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Songes de la littérature épique et romanesque en ancien français

Aspects de la narration

Jean-Daniel GOLLUT

Lausanne

Rien de mieux partagé, dans la vie des hommes, que la capacité de rêver ; l’expérience du rêve est un fait anthropologique universel. Mais les conceptions relatives au vécu onirique varient considérablement selon les époques et les cultures. Le rêve s’inscrit dans une histoire qui fait évoluer aussi bien ses conditions phénoménologiques que son statut sémiologique et ses modes de représentation :

(1) […] Nous ne dormons pas aux mêmes heures, dans le même milieu, dans une même aura physiologique (de climat, de nourriture, de sexualité) que, par exemple un grec de l’Antiquité, un paysan du Moyen Age, ou qu’un indigène des îles de Java. Nos rêves, ou pour être plus précis, bon nombre de nos rêves, varieront en fonction de ces facteurs. Les songes décrits par les scribes royaux de l’Egypte ancienne ou de la Bible, par Plutarque ou les allégoristes médiévaux sont aussi différents les uns des autres que ceux qu’ont relevés sur le terrain les anthropologues ou les ethnologues. Ils diffèrent aussi, d’une manière frappante, de ceux qui font autorité dans la littérature psychanalytique. […] En psychanalyse, les rêves ne s’alimentent pas de prophéties mais de souvenirs, le vecteur sémiologique est tourné non pas vers le futur, mais vers le passé. La dynamique de leur opacité n’est pas celle de l’inconnu, mais du refoulé. […] Le récit du rêve, qui constitue notre seul document, sera soumis exactement aux mêmes contraintes et aux mêmes déterminations historiques pour ce qui est du style, des conventions narratives, de l’idiome, de la syntaxe, des connotations, que n’importe quel acte de langage caractéristique d’une langue, d’une époque historique et d’un milieu particuliers. Les rêves, pas moins que les langues des hommes, ont connu l’éclatement de Babel.1

Dans cet ensemble de données variationnelles, le linguiste que je suis tendra naturellement à privilégier la question de la narration, l’étude de la production verbale chargée de saisir et de communiquer l’expérience onirique. Ce sont donc les aspects formels de la représentation discursive du songe qui font l’objet des remarques qui vont suivre. Au tropisme du linguiste s’ajoute le point de vue du moderniste : mes précédentes recherches sur le traitement narratif des rêves ont porté essentiellement sur des textes de l’époque moderne ; aussi est-ce orienté par ces habitudes de lecture que j’examine ici un lot de songes médiévaux issus de la littérature des XIIe et XIIIe siècles2.

*

Dans le cadre de l’approche indiquée ci-dessus, le premier constat qui s’impose, c’est que la représentation du rêve médiéval ne se signale pas par une problématisation de la narration. La description que j’ai faite ailleurs du récit de rêve moderne3 a pu porter essentiellement sur les aspects d’un discours profondément marqué par les difficultés inhérentes au compte rendu de l’expérience onirique. La narration moderne ne cesse en effet de signaler ses limites, ses insuffisances, ses déboires, que ce soit au nom d’une radicale inadéquation entre la nature de la pensée onirique et les structures du langage dans lequel on tente de la reverser ; que ce soit au motif des résistances psychiques qui font en sorte d’empêcher la mise au jour d’un vécu particulièrement personnel et intime. Rien de tel dans le récit de rêve médiéval (je parle de son expression littéraire dans le corpus indiqué) : ici, la matière onirique n’offre apparemment aucune résistance à la saisie narrative ; le rêve se laisse représenter et communiquer sans difficultés particulières.

Cela ne veut pas dire que le songe soit tenu pour un phénomène banal, ordinaire. Il s’agit bien d’un événement doté d’une nature spéciale, d’une expérience hors du commun. Topiquement, le songe est qualifié de merveilleux, c’est-à-dire qu’il possède une étrangeté foncière, propre à susciter un étonnement profond :

(2) Nayme, [ce] dit le roy, je vous veul racompter

Ung songe merveilleux que j’ai annuit songer

(Galien le Restoré, 1447-48, rêve de Charles)4

(3) Un songe mervellous a songié ma roïne

Qu’il avoit […]

(Roman d’Alexandre, 7307-08, rêve de la reine des Amazones)

(4) Une advision lui avint assés merveilleuse et diverse

(Erec en prose, Chap. 334, rêve d’Erec)

Ce merveilleux médiéval n’a évidemment rien de lénifiant. L’expérience onirique et son évocation entraînent des affects puissants, le plus souvent dysphoriques, accompagnés de toute une symptomatologie physique :

(5) Anuit sonjai un songe qui me fait esmaier

(Renaut de Montauban, 6669, rêve de Clarisse)

(6) Molt fu lassee et traveillie

C’un songe avoit songié estrange

Dont tos li cuers li mue et cange

Et li cors li tramble et fremist.

(Guillaume de Palerne, 3992 sq., premier rêve de Mélior)

(7) Une avision veuë avoit

Dont tos li cors li tressuoit.

(Guillaume de Palerne, 5179 sq., rêve de Mélior)

Mais si la vision onirique est taxée d’extraordinaire, si le trouble qu’elle engendre est déclaré profond, il faut bien constater que la narration elle-même s’en trouve peu affectée et que les ressources de l’expression verbale ne sont pas menacées. De fait, les seuls frais discursifs concrets entraînés par le « merveilleux » du songe semblent pouvoir se régler par un fréquent recours à l’hyperbole :

(8) Uns sarpens en issoit d’orgelleuse nature,

Onques hom ne vit autre de la sieue figure

(Roman d’Alexandre, 258 sq., rêve d’Alexandre enfant)

(9) S’aparissoit une semblance,

Mais ains ne vit nus hom mix faite

Ne entaillie ne portraite,

Si coloree ne si bele

(Guillaume de Palerne, 1124 sq., rêve de Guillaume)

(10) Enuit sonjai un songe si pesant,

N’oï mais tel nus hon qi soit vivant

(Roland, ms. de Chateauroux, 6636 sq., rêve d’Aude)

L’hyperbole témoigne sans doute du caractère prodigieux de certaines manifestations rêvées, mais elle n’est en rien une mise en cause ou une capitulation du langage ; elle permet plutôt de reculer les limites du concevable et donc du dicible. Mais l’indice le plus manifeste de la non-problématisation de l’opération narrative, c’est que le rêve peut être indifféremment rendu à travers un récit de type auctorial (fourni directement – sur le vif – par une instance omnisciente), ou à travers le témoignage personnel du rêveur. Indifféremment, c’est-à-dire sans conséquences notables sur la représentation, comme si le rêve avait une existence, une consistance inaltérable, insensible aux modalités de sa saisie. Dans la centaine de songes soumis à l’observation, on trouve une proportion d’environ deux tiers un tiers entre récits en troisième personne et récits en première personne, ce qui signifie déjà que la littérature médiévale ne privilégie pas le régime de la narration personnelle et qu’elle ne met pas d’enjeu énonciatif particulier sur la dimension rétrospective et subjective de la représentation.

D’ailleurs, on peut observer de nombreux cas où les deux modes de narration apparaissent parfaitement interchangeables. Après un récit auctorial qui fait connaître le rêve du personnage, il est en effet fréquent que le rêveur communique son rêve à autrui afin d’en obtenir l’interprétation. Or, ce deuxième récit passe pour parfaitement conforme au premier, si bien que – sauf exception notable sur laquelle nous nous arrêterons plus loin – il n’a pas à être reproduit. Voici quelques illustrations de ce redoublement narratif implicite faisant suivre, généralement à peu de distance, un premier récit auctorial du rêve et la mention de sa réexposition par le personnage rêveur :

(11) Vit une avision dont moult fu effreez.

Ce li estoit avis que sur un mont seoit,

[…]

Quant Rou leva au main ses prisons apela

Et de toutes ses nes ses compaingnons manda :

Quant furent assemblez son songe lor conta,

Tout en ordre lor dist si comme il le sonja

(Roman de Brut, 234 sq., 250 sq., rêve de Rou)

(12) Forment sonja li rois en son dormant.

Ce fut avis l’enperere puisant

Que […]

Il a mendé .I. mestre molt sachant,

Trestot le conte, ne li ceile noiant,

Com il sonja le songe en son dormant

(Girart de Vienne, 4767 sq., 4794 sq., rêve de Charlemagne)

(13) Quant il fu endormiz, si li fu avis que devant lui venoit uns hons toz avironnez d’estoiles ; et avoit en sa compaignie set rois et deus chevaliers […]

« Sire, fet Lancelot, il m’avint anuit en mon dormant que devant moi venoit uns hons toz avironnez d’estoiles, et avoit en sa compaignie set rois et deus chevaliers. » Lors li conte tout mot a mot einsi com il l’avoit veue.

(La Queste del S. Graal, éd. Pauphilet, pp. 130, 134, rêve de Lancelot)

Comme on le voit, l’annonce de l’acte de narration du rêveur s’accompagne de formules (« tout en ordre », « tout mot à mot », « comme il le sonja », etc.) qui attestent d’une restitution en tous points fidèle au récit précédent. L’extrait (13) offre d’ailleurs la possibilité d’une vérification sur pièce, puisqu’il contient un début de discours rapporté qui laisse entrevoir la rigoureuse identité des deux versions. Un épisode de La Queste del S. Graal permet aussi, indirectement, de constater la conformité des récits, car on y trouve d’une part, la narration auctoriale d’un rêve de Gauvain :

(14) […] si li fu avis qu’il ert en un pré plein d’erbe vert, et de flors i avoit plenté. En cel pré avoit un rastelier ou il menjoient cent et cinquante toriaus. Li torel estoient orgueillex et tuit vairié ne mes troi. De ces trois n’estoit li uns ne bien tachiez ne bien sanz tache ; ainz i avoit signe de tache ; et li autre erent si blanc et si bel qu’il ne pocient plus estre. Cil trois torel erent lié par les cox de jox forz et tenanz. Li torel disoient tuit : « Alons de ci querre meillor pasture que ceste n’est. » Li torel s’em partoient a tant et s’en aloient par mi la lande, ne mie par mi le pré, et demoroient trop lonc tens. Et quant il revenoient, si en failloient li plusor. Et cil qui revenoient erent si megre et si las qu’a peines se pooient il tenir en estant. Des trois sanz tache revenoit li uns et li autre dui remanoient. Et quant il estoient venu au rastelier, si montoit entr’ax un tel estrif que la viande lor failloit et les convenoit departir li un ça et li autre la.

(La Queste del S. Graal, éd. Pauphilet, p. 149)

D’autre part, quelques pages plus loin, la glose interprétative qu’un ermite développe, censément sur la base d’un récit fait par Gauvain lui-même. Les données du rêve y sont rappelées point par point avant d’être expliquées. On peut donc vérifier, par ce biais, la correspondance littérale des énoncés :

(15) « Quant je me fui endormiz, si m’avint une avision merveilleuse. » Lors li conte quele, et quant il li a tot conté […], si respont li preudons a monseignor Gauvain :

« Or, biau sire, ou pré que vos veistes avoit un ratelier. Par le ratelier devons nos entendre […].

Au rastelier menjoient cent et cinquante torel. Li torel estoient orgueilleux et tuit vairié ne mes troi. Par les toriaux doiz tu entendre […]. Des toriax i avoit trois qui n’estoient mie tachié, ce est a dire […].

Li tiez ou il avoit eu signe de tache, ce est […]. Li troi torel estoient lié par les cox, ce sont […]. Li torel disoient : « Alons quierre meillor pasture que ceste n’est. » […] Il se partirent de cort et alerent par mi la lande, ne mie par mi le pré. […] Quant il revenoient, si en failoient li plusor, ce est a dire […]. Et cil qui reperoient estoient si megre et si las qu’a peine se pooient il tenir en estant ; ce est a dire […].

Des trois sanz tache revenra li uns et li autre dui remaindront, ce est a dire […].

La darreaine parole de vostre songe, fet il, ne vos dirai je pas, car ce seroit une chose dont ja preu ne vendroit, et si vos en porroit len mauvesement destorner. »

(Op. cit., p. 157)

Si les contenus du songe de Gauvain sont ici réexposés, en faisant double emploi avec le récit auctorial, c’est probablement pour que les données oniriques, à une dizaine de pages de distance, soient à nouveau présentes à l’esprit du lecteur (ou de l’auditeur) au moment où se fait l’interprétation. L’équivalence entre les récits en troisième personne et en première personne, – et donc l’idée d’une certaine « transparence » de l’opération de narration – paraît donc bien être un présupposé de la conception médiévale du récit de rêve.

Il se trouve cependant un cas où cette adéquation ne se vérifie pas. Il s’agit du rêve d’Elioxe dans La Naissance du chevalier au cygne. Le dispositif est exceptionnel, car sont exposées coup sur coup les deux modalités de narration du rêve, et la confrontation des deux passages, justement, réserve une surprise. Le texte appartient au cycle épique de la Première Croisade. C’est une geste qui raconte, sur le mode fabuleux, l’origine de la famille de Godefroy de Bouillon. Au cours d’une chasse, le jeune roi célibataire Lothar voit apparaître une jeune femme inconnue auprès d’une fontaine. Ils se plaisent l’un à l’autre, et le roi décide d’emmener celle qui a nom Elioxe au château pour l’épouser. La jeune femme, qui est un peu fée, lui annonce alors qu’elle lui donnera sept enfants (d’un coup), dont l’un régnera magnifiquement sur les régions d’Orient. La décision du mariage ne convient guère à la mère du roi, qui prévoyait une autre alliance. Mais l’union a lieu tout de même et, au cours de la nuit de noce, l’épouse Elioxe fait un rêve, dont le récit est d’abord fourni par la voix auctoriale :

(16) […] ele s’est endormie ;

Dont a songié .I. songe dont molt est esmarie,

Qu’ele gisoit coverte d’unes pials de Rousie

En .I. lit bien ovré a ouevre triforie.

Li lis estoit covers de roses en partie,

Des le moitié aval tos li lis enrougie,

L’autre moitiés amont est de lis le florie.

Es roses vers les piés ot .VII. pumes mucies,

Pumes de paradis que Dex a en baillie ;

Ains hom ne vit si beles qui fust en mortel vie.

Cele cose a sa mere ens es roses coisie,

Toutes .VII. li toloit et enbloit par envie ;

As .VI. colpoit les keues et la setisme oblie ;

Nes giete mie puer molt s’en est bien gaitie,

Mais les pumes jeta en une desertie.

A cest mot s’esvella Elioxe […]

(La Naissance du Chevalier au Cygne, 467-482, rêve d’Elioxe)5

Le réveil laisse Elioxe dans un trouble extrême, au point qu’elle tombe en pâmoison. Le roi la ramène à elle, et lui demande ce qui lui est arrivé. Elioxe rapporte alors le songe qui l’a bouleversée :

(17) Mes lis est tos espars de flors en colorie,

Et jo euc en ces roses .VII. cosetes mucies ;

C’estoient .VII. pumetes dont l’abre fu florie

La u Adans mest ja la premiere partie ;

Et il en fu jetés par sa grant felonie.

Se mes ot on tolu par molt grant estoutie,

Et cil quis en porta retint en sa baillie

Les keues, et les pumes jeta en terre ermie,

Que mais n’en fust parole veüe ne oïe ;

Les .VI. en jeta puer, et le sieme i oublie.

E ! Dex, que puet ce estre et ce que senefie ?

– Dame, ce dist li rois, ne vos esmaiés mie,

Dex vous confortera, qui tot a en baillie.

VII. pumes sont .VII. fil, dont Dex vos en delivre ;

S’il est aucuns malvais qui de vos ait envie,

N’oubliés pas por co a mener bone vie.

(Op. cit., 502-517)6

Disons tout de suite que les différences observables entre les deux passages ne sont pas le résultat d’une diversité de sources manuscrites ; aucun jeu de variantes dans l’établissement du texte n’est en cause ici. C’est un dispositif délibéré qui se trouve mis en place, une confrontation proprement énonciative dont l’enjeu, on va le voir, est capital pour le cours de l’intrigue.

La différence essentielle des deux récits se situe autour de la description du méfait mis en scène par le songe. Tandis que la version auctoriale désigne l’auteur du larcin-enlèvement (« Cele cose a sa mere ens es roses coisie / Toutes .VII. li toloit et enbloit par envie »), le compte rendu fourni par Elioxe n’incrimine, lui, qu’un agent indéfini (« Se mes ot on tolu par molt grant estoutie »), un être qui reste anonyme (« cil quis en porta […] »). L’avertissement véhiculé par le songe se trouve ainsi amputé d’une partie capitale de son contenu. Dans le récit de la rêveuse, le responsable du malheur annoncé n’est pas identifié et on voit que le commentaire émis ensuite par le roi (« s’il est aucuns malvais qui de vos ait envie ») reste lui aussi à cet égard d’une parfaite indétermination7. Rien n’incitera donc les époux à soupçonner les intentions de la reine-mère. Or, dans la suite de l’histoire, c’est bel et bien la mère du roi qui va enlever les sept enfants nouveau-nés pour les faire disparaître. Le songe, dans sa version auctoriale, prédit donc l’entière vérité. Mais tout se passe comme si la rêveuse et son époux devaient ignorer l’origine exacte de la menace qui pèse sur leur progéniture. Méconnaissance tragique : lorsque le roi devra peu après s’en aller à la guerre, Elioxe le priera elle-même de confier à cette femme le soin de veiller sur ses enfants :

(18) Por Deu, proïés vo mere qu’ele n’oblit noient,

Et por la vraie crois que quierent peneent,

Cou que de moi naistra qu’ele gart bonement.

(Op. cit., p. 733-735)

Et c’est elle encore qui remercie d’avance sa belle-mère des bons soins que celle-ci s’engage à donner :

(19) Dame, dit Elioxe, cil qui fist Moÿsent

Vos rende le bienfait que vous ferés l’enfant.

(Op. cit. 744-745)

Voilà donc un cas où une double narration permet d’enregistrer une distorsion capitale entre le songe « tel qu’en lui-même », censément fourni par la narration auctoriale, et le compte rendu donné par le rêveur, témoignage marqué, lui, par un important déficit d’information. On laissera aux férus de psychanalyse le soin de décider s’il convient d’invoquer un processus de « censure », et d’en expliquer l’intervention dans le récit d’Elioxe. Pour notre compte, il convient surtout de noter que peut tout de même survenir, dans le cadre de l’onirisme médiéval, une problématique spécifique de la narration, sous la forme d’une mise en cause de la fidélité référentielle. Mais il semble bien que cette idée, tout comme l’illustration offerte par le texte du Chevalier au cygne, reste exceptionnelle.

*

Revenons donc à la topique. Le fait que le rêve se prête habituellement sans difficulté et sans perte à une restitution narrative ne signifie pas que sa manifestation soit parfaitement maîtrisable. Mais c’est sur le plan de la signification que se reporte le problème :

(20) – Damoisele, c’avez ? molt estes enpalie.

– Que songié ai d’un songe, ne sai que senefie.

(Le Siège de Barbastre, 3688 sq., rêve d’Almarinde)

(21) Et li sans li bout et formie,

Car grant merveille senefie ;

Mais el ne set que ce puet estre.

(Guillaume de Palerne, 4719 sq., rêve de la reine)

(22) Lors dist ly rois de France : Je ne say que ce doit,

Mais ennuit toute nuit en dormant me sambloit

C’uns escoufflez […]

Je ne say que chou est ne qu(e) avenir poroit.

(Hugues Capet, 5382 sq., rêve de Hugues)

Pour le rêveur, le sens de la vision onirique est en général obscur, même si le principe de l’existence d’un sens est acquis – principe d’ailleurs attesté par la voix auctoriale (21) – , et bien qu’il soit entendu que le songe est de nature prémonitoire (22). Question lancinante que celle de la signification, d’ailleurs dramatisée par la charge émotive qui empêche toute banalisation de la manifestation nocturne. Mais, dans le traitement de l’onirisme médiéval, la problématisation du sens trouve une issue. La signification du songe est en principe livrée par le texte. Dans la plupart des cas, une interprétation est fournie sans tarder par un herméneute qualifié ; et de toutes façons, le message onirique – à peine voilé par une symbolique conventionnelle – est validé ultérieurement par une réalisation des images prémonitoires. A cet égard, le statut du songe littéraire médiéval est relativement simple : mis à part quelques rêves « illusoires » dûment décrits comme tels, les songes sont censés avertir le rêveur de ce qui doit advenir :

(23) Einsi vit li rois Artus les mescheances qui li estoient a avenir.

(La Mort le roi Artu, § 177, rêve d’Arthur)

Il ne faudrait pas pour autant penser que l’univers de la geste épique verse avec cela dans un système de détermination absolue. Car, sur fond de croyance à la vérité annonciatrice du message onirique, le discours commentatif ménage des issues possibles au nom d’une Providence qui peut toujours influencer le cours des choses. Une des formules propitiatoires les plus courantes tient dans le souhait que Dieu fasse tourner les présages à l’avantage du rêveur :

(24) Esmaiez fu del songe durement,

De sa mein destre se sengna erraument,

Et prie Deu, le Pere onipotant,

C’a bien atort ce fort songe pesant.

(Girart de Vienne, 4790 sq., rêve de Charlemagne)

(25) « Bele, ne soiés en effroi.

[…]

Se Dieu plaist, ce n’iert se bien non »,

Dist Guilliaumes a la meschine.

(Guillaume de Palerne, 5184 sq., rêve de Mélior)

Une autre façon de problématiser momentanément la portée prémonitoire consiste à mettre en scène une discussion ou une contestation de la valeur de vérité du songe :

(26) « Sire, ne soiez en friçon,

Que vous n’arez nule rien se bien non.

De si fet songe ne dorroie .i. boton. »

(Aubery le Bourgoing, 29 sq., rêve d’Auberi)

(27) Et li conta le songe, et il l’a escouté.

« Demorez, douz amis, fet ele, en ce reinné.

Se tu vas a Barbatre secorre l’amiré,

Li François t’ocirront, ce sai de verité.

– Bele, dit Rubion, vos avez bien parlé ;

Mes je ne croi pas songe ne tele aversité. »

(Le Siège de Barbastre, 4594 sq., rêve de la fille de Broadas)

(28) « Dame, ce dist Renaut, or ne vos esmaiez.

Ja ne crerai en songe a nul jor desoz ciel ;

Li rois Ys et mes sires plevis et fianciez :

Ja ne le mescrerai tant que jel voie bien. »

(Renaut de Montauban, 6704 sq., rêve de Clarisse)

On voit que le refus de créance peut être diversement modulé : simple dédain (26) ou déni argumenté, fondé sur l’invraisemblance des choses rêvées (28). Mais la contestation, notons-le, est toujours endossée par des personnages et non pas par l’instance auctoriale elle-même ; et il faut bien dire que, dans la plupart des cas, l’histoire donne finalement tort aux sceptiques. La mise en doute de la portée significative du songe reste donc une péripétie, et ne remet pas en cause la conviction topique. Il existe cependant d’autres biais pour permettre de brouiller la détermination prémonitoire. Parfois, c’est une sorte d’oblitération à la source qui rend le scénario onirique indécis :

(29) Dïent Franceis que grant bataille i ad,

Mais il ne sevent liquels d’els la veintrat.

[…]

Prenent s’a braz ambesdous por loiter ;

Mais ço ne set quels abat ne quels chiet.

[…]

La vit li reis si merveillus estur ;

Mais ço ne set liquels veint ne quels nun.

(La Chanson de Roland, 734 sq., 2552 sq., 2695 sq., rêves de Charlemagne)

(30) Il me crioit : « Aïde, mes amis ! »

Et g’i aloie, el poing le brant forbi.

.I. bruïne adont noz departi ;

Ne sai adont soz ciel que il devint.

(Gerbert de Mez, 8113, rêve de Gerin)

Parfois, c’est une restriction du travail interprétatif qui se donne comme l’effet d’une réserve délibérée (voir par exemple supra, dernière phrase de la citation 15), ou qui se justifie par une déclaration d’incompétence :

(31) Et lors ly devise quelx y fut. Quant la dame eust entendu l’avision, ele dist a Eret :

– Certes, sire chevalier, assez fut ce songe divers et crueulx, et se je le sceusse si bien deviser com ung autre savroit, je ne vous en deïsse la droite significance. Mais je sçay qu’il ne plaist mie a Nostre Seigneur que les choses obscures et repostez me soient descouvertes, et nonpourquant vous ose je bien dire, et vraiement le sachez vous, que vostre mort approuche durement […] car certes vostre [mort] approche, et vous occira ung chevalier assez felon et desloyal, ne ce ne demourera mie. […]

– Dame, pour Dieu, ne savés vous qui cil est qui occire me doit ?

– Certes, fait elle, nenil, ne je n’en sçay plus que je vous en ay devisé.

(Erec en prose, Chap. VI, rêve d’Erec)

Reste que ces réticences ou ces limites de capacité explicative n’occasionnent jamais qu’un simple délai dans l’accès à la « droite significance »; ce que l’interprète ne veut ou ne peut expliciter sur le moment se révélera finalement à la lumière des événements eux-mêmes.

*

Ce que nous avons observé jusqu’ici tend à établir que le récit de rêve médiéval ne se distingue pas par une spécificité de son traitement linguistique, qu’il se délivre sans aléas de formulation et sans suspicion d’infidélité, avec les moyens ordinaires d’une narration standard. La mise en question porte, provisoirement, sur la signification du songe, mais aucunement sur la possibilité de le narrer adéquatement.

Il existe pourtant une particularité de l’expression qu’il convient de relever, car elle apparaît assez fréquemment dans les textes examinés et se retrouve encore dans les récits de rêves modernes: c’est, dans l’utilisation des temps verbaux, l’emploi dominant, voire exclusif, de l’imparfait. En voici deux illustrations, issues de textes aussi bien en prose qu’en vers, en régime de narration auctoriale autant que d’énonciation personnelle:

(32) A Hestor avint une autre mout dessemblable a cele avision. Car il li ert avis qu’entre lui et Lancelot descendoient d’une chaiere et montoient sus deus granz chevaus, et disoient : « Alons quierre ce que nos troverons ja. » Maintenant se departoient et erroient mainte jornee, et tant que Lancelot chaoit de son cheval ; si l’en abatoit uns hons qui tout le despoilloit. Et quant il l’avoit despoillié, il li vestoit une robe qui toute ert pleine de frangons, et si le montoit sus un asne. Et quant il i estoit montez, si chevauchoit lonc tens, et tant qu’il venoit a une fontainne, la plus bele qu’il onques veist. Et quant il ert abessiez por boivre, si se reponnoit la fontainne, si qu’il n’en veoit point. Et quant il veoit qu’il n’en pooit point avoir, si s’en retornoit la dont il ert venuz. Et Hestors, qui nule foiz ne se remuoit, erroit tant forvoiant ça et la qu’il venoit en la meson a un riche home qui tenoit noces et feste grant. Il huichoit a l’uis et disoit : « Ouvrez, ouvrez ! » et li sires venoit avant, si li disoit : « Sires chevaliers, autre ostel querez que cestui : car ceenz n’entre nus qui si haut soit montez com vos estes. » Et il s’en partoit maintenant, tant dolenz que nus plus et s’en reperoit a sa chaiere qu’il avoit lessiee.

De cest songe fu Hestor si a malaise qu’il s’en esveilla…

(La Queste del S. Graal, éd. Pauphilet, p. 149, rêve d’Hestor)

(33) « Seignor baron, dist Aymeris li frans,

Tel poor ai que tos li cuers me ment :

Un avison me vint ore devant :

De vers Espaigne venoit un feu ardant

Qui mon païs aloit tot esprenant ;

Devant aloit un noirs oisel volanz,

Granz come bues estoit en son estant,

Tot li plus cointe si ravissoit avant,

Et s’asseoit en son la tor plus grant

De totes parz en abatoit les pans.

Je vi chooir le clochier Saint Vincent,

Et alumer ceste sale vaillant,

Et de ces murs fondoient li auvant.

Un rais de feu me venoit avolant,

Par mi lo cors me feroit en lançant,

Si m’ardoit tot et la char et lo sanc ;

Et de ma boche issoit un oisels blans

Come aloe ert et fez en tel senblant ;

Encontremont s’en aloit ravissant ;

Un grant estoire trovoit de colons blans,

En vers lo ciel l’enmenoient volant.

Une voiz doce aloit l’oisels chantant ;

Ne sai qu’estoit, mes que poor ai grant,

A Damedeu lo pere me commant :

Tote la char me trenble. »

(La Mort Aymeri de Narbonne, 309 sq., rêve d’Aymeri)

Dans chacun de ces exemples, hormis les éventuels segments formés de discours rapporté direct ou de commentaire au présent, l’imparfait (désormais IMP) monopolise la temporalité verbale du récit, tandis que le passé simple reste employé à encadrer la séquence onirique proprement dite. Dans le texte (33), le passé simple intermédiaire (Je vi chooir le clochier…) ne fait sans doute pas exception et se comprend comme un rappel de la formule liminaire (Un avison me vint…).

Le phénomène est connu. Il a été signalé par Damourette et Pichon8, par Robert Martin (pour le moyen français)9, par Gérard Moignet (à propos de la Queste du Graal)10, et par d’autres encore après eux. Peut être invoquée une cause proprement grammaticale, morpho-syntaxique, la subordination à une formule introductrice du type « j’ai rêvé que… » ou « il rêva que… » entraînant dans les complétives l’emploi de l’IMP. Il faut toutefois garder à l’esprit que la pratique de l’ancien français sur ce point n’est pas absolument normée. On trouve par exemple dans La Mort le roi Artu (rêve d’Arthur) : « Il li fu avis en son dormant que messire Gauvains vint devant lui… », et non pas venoit ; de même, dans La Queste del S. Graal (songe de Lancelot) : « Si li fu avis que devers le ciel li vint uns hom… », ce qui montre a contrario que l’IMP, quand il est employé, ne relève pas simplement d’une concordance des temps automatique. D’ailleurs, on observe dans l’extrait (32) que l’IMP est maintenu dans toute la suite des propositions, même lorsqu’il n’a plus de dépendance proprement syntaxique, et que, dans l’exemple (33), les IMP ne sont pas appelés par une subordination initiale. Le recours à l’IMP ne saurait donc s’expliquer par un simple mécanisme grammatical. La monotemporalité verbale est d’autant plus remarquable que, dans la stylistique de l’époque, le « mélange » des temps (passé simple, présent historique, passé composé, imparfait) est monnaie courante dans la narration standard et que, de surcroît, l’IMP a en ancien français une fréquence d’utilisation moindre que dans les états de langue ultérieurs.

C’est cependant sur le plan sémantique que le monopole de l’IMP doit être interrogé, car le tiroir verbal va se trouver alors appliqué à des types de procès (uniques et conclusifs) qui normalement s’accommoderaient mieux d’un passé simple (cit. 32 : « tant que Lancelot chaoit de son cheval, si l’en abatoit uns hons qui tout le despoilloit »), et l’IMP se verra aussi combiné avec des adverbes (lors, quant, si…) qui laisseraient plutôt attendre un temps perfectif, dès lors qu’il ne s’agit pas de signifier des faits répétés (cit. 32 : « Et quant il veoit…, si s’en retournoit… »). L’événement ou l’action reçoivent par là un aspect particulier : l’IMP donne une image tensive du procès, c’est-à-dire qu’il le représente, bien que non actuel, dans le cours de son déroulement, en voie d’effectuation. A la différence du passé simple qui saisirait globalement le procès comme un fait entièrement réalisé, l’IMP le restitue sous l’angle de son développement, tel qu’il a pu être appréhendé par une conscience en situation.

On peut admettre que la vision onirique trouve là un appareil de restitution particulièrement adéquat. Avec l’IMP, les événements rêvés sont montrés en tant que moments d’un vécu, fût-il imaginaire ; le récit conserve à chaque fait raconté son caractère de manifestation, de chose vue en quasi perception par l’esprit du dormeur. Il est d’ailleurs symptomatique que, sur le plan de la dynamique narrative, la séquence onirique tend à se présenter comme une simple addition de procès, tels qu’ils se laissent découvrir au fur et à mesure de l’expérience rêvée. En témoignent les multiples et…, et quant…, et si… scandant le texte (32), comme encore l’agencement linéaire et cumulatif des propositions dans l’extrait suivant :

(34) […] il li ert avis qu’il estoit sour la rive de la mer et regardoit vers Cornuaille ; et veoit venir un oisel grant et merveilleus qui venoit el roiaume de Logres et conmenchoit a voler par unes contrees et par autres ; et portoit cil oisiaus fu et l’espandoit par tout la u il venoit et en la Joiouse Garde, et le destruisoit et prenoit la roïne Yseut et l’emportoit a la mer. Aprés s’en aloit a Camaaloth et couroit sus au roi Artu et il ostoit la couronne del cief, et a poi qu’il ne l’ocioit. Aprés ce venoit uns autres oisiaux et l’asailloit et se combatoit a lui tant que a force le cachoit hors de la contree.

(Tristan en prose, éd. Ménard, t. VII, pp. 251-52, rêve de Tristan)

On peut faire l’hypothèse que ces caractéristiques aspectuelles marquent un statut énonciatif : les contenus narrés, qu’ils soient racontés à la première ou à la troisième personne, restent ainsi tributaires du cadre psychique où ils sont apparus, et ils ne peuvent pas être dissociés de la vision qui les a envisagés. Textuellement, cela donne une allure distinctive à la séquence onirique, et c’est peut-être par là que certains récits de rêve manifestent le mieux une spécificité de leur fonctionnement linguistique.

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Si la littérature médiévale n’a pas problématisé l’accès à l’expérience intime du songeur, si elle ne semble pas portée à mettre en cause, dans ce domaine, la possibilité ou la fiabilité de la restitution verbale, elle a cependant mis en place pour cette entreprise une forme de narration typique, dont il est loisible de constater la pérennité.

Liste des sources

Das französische Heldenepos Auberi le Bourguignon, éd. W. Benary, Halle, Niemeyer, 1931.

La Chanson de Roland, éd. C. Segre, trad. M. Tyssens, Genève, Droz (TLF 368), 19892, 2 vol.

La Chanson de Roland (ms. de Châteauroux), éd. R. Mortier, Paris, 1943. Erec, roman arthurien en prose, éd. C. Pickford, Genève, Droz (TLF 87), 19682. Le Galien de Cheltenham, éd. D.M. Dougherty et E.B. Barnes, Amsterdam, Benjamin, 1981.

Gerbert de Metz, éd. P. Taylor, Namur, Bibliothèque de la faculté de Philosophie et Lettres, 1952.

Bertrand de Bar-sur-Aube, Girart de Vienne, éd. W. Van Emden, Paris, Picard (SATF), 1977.

Guillaume de Palerne, éd. A. Micha, Genève, Droz (TLF 384), 1990.

Hugues Capet, éd. N. Laborderie, Paris, Champion (CFMA 122), 1997.

La Mort Aymeri de Narbonne, éd. J. Couraye du Parc, Paris, Didot (SATF), 1884.

La Mort le roi Artu, éd. J. Frappier, Genève, Droz (TLF 58), 19643.

La Naissance du Chevalier au cygne (version Elioxe), éd. E.J. Mickel et Nelson, Drawer, University of Alabama Press, 1977.

La Queste del Saint Graal, éd. A. Pauphilet, Paris, Champion (CFMA 33), 1923.

Renaut de Montauban, éd. J. Thomas, Genève, Droz (TLF 371), 1989.

Le Roman d’Alexandre, éd. L. Harf-Lancner, Paris, Le Livre de poche (Lettres gothiques 4542), 1994.

Robert Wace, Le Roman de Brut, éd. I. Arnold, Paris, Picard (SATF), 1938-1940, 2 vol.

Le Siège de Barbastre, éd. B. Guidot, Paris, Champion (CFMA 63), 2002.

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1 George Steiner, « L’historicité des rêves. Deux questions adressées à Freud », in : I Linguaggi del Sogno, a cura di V. Bronca, C. Ossola, S. Resnik, Firenze, Sansoni, 1984, pp. 112 sq.

2 J’ai pu disposer à cette fin d’une anthologie d’une centaine de récits établie par A. Corbellari. Je le remercie de l’avoir mise à ma disposition.

3 Jean-Daniel Gollut, Conter les rêves. La narration de l’expérience onirique dans les œuvres de la modernité, Paris, Corti, 1993.

4 Dans cet exemple, comme dans tous ceux qui suivent, c’est moi qui souligne.

5 Voici une traduction en français moderne, citée d’après l’anthologie des rêves littéraires établie par une équipe de chercheurs aux universités de Montréal et d’Ottawa (site à l’adresse : www.reves.ca/) : […] elle s’est endormie. / Alors elle fit un songe qui la troubla fort : / Elle gisait, couverte de fourrures de Russie, / Dans un lit ciselé et de grand prix. / Une partie du lit était couverte de roses ; / Dans sa partie supérieure le lit était rouge, / [Et] Dans sa partie inférieure, couvert de fleurs de lis. / Dans les roses, vers les pieds, il y avait sept pommes cachées, / Des pommes du Paradis que Dieu a sous sa garde ; / Personne n’en vit d’aussi belles en sa vie. / Sa mère aperçut ce prodige parmi les roses ; / Envieuse, elle lui enleva et lui vola les sept pommes. / A six d’entre elles, elle coupa la queue, mais elle oublia la septième. / Elle ne les jeta pas dehors devant la porte, elle s’en garda bien, / Mais plutôt dans un lieu désert.

6 Traduction de la banque de données canadienne : Mon lit était tout couvert de fleurs de couleur brillante, / Et, en ces roses, j’ai vu, cachées, sept petites choses ; / C’était sept petites pommes dont l’arbre était fleuri / A l’endroit où Adam passa la première partie de sa vie, / Et dont il fut expulsé à cause de sa grande trahison. / Elles me furent volées par grande vilenie, / Et celui qui les emporta garda en sa possession / Les queues et jeta les pommes en terre inculte / Afin qu’on ne les vît plus ou que d’elles on n’entendît plus parler. / Il en jeta six dehors et oublia la septième. / Dieu ! qu’est-ce que cela veut dire ? » / « Madame », dit le roi, « ne vous inquiétez pas, / Dieu vous apportera du réconfort, lui qui a pouvoir sur tout. / Les sept pommes sont les sept enfants que Dieu vous donnera. / Si l’un d’eux est méchant envers vous, / Que cela ne vous empêche pas d’être bonne. »

7 Sur ce point, la traduction d’Ottawa paraît tendancieuse. En donnant : « Les sept pommes sont les sept enfants que Dieu vous donnera. / Si l’un d’eux est méchant envers vous… » (je souligne), elle suppose une intention qui n’est pas dans le texte.

8 Jacques Damourette & Edouard Pichon, Des Mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française, Paris, d’Artrey, 1930-1956, t. V, § 1739.

9 Robert Martin, Temps et aspect. Essai sur l’emploi des temps narratifs en moyen français, Paris, Klincksieck, 1971.

10 Gérard Moignet, « La Grammaire des songes dans la Queste del Saint Graal », Langue française 40 (1978), pp. 113-119.