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Le songe

De la mort de l’auteur à la naissance du lecteur

Virginie MINET-MAHY

Louvain et Anvers

Quel acte de langage accomplit-on lorsque l’on dit : « il était une fois », « Era se una vez », « Once upon a time » ? On feint que… disent les pragmaticiens. C’est le principe du conte de fées. Un simple marqueur linguistique ? Un type-cadre conventionnel vide de sens ? Cela n’est pas sûr. Les structures figées subissent souvent un effet de dévalorisation. Le figement est associé, dans notre esprit moderne à un manque de créativité.

La remarque est transposable face à la question du type-cadre du songe, élément constituant pratiquement incontournable des textes allégoriques depuis l’expérience du Roman de la Rose. L’entrée en songe a tout de même un pouvoir, sans lequel on ne pourrait expliquer le succès massif de son usage et il détermine en grande partie les modalités du texte, en particulier, celles de la voix et donc de l’autorité de la parole. Pour topique qu’elle soit, l’ouverture sur l’endormissement du poète et la coïncidence entre l’écriture et le rêve, introduit dans le discours trois données essentielles : l’ambiguïté, la polyphonie et l’orientation du texte vers le futur, vers l’avenir qu’est la lecture. Afin de démontrer l’importance de ces trois éléments clefs, il importe de se pencher sur le texte fondateur : le Roman de la Rose.

Le Roman de la Rose : ambiguïté, polyphonie et lecture

Se conformant aux prescriptions des arts poétiques latins, celui de Geoffroy de Vinsauf notamment, tout bon roman doit adopter à un certain nombre de règles d’écriture qui visent à capter la bienveillance du public. Le pro-verbium, étymologiquement parole placée en avant, doit figurer en bonne place à l’entame du texte afin de donner une autorité au dire par sa valeur de vérité générale.

Jetons un œil sur le prologue du Graal de Chrétien de Troyes : « Celui qui sème peu, recueille peu ». Par contre celui qui veut recueillir beaucoup doit semer dans une bonne terre, selon la parabole des Evangiles. De ces prémisses, on tire aisément la conclusion qui nous ramène à la figure de Chrétien : celui-ci doit semer son roman en bon lieu… à la cour de Philippe de Flandres.

Qui petit seime petit quiaut

Et qui auques recoillir viaut

En tel leu sa semence espande

Que fruit a cent doble li rande,

Car en terre qui rien ne vaut

Bone semence seiche et faut.

Crestïens seime et fait semence

D’un romanz que il encommence

Et si lo seime en sin bon leu

Qu’il ne puet estre sanz grant preu1 (vv. 1-15).

La sentence à la fois revêt une valeur absolue de vérité incontournable et est ensuite orientée vers le projet littéraire qui commence. Le poète se vend. Même jeu chez Benoît de Sainte-Maure dans le prologue du Roman de Troie : « On ne doit pas cacher son savoir », comme le dit Salomon. C’est pourquoi je veux traduire du latin vers le français l’histoire de Troie2

Voyons ce que fait Guillaume de Lorris3 :

Maintes genz cuident qu’en songe

N’ait se fable non et mençonge.

Mais on puet tel songe songier

Qui ne sont mie mençongier,

Ainz sont aprés bien aparant.

Si em puis traire a garant

Un auctor qui ot non Macrobes,

Qui ne tint pas songes a lobes,

Ainçois escrit l’avision

Qui avint au roi Scipion.

Quiconques cuit ne qui que die

Qu’il est folece et musardie

De croire que songes aveigne,

Qui se voudra, por fol m’en teigne.

Car androit moi ai ge creance

Que songe sont senefiance

Des biens au genz et des anuiz,

Que li plusor songent de nuiz

Maintes choses covertement

Que l’en voit puis apertement (vv. 1-20).

Le proverbium dans le prologue de Guillaume de Lorris introduit un certain nombre de décalages signifiants. Dans le cas de Chrétien de Troyes et de Benoît de Sainte-Maure, le talent particulier du romancier découle de l’application d’une qualité générale définie dans la sentence. Le proverbe est le lieu de l’expression d’une conscience d’auteur et de son projet d’écriture. Qu’en est-il chez Guillaume de Lorris ? On retrouve la sentence, l’adresse au destinataire (la dame), l’autorité, celle de Macrobe, mais dans un sens bien différent qui détermine le genre nouveau du texte. A une sentence qui ne fait aucun doute sur sa portée de vérité communément admise, le début du Roman de la Rose préfère une sentence qui est source de polémique. Les songes sont-ils mensongers ? Les quatre premiers vers mettent en présence les deux opinions contradictoires : ceux qui pensent que les songes sont mensonges et ceux qui pensent qu’ils ne sont pas mensongers… L’ouverture donne le ton du débat : l’opposition des discours contraires qui renversent le sens comme la roue de Fortune bestourne (renverse) les hommes. A la rhétorique du sens commun qu’introduit traditionnellement l’usage du proverbe, à la prétention de vérité vers laquelle tend la pragmatique de la sentence, le Roman de la Rose oppose une rhétorique du sens instable, des opinions possibles autour d’un sujet. Le texte, dès le seuil, affronte la contingence du discours, son instabilité4, son incertitude et contraste par rapport à l’usage des prologues de roman où c’est la certitude du locuteur qui est mise en évidence par le biais de la sentence. La sentence donne normalement une légitimité à l’auteur, elle emporte l’adhésion en interpellant le bon sens commun. Chez Guillaume de Lorris, elle crée la suspicion, provoque le lecteur… La voix qui parle dit en même temps qu’elle peut tromper… Mais n’est-ce pas aussi un trait caractéristique du clerc, ce borgne passé maître dans l’art de biaiser et de ruser et qui pourtant clame aussi sa préséance dans l’art de dire la vérité ?

Par ailleurs, le songe dont il est question dans le proverbe ne touche pas le statut d’un auteur, alias Guillaume de Lorris, mais un « je » narrateur, un je au profil lyrique comme le découvrira la suite du prologue et l’entrée en songe qui met en scène l’espace idyllique du printemps et de la nature luxuriante, le locus amoenus du grand chant courtois. Après la brisure de la stabilité du dire qu’opère l’infraction par rapport à la toute-puissance de la voix sentencieuse dans les prologues de roman, une seconde fracture est introduite, celle qui atteint la figure de l’auteur. L’introduction du songe dans l’espace textuel va de pair avec une gestion neuve de la parole, de la voix. Voire, elle conduit à un processus de multiples différenciations du moi, permet une distanciation, selon les termes de Heller-Roazen une autodifférenciation du narrateur par rapport à son moi. L’auteur n’est pas le narrateur : Guillaume de Lorris n’est d’ailleurs pas nommé dans son prologue, et on ne trouve nulle part trace de son nom dans le Roman de la Rose 1. En outre, le récit raconte le souvenir d’un songe passé : le je hic et nunc parle de soi et de son aventure passée introduisant une rupture dans l’identité. A l’ambiguïté et à l’instabilité de la parole vient donc s’ajouter un second critère déterminant pour le genre allégorique, grâce au cadre-songe : la polyphonie. L’acception de ce terme est évidemment complexe5. Dans le cadre qui nous occupe, la polyphonie est à entendre comme une démultiplication des instances de parole, des « je ». Le Roman de la Rose 1 se présente comme un texte sans auteur, sans nom d’auteur, mais dominé par des « je ». Le songe offre donc un potentiel de mise à distance de l’auteur et de façonnage de postures qui vont peser dans le succès de la forme. Le songe est écran, miroir difformant et diffractant. Chez Machaut, Froissart, Deschamps, Christine, Chartier, etc. la distanciation de soi à soi que permet le songe et la vision qu’il inclut permet à l’auteur d’adopter la figure de témoin en retrait qui modestement se profile comme simple scribe ou avec une conscience plus affirmée, comme le prophète, détenteur d’une parole inspirée, posture qu’adopte volontiers George Chastelain. Cet anonymat (ou cette mise à distance du nom réel), cette polyvalence du « je » met en évidence des fonctions et donc des prétentions d’écriture.

Ambiguïté et polyphonie : tels sont les deux critères essentiels introduits comme des fractures dans le songe. Ces deux concepts façonnent l’expression d’une nouvelle subjectivité, d’une conscience littéraire, à la fois forte, mais aussi auto-réfléchie. C’est dans cet espace que le méta-discours est inhérent au songe. Venons-en au troisième élément, le lecteur.

Le songe, dans la tradition lyrique des troubadours et des trouvères est un avatar de la mort d’amour, en particulier chez Jaufré Rudel. L’impossibilité de vivre l’amour ouvre la porte au substitut qu’est le songe, une métaphore de la mort ?6 Or, la figure d’auteur (ou les figures d’auteur) que projette le Roman de la Rose est pratiquement celle de l’absent, voire du mort. Est-ce pour qu’advienne la naissance du lecteur et donner raison, avec le décalage temporel qui s’impose, à Roland Barthes ? Cette mort symbolique reste ambiguë, instaure un dialogue fort avec le lecteur. D’où cette hypothèse : c’est du côté du lecteur que se situe l’enjeu essentiel du texte. Un épisode central du second Roman de la Rose, celui par le biais duquel sont révélés les noms des auteurs, met en scène le paradoxe de la mort de l’auteur, lieu de son affirmation et lieu de provocation à l’encontre du lecteur (il s’agit des vers 10497-10682). Jean de Meung, le nouvel auteur qui renaît des cendres de Guillaume de Lorris est avant tout présenté sur le mode du futur et de la prophétie, comme la senefiance, comme la lecture est toujours à venir. Il est le continuateur, le lecteur, l’accoucheur du sens.

Effacés derrière le « je » du narrateur depuis le début du texte, les auteurs du Roman de la Rose ne sont pas nommés avant le milieu de l’œuvre de Jean de Meung. Une signature quelque peu curieuse est insérée dans le discours d’un personnage de la fiction – Amour, suzerain des poètes lyriques –  : elle révèle les identités auctoriales, en même temps qu’elle utilise un type de discours qui déclare l’absence des auteurs… Ce jeu d’anonymat rappelle la révélation tardive du nom du héros dans certains romans arthuriens, mais avec une ironie cuisante. Jean de Meung a pris la relève depuis plus de six mille vers. Au niveau textuel, la transition s’est faite en douceur, le second auteur reprenant exactement le texte là où il s’est terminé, sans marquer de rupture (néanmoins, au niveau de la présentation matérielle du texte, les manuscrits indiquent toujours le passage, soit par la rubrique, par un espace, par une miniature7).

Depuis le début du texte, le fil de la narration est constamment brisé par l’intervention de personnages allégoriques qui tiennent de longs discours. Il faut agir pour assurer l’achèvement du texte : cette décision est prise par un personnage de la fiction, Amour. Le cadre symbolique dans lequel se situe l’épisode est également signifiant. Après le discours de Raison, puis d’Ami pour consoler l’amant-narrateur dont la rose est emprisonnée, Amour décide de convoquer ses barons et tient conseil pour savoir comment assiéger le château dans lequel Jalousie tient prisonnier Bel Accueil et la Rose. Rappelons que dans le texte de Guillaume de Lorris, le narrateur a reçu les commandements d’Amour et reconnu son allégeance au suzerain (dans la tradition lyrique, le poète se voue généralement au maître des amants et des poètes, Amour)8. Le problème de délivrer le château confronte à une impasse. Les poètes élégiaques, qui auraient pu aider Amour à prendre la forteresse de Jalousie sont morts et pourris : Tibulle, Gallus, Catulle et Ovide (v. 10526)… Guillaume de Lorris lui est « en peril de morir » (v. 10533). Il aurait pu conseiller Amour. C’est donc pour lui que la baronnie est rassemblée. Mais Amour de passer au futur dans une annonce de la mort de Guillaume de Lorris. « Ci se reposera Guillaumes/ Li cui tombiaus soit plains de baumes » (10565-66). L’attention d’Amour va se porter non plus sur une tentative de ressusciter l’ancien auteur, mais de patronner l’auteur à venir. Amour lâche Guillaume et la mort de celui-ci reste exprimée sur le mode du futur. Cette indétermination sur la réalité de la mort de Guillaume de Lorris est intéressante. Elle permet à Jean de Meung d’éviter un vrai éloge funèbre du défunt. Or, le genre poétique du tombeau est bien pratiqué dans l’antiquité. Un poète pleure la mort d’un des siens. Eustache Deschamps introduit la première plainte funèbre en langue française d’un poète sur un poète, à l’occasion de la mort de Guillaume de Machaut9. Jean de Meung aurait pu avant Deschamps, proposer le premier tombeau poétique français. Il n’en donne qu’une version burlesque, réduisant ainsi l’importance d’un nom d’auteur. Amour le situe dans la lignée des poètes élégiaques de renom, certes. Mais son souci va surtout se porter sur Jean. Le poète Guillaume est vite oublié, alors qu’il n’est même pas encore (fictivement) mort… Ce qui compte, c’est ce que le texte engendre ; plus que le texte, c’est la procréation du texte. L’écriture engendre la lecture, d’une manière scandaleuse que porte le caractère parfois franchement obscène du texte10.

Dans le Roman de la Rose 1, celui de Guillaume de Lorris, la poésie d’Amour se profile, dans la tradition lyrique et courtoise, comme mortifère. Ecrire sous la bannière d’Amour, c’est être dépossédé de soi jusqu’à la folie et à la mort, comme Narcisse. Et dans cette perspective, le songe est métaphore de mort, substitut de l’expérience réelle impossible. Jean de Meung tente, en contrepartie, de construire sa propre figure dans le sens de la vie associée au discours sur l’amour (associant amour et procréation contre la stérilité de l’amour courtois). Son profil, c’est celui du lecteur, du continuateur, du commentateur qui ouvre le texte à l’infinie possibilité des sens. La parole de Jean de Meung est ouverte au possible, comme on va le voir, parce qu’elle joue de la contingence du dire fictif.

Par ailleurs, l’emploi du futur dans le discours d’Amour crée une rupture nette par rapport au temps de la narration (passé) et au temps du discours (présent). Le futur, celui de la prophétie est le mode qui convient à l’après texte, à sa progéniture, soit le commentaire allégorique, soit le lecteur. Le passage est entièrement placé sous le signe de l’avenir, de l’accomplissement d’une prophétie, dans un futur contingent. Jean de Meung, par la bouche d’Amour dit qu’il n’est pas né, alors qu’il écrit déjà depuis 6000 vers ! Si la tour n’est pas délivrée rapidement, Guillaume de Lorris mourra. Dans ce cas, « Jehans Chopinel » viendra et « Cist avra le rommant si chier/ Qu’il le vorra tout parfenir » (vv. 10588-10589). La mort de Guillaume de Lorris reste toujours sur le mode de l’annonce, elle n’est pas réalisée, c’est un événement contingent, possible dont la réalisation est liée à la libération du château. Après la mort de Guillaume de Lorris, il faudra encore attendre quarante années avant la venue de Jean Chopinel : « Jehans le continuera / Après sa mort, que je ne mente, / Anz trespassez plus de xl. » (vv. 10592-10593).

Si effectivement, Jean de Meung a pris la relève en raison de la mort de l’auteur, quarante ans après, il présente un événement achevé comme un fait possible. Certains commentateurs ont déduit de cette allégation, pour le moins étrange, la datation du roman de Guillaume : puisque l’on pose la date du texte de Jean de Meung vers 1275, Guillaume de Lorris serait mort vers 1235. Faut-il rappeler la valeur symbolique de quarante ? Dans l’Ancien Testament, le peuple d’Israël, guidé par Moïse passe quarante années dans le désert avant de rejoindre la terre promise (Nb 14,34), la libération. Quarante jours séparent le début du carême de la Résurrection, la fête de Pâques de l’Ascension, le Christ aussi a passé quarante jours dans le désert. Quarante, c’est le chiffre symbolisant la libération, après l’épreuve de la souffrance.

Après quarante ans de captivité, celle de l’auteur Guillaume et de son texte, Jean de Meung viendrait libérer, accomplir le sens (espondre la lettre). Il incarne une figure de messie annoncé, de libérateur. Il annonce du même coup la figure naissante du lecteur. Avant d’être auteur, Jean de Meung est lecteur de Guillaume de Lorris. Son Roman de la Rose 2 est avant tout un commentaire, une glose sur le Roman de la Rose 1.

Le jeu sur le temps, la rupture par l’usage du futur et de l’annonce de quelque chose qui doit advenir, mais qui en réalité est déjà advenu renvoie aussi peut-être au statut de la fiction. Quand le texte s’accomplit-il, quand la fiction a-t-elle lieu ? Jamais, par définition. Sur le plan historique, elle n’a aucune existence réelle, le récit n’a pas lieu dans le temps réel. La force de la fiction se situe aussi dans cette indétermination temporelle. La fiction est de l’ordre du possible. Ce qui actualise la fiction, c’est la lecture. Le seul temps possible pour la vie du texte et pour la vie de l’auteur, c’est donc le futur, l’à-venir, la perpétuation. Dans le même ordre d’idées, le ton prophétique retentit aussi comme un jeu de mystification de la senefiance annoncée, mais impossible. Jean de Meung paraît incarner la figure du messie annoncé, celui qui réalisera l’accomplissement du texte. Figure de lecteur, il dit en même temps que la lecture est toujours en devenir, qu’elle ne s’achève jamais et c’est la seule vie du texte.

Le discours est entièrement placé sur le constat de l’absence d’auteur : Guillaume de Lorris est en passe de mourir si on ne délivre pas rapidement Bel Accueil. Jean de Meung, lui, n’est pas encore né. Pourquoi ce jeu de feinte, pourquoi cette renonciation ironique à la paternité en intégrant l’image de l’enfant à naître, de celui qui ne sait pas parler (in-fans étymologiquement, c’est celui qui ne sait pas encore parler) ? Est-ce pour renforcer l’image du continuateur ? Si comme le défendent certains commentateurs, Jean de Meung est en réalité le seul et unique auteur du texte11, l’invention de Guillaume de Lorris va dans le sens de l’émergence de la figure de l’auteur/lecteur, celle que revendique le genre allégorique et que la fiction du songe facilite. Rappelons à la suite de Fabienne Pomel que « songer » veut également dire réfléchir sur un texte préexistant12.

Jean de Meung ne tente-t-il pas d’échapper à l’emprise d’Amour, d’éviter le serment d’hommage (auquel le narrateur du Roman de la Rose 1 s’est soumis) afin de se consacrer à une autre poétique ? L’effet de distanciation de l’auteur par rapport à lui-même n’est-il pas un stratagème pour mieux disposer librement de tous les possibles du discours sans se laisser emprisonner par le diktat de la rhétorique courtoise ? Jeu de faux semblant. Pour émerger comme auteur libre de son dire, il faut feindre, faire semblant d’être soumis à la domination d’Amour et à la contingence du futur. Or, n’est ce pas le personnage double, figure de l’hypocrite, Faux Semblant, qui est admis dans la baronnie d’Amour juste après le discours d’Amour ?

Intégrant la forme d’un discours prophétique, Amour tente de faire main basse sur une figure d’auteur, qu’il considère comme à naître et qu’il veut prendre, littéralement, sous son aile. La figure du dieu tout-puissant de la fin’amor est cependant un peu égratignée dans le Roman de la Rose de Jean de Meung. La parole d’Amour est investie d’une puissance dérisoire, comme Fortune qui n’est rien. La seule instance qui détient les rênes de l’écriture, c’est en définitive l’auteur qui dicte la parole de ses personnages. La comparaison avec Diderot s’impose. Jacques le Fataliste raconte, comme le Roman de la Rose, une histoire à l’achèvement impossible et toujours postposé, mais où, à l’inverse de ce que l’on trouve chez Guillaume, les personnages font part de leur statut de marionnettes complètement assujetties au vouloir du maître, du dieu manipulateur, l’auteur qui a tracé leur destinée. Jean de Meung place le discours d’Amour dans une situation ambiguë de fausse toute-puissance. En s’effaçant derrière la figure de l’absent à venir que le suzerain des poètes lyriques voudrait mettre à ses services, Jean de Meung donne au discours d’Amour un ton d’autodérision. Le vrai maître de l’écriture et de l’achèvement du texte, c’est lui, Jean de Meung. Son absence est le signe de sa présence… L’auteur donne l’illusion à un de ses personnages que l’achèvement du texte dépend de lui. C’est sans compter sur le fait qu’Amour parle à travers la plume de Jean de Meung et dans le cadre d’un songe… En présentant ironiquement Amour sous les traits d’un souverain puissant qui tient son conseil avant la bataille, Jean de Meung affirme avec humour sa puissance à lui. Amour est un leurre, un fantasme du songe ; Jean de Meung est hors du songe.

Daniel Heller-Roazen a, de manière très subtile, montré en quoi le texte du Roman de la Rose exprime une poétique de la contingence. Fortune, personnage central du texte, incarne une persona poétique, contingente. Elle n’est rien, puisque instable. Elle est changeante, toujours potentiellement autre qu’elle-même. Le sujet narrateur est lui-même un personnage contingent, autre que lui-même, soumis à la contingence du temps, à la contingence du songe, pâle reflet de la réalité, voire, métaphore de la mort. L’écriture est toujours le fruit de la contingence. Elle aurait toujours pu être autre qu’elle-même.

La question de la contingence soulève également le problème de la vérité. Un discours contingent n’est pas un discours faux, mais ne peut pas prétendre à la vérité. La fiction en tant que discours contingent n’est ni vraie, ni fausse. Nous voilà revenus au débat sans fin introduit par le prologue. Le songe, c’est le double de la fiction, la contingence… D’où la question de la liberté de l’auteur qui surgit au regard de l’analyse de cet épisode de la naissance de Jean de Meung. Le pouvoir d’Amour n’est rien sur le poète, pas plus que le pouvoir de Fortune, figure de l’inconstance.

Ce qui pouvait apparaître comme un défaut, la contingence, l’instabilité de l’auteur et le songe, est en fait transformé en une force. L’écriture est le fruit d’une volonté libre, celle de l’auteur. Elle admet la confrontation de contraires. Le songe est donc transmué en un lieu de conquête, celle d’un pouvoir de la fiction. Pour échapper à Amour et à Fortune qui dominent la figure du poète et emprisonnent la parole, la seule échappatoire, c’est la ruse. Le texte du Roman de la Rose situe ainsi la force du songe, non pas dans la véracité de sa parole, mais dans la recherche du sens pour le lecteur. Le nouvel auteur qui renaît des cendres de l’ancien auteur conquiert une arme subtile qui fera la fierté du clerc. Mais en même temps, c’est le pôle de la lecture qui est fortement valorisé, sous les traits de l’auteur lui-même, le commentateur qui libère les senefiances possibles.

La tradition du songe ouverte avec le Roman de la Rose offre un potentiel dont vont s’emparer les auteurs du XIVe siècle en quête de légitimation sociale et politique, en quête d’une place auprès d’un public. La valorisation de l’ambiguïté, de la polyphonie et de la figure du lecteur qu’introduit le songe par le biais du Roman de la Rose va se déployer face aux aspirations du texte qui se pose de plus en plus comme le lieu de réformation du lecteur, surtout de ce lecteur idéal qu’est le prince13. Humble servant, témoin en retrait de messages divins, scribes anonymes d’une parole puissante, l’auteur-clerc donne une place de plus en plus forte à son lecteur par le biais notamment de la fiction du songe et fait ainsi son entrée sur le champ public devenant conseiller du pouvoir14. Ambiguïté et polyphonie permettent à la conscience de l’auteur, émergente, de se construire une, voire des identités ; la valorisation du lecteur elle ressert les liens entre l’auteur et le public. La quête du texte, du songe devient la quête du lecteur. Les structures du texte allégorique, celles du songe qui impliquent ambiguïté, polyphonie et lecture, vont répondre aux aspirations sociales de l’écriture qui se rapproche du pouvoir15.

Le songe : une fonction éthique, la restauration

Il importe de se pencher sur les facultés mentales qui sont source des songes, facultés mentales qui revêtent un pouvoir éthique. Cette fonction éthique consiste en la vertu de consolation et de rénovation mentale. Elle est fortement exploitée dans le cadre d’une conception du texte qui se profile de plus en plus comme un lieu de réformation pour le lecteur. Chez Machaut et chez Froissart en particulier, le songe répond à un état de dysphorie qu’il vient résoudre, rendant au sujet joie, paix.

Dans le Joli Buisson de Jonece16 écrit en 1373, le narrateur, je/Froissart, est en proie à une crise de conscience, une crise de la création. Froissart désenchanté veut désormais s’occuper du salut de son âme plutôt que de Vaine Gloire. Philosophie, personnage hérité de Boèce et de Machaut, enjoint au poète d’exploiter encore le don de Nature, celui de l’écriture, de l’écriture de poésies courtoises. Le poète trouve cependant qu’il n’a plus de matière, de sujet nouveau. Il suffit répond Philosophie de contempler l’image, le portait de la dame qu’il garde précieusement et les souvenirs provoqués par la vision de l’image alimenteront la création poétique. Après ce long préambule vient donc le songe, qui succède à la « recollection », au regard jeté sur le souvenir matérialisé dans l’image, et qui établit un lien clair avec une œuvre précédente du poète : l’Espinette amoureuse (1369). Le je en songe retrouve Vénus qui autrefois lui avait promis un amour parfait et l’emmène au sein du buisson qui se présente comme un microcosme. Sept branches rappellent les sept planètes. Froissart jouit de la vision d’un espace cosmique harmonieux où il retrouve au milieu d’une compagnie courtoise la dame qu’il a aimée autrefois. Il tente de nouvelles approches. A la mélancolie initiale succède la joie retrouvée. Mais cette joie découle autant, voire plus, de la contemplation du lieu, de la perfection et de l’ordre du buisson, que des retrouvailles amoureuses. La métaphore parfaite restaure le je. Au réveil, le narrateur subit cependant un revirement : l’espace idyllique a fait place à l’hiver et au froid. Le je se tourne vers un objet plus digne de dévotion, la Vierge pour laquelle il compose un lais lyrique. L’élément essentiel introduit par le songe est la métaphore du buisson cosmique. Celle-ci n’est-elle pas une charnière, un tremplin imaginaire nécessaire vers la métaphore mariale du buisson ardent, la pré-figuration de la Vierge ? Dès lors, en plus de restaurer la joie du je, de le sortir de la tristesse, le songe annoncerait-il la progression spirituelle du je, révèlerait-il le chemin à suivre par la métaphore ?

A la fin du songe, une réflexion sur le pouvoir du sommeil de matérialiser la pensée insiste sur la valeur de gésine du songe, lieu pour engendrer les images et donc la création poétique. En plus, le songe, lieu de pensée, rend présentes les merveilles invisibles auxquelles on pense éveillé, mais dont il ne reste pas de traces. La vision de l’harmonie cosmique, de la perfection de la création par le biais du buisson à sept branches dont le centre est partout n’est-elle pas de l’ordre des merveilles invisibles comme la vision du buisson ardent de Moïse, figure de la seule dame à aimer, la Vierge ?

Or fault, ou de nuit ou de jour,

Soit en dormant ou en vellant,

On ne s’en voist esmerveillant

Que les pensees a chief traient

Et que leur cours par nature aient ;

Et che qui en vellant habonde

En dormant volontiers redonde.

Ensi, che vous ai en couvent,

Amainnent li songe souvent

Les grans mervelles invisibles

Qui samblent en dormant visibles.

Et lors comme on est esvilliet,

Quoi qu’on y aie travilliet,

De tout che qui est avenu

On ne scet que c’est devenu :

Se demeurent les visions,

Voires, se bien y visions,

Ens ou memore dou vellant

Si tost qu’il se va esvellant,-

Aucunes fois, non pas toutdis (vv. 5999-6018).

L’utilité des songes est donc soulignée avec insistance. C’est le moyen de capter les images, de consolider la mémoire des images. Le sommeil encode parce qu’il redonde, c’est-à-dire déborde ou se réitère. Il a une valeur génitrice une fécondité supérieure à la veille. En plus, il concrétise ce que l’on ne peut qu’appréhender de manière immatérielle. Il donne accès aux choses supérieures. Dans le cadre du songe de Froissart, à la métaphore du buisson, moyen d’accès à la Vierge. L’expérience courtoise, le songe débouche, sans discontinuité vers l’expérience spirituelle par le biais des images engendrées dans le songe.

La valeur éthique et le pouvoir de gésine d’images « actives »17 du songe est encore bien affirmé dans le Livre des Echecs amoureux moralisés en prose par Evrart de Conty18, commentaire des Echecs amoureux en vers, peut-être d’Evrart de Conty lui-même et qui se donne comme un commentaire du Roman de la Rose. Evrart de Conty est un des médecins de Charles V qui a notamment traduit à la demande du souverain les Problèmes aristotéliciens. Dans la première partie du long commentaire en prose sur les échecs, Evrart aborde les figures de Fortune et de Nature et la question du rôle de la fiction. Le poète qu’il commente a parlé sous couvert de fiction, par sécurité, pour évoquer des réalités subtiles et pour délecter. On distingue trois manières de feindre : la parole d’un mort ressuscité, le songe et la vision. La parole feinte qui ressortit de l’imagination (imaginatio, une des puissances de l’âme) a en outre un pouvoir important que le commentateur souligne dans le chapitre consacré aux images peintes sur les murs du jardin de Déduit et qui figurent les vices et les vertus. Dans la section consacrée à la tristesse, on oppose ce vice à la délectation (176v1, p. 472). Dès lors l’imagination, gésine de la fiction et de la délectation a un rôle à jouer pour lutter contre tristesse… Alléguant ensuite l’autorité d’Aristote et d’Avicenne, Evrart asserte que : « Les similitudes et les formes des choses de dehors, qui sont en l’ame humaine imprimees fort en son ymaginacion, ont l’efficace et la vertu des choses dont elles se dependent » (p. 472). Suit l’exemple d’une reine belle qui au moment de l’enfantement a imaginé un nain. L’enfant né était aussi hideux que le nain…

Le texte d’Evrart de Conty, personnage proche du pouvoir, est parsemé d’un projet d’enseignement au prince. La métaphore des échecs est d’emblée présentée comme à la fois l’image du jeu courtois et du champ politique. Dès lors, cette tristesse contre laquelle peut lutter l’imagination, gésine d’images, gésine des songes, n’est-elle pas un des vices contre lesquels il faut lutter pour assurer la santé mentale du prince, l’accord harmonieux du corps politique (la métaphore musicale est aussi largement développée chez Evrart, en relation avec le jeu d’échec) ?19

Froissart puis Evrart offrent chacun une défense et illustration du songe et de sa fonction éthique, de sa proximité, par son pouvoir à la fois générateur, restaurateur et destructeur, avec le prince. Le songe est une arme, un outil solide pour construire un discours d’enseignement, mais un discours rusé qu’il faut analyser, déchiffrer pour ne pas être trompé. C’est en effet dans la lecture qu’advient le voir, le vrai. Le songe, discours contingent n’est jamais ni vrai, ni faux. Il appartient au lecteur dans le processus de lecture de suivre la bonne voie vers la vérité.

Le songe et les figures de prince/lecteur

Les affinités du songe et d’un type d’écriture qui s’oriente vers le pouvoir se lit clairement chez Guillaume de Machaut, puis chez Froissart, puisque leurs songes mettent en présence des figures de princes qui sont aussi figures de lecteurs idéaux. Chez Guillaume de Machaut le songe se présente souvent comme une solution face à un état de dysphorie des personnages (le je ou un autre) et permet de rétablir la sérénité. Il entre dans un projet de consolation. Dans le cadre de la Fontaine amoureuse, pour restaurer un manque, il faut se faire lecteur/songeur. Le titre que donne également Machaut, le Livre de Morpheüs insiste plus sur le pouvoir du songe, et donc sur le pouvoir de l’écriture. Car dans le cas du songe qui apporte consolation, comme dans celui du texte, le processus qui agit pour transformer le sujet, c’est l’interprétation, la lecture.

L’insistance sur le pouvoir des songes dans le texte est d’abord le fait d’une figure de lecteur, celle du prince qui réalise la complainte à la dame, faite de cent rimes toutes « despareilles » et qui cache en fait le personnage de Jean de Berry. Machaut réalise un beau jeu d’inversion et de miroir des fonctions qui assure en définitive l’affirmation de l’importance de l’écriture dans le rapport entre le chevalier/le duc de Berry et le clerc/Guillaume de Machaut. Le prince, lecteur idéal rêvé par le clerc est présenté comme auteur de la complainte, comme poète et fait l’apologie du pouvoir du songe, en d’autres termes de l’écriture. Le je Machaut ne parvient pas à trouver le sommeil et c’est alors qu’il entend la voix remplie de douleur d’un personnage qui doit s’éloigner, la dame. Au sein de ce poème, le complaignant développe l’exemple du songe d’Alcyone. Celle-ci sans nouvelle de son mari Ceyx reçoit la révélation en images de la mort en mer de son mari. Ayant ainsi montré le pouvoir de Morphée et du songe qui conforte, le je de la complainte souhaite que le dieu du sommeil aille de même auprès de sa dame pour lui dire sa tristesse. Au matin, la dame devra donner à chaque mot sa glose (vv. 759-760). Comme le texte, le songe doit être interprété et c’est ce processus exégétique qui apporte la restauration.

La seconde occurrence de songe renforce le lien prince/poète. A l’aube, le chevalier et le clerc se sont rencontrés. Ils s’endorment alors auprès d’une fontaine et font le même rêve, preuve de la véridicité de celui-ci. Une déesse apparaît au je et lui raconte l’histoire du jugement de Pâris qui doit le conforter (« Conforte toy et plus ne pleure », v. 1622). Suivant le célèbre récit du jugement de Pâris, le songe vecteur de confort pour le chevalier, alias Jean de Berry, achève sa mission de restauration de la joie du prince par l’entremise de la vision de la dame, mais surtout de la démonstration du talent poétique et de la sagesse de celle-ci. C’est en s’adressant subtilement sur le mode de seizains hétérométriques (aaab aaab bbba bbba, mètre 8884 8884) à l’amant que la dame qui accompagne Vénus entend restaurer la joie de son prince. C’est Vénus elle-même qui enjoint sa compagne à parler et à agir par son sens, par la force de son intelligence :

Or parlez a li, belle fille,

Car vous estes assez soutille,

Et si estes sage et discrete,

Bele, douce, simple et secrete,

Et s’a en vous assez confort

Pour li geter de desconfort,

Q’o le scens avez le pooir (vv. 2187-2194).

C’est donc la parole, sa subtilité, sa sagesse, son intelligence qui agit sur l’amant. Guillaume de Machaut ne se contente pas de donner une vision de l’image matérielle de l’être aimé pour conforter, mais il lui accorde la maîtrise de l’art subtil, celle du clerc. Certes, la dame fait don à son amant qui s’en va et souffre de la séparation de son image, source de plaisir, du plaisir de loin. Mais, la dame devient surtout, comme l’amant dans la complainte, le double de l’auteur, du clerc. En utilisant l’outil du clerc, la dame/l’amant courtois, les lecteurs attendus, font l’éloge du pouvoir de l’écriture.

Que le songe soit vrai ou faux, cela n’importe pas. Ce qui compte, c’est son pouvoir, le fait qu’il agisse et en l’occurrence ici, pour assurer la bonne santé mentale du prince, sa restauration.

Le Voir-Dit20 offre plusieurs scènes de songe, mettant en évidence la question du point de vue et de la tromperie. C’est le je/alias Machaut qui reçoit des songes. Les visions de la dame mettent en question sa loyauté dans l’expérience amoureuse. Mais c’est un songe en particulier qui retiendra l’attention : celui au sein duquel le je se présente devant le Roi qui ne ment pour juger de son cas. La situation met donc en présence deux figures fondamentales du texte et de sa dynamique21: la figure de l’auteur/je, la figure du lecteur/le roi autour de la question du voir, du vrai.

Le Voir-Dit retrace une aventure peut-être réelle de Machaut qui s’étale de 1362 à mai 1365. Il s’agit une composition réalisée à la demande de la dame de Machaut, Péronne d’Armentières, et dont le texte lui-même nous raconte la réalisation. L’intermittence des entrevues pose un problème dans le cours de la narration. N’ayant plus de matière sur le sujet de l’actualité de son amour et recevant de moins en moins de lettres de son amie, le poète va chercher sa matière dans la fiction. C’est à ce moment que l’allégorie fait son retour sur la scène de l’écriture, posant un problème face à la vérité dont se réclame le poète. Lorsque le narrateur se met à douter du réel, de l’authenticité de sa dame et de l’histoire d’amour qu’il raconte, c’est dans la fiction qu’il se réfugie pour trouver conseil, senefiance. Le narrateur trouve sa consolation dans le songe et dans la fable, bien qu’en même temps on insiste sur le fait que le songe est mensonge… C’est l’épisode du songe où le poète voit l’image de sa dame dont l’habit est mué de bleu, signe de fidélité, en vert, signe de changement et donc de trahison. Le songe est interprété dans le songe par le Roi qui ne ment.

Les deux points culminants de la crise du narrateur par rapport à l’authenticité de l’histoire d’amour qu’il vit, et donc par rapport à la vérité de ce qu’il dit, sont accompagnés du retour à une forme d’écriture suspecte au regard du dire vrai : le songe. Son ambiguïté fondamentale, la polémique, sert de moteur de réflexion. Le mensonge, dans une sorte de paradoxe semble résoudre la crise du voir. Dans ce songe (vv. 5185-5734)22, le narrateur voit l’image de sa dame dont l’habit est passé du bleu au vert, signe d’infidélité et qui détourne son visage. Deuxième effet de biais : ce n’est pas la dame qu’il voit, mais son portrait, celui qu’elle lui a donné pour soulager la douleur de l’absence. Ensuite, le narrateur, toujours en songe, aborde une compagnie amoureuse rassemblée pour le jeu du Roi qui ne ment et porte devant ce dernier le jugement de son cas amoureux (sa dame est-elle infidèle ?)23. Curieusement donc, c’est dans le cadre d’un discours que l’on taxe de mensonge (le songe) qu’il est donné d’évaluer la tromperie. Cette partie du texte qui est vraiment une clef pour son interprétation est ponctuée par l’insistance sur le rapport songe/ mensonge. Annulant la validité de sa propre parole, le Roi qui ne ment s’adresse au narrateur qui songe en lui rappelant :

Tu dors et paroles ensemble,

Et si m’est avis que tu songes :

On ne doit pas croire ses songes (vv. 5536-5538).

L’ironie d’une telle parole dans la bouche de celui qui est choisi pour juge est grande. A la fois il conseille très sagement le narrateur au sein du songe et dénie toute véracité au songe… Le conseil du Roi qui ne ment ne vaut rien parce qu’il est inclus dans un songe. Il faut se référer à plus sage… On verra pourtant que dans le songe, il y a des paroles de haute valeur morale, par rapport à l’idéal d’écriture de Machaut. En même temps qu’il dit que sa parole est fausse, le roi qui ne ment semble dire le vrai… Même paradoxe au fond qu’à travers l’image type du clerc, le borgne qui a la vue de biais, qui ruse, qui trompe, mais qui prétend quand même être la source d’un art subtil qui par sa voisdie éclaire le prince. C’est enfin le constat du narrateur au réveil qui vient remettre en cause la portée du songe : « Car clerement vi qu’en mon songe / N’avoit rien de vrai fors mensonge. » (vv. 5750-5751).

Le roi se présente comme sage, il se fait clerc pour enseigner au moi qui s’est dévoyé, emporté par le rêve courtois et chevaleresque. Il y a donc renversement des rôles, par rapport au début du discours du narrateur et par rapport à la figure traditionnelle du clerc. Le roi conseille au « moi » d’être sage, grâce notamment à une fresque de figures exemplaires, qui sont aussi des figures de créateurs, des figures du poète (Jubal, créateur de la musique, v. 5646, Noéma, créatrice de l’art du tissage, v. 565424, Phoroneus, législateur, les sept sages de Rome et Pythagore, v. 5694) et que ses préoccupations pour les amourettes sont basses (« Dont il m’est vis que petit euvres, / Quant ainsi ies envoleppés / D’amourettes et attrapés », vvv. 5703-5705). L’œuvre est donc pervertie quand l’auteur n’est pas sage et la vérité mise à mal. Bref un dire vrai est un dire sage qui tient la droite voie de la mesure et de l’espérance… C’est donc dans la bouche du roi que l’on trouve des figures de l’invention, des modèles pour le poète. Le lecteur idéal définit sa vision de l’écriture idéale et vraie : celle qui tient la voie de la sagesse.

L’autorité du roi sollicitée par le poète dans sa proclamation de vérité établit une corrélation étroite entre la vertu morale et politique du souverain et l’écrivain qui se soumet au jugement de celui-ci. Le voir est d’abord une qualité essentielle de la conduite politique du roi, une qualité de clergie, c’est la vérité qui se pose comme pilier du lien social, elle est source de justice et d’amour envers les sujets. Le Voir dit est une vocation qui implique aussi le prince. C’est d’ailleurs sur la vérité du roi que Machaut commence à énoncer sa requête au Roi qui ne ment. Avant de demander conseil et d’exposer son cas amoureux, le poète introduit une sorte d’enseignement au prince, il conseille la vérité au prince.

« Roys, tu dois estre veritable,

Justes, loiaulz et charitables,

Et bien amer tes bons amis

Et fort haÿr tes ennemis,

Car trop fait a blasmer li homs

Qui est crueus comme lyons

En temps de paix a son ami

Et courtois a son anemi,

Meesmement en temps de guerre ;

Qu’il ne puet en ce monde acquerre

Riens dont son pueple tant le blasme

Comme de chëoir en tel blasme.

Belle chose est de verité

En bouche a roy, et grant vilté

De roy qui ha bouche qui ment ;

(S’il avoit les dens de cyment

Et en la bouche le lampas,

Ne le compleinderoit l’en pas,

Qui sage seroit ?) quar sans doubte

Mentir estaint son honneur toute,

Car c’est pechiés et decevance

De dire contre ce qu’on pense :

Et trop pert en roy li meffais

De « dire uns, et l’autre tu fais » (vv. 5244-5267).

Machaut fait précéder sa demande de jugement d’une séquence d’enseignement au Roi qui ne ment. Il définit son idéal de roi : vrai, juste, prodigue de ses biens, respectueux des dames. Après avoir exposé ses soupçons à l’égard de sa dame, il dénonce aussi la situation politique et sociale instable : les impôts excessifs, l’insécurité des routes en raison du mouvement des Grandes Compagnies, éléments qui aggravent les relations avec la dame et dont le pouvoir politique est responsable. Le point de vue du narrateur, ses soupçons, sont tributaires de contingences réelles, des malheurs du temps. La dégradation du pouvoir politique ou ses excès provoquent la distorsion du point de vue, l’impossibilité du vrai dire pour le poète, l’impossibilité de voir plus souvent la dame et la nécessité de dépendre de messagers. Le Roi qui ne ment, alter ego du roi réel, réagit d’ailleurs à la leçon de conduite du poète. « Et me garderai de mesprendre / Si que n’i ara que reprendre / Se je puis et Dieus me l’ottroie » (vv. 5524-5526). Le roi répond sur les deux axes soulevés par la demande du narrateur : le cas amoureux et le cas politique (celui qui concerne le poète dans sa relation au vrai et celui qui implique le roi dans sa relation au vrai).

Le juge du voir dire, de la parole vraie qu’entend développer Machaut, c’est donc celui qui par son autorité politique, le roi, se doit d’être vrai et qui doit assurer une prospérité sociale, une stabilité du destin qui épaule le poète dans son projet de dire le vrai. Le poète et le prince se voient donc unis par le même devoir. Ce rapprochement de la figure de l’auteur et de son lecteur idéal, le roi, n’est pas anecdotique. La question cruciale de la vérité du dire implique les deux pôles unis dans un destin commun. Il annonce que l’écriture s’avance peu à peu vers une vocation morale et politique : celle de garantir l’authenticité de l’être par rapport au monde et dont le pilier fondamental est la sagesse et la juste mesure, la suffisance25. Ainsi, l’idéal d’une écriture qui dit vrai dépend en partie de la volonté politique et morale du pouvoir. Le vrai est conditionné par le point de vue, et le point de vue dépendant des circonstances historiques. Le règne de Fortune, de l’inconstance entrave la vocation de vérité. Inversement, le règne de la sagesse auquel peut contribuer le prince aide le poète à atteindre l’authenticité du dire. Les deux pôles prince-poète vs. vérité sont interactifs. La vérité elle-même est synonyme de juste mesure, de paix et de bonheur… Rien à voir avec le reflet du réel.

Le Voir-Dit est l’histoire de la composition d’un livre qui cherche à établir les conditions d’une parole vraie, c’est-à-dire d’une parole qui atteint l’équilibre et l’ordre moral en vue de fixer un point stable dans un monde ravagé par l’inconstance de Fortune. C’est au sein d’un songe que la problématique du vrai est la plus aiguë et que le mensonge peut s’inverser en son contraire. Certes l’allégorie n’est pas un discours vrai, le songe est un mensonge : mais ils tendent vers le vrai par le biais de l’interprétation du lecteur. Tout est une question de point de vue ; ce qui importe en premier lieu, c’est que le lecteur ait conscience du code, du filtre et du biais. Le truchement qu’impose la fiction est un point de vue oblique, le travail du détournement. Mais le clerc, Guillaume, n’est-il pas, à l’image d’Ulysse26, un être rusé, doté de tromperie et de subtilité qui atteint par son regard de biais la sagesse de l’écriture.

Figure d’auteur et figure de lecteur, poète et prince se trouvent à nouveau réunis avec la Prison amoureuse27 de Jean Froissart, texte héritier du Voir-Dit. Autant la question du voir/vrai est problématisée à l’occasion du songe chez Machaut, autant Froissart ne soulève jamais la question de la véridicité du songe, dans le cadre de la Prison, comme si la légitimité du dire de biais avait été conquise par le maître. Comme Machaut dans le Voir-Dit, le poète reçoit une lettre d’un aristocrate qui le tient pour un maître en poésie et lui demande d’établir un échange épistolaire au sein duquel Froissart deviendra le conseiller en amour et en poésie de son interlocuteur qui prend le nom de Rose. Froissart choisit lui-même le nom de Flos.

Dans l’échange de lettres et de pièces lyriques entre Flos (Froissart) et Rose (Wenceslas de Brabant), on trouve le récit d’un songe de Rose que Flos est prié de commenter à la demande de son interlocuteur, disciple en poésie. Le songe est advenu suite au récit de Pynoteüs et Neptisphélé, sorte de récit mythologique qui mêle l’histoire de Pyrame et Thisbé et celle de Pygmalion. Ce récit avait été composé par Flos à la demande de Rose lui-même. Ce songe est résumé dans les lettres VII et VIII. Trois dame, Justice, Pitié et Raison apparaissent à Rose en songe et lui demande de l’aide contre les ennemis, notamment Orgueil. Rose après avoir réuni son conseil décide de partir à l’assaut. La bataille a lieu et à son issue les troupes de Rose sont défaites et Rose fait prisonnier. Sur ce songe, Rose demande un commentaire allégorique et un lai lyrique. Le songe est ici le fait du disciple en écriture, mais du prince, maître de Froissart. Il appelle la lecture de celui qui assume normalement le rôle de créateur, Flos et l’épreuve poétique par excellence, puisque le lais est la forme la plus exigeante de la lyrique. Cette interchangeabilité des rôles d’auteur et de lecteur fictionnalisée dans l’œuvre montre à quel point pour être un auteur il faut être lecteur, un commentateur, message que livrait déjà Jean de Meung.

Par ailleurs, le songe de Rose/Wenceslas est l’incarnation même de la légitimité de la fiction. Il cache un événement réel : la bataille de Baesweiler (22 août 1371) durant laquelle Wenceslas, fils de Jean L’Aveugle, a été fait prisonnier et qui l’opposait au duc de Gueldre et de Juliers. Par un processus de voile successif, l’évènement est totalement dé-contextualisé, allégorisé.

Froissart chroniqueur est professionnellement impliqué dans la problématique du vrai, de l’authenticité. Mais le voir en contexte de dit ne se situe pas tant du côté de la relation authentique et claire d’une expérience personnelle et autobiographique que du côté d’un message, d’un enseignement attendu du lecteur de la part de l’écrivain, en l’occurrence de Rose par rapport à Flos. Littérature au second degré, le dit n’a pas l’intention de dire de manière brute le réel, mais d’atteindre une vérité morale (et bientôt politique ?) par l’allégorie. Si on suit en ce sens l’interprétation de Claude Thiry28, l’allégorie offre l’occasion de livrer un message didactico-moral sur l’événement politique (sur le manque de modération de Wenceslas dans les événements).

Le songe : métaphore du livre intérieur

Donc, comme si j’en eusse eu la vive impression en moy ou comme ce fust ma propre œuvre, j’en allay mettre par escrit mon retenir, lequel par humilité et grant amour et en grant reverence, pour ce que l’ay trouvé compétent à vous, ô mon très-redoubté seigneur, je le vous présente et envoye29.

Telles sont les paroles de George Chastelain à l’épilogue de l’« Advertissement au duc Charles » qui suivent le récit du songe/vision, l’éveil du poète. Comme si tout était imprimé dans la mémoire du « je », comme si c’était son œuvre, il s’en va transcrire ce qu’il a retenu. L’œuvre du poète est présentée comme si elle était presque son œuvre30. Le songe désapproprie, provoque une fracture entre le moi et le moi, remarque déjà valable dans le cadre du Roman de la Rose. Ainsi, très souvent au XVe siècle, et en particulier chez Chastelain, l’entrée en songe fait l’objet d’un long développement qui insiste sur l’état extraordinaire du songeur, sur ses facultés mentales31. De ce lieu de réflexion sur l’acte même d’écrire concomitant du songe, deux zones ressortent souvent : fantasie et imagination. Des lieux décrits dans la phénoménologie médiévale comme des réserves propres à retenir les images, les fantasmes. L’épilogue qui signe l’éveil annonce aussi souvent l’acte matériel de transcrire, comme un scribe, un texte qui s’est imprimé dans la mémoire du je témoin de la vision. Le livre est donc avant tout un espace d’images internes qui requiert une sorte d’annihilation sensitive et mentale de la part de l’auteur. Dans certains cas, cette annihilation du moi auteur sert à donner au texte un caractère de révélation sacrée, le poète se présentant comme prophète, dépositaire d’un message divin. Mais, paradoxalement, cette annihilation du soi va de pair avec une conscience forte du rôle déterminant que l’auteur a à jouer auprès de son lecteur. Elle ne correspond pas toujours à un topos d’humilité. Elle dit que le livre, le manuscrit que le lecteur a sous les yeux est la transcription d’un espace mental interne à un je qui s’est aliéné par le souvenir, qui est d’abord le réceptacle d’une parole autre. S’ouvrant à un appel éthique, le moi est absorbé par la mise en branle de la mémoire qui fait surgir des images, des textes anciens, des souvenirs de lecture. Cette mémoire, gésine d’images, gésine de sens, c’est celle du poète, mais aussi l’ouverture au passé, au bagage acquis par l’expérience et la lecture, et donc par l’altérité de l’intertexte. Recomposant en quelque sorte une matière qui n’est pas la création du moi, le moi parcours son espace intérieur, procédant à une sorte d’activité d’interprétation, d’explication du fait douloureux qui provoque la dysphorie grâce au cheminement au sein de son bagage mémoriel. Il collecte un livre qui est le produit de son bagage de lecteur.

La posture de la lecture au seuil du texte (et du songe qui en est la métaphore) est largement représentée sous la plume de Christine de Pizan. Dans le Livre du chemin de long estude (1403)32, une scène de lecture précède l’entrée en songe. Le texte commence par un long prologue de dédicace à l’adresse de Charles VI. Ensuite, Christine rappelle les assauts de Fortune dont elle a été la cible, son veuvage prématuré et surtout sa découverte, le 5 octobre 1402, du Livre de confort, la Consolation de Boèce. La poétesse trouve dans le poète latin un double parce qu’il incarne le type du conseiller du pouvoir, exilé parce qu’il a servi le bien commun. Christine entre ensuite en songe. Même topique dans la Cité des Dames (1404-1405). Après la lecture du Livre des Lamentations de Matheolus, Christine réagit à l’encontre du ton misogyne du texte et sa mémoire semble se mettre en action pour rassembler des arguments en faveur des femmes. Dans un état de léthargie, elle a la vision de trois dames, Raison, Droiture et Justice qui tour à tour assemblent des exempla qui sont les pierres pour la construction de la cité des Dames.

En ceste pensee fus tant et si longuement fort fichiee que il sembloit que je fusse si comme personne en letargie et me venoyent audevant moult foyson de autteur[s] ad ce propos que je ramentevoye en moy meismes l’un aprés l’autre, comme se fust une fontaine resourdant. Et en conclusion de tout, je determinoye que ville chose fist Dieux quant il fourma femme, en m’esmerveillant comment si digne ouvri[e]r daigna oncques faire tant abominable ouvrage qui est vaissel, au dit d’iceulx, si comme le retrait et herberge de tous maulx et de tous vices…

En ceste dollente penssee ainsi que j’estoye, la teste baissiee comme personne honteuse, les yeulx plains de larmes, tenant ma main soubz ma joe acoudee sur le pommel de ma chayere, soubdainement sus mon giron vy descendre un ray de lumiere si comme se le soleil fust. Et je, qui en lieu obscur estoye, ouquel a celle heure soleil rayer ne peust, tressailly adoncques si comme se je feusse resveillee de somme. Et dreçant la teste pour regarder dont tel lueur venoit, vy devant moy, tout en estant, trois dames couronnees de tres souveraine reverence, desquelles la resplandeur de leurs cleres faces enluminoit moy meismes et toute la place. Lors, se je fus esmerveillee, nul nel demant, considerant sur moy les huys clos et elles la venues, doubtant que ce fust fantosme pour me tempter, fis en mon front le signe de la croix, remplie de tres grant paour (620-622)33.

A la lecture de Matheolus, la pensée se met en action, comme un moulin, le souvenir d’auteurs revient, comme une fontaine. Ensuite, vient la vision, l’émergence des images, des figures et personnifications allégoriques qui sont des émanations de l’imagination de l’auteur. L’aventure se déroule dans la pensée du lecteur/auteur avant de devenir un livre matériel, celui qu’annonce souvent l’épilogue. En quelque sorte elle est en gestation dans la gésine de l’imagination (dans la vision). A la fin du texte, le je témoin du songe est chargé par une instance allégorique de transcrire, ou décide de le faire de son propre chef, afin de le léguer (accouchement). Par cette mise en scène, il devient le passeur du livre, une instance entre sa mémoire, son bagage imaginaire accumulé dans l’imagination ou dans la fantasie et réactivé sous le coup d’un trouble mental, et le lecteur, parfois le prince. L’auteur sert de passage, de lieu de transition.

A la fin du Chemin de Longue Etude, Raison, juge du débat céleste entre Noblesse, Richesse, Sagesse et Chevalerie quant à leur supériorité auprès du prince, délègue à Christine, témoin en retrait emmenée par Sibylle, mission de transcrire le texte et de le porter à la cour de France pour donner la sentence finale. Christine intègre d’autant mieux une figure de passage que le texte crée une ambiguïté linguistique entre l’état de sommeil et d’accouchement à travers le mot gesir. Une fois Christine redescendue sur terre, sa propre mère s’étonne qu’elle soit restée aussi longtemps au lit, à gésir34

De la ma mere qui me porta,

Qu’a l’uys de ma chambre hurta,

Qui de tant gesir s’esmerveille,

Car tart estoit, et je m’esveille (vv. 6395-6398).

Sommeiller, songer, accoucher d’une œuvre deviennent ainsi interchangeables. L’auteur, ou plus précisément, le je de la vision est le passage, la gésine au sein de laquelle mature le texte qui n’advient à la naissance qu’à la fin de l’œuvre, qu’au moment où il passe au lecteur. Précisément comme dans le Roman de la Rose

Même jeu à la fin du Quadrilogue invectif de Chartier35. Dame France se tourne vers le je, témoin en retrait, afin qu’il serve la chose publique, comme les orateurs romains. Et Chartier de s’adresser aux lecteurs : « et a chascun lecteur prie le voulloir interpreter favourablement et y jugier a cognoistre la bonne affection plus que la gloire de l’ouvraige. » (p. 66). Chartier doit encore écrire matériellement le livre pour le passer au lecteur dont il requiert bon jugement.

Contrairement au Quadrilogue, le texte de l’Espérance36 d’Alain Chartier n’est pas véritablement un songe. Au début du prosimètre, l’Acteur est frappé par une douleur à valeur éthique et se trouve comme « homme esvanouy et pasmé » (p. 3, l. 25). Lui apparaît Dame Melencolie, personnage hirsute qui « affoiblit le sensitifz espris ». S’éveille alors fantasie. Au pied du lit de l’Acteur se présentent les trois monstres, Defiance, Indignation, Desesperance. Après le discours des trois monstres, Entendement, « qui coste moy soumeilloit » (p. 22, l. 15) s’éveille et va ouvrir le petit guichet de la mémoire de l’Acteur. De là surgissent les trois vertus, Foi, Espérance et Charité qui vont restaurer le moi troublé.

Le jeu ambigu sur l’état de léthargie qui frappe le je, le sujet du texte, c’est-à-dire le personnage engagé dans le texte par une quête de connaissance, exploite les ressources du songe pour créer une ambiguïté, voire une distanciation des instances de parole37. Entre veille et sommeil, le sujet du texte se démultiplie provoquant un effet de mise à distance, de désubjectivisation. Le je du prologue, Alain Chartier, n’est pas l’Acteur, qui n’est pas Entendement. Et pourtant il s’agit du même sujet. Selon la théorie de Ricœur une mise à distance de l’ego (présence de soi à soi) est nécessaire dans tout processus symbolique pour qu’advienne le vrai moi. Sans ce décalage, sans la distance imposée du soi à soi, il n’y a pas d’interprétation possible, pas de sens possible. L’ego doit se séparer de la référence première au monde, sa saisie directe, et grâce à la fiction, se décaler et jeter un autre regard sur le monde. L’esthétique du Livre de l’Espérance est entièrement basée sur une forme d’humiliation du sujet pour qu’advienne un sens nouveau, pour restaurer l’harmonie perdue. Troublé par les circonstances historiques pénibles, le sujet du texte ne comprend plus rien à l’ordre du monde. De là les récriminations projetées dans la bouche des monstres, mais qui sont des questions de bon sens. Le discours des vertus théologales va agir pour humilier le sujet et de cette humilité symbolisée par le style humble, celui de la rhétorique des exemples notamment, reconstruire, restaurer le sujet. Le sujet, dépossédé de son rapport direct aux réalités, est amené à intégrer une autre logique et accède à une senefiance renouvelée.

Pour mettre en place son esthétique du style humble, Chartier a largement exploité les potentialités du songe. Cet écran permet de démultiplier les sujets. Le je narrateur du Roman de la Rose n’est pas Guillaume de Lorris, n’est plus l’amant qui a vécu le songe, puis la réalisation du songe. D’où aussi cette possibilité pour le lecteur de calquer sa propre quête de sens sur le modèle du sujet du texte qu’est le je38.

L’auteur impliqué dans le texte selon la terminologie de Ricœur39subit toujours un effet de fictionalisation, de biais. Il n’est jamais égal à l’auteur réel. La fiction du songe accentue l’expression du décalage, de la distance du soi à soi. Cette modalité du texte donne l’occasion de forger des figures d’auteur et des sujets de texte variés et fonction des projets d’écriture.

George Chastelain donne ainsi une ampleur à ces entrées en songe insistant sur deux pôles qui peuvent paraître contradictoires. Le lexique relatif aux facultés mentales se développe insistant sur le songe comme métaphore du texte. Insistant aussi sur la valeur exceptionnelle de ce texte. En même temps, le sujet qui parle, un George impliqué dans le texte, différent du Grand George, semble totalement aliéné, entre sommeil et veille, en proie à une merveille.

« …ains comme au point d’extasie sans dormir, ne veillier, me faisoient gésir neutre en celuy estat… » (Entrée du roy Louis en nouveau règne, p. 4)40.

Les entrées et sorties de songes insistent souvent sur le ravissement, l’aliénation, l’oubli de soi. Je est véritablement un autre, sous la domination de fantasie :

J’estoye venu, ce vous ay dit, en ce lieu, comme homme ravy. Ne sçavoye où, ne quoy, ne comment, ne si j’estoye moy-mesme ou autruy, et n’estoye encore entré dedans ce tref fors en tournoyant par dehors et jusques à la fente par devant qui faisoit l’entrée (Livre de Paix, p. 350).

L’ensemble des facultés mentales semblent être mis en suspens laissant seule agir imagination (ou fantasie) qui recueille, la vision :

Soudainement lors, comme si le tonnoirre chéist du ciel, vinrent à la croisure de mon estude crier quatre impétueuses voix moult aguës ; et disant icelles : « Ouvre cy ! ouvre ! », fellement frappèrent sur huys et fenestres qui toutes churent du coup, et y entrèrent quatre dames moult espoventables en regart, lesquelles, avecques horreur de figure, me donnèrent frémison aussy en leur survenue, jusques à retraire tous mes esprits emprès le cœur, et laisser le corps privé de ses mouvemens, fors seulement la vue, laquelle arrestéement se contint en icelles, mais, affuiant vers la fantasie, s’esmerveilloit toute de l’intention de ces quatre […] Lors, moy surpris en ce point, comme homme à demi mort et qui n’avoie riens en vigueur, fors seulement la fantasie où tout je recueilloie, et la très-estrange habituation d’icelles et la très-horrible ostention foraine aussy de leurs contendances… (Exposition, éd. cit., pp. 248-249).

Le je de l’exposition est à demi mort, privé de parole…

Oubli, perte de soi à soi, souffrance, incompréhension scandent l’exposition du cadre-songe. L’accouchement de l’œuvre est dépossession de soi, phénomène extraordinaire. Comme si la senefiance, le sens ne pouvait advenir qu’après une privation de soi, qu’après souffrance mentale, exactement comme chez Chartier.

Avec George Chastelain, le songe, métaphore du livre intérieur trouve une expression forte. La métaphore permet de dire comment l’invention provoque un effet de mise à distance de l’auteur par rapport à soi, comment elle est le produit d’une « recollection », d’une action de la mémoire, de la traversée de la parole de l’autre dans le théâtre imaginaire du moi qui recompose le sens, devenant lui-même lecteur pour être auteur. Mais lecteur humble, rejetant l’orgueil d’un savoir tout-puissant pour s’ouvrir à l’autre. Lieu ambigu, le songe, toujours mensonge pour l’écriture peut être mué en vérité par la lecture. Ce pouvoir de la fiction, le songe l’a mis en scène et les auteurs soucieux d’agir sur le champ public s’en sont emparés. A l’épilogue, lorsque l’auteur sort de sa fantasie, état de folie mentale qui coïncide avec l’écriture du livre intérieur et reprend l’ambiguïté fondamentale du songe, de nombreux textes insistent sur le travail à accomplir d’écriture matérielle pour passer le livre aux lecteurs parfois un personnage réel de haut rang. Le songe/la fantasie/la folie de l’auteur n’ont d’autre devenir que la lecture. C’est dans cet avenir que symbolisent prophétie et usage du futur dans le Roman de la Rose que s’accomplit la re-formation, la re-figuration par la fiction, que le voir peut se réaliser et que le songe peut sortir de l’impasse du mensonge.

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1 Chrétien de Troyes, Le Conte du Graal, éd. Charles Méla, Paris, Pochothèque, 1994.

2 Benoît de Sainte-Maure, Le Roman de Troie, éd. par Emmanuèle Baumgartner et Françoise Vielliard, Paris, Librairie Générale Française, 1998 (Le Livre de Poche, Lettres Gothiques, 4552), vv. 1-6 et 33-39.

3 Guillaume de Lorris et Jean de Meung, Le Roman de la Rose, éd. par Armand Strubel, Paris, Librairie Générale Française, 1992 (Le Livre de Poche, Lettres Gothiques, 4533), p. 42.

4 Sur ce sujet, voir la belle thèse de Daniel Heller-Roazen, Fortune’s Faces. The « Roman de la Rose » and the poetics of Contingency, Baltimore-London, Hopkins, 2003.

5 Voir par exemple la définition de Jane Taylor, The Poetry of François Villon. Text and context, Cambridge, University Press, 2001. Elle applique la théorie de M. Bakhtine (La poétique de Dostoievski, Paris, Seuil, 1970).

6 Marie-Noëlle Toury, Mort et Fin’Amor dans la poésie d’oc et d’oïl aux XIIe et XIIIe siècles, Paris, Champion, 2001 (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age, 60), pp. 237-243.

7 David Hult, Self-Fulfilling Prophecies : Readership and Authority in the First Roman de la Rose, Cambridge, University Press, 1986.

8 Une fois de plus, le texte du Roman de la Rose se construit sur une intertextualité signifiante. La scène de conseil est un élément traditionnel des chansons de geste et des romans. Charlemagne et Arthur rassemblent leurs pairs (souvent au nombre de douze, chiffre symbolique) pour prendre conseil avant un départ ou un combat.

9 Jean-Claude Mühlethaler, « Un poète et son art face à la postérité : lecture de deux ballades de Deschamps sur la mort de Machaut », Studi Francesi, 99 (1989), pp. 397-409.

10 Nancy Freeman Regalado, « The Medieval Construction of the Modern Reader : Solomon’s Ship and the Birth of Jean de Meung », Rereading Allegory : Essays in Memory of Daniel Poirion, Yale French Studies, 95, 1999, pp. 81-108. L’écriture et la lecture sont des actes de reproduction. Le parallèle est évident entre l’acte de reproduction sexuelle et la lecture/écriture.

11 Roger Dragonetti, Le Mirage des sources. L’art du faux dans le roman médiéval, Paris, Seuil, 1987, pp. 200-225.

12 Fabienne Pomel, Les Voies de l’au-delà et l’essor de l’allégorie au Moyen Age, Paris, Champion, 2001 (Nouvelle Bibliothèque du Moyen Age, 57). Voir en particulier le chapitre VI, pp. 247 et sq.

13 Virginie Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI. Imaginaires et discours, Paris, Champion, 2005 (Bibliothèque du XVe siècle, 68).

14 Christiane Marchello-Nizia, « Entre l’histoire et la poétique : le songe politique », Revue des sciences humaines, 183, 1981-83, pp. 39-53.

15 Jacqueline Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et l’écriture au XIVe siècle, Paris, Champion, 1985 (Bibliothèque du XVe siècle, 47).

16 Jean Froissart, Le Joli Buisson de Jonece, éd. par Anthime Fourrier, Genève, Droz, 1975 (TLF, 222).

17 Entendons celles qui exercent un pouvoir.

18 Evrart de Conty, Le Livre des Eschez amoureux moralisés, éd. par Françoise Guichard-Tesson et Bruno Roy, Montréal, CERES, 1993 (Bibliothèque du Moyen Français 2).

19 Pour une analyse plus développée de la métaphore musicale et du discours politique dans le Livre des Echecs amoureux, voir notre thèse : Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique à l’époque de Charles VI.

20 Toutes les citations sont tirées de l’édition suivante : Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir dit, éd. et trad. par Paul Imbs, introd. Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Paris, Librairie Générale Française, 1999 (Lettres gothiques, 4557).

21 Selon notre thèse, voir Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique

22 Un deuxième songe apparaît, aux vers 7665-8106. De nouveau la multiplication des distorsions de point de vue renforce la problématique du dire et du vrai au sein d’un discours problématique. Le deuxième songe apparaît après l’épisode qui ranime la douleur de l’amant, de l’entrevue avec son secrétaire qui lui conseille de ne pas tenter de rapprochement avec sa dame, en raison de l’insécurité des routes, puis du témoignage de l’ami-chevalier du narrateur qui dénonce les infidélités de la dame. Le rêve-vision est la conséquence du soupçon du narrateur face à la vérité de la dame et du témoignage des proches du poète. La perception du vrai est à nouveau dépendante de la confiance en la parole de l’autre. Le vœu de vérité du narrateur subit une crise parce que celui-ci n’a pas tous les points de vue, parce qu’il n’est pas omniscient et qu’il dépend de la parole de l’autre pour construire son sens. En particulier, le narrateur ne peut voir de ses yeux et doit se référer à des intermédiaires parce qu’il est empêché par les circonstances historiques de circuler à sa guise pour voir sa dame (le problème revient avec le premier songe). La solution face au doute sur la dame passe à nouveau par le biais des miroirs.

23 Sur l’importance de cet épisode dans le discours au prince, voir Jacqueline Cerquiglini, Guillaume de Machaut. Le Livre du Voir-Dit. Un art d’aimer, un art d’écrire, Paris, SEDES, 2001.

24 On sait que le tissage est une figure de la création littéraire (voir le mythe d’Arachné). Voir Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « Cadmus ou Carmenta : réflexion sur le concept d’invention à la fin du Moyen Age », in : What is Literature ? France 1100-1600, ed. by François Cornilliat, Ullrich Langer, and Douglas Kelly, Lexington, French Forum, 1993 (The Edward C. Armstrong Monographs on medieval Literature, 7), pp. 211-230. Voir également Perrine Galand-Hallyn, Le Reflet des Fleurs. Description et métalangage d’Homère à la Renaissance, Genève, Droz, 1994 (Bibliothèque d’Humanisme et de Renaissance), chap. 2.

25 Paul Imbs, Le Voir-Dit de Guillaume de Machaut. Etude littéraire, Paris, Klincksieck, 1991.

26 Ulysse est l’arrière petit-fils d’Hermès, dieu des songes et dieu du mensonge… Voir Pietro Citati, La Pensée chatoyante. Ulysse et l’Odyssée, trad. par Brigitte Pérol, Paris, Gallimard, 2002. Jacqueline Cerquiglini a bien mis en évidence cette auto-représentation de l’auteur-clerc, le borgne, laid, dont la vue est tronquée. Guillaume de Machaut active dans le Voir Dit cette image à travers le mythe de Polyphème, le cyclope, qui n’a qu’un œil, comme le borgne et hideux Guillaume. La figure d’Ulysse qui surgit aussi chez Machaut comme figure d’auteur est d’autant plus pertinente dans le rapport entre l’auteur et la vérité atteinte de biais qu’elle est aussi une figure de prince sage. Dans l’Ovide moralisé, qui est une source d’inspiration mythologique pour Machaut, Ulysse est l’exemple du prince sage et clerc, supérieur à Ajax, figure de chevalerie (livre 13, disputes des armes d’Achille). Ulysse trompe pourtant, par son éloquence, sa faconde. Mais Ulysse est le prince qui triomphe. C’est à lui que reviennent les armes d’Achille. Voir Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « Polyphème et Prométhée. Deux voies de la création au XIVe siècle », in : Auctor et Auctoritas. Invention et conformisme dans l’écriture médiévale : Actes du colloque tenu à l’Université de Versaille-Saint-Quentin-en-Yvelines (14-16 juillet 1999), sous la dir. de Michel Zimmermann, Paris, Ecole des Chartes, 2001 (Mémoires et documents de l’Ecole des Chartes), pp. 401-410 et « Polyphème ou l’antre de la voix dans le Voir-Dit de Guillaume de Machaut », in : L’Hostellerie de pensée. Etudes sur l’art littéraire au Moyen Age offertes à Daniel Poirion par ses anciens élèves, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1995, pp. 105-118.

27 Jean Froissart, La Prison amoureuse, éd. par Anthime Fourrier, Paris, Klincksieck, 1974.

28 Claude Thiry, « Allégorie et histoire dans la Prison amoureuse de Froissart », Studi Francesi 61-62, 1977, pp. 15-29. Claude Thiry pose l’hypothèse d’une composition qui va s’amplifiant à partir d’une pièce de circonstance, la Complainte de moralité, vv. 3010-3153. Le songe, puis l’interprétation allégorique (faite à la demande de Rose lui-même), puis la fable de Pynotëus et Neptisphélé, voilent progressivement la circonstance, éloignent du voir

29 Georges Chastellain, Œuvres, éd J. Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, F. Heussner, 1863-1866, 8 volumes, vol. 7 « Advertissement au duc Charles soubs fiction de son propre entendement parlant à luy-mesme ». Le titre est parlant. C’est l’entendement qui parle au je. Il y a donc division du sujet/auteur.

30 Dans de nombreux monuments d’œuvres allégoriques, le texte est encadré par une miniature liminaire qui présente l’auteur en songe, et une miniature finale représentant l’auteur à son pupitre.

31 A ce sujet, voir l’article de Giovanna Angeli, « Le type-cadre du songe dans la production des Grands Rhétoriqueurs » in : Actes du Ve colloque international sur le Moyen Français, Milan, 6-8 mai 1985, vol. 1, Milan, Vita e Pensiero, 1986, pp. 1-20.

32 Christine de Pizan, Le Chemin de Longue Etude, éd. par Andrea Tarnowski, Paris, Librairie Générale Française, 2000 (Livre de Poche, Lettres Gothiques, 4558).

33 Christine de Pizan, Le Livre de la Cité des Dames, vol. 2, éd. par Maureen Curnow, fac-similé, UMI Dissertation Services, 1996.

34 Au moment où Raison donne la mission de porter le débat à la cour, Christine précise qu’elle tire les écrits du débat hors de son « sain »… (vv. 6363-6364).

35 Alain Chartier, Le Quadrilogue invectif, éd. par Eugénie Droz, Genève, Droz, 1950 (TLF 32).

36 Alain Chartier, Le Livre de l’Espérance, éd. par François Rouy, Paris, Champion, 1989 (Bibliothèque du XVe siècle, 51)

37 Minet-Mahy, Esthétique et pouvoir… (cit. supra, n. 12).

38 Pour une analyse du Livre de l’Espérance, voir Esthétique et pouvoir de l’œuvre allégorique

39 Paul Ricoeur, Temps et récit. t. III. Le Temps raconté, Paris, Seuil, 1985 (Points Essais, 229). Cf. aussi les concepts d’« archilecteur » chez Michael Riffaterre (Essai de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971) et le « lecteur implicite » chez Wolfgang Iser (L’acte de lecture. Théorie de l’effet esthétique, Bruxelles, Mardaga, 1976).

40 Ed. cit.