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La vie, un rêve ?

Songe trompeur et vie vaine dans la littérature allemande du XIIIe siècle

René WETZEL

Genève

I

La présente contribution était destinée, dans le cadre du colloque lausannois, à faire découvrir à un public composé en sa majeure partie de romanistes la richesse d’une littérature médiévale allemande souvent méconnue et sous-estimée. Présenter le songe et le rôle qu’il joue dans la littérature allemande du Moyen Age dans sa totalité, n’était tout de même guère réalisable : La masse des sources mènerait inévitablement à une superficialité peu constructive et nous risquerions de répéter ce qui a été évoqué tout au long des autres interventions concernant la classification et la fonction du rêve dans le discours littéraire. En effet, la littérature allemande ne se distingue guère, en ce qui concerne ce point, de la littérature française qui reste un modèle à suivre et une source d’inspiration tout au long du Moyen Age pour les auteurs allemands1. Nous ne voulions non plus nous borner à résumer un bon nombre d’exemples de rêves issus de la littérature allemande, ce qui au moins aurait eu le mérite d’élargir, pour un public non initié, ses connaissances des rêves dans le champ de cette culture littéraire2. Nous propositions plutôt de restreindre le sujet en nous penchant sur deux aspects liés étroitement dans une série de textes allemands épiques et poétiques du XIIIe siècle: celui du songe trompeur et de la vie vécue en songe. Si le premier aspect est tout à fait courant et bien introduit dans la littérature française contemporaine à ces textes, le deuxième en semble être plus ou moins absent avant le succès européen de Pedro Calderon de la Barca et son La vida es sueño de 16363.

Nous choisirons comme point de départ (II) un épisode d’un roman courtois de la littérature française fort bien connu, c’est-à-dire le roman d’Yvain qui devient Iwein dans la relecture de Hartmann von Aue, l’auteur classique du roman arthurien en Allemagne au tournant des XIIe et XIIIe siècles. Nous passerons ensuite à une partie plus générale (III), mais toujours agrémentée d’exemples allemands que nous avons principalement trouvés chez Emil Benezé4, pour aboutir (IV) chez un autre grand classique et contemporain de Hartmann, le poète et Minnesänger Walther von der Vogelweide, avant d'en arriver aux conclusions (V).

II

Hartmann von Aue dont les romans d’Erec et d’Iwein introduisent le roman arthurien en Allemagne5, n’est pas qu’un simple traducteur des romans de Chrétien ; de même le terme « d’adaptateur » ne décrit pas suffisamment sa façon de réécrire et de retravailler ses sources6. Le passage que nous allons étudier7 en est un exemple flagrant, puisque on le cherchera en vain chez Chrétien. Il s’agit du moment de la guérison d’Iwein devenu fou de douleur après que son épouse l’a répudié pour n’avoir pas tenu promesse. Il avait, par la suite, vécu longtemps comme une bête sauvage en forêt. Sous l’effet d’un baume magique dont une demoiselle de la dame de Narison l’avait enduit pendant son sommeil, il se réveille avec un esprit redevenu clair. Si Chrétien ne fait qu’évoquer très brièvement la honte et le désarroi qu’Yvain éprouve en se réveillant nu en pleine campagne8, et s’il passe donc rapidement à la suite des événements, Hartmann, quant à lui, sent le besoin de laisser à Iwein le temps de comprendre ou plutôt d’interpréter ce qu’il lui est arrivé. L’auteur consacre 92 vers (vv. 3505-3596) à cette réflexion d’Iwein9.

Iwein se réveille donc. Il ne se souvient pas de sa folie et de la vie qu’il a menée en forêt. Ce qu’il voit : son corps répugnant (vv. 3505-07), noir même (cf. v. 3595), le laisse douter de son identité10: bistûz Iwein, ode wêr ? (C’est bien toi, Iwein, ou qui est-ce donc ? v. 3509). Il se plaint de s’être réveillé d’un si beau rêve qui l’avait doté d’une vie exquise, pleine d’honneur, de noblesse et de beauté, de courtoisie et de chevalerie (vv. 3515-3524) et qui se trouve alors en flagrante contradiction avec ce qu’il voit en se réveillant de sa folie. Son passé jusqu’à la répudiation par son épouse qu’il résume dans les vers 3525 à 3539 lui semble comme un magnifique rêve ou plutôt – et c’est le revers de la médaille – comme une vaine illusion (in allem disem wâne, v. 3540) qui l’aurait mystifié (geffet, v. 3546). De là s’explique sa profonde déception, mais aussi sa désapprobation du songe qui, apparemment, n’a rien de véridique : swer sich an troume kêret, / der ist wol gunêret (qui se fie aux songes, se trouve facilement déshonoré ; vv. 3547-3548). Il s’adresse au rêve même :

Troum, wie wunderlich dû bist !

dû machest rîche in kurzer vrist

einen alsô swachen man

der nie nâch êren muot gewan :

swenner danne erwachet,

sô hâstû in gemachet

zeinem tôren als ich (vv. 3549-55).

(Songe, que tu es bizarre ! Tu rends riche en un instant un petit homme qui jamais n’avait aspiré aux honneurs. Quand il se réveille, tu as fait de lui un bouffon, comme tu l’as fait de moi.)

Cependant, Iwein, se fiant davantage à son apparence et croyant donc être un paysan ébouriffé (v. 3557), pense avoir appris beaucoup de choses dans son rêve. En effet, il se croirait capable de se conduire comme un chevalier s’il disposait d’armes et d’un cheval (vv. 3556-62). Et le narrateur de résumer :

Alsus was er sîn selbes gast,

daz im des sinnes gebrast :

und ob er ie rîter wart

und alle sîn umbevart

die heter in dem mære

als ez im getroumet wære (vv. 3563-68).

(Ainsi, il était devenu à tel point étranger à lui-même qu’il manquait de bon sens. Et qu’il avait été une fois chevalier et tout ce qu’il lui était arrivé, il pensait de tout cela qu’il l’avait rêvé.)

Ce soi-disant rêve l’a rendu schizophrène. En effet, sa perception de son aspect extérieur ne correspond pas du tout à ce qu’il ressent dans son for intérieur :

der troum hât mir mîn reht benomen :

swie gar ich ein gebûre bin,

ez turnieret al mîn sin.

mîn herze ist mînem lîbe unglîch :

mîn lîp ist arm, daz herze rîch.

ist mir getroumet mîn leben ?

ode wer hât mich her gegeben

sô rehte ungetânen ? (vv. 3572-79).

(Le rêve m’a enlevé de ma condition. Même si je suis en tout un paysan, mes pensées n’aspirent qu’au tournoi. Mon cœur est différent de mon corps : mon corps est pauvre, le cœur est riche. Ai-je rêvé ma vie ? Ou qui donc m’a pu déposer ici ainsi vilain ?)

Tout en se plaignant une nouvelle fois de se sentir chevalier sans pouvoir disposer des attributs extérieurs d’un noble homme, il découvre les nouveaux et riches vêtements que la demoiselle avait posés près de lui et les reconnaît comme pareil à ceux qu’il portait dans son passé soidisant rêvé. Il a hâte de les enfiler et voilà que als er bedahte die swarzen lîch, / dô wart er einem rîter glîch (lorsqu’il couvrit son corps noir, il était redevenu comme un chevalier ; vv. 3595-96). « comme un chevalier » et pas « chevalier » : En effet, cela lui prendra encore un peu de temps pour soigner son corps et guérir complètement afin de redevenir d’apparence extérieure un chevalier parfait. Son équilibre intérieur, par contre, ne sera rétabli qu’après avoir réparé le tort fait à son épouse.

Le passage est intéressant pour au moins deux aspects : l’opinion exprimée par Iwein par rapport au rêve ainsi que l’aspect philosophique et existentiel que représente la difficulté de pouvoir distinguer clairement rêve et vie réelle. Et ces deux aspects n’en font en fait qu’un : Si le songe est trompeur, la vie l’est pas moins en tant qu’épisode éphémère et vain par rapport à la « vraie vie », la vie éternelle.

III

La désapprobation du rêve comme une illusion trompeuse était évidemment très répandue dans la culture médiévale et dans le christianisme11. Hartmann l’exprime une nouvelle fois dans son roman d’Erec en rangeant la croyance aux rêves parmi d’autres superstitions :

deheines swachen gelouben er phlac.

er enwolde der wîbe liezen

entgelten noch geniezen.

swaz im getroumen mahte,

dar ûf enhete er dehein ahte.

er enwas kein wetersorgære12.

(Il [Erec] ne s’occupait pas de superstition. Les diseuses de bonne aventure le laissaient indifférent. Il passait outre de tout ce qu’il lui arrivait de rêver. Ce n’était pas un scrutateur du temps).

Konrad von Würzburg, dans son roman de Troie (Trojanerkrieg, env. 1281/87), juge, quant à lui, la croyance aux rêves indigne d’un chevalier ; ceci relèverait plutôt du ressort des vieilles femmes : An tröume sol ein altes wîp / gelouben unde ein ritter niht (c’est l’affaire d’une vieille femme et non d’un chevalier de se fier au rêve)13. Et ce sont également elles qui, selon le Stricker dans l’un de ses récits brefs écrits dans le deuxième quart du XIIIe s., interprètent les songes d’autrui14 et prédisent aux rêveurs, juste pour leur faire plaisir, un avenir radieux :

Welt ir grôze rîcheit

mit iwern troumen bejagen,

sô sult irs alten wîben sagen.

die sagent iu wærlîche

daz ir sælic unde rîche

werdet unde dar zuo alt15.

(Si vous voulez acquérir des richesses en rêvant, racontez vos songes aux vielles femmes. Elles vous prédiront sans faille que vous deviendrez heureux, riche et en plus vieux)

D’un autre côte, c’est la réalité, la vie même qui est vaine : velut somnium avolans, comme un songe qui s’envole avec le réveil, pour citer Job (20,8) ou comme l’exprime le Minnesänger et auteur de poèmes gnomiques Der Hardegger (milieu du XIIIe s.) par rapport au bien matériel dans l’extrait du ‘Sangspruch’ suivant :

son’ ist ez niht ein stæte lehen, was sol’z danne sîn ?

ez ist ein blik nach wane, als in dem troume ein suezer schin

und ist vil schiere en wek gevlogen16.

(Il [sc. le bien matériel] n’est donc pas un fief durable, mais qu’est-il alors ? Il est un coup d’œil vers la vanité, comme dans le rêve une douce illusion, et il s’envole en un instant)

La vanité du rêve devient donc une métaphore de la vanité de la vie mondaine et de sa matérialité. La conclusion à en tirer est souvent vite trouvée, comme dans un autre récit du Stricker17, dans lequel un voleur aveugle rêve, la nuit de son exécution, qu’il est un empereur puissant. Lorsqu’il se réveille, la dure réalité le rattrape: dô nam diu vröude ein ende (la joie prit fin, v. 27) Il est comparé, par le narrateur, à « l’aveugle voyant » (dem gesehendem blinden, v. 31) qu’est le pécheur qui mène sa vie aveuglément et qui sera surpris par une mort soudaine et puni par une damnation éternelle.

La méfiance qu’exprime Iwein vis-à-vis du bonheur vécu n’est donc guère étonnante. On la retrouve d’ailleurs assez souvent répétée, par exemple chez Freidank (1re moitié du XIIIe siècle) dans son recueil de proverbes et autres poèmes gnomiques Die Bescheidenheit : Swaz wir noch vröuden hân gesehen, / daz ist uns als ein troum geschehen18. (tout ce que nous avons pu voir de plaisirs, nous est arrivé comme dans un rêve). Ou encore dans le roman de Wigalois de Wirnt von Gravenberg (env. 1210/1225, inspiré par Le Bel Inconnu de Renaut de Beaujeu) : Le narrateur décrit les sentiments du protagoniste qui découvre depuis le sommet d’une montagne un magnifique paysage avec les mots suivants : Wie er in einem troume / wære, des bedûhte in sâ19 (Il avait l’impression de se trouver dans un rêve). On pourrait évidemment multiplier les exemples.

La frontière entre vie et rêve est donc perçue comme assez floue par les auteurs cités à tel point que l’on peut passablement douter de la réalité. Un bon nombre de récits drolatiques se servent de ce motif, faisant croire aux personnes dupées qu’elles ont tout rêvé. Prenons-en pour exemple un récit de Herrand von Wildonie (troisième quart du XIIIe siècle) présentant une femme adultère qui, surprise par son mari, réussit dans l’obscurité à se faire substituer par sa cousine qui se fait ainsi rosser et couper la chevelure à sa place : Le lendemain, l’épouse infidèle présente évidemment à son mari stupéfait son dos et sa coiffure intacts :

Si sprach : « ist schœn’ der rukke mîn,

sô mag ez iu wol getroumet sîn. »

Er sprach : « nû zeiget iuwer hâr. » –

« war umbe ? » – « dâ hân ich’z iu gar

Ab gesniten. » – « jâ ir helt !

und habt ir mich dar zuo erwelt,

Daz iu von mir troumen sol,

daz mînen êren stât niht wol ? »20

(Elle dit : « Si mon dos est aussi beau, c’est que vous avez tout rêvé. » Il répondit : « Montrez-moi donc votre chevelure. » – « Pourquoi ? » – « Je vous l’ai coupée entièrement. » – « A bon, mon héros ! M’avez-vous donc choisie pour ensuite rêver de choses qui blessent mon honneur ? »)

IV

Ist mir getroumet mîn leben ? La vie est-elle un songe ? Est-ce qu’on peut, est-ce qu’on doit douter de la réalité ? C’est en tout cas ce que font Iwein dans le roman de Hartmann ou encore Achille dans le Livre de Troie de Konrad von Würzburg déjà cité : ich wânde, swaz mir ist geschehen / daz wære mir getroumet gar (Je croyais avoir rêvé tout ce qui m’était arrivé)21. Ou encore Wigalois, dont l’auteur s’est fortement inspiré du roman d’Iwein en laissant son protagoniste confus qui se réveille d’un évanouissement suite à un combat contre un dragon (vv. 5791 ss.)22. Lui aussi est nu et ébouriffé comme Iwein. Et lui aussi ne réussit pas à marier ses souvenirs et son état actuel. Il est amené à croire que allez mîn leben ist ein troum (toute ma vie est un rêve, v. 5808). Même s’il se souvient de son identité passée jusque dans les moindres détails (sauf le combat contre le dragon) : en tant que rêve cela ne peut pas s’être produit dans la réalité et le rêveur ne peut donc être le Wigalois du rêve :

« waz touc diu rede ? si ist enwiht.

Gwîgâlois heize ich niht ;

ich bin et sus ein armman

und sol bûwen disen tan

als mîn vater hât getân. »

Sus hêt er verzwîvelt gar

daz sîner getæte iht wære wâr

od daz er ie würde rîch,

wan dem saz er ungelîch (vv. 5832-40).

(« A quoi me servent ces souvenirs ? Ils n’ont aucune importance. Je ne m’appelle pas Wigalois ; je suis en réalité un pauvre homme qui habite cette forêt comme l’avait déjà fait mon père. » C’est ainsi qu’il était complètement désespéré du fait qu’aucun de ses exploits n’ait été vrai et qu’il n’était jamais devenu riche, puisque cela était en contradiction avec sa situation actuelle.)

Une sacoche en fourrure que Wigalois trouve à côté de lui et qu’il reconnaît comme appartenant à sa dame bien-aimée ne le rassure finalement qu’à moitié, mais l’amène à une deuxième interprétation de la condition dans laquelle il se trouve :

« Owê » begunder schrîen

« daz ich ie wart geborn !

nu hân ich guot und sin verlorn ;

dar zuo lîd ich den gotes zorn » (vv. 5854-57).

(« Hélas » s’écria-t-il, « je n’aurais jamais dû naître ! J’ai perdu à présent mes biens et ma raison, et en plus je dois souffrir l’ire de Dieu. »)

Probablement sans rapport avec le Iwein, Walther von der Vogelweide (fin XIIe-premier tiers XIIIe s.), maître incontesté des Minnesänger et auteur écouté de poésie gnomique et politique, exprime la même idée de la vie rêvée à l’occasion d’une complainte poignante qui est connue sous le nom d’élégie de Walther von der Vogelweide23, même si la forme de ce poème ne correspond pas du tout à l’élégie de la littérature grecque et romaine.

Walther s’est servi d’une forme qui semble très proche des vers de la Chanson des Nibelungen et qui donne donc à ce poème, avec sa césure au milieu de chaque vers, un côté lourd, épique et pathétique24.

C’est un chanteur vieillissant qui se met en scène dans cette chanson composée de trois strophes, un chanteur s’étonnant de s’apercevoir que tout a changé quand il retourne dans le pays de son enfance après de nombreuses années passées ailleurs25. Des réminiscences nostalgiques du passé dans la première strophe, le chanteur passe, dans la deuxième, à l’état désastreux de la société actuelle, pour se donner une lueur d’espoir en lorgnant vers le futur dans la dernière partie.

C’est à la première strophe déjà que Walther fait intervenir le sujet de la vie rêvée26. Le chanteur qui se plaint de ne pas avoir vu passer les années (v. 1,1) se pose la question de savoir s’il a pu rêver sa vie ou si cela avait bel et bien été la réalité (ist mir mîn leben getroumet, oder ist ez wâr ? v. 1,2) : « Tout ce que je pensais que cela existait, existait-il réellement ? Si cela se peut, j’ai dormi à mon insu. Maintenant je me suis réveillé et tout ce que j’ai connu aussi bien que ma propre main m’est inconnu » (vv. 1,3-6). C’est plus ou moins la situation devant laquelle s’est déjà trouvé Iwein. Celui-ci s’était vu, en se réveillant, muté en paysan crasseux. Chez Walther, ce n’est pas seulement le chanteur qui se retrouve soudainement vieux et donc profondément transformé, mais les autres personnes aussi et même le paysage ont tellement changé que le passé lui paraît comme un mensonge (vv. 1,7-8). Pareil à Iwein, le chanteur a donc de la peine à se fier à son passé. Pour Walther aussi, le songe et donc la vie perçue comme un songe sont une illusion. Ses amis d’enfance sont devenus lents et vieux (v. 1,9), les champs qui étaient en friche sont maintenant cultivés et les forêts abattues (v. 1,10). Seul les cours d’eau n’ont pas changé, sinon son malheur aurait été parfait (vv. 1,11-12) – et c’est un paradoxe, puisque le cours d’eau est le symbole même du changement perpétuel ! En plus, les liens sociaux semblent rompus : même les amis d’antan ne saluent que nonchalamment le poète et le monde lui semble plein d’ingratitude (vv. 1,13-14). Il finit la première strophe par la plainte suivante : « Quand je pense aux jours heureux qui m’ont échappé comme un coup dans la mer : à toujours hélas ! » (vv. 1,15-17). Iwein déjà se sentait étranger à lui-même. Le même sentiment d’étrangeté prévaut également chez Walther, mais il s’étend à tout son environnement. Le beau rêve d’une jeunesse heureuse accentue encore la disparité entre le passé évoqué dans cette strophe et l’actualité qui se trouve au centre de la prochaine.

La personnalité du chanteur et sa relation avec un environnement devenu étrange et presque hostile se trouvaient au centre de la première strophe. Dans la deuxième, c’est justement cet environnement, social et politique, qui préoccupe le chanteur et provoque à nouveau une lamentation introduite une fois encore par l’exclamation owê. Il se plaint notamment de l’absence complète de la joie – terme central de la littérature courtoise ! Les jeunes gens qui auparavant avaient été imprégnés de sentiments joyeux, se comportent maintenant d’une manière pitoyable et ne sont préoccupés que par leurs soucis. Nulle part au monde on ne peut dorénavant trouver des personnes joyeuses. Les soucis ont remplacé la danse et le chant ; jamais encore, on a pu voir une société si misérable. La coiffure des dames : n’en parlons pas ! Les vaillants chevaliers, quant à eux, portent des habits de paysans (vv. 2,1-8)27. Dans la première strophe déjà, on pouvait sous-entendre une laudatio temporis acti qui tourne dans la deuxième strophe en une verte critique de la société actuelle et notamment de la société courtoise et chevaleresque qui ne mérite plus ce nom, tellement elle se trouve en pleine décadence. Mais la tristesse générale qui règne a une cause : les lettres pesantes venues de Rome qui avaient introduit le deuil et enlevé la joie (vv. 2,9-10). Les critiques hésitent pour situer le contexte historique de ces lettres papales28. Il pourrait s’agir de la bulle d’excommunication du pape Grégoire IX visant l’empereur Frédéric II qui, en 1227, avait annulé la croisade promise prétextant une maladie, ou alors des missives du prédécesseur de Grégoire IX, Honorius III, informant entre 1218 et 1221 les royaumes européens de la situation préoccupante en Palestine. Quoi qu’il en soit, le chanteur déplore l’effet de ces lettres qui l’obligent à verser des larmes au lieu d’être joyeux (vv. 2,11-12). Même les oiseaux semblent devenus tristes en entendant les complaintes (v. 2,13), et le chanteur se demande : « Est-ce bien étonnant si je désespère de tout-cela ? » (v. 2,14). Mais finalement, il se voit obligé de se corriger et d’atténuer, sous la forme d’une revocatio, ce qu’il vient d’exprimer : c’est sa colère qui l’a incité à s’emporter. En fait, celui qui suit les plaisirs mondains risque de perdre ceux de l’au-delà (vv. 2,15-17).

Et ce souci de l’au-delà, le souci du futur donc, se trouve au centre de la troisième strophe. La chanson tourne au sermon de la pénitence. Ce que le chanteur avait qualifié, dans la première strophe, de beau rêve de son passé à côté de la triste réalité de la société actuelle se révèle une nouvelle fois comme vaine illusion. Ce n’est pas seulement le songe qui est mensonge, mais le monde même qui est trompeur. « Ah, que nous sommes empoisonnés par la douceur des choses ! Je vois flotter la bile amère au milieu du miel : Le monde est, vu de l’extérieur, beau, blanc, vert et rouge, mais en dedans il est de couleur noire et ténébreux comme la mort » (vv. 3,1-4). Pour celui qui a été induit en tentation par ce monde, le chanteur apporte son lot de consolation (v. 3,5) : il suffit d’une bien petite pénitence pour être sauvé d’un grand péché (v. 3,6). Et cela concerne tout spécialement les chevaliers, à qui le chanteur s’adresse expressément au v. 3,7, les chevaliers armés de leurs heaumes luisants et de leurs cottes de mailles dures (v. 3,8), de leurs boucliers fermes et de leurs épées bénies (v. 3,9). Walther fait évidemment allusion soit à l’idée de chaque bon chrétien comme miles christianus, soit concrètement aux croisades qui ont toujours été présentées comme un moyen de se racheter et d’acquérir le salut de l’âme. En 1228, Frédéric II rassemble ses troupes pour se mettre une nouvelle fois en route pour la Palestine, et ceci malgré son excommunication qui peine à être révoquée. Walther aurait donc pu contribuer à l’appel à la croisade par sa chanson. De la complainte personnelle (strophe 1) et de l’analyse d’une société en crise (strophe 2), il est parvenu à la solution pour sortir de l’impasse (strophe 3) : une vie comme chevalier du Christ menant le combat pour la libération et la défense de la Terre sainte qui promet une récompense énorme pour celui qui participera aux combats victorieux (vv. 3,10-11). Ce ne sont évidemment ni des biens, ni de l’or que le chanteur espère obtenir (v. 3,12), mais la couronne du salut éternel qu’un soldat peut acquérir en combattant au moyen de sa lance (vv. 3,13-14) avec un effet secondaire non négligeable : le retour de la joie. En effet, le chanteur promet, pour le cas où il aurait la chance de pouvoir effectuer lui-même ce voyage outre-mer, de ne plus chanter que des chansons optimistes et de bien vouloir cesser de se lamenter (vv. 3,15-16), en contribuant ainsi au retour de la joie courtoise qui n’a donc sa place que dans une société en équilibre et en phase avec la volonté divine. Walther von der Vogelweide n’a probablement pas eu l’opportunité de participer à la croisade, exclu soit par son appartenance à une classe sociale jugée inférieure – il se qualifie de nôtic man, d’homme peu considérable au vers 3,11 – soit par son âge avancé : il mourra vers 1230.

V

Dans les deux cas étudiés plus profondément, nous avons pu observer une méfiance envers le songe perçu comme mensonge et vaine illusion. Dans les deux cas, il s’agissait en fait de la vie ou d’une étape de la vie qui était perçue comme un beau rêve trompeur, la vie actuelle se révélant désolante. Vie et rêve se confondent, ils sont mis sur la même échelle. Dans le cas d’Iwein, tout rentre dans l’ordre avec sa guérison. C’est finalement la période de folie qui se révèle comme une sorte de cauchemar ; le « beau rêve » d’avant la crise redevient la réalité et se poursuit avec les retrouvailles de l’épouse à la fin du roman.

Walther von der Vogelweide, en revanche, est plus conséquent : la vie mondaine reste une illusion, et il faut être sur ses gardes pour ne pas se laisser tromper par elle. La belle vie, les joies et les richesses de la cour n’ont une légitimation que si elles ne détournent pas du salut de l’âme et des devoirs chevaleresques et chrétiens. Il ne condamne donc nullement tout ce qui est mondain, comme le feront après lui d’autres auteurs. Dans la bouche du poète Bruder Wernher, auteur contemporain de Walther et peut-être participant de la croisade de 1228, le verdict est sans appel : un de ses « Sangsprüche » commence par un So we dir, welt, so we im, der dir volgen muoz !29 (Malheur à toi, monde, et malheur à celui qui te suit !). Le monde, d’après Wernher, est profondément infidèle et faux, il tient son adhérent en bride et le rend aveugle. Il ne donne pas de récompense : L’homme, né nu, le quitte presque aussi nu, couvert d’un seul linceul. Et ce n’est que logique, puisque : Din lon ist, als ein richer troum, / der nach dem slafe swindet30 (Ta récompense sera comme un riche rêve qui disparaît après le sommeil). La question d’Iwein et de Walther (« Ai-je rêvé ma vie ? ») semble même devenir, reformulée comme une affirmation, proverbiale au cours du XIIIe siècle, notamment dans des textes religieux condamnant la vie mondaine31. Hermann Damen, poète de chansons gnomiques (env. 1255-1307/09) formule donc ainsi : Irdisch leben daz ist ein troum (la vie mondaine est un songe), l’intégrant dans l’un de ses « Sangsprüche » spirituels et exhortant ses auditeurs à ne pas succomber à ce rêve, mais à bien vouloir rester éveillé pour mieux se préparer au voyage qu’attend l’âme32. Hugo von Langenstein, prêtre de l’ordre teutonique qui élargit sa légende de Sainte Martine (Martina) écrite en 1293 en une véritable doctrine chrétienne, considère la vie mondaine comme quelque chose qui n’appartient pas à l’homme, mais qui lui est donné par Dieu comme un fief inconstant qu’il peut perdre à tout moment. C’est pour cela que vnsir lebin ist ein trovn33 (notre vie est un songe). Le ton est donné et ne change finalement pas dans le plus vaste poème biblique allemand du XIIIe siècle, Der saelden hort, rédigé par un anonyme suisse vers 1300 : Dans une exhortation à la pénitence mise dans la bouche de saint Jean, mais inspirée par Mathieu (3,10), la hache qui est déjà prête à abattre l’arbre est évoquée :

es lit ain wol geslifen ags

bi des leptagen wurtzen.

du můst ze allen sturtzen ;

schier abhowen wirt der bom.

hin gat daz leben als ain trǒm34.

(Une hache bien aiguisée se trouve près des racines de la vie. Tu vas infailliblement tomber ; l’arbre sera bientôt coupé. La vie s’évanouit comme un songe).

L’image du rêve de la vie semble donc avoir été spécialement populaire dans la littérature allemande du XIIIe siècle et répandue dans le roman courtois comme dans la littérature moralisante et religieuse, avec des accents mis différemment selon le genre littéraire. Mais il fallut un Pedro Calderon de la Barca et un élan du memento mori bien plus répandu à l’époque baroque qu’au XIIIe siècle pour l’introduire dans la littérature universelle et l’ancrer dans la mémoire collective européenne.

Annexe

A. Hartmann von Aue, Iwein, vv. 3505-359635

3505 Dô er sich ûf gerihte

und sich selben ane blithe

und sich sô griulîchen sach,

wider sich selben er dô sprach

« bistûz Iwein, ode wer ?

3510 hân ich geslâfen unze her ?

wâfen, herre, wâfen !

sold ich dan iemer slâfen !

wand mir hât mîn troum gegeben

ein vil harte rîchez leben.

3515 ouwî waz ich êren pflac

die wîl ich slâfende lac !

mir hât getroumet michel tugent :

ich hete geburt unde jugent,

ich was schœne unde rîch

3520 und disem lîbe vil unglîch,

ich was hövesch unde wîs

und hân vil manegen herten prîs

ze rîterschefte bejaget,

hât mir mîn troum niht missesaget.

3525 ich bejagte swes ich gerte

mit sper und mit swerte :

mir ervaht mîn eines hant

ein vrouwen und ein rîchez lant ;

wan daz ich ir doch pflac,

3530 sô mir nû troumte, unmanegen tac,

unz mich der künec Artûs

von ir vuorte ze hûs.

mîn geselle was her Gâwein,

als mir in mînem troume schein.

3535 sî gap mir urloup ein jâr

(dazn ist allez niht wâr) :

do beleip ich langer âne nôt,

unz sî mir ir hulde widerbôt :

der was ich ungerne âne.

3540 in allem disem wâne

sô bin ich erwachet.

mich hete mîn troum gemachet

zeinem rîchen herren.

nu waz möhte mir gewerren,

3545 wær ich in disen êren tôt ?

er hât mich geffet âne nôt.

swer sich an troume kêret,

der ist wol gunêret.

Troum, wie wunderlich dû bist !

3550 dû machest rîche in kurzer vrist

einen alsô swachen man

der nie nâch êren muot gewan :

swenner danne erwachet,

sô hâstû in gemachet

3555 zeinem tôren als ich.

zewâre doch versihe ich mich,

swie rûch ich ein gebûre sî,

und wær ich rîterschefte bî,

wær ich gewâfent unde geriten,

3560 ich kunde nâch rîterlîchen siten

alsô wol gebâren

als die ie rîter wâren. »

Alsus was er sîn selbes gast,

daz im des sinnes gebrast :

3565 und ob er ie rîter wart

und alle sîn umbevart

die heter in dem mære

als ez im getroumet wære.

er sprach « mich hât gelêret

3570 mîn troum : des bin ich gêret,

mac ich ze harnasche komen.

der troum hât mir mîn reht benomen :

swie gar ich ein gebûre bin,

ez turnieret al mîn sin.

3575 mîn herze ist mînem lîbe unglîch :

mîn lîp ist arm, daz herze rîch.

ist mir getroumet mîn leben ?

ode wer hât mich her gegeben

sô rehte ungetânen ?

3580 ich möhte mich wol ânen

rîterlîches muotes :

libes unde guotes

der gebristet mir beider. »

als er diu vrischen cleider

3585 einhalp bî im ligen sach,

des wundert in, unde sprach

« diz sint cleider der ich gnuoc

in mînem troume dicke truoc.

ichn sihe hie niemen des sî sîn :

3590 ich bedarf ir wol : nû sîn ouch mîn.

nû waz ob disiu sam tuont ?

sît daz mir ê sô wol stuont

in mînem troume rîch gewant. »

alsus cleiter sich zehant.

3595 als er bedahte die swarzen lîch,

dô wart er einem rîter glîch.

[3505] Als er sich aufrichtete und sich selbst erblickte und sich so greulich sah, da sprach er zu sich selbst : « Bist du es, Iwein, oder wer sonst ? Habe ich geschlafen bis jetzt ? Ach, mein Gott, ach, könnte ich dann immer weiterschlafen ! Denn mein Traum hat mir ein ganz köstliches Leben geschenkt. O weh, welche Ehren ich genoß, solang ich im Schlafe lag ! Mir hat große Herrlichkeit geträumt : ich war adlig und jung, ich war schön und reich und ganz anders als dieses Wesen. Ich war höfisch und klug und habe manchen schweren Preis im Rittertum gewonnen, wenn mein Traum mir nicht lügt. Ich erlangte, was ich begehrte, mit Speer und Schwert : ich erkämpfte mir allein, mit eigener Hand, eine Frau und ein reiches Land. Nur war ich, wie mir nun träumte, nicht viele Tage bei ihr, bis mich der König Artus von ihr fort an seinen Hof führte. Mein Freund war Herr Gawein, wie mir in meinem Traum schien. Sie gab mir Urlaub für ein Jahr (all das ist nicht wahr), da blieb ich, ohne Not, länger aus, bis sie mir ihre Huld aufsagte. Die verlor ich ungern. Aus all diesem Wahn bin ich erwacht. Mein Traum hatte mich zu einem mächtigen Herrn gemacht. Was könnte es mir ausmachen, in solchen Ehren den Tod zu finden ? Er hat mich ohne Not zum Narren gehalten. Wer sich an Träume hält, verliert leicht seine Ehre.

[3548] Traum, wie seltsam bist du. In einem Augenblick machst du reich einen so geringen Mann, dem nie in den Sinn gekommen, nach Ehren zu streben : wenn er dann erwacht, so hast du ihn zu einem Narren gemacht wie eben mich. Aber dennoch glaube ich, ein so struppiger Bauer ich auch bin, wäre ich an Ritterschaft beteiligt, wäre ich bewaffnet und beritten, ich wüßte mich nach ritterlicher Art so gut zu benehmen wie die, die immer Ritter waren. »

[3563] So war er sich selbst entfremdet, daß er sich nicht verstand ; und daß er je Ritter war und alle seine Fahrten unternommen, davon meinte er, er habe es geträumt. Er sagte : « Mich hat mein Traum belehrt : darum werde ich Ehre gewinnen, wenn ich zu einem Harnisch kommen kann. Der Traum hat mich aus meiner Ordnung gebracht : wenn ich auch durchaus ein Bauer bin, so ist mein ganzer Sinn beim Turnieren. Mein Herz ist ganz anders als mein Leib : mein Leib ist arm, das Herz reich. Habe ich mein Leben geträumt ? Oder wer hat mich in solcher Häßlichkeit hiehergelegt ? Ich werde wohl auf ritterlichen Sinn verzichten müssen : es fehlt mir an beidem, am Leib und am Gut. » Als er die neuen Kleider neben sich liegen sah, wunderte er sich und sagte : « Das sind Kleider, wie ich sie viele in meinem Traum getragen. Ich sehe hier niemanden, dem sie sein könnten : ich brauche sie sehr, so mögen sie mir gehören. Nun, wenn sie mir ebenso passen ? Denn mir stand früher, in meinem Traum, reiches Gewand so gut. » Also zog er sich sogleich an. Als er seinen schwarzen Körper bedeckt hatte, da war er wieder wie ein Ritter.

B. Walther von der Vogelweide, Owê war sint verswunden alliu mîniu jâr36

1 Owê war sint verswunden alliu mîniu jâr !

ist mir mîn leben getroumet, oder ist ez wâr ?

daz ich ie wânde, daz iht wære, was daz iht ?

dar nâch hân ich geslâfen und enweiz es niht.

5 nû bin ich erwachet und ist mir unbekant,

daz mir hie vor was kündic als mîn ander hant.

liute unde lant, danne ich von kinde bin gezogen,

die sint mir worden frömde, als ob ez sî gelogen.

die mîne gespilen wâren, die sint træge und alt.

10 bereitet ist daz velt, verhouwen ist der walt.

wan daz daz wazzer fliuzet als ez wîlent flôz,

für wâr, ich wânde, mîn ungelücke wurde grôz.

mich grüezet maniger trâge, der mich bekande ê wol,

diu welt ist allenthalben ungenaden vol.

15 als ich gedenke an manigen wunneclîchen tac,

die mir sint enphallen als in daz mer einslac,

iemer mêre ouwê !

2 Owê, wie jæmerlîche junge liute tuont !

den ê vil wünneclîchen ir gemüete stuont !

die kunnen niuwan sorgen, ouwê, wie tuont si sô ?

swar ich zer werlte kêre, dâ ist nieman frô :

5 tanzen unde singen zergât mit sorgen gar,

nie kristen man gesach sô jæmerlîche schar.

nû merkent, wie den frouwen ir gebende stât,

die stolzen ritter tragent dörpellîche wât.

uns sint unsenfte briefe her von Rôme komen,

10 uns ist erloubet trûren und fröide gar benomen.

daz müet mich inneclîchen – wir lebten ie vil wol – ,

daz ich nû für mîn lachen weinen kiesen sol.

die wilden vogellîn betrüebet unser klage,

waz wunders ist es denne, ob ich dâ von verzage ?

15 waz spriche ich tumber man durch mînen bœsen zorn ?

swer dirre wunne volget, der hât jene dort verlorn,

iemer mêr ouwê !

3 Owê wie uns mit süezen dingen ist vergeben !

ich sihe die bittern gallen in dem honige sweben :

die werlt ist ûzen schœne, wîz, grüen unde rôt,

und innen swarzer varwe, vinster sam der tôt.

5 swen si nû verleitet habe, der schouwe sînen trôst :

er wird mit swacher buoze grôzer sünde erlôst.

dar an gedenkent, ritter ; ez ist iuwer dinc !

ir tragent die liehten helme und manigen herten rinc,

dar zuo die vesten schilte und die gewîhten swert.

10 wolte got, wær ich der sigenünfte wert,

sô wolte ich nôtic man verdienen rîchen solt.

joch meine ich niht die huoben noch der hêrren golt,

ich wolte sælden krône êweclîchen tragen,

die mohte ein soldenær mit sînem sper bejagen.

15 möhte ich die lieben reise gevarn über sê,

sô wolte ich denne singen wol und niemer mêr ouwê !

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1 Emil Benezé, Das Traummotiv in der mittelhochdeutschen Dichtung bis 1250 und in alten deutschen Volksliedern, Halle a. S., Max Niemeyer, 1897 (Sagenund Litterar-historische Untersuchungen; 1); Wilhelm Schmitz, Traum und Vision in der erzählenden Dichtung des deutschen Mittelalters, Münster in Westfalen, Aschendorfer Buchdruckerei, 1934; Klaus Speckenbach, «Von den troimen. Ueber den Traum in Theorie und Dichtung», in: Sagen mit Sinne. Festschrift für Marie-Louise Dittrich zum 65. Geburtstag, herausgegeben von Helmut Rücker und Karl Otto Seidel, Göppingen, Kümmerle, 1976 (Göppinger Arbeiten zur Germanistik; 180), pp. 169-204; Fischer, Steven R., The Dream in the Middle High German Epic. Introduction to the Study of the Dream as a Literary Device to the Younger Contemporaries of Gottfried and Wolfram, Bern, Frankfurt a. M. etc., Peter Lang, 1978 (Australian and New Zealand Studies in German Language and Literature; 10); Guntram Haag, Traum und Traumdeutung in mittelhochdeutscher Literatur. Theoretische Grundlagen und Fallstudien, Stuttgart, Hirzel, 2003.

2 Une liste évidemment non exhaustive de ces rêves est à établir à partir des études de Benezé, op. cit. et Schmitz, op. cit. et Fischer, op. cit.

3 C’est en tout cas ce qui ressortit de la discussion animée à l’issue de notre intervention à Lausanne. Une recherche dans le Thesaurus proverbiorum medii aevi relève quatre références pour l’Allemagne (toutes du XIIIe s. !), contre une pour l’Espagne (XIIIe s.), une pour l’Angleterre (XVe s.) et une pour les Pays-Bas (XVe s.), mais aucune pour la France et l’Italie. Cf. Thesaurus proverbiorum medii aevi. Lexikon der Sprichwörter des romanisch-germanischen Mittelalters, begründet von Samuel Singer, herausgegeben vom Kuratorium Singer der Schweizerischen Akademie der Geistesund Sozialwissenschaften, vol. 7, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1998, p. 300, 1.1.2.2. Das Leben ist wie ein Traum.

4 Benezé, Emil, op. cit.

5 Wolfgang Spiewok, avec la collaboration de Danielle Buschinger, Histoire de la littérature allemande du Moyen Age, Paris, Nathan (fac. littérature), 1992, pp. 119-122.

6 Cf., entre autres, Alois Wolf, « Erzählkunst und verborgener Schriftsinn. Zur Diskussion um Chrétiens Ywain und Hartmanns Iwein, Sprachkunst 2, 1971, pp. 1-42 ; Danielle Buschinger, « Hartmann von Aue, adaptateur du Chevalier au lion de Chrétien de Troyes », in : Littérature et société au Moyen Age. Actes du colloque des 5 et 6 mai 1978, Paris, 1978, pp. 371-391 ; Ojars Kratins, The Dream of Chivalry. A study of Chrétien de Troyes’s ‘Yvain’ and Hartmann von Aue’s ‘Iwein’, Washington, University Press of America, 1982.

7 Cf. annexe A. Une traduction en français du roman d’Iwein ne semble malheureusement toujours pas disponible. Nous joignons donc, avec l’aimable permission de la maison d’édition, au texte médiéval la traduction en allemand moderne de Max Wehrli. Hartmann von Aue, Iwein. Aus dem Mittelhochdeutschen übersetzt, mit Anmerkungen und einem Nachwort von Max Wehrli, Zürich, ©Manesse, 1988. Les traductions françaises qui suivent les citations dans le texte suivant, sont de l’auteur du présent article.

8 Kristian von Troyes, Yvain (Der Löwenritter), Textausgabe mit Variantenauswahl, Einleitung, erklärenden Anmerkungen und vollständigem Glossar herausgegeben von Wendelin Förster, vierte verbesserte und vermehrte Auflage, Halle, Max Niemeyer, 1912 (Romanische Bibliothek, V), vv. 3020-3023.

9 Cf. Benezé, op. cit. pp. 7-9 ; Max Wehrli, « Iweins Erwachen », in : Geschichte, Deutung, Kritik, herausgegeben von Maria Bindschedler und Paul Zinsli, Bern, Francke, 1969 ; Fischer, op. cit., pp. 102-108.

10 L’aspect de l’identité dans le roman courtois allemand autour de 1200 est abordé par Anette Sosna, Fiktionale Identität im höfischen Roman um 1200. Erec, Iwein, Parzival, Tristan, Stuttgart, S. Hirzel, 2003.

11 Cf. Steven F. Kruger, Dreaming in the Middle Ages, Cambridge, University Press, 1992 (Cambridge Studies in Medieval Literature ; 14), pp. 83-85 ; Wilhelm Busse, « Träume sind Schäume », in : Traum und Träumen. Inhalt, Darstellung, Funktion einer Lebenserfahrung in Mittelalter und Renaissance, herausgegeben von Rudolf Hiestand, Düsseldorf, Droste, 1994 (Studia humaniora ; 24), pp. 43-65 ; Thesaurus proverbiorum medii aevi, op. cit., vol. 11, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2001, 1.2-1.5. et 2.1.-2.2.

12 Hartmann von Aue, Erec, mittelhochdeutscher Texte und Uebertragung von Thomas Cramer, Frankfurt a. M., Fischer Taschenbuch Verlag, 1972, vv. 8123-8128. L’assimilation de la croyance aux rêves à la divination émane de la tradition biblique (p. ex. ecclesiasticus 34,5) et se trouve souvent évoqué dans des textes médiévaux comme chez Isidore de Séville (Somnia similia sunt auguriis, et qui ea intendunt, revera augurari noscuntur (Sententiae, PL 83, col. 670) ou – contemporain de Hartmann – chez Thomas de Froidmont : Somnia similia sunt auguriis, et qui ea observant, augurari noscuntur. Ergo somniis fides non est adhibenda, quamvis videantur esse vera. Qui in somniis vel auguriis spem suam ponit, non confidit in Deo ; et talis est qualis ille qui ventum sequitur, aut umbram apprehendere nititur. Auguria mendacia, et somnia deceptoria, utraque vana sunt. Non debemus credere somniis, ne forte decipiamur in illis (Liber de modo bene vivendi, PL 184, col. 1301) ; cf. Ute Reichel, Astrologie, Sortilegium, Traumdeutung. Formen von Weissagung im Mittelalter, Bochum, Brockmeyer, 1991 (Bochumer historische Studien, Mittelalterliche Geschichte ; 10).

13 C’est Troilus qui fait cette remarque. Der Trojanische Krieg des Konrad von Würzburg, nach den Vorarbeiten K. Frommanns u. F. Roths zum ersten Mal herausgegeben von Adalbert von Keller, Stuttgart, H. Laupp, 1858 (Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart ; XLIV), vv. 19184-19185.

14 Il s’agit-là d’un topos bien répandu, comme le démontre p. ex. son utilisation par Geoffrey Chaucer dans son roman d’amour Troilus and Criseyde: Wel worthe of dremes ay thise olde wives (The Riverside Chaucer, general ed. Larry D. Benson, 3rd ed., Oxford, New York etc., Oxford University Press 1988, v. 379). Chaucer, ou plutôt son personnage Pandarus, associe, comme Hartmann, interpretation du rêve et divination, et il déplore sa croyance par un homme : And treweliche ek augurye of thise fowles, / For fere of which men wenen lese here lyves / As revenes qualm, or shryching of thise owles. / To trowen on it bothe fals and foul is. / Allas, allas, so noble creature / As is a man shal dreden swich ordure ! (ibid., vv. 380-385).

15 Kleinere Gedichte von dem Stricker, herausgegeben von Karl August Hahn, Quedlinburg und Leipzig, Gottfried Basse, 1839 (Bibliothek der gesammten deutschen National-Literatur von der ältesten bis auf die neuere Zeit ; 18), texte III, vv. 150-155.

16 Minnesinger. Deutsche Liederdichter des zwölften, dreizehnten und vierzehnten Jahrhunderts (…), herausgegeben von Friedrich Heinrich von der Hagen. 3 vols., Leipzig, Johann Ambros Barth, 1838, texte 95,4, vv. 5-7.

17 Ed. Hahn, op. cit., texte VIII.

18 Fridankes Bescheidenheit, herausgegeben von H. E. Bezzenberger, Reprint de l’édition 1872, Aalen, Otto Zeller, 1962, texte 128, 10-11.

19 Wigalois der Ritter mit dem Rade von Wirnt von Gravenberg, herausgegeben von J. M. N. Kapteyn, 2 vols, Bonn, Fritz Klopp, 1926, vv. 640-641.

20 Herrand von Wildonie, Der verkehrte Wirth, in : Gesammtabenteuer. Hundert altdeutsche Erzählungen (…), herausgegeben von Friedrich Heinrich von der Hagen, vol. 2, Stuttgart et Tübingen, J. G. Cotta, 1850, texte 43 (pp. 333-347), vv. 303-310.

21 Der Trojanische Krieg, op. cit., vv. 14184-14185.

22 Wigalois der Ritter mit dem Rade, op. cit., vv. 5791 ss.

23 Berndt Volkmann, ôwê war sint verswunden. Die « Elegie » Walthers von der Vogelweide. Untersuchungen, kritischer Text, Kommentar, Göppingen, Kümmerle, 1987 (Göppinger Arbeiten zur Germanistik ; 483), spécialement pp. 255-272 (Exkurs I, Taum und Schlaf).

24 Cf. Gisela Kornrumpf, « Walthers Elegie. Strophenbau und Ueberlieferungskontext », in : Walther von der Vogelweide. Hamburger Kolloquium zum 65. Geburtstag von Karl-Heinz Borck, herausgegeben von Jan-Dirk Müller und Franz Josef Worstbrock, Stuttgart, Hirzel, 1989, pp. 147-158.

25 D’après Volkmann, op. cit., pp. 270-272, il s’agirait plutôt d’un réveil après un rêve de la vie d’antan, qui serait à l’origine des réflexions poétiques du chanteur.

26 Là-aussi, une traduction en français n’existe apparemment pas. Nous donnons, en annexe B, le texte d’après l’édition suivante : Walther von der Vogelweide, Werke, Gesamtausgabe, vol 2 : Liedlyrik, Mittelhochdeutsch / Neuhochdeutsch, herausgegeben, übersetzt und kommentiert von Günther Schweikle, Stuttgart, Philipp Reclam jun., 1998. Traductions françaises dans l’article : René Wetzel.

27 Lu depuis la fin de la chanson, il pourrait s’agir soit d’habits de pénitence soit de l’habit du chevalier du Christ prôné par Bernard de Clairvaux (De laude novae militiae, PL CLXXXII, 921-940).

28 Cf. Volkmann, op. cit., pp. 363-411.

29 Minnesinger, op. cit., texte 117, V, 1, v. 1.

30 Ibid., vv. 7-8.

31 Cf. note 3 avec les références du Thesaurus proverbiorum medii aevi.

32 Irdisch leben daz ist ein troum,

wir sölen wachen balde

und reiten uns gegen der sêle vart :

diz leben ist unreine.

Hermann der Damen, Der stürzende Baum, in : Mittelalter. Texte und Zeugnisse, herausgegeben von Helmut de Boor, vol. 1, München, C. H. Beck, 1965 (Die deutsche Literatur vom Mittelalter bis zum 20. Jahrhundert ; 1), p. 561, vv. 5-8.

33 Hugo von Langenstein, Martina, herausgegeben von Adelbert von Keller, Stuttgart, H. Laupp, 1856 (Bibliothek des Litterarischen Vereins in Stuttgart ; XXXVIII), Reprint, Hildesheim, New York, Georg Olms, 1978, vv. 123,55.

34 Der Saelden hort, Alemannisches Gedicht vom Leben Jesu, Johannes des Täufers und der Magdalena, aus der Karlsruher Handschrift herausgegeben von Heinrich Andrian, Berlin, Weidmannsche Buchhandlung, 1927 (Deutsche Texte des Mittelalter, XXVI), vv. 3526-3530.

35 Hartmann von Aue, Iwein. Aus dem Mittelhochdeutschen übersetzt, mit Anmerkungen und einem Nachwort von Max Wehrli, Zürich, © Manesse, 1988.

36 Walther von der Vogelweide, Werke, Gesamtausgabe, vol 2 : Liedlyrik, Mittelhochdeutsch / Neuhochdeutsch, herausgegeben, übersetzt und kommentiert von Günther Schweikle, Stuttgart, Philipp Reclam jun., 1998. pp. 450-455.