Réseaux philosophiques et antiphilosophiques en Europe
Figures comparatives : Samuel Formey, l’abbé Bergier
Existe-t-il en Europe des réseaux antiphilosophiques comparables à ceux que les différents acteurs du monde philosophique ont souvent tissés avec succès ? Voltaire ne conçoit qu’un combat collectif, reposant sur l’existence de satellites dévoués, d’un système d’alliances avec les Grands. Ses adversaires lui reprocheront de privilégier la fidélité à la cause et l’efficacité stratégique des jeunes recrues, au détriment de leurs talents réels. L’immense pouvoir que le patriarche a acquis dans les dernières années de son existence repose en partie sur les multiples relations établies dans l’Europe des Lumières, l’existence de relais divers, et la mise en place d’un vedettariat intellectuel, auquel contribue la troupe des thuriféraires. Jean-Henri Samuel Formey, quant à lui, représente, nous semble-t-il, l’exemple canonique d’un pouvoir acquis par la mise en place de réseaux culturels multiples, et une habile stratégie éditoriale pour conquérir le marché du livre et surtout répondre aux désirs d’un nouveau lectorat. Le fait que ce médiateur culturel soit en même temps un représentant exemplaire des Lumières modérées et chrétiennes justifie encore plus la comparaison1. Figure de proue de l’antiphilosophie, salué même par ses adversaires comme un esprit talentueux, l’abbé Bergier, objet principal de notre intervention, connaît, lui aussi, un grand succès dans l’Europe de la culture. Le Déisme réfuté est plusieurs fois réédité et traduit à l’étranger. Parvient-il néanmoins à investir l’espace culturel européen, en recourant aux mêmes méthodes que ses adversaires philosophes ? Dispose-t-il à l’étranger, comme Formey, de correspondants et de satellites lui permettant de conquérir le marché du livre ? Possède-t-il des relais divers dans son combat contre le « philosophisme » ? En bref, l’abbé Bergier inscrit-il son action militante dans des réseaux semblables à ceux qu’ont élaboré les acteurs de la lutte philosophique ou à ceux qui se situent à la frontière de la philosophie et de l’antiphilosophie, comme Joseph-Samuel Formey, et qui sont passés maîtres en communication culturelle et en marketing éditorial ?
Etudions la nature des réseaux en commençant par Formey. L’accès à l’Académie de Berlin en 1744, l’année même de sa création et l’obtention du poste de Secrétaire perpétuel en 1748, lui confèrent un pouvoir et un prestige incontestables dans l’Europe des Lumières. Il en use d’abord en poursuivant avec persévérance un immense travail journalistique, en nouant des relations avec les académies étrangères et en multipliant les relations épistolaires avec l’intelligentsia européenne2. On peut relever, sans prétendre aucunement à l’exhaustivité plusieurs niveaux relationnels et d’abord celui des correspondants libraires. En tant que professionnels du livre, ils abreuvent Formey de conseils en stratégie (opportunité de la publication, mise en scène de l’objet-livre, choix du format), mais leur rôle s’étend parfois bien au-delà pour satisfaire aux exigences du marketing éditorial, il leur arrive de peser sur le contenu même de l’ouvrage. Ainsi l’éditeur Elie de Luzac, correspondant à Leyde de Jean Samuel Formey tente de limiter les références bibliques du Spectateur Chrétien moral et critique :
Est-il essentiel à vos discours d’y laisser nombre de citations de la Bible ? Le discours VI par exemple en a furieusement. Ne pourriez-vous pas y substituer quelques vers de Racine, Boileau, etc. ? Cette observation tient un peu du profane, direz-vous. Soit, mais vos discours en plairaient-ils moins ? D’ailleurs en faisant succéder à quelques citations profanes une de la Bible, on fait voir la supériorité de celle-ci aux autres et son propre goût pour ce choix. De plus je ne crois pas que cette érudition diversifiée vous ferait tort chez les connaisseurs et qu’elle rendrait l’ouvrage moins agréable à vos lecteurs3.
Si Luzac donne des avis littéraires à Formey, c’est qu’il se pique lui-même de belles-lettres et de philosophie. Il soumet, à son tour, au jugement de son correspondant ses productions personnelles et lui fait part d’autres projets éditoriaux. Comme représentants de ce premier réseau, on notera outre Elie de Luzac, Briasson, l’un des libraires de la grande Encyclopédie et Prosper Marchand, intermédiaire idéal, pour mettre en relation Formey avec un libraire qui diffuserait en Hollande, un périodique La Bibliothèque impartiale.
Un deuxième réseau de correspondants est constitué de diffuseurs culturels, figurant comme une tête de pont à l’étranger. Homme de lettres lui-même, ayant un moment entretenu de bonnes relations avec Voltaire, l’abbé Trublet fréquente le salon de Madame Geoffrin depuis 1749. Disposant d’entrées dans les deux camps en présence, celui des encyclopédistes et celui de Fréron, il représente un informateur parisien idéal pour le secrétaire de l’Académie de Berlin. Il se propose d’envoyer à son correspondant, dans un temps record, le maximum d’informations sur les événements défrayant la chronique littéraire. L’échange se produit dans les deux sens, puisque Trublet se charge de la publication à Paris des écrits de Formey, en usant de ses connaissances dans le milieu de l’édition, tandis que Formey, conformément à une sorte de contrat tacite, publie, à son tour, dans ses journaux des extraits de l’œuvre de Trublet4. L’échange d’informations porte souvent sur l’identité des acteurs de la vie culturelle, surtout lorsqu’ils agissent masqués et que leur appartenance idéologique n’est pas clairement revendiquée. Les deux correspondants unissent alors leurs efforts pour décrypter l’anonymat. Il arrive que Trublet vérifie les interprétations de Formey. Plus largement se mettent ainsi en place des réseaux superposés, offrant plusieurs paliers. Formey entretient des liens privilégiés avec Trublet, mais il arrive que celui-ci soumette les projets de son correspondant à Malesherbes, le tout puissant directeur de la librairie de 1750 à 1764. Il en va ainsi d’un projet de Formey d’écrire une Encyclopédie réduite et que Trublet juge chimérique, parce qu’elle heurterait de front les intérêts commerciaux des éditeurs de la grande Encyclopédie5. On notera, pour finir, que Formey ne cesse d’augmenter les zones d’influence. Les réseaux contractés visent continuellement à s’agrandir par la mise en orbite de nouveaux intervenants appartenant à l’Europe entière : multiplication des correspondances académiques. Elie de Luzac écrit à Formey :
Je n’ai pas écrit encore au savant [König] dont je vous ai parlé. Vous avez pu voir qu’il est lié avec d’autres. C’est un philosophe non seulement distingué par rapport à ses lumières, mais il est fort considéré à la cour depuis que nous avons un Stathouder en Frise […]. Il a une correspondance fort étendue tant en France qu’ailleurs et il y a plus de dix ans qu’il travaille pour la presse avec grand succès, mais en gardant l’incognito6.
Si l’on se tourne maintenant du côté de Bergier, on constate que son action s’inscrit dans trois types de réseaux : d’abord ceux de l’Eglise de France et des milieux ecclésiastiques, les cercles mondains d’obédience dévote, mais aussi les milieux philosophiques les plus en vue de la capitale, enfin celui des princes étrangers défenseurs de la religion. Nous retiendrons le duc Louis Eugène de Wurtemberg.
Le 4 mai 1770, l’Assemblée du clergé réunie depuis le 14 mars, décide par l’entremise de l’archevêque de Toulouse, Loménie de Brienne, de faire de Bergier un défenseur officiel de la religion, attaquée par les philosophes modernes. L’Assemblée publie son Avis aux Fidèles de France sur les dangers de l’incrédulité. Les évêques La Roche Aymon et Brienne auraient participé à la rédaction, mais il semble que l’abbé Bergier ait fait plus qu’aider de ses conseils les deux religieux. Il serait de fait le rédacteur de l’Avertissement du clergé de France7. L’apologiste entretient donc des relations étroites avec plusieurs hauts dignitaires ecclésiastiques. Il semble avoir également ses entrées auprès de la haute magistrature parlementaire, puisqu’il est l’auteur du réquisitoire de l’avocat général Séguier contre sept ouvrages hostiles à la religion. En mars 1771, l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont le nomme confesseur de la nouvelle comtesse de Provence. Il est de fait que Bergier jouit d’une grande popularité dans les milieux ecclésiastiques et que la faculté de Théologie s’intéresse de très près à ses travaux et à son action. Il ne tiendrait qu’à lui de profiter encore davantage de ces opportunités :
Je suis assailli dans les rues par les bacheliers de Sorbonne, qui attendent une réfutation du matérialisme pour composer leur thèse de licence, par les beaux esprits qui ont lu le Système de la Nature et qui me prennent à la gorge pour avoir la réponse8.
Bergier dispose aussi à l’étranger de personnalités, appartenant souvent au monde ecclésiastique, susceptibles de le mettre en relation avec des représentants du pouvoir religieux et civil. Sur ce point la mise en place du réseau est équivalente de celle que pratique Formey. Seule diffère l’orientation nettement antiphilosophique et apologétique des ouvrages de Bergier. Il écrit, par exemple, à son correspondant l’abbé Trouillet :
Je ne sais si je vous ai mandé que la traduction de mes ouvrages en italien allait paraître à Milan et qu’on va les traduire en allemand. C’est le bibliothécaire de l’électeur Palatin qui m’a écrit ces deux nouvelles. Il m’a offert de me mettre en relation avec le cardinal Castelli et m’a déjà invité de présenter à S.A. électorale un exemplaire de la réfutation du Système de la Nature9.
Un second type de réseaux est constitué par les acteurs de la vie culturelle et mondaine. L’abbé Bergier ne néglige pas les modes de sociabilité, que ses adversaires les philosophes, pratiquent avec la détermination que l’on sait. Il ne manque pas, comme eux, de rencontrer, dans les dîners en ville, les femmes influentes de l’aristocratie. L’une d’elles, la duchesse de Noailles, qu’il qualifie de « grande dévote » se propose de le mettre en relation avec le père de Neuville, qui, dit-elle, a été très affecté par le Système de la Nature10. Charles Frey de Neuville, est un ex-jésuite, extrêmement connu, pour les sermons qu’il a prononcés à la cour dans les années cinquante. Il a aussi guerroyé contre les ravages de l’impiété moderne et pourrait donc faire éventuellement profiter Bergier de son expérience. Fait plus surprenant, l’abbé Bergier se mêle aussi aux milieux philosophiques. Son frère François, esprit fort et libertin éhonté, est très lié avec Suard, dont les positions conciliatrices et ouvertes donnent accès à de multiples zones d’influence. Elargissant le cercle de ses relations, Bergier en vient à fréquenter le cercle des athées les plus radicaux, celui du baron d’Holbach, qu’il a pourtant mission de réfuter11. Or l’abbé semble éprouver une étrange répulsion et attirance mêlées, pour la profondeur du Système de la Nature. Quant à Diderot, que Bergier rencontre au Grandval, dans la propriété de campagne du baron, il avoue dans une lettre datée du 24 mai 1770 vivre en bonne amitié avec lui. Cette relation permettrait au philosophe de pouvoir rencontrer des théologiens de la Sorbonne, d’établir avec eux un dialogue apaisé sur des questions religieuses, et même d’obtenir des « grâces » de l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont. Cette lettre capitale, rarement commentée, montre comment des réseaux idéologiquement opposés peuvent trouver des points de contact dans la France de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, par le biais des sociétés de pensée, beaucoup plus poreuses qu’on ne l’a prétendu. On a l’impression qu’un tissu de relations secondes, sinon souterraines, vient compléter les appartenances publiquement affichées, pour introduire une souplesse indispensable dans le jeu social et culturel.
Le troisième réseau est représenté par les princes étrangers défenseurs de la religion. Ici la relation est exactement symétrique de celles qu’établissent les philosophes, comme Maupertuis, Voltaire et Formey avec Frédéric II. La différence est idéologique, Frédéric II fait état de sa liberté d’esprit et de son hostilité à l’Eglise, le duc de Wurtemberg que nous prenons à titre d’exemple, défend au contraire avec toute son énergie la religion attaquée par les philosophes. Cette position, notons-le, est le fruit d’une évolution très sensible et même d’un complet revirement, puisque Louis-Eugène de Wurtemberg a commencé par mener une existence dissipée, sans le moindre rapport avec la dévotion12. Entre 1749 et 1756, il fréquente assidûment les milieux philosophiques parisiens, notamment chez le célèbre La Popelinière où il rencontre Rousseau pour la première fois. Or le duc de Wurtemberg va entretenir avec Voltaire une correspondance relativement importante entre 1750 et décembre 1764. L’édition Besterman de la Correspondance de Voltaire présente 20 lettres échangées entre les deux épistoliers, les plus nombreuses émanant du prince Louis-Eugène13. A partir de 1764, Louis-Eugène de Wurtemberg se détourne de Voltaire au profit de Rousseau. Devenu un père de famille sentimental et sentencieux, convaincu d’avoir trouvé le bonheur dans l’amour familial, érigeant même son devoir de père en absolu, le libertin repenti considère Jean-Jacques comme le modèle des éducateurs et, conformément à une mode culturelle assez répandue, lui adresse chaque semaine un journal détaillé des changements divers qu’il remarque chez sa fille Sophie, laquelle porte évidemment le nom de la compagne d’Emile. Il soumet en même temps à Jean-Jacques des quatrains exécrables, que son correspondant se plait à corriger. Vers 1769, un dernier revirement le détache définitivement des milieux philosophiques. Converti, cette fois à l’antiphilosophie la plus radicale, le duc de Wurtemberg, commence alors une correspondance avec l’abbé Bergier, auquel il voue la plus grande admiration. En l’état actuel de la recherche, nous disposons de huit lettres publiées dans le tome VIII de la collection Migne des œuvres complètes de Bergier (1855). Elles se situent entre le 14 juin 1769 et le 2 décembre 177314. Il convient d’ajouter à cet ensemble, trois autres lettres, celles-ci inédites, de Louis-Eugène de Wurtemberg s’inscrivant dans la même période15. Des correspondances ont sûrement disparu, alors que d’autres lettres doivent probablement dormir dans les archives, notamment dans celles de Baden-Wurtemberg. Outre les commentaires, le plus souvent élogieux, des œuvres apologétiques de Bergier, le duc de Wurtemberg tente, à plusieurs reprises de mettre son correspondant en contact avec d’autres gens de lettres, acquis à la cause antiphilosophique et susceptibles d’aider l’auteur dans son action. Sur ce point, la stratégie est parfaitement identique à celle des représentants du camp opposé ou à celle des correspondants de Formey. Dans l’esprit du duc de Wurtemberg, le tissu des relations doit toujours viser à s’accroître. Il remercie son correspondant de lui avoir fait rencontrer une recrue défendant la bonne cause, ou un futur allié exerçant son action dans une autre principauté allemande16. Il déplore la disparition d’un fidèle, ami commun des deux correspondants17. Il examine constamment la situation politico-religieuse de la France, qu’il compare à celle des principautés allemandes et des autres pays européens ainsi que le rapport des forces en présence, afin de réfléchir, avec son correspondant, à des options stratégiques :
Que dîtes-vous, Monsieur, du roi du Danemark qui vient d’établir dans ses Etats la liberté, ou plutôt la licence de la presse ? Il me semble que cette permission ne cadre pas avec la nature du gouvernement de ce royaume. Les philosophes triomphent et louent beaucoup cette démarche ; mais je crains fort que dans peu les rois de Danemark n’auront point à se louer des maximes philosophiques. Est-il une preuve plus convaincante des principes pernicieux de la philosophie moderne que les agitations violentes qui tourmentent et divisent aujourd’hui l’Angleterre ? Autant de têtes, autant d’idées différentes sur la liberté. Rien n’est si dangereux qu’un patriotisme mal entendu. Quand le faux zèle semblable à une contagion, communique une fois sa chaleur aux esprits, il n’est plus de cuistre qui n’aspire à la gloire des Caton et des Brutus. La religion est la seule digue qui soit capable d’arrêter ce torrent furieux18.
Pour le duc de Wurtemberg, l’irréligion que les philosophes modernes répandraient en Europe comme une traîné de poudre représente un mal politique, qui risque à terme de déstabiliser les principautés et les monarchies européennes. L’Eglise d’Allemagne serait dans une situation de grande faiblesse et l’esprit philosophique, prétend-il, s’introduit jusque dans le cabinet des rois. Or la position de Bergier le prédispose à mener un combat d’envergure pour arrêter le fléau. D’abord, parce qu’il a été reconnu par l’Assemblée du clergé, ensuite parce qu’il entretient d’excellentes relations avec un des plus grands dignitaires de l’Eglise de France, l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont et enfin, parce qu’il a ses entrées à la Cour :
Donnez-vous la peine, Monsieur, de parcourir des yeux toute les différentes cours, soit grandes soit petites. Vous verrez avec douleur qu’il en est très peu, dont les souverains eux-mêmes, où dont les ministres qui gouvernent en leur nom ne suivent, plus ou moins l’impulsion de cette secte impie. Le tableau est sans doute affreux : mais la perspective qu’il offre me paraît encore plus horrible et plus désolante. C’est pour prévenir une partie de ces maux qu’il est facile de prévoir, qu’il me semble, Monsieur, que tandis que vous vous occuperez de mettre en œuvre la plan admirable et nouveau, que vous m’avez fait l’honneur de me communiquer et qui exige beaucoup de travail, il serait nécessaire ou du moins utile d’inviter plusieurs bonnes plumes à dévoiler par des écrits capables de faire impression, les influences dangereuses, et le désordre funeste que la Philosophie moderne pourrait introduire avec le temps dans le système politique… 19
Wurtemberg n’hésite pas à noircir le tableau afin d’inciter l’abbé Bergier à affiner sa stratégie. Il s’agirait d’étendre ses relations et de réunir d’autres gens de lettres pour faire front commun et peut-être aussi de donner un contenu plus politique à la lutte antiphilosophique. Mais c’est ici que commencent les difficultés stratégiques auxquelles se heurte Bergier et qui distinguent la position qu’il occupe sur l’échiquier culturel européen de celle d’un Formey. Mesurons bien d’abord la situation : possédant des dons évidents d’argumentateur particulièrement prisés au XVIIIe siècle, jouissant même d’une reconnaissance intellectuelle auprès de ses adversaires, connaissant, nous l’avons vu, les milieux philosophiques qu’il fréquente assidûment jusqu’en 1771, ayant l’appui des autorités ecclésiastiques (Beaumont) et civiles (le chancelier Séguier), l’abbé Bergier possède apparemment tous les atouts pour réussir. Néanmoins les relations intellectuelles qu’il a nouées en France et à l’étranger ne constituent que des réseaux, en quelque sorte embryonnaires, et les stratégies qui s’esquissent ne parviennent pas réellement à leurs fins. Sur ce point, la position de l’abbé Bergier forme un contraste saisissant avec celles que détiennent Formey et ses correspondants… Examinons les causes de ces difficultés. Les correspondances de Bergier dont nous disposons font d’abord état d’hésitations stratégiques. Est souvent posée la nécessité d’une prompte contre-offensive aux écrits philosophiques et le duc de Wurtemberg, par exemple, incite Bergier à se lancer le plus rapidement possible dans l’arène, nous dirions si l’expression n’était pas anachronique à occuper le terrain « médiatique ». Mais Bergier, ne cesse de le répéter dans sa correspondance avec l’abbé Trouillet, la défense de la religion appelle une quête des fondements, la mise en place d’une assise théorique exigeant le temps de la réflexion. Il arrive aussi que l’apologiste opte pour la publication rapide, mais il se heurte alors aux avis des représentants de l’Eglise de France. Ainsi pour la réfutation du Système de la Nature de d’Holbach, grande œuvre qui enflamme les esprits, c’est Bergier qui défend cette fois la parution immédiate, en se confiant à son ami, l’abbé Trouillet :
La dédicace de ma réfutation (celle du Système de la Nature) n’aura pas lieu : M. l’archevêque d’Embrun qui l’a examinée, est très content du fond et juge qu’elle est victorieuse, mais il aurait voulu que je la refondisse sur un autre plan, c’est-à-dire que je donnasse un traité ex professo contre l’athéisme, dans lequel la réfutation du Système de la nature serait entrée comme nécessaire. Et j’ai de bonnes raisons pour publier mon ouvrage tel qu’il est. 1° Il est attendu, et la promptitude peut contribuer beaucoup au succès en piquant la curiosité, d’autant mieux que plusieurs personnes travaillent actuellement sur ce sujet. 2° Il est de mon intérêt de tirer de mes matériaux tout le parti possible et de m’en servir dans la suite pour donner un traité suivi et complet sur la religion ; (ce sera le Traité historique et dogmatique de la vraie Religion, 1780) je me serais privé de cette liberté en travaillant sur un autre plan. 3° J’ai besoin de repos et il me faudrait autant de temps pour une seconde composition que pour la première fois. 4° Le succès de l’Apologie de la religion chrétienne me paraît prouver que ma méthode n’est pas mauvaise. En conséquence, voyant que M. d’Embrun ne démordrait pas, je lui ai fait part de mon projet en feignant de le consulter. Je lui ai représenté qu’un ouvrage suivi sur la religion serait plus digne d’être présenté au clergé qu’une réfutation particulière, qu’ainsi je renonçais volontiers pour le moment à l’honneur que l’assemblée voulait me faire, afin de m’en rendre plus digne par la suite. Nous sommes convenus qu’il en parlerait sur ce ton à l’assemblée. J’ai donc remis mon manuscrit au sieur Ribalier, mon censeur, qui m’a promis de l’expédier promptement, et dès que le privilège sera obtenu, l’imprimeur est prêt à commencer. Me voici donc engagé à une entreprise que vous souhaitez depuis longtemps, mais dont les préliminaires seront fort longs20.
De manière plus générale, Bergier refuse d’épouser les querelles traditionnelles de la République des Lettres. C’est ainsi qu’il critique très nettement les attaques de Clément, répondant au coup par coup aux libelles de Voltaire, et celles de Fréron usant de l’Année littéraire dont il a la charge, comme d’une tribune :
Il est tombé sur l’Epître au roi de la Chine et y a fait des notes. C’est une bénédiction de voir comment ces Messieurs s’étrillent à l’amiable et comme la charité fraternelle est servie dans ce pays-ci… 21
Il dénonce aussi les mœurs éditoriales, les critiques soigneusement déguisées pour déjouer la censure. Consulté par le censeur théologique pour donner son avis sur l’autorisation d’une médiocre tragédie, Les Druides, de Le Blanc de Guillet (1772), il n’aurait pas vu que le grand druide, partisan de l’intolérance représentait l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont. La publication de la pièce sera interdite, et Bergier de s’écrier :
Le résultat de tout cela est de me brouiller avec la philosophaille un peu plus fort que je n’étais, et ce n’est pas un mal. J’ai acquis par cette aventure le droit de refuser net l’examen de tous les ouvrages qui me sont présentés22.
De toute façon, après l’Examen du matérialisme, ou Réfutation du « Système de la Nature » (1771., la rupture avec les Philosophes est consommée. Pour répondre à la question de ce colloque, on peut dire que Bergier se prive ainsi d’un moyen de connaître les intentions de l’adversaire, leurs méthodes de conquête de l’opinion, et les stratégies d’infiltration mises au point avec une grande habileté. Tout en s’inquiétant de la fascination que les Philosophes exerçaient sur son correspondant, le duc de Wurtemberg approuvait la conduite de Bergier :
Je pense comme vous, Monsieur, que votre liaison avec M. le baron d’Holbach peut être très utile, d’autant que je suis persuadé que votre prudence en aura su éloigner les mauvaises apparences. Ces Messieurs sont plus redoutables par leur adresse que par leur force. C’est ce qui vous a déterminé à les suivre de si près, si vous êtes parvenu comme je n’en doute pas, à connaître leurs artifices, vous aurez moins de peine à les confondre par le raisonnement et à les vaincre par la connaissance que vous avez acquise de la turpitude de leur scandaleuse cabale23.
Quant aux représentants du bord opposé, les jansénistes et en particulier ceux des Nouvelles ecclésiastiques aucune entente n’est évidemment possible. Non seulement le périodique s’acharne contre l’ouvrage de Bergier La certitude des preuves du christianisme (1767), mais le radicalisme dont il fait montre lui ôte toute crédibilité auprès de l’opinion « éclairée ». L’avertissement, qui se situe, en tête de la 5e édition du Déisme réfuté, critique à la fois leur doctrine et leur stratégie :
C’est tout ce que je veux répondre aux jansénistes. Le Gazetier ecclésiastique [Bergier s’obstine à désigner ainsi les Nouvelles ecclésiastiques] s’évertue à présent sur la Certitude et sur ce que j’ai écrit des miracles de l’abbé Pâris. Ces malheureux sont toujours attachés à soutenir les mêmes impertinences et à fournir des armes aux incrédules contre les miracles de l’Evangile…24
En dépit de ces divergences, le duc de Wurtemberg ne cesse d’en appeler à l’impérieuse nécessité d’un front uni de l’antiphilosophie européenne. Les quatre causes de l’irréligion en Allemagne sont, selon lui, les « voyages philosophiques » des Allemands à l’étranger et en particulier en France, pratique à laquelle il s’est lui-même livré jadis, avec enthousiasme, les mauvais livres qui inondent le marché, la prolifération des petites sociétés littéraires en Allemagne, presque toutes calquées sur le modèle français ou anglais, et le triomphe du luthérianisme. Pour lutter contre ces fléaux, il convient de rassembler une « société d’hommes pieux et éclairés » dont Bergier devrait être le fer de lance25. Wurtemberg ne cesse de citer des noms qui devraient, en bonne logique, figurer au nombre de cette société26. Pourtant Bergier ne parvient pas à tisser un authentique réseau d’associés, faute peut-être de trouver des alliés qui répondent à ses ambitions et soient à la hauteur de son talent. Nous avons vu combien Formey assoit son audience et donc son pouvoir, par le lancement de plusieurs journaux à vocation européenne27. Il collabore d’autre part au célèbre Journal encyclopédique de Pierre Rousseau. Il existe pourtant dans la France de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, une presse d’inspiration dévote et antiphilosophique, mais Bergier la juge médiocre :
L’abbé Dinouart vient de l’annoncer [la publication du fameux Examen du matérialisme] dans son Journal ecclésiastique, journal maigre et mal fagotté. Il nous a donné l’Art de se taire, surtout en matière de religion ; pourquoi ne l’a-t-il pas pratiqué le premier ?28
Les autres apologistes ne trouvent guère grâce à ses yeux, non que Bergier fasse preuve de vanité, mais il estime que leurs interventions sont brouillonnes et que leur démonstration manque de force :
Je viens de lire l’ouvrage de l’abbé Guidi sur la première partie du Système de la Nature. Il l’a intitulé « Entretiens philosophiques sur la religion ». Il y a des sentiments très vifs et très bien écrits, mais peu d’ordre. Il y a fourré le miracle de Saint-Côme, le péché originel, la prédestination, le petit monde des élus et autres belles choses du jansénisme propres à inspirer beaucoup de goût pour la religion29.
Si Bergier déplore l’existence de théologiens manquant d’ouverture sur les problèmes du monde moderne, il regrette surtout l’absence d’une œuvre, offrant un socle de démonstrations solides et traitant de la religion dans une perspective unitaire. La dispersion, voire l’éparpillement des actions menées par les acteurs de la lutte antiphilosophique, et l’aspect lacunaire de l’intervention, font l’objet d’une plainte incessamment reconduite30.
En dépit de cette analyse pessimiste, Bergier n’est pas hostile à une action plus ciblée pour frapper l’opinion. Comme Formey, il est naturellement en contact avec les libraires. Son éditeur, Humblot, spécialisé dans les livres de dévotion, a manifestement des entretiens avec lui sur la politique à adopter en matière de diffusion des écrits antiphilosophiques. Il songe même à lancer un journal, mais le projet avorte, comme si Bergier pressé par des activités plus urgentes, différait l’entreprise :
En jasant avec Humblot il y a quelques jours, il m’échappa de dire qu’un journal bien fait sur les matières de religion aurait du succès et du débit : c’est comme si j’avais montré de loin un os à ronger à un chien affamé. Depuis ce moment là Humblot ne rêve plus que ce journal et ne parle d’autre chose ; si je voulais le croire j’y travaillerais dès demain, mais nous n’en sommes pas encore là31.
Reste les relations mondaines, que Bergier pourrait éventuellement transformer en réseaux pour mener à bien des luttes d’influences. Mais ici encore, contrairement à ses adversaires de l’autre bord, il semble bien que l’auteur de l’Examen du matérialisme, refuse de recourir à un moyen qu’il juge déloyal et, surtout trop éloigné de son ambition. Manifestement l’abbé Bergier désapprouve les pratiques salonnières et les intrigues qui traditionnellement s’y rattachent. A cet égard, la conduite de la duchesse de Noailles, la dévote déjà évoquée, finit manifestement par l’exaspérer :
La duchesse de Noailles, qui a cherché à lier connaissance avec moi à Paris, m’a déjà fait à la cour une légère tracasserie qui doit me tenir en garde contre cette femme même dévote32.
La troisième difficulté stratégique repose sur l’impossibilité qu’éprouve Bergier à se résoudre à adopter les méthodes de vulgarisation, que son correspondant le duc de Wurtemberg lui propose pourtant avec la plus grande conviction. Pour ce faire, le prince allemand l’invite à se mettre en relation avec Mme Leprince de Beaumont, grande spécialiste du théâtre antiphilosophique destiné aux enfants. Manifestement le duc de Wurtemberg suggère à son correspondant une stratégie éditoriale qui a fait ses preuves, puisque le célèbre auteur de récits pour la jeunesse, connaît un immense succès de librairie33. En entretenant une relation avec elle, l’abbé Bergier pourrait élargir le front antiphilosophique et conquérir un public plus large. A ce propos, le duc de Wurtemberg se fait de plus en plus insistant :
Je me flatte aussi, Monsieur, que vous aurez déjà fait la connaissance de Mme de Beaumont. Le zèle qu’elle ne cesse de faire éclater pour la religion la rend bien digne de cet avantage34.
Mais tout laisse à penser que son correspondant abandonne cette stratégie au profit de tâches apologétiques et philosophiques qu’il estime prioritaires. Sur ce point, la position de Bergier se situe aux antipodes de celle d’un Formey et constitue, nous semble-t-il, sa plus grande faiblesse. Alors que le secrétaire de l’Académie de Berlin ne cesse d’inventer des modèles de vulgarisation des écrits philosophiques, en consolidant ses réseaux, et en profitant des conseils avisés de diffuseurs et de spécialistes en marketing éditorial, l’abbé Bergier, bien qu’il jouisse d’une audience importante dans l’espace européen de la culture, témoigne à plusieurs reprises d’un certains mépris pour ses confrères qui s’adaptent au « commun des lecteurs »35. Un détachement de plus en plus grand à l’égard du commerce du monde et des pratiques éditoriales transparaît nettement dans les lettres échangées avec son ami l’abbé Trouillet en février 1771, après la parution de la réfutation du Système de la Nature, trois mois avant son retrait à Versailles en tant que confesseur des filles de Louis XV :
C’est un terrible monde que ce monde-ci, je me sais très bon gré d’y tenir fort peu et d’être habitué à vivre seul. Toute mon attention désormais sera de retrancher en détail le petit nombre de liens pour lesquels je tiens à la société et de ne la regarder que par le petit trou.
Des symétries existent donc entre la position d’un Formey et celle de Bergier. Les deux hommes entretiennent un important réseau de correspondants interacadémiques dans lesquels ils échangent des informations savantes. Bergier, dispose, comme Formey, de diffuseurs culturels susceptibles d’accueillir son œuvre à l’étranger et de la mettre en orbite. Il ne néglige pas non plus, nous l’avons vu, du moins dans un premier temps, les pratiques de sociabilité en vigueur dans le camp opposé, mais le rapprochement s’arrête là. Le refus d’inventer des modèles éditoriaux, susceptibles de séduire un nouveau lectorat moins instruit, que les élites traditionnelles et les milieux théologiques, le sentiment de malaise que provoque en lui l’usage publicitaire de la polémique en vigueur chez les Philosophes, mais aussi chez bon nombre de leurs adversaires, font obstacle à la conquête de cet espace culturel nouveau que les Philosophes de la première heure et les diffuseurs de seconde main, comme Formey s’emploient, avec une grande habileté, à investir et à transformer dans le sens qui leur convient. Cette situation explique que le tissu relationnel dont bénéficie Bergier ne se transforme jamais en un solide réseau, jouissant d’un poids réel d’intervention. Le deuxième point à souligner est la porosité de certains fronts. Le revirement du duc de Wurtemberg, optant pour l’antiphilosophie radicale, après une phase libertine et une étape rousseauiste, peut surprendre l’historien contemporain. Il interprétera éventuellement cette conduite comme la preuve d’une soumission superficielle aux modes culturelles du moment. Pourtant, à y regarder de près, l’attitude de Wurtemberg s’explique aussi d’une autre façon : les lettres qu’il échange avec Voltaire ne signifient pas que le duc épouse les idées anti-chrétiennes du patriarche. Il considère celui-ci comme une espèce de sage aidant à parvenir au bonheur en ce monde. Les mots « philosophe » et « philosophie » acquièrent dans ses lettres un sens extrêmement vague et d’une telle extension qu’elle ne recouvre pas, même partiellement, la signification particulière que Voltaire leur attribue36. De plus, on peut repérer très tôt chez le duc de Wurtemberg, une critique des pratiques mondaines et de l’effervescence parisienne37. De tel propos peuvent être interprétés comme une convention du discours, mais ils témoignent aussi d’un flottement idéologique et d’une soumission aux modes culturelles, qui l’emportent parfois sur les convictions profondes. Un tel état de fait explique aussi l’instabilité des réseaux intellectuels en Europe dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.
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1 Sur les Lumières modérées et chrétiennes, voir Didier Masseau, « La position des apologistes conciliateurs », in DHS, 2002, n° 34, pp. 121-130.
2 Son immense correspondance passive est conservée à la Bibliothèque d’Etat de Berlin. Elle est en cours de publication chez Champion-Slatkine : Martin Fontius, Rolf Geißler, Jens Häseler (dir.), Correspondance passive de Formey. Briasson et Trublet (1739-1770), Paris ; Genève, 1996 ; E. Marcu, « Un encyclopédiste oublié : Formey », in RHLF, 1953, pp. 296-305.
3 Lettre du 2 juin 1749, in Lettres d’Elie de Luzac à Jean Henri Samuel Formey (1748-1770), Paris, 2001, pp. 66.
4 « Je vous prie de me tenir la promesse que vous me faites de m’envoyer la partie de la Bibliothèque impartiale où est l’extrait de mes Panégyriques. », Lettres de Nicolas Joseph Trublet adressées à Jean-Henri Samuel Formey (1749-1765), datée de Paris, 19 nov. 1765, in Correspondance passive de Formey, Paris, 1966, pp. 161.
5 Jens Häseler, « Samuel Formey, pasteur huguenot entre Lumières françaises et Aufklärung » in DHS, 2002, n° 34, pp. 242 ; François Moureau, « L’Encyclopédie d’après les correspondants de Formey » in Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, oct. 1987, n° 3, pp. 125-145. Le projet de Formey d’une encyclopédie réduite est reproduit dans RDE, avril 1994, n° 16, pp. 154-159.
6 Lettre du 11 février 1749, in Lettres d’Elie de Luzac à Jean Henri Samuel Formey (1748-1770), Paris, 2002, pp. 43.
7 Augustin Theiner, Histoire du pontificat de Clément XIV, t. 1, pp. 459, cit. in Ambroise Jobert, Un théologien au siècle des Lumières. Correspondance avec l’abbé Trouillet (1770-1790), Centre André Latreille, 1987, pp. 64, note 96.
8 Ambroise Jobert, op. cit., pp. 66.
9 Ibid, Lettre du 1er août 1770, pp. 62. Il semble qu’aucune traduction italienne ne parut à Milan du vivant de Bergier. En revanche, à Venise dès 1769, avaient été publiées deux de ses ouvrages : Il deismo confutato da se medesimo, chez Battifogo, 2 vol. et La certezza delle prove des cristianesmo chez Botinelli. La première traduction de cette œuvre parut à Vienne en 1779-1780.
10 Ambroise Jobert, ibid., Lettre du 27 août 1770, pp. 64.
11 Didier Masseau, Les Ennemis des philosophes, Paris, 2000, pp. 351.
12 Troisième fils du duc Charles-Alexandre (1684-1737), il se fait appeler prince Eugène, duc de Wurtemberg et signe Louis-Eugène duc de Wurtemberg. Né le 6 janvier 1731, il mourra en 1795. Après une première éducation à Stuttgart, il fait un séjour à Berlin où il parachève son éducation, tout en subissant l’attraction de Frédéric II. Comme de nombreux princes européens, il subit l’attrait de la capitale française. Pendant la guerre de sept ans, il se met au service de la France. Blessé en 1762, il abandonne la carrière militaire et se retire en Autriche. Voir Georges Cucuel, La vie parisienne des princes de Wurtemberg-Montbéliard au XVIIIe siècle, Montbéliard, 1912 ; Notice sur Louis-Eugène de Wurtemberg, in Correspondance complète de Rousseau, éd. Leigh, Voltaire Foundation, Genève ; Oxford, 1972, vol. XVII(1763), pp. 274-276.
13 Il convient d’ajouter une première lettre datée de septembre 1743.
14 La première de ces huit lettres échangées est la seule qui émane de Bergier. Elle répond à une lettre de Louis-Eugène de Wurtemberg datée du 14 juin 1769, envoyée de Francfort-le-Mein. Quant aux sept autres lettres, écrites par le prince allemand, elles sont toutes datées de Wasserloos.
15 Ces trois lettres figurent dans le manuscrit 1949 de la Bibliothèque de Besançon aux fol. 59-60 (lettre du 13 décembre 1769 avec un brouillon de réponse de Bergier) et aux fol. 183-186 (lettres du 12 avril 1771 et du 14 novembre 1772). Nous remercions vivement Marie-Claire Waille, Conservateur des Bibliothèques et Archives municipales de Besançon de nous avoir communiqué ces documents.
16 « C’est à votre amitié, Monsieur, que je dois l’excellente connaissance de M. l’abbé Maillot » décrit comme « un chrétien très éclairé et très zélé », Lettre du 1er juillet 1771, Paris : éd. Migne, 1855, t. 3, pp. 1579 ; Nicolas Maillot de la Treille du diocèse de Verdun (1724-1799) était le bibliothécaire de l’Electeur palatin Théodore de Sulzbach. Le duc de Wurtemberg qui a fait un séjour à Paris remercie Bergier de lui avoir fait rencontrer l’abbé Guénée, un violent adversaire de Voltaire, rendu célèbre par ses Lettres de quelques Juifs portugais, allemands et polonais (1769) et ajoute : « J’ignore en quelle compagnie et dans quel lieu de Palestine il se promène à présent. je me doute bien qu’il n’a point perdu de vue M. de Voltaire. Puisse-t-il dessiller les yeux à ce patriarche des philosophes modernes, à ce vieillard octogénaire, ou lui imposer silence et le confondre pour le bien de la religion. » Lettre du 2 décembre 1773, Bergier, 1855, t. 3, pp. 1585.
17 « La mort de M. de Clermont m’afflige sincèrement. Pendant mon séjour à Paris, il m’a comblé de bontés, et l’intérêt que vous y preniez est un motif qui augmente mes regrets », Lettre du 1er juillet 1771, Bergier, ibid, 1855, t. 8, pp. 1582.
18 Lettre du 13 janvier 1771, ibid., pp. 1579.
19 Lettre du 14 novembre 1772, Bibliothèque municipale de Besançon, manuscrit 1949, fol 186.
20 Lettre du 27 août 1770, Ambroise Jobert, Un théologien au siècle des Lumières. Correspondance avec l’abbé Trouillet ; 1770-1790, Centre André Latreille, 1987, pp. 62-63.
21 Lettre du 1er janvier 1771, ibid., pp. 71. L’Epître de Voltaire était critiquée dans l’Année littéraire, 1770, t. 8, pp. 175-181.
22 Lettre du 23 avril 1772, datée de Versailles, ibid., pp. 102. Après avoir confié à son ami l’abbé Trouillet que la pièce ne valait rien, Bergier ajoutait : « mais ce sont des polissons qui servent de recors aux philosophes qui ont donné l’éveil, et puis l’on a crié des deux côtés ».
23 Lettre de Louis Eugène de Würtemberg, Wasserloos, le 19 novembre 1770, Bergier, op. cit., 1855, t. 8, pp. 1576.
24 Lettre du 11 février 1771, Ambroise Jobert, Un théologien au siècle des Lumières. Correspondance avec l’abbé Trouillet, (1770-1790), Centre André Latreille, 1987, pp. 72-73.
25 Lettre du 18 juillet 1769, Bergier, op. cit., t. 8, pp. 1571.
26 « Je ne doute pas que M. l’abbé François soit au nombre de vos vertueux associés. Son ouvrage respire le même esprit que le vôtre », ibid., pp. 15, 71. Apologiste jouissant d’un certain renom, l’abbé François est l’auteur de l’Examen du Catéchisme de l’honnête homme, ou Dialogue entre un caloyer et un homme de bien (1764), d’une Réponse aux difficultés proposées contre la religion chrétienne par J.J. Rousseau dans […] l’Emile et dans son Contrat social (1765). L’ouvrage évoqué par le duc de Würtemberg pourrait bien être le dernier publié par François : Examen des faits qui servent de fondement à la religion chrétienne, précédé d’un court Traité contre les athées, les matérialistes, les fatalistes, 1767, 3 vol.
27 Voir notamment l’Abeille du Parnasse (1750-1754) ; La Nouvelle Bibliothèque Germanique (1720-1759) et La Bibliothèque impartiale (1750-1758). A cette liste, il convient d’ajouter, Mercure et Minerve (1737-1738) ; Les Amusements littéraires (1738) ; Le Journal de Berlin, (1740-1741) ; La Bibliothèque critique (1745-1746 ?). Voir Didier Masseau, « Pouvoir culturel et vulgarisation des Lumières en Europe : Algarotti et Formey », in Les Valenciennes, 1995, n° 18, pp. 39, note 1.
28 Lettre du 4 mars 1771. Ambroise Jobert, op. cit., pp. 77. Joseph Antoine Toussaint-Dinouart (1716-1786) publia Le Journal ecclésiastique de 1760 à sa mort. Il avait écrit L’Art de se taire, principalement en religion (1771).
29 Lettre du 26 juillet 1771, Ambroise Jobert, op. cit., pp. 91.
30 « Depuis quelque temps il a paru divers ouvrages pour la défense de la religion dont quelques uns sont assez bons, mais ce ne sont que des lambeaux, l’ensemble manque toujours, et selon moi c’est l’ensemble de la marche constante et uniforme de la religion depuis la création du monde qui en fait la plus grande preuve ». Lettre du 3 août 1777, ibid., pp. 163. « L’abbé Yvon vient de donner un volume qui est le premier de douze qu’il annonce, à-peu-près sur le même plan chronologique. Je ne suis pas extrêmement satisfait de sa méthode. Son style est plus élevé que le mien, mais je n’y vois pas une suite d’idées, et il me paraît qu’il n’a pas saisi l’ensemble. Il a intitulé son ouvrage l’accord de la religion avec la philosophie ; ceux qui le connaissent disent qu’il n’aura pas le courage d’achever ». Ibid., pp. 163.
31 Lettre du 1er août 1770, Ambroise Jobert, op. cit., pp. 61.
32 Lettre du 3 juillet 1771, ibid., pp. 86. Il s’agit de Catherine Françoise Charlotte de Cossé-Brissac, 1724-1794, épouse du duc de Noailles. Il écrit également : « C’est la duchesse de Noailles qui a fait le plus de tapage, pour me faire écrire une lettre à elle-même qui a fâché la philosophie, parce qu’elle l’a rendue publique. Dans ce pays-ci, les femmes se mêlent de tout et ont le talent de tout gâter », Lettre du 23 avril 1772, datée de Versailles, ibid., pp. 102.
33 Mme Leprince de Beaumont (1711-1780) est l’auteur des Américaines ou les Preuves de la Religion chrétienne par les lumières naturelles, Lyon, 1770 ; du Magasin des enfants ou Dialogues d’une sage gouvernante avec ses élèves de la première distinction, Lyon, 1758 ; et de La Dévotion éclairée ou magasin des dévotes, Lyon, 1779. Voir aussi Didier Masseau, Les ennemis des philosophes, Paris, 2000, pp. 282-283.
34 Lettre du 29 octobre 1770 adressée de Wasserloos à l’abbé Bergier, Bergier, op. cit., éd. Migne, t. 3, pp. 1577.
35 Lettre du 3 août 1777, Ambroise Jobert, op. cit., pp. 164. « L’abbé de Crillon vient de donner des Mémoires philosophiques où la marche, l’esprit et le caractère de nos philosophes sont assez bien peints ; cela est très bien pour le commun des lecteurs ». Cet ouvrage est une charge satirique des modes culturelles pratiquées par les Philosophes : la fatuité dont ils font preuve dans la conversation, la manière ridicule de porter au pinacle un auteur qui a obtenu leurs suffrages, les habitudes salonnières et celles des cafés, comme le célèbre Procope.
36 « Comme la véritable philosophie consiste principalement dans la jouissance du bonheur, je me crois lorsque je suis à Ferney, plus philosophe que Socrate et que vous-même, car je n’ose penser que vous ne fûtes jamais aussi heureux que le suis alors », Lettre du 1er février 1763, Voltaire, Correspondance, Besterman, Dl 0975.
37 « Vous me dîtes encore que ce séjour à Paris est plus fait pour moi que pour vous. Les plaisirs brillants qu’on y rencontre ne me tentent nullement. J’en cherche de plus solides, et celui d’oser et de pouvoir me respecter est le seul que j’envie. Les fêtes agréables dont Paris est surchargé me semblent insipides et maussades. J’y trouve un vide affreux, indigne de tout homme qui pense… », Lettre à Voltaire du 17 octobre [1750], Besterman, D4246.