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L’invention iconographique du songe de l’arbre de Jessé

Francesca BRAIDA

Paris

Les études qui ont essayé jusqu’à présent de décrypter la construction de l’image de l’arbre de Jessé tirée du verset biblique d’Isaïe n’ont pas pris en considération l’aspect onirique de l’image qui apparaît comme un élément prédominant dans la majeure partie des représentations. Selon Arthur Watson, les sources qui ont pu inspirer la composition iconographique de l’arbre de Jessé remontent fort probablement à un sermon pseudo-augustinien Contra Judeos, Paganos, et Arianos, approximativement datable de la fin du IVe ou du début du Ve siècle1. Parmi les pionniers à s’attacher à l’étude de l’arbre de Jessé, l’abbé Corblet, auteur d’une étude très riche sur sa représentation iconographique, surtout en France, s’interroge sur les origines de la configuration des prophètes et identifie dans un drame liturgique du XIe siècle une source d’inspiration. Le Drame liturgique de Saint-Martial de Limoges (Paris, BN ms.lat.1139) avait puisé son inspiration dans le sermon du pseudo-Augustin dont la partie concernant les prophètes continuait à être transmise sous forme de lectio. Watson cite à ce propos les recherches menées par Karl Young sur des lectionnaires latins des XIe, XIIe et XIIIe siècles et de Charles Upson Clarck sur un manuscrit de lectiones de la cathédrale de Cordoue remontant au Xe siècle2. Parmi les lectiones conservées dans ce manuscrit on trouve aussi la partie du sermon du pseudo-Augustin concernant les prophètes. Construit autour d’une interrogation adressée par le prédicateur à treize prophètes, le sermon est déjà une anticipation du drame, car il met en scène quatorze personnages dont un, le prédicateur, est réel, et les autres présents en imagination. Les dialogues question-réponse sont joués par le même personnage qui remplit ainsi le rôle d’acteur personnifiant le jeu de rôles par l’inflexion de sa voix et passant, comme le remarque Watson, de la « voce remissa à la voce exalta. »3

Hermann Braet et Marie-Magdeleine Davy ne font que rapidement allusion à l’arbre de Jessé. Braet consacre un article au songe de l’arbre dans l’œuvre de Wace, de Benoît et d’Aimon de Varennes4. Il s’interroge sur les sources littéraires qui ont pu inspirer ce motif au Moyen Age et parmi les représentations végétales dont la Bible foisonne, il cite aussi le verset d’Isaïe, la virga Jesse, soulignant combien ce thème jouira d’une grande fortune au Moyen Age : « Rien de moins étonnant donc si le signe du rejeton du corps humain était familier aux auteurs médiévaux. L’exemple que lui proposent les artistes est éloquent. Le plus souvent même, Jessé est endormi : l’arbre qui part de ses reins semble lui apparaître en rêve ! »5 Marie-Magdeleine Davy6 mentionne la représentation de l’arbre de Jessé commanditée par Suger pour les vitraux de Saint-Denis, reprise ensuite dans les vitraux de la cathédrale de Chartres en 1150. Elle donne cette description de l’image : « Un arbre sort de Jessé et les rois forment la tige de l’arbre. Des deux côtés de celui-ci se tiennent les prophètes ; d’âge en âge, le rejeton de Jessé a été annoncé. Jessé dort et une lampe suspendue au-dessus de sa couche indique qu’il aperçoit l’avenir dans un songe. » Selon Marie-Magdeleine Davy, les éléments révélateurs du songe dans l’image seraient donc la figure de Jessé allongé et endormi et la présence de la lampe qui éclaire le lieu où Jessé dort.

L’invention du songe de Jessé : l’image promesse de texte

Mon hypothèse de travail et la suggestion que je voudrais apporter parallèlement aux études déjà parues7 est une nouvelle perspective sur l’image de l’arbre de Jessé, qui tienne compte de la dimension onirique dans laquelle elle est souvent représentée.

Les questions qui surgissent sont multiples. Tout d’abord pourquoi le recours au songe comme dimension figurative d’un verset biblique qui ne fait aucune allusion au rêve ? Ensuite, quel est l’impact que la création ex novo d’une image sacrée a pu avoir sur la codification de l’image elle-même dont la variété et la multiplicité des représentations témoignent non seulement d’un goût pour l’iconographie de ce verset mais aussi d’un message liturgique qui fait désormais partie intégrante de la culture du chrétien et de la parole de l’Eglise ? Le choix de l’image, souvent représentée à l’entrée de l’église, par exemple sur le portail de la cathédrale d’Orvieto, peinte sur les façades des églises en Roumanie8, ou sculptée sur les colonnes, montre au regard du fidèle l’importance qu’on lui donnait dans l’espace sacré. L’image de l’arbre de Jessé accueille et envoûte le regard du fidèle. Elle l’emporte et s’empare de son attention. Le chrétien, saisi dans le déroulement de l’image, est pris aux lacs du discours biblique, il est tissé par le regard dans l’histoire divine qui est présentée sous forme de rêve. Dans le rêve ou dans le sommeil, c’est la généalogie du Christ qui se déroule sous les yeux du fidèle. Son regard est amené à suivre après l’artiste le parcours qui de bas en haut, de l’homme à Dieu, l’amènera au Christ par l’intercession de la Vierge. De la racine de Jessé naîtra la Vierge qui elle-même sera la source de la vie divine.

Mon hypothèse de lecture se fonde sur les éléments iconographiques de l’image de l’arbre de Jessé qui permettent de la lire comme la représentation d’un songe. Le songe, qui finalement n’est qu’un prétexte figuratif, lui servira de texte, de clé de lecture pour toute une construction imagée qui doit nourrir et peupler de ses figures de prophètes et de sibylles l’imaginaire chrétien. La présence d’images sous forme de rêve, et d’images où l’on voit Jessé éveillé, montrent comment le verset s’offre au regard du fidèle. Celui-ci devient à son insu spectateur d’une invention, celle du songe, à laquelle il participe par son regard, par son consentement et par la répétition de l’image dans les églises. C’est ainsi qu’au Moyen Age on commente de façon figurative le caractère exceptionnel du verset biblique qui devient la prophétie des prophéties, celle qui annonce la venue du Messie par la généalogie de sa mère. Cette image consacre la Vierge en tant que mère de Dieu et le Christ en tant que fils d’une femme. Le divin et l’humain se rejoignent dans l’échelle de l’arbre et se définissent l’un par rapport à l’autre dans la dimension spatio-temporelle et dans la dimension onirique qui confère à l’image et à la prophétie un sens d’unicité et un caractère d’exception.

Mon objectif est de montrer comment le songe est utilisé dans la représentation artistique comme élément nécessaire au discours religieux tel qu’on a pu le voir dans les recueils d’exempla et de miracles. Le rêve sort de l’espace du texte pour se créer une image là où il n’existe pas. Il est l’héritier du pouvoir que lui confère la Bible. Il s’est renforcé après les récits des Pères de l’Eglise et des hommes de religion qui ont laissé leur propre témoignage à côté de celui des autres, il devient, grâce à l’image de l’arbre de Jessé, texte dans l’image. Le songe se marie au récit des drames liturgiques pour témoigner de l’importance que la représentation théâtrale, la mise en espace de la parole divine, avait au Moyen Age, et de son impact sur le peuple des fidèles. Voir et revoir équivaut à vivre et revivre, et c’est ainsi que le chrétien se reconnaît dans la communauté des fidèles.

L’art prête à l’Ecriture divine le songe pour compléter le message de la prophétie. Isaïe, porte-parole des mots de Dieu annonce au monde la naissance du Messie, traçant la généalogie de la Vierge Marie qui l’enfantera. Le verset de la Bible mentionne un parcours idéal entre la souche Jessé, qui est la racine, et le sauveur du monde, qui est le but ultime auquel cette racine aura donné naissance. Jessé est l’origine de l’échelle, il est le commencement de la vie de Christ. Cette prophétie ne fait pas référence au rêve et n’est pas non plus donnée sous forme de rêve. Le rêve n’est donc ni son contenant ni son véhicule ni sa forme d’écriture, mais il devient, dans la représentation visuelle, sa forme de lecture. La prophétie est rendue visible sous forme de rêve, adoptant le cliché iconographique qui lui est propre : celui d’un homme allongé et endormi. Le rêve sert d’élément de cohésion d’ensemble, élément modeleur des mots et de l’image. Il devient la forme d’expression propre au divin. Dans les mots sacrés, le rêve n’existe pas. Les artistes l’ont inventé en ayant recours à l’une des formes manifestes et récurrentes de communication entre le divin et l’humain. Le choix du songe confère à la scène un sens prophétique, car on présuppose au songe une inspiration divine. Deux éléments iconographiques ont été choisis pour donner naissance à l’une des représentations les plus diffusées de la religion chrétienne, l’arbre généalogique et le rêve. L’idée de l’arbre supplée la liste des noms, donnant une forme et une progression iconographiquement lisible. L’arbre est un élément qui, depuis la Genèse, est un attribut familier de la divinité. L’arbre généalogique qui est représenté dans sa forme sensible, même si elle peut être stylisée ou parfois seulement évoquée par les volutes des branches et du feuillage, prend naissance dans le corps, et souvent dans le ventre de Jessé :

Un rameau sortira de la souche de Jessé,

Un rejeton jaillira de ses racines

Sur lui reposera l’Esprit su Seigneur :

Esprit de sagesse et de discernement,

Esprit de conseil et de vaillance,

Esprit de connaissance et de crainte du Seigneur9.

Cette verge qui naîtra de la racine de Jessé donnera ensuite naissance à une fleur précieuse, car sur elle descendra l’esprit du savoir et de la justice divine. Ce verset ne mentionne pas les figures des prophètes et des sibylles, ni la généalogie des rois de Judée, tirée de l’Evangile selon Matthieu, qui feront l’objet constant des représentations. Le discours biblique se mêle au discours décoratif pour donner naissance à la réinterprétation d’un verset avec un apparat iconographique qui désormais sera la lecture du verset. L’image donne une épaisseur et une continuité à la parole de la prophétie, elle rend visible par le biais du songe la généalogie qui relie le Messie à la terre et donc au genre humain, mais, étant la pointe finale de l’arbre, elle entre en contact avec le ciel. Porteuse des dons divins, la prophétie marque la liaison entre les deux mondes et la fusion dans l’image de la pensée chrétienne.

Le songe peut également être évoqué à propos de l’iconographie de la basilique de Saint-Denis. En effet, le choix iconographique opéré par Suger lors de l’agrandissement de la basilique de Saint-Denis conduit à poser deux hypothèses. La première suivrait le parcours d’ascension vers le pouvoir qui a porté Suger à devenir abbé de Saint-Denis et conseiller privilégié du roi. Fort de ses pouvoirs, Suger essaie de faire de Saint-Denis le lieu de la royauté, la basilique où l’on sacre les rois, remplaçant ainsi celle de Reims qui en détenait le prestige, et retrouvant l’ancienne tradition inaugurée par Charlemagne de l’investiture royale à Saint-Denis. C’est ainsi que l’on pourrait comprendre la commande d’un vitrail de l’arbre de Jessé. L’image, qui, pour Suger, est source d’enseignement, devait célébrer la royauté terrestre et céleste, par une synthèse de la virga qui est constituée par les rois de Judée. La royauté française s’inscrit dans ce continuum du pouvoir royal qui, s’appuyant sur la Bible, a élu la maison de France, maison de Dieu, au service du pape et des valeurs chrétiennes10. Les efforts accomplis par Suger pour ramener à Saint-Denis la cérémonie de l’onction divine pour l’investiture et le sacre du roi confirment son désir d’en faire le nouveau centre de la chrétienté après Saint-Pierre de Rome, autre pôle du pouvoir spirituel et temporel. La vie même de Suger témoigne de ses activités au service du roi en tant qu’ambassadeur, conseiller et administrateur. L’image donc résumerait un aspect de droit d’enracinement de la royauté dans une souche, celle de Jessé, qui donnera naissance, après une longue liste de rois temporels, à la royauté du monde, c’est-à-dire au roi divin. Le principe de sacralité de la royauté serait ainsi confirmé, mais puisque l’événement ultime dont est porteuse l’image est la naissance du Christ, la fleur de l’arbre, la fleur de toutes fleurs, le fruit miraculeux, cette prophétie, qui relie l’humain au divin dans une généalogie du pouvoir temporel et spirituel, est donnée sous forme de rêve. L’image prend la forme d’un rêve dont la révélation est visualisée dans l’image de l’arbre.

Le même cliché iconographique de la lampe qui éclaire le songe (déjà mentionné par Marie-Magdeleine Davy pour l’arbre de Jessé), dans les vitraux de Saint-Denis, est repris dans les vitraux de Chartres, dans le songe de Pharaon. Pharaon est endormi et allongé sur le côté sur un lit drapé, sa tête couronnée appuyée sur son coude. Dans l’espace du lit à baldaquin il y a une lampe allumée11. Le recours à la lampe insérée dans l’image du songe, alors qu’elle n’est pas mentionnée dans le texte, pose la question des destinataires de ce songe. Colette Manhes-Deremble soutient que le songe de Pharaon s’adressait aux rois et que l’insertion de la lampe symbolise la nuit12. De même, elle parle du programme iconographique de la cathédrale de Chartres comme d’un miroir des princes13. Dans son étude comparative sur les vitraux du bon Samaritain, l’auteur met en évidence le rôle de l’image propagée par le vitrail :

La mise en image est aussi une mise en scène, et le vitrail se comprend mieux si on le rapproche de certains drames liturgiques : ici comme là, le récit primitif est décomposé en tableaux, les sentiments traduits en gestes et attitudes, les thèmes épousent des formes symboliques, les personnages ont des attributs fixes qui permettent une reconnaissance14.

Elle montre que l’image que le fidèle admire n’est pas le fruit de la fantaisie de l’artiste, mais la résultante d’un travail de soudure des textes, d’emprunts narratifs qui vont se constituer comme source du récit de l’image. Cela nous paraît un intéressant point de départ pour notre réflexion sur la conception de l’image de l’arbre de Jessé :

Parce qu’il vient pour fixer une tradition, le vitrail n’invente pas les histoires qu’il raconte. L’image tient son sens d’autres textes, d’autres images qui la précèdent. Elle reste hermétique à ceux qui n’ont pas vu, entendu ou lu les sources qui lui ont donné naissance15-16.

L’origine de l’image de l’arbre de Jessé : quelques hypothèses

Cette composition de l’arbre de Jessé pourrait aussi trouver son origine dans la forte composante visionnaire et prophétique des populations judéo-chrétiennes de la Mer Morte telles que les Esséniens17. Le christianisme, loin de se démarquer des cultures préexistantes, les a à l’inverse intégrées et assimilées, donnant lieu à une nouvelle tendance fondée sur des croyances anciennes et déjà bien ancrées dans les mentalités. Les fragments de manuscrits vétérotestamentaires qui nous sont parvenus grâce aux découvertes des grottes de la Mer Morte en 1947 témoignent de cette emprise de la prophétie. La prophétie d’Isaïe 11, 1-3 faisait partie du corpus de textes qui étaient aussi appliqués à la communauté18.

Hubert Shrade, dans son étude sur la peinture romane, attribue à l’arbre de Jessé des origines germaniques ou aryennes19. En revanche, Aurora Nasta, qui a étudié l’Arbre de Jessé dans la peinture du Sud-Est européen, penche plutôt vers une origine byzantine du motif soulignant qu’il ne s’agit pas d’une création occidentale et que l’existence d’un arbre généalogique était déjà attestée en Inde. Le prototype de l’arbre de Jessé dont on peut encore admirer de nombreux exemplaires dans l’art du Sud-Est européen remonterait à un modèle byzantin perdu20.

Une tradition de l’arbre vu en rêve, né du nombril et atteignant des proportions géantes, est attestée depuis le VIIe siècle par l’historien Evagrius Scholasticus qui relate les gesta du roi des Lombards Théodoric. Sa mère aurait vu en rêve un arbre naître de son nombril et devenir énorme au point que ses branches ombrageaient tout le pays. La même image serait reprise ensuite par l’un des auteurs qui relatent les hauts faits de Guillaume le Conquérant.

Une autre source de l’image de l’arbre est à chercher, comme le souligne Aurora Nasta, dans les textes vétérotestamentaires où l’expression « issu de tes lombes » apparaît à maintes reprises. Tilde Giani Gallino lui consacre un livre qui propose une lecture psychanalytique de la construction de l’image de l’arbre comme symbole phallique21. L’arbre serait le phallus du patriarche dont les proportions exagérées assureraient la fécondité et la descendance attestée par les figures dans les branches de l’arbre. L’arbre a aussi joué un rôle déterminant dans les rites religieux des Sémites et des animistes. Il a incarné le symbole de l’alliance chez les Juifs et il est devenu arbre sacré, cité par les prophètes qui condamnent ces croyances populaires (Jérémie 2,27 ; Isaïe 44,14 ; Osée 4,11)22.

Le songe de l’arbre dans la lettre : étude des miniatures

L’arbre de Jessé connaît une énorme diffusion dans l’illustration de la lettre L du Liber Generationis Iesu Christi, incipit de l’Evangile de Matthieu dans de nombreux manuscrits de Bibles latines au XIIIe siècle. L’espace de la lettre contraint l’image à se limiter à l’essentiel, à une synthèse de la descendance généalogique de Jessé sachant que l’écrit qui l’accompagne retracera, dans son ordre chronologique, toute la dynastie (fig.1, Bible, XIIIe siècle, France, Initiale L de l’Evangile de Matthieu, Vendôme, Bibliothèque municipale, ms. 1).

L’élément qui retient l’attention est la répétition du cliché iconographique qui présente un Jessé endormi et allongé dans un lit. Les éléments qui composent l’image renvoient encore une fois à la dimension du songe, dimension qui acquiert une force majeure du fait que la barre verticale du L contient l’histoire de la généalogie divine. La Lettre L du livre s’ouvre sur un songe qui fait fusionner la prophétie et la vérité ultime, le Messie. Souvent la lettre L suit et accompagne l’écriture (fig. 2, Bible glosée, troisième quart du XIIIe s., Naples, Maître de la Bible de Manfred : initiale L de l’Evangile de Matthieu, Bourges, Bibliothèque municipale, ms. 5), parfois, elle reste de dimensions réduites, comme dans la Bible du XIIIe siècle, (fig. 3, Bible, XIIIe siècle, origine française : Initiale L de l’Evangile de Matthieu, Orléans, Bibliothèque municipale, ms. 7), où elle s’offre au regard avec la force condensatrice de l’image qui opère une synthèse du sens, conservant l’élément du songe, représenté par Jessé, endormi et allongé sur un lit au pied de la lettre, mais éliminant l’arbre, qui n’est évoqué que par deux volutes qui s’entrecroisent. En elles, la Vierge et le Christ couronné, qui tient la main droite levée en indiquant le ciel, résument, en tant qu’éléments de la pointe de l’arbre, la fin de la généalogie.

Dans certains manuscrits de l’Historia Scholastica de Pierre Comestor datant du XIIIe siècle, on admire une autre mise en espace de l’image. L’arbre de Jessé se situe dans les marges de l’écriture, le long de la feuille du parchemin, dont la rubrique signale : Incipit Scolastica hystoria (fig. 4, Petrus Comestor, Historia Scholastica, XIIIe s. : Arbre de Jessé, Tours, Bibliothèque municipale, ms. 41). En bas de la page, dans l’espace libre de la marge, on contemple Jessé endormi et allongé sur un lit à pieds. De son giron prend naissance l’arbre qui a presque la configuration d’un pilier, et sur ce pilier, siègent de face, en position hiératique, le roi David, la Vierge et le Christ bénissant et tenant un livre de la main gauche. Cette miniature souligne l’importance visuelle de l’image. Jessé, qui rêve, apparaît dans cette configuration comme l’élément central, celui sur lequel on veut diriger l’attention. Il est dessiné dans la marge, dans l’espace non contrôlé de la page, où souvent les marginalia, les formes grotesques et dérisoires de l’aspect humain, se fraient un droit à l’existence23. C’est dans cet espace que le rêveur prend place, une place qui laisse envisager une liberté, une audace presque. La figure de Jessé endormi est très humaine, le peintre a voulu sauvegarder et séparer le registre humain du registre divin. Le symbole et le sens prophétique sont réalisés dans la colonne qui s’érige sur le pilier partant du ventre de Jessé. La sacralité est affichée dans tout l’épanouissement des attributs visuels de la majesté. Cette image sépare l’espace du rêve et le rêveur. Autrement dit, elle sépare le rêveur de son rêve, qui n’est pas contenu dans un cadre défini pour la miniature, mais qui se place dans l’espace ouvert de la page, à laquelle le songe sert de marge et de base, de début et de fin. La liberté de l’emplacement du songe s’identifie à la condition humaine tandis que le sujet du rêve se dispose selon l’ordre de la hiérarchie divine. Jessé se trouve dans l’espace de la glose, du possible, de l’explication, celui qui définit le mieux sa qualité d’être humain.

Fig. 1 : Bible, XIIIe siècle, France, Initiale L de l’Evangile de Matthieu Vendôme, Bibliothèque municipale, ms. 1, f. 326v.

Fig. 2 : Bible glosée, troisième quart du XIIIe siècle, Naples, Maître de la Bible de Manfred ; Initiale L de l’Evangile de Matthieu Bourges, Bibliothèque municipale, ms. 5, f. 334v.

Fig. 3 : Bible, XIIIe siècle (deuxième tiers), origine France, Initiale L de l’Evangile de Matthieu, Orléans, Bibliothèque municipale, ms. 7, f. 513.

Fig. 4 : Petrus Comestor, Historia Scholastica, XIIIe siècle, Arbre de Jessé Tours, Bibliothèque municipale, ms. 41, f. 10.

Fig. 5 : Psautier d’Ingeburge, 1210, Arbre de Jessé, Chantilly, Musée Condé, ms. 9, f. 14v.

Fig. 6 : Psautier d’origine anglaise du XIIe siècle, illustration du Psaume 43, Paris, BNF, ms. lat. 8846, f. 76.

Fig. 7 : Bible latine, XIIIe siècle, Arbre de Jessé, Lyon, Bibliothèque municipale, ms. 418, f. 359. © Bibliothèque municipale de Lyon, Didier Nicole.

Le Jessé du Psautier d’Ingeburge

Une autre forme de représentation de l’arbre de Jessé qui prend toute l’ampleur de la page, foisonnante de personnages, se trouve dans le Psautier d’Ingeburge de 1210 (fig. 5, Chantilly, Musée Condé, ms. 9). La construction de l’image est très élégante et sobre quoique richement étalée sur un fond de feuilles d’or. Jessé, endormi et allongé sur un lit, est à la base de la miniature. Un arbre de volutes s’élève derrière lui. Mais l’image ne montre pas le lieu où l’arbre prend naissance, elle laisse deviner une racine profonde que les yeux ne peuvent pas saisir. A côté de Jessé, toute une foule de personnages prend place de part et d’autre du rêveur. Les prophètes tiennent chacun un phylactère, signe de prophétie, et la Sibylle, couronnée, a elle aussi un phylactère à la main, symbole de sa parole prophétique qui a prédit aux temps païens l’arrivée du Messie. Dans la partie centrale de l’arbre, les rois musiciens, David, jouant du violon, Salomon, jouant de la lyre, la Vierge tenant un livre à la main et le Christ en majesté qui bénit et tient également un livre à la main, entouré par des colombes, symbole du Saint Esprit qui descend sur lui, et de deux anges.

Le sommeil de Dieu

Toujours en relation avec le thème du songe, la représentation des versets 23 à 26 du Psaume 43 semble être une image intéressante à comparer à l’arbre de Jessé, même si elle ne lui est pas directement liée (fig. 6, Psautier anglais du XIIe siècle, illustration du Psaume 43, Paris, ms. BNF lat. 8846)24. On retrouve la configuration du rêve comme espace réservé à l’humain pour la communication avec le divin. Dieu ne rêve pas, mais le rêve est un attribut du langage divin et Dieu peut être vu en rêve ou en apparition. La fonction du sommeil divin reflète celle de Jessé endormi, tout en en étant fondamentalement différente. Le sommeil divin est perçu comme une absence, comme un vide du regard, tandis que le sommeil de Jessé est l’ouverture de la vue sur la vérité à venir.

La miniature est partagée en deux registres, mais on peut intervertir l’ordre de lecture comme dans celle de l’arbre de Jessé sans altérer le sens de l’image. Dans le registre du haut, on voit, dans un demi-cercle qui délimite l’espace divin, Dieu allongé sur un lit, la tête nimbée appuyée sur la main et le bras droit replié ; le bras et la main gauche sortent de la couverture et suivent la jambe dont on perçoit le pied découvert. Un mince rideau suspendu qui fait vraisemblablement office de baldaquin suit le corps du Seigneur et pend d’un côté à l’autre du lit. Dieu est endormi ou, du moins, il est dans une position confortable et détendue qui est celle du sommeil, la jambe droite repliée. C’est une image très belle, presque intime, qui nous montre Dieu dans son aspect le moins connu, celui de l’homme endormi ou distrait par le sommeil. Le demi-cercle représente l’espace divin conçu aussi en tant qu’espace du regard, de l’œil divin. La simplicité du décor du lit qui renvoie au sommeil fait penser à une prise de vue en cachette, un regard dérobé à l’intérieur d’une maison. De part et d’autre des toits de la Jérusalem céleste, on voit, à gauche, deux prophètes et la Synagogue et, à droite, trois prophètes. Toutes ces figures sont assises de façon conviviale, en train de discuter. Chacune porte dans ses mains les symboles de la prophétie, phylactères et livres. Cette dichotomie de l’action répartie entre les trois volets du haut se retrouve dans le registre du bas où le massacre du peuple fait écho à l’inaction de Dieu. Une guerre furieuse est déclenchée aux dépens du peuple de Dieu, barricadé derrière les remparts d’une ville dont l’armée ennemie victorieuse est en train de s’emparer. A droite et à gauche du portail de la ville, le spectateur a devant lui la scène du désarroi des Juifs qui assistent, impuissants et désarmés, à l’entrée de l’armée ennemie. A gauche, et dans toute la hauteur, disproportionné par rapport au cadre de la miniature, un prophète, tenant de la main gauche un phylactère qui se déroule vers le haut, signe que la prophétie écrite est en train de s’accomplir, et de la main droite un bouclier, est suivi par cinq autres prophètes portant également tous un bouclier à la main. La paix dans laquelle la figure du Seigneur qui trône dans la scène du bas est plongée grâce au sommeil met en évidence le sens de l’action ; la violence de l’armée qui encercle la ville fait entrer dans le vif de l’action le spectateur, qui, voyant ce que Dieu ne voit pas, paraît pris à témoin de l’abandon dans lequel Dieu a voulu laisser son peuple. La vivacité de la discussion des prophètes dans le registre supérieur est comparable aux conseils des courtisans et des nobles autour du roi. Mais la parole est confinée dans l’espace de la parole divine, l’humain n’y a même pas droit. Le prophète qui, sur le haut du rempart, tient un phylactère dans une main et un écu dans l’autre, semble témoigner que la volonté divine était écrite et donc accomplie. Rien ne peut altérer le cours de ce qui était prévu de toute éternité. La volonté de Dieu est absente, et cette absence est symbolisée non par le courroux mais par le sommeil. Dieu a symboliquement les yeux fermés sur le massacre qui s’accomplit en bas, et dont il ne peut prendre conscience à cause du sommeil, ce qui génère la supplique de son peuple :

Réveille-toi, pourquoi dors-tu, Seigneur ?

Sors de ton sommeil, ne rejette pas sans fin !

Pourquoi caches-tu ta face

Et oublies-tu notre malheur et notre oppression ?

Car notre gorge traîne dans la poussière,

Notre ventre est cloué au sol.

Lève-toi ! A l’aide !

Rachète-nous au nom de la fidélité !25

L’arbre, le songe, les personnages : à la recherche des sources

Ce travail cherche à répertorier les sources qui ont pu inspirer la conception de l’image de l’arbre constellé de personnages, et à reconnaître la valeur du songe au sein du discours iconographique de l’Eglise, qui le voue plus que jamais à la fonction de manuel généalogique accompagnant, comme la Genèse, l’apprentissage de l’histoire divine. Dieu, la Genèse, la Passion-Résurrection et l’arbre de Jessé : voilà la composition des connaissances élémentaires du chrétien non instruit26. L’image lui fournit ce que le texte dit ou, comme dans le cas de cette miniature, ne dit pas, laissant l’image inventer et remplacer ce qu’on pourrait appeler une carence du texte. Elle sert de raccourci pour la mémorisation, elle présente un concentré de l’histoire facilement mémorisable de par sa forme d’arbre, par sa structuration qui va souvent à la rencontre des besoins du fidèle. L’image résume, montre et dit ce que le texte dit ailleurs que dans le verset d’Isaïe.

L’arbre de Jessé illustre le rachat du péché d’Adam, le rachat de l’humanité. Il contient en lui les éléments primordiaux de la dimension humaine, la vie et la mort. La mort symbolique du rêveur Jessé est aussi mort réelle dynamisée par la vie des descendants. Selon le processus naturel, une mort engendre une vie, un roi engendre un roi qui remplit l’espace-temps laissé vide par le départ du premier. Une branche engendre une branche jusqu’à donner naissance, au sommet, à la fleur qui est le Christ. Cette image de l’arbre de Jessé est l’inversion de celle de l’arbre de la connaissance dans le paradis terrestre. Il y a transposition visuelle de l’espace : on passe du ciel intellectuel, espace divin, au ciel visible, espace humain. L’arbre de Jessé prend naissance dans le ciel visible et le genre humain se rachète de sa première faute par l’engendrement, agréé bien sûr par la volonté divine, d’une figure humaine qui porte en elle l’homme et le Dieu. Cette flos de l’arbre de Jessé est la quintessence de l’humanité dont le parcours généalogique n’est que l’image spéculaire de la chute d’Adam et Eve. L’humanité déchue est assimilée à l’humanité rachetée, le Christ est le pardon de la faute. La fleur est aussi le fruit de l’arbre qui par sa bonté efface le péché d’outrecuidance, et en même temps scelle pour l’éternité le pacte entre la race humaine et Dieu. Celui-ci, par la fleur de la virga, se rend visible dans le ciel corporel, il devient corps. Dans l’image du paradis terrestre la lecture se fait de haut en bas. On est dans le ciel spirituel, le fruit interdit est cueilli au sommet de l’arbre, et l’humanité est chassée dans le ciel corporel. Les corps mêmes d’Adam et d’Eve prennent leur vraie consistance de corps. Leur densité est donnée par la conscience de soi. C’est par ce mouvement de renaissance intérieure, de parcours inverse qui part des abîmes de l’être, des entrailles de la conscience, que la résurrection de la connaissance se fera. C’est ainsi que l’image de l’arbre de Jessé se donne à voir au spectateur qui est appelé à participer par le regard, sollicité par le mouvement ascensionnel à suivre l’image et à parcourir l’histoire de l’humanité, celle qui depuis la Genèse lui a donné naissance. Si le regard est contraint, pour comprendre l’évolution de l’histoire, à parcourir l’image de bas en haut, il est aussi vrai que l’image elle-même se donne comme une synthèse de la vue, comme une synthèse du geste. L’arbre, dans son unité centrale de vie qu’est le tronc, réunit en un axe direct l’humain et le divin. Si on suit sa ligne, on passe sans distinction de Dieu à l’homme et de l’homme à Dieu. Cette synthèse, qui était absente dans l’image de l’arbre de la connaissance et suggérait seulement la présence de Dieu par l’interdit, montre ici ce que le regard du fidèle aurait toujours voulu connaître : il voit Dieu. Dieu en sa forme de fleur, incarné dans la chair en fils, se place comme principe et fin de l’humanité, comme source et racine, comme miroir et œil. Se voir en Dieu c’est se voir en soi, se voir en soi c’est voir Dieu en nous. L’arbre de Jessé réconcilie l’humanité avec le verset de la Genèse. De la déchirure ancestrale, la réparation que l’homme apporte à l’homme le fait devenir tel qu’il s’est créé, issu de la ressemblance primordiale : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram (Gn 1, 26).

C’est là la grande dimension rêvée de l’arbre de Jessé, la résultante de l’image, le contenu du récit tissé par les signes, le décryptage des figures. L’arbre de Jessé tel qu’il a souvent été représenté est une summa du savoir humain, une apothéose de l’humanité qui se rachète par son savoir en se donnant une descendance divine. On vient de Dieu et on retourne à Dieu. La divinité est inscrite depuis la création dans la chair, cette chair qui ne prend sa vraie valeur et conscience de chair qu’avec le péché. Le péché est acte de connaissance, d’engendrement, de vie. Et le rachat de l’outrecuidant désir de connaissance réside dans la création d’un être, symbole de la connaissance suprême. On retrouve les mots de saint Augustin : « Connais-toi toi-même pour connaître Dieu ». L’arbre de Jessé, au-delà de l’implication généalogique, et de l’emploi politique de l’image pour restaurer le pouvoir de la royauté, donne pleinement sa valeur biblique, sa sacralité d’arbre, comme le rappelle Honorius Augustodunensis dans l’Elucidarium :

Le paradis est un lieu plein d’agrément en Orient ; il contenait des arbres de diverses sortes dont les fruits mangés par l’homme en temps voulu le débarrassaient à tout jamais de ses diverses déficiences, la faim, la soif, la fatigue ; l’arbre de vie, en dernier, le débarrassait de la vieillesse, de la maladie et de la mort27.

Jessé endormi qui enfante rappelle la création d’Eve qui naît de la côte d’Adam endormi (fig. 7, Bible latine, XIIIe siècle, Arbre de Jessé : Lyon, Bibliothèque municipale, ms. 418) et la fleur nous renvoie à ces mots d’Honorius : « Avant le péché, l’homme connaissait le bien par expérience, le mal par science ; après le péché, il connut le mal par expérience et le bien par science. »28 Le temps qu’Adam et Eve ont passé au paradis, sept heures29, dans sa dimension éclair qui est néanmoins celle de l’éternité, marque le long chemin des siècles pour le rachat du genre humain. Comme dans l’Elucidarium où Honorius veut elucidare les points de l’Ecriture, l’arbre de Jessé veut élucider le lien étroit entre l’humain et le divin. Si dans l’Elucidarium, Honorius affirme que quatre colonnes soutiennent l’édifice qu’il a construit : l’autorité des prophètes, l’enseignement des apôtres, celui des commentateurs et celui des maîtres et que [son] intention n’est pas de créer ou d’innover mais plutôt de transmettre un enseignement reçu (transmittere posteritati)30, on peut comprendre comment l’image de l’arbre de Jessé, surtout dans les versions complexes que l’on peut admirer sur les façades des églises de Bukovine, veut élucider et transmettre un savoir par la condensation visuelle de son motif. L’image se fait le lieu et le corps de l’écriture, son apôtre et son commentateur. C’est le talent de l’artiste, comme celui dont Honorius se sent investi, qui devient le maître de la connaissance.

De la même manière qu’Honorius décrit les peines et le feu de l’enfer dont la chaleur ne se compare pas à celle du feu réel et encore moins à celle du feu peint, on pourrait interpréter l’image de l’arbre de Jessé comme une allégorie dépassée par la dimension divine du Christ, qui est insaisissable d’un point de vue humain. L’image du feu peint31 n’est pour Honorius qu’un renvoi symbolique à un élément connu dans la réalité, le feu, et, en même temps, à une valeur de punition et de purification liée au feu. La punition par le feu, qui était l’une des condamnations à mort réservée aux hérétiques, montre l’ampleur de la souffrance et de la douleur par consomption de la chair qui brûle. En même temps, il s’agit d’un supplice visuel dont la réalité temporelle incarne mal le tourment réservé par Dieu aux pécheurs condamnés en enfer, car le feu de l’enfer est éternel. Eterniser le tourment équivaut à éterniser le péché et ceci agit comme mémoire de la faute. L’image de l’arbre de Jessé nous renvoie à la dimension de l’image peinte du feu. Le Christ est représenté sous forme de fleur ou comme un enfant, parfois dans son âge mur, mais rien ne peut témoigner de sa nature divine et humaine sinon l’image qui n’est qu’un avatar de sa puissance. Donc l’image ici se prête à une anticipation de l’essence divine qui, comme celle du feu éternel, est présentée dans les prophéties. L’image est une représentation de la prophétie et Honorius répond au disciple que « la maison du Père est la vision de Dieu tout puissant »32. C’est là le sens et la vérité ultime préfigurée par l’image. L’arbre de Jessé renvoie aussi à l’image de la croix et Honorius donne une explication du choix que le Christ a fait pour sa mort, à savoir vaincre par le même instrument – l’arbre de la crucifixion, l’arbre de la tentation du serpent – et racheter le péché du fruit :

Le Christ voulut mourir sur le bois d’un arbre pour vaincre celui qui avait vaincu par le fruit d’un arbre et racheter celui qui était tombé à cause du fruit d’un arbre ; il voulut mourir sur une croix pour sauver le monde dans ses quatre points cardinaux33.

Mais l’arbre est aussi l’image symbolique du corps de l’Eglise qui est le corps du Christ. On peut alors recadrer l’image de l’arbre de Jessé et voir dans sa composition l’allégorie du corps de l’Eglise où

les prophètes et les apôtres sont ses yeux, les fidèles obéissant ses oreilles, les fidèles doués de discernement son nez ; les hérétiques sont la morve ; les commentateurs de l’Ecriture sont ses dents, les défenseurs de l’Eglise ses mains, les paysans ses pieds, les chrétiens criminels la fiente. C’est la charité qui maintient l’unité de tout le corps34.

Tous les personnages dont est composé l’arbre de Jessé sont, en tant qu’êtres mortels, comme des fenêtres qui s’ouvrent à la vie et qui se referment aussitôt ou comme le dit Honorius Augustodunensis, « bien que morts en Adam, les hommes naissent vivants. Ils apparaissent dans le monde et retournent bientôt à la mort, comme quelqu’un qui se montre à la fenêtre et disparaît aussitôt. »35 A cette image fait écho une autre qui reprend le symbole de la fenêtre comme ouverture sur la lumière du savoir : « Les ministres de l’Eglise sont les fenêtres de la maison de Dieu par lesquelles la lumière de la connaissance vient éclairer ceux qui sont dans les ténèbres de l’ignorance. »36

Le rôle de l’arbre dans la prophétie et son emploi étymologique

La liaison prophète – arbre est présente dans le texte de Jérémie, dont le récit commence par l’ordre que celui-ci reçoit du Seigneur : porter sa parole dans le monde. L’image de la racine et de la plante apparaît dans les mots que le Seigneur adresse à Jérémie lorsque celui-ci avoue son incapacité, en raison de sa jeunesse, à accomplir la tâche :

Le Seigneur avançant la main, toucha ma bouche, et le Seigneur me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter. »37

Dieu, après avoir fait don à Jérémie de la parole divine, l’interroge sur les visions de son esprit. Un dialogue entre Dieu et Jérémie prend forme où, à l’inverse du processus disciple-maître, où le premier pose des questions, Dieu veut tester la profondeur du regard symbolique de son prophète dans l’avenir. Jérémie relate ses visions par le biais des symboles comme s’il s’agissait d’un rêve et Dieu se fait l’interprète de sa vérité codée en lui dévoilant la signification du symbole. La première vision concerne un rameau d’amandier ; or, l’hébreu emploie pour « amandier » la périphrase « l’arbre qui s’éveille » et on lit dans les notes de la TOB : « c’est en effet le premier arbre de Palestine qui fleurisse au printemps. »38 Le jeu des mots entre déraciner et enraciner marque la colère du Seigneur vis-à-vis du peuple d’Isräel qui a commis une faute à son égard. Dieu veut déraciner le mal et les peuples blasphémateurs et idolâtres, les peuples sourds à ses paroles (Jr 12, 14), mais il conçoit aussi de bâtir et de planter une nation ou un royaume (Jr 18, 5). De même, lorsque le Seigneur demande à nouveau à son prophète Jérémie ce qu’il voit « devant lui », celui-ci lui répond (Jr 24, 5-6) qu’il voit de bonnes et de mauvaises figues. Le Seigneur répond, donnant la clé de lecture de la vision, que les belles figues sont les déportés de Judas envers qui son regard s’est fait pitoyable et qu’il veut rétablir dans leurs terres après tant de souffrances ; il veut les enraciner à nouveau, purgés de leurs péchés pour qu’ils adorent le vrai Dieu d’Israël. Ainsi ce dernier fera-t-il d’eux une nation :

Comme on remarque les belles figues que voici, ainsi je considère avec complaisance les déportés de Juda que j’ai expulsé de ce lieu dans le pays des Chaldéens. Mon regard se pose sur eux avec complaisance, et je les ramènerai dans ce pays ; je les édifierai ne les démolirai plus ; je les planterai, je ne les déracinerai plus. Je leur donnerai une intelligence qui leur permettra de me connaître ; oui, moi je suis le Seigneur et ils deviendront un peuple pour moi, et moi, je deviendrai Dieu pour eux : ils reviendront à moi du fond d’eux-mêmes39.

La même image de bâtir et de planter, opposée aux idées de déraciner et de renverser, apparaît en Jr 31,28 ; 31,4 ; 32,41. On peut également citer Amos 9, 14-15 :

Je change la destinée d’Israël, mon peuple : ils rebâtissent les villes dévastées, pour y demeurer, ils plantent des vignes, pour en boire le vin, ils cultivent des jardins, pour en manger les fruits ; je les plante sur leur terre : ils ne seront plus arrachés de leur terre, celle que je leur ai donnée dit le Seigneur, ton Dieu.

En revanche, Osée fait retentir l’invective de Dieu contre les pratiques païennes d’adoration des arbres : « Mon peuple consulte son arbre et c’est sa branche qui le renseigne, car un esprit de prostitution l’égare et en se prostituant ils se soustraient à leur Dieu » (Os 4,12).

La vulgarisation et la diffusion : l’arbre de Jessé et les drames liturgiques

Le succès obtenu par l’image de l’arbre de Jessé est sans doute parallèle à l’essor au XIIe siècle des drames liturgiques et des vulgarisations de textes religieux agrémentés de contenus moraux ou philosophiques, qui exercent un rôle de divulgation de la parole divine. Ceci explique également la grande diffusion de l’Elucidarium d’Honorius Augustodunensis, qui fut traduit dans toutes les langues vernaculaires au Moyen Age, et dont un grand nombre de manuscrits nous est parvenu. Ce texte, conçu comme un dialogue entre le maître et le disciple, veut élucider, c’est-à-dire dévoiler, au-delà de leur forme obscure, les vérités divines comme si elles étaient portées à la lumière : « Lucidere vault tant a dire comme donnant lumiere »40 et « Soventes fois m’avoient requis nostre disciple que je lor desloiasse unes sentences qui mout estoient enlaciees. »41

Ce besoin d’exégèse :

« pour ceus ki ne sevent mie

Ne letterüre ne clergie »42

adressé aux incultes, « cil qui … simplement entendent »43, se rattache aux besoins de la représentation du drame liturgique. La mise en scène de la parole divine et sa translation dans un langage populaire confèrent à l’image, au drame et au texte une emprise sur l’esprit du fidèle. Elles vont faire partie de son corpus de connaissances faciles à mémoriser grâce aux support imagé ou à la forme narrative. Elles deviennent le vademecum du fidèle inculte, le langage des simples, la parole du peuple, exerçant la même fonction que les lectionnaires ou les recueils d’exempla pour les prédicateurs et les prêtres, manuels qui distribuent la sagesse de la parole divine selon le calendrier de l’Eglise. La parole correspond à une date fixant dans la mémoire l’accomplissement de l’événement liturgique. Emile Mâle avait cru trouver dans les drames liturgiques du XIIe siècles sur les prophètes la clé de lecture de la construction de l’image de l’arbre de Jessé. Arthur Watson, après une étude très détaillée des drames en question et de leur représentation, conclut qu’ils n’étaient pas la source de l’image. Je crois qu’il faut trancher entre ces deux positions et à ce sujet nous reprendrons les mots de Colette Manhes-Deremble44 quand elle fait allusion à la collation des morceaux de savoir religieux qui font le substrat des connaissances acquises et qui ont souvent donné naissance à des créations d’images et à des synthèses du regard qui donnent une nouvelle vie au texte, par un rappel constant au renouvellement de la parole divine. Celle-ci a été dite, et elle a été écrite. Mais le droit de l’inscrire au sein de l’image, le pouvoir de la transformer en image, de lui donner une forme, est, pour ainsi dire, un acte purement humain. C’est à cette humanité que l’image de l’arbre de Jessé doit sa naissance. C’est en vue de cette fusion de la parole divine et du désir incessant de l’être humain de la rendre visible qu’elle est mise en image pour qu’elle puisse être archivée dans l’espace de la mémoire et répertoriée sous le nom d’un personnage ou d’une fête. Honorius Augustodunensis dans les questions 77-87 de l’Elucidarium sur la condition humaine et les rapports entre Dieu et les hommes, se prononce ainsi vis-à-vis de la parole divine :

Les prophètes ont compris ce qu’ils ont écrit, mais ils ne devaient pas s’exprimer clairement. Il appartient au maçon de construire et au peintre de peindre. Les patriarches ont creusé, par leur vie qui figurait l’avenir, l’emplacement de l’Eglise ; les prophètes en ont posé les fondations par leurs écrits ; les apôtres en ont construit les murs par leurs prédication ; leurs successeurs ont fait les peintures par leurs commentaires. Mais l’Ecriture n’était destinée qu’aux enfants de Dieu, à qui l’Eglise, par la clef de David, ouvre tout ce qui était fermé. Les autres ne voient que l’extérieur et ne comprennent pas parce qu’ils n’aiment ni ne croient45.

Mon objectif est de montrer comment la création de l’image correspond à l’invention du songe et à la création d’un nouveau texte biblique dont la configuration visuelle finit à son tour par avoir l’autorité « textuelle » d’une péricope. L’image condense l’écriture. L’image devient une promesse de texte, elle promet de dire les mots divins non tels qu’on les connaît déjà selon l’ordre fixé, mais en en composant un autre, celui du regard.

Parmi les nombreux drames liturgiques latins qui relatent la prophétie d’Isaïe46, on trouve un exemple en langue vernaculaire dans le drame liturgique Le jeu d’Adam et d’Eve du XIIe siècle47 qui mérite d’être analysé :

Post hunc veniet Ysaïas (1) ferens librum in manu, magno indutus pallio ; et dicat propheciam suam :

Egredietur virga de radice Jessé, et flos de radice ejus ascendet et requiescet super eum spiritus Domini.

Isaias

ore vus dirrai merveillus diz :

Jessé fera de sa raïz

Vergë issir qui f(e)ra flor, (3),

Qui ert digne de grant unor

Saint-Esspirit l’avra si clos,

Sor iceste flor iert su(n) repos.

Tunc exurget quidam de sinagoga, disputans cum Ysaia, et dicet ei :

(Judeus)

Ore, me respon, sire Ysaias,

Est-ço fablë ou prophecie ?

Quë est iço que tu as dit ?

Trouvas le tu ou est escrit ?

Tu as dormi, tu le sonjas ?

Est-ço a certes ou a gas ?

Isaias

ço n’est pas fable, ainz est tut voir :

Judeus

Ore le nus faites donches veer.

Isaias

Co que ai dit est prophecie.

Judeus

En livre est escrit ?

Isaias

Oïl de vie,

Nel sonjai pas, ainz l’ai veü.

Judeus

E tu coment ?

Isaias

Par Deu vertu.

Judeus

Tu me sembles viel redoté

Tu as le sens (tres) tot trublé.

Tu me sembles viel meur,

Tu ses bien garder al miror

Or me gardez en ceste main

Tunc ostendet ei manum suam.

Si j’ai le cor malade ou sain

Isaias

Tu as le mal de felonie

Dont ne garras ja en ta vie.

Judeus

Sui-jo donc malades ?

Isaias

Cil, d’errur

Judeus

Quant en garrai ?

Isaias

Jamès nul jor.

Judeus

Ore comence ta devinaille.

Isaias

ço que jo dis n’iert pas faille

Judeus

Or nus redi ta vision,

Si ço est vergë ou baston,

E de se flor que porra nestre ;

Nos te tendron puis por maistre

Et ceste generacïon

Escuterai puis ta leçon.

Isaias

Or escutez la grant merveille,

Si grant n’oï jamais oreille ;

Si grant nen fu onc mais oïe,

Des quant comenza ceste vie :

Ecce virgo concipiet in utero, et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emanuhel.

Pres est li tens, n’est pas lointeins,

Ne tarzera, ja est sor mains,

Que une virge concevera

Et virge un filz enfantera

Il avra non Emanhuel,

Message en iert saint Gabriel,

La pucele iert Virge Marie ;

Si portera le fruit de vie,

Jhesu, le nostre salvaor.

Adam trarra de grant dolor,

E remetra en paraïs :

Ço que vus di, de Deu l’i apris

E ço iert tot accompli par veir,

En ce devez tenir espeir.

A travers ce drame liturgique on peut admirer l’efficacité de la vulgarisation dans le jeu de la représentation. Le vernaculaire permet au langage d’exploiter le côté naïf et démonstratif et de donner une épaisseur et des valeurs aux scènes d’effet immédiat et facile. Isaïe (alias Jessé : les deux personnages, quasi-homonymes, sont parfois confondus) se présente portant le livre de sa prophétie dans la main. L’exorde est celui du conte « ore vus dirai merveilleus diz » (v. 1). A la suite de la prophétie, un dialogue a lieu entre un Juif et Isaïe. Les questions posées par le Juif méritent d’être analysées, car elles doivent établir dans le texte et dans le jeu la juste proportion de méfiance face à une nouvelle et merveilleuse révélation :

vv. 41-42 La grant merveille

Si grant n’oï jamais oreille

pour que l’emprise sur le cœur des fidèles soit plus forte.

Le dialogue s’échelonne selon un rythme serré de questions et réponses, gardant une adhérence très forte au langage parlé, qui lui conserve toute sa force d’immédiateté et de surprise. Les spectateurs sont pris dans le piège du jeu. Les rôles sont distribués entre Isaïe et le Juif, mais derrière lui il faut voir toute l’époque païenne et en Isaïe il faut voir et croire, par le biais de l’anticipation, la réalisation de l’ère chrétienne. Le Juif, qui représente le non-croyant, plongé dans l’ignorance et le doute, s’adresse à Isaïe, mettant en doute ses mots et le désignant comme un conteur de fables (vv. 7-12).

L’irréalité est représentée par la fable ou le songe, deux actes de parole impossibles à montrer. Le Juif demande comme preuve de voir. Il y a un jeu de mots et d’assonances dans le texte entre « veer » et « voir » (vv. 13-14) ce qui donne en français moderne « voir » et « vrai ». Le vrai se laisse donc voir. On retrouve le topos de la vue comme preuve de la vérité et de la vérité ultime : voir Dieu. Les jalons du problème sont posés : la prophétie ne se laisse pas voir, elle se laisse seulement entendre par les hommes de foi. La répétition des questions par le Juif souligne l’étrangeté du message dévoilé par Isaïe et surtout la méfiance vis-à-vis d’une vision qui serait peut-être éphémère comme un rêve ou une fable. Le juif renouvelle sa question sur le lieu où cette prophétie a été trouvée :

v. 16 en livre est escrit ?

Ce texte nous fournit une preuve supplémentaire qui conforte notre hypothèse sur la représentation imagée du songe comme une création ex novo alors que ce cas de figure n’a jamais été envisagé. Même dans la dramatisation et dans la vulgarisation du message céleste, l’auteur se défend à plusieurs reprise d’avoir eu cette révélation en songe. On comprend par là la place que le songe revêt dans l’imagination populaire païenne surtout par rapport à la prophétie. Isaïe insiste donc sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un songe mais bien d’une vision. Voilà posées les prémisses de la distinction entre rêve mensonger et vision véridique. Mais la vision n’est pas non plus exempte du soupçon de charlatanerie et de magie à cause de la science catoptrique à laquelle le Juif se réfère dans la suite du dialogue. (vv. 21-26). « Est-ço fablë, […] tu as dormi, tu le sonjas, […] tu as le sens tot truble, […] tu ses bien garder al miror, […] ore commence ta devinaille » sont les expression employées par le Juif pour s’adresser à Isaïe et qui marquent son incrédulité. Isaïe se pose en défenseur de la parole divine et de sa fiabilité en dépit de l’obscurité dans laquelle elle est apparue et qui échappe, hormis aux élus comme les prophètes, à la vue. Mais le texte nous montre une prise de conscience de la part du Juif qui, après s’être lancé dans une interrogation grotesque, est reconduit par les mots, à une reconnaissance des mots d’Isaïe symbolisée par l’expression

v. 35 or nus redit ta vision.

Le passage du songe à la vision a eu lieu à travers le langage, ce qui tient lieu de changement de position de la part du Juif. Redire la vision signifie pour le Juif et pour le spectateur réécouter les mots de la prophétie divine qui posent les prémisses de toute l’histoire de l’humanité. La vision d’Isaïe est l’anticipation de la nouvelle histoire du christianisme. Elle soude les deux extrêmes de l’Ancien et du Nouveau Testament qui se trouvent, par le biais de la vision, et donc de la vue, reliés. La visio, c’est à dire la vue, dit vrai. C’est cette vérité de la vue qu’on peut voir et, grâce à la répétition, on peut y croire. Le Juif du texte va se faire le porte-parole de toutes les générations futures qui reconnaîtront dans cette prophétie la suprématie du voir et de la vision en Dieu (vv. 35-40).

On trouve un exemple du métissage langagier entre le latin et le vernaculaire, comparable à celui qui apparaît dans le Jeu d’Adam et d’Eve, dans le Frankfurter Dirigierrolle48, texte du XIVe siècle, qui présente une version de la Déposition de la croix en latin et en allemand. Toute la partie concernant la disposition des personnages, la chorégraphie du mystère de la Passion est indiquée en latin, en revanche, toute la partie récitative, qui ne relève pas du descriptif, est en moyen haut allemand. Ces emprunts linguistiques dénotent l’émergence du vernaculaire à l’intérieur de la doctrine chrétienne, le besoin de la part de l’Eglise de s’adresser au peuple dans sa langue, de simplifier les mots divins et les rendre accessibles même aux plus démunis. Le processus de vulgarisation auquel on assiste grâce à ce mystère donne la mesure de l’évangélisation menée par l’Eglise qui popularise l’un des thèmes fondateurs de l’histoire divine, la Passion, la Déposition de la croix et la Résurrection, série qui, à elle seule, lie dans le processus de naissance, mort et résurrection, l’homme à Dieu.

Le lien entre l’Eglise, l’espace théâtral et le théâtre profane apparaît clairement dans un passage du traité d’Honorius Augustodunensis, la Gemma Animae, où, pendant la célébration de la messe, l’officiant incarne le rôle de Jésus-Christ tout comme un acteur de théâtre profane49. Cette conception de la messe comme représentation dramatique est soutenue et professée par d’autres autorités ecclésiastiques au Moyen Age, tels que Sicard de Crémone (†1215), le pape Innocent III (†1216), Albert le Grand (1206-1280), et Durand de Mende (c. 1237-1296)50.

La richesse de la représentation iconographique liée à la prophétie d’Isaïe sur la racine qui naîtra de Jessé et sera la souche de la dynastie divine, a alimenté l’inventivité et la créativité des artistes qui, depuis le XIIe siècle, ont enrichi et développé la prophétie en la parant des mystères du songe pour signifier à travers l’image la représentation du caractère exceptionnel de la prémonition. Le songe, qui était déjà un apanage du langage divin, est repris par les artistes comme support à la prophétie de la généalogie à venir : celle du Sauveur. Exposer à travers un rêve la parole prémonitoire divine, adressée à l’un des hommes que Dieu avait élus pour être son porte-parole sur terre, transpose la prémonition sur un plan que l’histoire même reconnaît comme sacré. L’histoire divine a consacré le rêve et l’homme s’approprie cet élément choisi par Dieu pour annoncer aux hommes sa vérité ou pour s’annoncer, pour conférer une dimension de dignité qui donne aux mots leur ton de sacralité.

Tout se joue dans la création, la fabrication d’un faux, qui sera accréditée par la reproduction en image et que l’on pourra admirer dans ses différentes manifestations. La variété et la richesse de la conception de la représentation de l’arbre de Jessé, qui prend naissance dans le corps ou dans la tête de celui-ci ou qui l’entoure en le considérant comme la souche de ce développement, donnent la mesure aussi de la richesse des personnages qui, au fur et à mesure, ont été représentés comme un parcours iconographique en même temps que didactique, image – livre ouvert encyclopédique, comme le remarque Watson, dans les miniatures conservées dans deux manuscrits, le Speculum virginum et l’Hortus deliciarum, conçus pour l’éducation des moniales51. On comprend l’importance acquise par la représentation de l’arbre de Jessé quand on lit les débuts, très semblables, de ces deux œuvres qui mettent en évidence la liaison entre le fruit et la fleur du paradis. Ce thème est, en lui-même, un délice et il doit mener à l’extase l’ouïe et la vue des novices dont la pureté et la sainteté seront soutenues et alimentées par la méditation et la visualisation des fleurs de la divinité, exemple qui depuis le ciel les accompagnera sur terre. Le début du Speculum Virginum fait une référence claire aux thèmes cités plus haut :

Pour moi qui m’apprête à t’entretenir, Theodora, des fleurs du paradis, du fruit du germe de l’Eglise, et aussi de la sainteté de la vie de vierge (…), il me faut définir comme thème ou comme point de départ de notre entretien Celui qui a dit : « Je suis la fleur du champ… »52

On peut remarquer le même désir exprimé dans l’Hortus deliciarum de Herrade :

Je suggère à votre sainteté que ce livre, qui s’intitule Le Jardin des délices, je l’ai rassemblé, sous l’inspiration de Dieu, à partir des fleurs variées de la littérature sacrée et philosophique, telle une petite abeille…53

A la fin de son étude, très riche et très détaillée, Watson arrive à la conclusion que, même si les drames liturgiques présentaient la liste des prophètes, ils ne sont pas à l’origine de la représentation de l’arbre de Jessé. Watson montre que la représentation généalogique était déjà apparue dans le Beatus.

Anita Guerrau-Jalabert, dans son étude L’arbre de Jessé et l’ordre chrétien de la parenté54, reprend la conclusion citée par Watson soulignant d’après Schiller que les prophètes exercent le rôle d’« ancêtres spirituels du Christ. » Cette filiation spirituelle prophète – Christ trouve son origine dans le rapport au spirituel qui domine la pensée du Moyen Age. Elle souligne aussi une autre utilisation de l’image au service des ordres mendiants, franciscain et dominicain, qui, au XIVe siècle, ont « utilisé le modèle de l’arbre de Jessé pour se représenter comme groupement organisé par la parenté spirituelle et générés spirituellement par leur fondateur. »55 On pourrait ajouter que la composition visuelle de l’image, qui sera ensuite connue comme l’arbre de Jessé, sert de manuel de connaissance de l’histoire divine et que la chair de l’image est cette union du symbolique et du texte. Les prophètes deviennent le texte de l’image, la didascalie, qui se prolonge dans la représentation des rois, non seulement parenté généalogique charnelle et spirituelle, mais aussi légitimation de la parole divine. Les prophètes auteurs et porteurs de prophéties témoignent de ce que l’image et la prophétie symbolique de la virga Jesse ont surgi dans le contexte d’une parole divine dont eux-mêmes, en tant que voix, divulguent à nouveau le sens, par leur présence sur l’image. Chaque prophète, vu aussi dans son alter ego féminin et profane, la sibylle, signifie la généalogie du verbe, la filiation de la vérité révélée, la légitimation de la révélation. Les prophètes sont la voix de Dieu sur terre, autrement dit ils sont l’avant-voix. L’arbre de Jessé fusionne dans l’image la voix et la vue, le texte et sa représentation pour que le regard du chrétien l’embrasse et que celui-ci s’y reconnaisse tout en se remémorant sa petitesse, néanmoins incluse dans la grandeur divine. Lui, l’humble fidèle, peut ainsi se reconnaître dans la figure endormie et inconsciente de Jessé, porteuse de cet événement capital qu’est le rêve.

Après avoir analysé la composante onirique qui apparaît de manière récurrente dans la représentation du verset d’Isaïe nous voudrions, en guise de conclusion, laisser un espace ouvert à la lecture de cette image, si complexe dans sa polysémie, pour nous rapprocher de la pensée du Moyen Age, se réinventant inlassablement dans la création infinie de l’exégèse, dans ce besoin incessant de dévoiler, de donner naissance par les mots à une pensée divine traduite pour les humains. Recadrer l’image. Nous nous permettons alors de conclure, plongeant le discours sur l’image dans le repli du doute que, selon les mots d’Honorius, l’on doit réserver au songe ; ceci restera comme une fenêtre ouverte pour la prochaine tentative d’exégèse de l’invention d’une image sacrée et rêvée :

Les songes viennent parfois de Dieu, lorsqu’ils révèlent quelque événement futur, comme celui de Joseph qui lui signifia par les étoiles et les gerbes qu’il dominerait ses frères, ou lorsqu’ils donnent un avertissement nécessaire, comme celui de l’autre Joseph, qui reçut l’ordre de fuir en Egypte. Les songes viennent parfois du diable, lorsqu’ils montrent quelque spectacle honteux ou visent à empêcher le bien, comme celui de la femme de Pilate lors de la passion du Seigneur. Les songes viennent parfois de l’homme lui-même, lorsqu’il imagine en rêve ce qu’il a déjà vu, entendu ou pensé et que la crainte ou l’espoir le trompent en lui inspirant des images funestes ou heureuses56.

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1 PL 13, 1117-1130. Comme le signale Watson (The Early Iconography of the Tree of Jesse, Oxford – Londres, Oxford Up – H. Milford, 1934, p. 10), la portion du sermon qui concerne le drame liturgique (prophétique) se trouve aux colonnes 1123-1127.

2 Watson, op. cit., p. 11.

3 Ibid.

4 Hermann Braet, « Le songe de l’arbre chez Wace, Benoît et Aimon de Varennes », Romania, 91 (1970), pp. 255-267.

5 Braet, loc. cit., p. 266.

6 Marie-Magdeleine Davy, Initiation à la symbolique romane XIIe siècle (nouvelle édition de l’Essai sur la symbolique romane), Paris, Flammarion, 1977, pp. 217-218.

7 Nous n’avons eu connaissance qu’après avoir rédigé cet article de celui, sur un sujet voisin, récemment publié par Steffen Bogen, « Träumt Jesse ? Eine ikonographische Erfindung im Kontext diagrammatischer Bildformen des 12. Jahrhunderts », dans David Ganz et Thomas Lentes (éd.) Ästhetik des Unsichtbaren. Bildtheorie und Bildgebrauch in der Vormoderne, Berlin, Dietrich Reimer Verlag, 2004, pp. 219-239. Par des voies et des méthodes différentes, cette étude aboutit à des conclusions fort proches des nôtres.

8 Voir à ce propos P. Henry, « L’Arbre de Jessé dans les églises de Bukovine » (in : Extraits de la Bibliothèque de l’Institut français des Hautes Etudes en Roumanie II (1928), Bucarest, pp. 1-31), p. 1, « Sur le mur extérieur méridional, plus rarement sur le mur Nord des principales églises de Bukovine, une grande composition, consistant essentiellement en un réseau d’arabesque végétales vertes relevée de jaune, jetées sur un fond d’un bleu profond et entourant de leurs volutes capricieuses tout un monde de figures, étonne l’œil par l’ampleur des proportions et la richesse des détails : c’est l’Arbre de Jessé. ». Il s’agit des fresques datant du milieu du XVIe siècle. Devant ce foisonnement d’images, l’auteur s’interroge sur le rapport qu’elles entretiennent entre la fantaisie de l’artiste et un canon préétabli. Pour arriver à formuler une réponse il élargit sa recherche à la peinture byzantine du mont Athos en Grèce. La comparaison des deux conceptions visuelles de l’arbre de Jessé montre une étroite filiation : « Dans une composition où la fantaisie de l’artiste paraît avoir pu se donner libre cours, nous nous sommes demandés jusqu’à quel point il suivait un canon ou au contraire si la part d’invention personnelle, que semble autoriser l’Hermenia au XVIIIe siècle, reste prépondérante. », pp. 2-3.

9 Et egredietur uirga de radice Iesse, et flos de radice eius ascendet. Et requiescet super eum spiritus Domini : spiritus sapientiae et intellectus, spiritus consilii et fortitudinis, spiritus scientiae et pietatis ; et replebit eum spiritus timoris Domini (Is 11, 1-3, trad. TOB).

10 Anita Guerreau-Jalabert, dans son article « L’arbre de Jessé et l’ordre chrétien de la parenté  « (in : Marie. Le culte de la Vierge dans la société médiévale, Etudes réunies sous la direction de Dominique Iogna-Prat, Eric Palazzo, Daniel Russo, Paris, Beauchesne, 1996, pp. 137-170), penche plutôt vers une dimension spirituelle de l’image dont le but politique serait sûrement secondaire par rapport aux desseins généalogiques de l’Eglise qui vise à affirmer la prééminence de la parenté spirituelle sur celle de la chair représentée par Jessé. Howard Bloch (Etymologie et généalogie. Une anthropologie littéraire du Moyen Age français, traduit de l’anglais par Béatrice Bonne et Jean-Claude Bonne, Paris, Seuil, 1989) s’interroge à propos de l’arbre de Jessé sur le rapport entre grammaire et lignage. Après avoir considéré les modèles généalogiques de l’Antiquité et du Moyen Age, tels que le stemma romain, les arbores juris, les tables de consanguinité arabes, il remarque comment aussi la grammaire était représenté dans un poème du IXe siècle sous forme d’arbre. Il conclut que ce rapport entre l’étymologie et la généalogie, toutes les deux étant des discours formels, culturels et sociaux, ne trouve dans la représentation de l’arbre de Jessé qu’une application secondaire. Puisqu’il ne se rattachait à l’histoire généalogique d’aucune famille noble de la France féodale, seuls les rois de France pouvaient aspirer à s’y reconnaître, car « ses racines bibliques n’incitaient pas le spectateurs à y voir autre chose qu’une vision mythique et lointaine de la famille, parée des atours de la légende » (p. 120).

11 Voir à ce sujet Colette Manhes-Deremble, Les vitraux narratifs de la cathédrale de Chartres. Etude iconographique (Corpus vitrearum), Paris, Le Léopard d’or, 1993, pp. 195-196.

12 Ibid., p. 200.

13 Ibid., p. 7.

14 Colette Manhes-Deremble et Jean-Paul Deremble, Le vitrail du Bon Samaritain, Chartres, Sens, Bourges, Paris, Notre Histoire – Le Centurion (L’Art de visiter), 1986, p. 17.

15 Ibidem, p. 17. L’Abbé J. Corblet, dans Etude iconographique sur l’arbre de Jessé, Paris, Librairie Archéologique de Charles Blériot, 1860, p. 7, indique la généalogie de saint Matthieu et la prophétie d’Isaïe comme les éléments inspirateurs des artistes du Moyen Age pour la représentation de l’arbre de Jessé. Il cite la généalogie de Matthieu qui a été préférée à celle de Luc, même si celui-ci avait tracé l’arbre généalogique de la Vierge : « Saint Luc et saint Matthieu ont donné la liste des ancêtres de l’Homme-Dieu : mais c’était la dernière qui devait seule inspirer les imagiers du Moyen Age. Placé en tête de l’évangile de saint Matthieu, elle devait captiver davantage l’attention. Elle nomme Salomon, le roi populaire par excellence au Moyen Age, tandis que saint Luc le passe sous silence. Enfin saint Matthieu suit un ordre ascendant, en commençant par Abraham et en finissant par Jésus, ce qui convenait parfaitement aux dispositions d’un arbre généalogique, tandis que saint Luc suit un ordre inverse, en commençant par Jésus pour remonter jusqu’à Adam. Sous un autre rapport on aurait pu préférer la généalogie de saint Luc, puisque c’est celle de la sainte Vierge, tandis que Matthieu donne celle de saint Joseph. Mais on doit se rappeler que les hommes de la maison de David ne pouvant se marier hors de leur famille, la généalogie de leur épouse remontait nécessairement à la même souche que celle de l’époux. Joseph descend de David par son fils Salomon ; Marie en descend par son fils Nathan », p. 7.

16 Voir à ce sujet l’article de Gérard Camés, « L’arbre de Jessé et l’enfance de la Vierge dans le Psautier cistercien de Fribourg-en-Brisgau » dans Cahiers de l’art médiéval 5/2 (1968), pp. 5-28. Camés met en évidence de quelle façon la collation des textes apocryphes avait conduit à la création iconographique des miniatures du Psautier telle qu’on peut la voir dans l’exemple de Joachim et Anne, dont les miniatures symbolisent la stérilité du couple qui, ne pouvant pas fournir une descendance des justes au peuple d’Israël ne peut non plus présenter ses offrandes au temple. Le refus public des offrandes est une marque de honte que Dieu rachètera selon l’exemple de Sara, en accordant la grossesse à Anne. C’est de son ventre que la souche de la dynastie d’Israël, destiné à donner naissance à La Vierge et ensuite au Christ, verra la lumière (p. 15). De même on admire dans le psautier une autre invention iconographique dont Camés nous dit ne pas trouver d’équivalent ni dans l’empire byzantin ni en Occident (pp. 17-18 fig. 12). Il s’agit de la fusion d’instants d’écriture qui prennent une valeur temporelle unique et créent par le biais de l’image un nouveau texte qui s’inscrit, tel un nouveau verset biblique, dans le corps des messages de l’église aux fidèles, il en devient chair. La chair du texte est aussi la chair de l’image où celle-ci synthétise d’un seul regard ce que l’écriture a disséminé en plusieurs écrits, souvent disparates et non nécessairement liés. La diversification de l’écriture donne lieu à l’unité de la forme iconographique, à laquelle la couleur ajoute une épaisseur, dont le regard du fidèle s’abreuve comme à la source de vie. Résumant de manière magistrale le message christique qui fusionne la réunion de deux formes d’écriture testamentaires, l’image donne forme à une nouvelle essence du récit à une définition de l’écriture qui devient patrimoine du message chrétien. Ce qui est dit et ce qui est fait même s’il s’agit d’une erreur, du moment où cet événement fonde sa postérité dans la répétition qui génère une tradition est, pour reprendre les mots de saint Jérôme, un fait des chrétiens. Et même substituer le mot juste grâce à une nouvelle traduction de la Bible, trahirait ce qu’il y a de plus important chez le chrétien, la foi. Les mots et la représentation visuelle forment à nouveau l’image du chrétien, dans une œuvre inlassable, entreprise par Dieu pour garder, dans le temps, l’image et la ressemblance divine. C’est dans la création que cette ressemblance s’actualise et se repropose dans toute son actualité, dans sa nouveauté de langage et d’image, et d’image langagière qui parle et se montre comme une nouvelle volonté divine. Sinon, pourquoi Dieu aurait-il donné à l’homme les instruments intellectuels pour s’approcher de lui s’il ne voulait pas qu’il s’engage dans l’art de l’interprétation, dans la glose infinie ? L’art répond à cette question aussi bien que tout le travail exégétique et parfois la fusion des deux donne lieu à d’heureuses naissances.

17 Jean Daniélou, Les manuscrits de la Mer Morte et les origines du Christianisme, Paris, L’Orante, 1957, p. 70.

18 Ibid., pp. 70-75.

19 Hubert Shrade, La peinture romane, Bruxelles, Meddens, 1966, p. 190.

20 Aurora M. Nasta, « L’‘Arbre de Jessé’ dans la peinture sud-est européenne », dans Revue des Etudes Sud-Est Européennes, 14/1 (1976), pp. 29-44 (p. 34 n. 8).

21 Tilde Giani Gallino, L’albero di Jesse. L’immaginario collettivo medievale e la sessualità dissimulata, Torino, Bollati Boringhieri, 1996.

22 Z. Mayani, L’arbre sacré et le rite de l’alliance chez les Anciens Sémites. Etude comparée des religions de l’Orient classique, Paris, 1935, p. 88.

23 Voir Michael Camille, Images dans les marges : aux limites de l’art médiéval, trad. de l’anglais par Béatrice et Jean-Claude Bonne, Paris, Gallimard, 1997.

24 Voir à ce sujet Louis Grodecki, Le Moyen Age retrouvé, I, Paris, Flammarion, 1986, p. 47.

25 Exsurge ; quare obdormis, Domine ? Exsurge, et ne repellas in finem. Quare faciem tuam avertis ? Oblivisceris inopiae nostrae et tribulationis nostrae ? Nam prostrata est in pulverem anima nostra ; conglutinatus est in terra venter noster. Exsurge, Domine, adiuva nos, et redime nos propter nomen tuum (Ps 43, 23-26, trad. TOB).

26 P. Henry analysant l’héritage légué par les artistes byzantins à l’art chrétien occidental remarque que « la représentation orientale l’emporte par la richesse et aussi par l’esprit. Les élèves des Byzantins ont un peu hérité de leur profondeur dans les conceptions et de leur amour des symboles puissants. Et ils ont tiré de ce concept de « Généalogie » tout ce qu’il pouvait contenir ; l’Arbre est devenu l’image, non seulement même de la filiation spirituelle qui l’unit aux prophètes, mais encore de l’unité intime des deux Testaments, de l’identité de la Parole Divine, avant et après l’incarnation – un résumé, en somme, de toutes les manifestations de l’esprit de Dieu sur cette terre. », P. Henry, loc. cit, p. 18.

27 Locus amoenissimus in Oriente, in quo arbores diversi generis contra varios defectus erant consitae Verbi gratia, ut, si homo congruo tempore de uno comederet, nunquam amplius esuriret, congruo tempore de alio, et nunquam sitiret, de alio vero, et nunquam lassaretur ; ad ultimum, ligno vitae uteretur et amplius non senesceret, non infirmaretur, nunquam moreretur. » (Yves Lefévre, L’Elucidarium et les Lucidaires, Contribution, par l’histoire d’un texte, à l’histoire des croyances religieuses en France au Moyen Age, Paris, E. De Boccard, 1954, I, 69, pp. 373 et 117 pour la traduction).

28 Ante peccatum scivit homo bonum et malum, bonum per experientiam, malum per scientiam ; post peccatum autem scivit malum per experientiam, bonum tantum per scientiam (Ibid., I, 87, pp. 376 et 119-120).

29 Ibid., I, 90-91, p. 120.

30 Fundamentum igitur opuscoli supra petram Christum jaciatur et tota machina quatuor firmis columnis fulciatur : primam columnam erigat prophetica auctoritas ; secundam stabiliat apostolica dignitas ; tertiam roboret expositorum sagacitas ; quartam figat magistrorum sollers subtilitas (ibid., Prologus, 2-4, pp. 191 et 359).

31 Ibid., III, 14, p. 169, « Neuf peines sont propres à cet enfer. Ce sont : un feu tel que la mer entière ne pourrait l’éteindre et qui, bien qu’il ne brille pas, l’emporte autant sur le feu matériel que celui-ci sur l’image peinte du feu… » (Prima [poena] ignis qui ita semel est accensus, ut si totum mare influeret, non exstingueretur ; cujus ardor sic istum materialem vincit ignem, ut iste pictum ignem ; ardet et non lucet », p. 447)

32 Domus Patris est visio Dei omnipotentis… (ibid., III, 28, pp. 172 et 451).

33 Ut eum qui per lignum vicit revinceret et illum qui in ligno cecidit redimeret. Ut quadrifidum mundum salvaret (ibid., I, 148-149, pp. 129 et 388).

34 Cujus capitis oculi sunt prophetae, qui futura praeviderunt ; sunt et apostoli, qui alios de via erroris ad lumen justitiae deduxerunt. Aures sunt obedientes. Nares discreti. Phlegma quod per nares ejicitur, haeretici, qui judicio discretorum de capite Christo emunguntur. Os sunt doctores. Dentes, sacrae scripturae expositores. Manus, Ecclesiae defensores. Pedes, agricolae, Ecclesiam pascentes…Quod totum corpus compage caritatis in unum conglutinatur (ibid. I, 179, pp. 134-135 et 393-394).

35 D. – Si omnes in Adam mortui, quomodo nascuntur vivi ? – M. – Sicut si quis ad aliquam fenestram se demonstret et statim revertatur, sic homo nascens quasi se demonstrat in mundo et mox in mortem revertitur (ibid., II, 39-40, pp. 150 et 423).

36 Reliqui vero ministri sunt fenestrae in domo Domini, per quos lumen scientiae splendet his qui sunt in tenebris ignorantiae (ibid., II, 52, pp. 152 et 427).

37 Et misit Dominus manum suam, et tetigit os meum, et dixit Dominus ad me : Ecce dedi verba mea in ore tuo ; ecce constitui te hodie super gentes et super regna, ut evellas, et destruas, et disperdas, et dissipes, et aedifices, et plantes (Jr, 1, 9-10, trad. TOB).

38 Ibid., Jr 1, 11, voir la note j p. 566.

39 Jr 24, 5-7.

40 Martha Kleinhans, Untersuchung und Edition der Prosaversionen 2, 4, und 5 des Elucidarium, Tübingen, Max Niemeyer, 1993.

41 Monika Türk, « Lucidaire de grant sapientie » Untersuchung und Edition der altfranzösichen Ubersetzung 1 des « Elucidarium » von Honorius Augostudunensis, Tübingen, Max Niemeyer, 2000, vv. 1-2, p. 210.

42 Ibid., p. 53, citation tirée de Robert Grosseteste, Le chasteau d’Amour, vv. 27-28, éd. J. Murray, Paris, 1918, p. 89. Sur le problème de la traduction du latin en langues vernaculaires voir le chapitre 2 pp. 53-86.

43 Ibid., II, 33, p. 307.

44 Colette Manhes-Deremble, op. cit., p. 17.

45 D. – Intellexerunt prophetae quae scripserunt ? M. – Intellexerunt. D – Quare tunc ita obscure et non manifeste sua scripta ediderunt ? M. – Non debuerunt. Caementarii namque est construere, pictoris vero pingere. Patriarchae itaque designatum Ecclesiae locum figuris foderunt ; prophetae fundamenta ejus scriptis posuerunt ; apostoli parietes praedicationibus exstruxerunt ; illorum sequaces expositionibus depinxerunt. Sed et sacra scriptura non est nisi filiis Dei scripta, quibus mater Ecclesia per clavem David aperit omnia clausa. Non filii autem tantum ƒoris vident et non intelligunt, quia nec amant nec credunt (Elucidarium, II, 86-87, éd. Lefèvre, cit., pp. 160 et 437-438).

46 Voir l’étude de Karl Young, « A Contribution to the History of Liturgical Drama at Rouen », Modern Philology 6/2 (1908), pp. 201-227 ; Watson, The Early Iconography of the Tree of Jesse, cit. supra n. 1.

47 Robert Marichal, Le Théâtre en France au Moyen Age : textes choisis, Paris, Centre de Documentation Universitaire, 1938, pp. 54-72 (pp. 70-72). Le texte conservé par le ms. de Tours, Bibl. mun. 927, du XIIe s., a été édité par Victor Luzarche (Adam, drame anglo-normand, Tours, 1854) et, selon des normes critiques plus rigoureuses, par Paul Aebischer (Le mystère d’Adam (Ordo representacionis Ade). Texte complet du manuscrit de Tours publié avec introduction, des notes et un glossaire, Genève, Droz, 1963).

48 Karl Young, « Observations on the Origin of the Medieval Passion-Play », Publications of the Modern Language Association of Amercica 25/2 (1910), pp. 309-354 (pp. 347-348).

49 Honorius Augustodunensis, Gemma Animae, PL 172, 570, cité par Karl Young in The Drama of the Medieval Church (Oxford : Clarendon, 1933), p. 83 : Sciendum quod hi qui tragoedias in theatris recitabant, actus pugnantium gestibus populo repraesentabant. Sic tragicus noster pugnam Christi populo Christiano in theatro Ecclesiae gestibus suis repraesentat, eique victoriam redemptionis suae inculcat. Itaque cum presbyter Orate dicit, Christum pro nobis in agonia positum exprimit, cum apostolos orare monuit. Per secretum silentium, significat Christum velut agnum sine voce ad victimam ductum. Per manuum expansionem, designat Christi in cruce extensionem. Per cantum praefationis, exprimit clamorem Christi in cruce pendentis. Decem namque psalmos, scilicet a Deus meus respice usque In manus tuas commendo spiritum meum cantavit, et sic expiravit. Per Canonis secretum innuit Sabbati silentium. Per pacem, et communicationem designat pacem datam post Christi resurrectionem et gaudii communicationem. Confecto sacramento, pax et communio populo a sacerdote datur, quia accusatore nostro ab agonotheta nostrum per duellum prostrato, pax a judice populo denuntiatur, ad convivum invitatur. Deinde ad propria redire cum gaudio per Ite missa est imperatur. Qui gratias Deo jubilat et gaudens domum remeat.

50 Young, The Drama of the Medieval Church, op. cit., p. 83.

51 Watson, op. cit. pp. 128-137.

52 Collaturo tecum, o Theodora, de floribus paradisi, de fructu germinis ecclesiastici, id est de sanctitate virginalis vite˛… materia vel exordium collationis nostre˛ flos ille ponendus qui dixit : ego flos campi… (Watson, op. cit., p. 134).

53 Sanctitati uestrae insinuo, quod hunc librum qui intitulatur ortus deliciarum ex diuersis sacre et philosophice scripture floribus, quasi apicula, Deo inspirante, comportaui (ibid., p. 135).

54 Anita Guerreau-Jalabert, loc. cit.

55 Ibid., p. 166.

56 Aliquando a Deo, cum aliquid futuri revelatur, sicut Joseph per stellas et manipulos quod fratribus suis praeferretur, aut aliquid necessarium admonetur, ut alius Joseph, ut fugeret in Aegyptum. Aliquando a diabolo, cum aliquid turpe videtur aut bonum impedire nititur, ut in passione Domini de uxore Pilati legitur. Aliquando ab ipso homine, cum, quod viderit, vel audierit vel cogitaverit, hoc in somnis imaginatur et in timore positus per tristia, in spe per laeta ludificatur (Elucidarium III, 32, éd. Lefèvre, cit., pp. 174 et 452).