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Poésie et controverse scientifique dans La Luciniade de Jean-François Sacombe (1792-1798)

Hugues MARCHAL

Université de Paris III – Sorbonne nouvelle

marchal.hugues@wanadoo.fr

En 1792, l’obstétricien parisien Jean-François Sacombe publie La Luciniade, ou l’art des accouchemens, un long « poème didactique » consacré à sa spécialité médicale (comme l’indique son titre qui renvoie à Lucine, la déesse des délivrances). En 1798, le texte passe de huit à dix chants, à l’occasion d’une troisième édition, « entièrement revue, corrigée et augmentée de trois mille vers ». La Luciniade offre ainsi à l’historien de la littérature un exemple de texte relevant simultanément de la médecine et de la poésie. Son thème comme la profession de son auteur le rattachent au premier domaine. La contrainte métrique de l’alexandrin comme la division en chants l’inscrivent dans le second. Comme tout travail d’hybridation entre des pratiques distinctes, l’œuvre tend à déjouer les tentatives pour l’inscrire dans l’une ou l’autre discipline. Mais elle présente en outre des caractéristiques qui incitent à parler ici d’un régime de liaison original entre poésie et parole médicale. Deux traits la désignent en effet à l’attention.

Sa fonction pragmatique change d’une édition à l’autre. Le didactisme de 1792 cède le pas à la polémique. La réécriture ajoute à La Luciniade une charge pamphlétaire qui se manifeste dans l’évolution des titres de l’ouvrage et de l’auteur : en 1798, le livre cesse de se désigner comme un texte « didactique », tandis que Sacombe se présente désormais comme le chef de file d’une école « Anti-Césarienne ». De neutre, le poème devient l’instrument d’une véritable campagne contre les obstétriciens qui pratiquent la césarienne, et à ce titre, La Luciniade constitue un recours à l’écriture littéraire au plus interne de ce que nous pourrions nommer aujourd’hui la recherche médicale – à condition, au prix d’un anachronisme, certes, d’entendre sous ce vocable la part actuellement en débat d’un savoir.

Or, et c’est là le second trait notable, au sein même de l’œuvre, et dès les premiers mots de la préface originale, Sacombe demande si « l’étude des Belles-Lettres [est] compatible avec la pratique de la médecine » (1792a, i). Sa propre démarche fait donc l’objet d’un soupçon, et suscite de sa part divers commentaires. Ces derniers permettent d’étudier les valeurs qu’il accorde à son instrumentalisation de l’écriture et, plus largement, incitent à penser que par-delà l’obstétrique, c’est le lien entre ces deux pratiques qui fait lui-même le thème du poète-médecin. Car si la forme littéraire sert ici à miner des thèses médicales adverses, Sacombe cherche peut-être davantage encore à saper les efforts entrepris par la médecine pour se distinguer des usages fictionnels ou rhétoriques de la langue, jusqu’à ruiner, au fil d’une mise en accusation de plus en plus inquiète, les termes mêmes de sa question.

Le poème didactique, régime attendu

Dans la préface de 1792, Sacombe adopte une position conforme au point de vue ambigu de sa propre époque, pour laquelle les Belles-Lettres apparaissent comme une pratique à la fois extérieure et intérieure à la médecine, et plus encore à la chirurgie.

L’obstétricien présente d’abord la conversation avec les Muses comme une activité si éloignée de sa profession qu’elle ne saurait occuper que ses loisirs. Il doit se justifier d’y perdre un temps qu’il pourrait mettre au service des malades, et propose pour cela un raisonnement d’ordre syllogistique, où il argue que, si le loisir est une nécessité pour tous, les Belles-Lettres lui paraissent la forme de divertissement la mieux adaptée à l’état du médecin. Elles sont, dit-il,

un besoin pour un homme de santé, et le seul délassement honnête que puisse se permettre un homme qui, comptable au public de ses moindres instans, n’a d’autre jouissance que l’étude, ni d’autre plaisir que celui d’être utile à ses semblables. (1792a, i)

Mais cette décence de la pratique littéraire ne tient pas seulement aux liens que, saisie comme loisir, elle entretient avec la figure de l’« honnête homme ». L’écriture n’est pas située hors de l’activité scientifique. L’oisiveté studieuse des lettres s’avoue en effet exercice préparatoire :

La littérature est un jardin que chaque savant se plaît à cultiver de ses propres mains autour de sa solitude, ou pour s’y délasser de ses travaux, ou pour y cueillir au besoin les fleurs dont il doit parer ses écrits. (id., ii, nous soulignons)

Quand Sacombe officie en poète dans l’espace privé du « jardin », il s’entraîne à une élégance de plume qui fait partie des qualités atten – dues de ses écrits professionnels, à un moment où littérature et parole médicale s’interpénètrent encore, dans la lignée d’une tradition humaniste plaçant le médecin parmi les lettrés – une identité cultivée que les chirurgiens, longtemps associés aux barbiers, avaient pour leur part acquise tout récemment, avec la reconnaissance du caractère à la fois technique et théorique de leur profession1. Témoin d’une organisation des savoirs et des pratiques telle que « dans chaque médecin mondain de l’âge classique veille un écrivain qui craint d’être ignoré, pour qui l’écriture demeure la seule vraie marque de distinction sociale » (Abramovici 2003, 202), Sacombe cite les exemples de prestigieux « orateurs » comme Bordeu, Tronchin ou encore Pinel, pour affirmer que « l’expérience de tous les siècles a démontré que les médecins littérateurs ont toujours eu le plus de réputation, ont toujours été le plus honorés de l’estime et de la confiance publique [sic] » (1792a, ii). D’excentrique, le travail du style s’avoue in fine comme une des composantes de l’univers médical.

La Luciniade achève de justifier sa double existence littéraire et scientifique par son statut de « poème didactique », qui fait de Sacombe un vulgarisateur en matière d’obstétrique. Un tel traitement poétique de sujets scientifiques est courant entre 1750 et 1800. Le sentiment d’un déclin du vers tend alors à être relié au progrès des connaissances, par des contemporains qui évoquent le « soudain changement / D’un siècle poétique en un siècle savant2 » ; mais ce constat fait justement conclure à la nécessité d’ouvrir la poésie, embarrassée dans des images surannées, aux conquêtes théoriques et pratiques de la science moderne. Celle-ci, par son contenu, renouvellera les sujets et les enjeux du poème, qui, réciproquement, par sa forme, popularisera le savoir – un programme de conciliation et de coopération qui allait culminer dans les œuvres descriptives et didactiques de Delille, Chênedollé ou Chénier. Le champ médical n’échappe pas à ce double désir de poétisation et de vulgarisation, avec par exemple l’ode sur L’Inoculation de Dorat (1774). Et La Luciniade semble ressortir à un projet global de renouvellement de l’épopée par le tableau d’un sublime naturel, prôné notamment par Gouge de Cessières, en 1769, dans son « Epître à Théon »3. Comme en témoigne encore l’avant-propos de 1798, qui reprend la question de 1792, l’enjeu est ici d’enseigner en amusant :

Heureux si cet ouvrage atteignant le double but que nous nous sommes proposés, de plaire et d’instruire, prouve aux Médecins littérateurs qu’Apollon est à-la-fois le Dieu de la Médecine et de la Poésie.

L’étude des belles-lettres est-elle compatible avec la pratique de la médecine ? Nous avons répondu à cette question dans la préface de la première édition de ce poëme, et nous osons nous flatter qu’à la fin du dix-huitième siècle, on ne nous fera point un reproche d’avoir embelli des charmes de la poésie les préceptes arides de l’Art des Accouchemens (1798, 9).

Lucrèce, exposant la manière dont le beau style doit devenir l’enveloppe goûteuse des leçons moins savoureuses, ne compare-t-il pas précisément le poète didactique au médecin qui dore de miel le bord de la coupe amère ? Sacombe écrivain continue à soigner, et les gages de ce didactisme sont multiples. « Divine institutrice », Lucine, déesse des accouchements, dispense au narrateur une leçon de physiologie. Au chant I, elle présente la génération avec un souci pédagogique que rend manifeste le soulignement, dans le texte, des termes spécialisés. La tonalité descriptive domine ; le poème nomme et explique :

En ce rapide instant où d’amour enivrés,

Au doux plaisir des sens deux êtres sont livrés,

Le mâle dans l’accès du délire extatique,

Darde au sein maternel sa liqueur prolifique,

Le viscère en frémit. Par ce frémissement

L’œuf tombe et l’embrion reçoit le mouvement.

La semence du mâle, agente et créatrice,

Se condense et se moule au fond de la matrice ;

C’est-là l’arrière-faix. Heureux médiateur,

Il reçoit et transmet le suc réparateur,

Qui jusqu’à l’embryon par le cordon circule ;

L’amnios est de l’œuf la tendre pellicule,

L’autre plus dure a pris le nom de Chorion,

Double sac qui contient les eaux et l’embryon.

La matrice n’est donc qu’un vase, une enveloppe ;

Le Placenta, la couche où l’œuf se développe ;

Le cordon, est le tronc plus ou moins étendu,

Et l’embryon, le fruit aux rameaux suspendu (1798, 24).

Adoptant une grille de lecture adaptable à toute œuvre didactique, on pourrait repérer des formes de compétition entre les deux exigences du placere et du docere. Une certaine maîtrise formelle soutient le texte : bon versificateur, Sacombe signe un poème de facture agréable4. Prosopopées, allusions mythiques ou périphrases abondent, parfois au risque d’évincer l’exposé scientifique, et cette tension, inhérente au poème didactique, est brièvement rappelée dans la préface de 1792, par un appel à l’indulgence qui constitue un véritable marqueur générique. « J’ai dû rejeter de mon plan tous les préceptes incompatibles avec le langage de la poésie, qui ne se nourrit que de l’éclat des couleurs, de la vivacité des images, de la chaleur du style, de la hardiesse de l’expression », note Sacombe (1792a, v), qui, dans la première édition, contourne la difficulté en accompagnant les périphrases de notes restituant les appellations scientifiques5. Ailleurs, la relative concision d’une description comme l’exposé de Lucine peut au contraire être poussée à l’extrême, comme dans la liste des douze principes d’obstétrique formulés par distiques, où le vers n’est manifestement plus utilisé que pour ses fonctions mnémotechniques :

Premier principe

Je sais, vous direz-vous, je sais que la matrice

Doit agir sur l’enfant par sa force expultrice.

Deuxième principe

Que, semblable à la vis qui tourne en avançant,

L’enfant, dans le bassin, tourne en le franchissant.

Troisième principe

Qu’à la forme d’un œuf, réduit par la matrice,

Ou sa tête, ou ses pieds, s’offrent à l’orifice (1798, 146).

Enfin la première édition comporte des sommaires en tête de chaque chant, et ces derniers sont divisés en parties numérotées. Loin de faire de la poésie un violon d’Ingres, séparé de sa pratique, Sacombe y continue donc son enseignement par d’autres moyens. Mais si, en se plaçant sous la dictée de Lucine et Apollon-médecin, il imite la relation qu’un poète comme Delille pouvait simultanément entretenir avec ses informateurs scientifiques, en réalité sa position diffère nettement de la situation d’énonciation usuelle de la poésie didactique, car ce sont ses propres vues qu’il expose.

L’épopée polémique, régime effectif

Comme le rappellera un peu plus tard Chênedollé, « la poésie didactique n’a pas l’initiative des idées. Elle se charge seulement de les rendre populaires et de les proposer à l’admiration des hommes6 ». Pour Delille, plus nettement encore, « le poète raconte et ne discute pas7 ». Or Sacombe, utilise la version augmentée et remaniée de La Luciniade pour promouvoir une thèse précise, qu’il a défendue dès ses premiers traités d’obstétrique, mais qui n’apparaît guère dans le poème de 1792. C’est son passage au premier plan du texte qui, en 1798, motive vraisemblablement, dans le titre, la suppression de l’indication relative à la nature didactique du poème. Refusant de penser que certains bassins puissent être « viciés » et s’opposer au passage de l’enfant, l’obstétricien condamne le recours aux forceps et plus encore l’opération césarienne (qui coûtait presque systématiquement la vie à la mère8). Fondateur d’une école « anticésarienne », il mènera jusqu’en 1803 une campagne d’une grande virulence contre les autorités médicales de son temps, n’hésitant pas à mêler aux arguments scientifiques des attaques ad hominem parfois scélérates9. La Luciniade vient dès lors rejoindre un ensemble de textes littéraires et non littéraires composés par Sacombe dans le cadre d’une controverse scientifique : de la poésie didactique, le médecin utilise la force de séduction et de persuasion, mais pour avancer sa cause.

Dans l’arsenal dont se dote Sacombe, le poème s’ajoute à ses manuels d’accoucheur, à des conférences, à diverses lettres scientifiques, à la fondation de son école et au mensuel éphémère qu’il lui associe en 1797, mais qui ne connaîtra que quatre livraisons : Les Douze mois de l’école anti-césarienne, ouvrage périodique rédigé par le citoyen Sacombe. Et La Luciniade n’est pas la seule portion littéraire de cet édifice. Les numéros des Douze mois comportent une section « Littérature » qui présente des poèmes (de tiers) dénonçant la césarienne, mais aussi la (pseudo ?) traduction d’une pièce anglaise consacrée à la mort de Jeanne de Seïmour, grande héroïne sacombienne10. En réponse à ces attaques, les partisans de la césarienne lui opposent des lettres scientifiques ou des pamphlets que Sacombe évoque et cite en divers lieux, notamment dans le paratexte de La Luciniade de 1798 – moyen de poursuivre sur le papier la dispute, et de justifier sa propre virulence contre « les frêlons [sic] audacieux qui voudroient envahir sa ruche ou dégrader le fruit de ses travaux11 ».

Ces pièces, qui forment un dossier d’un grand intérêt pour l’histoire de la vie scientifique sous la Révolution, sont complétées par un autre document. La Bibliothèque nationale de France possède un exemplaire de l’Avis aux sages-femmes, traité publié par Sacombe, en 1792, après la première Luciniade, qui est annoté de la main d’un praticien anonyme12. Associées aux réactions favorables ou ennemies reproduites par Sacombe lui-même, ces notes marginales permettent d’ajouter à l’analyse une étude de la réception des textes de l’obstétricien chez ses lecteurs médecins. Or ces commentaires, très hostiles13, confirment l’isolement de Sacombe face à une communauté médicale dont les plus hauts organes lui refuseront leur soutien14. Aussi est-il tentant d’aborder ici le recours à la littérature comme le moyen de rétablir un équilibre. Manquant d’appui chez les spécialistes, Sacombe aurait voulu utiliser la capacité de la poésie à « populariser » (Chênedollé) pour inviter, au sens propre, le peuple à ce débat, contre un pouvoir savant qu’il nomme « l’aristocratie doctorale15 ».

Quels lecteurs Sacombe visait-il dès lors pour cette version définitive ? Premiers concernés, les « étudiants » et les « femmes », ces « interlocutrices privilégiées du médecin des Lumières » (Abramovici 2003, 205), apparaissent comme les destinataires du poème didactique. Mais le texte prend sans cesse à partie les « Césariens », c’est-à-dire des confrères. Surtout, le volume de 1798 s’ouvre sur une « Pétition au directoire exécutif de la république française » demandant la condamnation de la césarienne, et il se clôt sur une annexe d’une cinquantaine de pages, qui donne les « Preuves matérielles des faits consignés dans La Luciniade ». Dans le paratexte, les notes explicatives de 1792, relativement brèves, semblent donc remplacées par les pièces à charge d’un réquisitoire. Or il est peu probable que cette suppression des éclaircissements scientifiques vise simplement à compenser l’expansion du texte versifié lui-même, puisque l’édition se trouve augmentée au même moment d’un aussi long dossier justificatif. Dans la mesure où, pour Goethe par exemple, la présence de « notes expli[quant] ce qu’il faut savoir pour comprendre le poème16 » constitue l’un des traits de la poésie didactique, leur abandon au profit de ces documents fait symptôme : il signale la réorientation générique. Sacombe traite dorénavant son lectorat moins en classe qu’en tribunal. Il motive l’adjonction des « preuves » en expliquant que le poète accusateur doit donner des gages de sa bonne foi :

S’il est toujours permis au poëte de feindre des traits d’héroïsme, de bienfaisance et d’humanité, dans la vue bien louable, sans doute, d’exciter une noble émulation parmi les hommes et de les porter à la pratique de ces vertus, il ne doit jamais lui être permis de feindre des traits de férocité, d’ingratitude et d’inhumanité, sous le vain prétexte de rendre plus odieux des vices qu’il est toujours dangereux de parer des charmes de la poésie (1798, 173).

Mais tout l’usage poétique de Sacombe ne présente-t-il pas à son tour un danger ? Là où notre Anti-Césarien en appelle au peuple et à la justice pour trancher une question de pratique médicale, l’annotateur de l’Avis aux sages-femmes s’interroge : « on voit perpétuellement ce Sacombe mettre le ministre de santé aux prises avec le public, dont il connaît l’injustice : n’est-ce pas de sa part pure méchanceté ? » (1792b, 108). Tout en posant par ses thèses une question d’éthique, relative à la vie de la mère, le poème, en tant cette fois que tentative de popularisation d’une controverse médicale, expose les acteurs médecins, et il soulève à son tour une seconde question d’éthique, alourdie par le contexte révolutionnaire : chez ses contemporains déjà, la légitimité de ce recours propagandiste ou publiciste à la littérature fait problème dans un contexte scientifique.

Enfin, le texte est menacé de tourner à l’autocélébration. Epique, comme le soulignent et l’alexandrin et un suffixe qui renvoie à l’Iliade, à la Franciade et à La Henriade, le poème chante avant tout les combats… de Sacombe lui-même. Défenseur et restaurateur d’une nature « calomniée » (puisqu’on lui attribue la responsabilité des bassins mal formés), le poète-accoucheur se pose comme son vengeur dès l’ouverture du texte :

Art sublime et fidèle au vœu de la nature,

Avant que l’Intérêt, l’Envie et l’Imposture,

Eussent à leurs caprices assujetti tes lois,

Un enfant d’Apollon venge aujourd’hui tes droits (Sacombe 1798, 17).

L’auteur de ce Song of myself avant l’heure est le héros de sa propre geste, et il a pour arme son propre discours. A certains égards, La Luciniade devient ainsi l’espace performatif de toutes les compensations pour ce médecin marginalisé. Dans la scène triomphale qui termine l’épopée, la déesse célèbre son apothéose :

De tes nobles efforts vient recevoir le prix,

Dit Lucine, en s’offrant à mes regards surpris ;

Désormais en ces lieux [Paris] je fixe mon empire,

Mes droits sont reconquis, l’humanité respire ;

Mes ennemis jurés, Baudelocque, Dubois, Goutouly,

Pelletan, sont réduits aux abois :

L’hydre césarienne à mes pieds abattue,

Dans sa rage impuissante a rongé ma statue ;

Mais l’état convulsif, précurseur de la mort,

Atteste sa foiblesse et présage son sort.

Après tant de combats, jouis de ta victoire,

Clio va la graver aux fastes de l’histoire :

Ce n’est pas tout ; je dois un prix à mon vainqueur,

Il est digne de lui, c’est mon sceptre et mon cœur (id., 171-172).

Par son chant sur le travail de l’accouchement, Sacombe a réalisé un travail digne d’Hercule. Au prix d’une projection dans le futur, assez touchante par son inexactitude, il se transforme en Alcide triomphant – une image qui illustrait la médaille que délivrait à ses élèves son école anti-césarienne.

La Luciniade s’impose ainsi comme une machine narrative et polémique plutôt que descriptive, où le poème médical se fait plaidoyer. Ce statut complexe y accentue la tendance structurelle de l’écriture didactique à estomper les distinctions génériques au sein de « longs poèmes à construction en mosaïque17 ».

Une satire générique

Le latin satura, avant de désigner un écrit polémique, renvoie, on le sait, à l’idée de mélange. La Luciniade participe de ces deux acceptions. La diversité des visées et le recyclage stratégique dont le texte fait l’objet, en 1798, en font une rhapsodie de genres divers.

Le mélange est sensible dans le plan même du poème18. Fidèle à l’économie des poèmes pédagogiques, Sacombe a soin de régulièrement céder aux exigences de la variété : personnifications, dialogues, tableaux alternativement souriants ou effrayants, petites histoires ou reprises de grands mythes, occupent une place très importante. Mais il y a ici une sorte de débordement. Seuls les chants I et IX sont pleinement didactiques, ainsi que le chant VII, dans la mesure où il propose l’équivalent versifié d’une bibliographie commentée, avec des entrées où fiche évaluative et épigramme s’unissent, comme :

Viardel fit un livre, et, sans vouloir médire,

Aux enfants de Lucine on devrait l’interdire :

C’est pour eux en effet un dangereux auteur ;

Le journal de Bouillon n’est pas plus radoteur (1798, 116).

Partout ailleurs, la fable ou l’attaque prennent le dessus. Le chant IV en donne un bon exemple. Il ne conserve, de l’étude anatomique à laquelle Sacombe invite son auditoire, que les éléments censés l’« égayer » :

Mais pour charmer l’ennui d’une pénible étude,

A l’envi l’un de l’autre égayons nos travaux

Par le récit des faits antiques et nouveaux.

Le vrai, l’heureux talent, dit un poëte aimable,

Est de joindre à la fois l’utile à l’agréable (id., 67).

De fait, on lit alors avec plaisir des petits morceaux autonomes, parfois égrillards, comme cette fable :

La génération est encore un problème ;

Chacun pour le résoudre imagine un système.

En sept cents [sic] vingt-six, Saint-André, chirurgien,

A Londres mit au jour et proclama le sien.

Suivant lui, toute espèce et se croise et se mêle ;

Un coq peut féconder une carpe femelle,

La sole une grenouille, et l’huître un moucheron.

Ce système allécha l’infâme Wocheron,

Qui, fausse et sans pudeur, au sein de l’infortune,

Osa fonder sur lui maint espoir de fortune.

Wocheron en secret va trouver Saint-André :

Voici, dit-elle, un lièvre en mon sein engendré ;

Votre gloire exigeoit de moi ce sacrifice,

Je l’ai fait ; mais, pour prix d’un si pénible office,

Daignez ensevelir dans un profond secret

Cet aveu trop honteux que je fais à regret.

Convaincu d’avoir pris sur le fait la nature,

Saint-André va par-tout publiant l’aventure.

L’amour-propre est, dit-on, le plus sot des amours :

Sourd, il croit tout entendre ; aveugle, il voit toujours.

Si l’on veut le guider, l’ingrat dit qu’on le blesse ;

Et foible il se croit fort de sa propre foiblesse.

Tout homme sensé rit, le sot crie au miracle,

Et le docte accoucheur passe pour un oracle

Jusqu’au jour ou Thémis, d’un œil plus attentif,

Epiant les ressorts d’un jeu si lucratif,

Surprit notre femelle usant d’un stratagème

Qui du bon Saint-André renversoit le système.

La fourbe introduisoit, je ne dirai pas où,

Un lapin en un lieu qui n’étoit pas son trou.

Thémis, qui n’aime point qu’on trompe ainsi son monde,

Détruisit à jamais cette garenne immonde.

Honteux comme un renard qu’une poule auroit pris,

Saint-André, mais trop tard, vit qu’il s’étoit mépris19.

Reste que la discussion des erreurs scientifiques passées n’enseigne pas les certitudes présentes, et l’élève espérant le traité anatomique promis attendra en vain ce savoir positif. Mais l’exemplum, outre qu’il atténue l’image fielleuse du polémiste20, reste attaché à l’argumentation générale : c’est une mise en garde contre la crédulité, dans un texte qui accuse par ailleurs les Césariens de se livrer à de fausses opérations pour faire croire à la réussite de leur procédé. Cette narrativisation culmine avec l’histoire de Fanni et Saint-Wal, qui occupe tout le chant VI. Véritable roman en vers, cette section peint les amours contrariés d’une Indienne et d’un colon, une idylle brisée par l’intervention d’un médecin césarien qui cause la mort de la jeune mère. La péripétie, ajoutée en 1798, relie in extremis ce long morceau au nouveau thème d’ensemble – confirmant le tour polémique donné à cette réécriture.

Cette visée démonstrative et vindicative ajoute à ces éléments des réquisitoires, une rhétorique de l’éloge et du blâme, et des passages proches, on l’a vu, de l’épigramme. Moqueur, le poème qui met en scène charlatans et trompés s’inscrit dans la lignée de pamphlets en vers comme les Tronchinades de 1756, dont il partage le suffixe21, et par sa longueur, il se rapproche de cette conjuration des imbéciles que constitue la Dunciade de Pope.

Enfin, autobiographie rêvée, l’épopée inclut des références inattendues à la famille de Sacombe : le portrait de ses enfants Caroline et Louis, et une allusion à son père (1798, 135 et 155). Cette oscillation générique se traduit encore par de multiples allusions littéraires. L’insistance avec laquelle le motif de la vengeance traverse le poème l’apparente au sixième livre des Tragiques ; les épisodes aux Enfers démarquent Virgile et Dante ; des vers de La Fontaine et Corneille sont intégrés au texte ou parodiés22 ; l’onomastique, dans les noms de Saint-Wal ou Mercour, rappelle les récits de Rousseau, Laclos et Sade ; des listes d’anecdotes évoquent la logique des recueils de contes de la Renaissance ; Delille et l’auteur de l’Emile sont salués, etc.

Ce mélange des genres concourt à faire de La Luciniade un laboratoire d’écritures dont la diversité s’accommode mal de la quête alléguée en 1792 d’un style médical propre.

Maîtrise littéraire et parole docte

En affirmant que « les amis des beaux-arts goûteront [s]on ouvrage » (Sacombe 1798, 23), Lucine, accoucheuse du discours de Sacombe, lui promet une réussite esthétique, à laquelle celui-ci conclut à la fin du poème, en estimant : « J’ai payé mon tribut à la littérature » (169). Ceci nous ramène au rapport entre écriture et médecine. Pourquoi Sacombe et, plus largement, le médecin du dix-huitième siècle, revendique-t-il une reconnaissance littéraire ?

Dans l’histoire littéraire, Sacombe mériterait d’être reconnu, même à un rang modeste. En sus de l’hybridité de son épopée, il innove par la nouveauté des thèmes et des termes qu’il introduit en poésie23. Il a conscience, traitant de sexualité, de génération ou de chirurgie, de rompre avec un certain nombre d’interdictions littéraires, et sa poésie médicale anticipe sur le « lyrisme du pathologique » (Mitchell 1980) que certains critiques retrouveront chez Baudelaire ou Rimbaud. Ainsi Sacombe a beau affirmer avoir soumis son texte à la censure préalable de la pudeur24, il n’en peint pas moins l’appareil reproductif féminin, notamment dans le singulier passage du festin anthropomorphe que lui offre Lucine, un repas où :

Les vins, les fruits, les mets, tout étoit délectable ;

Bien plus, chacun des mets étalés sur la table,

A mes yeux enchantés retraçoit trait pour trait,

Des objets de mon art le fidèle portrait.

Dans un fruit pyriforme on voyait la matrice,

Ses ligamens, son col et son double orifice.

Un gâteau circulaire, aminci sur les bords,

Offroit du placenta le cordon et le corps ;

Des bombons [sic] avec art moulés sur vingt modèles,

Offroient de vingt fœtus les images fidèles ;

Des pâtés, des biscuits faits sur de beaux dessins,

Du beau sexe à tout âge imitoient les bassins,

Et les vins colorés par une main habile,

Retraçoient à l’esprit le lait, le sang, la bile (1798, 21).

Un tel extrait est représentatif d’une certaine esthétique sanglante présente dans La Luciniade, et que l’on pourrait relier aux cires anatomiques de la même époque. Elle réapparaît dans les portraits des femmes victimes de la césarienne, qui exposent leurs chairs ouvertes comme des martyrs leurs plaies.

Toutefois, si la tradition céroplastique est un exemple de la façon dont « esthétique et anatomie se sont toujours accordées dans la représentation du corps humain [pour] montrer et démontrer ce dernier sans effrayer son public » (Hugues 1999, 142), l’alliance entre poésie et science n’a ici nulle vocation apaisante. Qu’il peigne les entrailles pantelantes des victimes du scalpel ou présente à ses lectrices, dès le seuil de son livre, leur propre corps comme l’objet d’un repas cannibale, Sacombe utilise ce type de description pour effrayer et apitoyer, ou pour susciter, du moins, un évident malaise. Visant moins un tableau de l’appareil reproductif féminin qu’une condamnation de certains usages de ce corps, il ne fait pas œuvre d’anatomiste, mais de clinicien : il expose un savoir dérangeant sur le vivant pour désigner à la réprobation des gestes opératoires, c’est-à-dire des actions et décisions humaines25. Aussi – et nous laisserons ici à cette réflexion la forme d’une hypothèse de travail – pourrait-on enfin arguer, nuançant la démarcation maintenue jusqu’ici entre poésie didactique et polémique, que Sacombe orchestre en réalité de l’une à l’autre une forme de passation de pouvoir, qui aurait pu faire de la réorientation pragmatique de La Luciniade l’emblème d’un mouvement plus général. Il faudrait pour cela suivre les remarques de T. S. Eliot. En effet, ce dernier attribue l’érosion de la poésie didactique, chargée d’informer, à la manière dont la prose s’est imposée dans ce rôle ; mais il estime que la fonction didactique s’est maintenue, dans sa visée persuasive tout du moins, dans la poésie polémique : celle-ci cherchant tout à la fois à inculquer à son lecteur un point de vue et à déstabiliser ses contradicteurs, visées pédagogique et satirique y coexistent26. Il y aurait peut-être ainsi, dans les formules de Chênedollé ou Delille interdisant au poète instructeur de prendre position, une manière de myopie théorique que poursuivra le XIXe siècle, et qui en somme condamnera l’exposé didactique, réduit à une certaine neutralité émotive, à un déficit de tension. Sacombe, en revanche, illustrerait une case générique restée largement vide et sans suite, ou demeurée invisible à la critique en raison de son instabilité catégorielle, celle d’une alliance entre poésie savante et débat, où l’intérêt des savoirs se retremperait sans cesse dans les ressources de la polémique et du pathos.

Mais se concentrer sur la qualité esthétique de cette épopée sans tenir compte de son impact manquerait dès lors l’enjeu principal du texte. Sa réussite littéraire importe en effet d’abord à sa réussite pragmatique immédiate. Par-delà son désir de « populariser » le débat, si le texte de Sacombe suggère qu’il doit s’imposer en tant qu’écrivain pour être reconnu en tant que médecin, c’est qu’il lutte pied à pied, sur le terrain médical, avec des littérateurs – un terme qu’il faut entendre ici de manière péjorative…

D’une part, il place la question de la fable médicale au cœur du texte. A l’en croire, ses adversaires construisent des mises en scène et forgent leurs récits. Ainsi le « roman de César est fondé sur des riens : / Pour consacrer un meurtre et dompter la nature, / L’art seul a fabriqué cette absurde imposture » (1798, 36). Rétorquer à Sacombe que son accusation est elle-même improuvable27, et qu’en accusant, dans une œuvre d’art, les césariens de recourir à l’art, il se montre contradictoire ou ébranle sa propre assise, manquerait l’enjeu du texte, car ce que ce dernier montre, c’est justement que de part et d’autre, le débat clinique tend à s’accompagner de rhétorique et de fiction. Qu’importe si Sacombe agit ou non honnêtement : il lui suffit de prouver que la médecine s’appuie sur des récits. Qui rédige les comptes rendus d’intervention ou d’autopsie, sinon des médecins ? Les accusations de Sacombe rappellent à la communauté savante de son époque qu’elle ne débat pas tant des expériences que de leur narration, et qu’elle suppose la bonne foi de ses membres. La Luciniade nourrit donc une crise du témoignage médical. En attirant l’attention sur l’existence d’un contrat de vérité, Sacombe contraint le lecteur médecin à réfléchir à sa constitution, et par là, à prendre en compte l’importance des formes de vraisemblance et de validation du discours savant, ainsi que les types de preuves, matérielles ou rhétoriques, susceptibles d’être mises en avant par les praticiens. Aussi, rédigeant La Luciniade, Sacombe ne se fait-il pas littérateur quoique médecin ; il exhibe au contraire la part d’invention propre au discours médical pour suggérer que tout médecin est déjà un littérateur. Il menace ainsi, et comme « homme de santé » et comme auteur, la distinction entre charlatan et « vrai » savant – une différence qui devait être le gage et le produit de la fabrique institutionnelle de la respectabilité médicale, et dont la fragilité avait fait, aux moments des cahiers de doléances, l’objet de multiples plaintes du public28.

D’autre part, Sacombe donne à comprendre que, loin de pouvoir en être séparée, la propagande littéraire joue un rôle capital dans l’établissement de l’autorité médicale – une évidence que ne pouvait ignorer une époque attentive, on l’a vu, à trouver dans les conquêtes du savoir la matière de nouveaux éloges poétiques. Ainsi l’une de ses bêtes noires, le médecin renaissant Rousset, placé parmi les damnés, se vante-t-elle dans La Luciniade de sa postérité littéraire :

Réprouvé d’Apollon, en horreur à Lucine,

Sans jamais avoir pris de grade en médecine,

Prôné, chanté par-tout en prose ainsi qu’en vers,

De l’éclat de mon nom j’ai rempli l’univers (1798, 52).

Parce qu’un Rousset est « prôné, chanté par-tout en prose ainsi qu’en vers », son détracteur scientifique doit entrer en lice aussi en tant qu’écrivain, pour tenter de démonter sa prééminence. Sous cet angle encore, valeur scientifique et valeur littéraire sont donc indissociables. Si, dans l’Avis aux sages-femmes, Sacombe se présente comme « moins occupé de plaire que d’instruire, & plus jaloux de la réputation d’observateur fidèle que d’écrivain érudit » (1792b, 6), la même année, la première préface de La Luciniade, en rappelant que « les médecins littérateurs ont toujours eu le plus de réputation », permet déjà de déceler dans cette affirmation une dénégation et un procédé d’écriture.

Le mouvement de la préface de 1792 prend dès lors un tour plus inquiétant. Soit la détermination de la valeur accordée à la parole médicale résulte forcément d’une combinaison de récit et de rhétorique, et alors, loin de se résoudre, la question initiale, « l’étude des Belles-Lettres est-elle compatible avec la pratique de la médecine », doit être reconnue comme une tautologie. Soit d’autres formes de validation paraissent possibles, et alors la médecine, après avoir utilisé la littérature pour s’imposer parmi les arts libéraux, doit se doter d’un discours autonome et entamer ou poursuivre un procès en séparation avec les Belles-Lettres.

Rupture et suture

Pour notre époque, étudier l’articulation entre littérature et médecine s’inscrit dans une perspective interdisciplinaire : l’énoncé semble une lapalissade. Pourtant la démarcation qu’il présuppose correspond à une construction historique récente. A cet égard, qui aborde avec les habitudes du contemporain la culture de la fin des Lumières fait l’expérience dérangeante d’un désordre : l’épreuve d’un agencement disciplinaire au sein duquel médecine et Belles-Lettres, loin de figurer deux territoires autonomes, peuvent être pensées comme un continuum. Quand, le 12 décembre 1798, Gilbert présente à la Société de médecine de Paris un mémoire novateur, qui fait l’éloge de la « médecine d’observation » vouée à supplanter les approches trop théoriques, il indique encore, dans le même texte, que le médecin idéal doit être « tout à la fois », et avec une même excellence, physicien, chimiste, anatomiste, « littérateur érudit, écrivain éloquent, [et] penseur profond » (Sournia 1989, 152). La prose médicale de la Révolution, et a fortiori sa transposition poétique, ne sauraient donc être rangées sans anachronisme dans la « littérature des non-écrivains29 ». Mais c’est sans doute l’un des derniers moments où une telle position aura pu être affirmée.

Peut-on dater précisément le moment auquel ces rapports se sont reconfigurés ? En choisissant le vers, contre un Buffon pour qui les contraintes de la poésie s’opposaient à la précision des idées comme des termes, Sacombe pourrait avoir opté pour la forme la mieux à même de porter à leur maximum ces tensions. Relevant quelques années plus tard « des symptômes de mésentente entre la république des sciences et celle des lettres » (une comparaison géopolitique qui a elle seule montre l’établissement d’une frontière), Bonald notera, non sans perspicacité, que « la poésie, généreuse, mais toujours imprudente, a peut-être hâté la rupture en voulant la prévenir. Elle est entrée de son chef en négociation avec les sciences ; mais ses intentions pacifiques ont été mal récompensées. Les sciences l’ont éconduite comme peu exacte, et les lettres l’ont tancée comme trop descriptive, et, voulant au mépris des lois de l’empire littéraire, contracter des alliances étrangères » (Bonald, 1852, 359). Au cours des décennies suivantes, la médecine va cesser de pouvoir se publier sous les espèces de la littérature et, par une dégradation significative, quand, un siècle plus tard, le 12 mars 1896, Jules Renard évoquera dans son Journal les « sonnets du docteur », c’est à une collection célèbre de poèmes anonymes grivois qu’il fera allusion, pour conspuer en eux une « littérature de cocus ». Au terme de ce parcours, La Luciniade apparaît comme un phénomène de transition entre deux disciplines, mais aussi entre deux époques. Sacombe se présente indéniablement comme un médecin littérateur, qui met poésie et rhétorique au service d’une polémique scientifique – soit un rapport d’instrumentalisation de l’écriture. Mais parce qu’il s’interroge avec soupçon sur le rôle des lettres dans l’illustration des savants, il joint pour désunir. Son œuvre pose donc la même question que la critique actuelle : la solidarité disciplinaire qu’il constate et paraît prolonger cesse chez lui d’être une évidence. Janus bifrons, il ressuscite la posture adoptée par les chirurgiens avant 1740, époque où ces défenseurs d’une approche pratique, classés conformément à leur nom de métier parmi les manuels, pouvaient comme Quesnay se moquer des prétentions de leurs confrères médecins à se faire « Grammariens, Orateurs, Critiques, Poètes, Historiens, Théologiens » même, et leur nier toute « capacité d’agir » (Sournia 1989, 177). Mais l’épopée satirique de Sacombe annonce un divorce plus profond. A l’orée d’un siècle qui verra les sciences se défier du langage humain lui-même, son entreprise prend place dans un processus d’éloignement, qui va s’accélérer à mesure que les sciences, et notamment la médecine, se mathématiseront et opteront davantage pour l’image, en dénonçant l’imprécision du lexique30. Il restera alors des poètes médecins, mais il n’y aura plus de poèmes de médecine. Et cette disparition, in fine, privera les poètes soucieux de vulgarisation de compétiteurs lettrés parmi les médecins.

Le cas particulier de Sacombe peut-il nous éclairer sur ce moment essentiel de reconfiguration des frontières entre science et médecine ? S’offre-t-il comme une exception ou comme une variation moyenne ? Quelle fut la contribution des pamphlets révolutionnaires au creusement de l’écart entre la rhétorique du langage naturel et le discours savant ? Pour en juger, il faudrait disposer d’une histoire des pratiques poétiques chez les professionnels de santé – un ensemble d’information dont nous ne jouissons pas. Si indiquer certaines zones d’ombre peut servir à avancer la recherche, alors un chantier mériterait d’être mis en œuvre plus systématiquement, autour de cette production, car elle touche à l’évolution même de la littérature et de ses usages.

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– 1792b, Avis aux sages-femmes, Paris : Croullebois.

– 1797, Les douze mois de l’école anti-césarienne, ouvrage périodique rédigé par le citoyen Sacombe, (1er Prairial an VI), s.n. éd.

– 1798, La Luciniade. Poëme en dix chants sur l’art des accouchemens, par le citoyen Sacombe, de Carcassonne, département de l’Aude, Médecin-Accoucheur de la faculté de Montpellier, […] Fondateur de l’Ecole Anti-Césarienne […] et Membre de la société Libre des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Paris. Troisième édition entièrement revue, corrigée et augmentée de trois mille vers. A Paris, chez Courcier, Imprimeur-Libraire, rue Poupée, n° 5. An VII.

– 1816, Vénus et adonis, poème sur la vénusalgie, Bordeaux : chez l’auteur.

– 1819, Maladie de Vénus, [Bordeaux] : chez l’auteur, médecin et accoucheur, rue du colombier, n° 11.

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Sournia, Jean-Charles, 1989, La Médecine révolutionnaire 1789-1799, Paris : Payot.

[Anonyme], Les Tronchinades, 1756, s.l.n.d., cote BnF YE-34163.

Vajda G. (éd.), 1982, Le Tournant du siècles des Lumières 1760-1820 : Les genres en vers des Lumières au romantisme, Budapest : Akademiai Kiado.

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1 En ce sens, on pourrait dire que Sacombe, désignant l’exercice des lettres comme étranger, puis comme nécessaire à son état, mime l’évolution alors récente des discours des chirurgiens, qui, dans les années 1740-1750, ont cessé de brocarder les prétentions lettrées des médecins pour se poser à la fois en artisans et en savants, proches des arts libéraux (v. Gelfand 1980, 71-79). Mais on va voir que Sacombe, d’une certaine manière, se souvient de l’ancienne méfiance propre à sa corporation.

2 Michel-Paul Guy de Chabanon, « Sur le sort de la poésie en ce siècle philosophe » [1764], in Seth 2000, 181.

3 Sur Gouge de Cessières et le débat sur le renouvellement de l’épopée par l’histoire naturelle, v. Haquette, 2002.

4 Les rimes plates, suffisantes ou riches, alternent féminines et masculines ; la césure correspond usuellement à une pause syntaxique dominante, et les rares exceptions peuvent être motivées par le sens. Plusieurs passages donnent, discrètement, les gages d’un certain art des mots et du vers, comme le calembour sur le nom de Marchant (« Marchant, depuis dix ans je marche sur tes pas, / Au milieu des poignards, sous la faulx du trépas », 1798, 39), ou la rime équivoquée : « Je voudrois qu’une femme enceinte eût, en tout tems, / Des vêtements légers autour du corps flottans, / Tels que chez les Hébreux en portoient les Lévites, / Et tels que sous ce nom dans Paris vous les vîtes » (144).

5 Ainsi, « le fleuve […] guidé par deux Naïades » de la description de l’appareil génital féminin est indiqué désigner « le canal de l’urètre » entre « les nymphes » (1792a, 18). Sur le débat stylistique relatif aux périphrases et au lexique anatomique dans les textes médicaux eux-mêmes, voir Abramovici 2003, 198 ss.

6 Préface du Génie de l’homme [1807], cit. in Fusil 1917, 55.

7 Les Trois règnes [1808], id., 66.

8 La césarienne ne se répandra qu’à la fin du XIXe siècle, avec des taux de mortalité encore élevés : v. O’Dowd 1994, 157-165, qui présente une approche d’historien de la médecine, et Blumenfeld-Kosinski 1990, qui donne des éléments d’histoire des mentalités, notamment pour le lien entre césarienne et naissances miraculeuses ou démoniaques. A la fin du XVIIIe siècle, à une époque où les médecins ne sont appelés à assister les femmes en couches qu’en cas de complications, alors que le travail est entamé souvent depuis plusieurs heures ou journées, l’opération reste exceptionnelle et correspond à des cas jugés désespérés (v. par exemple le récit pathétique que le maître chirurgien drômois Jacques Long donne d’une opération pratiquée en 1778, in Démésy-Maurent 1999, 72-73).

9 La cible principale de Sacombe, Jean-Louis Baudelocque (1746-1810), issu de l’éminent Collège de Chirurgie, devient, à la création de l’Ecole de Santé de Paris, fondée en 1794 pour réunir médecins et chirurgiens, l’un des deux professeurs d’obstétrique. Il réduisit l’emploi des forceps, déconseilla la symphysectomie (la pratique d’une découpe pour élargir les bassins trop étroits) qu’il avait pourtant lui-même contribué à décrire, et tenta de codifier l’indication de la césarienne – ce qui ne correspond guère à l’image qu’en donne La Luciniade (cf. Sournia 1989, 186-187 et 275). Il semble qu’excédé des attaques dont il faisait l’objet, il ait intenté un procès à Sacombe, car le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle indique que ce dernier fut condamné à lui verser 3000 francs de dommages et intérêts, pour diffamation. Insolvable, Sacombe s’enfuit en Russie, revint sous un nom d’emprunt, fut démasqué et brièvement emprisonné après les Cent jours (pour des motifs sans doute politiques). Il se trouva alors avec opportunisme des convictions royalistes, et reprit ses publications pour vanter un remède végétal de son cru contre les maladies vénériennes, occasion de publier, en 1816, un nouveau poème en 4 chants sur ce sujet, Vénus et Adonis (publié à Bordeaux, chez l’auteur, le texte, qui pourrait être ce qu’il nomme ailleurs sa Vénusalgiade, montre bien alors la valeur publicitaire de la pratique littéraire de Sacombe).

10 Sur la mort de Jeanne Seymour et la naissance, peut-être par césarienne, d’Edouard VI, v. O’Dowd.

11 Sacombe 1798, 14. Le passage s’accompagne d’un exemple du discours adverse, un rapport de 1798 où l’auteur, Antoine Planchon, note que « l’Anti-Césarien est aux aguets et n’attend que les faits de cette nature [les cas de césarienne tragiques], pour attaquer avec ses armes ordinaires, la calomnie et la mauvaise-foi, ceux dont les talens et la célébrité justement acquise irritent sa folle ambition, et sur lesquelles il voudroit, à tout prix, élever ses monstrueuses erreurs » (13).

12 Sacombe 1792b (nous utilisons la cote bnf mfiche te121-83).

13 Ainsi lit-on que « Mr Sacombe a bien fait de ne pas écrire à Madrid ses sottises et ses injures dont ses brochures sont remplies, car il auroit eu sinon la grillade au moins la fessée, et avec justice » (56). L’auteur des notes marginales, très au fait de certaines des opérations évoquées, le traite de charlatan et lui reproche des diffamations, avec parfois des « chaînes » polémiques où l’on voit Sacombe citer et corriger un auteur, avant d’être à son tour corrigé en marge par son lecteur.

14 Cf. cette note : « mais où les trouverez-vous ces savans vous qui n’en connaissez pas et qui récusez presque tous les auteurs accoucheurs ? » (115).

15 Cf. la préface de 1792, qui renforce l’hypothèse en condamnant la vente des patentes médicales et en proposant d’étendre la révolution politique à l’organisation du pouvoir savant : « De nouveaux Hercules [sic] ont écrasé sans doute, sous le poids de leur massue, l’aristocratie féodale, l’aristocratie fiscale, l’aristocratie martiale, l’aristocratie monacale, l’aristocratie sacerdotale ; mais il en est une qui s’agite encore dans la poussière et l’obscurité des écoles, l’aristocratie doctorale, que j’ai fait vœu de combattre jusque dans son dernier retranchement » (1792a, vi). Sur la réorganisation de la médecine révolutionnaire, et notamment l’unification des deux classes des médecins et des chirurgiens, v. Gelfand 1980, 149-171.

16 « Sur le poème didactique » [1827], in : Goethe 1983, 253.

17 Làszló Ferenczi, « Poésie en France », in : Vajda 1982, 350.

18 En voici une esquisse. Chant I : Invocation à Apollon et Lucine. Sacombe rencontre la déesse à Londres, où elle vit chassée de France. Elle le fait son chevalier : il devra la défendre dans sa patrie. Début de l’éducation de Sacombe : Lucine lui révèle, en son temple, les secrets de l’anatomie féminine, et annonce les leçons à venir. II : Visite des Champs Elysées. Rencontre des femmes tuées en couche par les Césariens. Révélations des impostures par le témoignage des femmes : Jeanne de Seimour (assassinée par Henri VIII) ; Vasseur (assassinée par Baudelocque) ; Aurélie mère de César n’a subi aucune opération : la « césarienne » est une fiction historique ; autres fausses césariennes. Les Césariens empoisonnent leurs ennemis. Témoignage des grands médecins anticésariens (Peu, Paré). III : Visite des Enfers. Supplice d’Henri VIII et des Césariens passés. Leurs confessions. Lucine annonce à Sacombe les épreuves qui l’attendent et son succès final, puis elle le quitte. IV : Adresse aux femmes (1er éloge) : elles doivent accéder à la science, surtout à l’obstétrique. Suite d’anecdotes liées à la génération : différences des coutumes selon les peuples ; histoires burlesques du fœtus révolutionnaire et de la femme accouchant des lapins ; discussion relative aux risques des « envies » durant la grossesse. Eloge de Delille. V : Eloge de la fécondité et blâme de la stérilité. Conseils pour choisir un partenaire fertile et pour favoriser la procréation. Histoires mythiques de naissances sans aide de l’autre sexe. Eloges de Napoléon et du poète néo-latin Silberling. VI : Histoire de Fanni et Saint-Wal. VII : Apostrophe à Apollon, éloge du Muséum, et des grands obstétriciens, depuis Hippocrate. Liste commentée de tous les auteurs récents. Attaque contre la Société de médecine. Eloge de Desault. VIII : 2nd éloge des femmes. Histoires de Junon, liste des égarements amoureux féminins, évocation de ses enfants par Sacombe ; éloge des savants guillotinés. IX : Conduite à tenir durant la grossesse ; durant le travail (les 12 principes) ; après la délivrance. Attaque contre les prêtres. X : Condamnation de l’usage des nourrices : histoires d’Iphis, de Melcour, éloge de Rousseau. Fin du poème : retour de Lucine en France, triomphe de la Paix, et de Sacombe.

19 1798, 75-76. Le troisième vers est faux (on peut supposer l’omission malencontreuse d’une cheville « et » après « cents »), et le vers en italique cite, bien sûr, « Le Renard et la cigogne » de La Fontaine.

20 L’encre donnée par Lucine est « du nectar mêlé d’un peu de bile » (1798, 23).

21 Médecin genevois, Tronchin s’est illustré à Paris en pratiquant l’inoculation sur certains membres de la famille royale. Le premier de ces deux poèmes anonymes en octosyllabes brocarde cette figure d’« Esculape et Lucine » (Tronchinades 1756, 3) en le présentant comme un bonimenteur. Le second se moque en revanche de la Faculté, qui aurait chassé le médecin en disant « vous êtes docte, et non docteur » (5), et une brève chanson finale fait de nouveau de Tronchin « un madré charlatan / Qui se connoît mieux en gens / Qu’en bons médicamens » (8).

22 Cf. au chant II cet éloge du médecin Peu, qui démarque jusque dans la rime en [mã] la célèbre diatribe de Camille, dans Horace : « Peu, qui fit à Paris cinq mille accouchemens, / Peu, l’ennemi juré de tous les instrumens, / Peu, qui disoit sans cesse à qui vouloit l’entendre », etc. (1798, 40).

23 « Art des accouchemens », le titre même constitue une manière de provocation contre les proscriptions dont le Gradus français de Carpentier se fait encore l’écho en 1822, en consacrant un article au mot « Accouchement » pour expliquer que ce terme, « peu propre à entrer dans la langue poétique », ne saurait s’y employer qu’au sens figuré.

24 « D’UN sexe qui t’honore, ornement précieux, / Pudeur, daigne un moment abandonner les cieux ; / Viens, d’un regard sévère épurer mon ouvrage, / Viens, ou si de nos mœurs la licence t’outrage, / Et te rends des mortels le séjour odieux, / Prête un voile à ma muse et reste au rang des Dieux. / Les neuf savantes sœurs, de ton culte jalouses, / Ne feront point rougir nos plus chastes épouses » (1798, 18).

25 Cette logique est aussi celle des œuvres prophylactiques ou plus platement promotionnelles : on peint les conséquences corporelles désastreuses des actions à combattre ou à rendre inoffensives, en visant l’effroi et le dégoût du lecteur. Aussi cette stratégie apparaît-elle, de manière exemplaire, chez Sacombe, dans les « tableaux » des ravages des maladies vénériennes que propose Vénus et Adonis, où nous soulignons les indications (explicites ou non) dont le locuteur use pour signifier au lecteur le mode de réception attendu : « Je frémis à la seule idée / Des tableaux que je vais tracer. / Par leur esquisse intimidée, / Ma Muse hésite à commencer. […] Les pieds, les mains, le tronc, la face, / Du corps la hideuse surface, / Etait couverte de rubis / Gorgés d’une liqueur muqueuse, / Qui bientôt devenait visqueuse, / Et dégouttait sur leurs habits. / On voyait souvent les malades, […] Sans yeux, sans oreilles, sans nez, / N’offrant de l’humaine structure, / Que quelques membres décharnés. / Une bouche, dont l’ouverture / Ne rendait que de frêles sons, / Au milieu des exhalaisons, / De la fosse la plus impure. / Souvent de leur corps empesté, / Jaillissait une humeur épaisse, / Qui de consistance de graisse, / Durcissait en callosité [etc.] » (Sacombe 1816, 27-28).

26 Cf. « The meaning of the term didactic poetry has changed. […] didactic poetry has gradually become limited to poetry of moral exhortation, or poetry which aims to persuade the reader of the author’s point of view about something. It therefore includes a great deal of what can be called satire, though satire overlaps with burlesque and parody, the purpose of which is primarily to cause mirth. Some of Dryden’s poems, in the seventeenth century, are satires in the sense that they aim to ridicule the objects against which they are directed, and also didactic in the aim to persuade the reader to a particular political or religious point of view » (Eliot 1957, 16-17).

27 Si, de fait, l’ensemble des médecins et historiens s’accorde aujourd’hui à présenter cet épisode comme un cas d’« étymologie créative » (Blumenfeld-Kosinski 1990, 143), Sacombe ne disposait pas de leurs preuves.

28 Ici encore, la parenté avec Les Tronchinades est évidente, puisque celles-ci présentent la relation des interventions de Tronchin dans le vocabulaire du miracle et de la foi : « On vous croit comme le Symbole. […] / On vous regarde comme un sage, / Et nous comme des charlatans. […] / Tous vos discours sont des oracles, / Et vos cures sont des miracles : / […] Vous guérissez comme un apôtre ; / Vous vous exprimez comme un autre » (Tronchinades, 6-7, nous soulignons).

29 Cette formule sert de titre au dossier de la Revue d’histoire littéraire de la France, 103e année, n° 2, avril-juin 2003.

30 Ainsi, en physiologie, Etienne-Jules Marey, notant que « la somme de toutes les sortes d’observation [peut] s’exprimer sous forme graphique », demandera : « Comment ne pas attendre avec impatience le jour où les longues et obscures descriptions feront place à des représentations satisfaisantes ? » (« Lectures on the graphic method in the experimental sciences », British Medical Journal, 15 janvier 1876, cit. in Braun 1992, 16, nous traduisons). Pour une réflexion plus large sur le divorce entre sciences et littérature aux XVIIIe et XIXe siècles, v. Lepenies 1990, 1-13.