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Le « roman de la médecine »

Juan RIGOLI

Université de Genève – Faculté des lettres, Département de français moderne

juan.rigoli@lettres.unige.ch

« Physiologie, que me veux-tu ? » Sur le modèle d’un célèbre agacement de Fontenelle évoqué par Rousseau ou Diderot – « Sonate, que me veux-tu ? » –, la question est répétée à la manière d’un refrain dans les premières pages de la Physiologie du mariage de Balzac1. Si obstinément, d’ailleurs, que lorsque nous lisons : « Physiologie, pour la troisième et dernière fois, que me veux-tu ? » (Balzac 1980, 913-916), l’apostrophe en est en réalité à sa quatrième occurrence. L’« auteur » accueille ainsi sans compter le tutoiement réprobateur d’un « lecteur » méfiant, inquiet du sort qui pourrait être le sien entre des pages dont il soupçonne, au-delà du titre, le mode de connaissance dont elles se réclament et la profusion d’opinions contradictoires que leur sujet ne peut manquer de susciter. La « physiologie » annoncée pourrait donc bien être la réplique de cet amas de sons tant détesté par Rousseau : « Pour savoir ce que veulent dire tous ces fatras de Sonates dont on est accablé, il faudroit faire comme ce Peintre grossier qui étoit obligé d’écrire au-dessous de ses figures ; c’est un arbre, c’est un homme, c’est un cheval. » (Rousseau 1995, 1060). Que ne devrait « écrire » alors Balzac « au-dessous » de son titre pour que son livre ait un profil distinct. Le « lecteur » énumère en tout cas les éclaircissements qu’il attend, amplifiant ses propres questions – toujours la même, à peine variée – en une longue série d’hypothèses, aussi disparates que triviales, sur ce que la Physiologie du mariage pourrait bien lui apprendre, qu’il ne sache d’ailleurs déjà. Tous les lieux communs désabusés sur l’union des sexes, toutes les certitudes antagonistes sur ses conditions et conséquences corporelles, morales, économiques, juridiques et politiques sont passés en revue en une sorte d’inventaire du déjà dit auquel le texte doit se confronter : « Révèles-tu des principes nouveaux ? » (Balzac 1980, 914) interroge encore le réticent lecteur que Balzac s’invente.

L’exigence d’une nouveauté et le risque du ressassement – « Ici tout est banal comme les pavés d’une rue, vulgaire comme un carrefour » (Balzac 1980, 916) – s’inscrivent ainsi d’emblée à l’enseigne de la « physiologie ». Encore faut-il comprendre, et Balzac ne laisse là-dessus le moindre doute, que cette « physiologie » n’est pas celle que l’on croit, si tant est que le titre a pu faire illusion : « Des légions de médecins », commente le narrateur, « ont fait paraître des légions de livres sur le mariage dans ses rapports avec la chirurgie et la médecine » (Balzac 1980, 916), et ils ne sont pas les seuls ; mais il précise crânement, au chapitre des « névroses » : « notre Physiologie a le plus superbe dédain des classifications médicales » (Balzac 1980, 1166). A l’horizon de la Physiologie balzacienne, la médecine est tenue à bonne distance, quoique rendue présente par la force d’un refus.

Le titre de l’ouvrage aurait pu d’ailleurs être tout autre : étude, code, art ou monographie sont autant de catégories disponibles que Balzac aurait pu faire siennes en l’occurrence, toutes largement représentées dans le commerce de la librairie. Les notes de René Guise à son édition de la Comédie humaine – la Physiologie y figure parmi les Etudes analytiques – rappellent au demeurant quelles remarques s’est attiré le titre au lendemain de la parution. Ainsi chez Jules Janin, dans Le Journal des Débats, en février 1830 : cela aurait pu s’appeler « l’Art du mariage », mais « comme le siècle a donné furieusement dans la médecine et dans les titres pompeusement scientifiques, il appela son livre Physiologie du mariage » (Balzac 1980, 1768). Ainsi encore, le mois suivant, dans le Feuilleton des journaux politiques :

Ce mot de physiologie lui-même n’est pas si terrible qu’il le paraît. Il ne signifie, en médecine, que l’art de connaître la destination des organes, de la deviner au besoin, d’après le système dans lequel la nature les a construits. La physiologie du mariage sera donc l’art de deviner le but secret des actions des maris, de leurs femmes surtout, d’après leurs apparences extérieures, d’appliquer un résultat à leurs moindres démarches, et de se préserver de certaines conséquences fâcheuses, si tant est qu’il soit donné à l’homme de s’en préserver. (Balzac 1980, 1768)

Voilà du coup les méthodes de la physiologie médicale, telles du moins que le rédacteur les comprend et résume, transposées aux relations conjugales : les « actions des maris » et des « femmes » deviennent autant d’« organes » aux fonctions secrètes qu’il s’agit de « deviner », à défaut de les « connaître » ; et si la physiologie des médecins est prolongée par la thérapeutique et l’hygiène, la physiologie balzacienne n’est pas moins destinée à « préserver » l’« homme », autant qu’il est en son pouvoir, des « conséquences fâcheuses » du mariage. L’analogie est douteuse, mais on retiendra qu’elle ait pu être formulée, et avec une légèreté qui n’entame que peu son sérieux.

La « Muse physiologique » (Balzac 1980, 1076) de Balzac – c’est ainsi qu’il nomme l’autorité sous laquelle il place son livre – pouvait invoquer des modèles récents, qui préparaient à l’acceptation du titre. La Physiologie des passions d’Alibert, parue en 1825, avait été rééditée deux ans plus tard ; la Physiologie du goût de Brillat-Savarin était parue, elle aussi, en 1825, soit quatre ans avant la Physiologie de Balzac, que ce dernier déclare d’ailleurs finie et imprimée, mais à des fins personnelles, en 1826. Toutes trois sont contemporaines, qui plus est, de quelques physiologies médicales au grand retentissement, et d’obédiences aussi diverses que la Physiologie de l’homme (1823-1824) d’Adelon, rééditée en 1829, le Précis élémentaire de physiologie (1816-1817) de Magendie, réédité en 1825, et les célèbres Nouveaux élémens de physiologie (1801) de Richerand, qui en sont, en 1825, à leur neuvième édition. Justifié ou non par un héritage légitime, le titre est obsédant et le corpus hétéroclite. Quelques physiologistes se félicitent même de ce retentissement : « Chaque science a son époque de gloire, son temps de progrès et de maturité ; chacune devient successivement populaire. Tout siècle a sa science préférée, et la physiologie est celle de nos jours » (Bourdon 1830, VII). Mais aucun d’eux ne semble constater ce que ce triomphe « populaire » suppose de dépossession et de dérive.

Le succès retentissant des nouvelles « physiologies » d’Alibert, Brillat-Savarin et Balzac n’était d’ailleurs que le signe d’une vogue littéraire à venir entre 1841 et 1843, aussi éphémère qu’envahissante, et dont l’impact se mesure, toutes « physiologies » confondues, à une diffusion de plus d’un demi-million d’exemplaires2. Il s’écrit des « physiologies » de tout, et surtout de tous, dans une entreprise on ne peut plus homogène dans sa forme et multiple dans ses sujets, portée par une typologisation du social qui menace – c’est à la fois son risque et son moteur – de ne jamais trouver de fin. Se succèdent ainsi, comme on sait, dans une vertigineuse énumération de rôles, de lieux et d’objets : les physiologies du rentier, du concierge, de l’employé, du dandy, de la lorette, de la portière, du fumeur, du Bois de Boulogne, du théâtre, du blagueur, du cocu, de la femme honnête, de la fille sans nom, du médecin, de l’homme de loi, de la poire, du franc-maçon, de la grisette, du buveur, des quartiers de Paris, du parapluie, etc. ; quand elles n’étalent pas leur ambition totalisante dans un seul et long titre, comme la Physiologie du bien et du mal, de la vie et de la mort, du passé, du présent et du futur (1837).

A quoi, s’ajoutent, il fallait s’y attendre, toutes deux en 1841, une Physiologie des physiologies et une Physiologie des physiologistes, qui signifient, dans leur réflexivité, et l’année même où le phénomène acquiert toute son ampleur, à la fois un emballement et une impasse : les physiologies ne mettent plus guère en scène que leur propre « type », révélant ainsi, de manière à la fois critique et ludique, les principes d’une fabrication dont chacun avait déjà compris la recette. La Physiologie des physiologies, anonyme, les résume dans une définition bien connue :

Physiologie – Ce mot se compose de deux mots grecs, dont la signification est désormais celle-ci : volume in-18, composé de 124 pages, et d’un nombre illimité de vignettes, de culs-de-lampe, de sottises et de bavardages (logos) à l’usage des gens niais de leur nature (phusis)3.

Manière cocasse de faire résonner une étymologie dont la physiologie médicale tire, elle, le meilleur parti, à la fois simple et noble : « Le mot physiologie », explique posément Pierre Bérard, et il n’est de loin pas le seul physiologiste à le faire, « dérive de deux mots grecs, dont l’un signifie nature, et l’autre raconter ; c’est comme si on disait histoire de la nature » (Bérard 1848-1855, t. I, 1). Et d’évoquer aussitôt l’étendue de la notion de « nature » – à la fois natura naturata et natura naturans, « choses créées » et « pouvoir créateur » – pour en tirer les conséquences : « Vous voyez que si nous voulions nous en tenir à la rigueur étymologique, la physiologie ne serait rien moins que la science universelle » (Bérard 1848-1855, t. I, 2). Bérard s’empresse évidemment de limiter la définition à l’étude des « phénomènes des êtres vivants », à la « recherche » de leurs « lois » et « conditions dans l’état de santé » (Bérard 1848-1855, t. I, 3). Mais la profondeur et l’ampleur de la tâche ainsi restreinte, la portée délibérément philosophique qu’elle réclame n’étouffent jamais complètement la voix de l’étymologie, qui promet à la physiologie la destinée la plus haute. Jourdan, le traducteur, en 1845, du grand Manuel de physiologie de Müller, le rappelle à ses lecteurs : « Aujourd’hui tout le monde s’accorde à voir en elle une des branches les plus importantes de la médecine, de l’histoire générale et de la philosophie »4.

Les « physiologies » minuscules et nombreuses dont la librairie fait son commerce pourraient donc être comprises comme la version dégradée, et dévoyée, d’un savoir triomphant dont les succès sont d’une telle importance et ambitionnent une étendue si large, que l’on perçoit en eux un nouvel ordre explicatif, extensible à l’humain tout entier, y compris dans ses dimensions morale et sociale. Or ce n’est, à l’évidence, que sur le mode parodique qu’une telle relation s’établit, et si les « physiologies » répondent à la médecine, c’est non seulement en détournant le nom dont elles font leur titre, mais en jouant aussi d’une disproportion entre leur petitesse affichée et la monumentalité des ouvrages de médecine. C’est ce que met en scène, en guise de prologue à la Physiologie de la poire (1832), un échange de lettres rapporté. D’abord celle d’un « gros éditeur du quartier de l’Ecole-de-Médecine », adressée « à l’auteur du présent Traité », dans laquelle le premier proclame sa déception de n’avoir reçu du second qu’un volume insignifiant en lieu et place du traité colossal qu’il s’estimait en droit d’attendre :

Je suis un savant éditeur d’ouvrages savants […].

J’étale à la fois derrière les vitres de mon spacieux magasin, Boyer, Broussais, Thénard, Alibert, Magendie, Richerand, Laënnec, Dupuytren, Récamier, Ampère, Orfila.

J’aurais étalé votre Physiologie de la Poire avec le plus grand plaisir, si votre Physiologie de la Poire eût comporté plus d’un misérable volume in-8°.

Mais, je vous le dis, monsieur, je n’aime point à me bouger pour un volume ; je suis né pour les grandes choses, pour les gigantesques Atlas, pour les immenses Dictionnaires, pour les interminables Encyclopédies. – Je suis le Bonaparte de la librairie française5.

Les grands noms de la science, et tout particulièrement de la médecine, que le « savant éditeur d’ouvrages savants » invoque ne sont en fait que l’écrasant contrepoids que les physiologies se donnent, en même temps que le faire-valoir de la légèreté et de la futilité qu’elles revendiquent.

Mais les physiologies littéraires entretiennent avec la physiologie des médecins une relation plus profonde, quoique toujours sous le sceau de la dérision. Car c’est bien d’un corps social que les physiologies proposent anarchiquement l’étude ou le spectacle, et le projet qui les sous-tend – si c’en est un – est marqué par la manière dont la physiologie médicale conçoit, dans une série d’oppositions avec l’anatomie, la dynamique du corps vivant. Ainsi le font, non sans effort didactique, les Eléments de physiologie de l’homme de Béraud : « à la notion de substance organisée ou d’éléments anatomiques correspond la notion de propriétés vitales ou élémentaires » ; « à la notion anatomique de système se rattache en physiologie celle d’attribut » ; l’« anatomie nous montre des organes », on « appelle usage chaque acte propre à chaque organe » ; « à la notion d’appareil correspond celle de fonction » ; « à la notion d’organisme, d’économie ou de corps, considéré en général, se rattache la notion de vie ou mode d’activité » (Béraud 1856-1857, t. I, 2-3). Leçon que les physiologies littéraires ont pleinement assimilée. Car il s’agit bien pour elles, une fois la transposition admise – du corps au social – d’indiquer ou d’épingler des attributs et des usages, de reconnaître des fonctions, d’expliquer des faits de « vie » sociale, de capter le grouillement vital dont la grande ville est le théâtre. Cela, même si les « physiologies » en tant que genre de « littérature industrielle » (Saint-Beuve) élaborent dans le désordre et par une accumulation débridée, une sorte de physiologie sans préalable ni assise anatomiques, découvrant ou inventant à la fois les fonctions et les organes d’un corps social en expansion, dont nul ne peut anticiper le nombre de parties.

S’il est donc certainement vrai que les « physiologies » usurpent leur titre, comme de nombreuses « anatomies » ont pu le faire avant elles, il n’en demeure pas moins qu’elles sont bien plus que ce qu’en dit Pierre Larousse en les définissant comme des « études de mœurs décorées du nom de physiologies » (Larousse 1874, 918), et tout autre chose aussi que ce que croit Bouillet lorsqu’il affirme que la physiologie, « de nos jours », est « devenue synonyme de traité analytique » (Bouillet 1867, 1275). Car le modèle physiologique travaille en profondeur à la fois le genre éphémère qu’il désigne et ses innombrables apparitions dans d’autres textes qui accueillent, plus que le mot, une part au moins du mode de pensée auquel la physiologie se rattache. Il est vrai pourtant que les auteurs de physiologies adoptent « délibérément la méthode classificatoire de la zoologie contre la méthode synthétique de la physiologie » (Preiss 1997, 912). Ce que confirme la vulgate physiologique du Larousse dans sa partie médicale :

La physiologie, en tant que science expérimentale, se distingue […] nettement de la zoologie et de la botanique, qui sont des sciences naturelles. La physiologie ne cherche à déduire de ses recherches aucun caractère de classification ; elle néglige complètement les considérations de classe, d’ordre, de genre, d’espèce, qui sont l’objet essentiel des études naturalistes, zoologiques ou phytologistes. Pour la physiologie générale, il n’y a que des mécanismes vitaux variés à l’infini, qui s’accomplissent à l’aide d’éléments actifs communs. L’objet de cette science est de déterminer ces éléments communs, avec leurs propriétés et dans leurs conditions d’activité. (Larousse 1874, 915)

Rien ne serait donc plus éloigné de la physiologie, que la saisie taxinomique du social à laquelle se livrent les physiologies. Encore que la physiologie avec laquelle elles entrent en résonance n’est pas uniquement cette « science expérimentale » dont Pierre Larousse assimile le principe en se référant à l’œuvre toute récente de Claude Bernard. Le corps théorique de la physiologie et les modalités de son discours sont bien plus hétérogènes et ne tournent pas si résolument le dos à l’ordre taxinomique.

A bien y regarder, d’ailleurs, la méthode classificatoire adoptée par les « physiologies » n’entraîne pas pour autant une « physiologie » nouvelle par espèce : ce sont les mêmes principes qui gouvernent chacune d’elles dans l’énoncé des phénomènes sociaux, et ces phénomènes sont observés dans chaque « organe » du corps social, conformément aux principes d’une « physiologie spéciale ou descriptive », attestée encore par Béraud, « qui a pour sujet les actes dont l’examen doit être fait successivement sur toutes les parties de l’organisme, et qui a pour but d’en connaître la liaison et la mutuelle dépendance » (Béraud 1856-1857, t. I, 4). Et quand bien même la parcellisation du corps social par les « physiologies » traduirait le dessein burlesque d’une zoologie humaine, la démarche s’inscrit irrévérencieusement dans le prolongement d’une spécialisation physiologique : « […] on conçoit qu’il doit y avoir autant de physiologies spéciales, qu’il y a d’espèces vivantes particulières ; chacune a la sienne ; et puisque l’homme est un être vivant, il doit y avoir la physiologie de l’homme » (Adelon 1826, 486). Les « physiologies » ne font en somme que donner un tour d’écrou supplémentaire à la machine physiologique et affiner à outrance la distinction des « espèces vivantes particulières », au titre desquelles elles admettent la lorette et le cocu, l’employé et le dandy, et les autres pensionnaires d’une ménagerie sociale dont l’étendue et la variété s’accroissent de jour en jour.

Du corps humain au corps social, des espèces aux sous-espèces, la transposition peut sembler lâche et seuls quelques traits lexicaux épars rappellent peut-être la physiologie dans les « physiologies », mais il n’en demeure pas moins que leur projet reproduit – ou singe – à plus d’un titre, le modèle médical. Paul Bourget perpétuera d’ailleurs, très tardivement, cette ambiguïté dans sa Physiologie de l’amour moderne – « dénommée de ce gros nom par naïf snobisme littéraire et ressouvenir d’un vieux genre démodé » – en affirmant avoir travaillé « en véritable physiologiste littéraire à prétentions plus ou moins justifiées de physiologiste scientifique » (Bourget 1891, III et 132).

De cette expansion culturelle de la physiologie par homologie, il existe une autre version, autrement plus sérieuse et le moins du monde parodique : celle de Saint-Simon, pour qui « la physiologie est […] la science, non seulement de la vie individuelle, mais encore de la vie sociale dont les vies des individus ne sont que des rouages » (Saint-Simon 1865-1878, 180). De sorte que la physiologie médicale est naturellement appelée à s’élargir :

Riches de tous les faits qui ont été découverts par des travaux précieux entrepris dans ces différentes directions, la physiologie générale se livre à des considérations d’un ordre plus élevé ; elle plane au-dessus des individus qui ne sont plus pour elle que des organes du corps social dont elle doit étudier les fonctions organiques, comme la physiologie spéciale étudie celle des individus. (Saint-Simon 1865-1878, 177)

Une continuité de termes, et un décalage, indiquent clairement un rapport de force : la « physiologie générale » des médecins devrait en reconnaître une autre au-dessus d’elle, l’entière discipline médicale étant rabaissée à l’échelon d’une « physiologie spéciale ». Or ce dépassement est significativement en germe dans les rapports que la physiologie médicale entretient elle-même avec l’hygiène en une tension entre l’individuel et le collectif ; comme elle s’inscrit aussi, et fondamentalement, dans l’« éducation » et dans la « loi de perfectionnement » des « sensations » et des « idées », dont elle se fait l’écho, faiblement dans la physiologie d’un Magendie mais très significativement chez d’autres, comme Béraud, qui se réfère à Cabanis : « les causes qui développent les facultés intellectuelles et morales sont indissolublement liées à celles qui produisent, conservent et mettent en jeu l’organisation, et c’est dans l’organisation même de la race humaine qu’est placé le principe de son perfectionnement » (Béraud 1856-1857, t. II, 828). Le saint-simonien d’un temps, Buchez – l’ami de Morel et l’auteur avec Ulysse Trélat d’un Précis élémentaire d’hygiène (1825) – développe cette idée d’une « physiologie sociale » dans une importante série d’articles consacrés à la physiologie dans Le Producteur de 1826 :

La physiologie, comme science de l’homme, est appelée à fournir une base positive à la morale individuelle, et, comme science des conditions d’existence, à organiser et à surveiller l’hygiène publique, sous ce double rapport son utilité sera de tous les temps. (Buchez 1826, 132)

A condition, précise-t-il, qu’une « science de l’espèce » puisse se constituer sur des bases qui lui soient propres, parce que « la société n’est pas uniquement l’expression des tendances individuelles » et que « l’espèce est soumise à des lois particulières autres que celles qui appartiennent à la physiologie » (Buchez 1826, 132-133). Tout le travail de Buchez consistera alors à rechercher les « termes de passage de la physiologie individuelle à la physiologie sociale », sur fond de certitude quant à la caducité du partage entre psychologie et physiologie : « Cabanis et Destutt de Tracy lient les phénomènes apparents aux phénomènes cachés ; alors la physiologie prend la place de la psychologie, et la science de l’homme devient une » (Buchez 1826, 274). Le principe est celui dont se soutient l’approche médicale des faits moraux, mais les finalités qui se greffent sur lui excèdent évidemment la médecine, dans laquelle il trouve son origine et dont il réalise jusqu’à un certain point – mais contre elle – l’ambition philosophique6.

La physiologie médicale se trouve ainsi dessaisie de son objet et englobée par la philosophie, au nom d’un mode de connaissance que justement elle conteste, lorsque, sans viser la physiologie saint-simonienne (qui n’a jamais eu rang d’adversaire), elle désavoue l’abstraction de la physiologie philosophique, volontiers vitaliste. Comme le fait encore Béraud, mais sans refuser pour autant le nom de « physiologie » à cette extension de la science, dont la « manière » s’écarte de la médecine :

On a quelquefois, mais à tort, donné le nom de physiologie générale à la physiologie abstraite, c’est-à-dire celle qui, sans prendre pour point de départ aucune espèce vivante déterminée, traite d’une manière philosophique des phénomènes de la vie, indépendamment de toute application. (Béraud 1856-1857, t. I, 5)

Entre la physiologie médicale et la physiologie sociale, le lien est manifeste. Et si les physiologies littéraires semblent s’éloigner de la physiologie sociale au point de lui paraître étrangères ; si leur éclatement fait d’elles un « miroir en miettes » de la société de Louis-Philippe, leur recette consensuelle n’en met pas moins en évidence, sinon un projet unitaire, un mouvement clairement orienté, parallèle à la physiologie saintsimonienne et fondé, non pas en dépit, mais en raison même de leur désinvolture parodique, sur l’exaltation des normes sociales : rien n’est plus fortement mis en évidence dans chacune d’elles que les travers comportementaux des espèces qu’elles découpent dans le genre humain. Parentes à la fois proches et indociles de l’hygiène, les physiologies littéraires signalent les écarts multiples, les déséquilibres d’une santé sociale et les constituent en objet de dérision et de jouissance.

La « physiologie » bénéficie, dès le premier quart du siècle, d’une plasticité sémantique extraordinaire qui lui permet, sans jamais oublier totalement l’essor médical qui la porte, de servir de bannière à des œuvres résolument hétérogènes, à la fois par leur ensemble et leurs caractéristiques singulières. A commencer par celle d’Alibert, dont la Physiologie des passions ou nouvelle doctrine des sentiments moraux est l’exemple même d’une mixité générique, dans ce qu’elle peut offrir de plus dilué et de fade. Elle est l’œuvre d’un médecin, note le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, qui « tout en se livrant aux recherches scientifiques qui ont fait sa véritable gloire, […] ne pouvait se séparer des tendances littéraires qui l’avaient entraîné dans sa jeunesse » (Beaugrand 1869, 8) ; aussi sa Physiologie des passions lui a-t-elle « valu, plus peut-être dans le monde que parmi les médecins, une grande réputation d’écrivain » (Ibid.). Son projet, Alibert le présente avec l’emphase qui lui est habituelle et dans la continuité d’une subordination du moral à la médecine :

Etudier les sentiments moraux, c’est étudier l’homme dans les plus précieux et les plus nobles attributs de son être. Quelle science est plus digne de l’esprit humain ! Mais n’est pas aux médecins qu’il appartient spécialement de s’y livrer ? On ne saurait croire combien la connaissance approfondie de nos infirmités physiques peut leur ouvrir de routes vers la véritable théorie des passions. Descartes n’avait médité qu’imparfaitement sur l’organisation du corps vivant. Il possédait à peine les données physiologiques qu’on avait acquises de son temps. De là vient, sans doute, que la plupart de ses explications sont généralement considérées comme défectueuses et insuffisantes […].

Malgré l’attrait infini de ces recherches, peu de personnes y portent en général leur attention. L’homme ici-bas évite de s’observer. Craindrait-il donc de se connaître ? Il est triste néanmoins d’arriver à la mort sans percer les ténèbres de notre ignorance, sans pénétrer les merveilles de notre esprit, sans plonger nos regards dans le fond de notre âme, sans remonter jusqu’à la source primitive de nos sensations et de nos idées, sans expliquer le secret de nos propres émotions, sans avoir appliqué nos facultés à cette immense étude de la nature intellectuelle, à laquelle se rattachent les plus hautes méditations de la philosophie spéculative ; sans avoir soulevé quelques-uns des voiles qui couvrent encore la grande énigme de l’existence. Socrate avait raison de regarder cette science comme la plus digne d’occuper notre entendement […]. (Alibert 1827, t. I, 1-2)

Pas de « science » plus élevée, que celle qui débouche sur une connaissance de soi ; ce qui était réservé à la « philosophie spéculative » devant revenir désormais aux « médecins », dont le savoir s’est enrichi d’une compréhension enfin certaine des « données physiologiques ». Rien, dans ce programme, qui n’ait été énoncé plusieurs fois avant qu’Alibert n’ait songé à s’en faire publiquement le défenseur. A quoi s’ajoute que le statut de la « physiologie » dans son discours est purement métaphorique, son livre n’étant que peu nourri de médecine et se montrant très accueillant envers la sagesse la plus commune et les histoires édifiantes : l’étude du « moral » se réduit ici à l’expression d’une morale convenue. La première phrase du traité ne peut d’ailleurs s’opposer plus fortement à son titre : « Pour connaître l’homme », déclare Alibert dans un élan dualiste, « il faut le chercher dans son âme, et non dans les organes matériels de son enveloppe corporelle ». Il est des spiritualismes médicaux qui tournent résolument le dos à la médecine.

Dermatologue devenu moraliste parce qu’incapable de « se séparer des tendances littéraires qui l’avaient entraîné dans sa jeunesse », Alibert est certainement « une des physionomies les plus originales de la médecine contemporaine » (Beaugrand 1869, 7) ; mais on aurait tort de comprendre l’extrême latitude avec laquelle il considère la « physiologie » comme le signe d’une exception radicale. La métaphore physiologique sera durablement le lot de la médecine, et notamment de la psychiatrie, dans son désarroi devant une étiologie « morale » fuyante, et l’on verra nombre de projets, d’envergure et de nature diverses, se présenter sous le même titre, de la Doctrine des rapports du physique et du moral, pour servir de fondement à la physiologie dite intellectuelle et à la métaphysique (1823) de Frédéric-Joseph Bérard, à la Physiologie de l’homme aliéné, appliquée à l’analyse de l’homme social (1833) de Scipion Pinel, à la Physiologie de la pensée. Recherche critique des rapports du corps à l’esprit (1862) de Lélut, ou encore à la Physiologie de l’esprit (1867) de Maudsley, toutes amenées à disserter sur l’extension de la « physiologie », à conforter une profession de foi et à bâtir l’utopie d’une aube prochaine au cours de laquelle la noble discipline – sans assumer pour autant la « certitude » de Cabanis, rappelée encore par Maudsley, « que le cerveau digère en quelque sorte les impressions ; qu’il fait organiquement la sécrétion de la pensée » (Cabanis 1805, t. I, 154 ; Maudsley 1891, 71) – aboutirait enfin à une pleine compréhension physiologique des phénomènes de la pensée.

Et quand elle ne leur fournit pas un titre, la « physiologie » n’est pas moins présente au cœur des discours sur les rapports du « physique » et du « moral », à des degrés divers de métaphoricité. Ce qui ne va pas sans contorsions rhétoriques ni bouleversements des projets « physiologiques » annoncés, comme chez Lélut, amené à réorienter son étude des « conditions organiques de l’exercice de la pensée » et à modifier le plan prévu pour son livre :

Dans cette sorte de mise en corrélation et en quelque sorte en équation de la pensée et de ses détails avec le corps et ses organes, au lieu de mettre ceux-ci sur le premier plan, d’en faire le pivot de ces recherches, je donnai, comme l’exigeait, il faut le dire, le sujet lui-même, je donnai cette première place à l’esprit et aux divers groupes de ses facultés. J’opérai cette substitution… (Lélut 1862, XX)

A quoi s’ajoute le fait que les parties philosophiques et anatomo-physiologiques de son traité ne communiquent jamais véritablement entre elles. La « physiologie de l’esprit » n’en est donc pas une, sauf à considérer qu’elle puisse virtuellement résulter de la simple juxtaposition d’une physiologie du corps et d’une philosophie de l’esprit.

Sérieuses ou désinvoltes, habillées de médecine ou résolument médicales, les tentatives d’Alibert, Bérard, Lélut ou Scipion Pinel montrent en tout cas suffisamment combien la force de la physiologie – le vouloir qui la porte à tout comprendre : « Physiologie, que me veux-tu ? » – se fait impérieusement sentir dans le champ le plus étendu du savoir et de la culture : de la médecine à la philosophie et à la littérature, en autant d’allerretour et de parcours transversaux, au carrefour desquels les « physiologies » de Brillat-Savarin et de Balzac trouvent assurément leur place.

La tentation littéraire de quelques médecins, physiologistes par métaphore, promet de leur ouvrir les portes du succès. Traçant un chemin sinueux entre « véritable gloire » médicale et « réputation d’écrivain », Alibert s’y engage avec un plaisir inversement proportionnel à l’ennui que nous procure son livre aujourd’hui. Mais il en paie aussi le prix, coupable d’un abus que la médecine proscrit et que le même Dictionnaire encyclopédique dénonce avec férocité : « Homme d’esprit avant tout, mais d’un esprit superficiel, il se montre en général plus préoccupé de l’éclat de la forme que de la solidité du fond. Son style châtié et correct revêt trop souvent les allures prétentieuses et emphatiques si fort à la mode au commencement de ce siècle. De là ces descriptions pathologiques, quelquefois frappantes de vérité, quelquefois empreintes d’une exagération qui touche au ridicule » (Beaugrand 1869, 8). Armée de critères autant littéraires que médicaux, la condamnation est sans appel, inscrite dans la continuité d’une norme en matière de « goût » et de « style », à laquelle la « littérature médicale » se doit de se plier ; Philippe Pinel en avait affirmé la nécessité, en ce même « commencement » de « siècle » : les textes médicaux doivent être le fruit d’un rapport surveillé entre le singulier et le général, et porter distinctement le sceau d’une discipline qui exige tout ensemble l’exactitude du regard et la sobriété du discours7. Le livre d’Alibert apparaît ainsi doublement comme un livre d’un autre temps : rejeton d’une « mode » surannée que les normes en vigueur alors condamnaient déjà, quoique visiblement sans succès.

Un semblable écart, à la fois d’époque et de langage, est souligné dans le même Dictionnaire, mais avec bien plus de bienveillance, à propos du grand Richerand, qui se voit reconnaître une imposante stature médico-littéraire, gagnée dès l’année 1801, au cours de laquelle

[…] cet auteur de vingt et un an publiait de Nouveaux éléments de physiologie, c’est-à-dire un livre destiné à un de ces succès inouïs qui font époque dans les annales de la librairie, un livre qui a eu onze éditions se succédant presque d’année en année, qui a été traduit dix-sept fois, et qui a exercé une grande influence sur la jeunesse des écoles, et qui a rendu avenante et facile l’étude d’une science d’habitude si sévère et si aride ; un livre, enfin, d’une séduisante lecture, parsemé de fleurs dans les sentiers les plus arides, exhalant dans toutes ces pages un parfum de littérature, et qu’on emportait volontiers sous le bras pour l’ouvrir, le feuilleter et le lire dans une promenade, aux senteurs matinales d’un printemps. (Chéreau 1877, 21)

Extraordinaire harmonie entre la « nature », le physiologiste et la « littérature », dans laquelle résonne si bien l’origine et l’emploi ancien du mot physiologie ; époque bien révolue aussi, en un temps où plus personne sans doute n’espère l’éclosion de « fleurs » entre les pages d’un livre de physiologie. L’évocation de ce passé, teintée de nostalgie, repose en fait sur la certitude – heureuse et malheureuse tout ensemble – que cet ancien bonheur ne se reproduira pas, la physiologie « exhalant » désormais un tout autre « parfum ».

L’éloignement de cette « séduisante lecture » déclarée désuète en même temps que célébrée, tient évidemment bien moins aux qualités stylistiques individuelles de Richerand et de ses successeurs, qu’aux mutations profondes de la physiologie et à la longue épuration de son langage, qui, sans être linéaire, n’en est pas moins irréversible. Il suffit de confronter Richerand à Magendie pour prendre la mesure d’une révolution du style et de la pensée physiologiques. Richerand appartient encore, et de manière déclarée, à une culture à laquelle ses héritiers se feront un devoir de se soustraire. La préface à la première édition de son traité y consacre une attention marquée :

Pour ce qui concerne l’esprit dans lequel sont rédigés ces Nouveaux Eléments, j’ai constamment sacrifié l’élégance à la clarté, bien convaincu que cette dernière qualité fait le premier mérite d’un livre élémentaire. En outre, je pense avoir observé partout le même ordre dans la succession des objets, et appliqué à la science de l’homme vivant, le principe de la liaison naturelle des idées ; principe si bien développé par Condillac, dans son Traité de l’Art d’Ecrire, et auquel ce philosophe a fait voir que l’on pouvait rapporter toutes les règles de cet art. Malgré la sévérité que je me suis imposée, j’ai cru, à l’exemple des anciens, de Bordeu et de plusieurs autres médecins et physiologistes non moins célèbres parmi les modernes, pouvoir employer, au besoin, des expressions métaphoriques, parce que, comme le dit très bien une femme qui de nos jours fait le plus grand honneur à son sexe, si la concision ne consiste pas dans l’art de diminuer le nombre de mots, elle consiste moins encore dans la privation des images. La concision qu’il faut envier, c’est celle de Tacite, celle qui est à la fois éloquente et énergique ; et bien loin que les images nuisent à cette brièveté de style, justement admirée, les expressions figurées sont celles qui retracent le plus de pensées avec le moins de termes. (Richerand 1825, t. I, XI-XII)*

Situer le discours de la science, déterminer son registre, cela implique chez Richerand une mise en balance de la « sévérité » et de la « métaphore », du médical et du littéraire : voilà qui justifie la place de Tacite et de Mme de Staël dans un ouvrage de médecine.

Ce qui n’empêche nullement Richerand d’en appeler à un contrôle strict des mots et des objets qu’il s’autorise à admettre dans son traité ; il en va pour lui d’un partage entre la science et le « roman » – le mot désignant un mélange de fiction, de récit coupable et d’abus de style – qui sera longuement présent à l’esprit des physiologistes, alors même qu’ils auront la certitude que leur langage ne souffre plus d’aucune compromission littéraire. Richerand lui-même s’en préoccupe en annonçant la déception que son livre réserve nécessairement à « ceux qui s’obstinent à ne voir dans la physiologie que le roman, et non l’histoire de l’économie animale » (Ibid., XIII), et Béraud, au milieu du siècle, aura la même prudence, contre l’appétit d’une « librairie » curieuse de physiologie et « toujours avide » :

En remplissant nos deux volumes de particularités anatomiques ou physiologiques curieuses bien qu’inutiles, de faits empruntés à l’anatomie avec quelques déductions plus ou moins ingénieuses et diverses notions sur l’histoire naturelle du genre humain, nous aurions pu faire un de ces livres qui captent le public et dont la librairie est toujours avide. Mais elle est fausse cette opinion que la physiologie se compose principalement de données curieuses, de déductions hypothétiques séduisantes et exige, pour être faite et comprise, plus d’imagination que de travail. (Béraud 1856-1857, t. I, IV)

Jacques Lordat, vitaliste convaincu et grand adepte de la métaphore, exprime pourtant la même réprobation, et dans les mêmes termes, en rappelant avec mépris l’époque des doctrines iatromécaniques et iatrochimiques :

Cette méthode de philosopher, accréditée surtout par Descartes, s’empara de la Physiologie : les hypothèses furent prises de la physique et de la chimie, et rendues vraisemblables par une anatomie fantastique.

Mais il se trouva toujours quelques praticiens austères qui professèrent peu d’estime pour une science futile, sans cesse en opposition avec des milliers de faits, ignorés des spéculatifs qui l’avaient créée. C’est alors qu’elle fut flétrie du nom de Roman de la médecine. (Lordat 1813, 39-40)

Quant à Magendie, il a soin de tenir à bonne distance ce que son lecteur est assuré de ne trouver dans aucune page de son livre :

Les sciences naturelles ont eu, comme l’histoire, leurs temps fabuleux. L’astronomie a commencé par l’astrologie ; la chimie n’était naguère que l’alchimie ; la physique n’a été longtemps qu’une vaine réunion de systèmes absurdes ; la physiologie, qu’un long et fastidieux roman […].

Tel fut l’état des sciences naturelles jusqu’au 17e siècle. (Magendie 1825, t. I, V)

Encore qu’il remette lui-même en cause cet éloignement rassurant en évoquant le présent de la médecine, dans lequel les « temps fabuleux » et le « roman » semblent bien se maintenir dans les survivances du vitalisme :

[…] à côté des phénomènes de la circulation, de la respiration, de la contractilité musculaire, on voit encore, placées sur la même ligne et au même degré d’importance, de simples métaphores, telles que la sensibilité organique, quelques êtres imaginaires, comme le fluide nerveux, certains mots inintelligibles, tels que la force ou le principe vital. (Ibid., VIII)

Mais Magendie, se situant à la frontière de deux époques, affirme aussitôt l’imminence d’un basculement définitif, à la fois épistémologique et langagier :

Déjà les systèmes sur les fonctions organiques ne sont plus accueillis avec la même faveur ; et pour mettre au jour une œuvre de physiologie romantique, on est obligé de faire, ou de dire qu’on a fait, des expériences. (Ibid., X)

Isidore Bourdon, lui, n’hésite pas à reconnaître dans une physiologie conduite par l’« imagination » et non par l’expérience, l’annonciatrice, aussi coupable qu’« agréable », d’un « genre » à venir sous le patronage de Walter Scott :

Traitée avec cette légèreté condamnable, la plus utile des sciences en devient la plus nuisible à l’homme ; et c’est malheureusement ainsi qu’en ont écrit plusieurs de nos médecins célèbres. Certes, ils connaissaient le genre mixte du roman historique avant qu’un écrivain écossais l’eût mis en vogue en Europe. Au lieu de vous exposer simplement ce qui est, ils ont trouvé convenable de vous raconter sans nulle hésitation ce qu’ils supposent : vous leur demandiez qu’ils vous retraçassent l’histoire de la vie, et ils vous en offrent l’agréable fiction. (Bourdon 1828, t. I. 4)

Du « romanesque » au « romantique », une même attitude est dénoncée, dont l’origine est obscurément perçue comme littéraire ; mais l’insistance à proclamer cette exclusion montre combien ces deux cultures qui se séparent peinent à se quitter. Les jours de la métaphore physiologique ne sont d’ailleurs pas comptés, non seulement parce qu’elle survit à sa proscription, mais encore parce qu’il arrive à la physiologie de la valider en lui découvrant une vérité fondée sur l’« expérience ». Comme le fait le disciple de Magendie qu’est Claude Bernard : « L’antique fiction de la vie comparée à une flamme qui brille et s’éteint cessa d’être une simple métaphore pour devenir une réalité scientifique. Ce sont en effet les mêmes conditions chimiques qui alimentent le feu et la vie. » (Bernard 1872a, 5) Le propos est ambigu : il décompose ou dissout la métaphore en la faisant accéder au sens propre, mais revivifie aussi son prestige en l’accueillant avec les honneurs dans le discours de la médecine.

Permanence aussi du « roman », dans ce qu’il suppose de narratif, au-delà de l’appréhension imaginaire à laquelle on l’associe. Les physiologistes ont beau s’en protéger, une narrativité inhérente à leur discipline les accompagne, la physiologie ne parvenant que très difficilement à se défaire, pour elle-même et aux yeux d’autrui, de l’image d’une anatomie animée, mise en mouvement, et donc en récit. Les avertissements pourtant ne manquent pas, joints ou non à l’évocation de Haller : « […] une fois l’anatomie connue, la physiologie entière reste à apprendre. Rien d’aussi peu exact que de dire la physiologie anatome animata ; elle doit être faite à son tour sur des bases expérimentales nouvelles et tout à fait spéciales » (Béraud 1856-1857, t. I, 6). Mais l’idée perdure d’une physiologie chargée non seulement d’expliquer la « vie » mais d’en fournir la représentation, de dérouler enfin – un jour – le récit continu de ce dont l’anatomie fournit une description morcelée. Vocation narrative qui, dans l’attente de ce récit futur dont les physiologistes savent qu’il est encore bien éloigné, se manifeste aussi dans l’urgence pour la physiologie de se raconter elle-même, mesurant constamment son présent à ses conquêtes passées, écrivant et récrivant le récit des « expériences » dont elle est le fruit, comme autant d’anecdotes prestigieuses qui font corps avec l’énoncé du savoir acquis.

Or cette profusion de récits qui l’escortent et la confortent dans son statut de discipline en marche, est sans doute pour beaucoup dans le mode de lecture qu’elle génère et dans la diffusion qu’elle connaît. C’est bien d’ailleurs la portée narrative de la physiologie qui anime le mouvement de vulgarisation dont elle est l’objet, quelquefois même de la part de physiologistes. Isidore Bourdon est l’un d’eux, auteur à la fois de Principes de physiologie médicale (1828) et d’une œuvre de très franche vulgarisation sous forme épistolaire : les Lettres à Camille sur la physiologie publiées en 1829, puis rééditées en 1847. Viendront encore Jean Macé et son Histoire d’une bouchée de pain (1861), rééditée en 1865 et 1869, et le célèbre Louis Figuier, physiologiste devenu vulgarisateur, qui livre en 1879 ses Notions de physiologie à l’usage de la jeunesse et des gens du monde, dont le titre, Connais-toi toi-même, indique assez l’ambition morale du projet. Tous collectionnent les récits – des fonctions physiologiques ou des découvertes de la physiologie – et les restituent dans une trame dans laquelle le « romanesque » reprend, ou maintient, ses droits. Signe encore de cette emprise du récit, le sous-titre de la vulgarisation actualisée que propose presque un siècle après André Senet : Roman de la physiologie8 ; une tradition perdure, qui fait de cette dernière le miroir qui reflète l’humain dans toute sa vérité, par l’effet d’une représentation où chacun pourra se reconnaître dans le devenir physiologique qui est le sien.

Si la physiologie ne cesse de se défaire du « roman », et de le retrouver, plus d’un roman réserve le meilleur accueil à la physiologie. Nombreux seront en fait les romanciers qui se pencheront sur les miroirs que la physiologie leur tend tout au long du siècle. Certains y verront leur semblant, d’autres pas ; quelques-uns en seront éblouis, d’autres s’acharneront à les briser. Zola, lui, s’y reconnaîtra si bien qu’il voudra se faire lui-même miroir pour que d’autres s’y reconnaissent à leur tour : la poétique du « Roman expérimental », en 1880, est tout entière travaillée par ce reflet qu’elle cherche à amplifier. L’enjeu étant, pour Zola, de prolonger l’œuvre physiologique et de la compléter en étendant son application – comme elle n’a d’ailleurs cessé elle-même d’y prétendre – aux champs psychologique et social :

[…] c’est là ce qui constitue le roman expérimental : posséder le mécanisme des phénomènes chez l’homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et des circonstances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans le milieu social qu’il a produit lui-même, qu’il modifie tous les jours, et au sein duquel il éprouve à son tour une transformation continue. Ainsi donc, nous nous appuyons sur la physiologie, nous prenons l’homme isolé des mains du physiologiste, pour continuer la solution du problème et résoudre scientifiquement la question de savoir comment se comportent les hommes, dès qu’ils sont en société. (Zola 1968, 1184-1185)

Et Zola se voudra tellement réfléchissant, qu’il en viendra non seulement à transcrire Claude Bernard en s’extasiant de leur similitude (« Mettez ici encore le mot “roman” à la place du mot “médecine” et le passage reste vrai » – Ibid., 1196), mais encore à l’absorber et à l’assimiler, en une réécriture elle-même physiologique : « bien souvent, j’ai écrit les mêmes paroles, donné les mêmes conseils, et je les répéterai ici » (Ibid.), ce que Zola fait très exactement en s’appropriant le texte de Claude Bernard et en l’adaptant aux besoins de son propre corps théorique. Et si la physiologie lui résiste parfois et se refuse à l’assimilation, Zola met tout en œuvre pour en rejeter les résidus :

J’ai remarqué que beaucoup de savants, et des plus grands, très jaloux de la certitude scientifique qu’ils détiennent, veulent ainsi enfermer la littérature dans l’idéal. […] je n’accepte pas les paroles suivantes de Claude Bernard : « Pour les arts et les lettres, la personnalité domine tout. Il s’agit là d’une création spontanée de l’esprit et cela n’a plus rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels, dans lesquels notre esprit ne doit rien créer. » Je surprends ici un des savants les plus illustres dans ce besoin de refuser aux autres l’entrée du domaine scientifique. Je ne sais de quelles lettres il veut parler, lorsqu’il définit une œuvre littéraire : « Une création spontanée de l’esprit, qui n’a rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels. » Sans doute, il songe à la poésie lyrique, car il n’aurait pas écrit la phrase en pensant au roman expérimental, aux œuvres de Balzac et de Stendhal. Je ne puis que répéter ce que j’ai dit : si nous mettons la forme, le style à part, le romancier expérimentateur n’est plus qu’un savant spécial, qui emploie l’outil des autres savants, l’observation et l’analyse. Notre domaine est le même que celui du physiologiste, si ce n’est qu’il est plus vaste. (Ibid., 1200-1201)

L’objection de Claude Bernard est réduite à néant et, pire encore, sa jalousie est sanctionnée par la subordination de la physiologie au roman.

Un autre lecteur ou plutôt deux n’éprouveront pas le même bonheur devant le miroir de la physiologie. C’est entre 1840 et 1850 que, ressentant un manque (précédé et suivi de beaucoup d’autres), ils se procurent, chez un « bouquiniste », « les traités de Richerand et d’Adelon, célèbres à l’époque » (Flaubert 1979, 122) ; deux livres qui comptent parmi les très rares dont ils font l’acquisition. Mais c’est entre 1875 et 1877 que Flaubert s’efforce de concevoir le rapport des deux « bonshommes » avec la médecine, lui-même « perdu dans les combinaisons » d’un « chapitre » pour lequel il prend et reprend « des notes sur la physiologie et la thérapeutique, au point de vue comique, ce qui n’est point un petit travail »9.

L’œuvre est exorbitante, en effet, et Flaubert s’y attache en une subtile récriture de la physiologie, dont il « avale force volumes »10 – et pas seulement ceux dont la fiction nous dit qu’ils tombent entre les mains de Bouvard et Pécuchet : de Richerand à Claude Bernard, la traversée de Flaubert laisse peu de textes de côté et mobilise l’effort critique le plus aigu. La physiologie s’en trouve mise à nu, exposée aux yeux de tous, laissant apparaître l’ambition philosophique qui la porte, bien au-delà des réels pouvoirs dont elle dispose. Ce sont en fait les séductions et les promesses du récit physiologique, les certitudes que la discipline dispense sur son avenir en répétant l’histoire de ses conquêtes ; c’est, en somme, l’armature rhétorique de la physiologie, qui produit des effets paradoxaux à la lecture de Bouvard et de Pécuchet. Toutes les expériences célèbres que les traités rappellent (celles de Spallanzani sur la digestion, de Sanctorius sur la perspiration et quelques autres), les deux aspirants physiologistes s’appliquent scrupuleusement à les refaire, suivant ainsi leur naturel de copistes, mais avec une exigence de savoir qui, pour être maladroite et ridicule, n’en est pas moins fondée sur le principe d’une répétition expérimentale.

Rien pourtant, dans leur tentative, n’est conforme à l’original. Bouvard et Pécuchet ne sont pas plus heureux en physiologie que dans les autres sciences dont ils entreprennent l’étude : toutes leurs expériences échouent, malgré l’attention déployée pour suivre à la lettre les traités mis à l’épreuve. Ainsi pour l’« absorption cutanée » :

On les vit courir le long de la grande route, revêtus d’habits mouillés et à l’ardeur du soleil. C’était pour vérifier si la soif s’apaise par l’application de l’eau sur l’épiderme. Ils rentrèrent haletants ; et tous les deux avec un rhume. (Flaubert 1979, 123)

Ainsi encore, et bien peu de temps après, pour la « chaleur animale », expérimentée par Bouvard, tandis que Pécuchet, assis nu sur une balance, tente vainement de constater la diminution de son « poids » par le dégagement d’une « vapeur subtile » :

Des savants prétendent que la chaleur animale se développe par les contractions musculaires, et qu’il est possible en agitant le thorax et les membres pelviens de hausser la température d’un bain tiède.

Bouvard alla chercher leur baignoire – et quand tout fut prêt, il s’y plongea, muni d’un thermomètre.

[…] se trouvant là fort bien ils causaient avec sérénité.

Cependant Bouvard sentait un peu de fraîcheur.

– « Agite tes membres ! » dit Pécuchet.

Il les agita, sans rien changer au thermomètre ; – « c’est froid, décidément. »

– « Je n’ai pas chaud, non plus » reprit Pécuchet, saisi lui-même par un frisson « mais agite tes membres pelviens ! agite-les ! »

Bouvard ouvrit les cuisses, se tordait les flancs, balançait son ventre, soufflait comme un cachalot ; – puis regardait le thermomètre, qui baissait toujours. – « Je n’y comprends rien ! Je me remue, pourtant ! »

– « Pas assez ! »

Et il reprenait sa gymnastique.

Elle avait duré trois heures, quand une fois encore il empoigna le tube. – « Comment ! douze degrés ! – Ah ! bonsoir ! Je me retire ! » (Ibid., 124-125)

L’échec leur est fidèle. Les copistes ont beau copier, les expériences ne se répètent pas. Et pourtant le Traité d’hygiène de Michel Lévy, maintes fois réédité, n’a cessé de promettre à ses lecteurs, et donc à Bouvard et Pécuchet qui l’ont lu attentivement, une réussite à la portée de tous : « la contraction sans locomotion » pouvant suffire « pour élever la chaleur » du corps, « on peut échauffer de plusieurs degrés l’eau d’un bain par l’agitation des membres pelviens » (Lévy 1869, t. II, 209-210). Le « thermomètre » dont Bouvard est « muni », les « membres pelviens », dont on ne peut l’accuser de les agiter moins bien qu’un autre : tout semblait réuni pour une éclatante vérification, qui pourtant se refuse. Quant au « rhume » dont tous deux écopent en voulant vérifier « si la soif s’apaise par l’application de l’eau sur l’épiderme », c’est assurément la Physiologie de l’homme d’Adelon qui en est la cause, leur lecture ne pouvant en aucune manière être jugée fautive : « au récit de voyageurs dignes de foi », explique Adelon, « la soif a été calmée par des bains, et par une application de vêtements mouillés sur la peau » (Adelon 1829, t. III, 10). Le revers est bien cruel, et la confiance en la physiologie serait en droit de s’estimer trahie, si Adelon ne précisait qu’« il y a débat parmi les physiologistes, au sujet de cette absorption. Les uns disent qu’elle est aussi fréquente que facile, et invoquent des faits nombreux. […] Au contraire, d’autres physiologistes nient, ou au moins croient moins fréquente ou moins facile qu’on ne l’a dit, l’absorption cutanée » (Ibid., 11-12).

Puis viendront les expériences sur les bêtes, qui n’auront d’autre résultat que de manifester la « bêtise » de Bouvard et Pécuchet, aux yeux du moins de Germaine, leur servante, témoin du martyre d’un pauvre chien sur lequel les deux physiologistes on vainement tenté de vérifier « l’aimantation de l’acier par le contact de la moelle épinière » – avant que leur cobaye ne leur échappe « tout ensanglanté, avec des ficelles autour des pattes » (Flaubert 1979, 126). La Physiologie de Virey semble pourtant en admettre la possibilité (« Prévôt, de Genève, dit avoir aimanté des aiguilles de fer doux en les plaçant très près et dans le courant électrique de la moelle épinière d’un animal ; Lettre à l’Acad. des Sciences, 2 janvier 1838 » – Virey 1844, 321, note), alors même qu’elle semblait plus haut l’exclure tout à fait : « l’on n’a pas pu vérifier que des aiguilles d’acier, implantées dans les nerfs d’un animal vivant, deviennent magnétiques et attirent la limaille de fer, comme le soutenaient Vavasseur, Béraud, Jules Cloquet, etc. » (Ibid., 290, note) Le flottement des énoncés – railleusement dénoncé par Flaubert : « Contradiction. Quid ? »11 – se prolonge d’ailleurs bien au-delà : c’est tout le discours de Virey qui vacille au gré d’une argumentation sinueuse qui signe son embarras :

Certes, nous n’admettons ni le magnétisme animal, ni ses prestiges, d’après notre article sur ce sujet dans le Grand dictionnaire des sciences médicales ; mais il faut reconnaître les faits de communication nerveuse entre les individus. Si les expériences tentées avec le galvanomètre ne fournissent aucune preuve concluante de l’électricité des nerfs, elles ne sauraient démontrer qu’il ne s’en développe jamais. […] Les courants soit descendants nervimoteurs, et les ascendants ou nervisensitifs, malgré leurs analogies avec le fluide électrique, ne sauraient donc être assimilés avec lui ; cependant leur transmission à des corps vivants voisins n’est pas sans exemple, surtout dans les communications sexuelles les plus intimes. (Virey 1844, 289-290, note ; sic)

Tous deux nus quelques instants plus tôt, l’un sur la balance, l’autre dans le bain, Bouvard et Pécuchet n’auront pas poussé l’enquête jusque-là. Et n’ayant pu achever leur expérience sur leur « bonhomme »12 de chien, ils ne pourront pas aider Virey à trancher.

Ce qui ne met nullement un terme à leurs travaux dans le « laboratoire », ni à la cruelle série de leurs insuccès :

Les autres expériences échouèrent. Contrairement aux auteurs, les pigeons qu’ils saignèrent l’estomac plein ou vide, moururent dans le même espace de temps. Des petits chats enfoncés sous l’eau périrent au bout de cinq minutes – et une oie, qu’ils avaient bourrée de garance, offrit des périostes d’une entière blancheur. (Flaubert 1979, 127)

Entre les « auteurs » et les « pigeons », le divorce est consommé, comme il l’est aussi avec les autres espèces, aucune ne daignant mourir devant Bouvard et Pécuchet comme les livres le leur annoncent. Et c’est Adelon qui les déçoit ici encore : « Duhamel ayant nourri des animaux avec des aliments teints de la couleur de la garance, a vu que, pendant ce temps, les os de ces animaux étaient colorés en rose ; ayant ensuite fait abandonner à ces animaux l’usage de la garance, il vit leurs os revenir à leur couleur première » (Adelon 1829, t. III, 6). Preuve suffisante, pour Adelon, de la réalité d’une « absorption interstitielle », dont il précise toutefois qu’« on ne peut encore la révoquer en doute » (Ibid.13), sans exclure ainsi qu’elle puisse être un jour démentie. Voilà qui laisse peut-être une chance à Bouvard et Pécuchet, à moins qu’ils l’aient déjà gâchée en ne bourrant pas leur oie suffisamment longtemps. Quant aux autres expériences, Flaubert en a recueilli le récit, ses notes préparatoires le montrent14, dans le Cours de physiologie de Küss, qui exclut cette fois le moindre doute : « sur un lapin à l’état ordinaire, il faut enlever 30 gr. de sang pour amener la mort par hémorragie ; au bout de trois jours d’inanition, il suffit d’enlever 7 gr. pour obtenir le même résultat » (Küss 1876, 136). Et ailleurs : « On sait que des petits chiens naissants peuvent rester une demi-heure immergés dans l’eau tiède, et en être retirés vivants » (Ibid., 405, note). Enoncés qui, mis en regard du texte de Flaubert, dénoncent nombre de variantes expérimentales introduites par Bouvard et Pécuchet, dont on conçoit qu’elles puissent compter dans les échecs essuyés : des « pigeons » remplacent un « lapin », et de manière assurément plus grave pour la conduite de l’expérience, Bouvard et Pécuchet confondent « estomac […] vide » et « inanition », de même qu’ils saignent leurs animaux sans autre précaution ou précision, abandonnant du même coup le dosage strict d’une quantité au profit d’une sommaire apprécia-tion de durée : les « pigeons » cessent de vivre, et de servir la physiologie, dans le « même espace de temps ». Ainsi encore pour les « petits chats », qui tiennent lieu de « chiens naissants », ce qui ne leur garantit pas le même âge, ni ne leur donne assurément les mêmes chances, moins encore peut-être s’ils sont « enfoncés sous l’eau » au lieu d’être « immergés dans l’eau tiède ». Les protocoles d’expérience subissent cette fois une distorsion dont les livres ne sont pas la cause. Mais comment les en décharger tout à fait quand la bibliothèque physiologique est aussi profuse que contradictoire

Sans doute Germaine a-t-elle raison dans la condamnation de ses maîtres, quoique se développe « dans leur esprit », bien mieux sans doute que dans le sien, la « faculté pitoyable […] de voir la bêtise et de ne plus la tolérer » (Flaubert 1979, 319). Bouvard et Pécuchet sont d’insuffisants lecteurs ; mais leur « bêtise » a ceci d’extraordinaire qu’elle contamine ce qu’elle touche, ou plutôt qu’elle en révèle une autre sur son passage. Mais pas toujours. Les frontières du bon sens ne sont pas certaines, et la physiologie, cette « Science de Nous-mêmes » (Bourdon 1828, t. I, 19) à laquelle le siècle accorde si massivement sa confiance, n’est pas plus protégée qu’une autre contre les assauts de Bouvard et Pécuchet. Mais c’est moins la science physiologique que leur lecture remet en cause – ils ne sont certainement pas de taille à instruire son procès –, que la manière dont elle se présente, à la fois dans sa marche inéluctable vers une connaissance définitive et dans son ambition de soumettre toute la sphère de l’humain à la raison du corps, y compris même, par anticipation et par principe, lorsque la compréhension matérielle des phénomènes lui échappe entièrement.

Les brèches ouvertes par la « bêtise » de Bouvard et Pécuchet dans l’édifice physiologique ne sont d’ailleurs que le pendant « comique » – et donc critique – des failles que quelques physiologistes se plaisent parfois à reconnaître, dans un élan sublime qui les porte à célébrer leur discipline à travers l’aveu glorieux de ses faiblesses :

Difficile science de la vie ! où l’ordre des phénomènes est tel, qu’on ne peut y saisir ni commencement ni fin ; où les influences sont si compliquées, qu’on est toujours près du danger de confondre et les causes et leurs effets ! Car il n’y a pas dans les actes de la vie un seul effet qui n’influence pas sa cause ; pas une seule cause qui ne se complique incalculablement avec elle-même et avec ses propres effets ; pas un seul phénomène, si peu important qu’on le choisisse, qui, venant à subir un changement sensible, n’aille ensuite, par diverses voies toutes inextricables, modifier la vie dans tous ses actes. (Ibid., 7-8)

Le tableau de cette obscurité sur laquelle les lois élémentaires de la logique pourraient ne jamais avoir de prise est en tout cas conforme, en intension sinon en étendue, à la leçon que Bouvard et Pécuchet retirent de leur aventure physiologique : « on n’en sait rien » (Flaubert 1979, 127). D’où la fin de leur parcours d’étude qui les conduit, dans l’ignorance de la vie et de leur propre corps, à un ultime constat de ce que la science accumule de contradictions et d’incertitudes :

On ne sait même pas quelle est la force du cœur. Borelli admet celle qu’il faut pour soulever un poids de cent quatre-vingt mille livres, et Keill l’évalue à huit onces, environ. D’où ils conclurent que la Physiologie est (suivant un vieux mot) le roman de la médecine. N’ayant pu la comprendre, ils n’y croyaient pas. (Ibid.)

La conclusion toute déceptive de Bouvard et Pécuchet est empruntée – les notes préparatoires nous l’indiquent – aux Leçons de pathologie expérimentale de Claude Bernard, publiées en 1872, bien plus proches donc de Flaubert que de Bouvard et Pécuchet :

La physiologie est de toutes les sciences expérimentales la dernière venue, et elle s’est développée la dernière, parce que les sciences se développent d’autant plus facilement qu’elles sont plus simples. […] Mais pendant longtemps la physiologie fut considérée comme une science idéale et même romanesque, car on l’appelait le “roman de la médecine” ; elle n’avait pas encore conquis sa place parmi les sciences expérimentales. (Bernard 1872b, 471)

Quant à Claude Bernard, il doit peut-être ce bon mot à Jourdan, le traducteur du Manuel de physiologie de Müller : « Les temps ne sont plus où l’on avait besoin de recommander l’étude de la physiologie. Jadis on n’avait peut-être pas tout à fait tort de la regarder comme le roman des sciences naturelles, et de n’y attacher qu’un assez faible intérêt […] »15. Claude Bernard se félicite donc – comme Jourdan en 1851, ou Magendie en 1825, ou Lordat en 1813, ou encore Richerand en 1801 – que la physiologie ne soit plus, et depuis peu, le « roman de la médecine ».

Mais le « vieux mot », signalé entre parenthèses dans le texte sans qu’on puisse savoir qui parle, de Bouvard, de Pécuchet, des deux ou de Flaubert, est bien plus « vieux » justement que Claude Bernard sans doute ne le suppose au moment où il le transcrit, en une nouvelle variation de la formule dans laquelle ses prédécesseurs ont exprimé leur hantise du « romanesque ». Car, sans peut-être le savoir, et alors Flaubert le lui rappelle, c’est Molière et Le Malade imaginaire, que Claude Bernard récrit en récrivant les physiologistes. Le mot est dans la bouche de Béralde qui tente vainement de persuader son frère Argan des pouvoirs tout rhétoriques, et donc factices, de la médecine :

Lorsqu’un médecin vous parle d’aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années, il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus. (Molière 1971, 1154)

Soumis par Flaubert au traitement du roman, le « roman de la médecine » devient un énoncé complexe.

Il fait certes résonner la voix de Claude Bernard et de ses devanciers, dans le rappel d’une époque que la physiologie ne cesse de croire révolue ; mais puisque c’est Bouvard et Pécuchet qui en arrivent à formuler cette conclusion, nous devons nous-mêmes conclure que leur « bêtise » ne les fait pas moins parler comme des physiologistes : au fond, ne pas « croire » sans « comprendre », ce n’est que faire œuvre de saine physiologie. Et derrière l’une et l’autre de ces voix, celle de Béralde rappelle discrètement une vieille défiance littéraire à l’égard de la médecine, qui deviendra, par un curieux renversement, le signe d’un rejet du littéraire par les médecins.

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1 Rousseau 1995, 1060. Agacé par la peinture de Boucher, Diderot introduit une variante : « Tableau, que me veux-tu ? » (Diderot 1994-1997, t. IV, 310)

2 Voir notamment L’Héritier, Prinet, Pichois, Huon et Stremooukhoff 1957 ; et Preiss 1999b.

3 Physiologie des physiologies 1841, 43 ; cité par Preiss 1993, 62.

4 « Avertissement du traducteur », in Mueller 1851, t. I, XXV.

5 « Un gros éditeur du quartier de l’Ecole-de-Médecine, – à l’auteur du présent Traité », in Peytel 1832, IX-XI ; Preiss 1999a.

6 Voir Jacyna 1987, 111-146.

7 Voir Pinel 1817, 60-66 ; et Pinel et Bricheteau 1818, 474-488.

*De la littérature considérée dans ses rapports avec les Institutions sociales, par madame de Staël-Holstein, tome II. [Note de Richerand.]

8 Senet 1956. Senet avait proposé deux ans plus tôt un Homme à la recherche de ses ancêtres. Roman de la paléontologie.

9 « A Madame Roger des Genettes » [2 avril 1877], in Flaubert 1930, 25-26.

10 « A Léonie Brainne » [5 octobre 1872], in Flaubert 1977, 582.

11 Voir les notes préparatoires de Flaubert, publiées et commentées par Sugaya 1999, t. II, f° 104.

12 « Toi, mon bonhomme, tu serviras à nos expériences ! » (Flaubert 1979, 126).

13 Je souligne.

14 Voir Sugaya 1999, t. II, f° 96.

15 « Avertissement du traducteur », in Mueller 1851, t. I, XXV.