseau européen de solidarité, de fraternité et d’amitié intellectuelles. Le « réseau » philosophique surpasse les affiliations traditionnelles – nationales, politiques et familiales. Son cosmopolitisme est ainsi égalitaire : « Monsieur, sans avoir l’honneur d’être connu de vous, je me crois en droit de vous adresser un exemplaire de la traduction que j’ai faite de votre ouvrage […]. Les hommes de lettres sont cosmopolites et de toutes les nations ; ils se tiennent par des liens plus étroits que ceux qui unissent les citoyens d’un même pays, les habitants d’une même ville et les membres d’une même famille »50. Imaginaire de la justice, culture de la vertu, réformisme étatique : citoyen cosmopolite d’une république intellectuelle, l’homme de Lettres contemporain de Montesquieu et de Voltaire incarne bien souvent ces valeurs idéales du progrès moral, social et institutionnel. Salonnard ou « Rousseau » du ruisseau, l’écrivain viserait le bonheur public et l’utilité sociale. Selon le polygraphe rousseauiste Jean Dusaulx qui plaide pour l’Internationale des esprits éclairés, les « gens de Lettres furent de tout temps les derniers Magistrats des nations corrompues »51.
Incendie philosophique
Penser les « réseaux », revient finalement à évoquer peut-être les liens entre les Lumières et les « origines culturelles » de la Révolution52. Après 1871, si l’historiographie républicaine voit dans la Révolution le dénouement programmé des Lumières, cette construction téléologique repose notamment sur la radicalisation du « mouvement d’opinion ». Celui-ci préparerait la « fermentation de la pensée publique », soit « esprit d’opposition devenant un esprit de révolution » grâce aux réseaux éclairés des « philosophes » armés de leurs livres souvent censurés, selon Félix Rocquain, historien, hussard noir de la République en 187853. Histoire des origines intellectuelles de la Révolution que Daniel Mornet reconstitue aussi dès 1933. D’une certaine manière, Mornet considère les réseaux informels des « maîtres cachés » à ceux des philosophes œuvrant à visage découvert sur l’espace littéraire officiel des imprimés et des salons. Libérales et « antiautoritaires », matrices d’une « morale naturelle et humanitaire », les Lumières illustrent ainsi l’évolution d’une « tactique » de déconstruction, soit le passage d’une guerre secrète à une « guerre ouverte » après 1748. Avec sa sociabilité militante organisée en réseaux académiques ou salonniers, la lutte culmine avec l’« intelligence » de quelques « chefs » (Montesquieu, Toussaint, Encyclopédistes, Helvétius, Voltaire, Diderot, Rousseau, Holbach et ses « collaborateurs »). Tous ferraillent contre la religion révélée, l’autorité confessionnelle et les abus politiques reposant sur la tradition fanatique du passé. Selon Morellet, la « victoire » finale des Lumières est le succès de cette « bataille » idéologique menée – comme une vaste « discussion » publique – par des « groupements » particuliers (salons, Académies, écoles, collèges, cours publics, « chambres de lecture », bibliothèques, etc.), isolés ou soudés en « réseaux », radicalisés après 1770. Pour attiser la « philosophie de l’incrédulité », ceux-ci utilisent le spectre entier des imprimés (journaux, brochures, etc.). Leur programme contamine les institutions culturelles de la tradition qui lentement se sécularisent. Les lieux des sociabilités mondaines, publiques ou privées (salons, cafés, sociétés littéraires, loges maçonniques, etc.) deviennent autant de relais dans la stratification socioculturelle des Lumières. Sans utiliser le concept de « réseaux », Morellet l’évoque, en quelque sorte, lorsqu’il évoque l’« incendie » philosophique qui gagne les esprits, puis les institutions ecclésiastiques et étatiques de la vieille monarchie. Comme un réseau enflammé, les « brandons » idéologiques, le « nombre et l’étendue » des « foyers » incendiaires croissent jusqu’à la Révolution, de Paris vers la province, de l’élite vers les « classes moyennes » (professeurs, répétiteurs, avocats, notaires) et les « milieux populaires » (maîtres, artisans, commerçants, ouvriers) … au gré des ouvrages philosophiques et irréligieux qui crépitent publiquement sur le « grand escalier du Palais » (parlement de Paris). La période entre Montesquieu et l’ouverture des états généraux, affirme Morellet, représente le moment historique des Lumières durant lequel la « France tout entière se met à penser ». Le « réseau » des Lumières serait, in fine, l’axe culturel de cette pensée moderne, soit celui de la « diffusion de l’incrédulité et de l’inquiétude politique », que la Révolution revendiquera pour construire sa légitimité politique54.
On l’a vu, dès son origine, la République des Lettres cultive sa propre utopie d’égalité, de liberté, de communication et de commerce entre les hommes, de désintéressement des sciences et des lettres. L’utopie des « républiques » et des « sociétés » choisies par des membres que soudent une empathie réciproque inaugure maintes pratiques mondaines, superficielles et aussi vecteurs de l’idéologie du progrès selon les Lumières. Dans ce contexte, les transferts culturels qui colportent les sociabilités de l’esprit à travers l’Europe illustrent la vitalité culturelle de l’utopie égalisatrice de la République des Lumières. Contre l’« esprit gothique » du passé, contre les « ténèbres » des préjugés, ces exportations forgent la même conception de « civilisation » particulière à l’optimisme du siècle tourné vers les progrès de l’esprit humain. Si ces transferts réussissent – avec distorsions et adaptations inévitables comme le montre ce livre – c’est parce que ces formes sociales sont alors vécues, pensées, formulées comme des valeurs universelles, via le cosmopolitisme parfois fraternel des Lumières. En résulte l’imaginaire égalitaire des Lumières qui avant 1789 prétend que les sociabilités littéraires abolissent les barrières et les hiérarchies sociales. Vision idyllique, idéal moral : l’égalité mimée dans les salons – écho à la société de cour où l’apparence égalitaire entre courtisans est réduite par l’étiquette – génère des effets sociaux complexes et durables. Au-delà du cliché républicain et patriotique, au-delà de la téléologie historiographique liée au contexte du renforcement de la démocratie dès la IIIe République, la problématique du « réseau » souligne les sociabilités intégrantes et les valeurs de la connaissance tournée vers le bien et l’égalité. Au temps des Lumières, la République des Lettres représente un capital symbolique entre école politique de la citoyenneté méritocratique ou matrice culturelle pour la Révolution. Institution de médiation culturelle entre le pouvoir politique et la société, assurant la liberté égalisatrice de ses membres selon Bronislaw Baczko, la « République des Lettres »
offrait également un certain modèle de citoyenneté. Au XVIIIe siècle, cette République n’est pas seulement une métaphore. Pour ses ‘citoyens’, c’est aussi une expérience vécue de la solidarité des hommes de lettres dans la défense des Lumières et de la tolérance. C’est aussi une espèce d’utopie : celle d’une communauté réunissant esprits libres et talents opposés à la société des privilèges et du despotisme. En 1789, l’exemple de la République des Lettres faisait ressortir l’importance, pour la Cité à inventer, de l’égalité favorable aux mérites et aux talents, ainsi que de la liberté de conscience et de parole. Comme modèle, elle affirmait encore l’affinité profonde entre la liberté et le génie créateur55.
Environ soixante jours d’embastillement en été 1760 (dramatisés par lui à « six mois ») transforment l’abbé Morellet (1727-1819) en compagnon de route des « philosophes » qui militent pour la cause universelle de la liberté au nom de la République des lettres. Cette « recommandation » carcérale inaugure sa « vie littéraire » de polémiste salonnier au service des Lumières, pour la gloire desquelles il publiera fin 1766, sous la fausse adresse de « Lausanne », la première traduction française du Dei delitti e delle pene de Beccaria. Avide de la sociabilité salonnière qu’il hante jusqu’à la fin de sa vie, il pénètre donc les réseaux littéraires de la capitale où il est accueilli comme un écrivain à part entière : « La carrière s’ouvrait devant moi, et je pourrais y courir avec plus d’avantage56 ». Ainsi, autour de l’imaginaire intégrateur de la « République des Lettres » que l’abbé incarne parmi d’autres « philosophes » de son époque, puisse cet ouvrage collectif enrichir l’historiographie des Lumières et du premier long XIXe siècle, où s’imposent la presse d’opinion puis la presse de masse et les réseaux journalistiques qui se professionnalisent57. Ce livre met en réseaux la république cosmopolite de l’histoire sociale et intellectuelle. Il vise ainsi à éclairer un peu mieux les facettes multiples d’un large mouvement intellectuel et social embrasant la plus grande partie de l’Europe. Entre Lumières et Restauration, entre pratiques, représentations et imaginaire, puisse cette réflexion comparatiste sur les réseaux de l’esprit susciter de nouvelles enquêtes sur son histoire sociale et culturelle. Plus que jamais, l’Europe contemporaine a besoin de toute la vitalité de ses réseaux de l’esprit pour achever son projet de civilisation hérité de la Renaissance et des Lumières.
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1 Antoine-Joseph Dezailler d’Argenville, article « Faisceaux », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers par une société de gens de lettres. Mis en ordre par M. Diderot […], par M. D’Alembert, tome X, 175X, pp. (nos italiques).
2 Diderot, Lettre historique et politique […] sur le commerce de la librairie […], octobre 1763 à Sartine, Paris (1861), 1995, in Œuvres, III, Politique (éd. par Laurent Versini), pp. 92.
3 Giuseppe Ricuperati, Frontiere e limiti della ragione. Dalla crisi della coscienza europea all’Illuminismo (a cura di Duccio Canestri), Milan, UTET, 2006, pp. 56-126 (« L’uomo che inventò la crisi della coscienza europea »).
4 Martine Burgos, Sociabilités du livre et communautés de lecteurs : trois études sur la sociabilité du livre, [Paris], Centre Georges Pompidou, 1996 ; Denis Saint-Jacques (dir.), Réseaux littéraires France-Québec (1900-1940), Québec, Presses de l’Université Laval, 2004.
5 Diderot, Lettre historique et politique […] sur le commerce de la librairie […], op. cit., pp. 72, 78.
6 Jesús-Martinez de Bujanda (dir.), Le Contrôle des idées à la Renaissance, Genève, Droz, 1996 ; Robert Darnton, Edition et sédition. L’univers de la littérature clandestine au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1991, passim ; Maxime Dury, La Censure. La Prédication silencieuse, Paris, Publisud, 1995, pp. 177-295 ; Barbara de Negroni, Lectures interdites. Le travail des censeurs au XVIIIe siècle, 1723-1774, Paris, Albin-Michel, 1995, passim.
7 Albert Monod, De Pascal à Chateaubriand, Paris, Alcan, 1916, passim.
8 Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes. L’antiphilosophie au temps des Lumières, Paris, Albin-Michel, 2000, passim.
9 John Dwyer and Richard B. Sher (éd.), Sociability and society in eighteenth-century Scotland, Baltimore Md, Johns Hopkins University Press, 1991.
10 Nicole Racine et Michel Trebitsch (direction), Sociabilités intellectuelles : lieux, milieux, réseaux, Paris, Institut d’histoire du temps présent, 1992.
11 Maurice Agulhon, « Introduction : la sociabilité est-elle objet d’histoire ? », in Etienne François (dir.), Sociabilité et société bourgeoise en France, en Allemagne et en Suisse (1750-1850), Editions Recherche sur les Civilisations, Paris, 1986, pp. 16.
12 Voir par exemple : Jean-Pierre Gutton, La sociabilité villageoise dans l’ancienne France : solidarités et voisinages du XVIe au XVIIIe siècle, [Paris], Hachette, 1979 ; Alain Lemenorel (dir.), Sociabilité et culture ouvrières, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 1998 ; Jean-Paul Callède, « La sociabilité sportive : intégration sociale et expression identitaire », Ethnologie française, vol. 15 (1985), 4, pp. 327-344 ; Ludovic Tournes et Loïc Valdelorge (éd.), Les sociabilités musicales, Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 1997 ; João Pedro Garcia (dir.), Sociabilités intellectuelles (XVIe-XXe siècle), Lisboa, Paris, Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2005.
13 Alain Degenne et Michel Forsé, Les réseaux sociaux, Paris, A. Colin, 2004.
14 Colloque International, Réseaux intellectuels et sociabilité culturelle en Europe de 1760 à la Restauration, Genève-Château de Coppet, 4-6 décembre 2003 (23 communications).
15 Renato Pasta, Editoria e cultura nel Settecento, Florence, Olschki, 1987, passim.
16 Marc Fumaroli (direction), Les premiers siècles de la République européenne des Lettres, Paris, Baudry, 2005, passim.
17 Didier Masseau, L’Invention de l’intellectuel dans l’Europe du XVIIIe siècle, Paris, puf, 1994, pp. 5-16, 29, 38-44, 48-55.
18 Mémoires de Gibbon, suivis de quelques ouvrages posthumes et de quelques lettres du même auteur. Recueillis et publiés par Lord Sheffield, traduits de l’anglais, Paris, chez le Directeur de la Décade philosophique, I, An Ve de la République, pp. 154-159.
19 Alphonse Dupront, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Gallimard, 1996, pp. 17.
20 Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes, op. cit., pp. 14.
21 Arrêt de la cour de Parlement qui ordonne qu’un Imprimé in-4° intitulé : Mémoire justificatif, pour trois hommes condamnés à la roue ; à Paris, de l’Imprimerie de Philippe-Denys Pierre, 1786 […], du 11 août 1786, Paris, Imprimerie P.G. Simon et H.N. Nyon, 1786, pp. 295-296.
22 Mona Ozouf, « L’opinion publique », in Keith Baker (éd.), The Political Culture of the Old Regime, Oxford (G.B.), O.U.P., 1985, pp. 419-434 ; d’une manière plus large, cf. Dominique Reynié, Le Triomphe de l’opinion publique. L’espace public français du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, Odile Jacob, 1998, passim.
23 Michel Delon, Robert Mauzi, Sylvain Menant, De l’Encyclopédie aux Méditations, Paris, nouvelle édition, GF Flammarion (« Histoire de la littérature française »), 1998, pp. 26, 30-33.
24 Pierre Larousse, « Réseau », Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, 1866-1879, XIII, pp. 1025 b.
25 Ibid.
26 Richard Olson, The Emergence of the Social Sciences 1642-1792, New York, Twayne Publishers, 1993, pp. 6-26, puis passim ; Jean Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple, Paris, Seuil, 1999, dont pp. 17-51, Alain Rey, Révolution : histoire d’un mot, Paris, Gallimard, 1989, passim.
27 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, Paris, Hachette, 1952, pp. 7-22.
28 André Pichot, Histoire de la notion de vie, Paris, Gallimard, 1993, pp. 391-578.
29 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, XVI, 1765, pp. 872, 953-962 « (renvoi) ».
30 Dictionnaire abrégé des sciences médicales, Paris, Panckoucke, 1826, XIV, pp. 60.
31 Yves Citton, L’Envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières, Paris, Editions Amsterdam, 2006, pp. 131-138.
32 Herbert Lüthy, La Banque protestante en France de la Révocation de l’Edit de Nantes à la Révolution, Paris, S.E.V.P.E.N, 2 vol., 1959, 1961, passim ; Philippe Henry et Jean-Pierre Jelmini, La Correspondance familiale en Suisse romande aux XVIIIe et XIXe siècles. Affectivité, sociabilité, réseaux, Neuchâtel, Alphil, 2006, passim.
33 Georges Canguilhem, La Connaissance de la vie, op. cit., pp. 63.
34 Didier Masseau, L’Invention de l’intellectuel dans l’Europe du XVIIIe siècle, op. cit., pp. 63-80.
35 Willem Frijhoff, « Cosmopolitisme », in Vincenze Ferrone et Daniel Roche (dir.), Le Monde des lumières, Paris, Fayard, 1999, pp. 35.
36 Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain (1795, posthume), Paris, 1988 (Introduction, chronologie et bibliographie par Alain Pons), GF Flammarion, pp. 216, 225.
37 Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, pp. 377-403.
38 Paul Hazard, La Pensée européenne au XVIIIe siècle de Montesquieu à Lessing, Paris, Boivin et Cie, 1946, 3 vol., I, pp. 44-45.
39 Ulrich Im Hof, Les Lumières en Europe, Paris, Seuil, 1993, pp. 107, ainsi que « Les supports des Lumières », pp. 107-158.
40 Chrysostome Mathanasius, L’Observateur vigilant, censure de la brochuromanie et portrait du brochuromane, [Genève], 16 août 1781.
41 Ulrich Im Hof, Les Lumières en Europe, op. cit., pp. 151 ; Didier Masseau, L’Invention de l’intellectuel dans l’Europe du XVIIIe siècle, Paris, puf, 1994, pp. 63-86.
42 Voir notamment : Peter Gay, Le Siècle des Lumières, Collection Time-Life, Les Grandes époques de l’Homme, Paris-Londres-Rome-Bonn, 1967, pp. 165-168 ; Norman Hampson, Le Siècle des Lumières, Paris, Seuil, 1972, pp. 107-136 (en anglais : 1968) ; Antoine Lilti, Le Monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ; Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux (1680-1789), Paris, Mouton (1978), 1989. Sociétés et cabinets de lecture entre Lumières et Romantisme. Actes du colloque organisé à Genève par la Société de Lecture le 20 novembre 1993, Genève, Société de Lecture, 1993.
43 Robert Darnton, L’Aventure de l’Encyclopédie, 1775-1800. Un best-seller au siècle des Lumières, Paris, Laffont, 1982, notamment pp. 187-246 ; Claude Blanckaert, Michel Porret (éd. avec la collaboration de Fabrice Brandli), L’Encyclopédie Méthodique (1782-1832). Des Lumières au positivisme, Genève, Droz, 2006, dont Michel Porret, « Savoir encyclopédique, encyclopédie des savoirs », pp. 13-56 ; Daniel Roche, « Encyclopedias and the diffusion of knowledge », in Mark Goldie, Robert Wokler (éd.), Eighteenth-century Political Thought, Cambridge, CUP, 2006, pp. 172-194.
44 Alexis de Tocqueville, L’ancien régime et la Révolution (1856), édité par J.-P. Mayer, Paris, 1967, Gallimard (col. Folio), pp. 234.
45 Michel Delon et al., De l’Encyclopédie aux Méditations, op. cit., pp. 31.
46 Raymond Trousson, Frédéric S. Eigeldinger, Dictionnaire de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Champion, pp. 183-185 ; Jean Goulemot, André Magnan, Didier Masseau, Inventaire Voltaire, Gallimard, 1995, pp. 328-331.
47 Carlo Capra, I progressi delle ragione. Vita di Pietro Verri, Bologne, Il Mulino, 2002, pp. 177-231, ainsi que l’index onomastique pp. 615-631.
48 Michel Porret, Beccaria. Le droit de punir, Paris, Michalon, 2003, pp. 21-40 ; Cesare Beccaria, Des Délits et des peines, Introduction et notes par Franco Venturi, Genève, Droz, 1965 ; voir aussi Cesare Beccaria, Dei Delitti e delle pene. Con una raccolta di lettere e documenti relativi alla nascita dell’opera e alla sua fortuna nell’Europa del Settecento. A cura di Franco Venturi, Turin, Einaudi, 1965.
49 Jesús Martinez de Miranda, Index librorum prohibitorum 1600-1966, Montréal, Genève, Médiaspaul, Droz, 2002, pp. 116 (décret 03.02.1766).
50 Edizione nazionale delle Opere di Cesare Beccaria, dirigée par Luigi Firpo et Gianni Francioni, Milan, Mediobanca, 1984-1989 ; tomes IV-V, Carteggio, correspondance passive et active de Beccaria (éd. par Carlo Capra, Renato Pasta, Francesca Pino Pongoloni), I, 1758-1768, lettre 60, pp. 182-183.
51 De la Passion du jeu depuis les temps anciens jusqu’à nos jours, Paris, 1779, « Introduction ».
52 Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution française, Paris, Seuil, 1990, dont « Une nouvelle culture politique », pp. 167-239.
53 Félix Rocquain, L’Esprit Révolutionnaire avant la Révolution 1715-1789, Paris, Plon, pp. VIII, dont « Appendice. Les Livres condamnés, 1715-1789 », pp. 489-535.
54 Daniel Mornet, Les Origines intellectuelles de la Révolution française 1715-1787, Paris, Armand Colin, deuxième édition, 1934, pp. 27-35, 39-41, 51-58, 71-104, 106-112, 117, 123-127, 137-141, 145-152, 159-170, 267-270, 277-287, 289, 298-318, 330-342, 357-387, 419-430, 472, 473.
55 Bronislaw Baczko, « Etre citoyen », in Philippe Roger (direction), L’Homme des Lumières de Paris à Pétersbourg, Naples, Vivarium, 1995, pp. 216 (nos italiques).
56 Mémoires de l’abbé Morellet sur le dix-huitième siècle et sur la Révolution, Paris (1821), Mercure de France, 1938, pp. 106 (Introduction et notes de Jean-Pierre Guicciardi) ; Claude Quétel, La Bastille. Histoire vraie d’une prison légendaire, Paris, Laffont, 1989, pp. 177.
57 Dominique Kalifa, La culture de masse en France, 1860-1930, I, Paris, La Découverte, 2001 ; Thomas Ferenzi, L’Invention du journalisme en France. Naissance de la presse moderne à la fin du XIXe siècle, Paris (1993), Petite Bibliothèque Payot, 1996.