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Le Romanus de Prudence (Peristephanon 10), tragédie chrétienne ?

Pierre-Yves FUX

Genève et Téhéran

De Lactance à Prudence, le IVe siècle voit l’« inculturation » du christianisme dans les divers genres de la littérature latine, notamment l’épigraphie d’apparat et la poésie lyrique. Le théâtre semble faire exception. Parmi quelques tentatives dans le domaines grec1, il y a le Christus patiens, centon attribué à Grégoire de Nazianze2. En latin, également à la fin du IVe siècle, on a une sorte de « tragédie » avec le Romanus de Prudence (10e pièce du Peristephanon liber), exemple isolé voire unique. Pourquoi ? La décadence du théâtre, son immoralité ou ses sources païennes ne suffisent pas à expliquer un désintérêt qui ressemble à un tabou.

Le tabou du théâtre

L’incongruité d’un « théâtre chrétien » doit beaucoup à l’assimilation du théâtre à d’autres spectacles (gladiateurs, courses de chars) encore permis voire organisés par les autorités civiles mais tous condamnés par l’Eglise3 : ce n’est pas simplement un genre littéraire qui est en cause. La liturgie est probablement aussi à l’origine de réticences à composer des drames à sujet chrétien – au pire, ce seraient des parodies sacrilèges et au mieux, un faible reflet de rites qui dépassent toute mimesis sacrée (lors de la messe qui « actualise » la Passion, le prêtre prononce les paroles de la consécration eucharistique in persona Christi).

Ces raisons de principe conjuguées à la popularité des représentations dramatiques, rémanence païenne, amènent des évêques à concentrer leurs attaques sur les spectacles du théâtre, perçus comme une concurrence radicale pour les cérémonies de l’église. Augustin n’oppose pas aux pièces dramatiques les rites sacramentels eux-mêmes mais les hymnes et les passions de martyrs, enrichissements récents de la liturgie : une conversion sincère passe par la renonciation aux cantica du théâtre au profit du chant des hymnes chrétiennes4 ; les passions des martyrs, lues parfois à l’église, sont présentées comme un véritable spectaculum qui se substitue au théâtre5.

Tragédies et passions

Or, l’une des ambitions littéraires de Prudence est d’élever au niveau de la poésie lyrique les « passions » en prose et, dans un même mouvement, de donner aux brèves hymnes ambrosiennes une ampleur et une variété propres à séduire des lecteurs appréciant les récits, discours ou descriptions. Il le fait avec le Romanus et avec les pièces du Peristephanon (dans lequel le Romanus sera intégré à l’époque moderne6).

Seul le Romanus met explicitement en relation passion du martyr et « tragédie ». Ce lien n’a en soi rien d’artificiel : l’Antigone de Sophocle n’est-elle pas un procès aboutissant à la mise à mort de l’accusée, après un débat où le héros-victime résiste aux lois du tyran par fidélité à des liens personnels et à des normes et idéaux supérieurs ? Dans les faits, la comparution des martyrs et leur condamnation expéditive suivie de l’exécution répond souvent aux unités d’action, de temps et de lieu ; l’interrogatoire produit un dialogue entre deux acteurs principaux devant des personnages secondaires souvent muets (bourreaux, assesseurs, public ou « chœur »). La topique des passiones en prose rapproche encore davantage ces récits de la tragédie : rôles stéréotypés, pathos, sentences bien frappées, péripéties et tension dramatique – et jusqu’au deus ex machina du merveilleux, parfois. Mais dans tous ces cas, on peut parler de simples coïncidences ; les rapports du Romanus avec le genre dramatique sont, eux, délibérés.

Le Romanus, tragédie en cinq actes

Dans le Romanus, l’action est continue mais ses rebondissements permettent d’y distinguer cinq « actes » encadrés par un prologue (v. 1-70) et par un épilogue (v. 1111-1140). On retrouve une structure semblable dans deux poèmes du Peristephanon consacrés à d’autres diacres martyrs, Laurent et Vincent7.

1. Interrogatoire, première controverse religieuse (v. 71-390) : le juge apostrophe l’accusé, qui réplique vivement, puis donne des ordres aux bourreaux ; le martyr réagit par une attaque du paganisme et un exposé de la religion chrétienne (v. 123-390), relancé par une brève objection (v. 266).

2. Tortures, controverse sur le monde (v. 391-545) : menaçant, le juge argue de l’antiquité de la religion de l’Etat ; le martyr dit qu’il n’obéira pas à un empereur païen ; le juge interpelle les bourreaux, vite essoufflés ; Romain relativise la torture par rapport aux biens éternels (v. 459-545).

3. Première mutilation, apologie chrétienne (v. 546-660) : le juge ordonne aux bourreaux de percer les joues du martyr, qui continue pourtant de parler ; il condamne l’accusé au bûcher et évoque le supplice du Christ ; Romain tient alors un discours sur la Croix (v. 586-650) puis lance un défi (v. 651-660) – un enfant dira quelle est la vraie foi.

4. Martyre d’un enfant pris à témoin (v. 661-845) : invité par le juge, Romain interroge l’enfant qui répond par une profession de foi chrétienne ; le juge demande à l’enfant qui est sa mère et donne l’ordre de le torturer sous ses yeux ; la mère encourage son fils à tenir bon (v. 721-835) et chante un psaume lorsqu’il est décapité (v. 839-840).

5. Dernière mutilation, dernière controverse religieuse (v. 846-1110) : conformément à la prophétie du martyr, une averse miraculeuse l’empêche de mourir sur le bûcher ; le juge l’accuse de magie, ordonne à un médecin de lui couper la langue et défie Romain, qui parvient à proclamer la puissance du Christ ; accusé, le médecin soutient que cette voix est inexplicable ; Romain compare le sang des martyrs et celui des sacrifices païens (v. 1006-1100) ; sur ce, le juge ordonne d’exécuter le martyr, étranglé dans un cachot.

Chaque « acte » s’achève sur un long discours de Romain ou, pour le 4e, de la mère de l’enfant martyr. Ces pauses dans l’action servent à énoncer des messages théologiques ou polémiques qui parfois semblent détachés du drame, parfois le relancent (ordres aux bourreaux de s’en prendre aux organes de la parole) ou encore le commentent (comparaisons). De la sorte, ces discours assument partiellement les fonctions du chœur de la tragédie classique.

« Ceci (n’) est (pas) une tragédie » : le Romanus

Prudence accumule les indices de sa volonté de produire une tragédie – il parle de tragœdia8 – mais multiplie aussi les « brisures » non moins délibérées. Le simple fait de parler de tragédie ou de spectacle dans une pièce de ce type marque déjà de facto une prise de distance : on a en quelque sorte l’inverse du « Ceci n’est pas une pipe » de Magritte ! Une autre prise de distance apparaît dans la critique faite par le martyr contre les spectacles théâtraux (v. 216-230). La perspective de Prudence est proche de celle des sermons de s. Augustin où les passions de martyrs sont présentées comme un spectaculum louable, par opposition aux vanités des pièces d’inspiration mythologique (cf. supra n. 4-5).

Sur le plan formel, Prudence introduit une brisure patente en rangeant ses trimètres iambiques en strophes de 5 vers9. Cette contrainte additionnelle, dans un poème à la métrique pourtant plus relâchée qu’ailleurs10, n’a d’autre effet que de brouiller sa marque d’identité littéraire, en liant cette « tragédie » au genre lyrique. Semblablement, le titre de tragédie Romanus est flanqué par l’auteur d’un sous-titre contra gentiles (évoquant le Contra Symmachum de Prudence). Cet intitulé double correspond aux titres donnés aux dialogues platoniciens (p.ex. Io de Iliadi), modèle repris du temps de Prudence pour les traités de s. Ambroise.

Antioche et le martyre des Maccabées

Plus encore qu’Augustin, Ambroise est un des grands modèles de Prudence. Dans son traité De Iacob et uita beata, Ambroise intègre dans sa conclusion une paraphrase du Quatrième livre des Maccabées, développement du récit biblique du martyre de sept frères tués devant leur mère pour leur refus de violer la loi mosaïque11. C’est à une passion latine dérivée de ce même épisode que se réfère Augustin, quand il dit : quando leguntur passiones martyrum, specto (« quand on lit les passions des martyrs, j’assiste à un spectacle »)12.

Or, dans le Romanus, le martyre des Maccabées est présent – tout comme le sujet récurrent du théâtre – avec des mises en abyme très significatives. Cet exemplum classique est rappelé dans six strophes du poème (v. 751-780) ; la locutrice, une femme encourageant son jeune fils martyr, se trouve dans la même situation que la mère des Maccabées et agit conformément à son modèle. Le héros principal du poème, Romain, aura ensuite la langue tranchée, supplice d’un des frères Maccabées évoqué et donc indirectement annoncé par cette même narratrice (v. 766-775). Enfin, la passion des Maccabées comme celle de Romain et de l’enfant se situent à Antioche – continuité, à près de cinq siècles d’intervalle13.

Le Romanus et le Peristephanon

Si l’on excepte les mentions des martyrs bibliques, le diacre Romain est le seul « Oriental » célébré par Prudence, qui dans le Peristephanon nomme ou évoque en tout une cinquantaine de martyrs, tous issus de la partie occidentale de l’Empire. Le recueil du Peristephanon comporte un noyau originel fortement structuré (les « sept Passions » célébrant des martyrs illustres, avec des titres brefs comme Passio Agnes) ensuite mêlé à des poèmes plus récents (cinq « Hymnes » dédiées à des martyrs locaux, hispaniques surtout, avec des titres longs comme Hymnus in honorem sanctorum martyrum Hemeterii et Cheledonii Calagurritanorum)14 de manière à former, avec le Cathemerinon liber, deux recueils lyriques de douze pièces chacun, encadrant une série de cinq poèmes hexamétriques (eux-mêmes chacun introduit par une préface). Avec son titre particulier et ses dimensions considérables (1140 vers), le Romanus contra gentiles tranche avec les Hymni et les Passiones du second recueil lyrique de Prudence, le Peristephanon.

Pourtant, on l’a vu, le Romanus présente des ressemblances avec les Passions que Prudence consacre aux diacres Laurent et Vincent (perist. 2 et 5). Ces deux poèmes sont en dimètres iambiques (strophes de 4 vers) et le Romanus est en trimètres iambiques (strophes de 5 vers). La proportion du parlé est plus importante en perist. 2 et 5 que dans le reste du recueil15 et les discours apologétiques et polémiques des trois diacres Romain, Laurent et Vincent développent des arguments semblables, que l’on retrouve encore dans les deux livres du Contre Symmaque.

Par son titre, sa forme et ses thèmes, le Romanus semble comme à michemin entre le Contre Symmaque et le Peristephanon ; les meilleurs manuscrits le placent d’ailleurs entre ces deux œuvres de Prudence. Vu le soin que le poète met à ranger ses poèmes au sein d’une grande architecture, on peut légitimement supposer que le Romanus, composé à l’origine comme « tragédie » indépendante, a été inséré à cette place en tant que pièce de transition16.

Les règles de l’art poétique

Prudence met en scène les tortures subies par Romain et décrit aussi, dans un passage célèbre (v. 1008-1050), la cérémonie sanglante du taurobole. Ce faisant, il répond à un certain goût de son temps17 et reste dans la définition classique de la tragédie ; à la péripétie et à l’anagnorisis (reconnaissance) s’ajoute un troisième élément constitutif, le pathos qui peut, dit Aristote18, inclure agonie, souffrances et blessures. Pourtant, la décapitation d’un enfant, la mise à feu (ratée) d’un bûcher et l’étranglement du martyr sont opérés loin de l’agora (cf. v. 815. 1106) et des yeux du juge – et des « spectateurs ». Au prix d’une complication dans son récit et peut-être d’une réécriture de la tradition historique – les exécutions étaient souvent publiques –, Prudence respecte à la lettre une règle rappelée notamment par Horace : ne pueros coram populo Medea trucidet (« que Médée ne massacre pas ses enfants devant le public »)19.

Certaines contraintes techniques du théâtre, comme la limitation du nombre des acteurs parlant derrière leurs masques, semblent marquer la structure même du récit : dans l’« acte IV », le martyr Romain est silencieux, laissant la parole à l’enfant martyr et à sa mère face au juge, alors que rien n’empêchait qu’il saluât le courage de l’un ou approuvât les propos de l’autre, ce qui eût donné plus d’unité au récit (mais brouillé la structure en « actes » distincts). Ce dialogue restreint à trois personnages possède certes une efficacité dramatique propre, mais il a aussi la vertu d’évoquer le genre théâtral, de « sentir » la règle scolaire, l’usage grec classique.

Néanmoins, Prudence a composé un poème impossible à mettre en scène tel quel. Si le parlé est prépondérant (80 %), 16 vers sont très gênants car « mixtes » (parlé et narré) et 276 autres devraient être supprimés, mis au style direct ou attribués à un récitant détaché du drame. Il n’y a que 36 tirades ou répliques20 et peu de véritables échanges verbaux entre les acteurs. Comme pour marquer une distance paradoxale, Prudence met au style indirect certaines répliques de ses personnages, secondaires ou non21, ainsi que des interventions typiques du genre tragique : récit de messager (v. 866-867 : esquisse de son contenu) et chœur (v. 706-710 : mention de l’émotion des assesseurs et du public du tribunal, qui tranche avec l’impassibilité des protagonistes).

Même « impossible », la scénographie reste très convenue : deux groupes sortent de part et d’autre (v. 826. 846-847), tandis que le juge reste sur scène ; il sera informé par un messager de l’issue des exécutions qu’il a ordonnées. Ni ce compte-rendu, ni celui que le juge fera rédiger à l’issue du procès, pour Dioclétien (v. 1111-1115), ne sont détaillés. Si l’émotion du chœur n’est que sommairement évoquée, c’est peut-être pour la même raison : les témoins privilégiés et propres à juger de l’ensemble ne sont pas ici-bas, mais au Ciel. Bien plus parfait même que le poème de Prudence, il y a le décompte des souffrances du martyr, établi pour l’éternité par un ange (v. 1121-1135).

La fable et l’histoire

Outre cette conclusion, l’invocation initiale du poète à Romain (v. 1-25) aide à comprendre le traitement paradoxal que Prudence inflige au genre tragique. Au lieu d’un appel convenu aux Muses ou à Apollon, il implore effectivement son personnage (réel) pour obtenir l’éloquence et s’en remettra à lui, dans la dernière strophe, pour espérer l’indulgence lors du Jugement dernier.

Le modèle profane n’est qu’une ombre : ainsi, dans Peristephanon 11, le martyr Hippolyte est supplicié de manière à réellement incarner le personnage mythique du même nom (v. 87 sit Hippolytus, ou même sit ἵππῳ λῦτος). Dans cette élégie très alexandrine où Prudence opère une retractatio de la Phèdre de Sénèque, le poète chrétien manifeste d’une autre manière sa fidélité délibérément partielle à un modèle – comme ici, dans la « tragédie » du Romanus. Pourquoi ?

On peut trouver un début de réponse dans l’adhésion enthousiaste de Prudence à une décision impériale subtile. Après la fermeture des temples et l’interdiction des cultes, Gratien puis Honorius (en janvier 399) veulent empêcher la démolition desdits temples et protéger leurs idoles au titre du patrimoine et des beaux-arts22. Prudence lui aussi assume et revendique l’héritage culturel romain et cherche à le purifier de son élément païen, vu comme une perversion et une aliénation. Le critère ultime est celui de la vérité : l’Hippolyte chrétien est à bien des égards plus « vrai » que celui de la fable, l’invocation à s. Romain est une prière authentique et efficace23. De même qu’à la différence de figures mythiques, Romain mérite le nom de « héros », sa passion est une « vraie » tragédie supérieure aux pièces traditionnelles par son historicité et la valeur de ses enseignements.

Cette exigence (ou du moins cette revendication) de vérité et aussi de moralité distingue Prudence de Lactance dans son attitude face à la poésie gréco-romaine. Lactance reconnaît à la poésie le droit de voiler la vérité au profit de la beauté, alors que Prudence fait le départ entre l’historia et les aniles fabulæ24. Lactance vise d’abord à la continuité esthétique, quitte à jouer sur l’ambivalence avec les allégories du De aue Phœnice ; Prudence ambitionne une retractatio plus profonde face aux auteurs « mondains ».

Prudence polémique discrètement mais assez dangereusement avec Claudien, dont il reprend une forme poétique créée pour l’épithalame d’Honorius et de la fille de Stilicon (en février 398) en l’appliquant à ste Agnès, qui chercha à rester vierge, épouse du Christ, et écrasa les vanités du monde : l’âge de la martyre est identique à celui de l’impératrice (12 ans) et quelques allusions érotiques glissées dans perist. 14 empêchent de ne voir là qu’une innocente coïncidence25. Dans ce poème, Prudence évoque le chant triomphal de la martyre – un chant qu’il reflète, tout comme le Romanus pourrait offrir le reflet du rapport céleste de la passion de s. Romain. Le message littéraire semble être le même dans les deux cas : le temps n’est plus aux vanités, que ce soient des poèmes lestes ou des tragédies imaginaires, mais à la célébration du véritable amour ou du véritable héroïsme.

Sur un plan purement littéraire, il n’y a pas que l’invocation initiale convenue qui gagne un souffle de vérité. Dans le Romanus, le miracle de la pluie qui éteint de bûcher du martyr relèverait, en tragédie classique, de la péripétie « facile » (analogue à celle du deus ex machina, faute de mieux) ; ici, le miracle confirme l’élection et l’inspiration divine du héros, dont les capacités prophétiques sont comme le pendant de l’aveuglement tragique du tyran. Avec le Romanus, Prudence a fait œuvre d’auteur engagé, tentant de relever un défi que dans les mêmes années 390-400 s. Augustin exprimait avec ces mots : comparate huic sancto spectaculo uoluptates et delicias theatrorum ! (« Comparez à ce saint spectacle les plaisirs et les voluptés des théâtres ! »)26.

Bibliographie

Blanchard-Lemée, M. (2003) – « Saint Augustin : de la maison du riche à la demeure de Dieu (introduction à la visite des mosaïques d’Hippone) », dans Fux, P.-Y. / Roessli, J.-M. / Wermelinger, O., Augustinus Afer. Saint Augustin : Africanité et universalité. Actes du colloque international Alger-Annaba, 1-7 avril 2001, Fribourg, 391-399.

Eltester, W. (1937) – « Die Kirchen Antiochias im IV. Jahrhundert », Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der älteren Kirche 36, 251-286.

Fux, P.-Y. (2003) – Les sept Passions de Prudence (Peristephanon 2. 5. 9.11-14). Introduction générale et commentaire, Fribourg.

Henke, R. (1983) – Studien zum Romanushymnus des Prudentius, Frankfurt / Bern / New York.

Lease, E. B. (1895) – A syntactic, stylistic and metrical study of Prudentius, Baltimore.

Longosz, S. (1997) – « I germi del dramma cristiano nella letteratura patrística », Studia Patristica 31, 59-69.

Tuilier, A. (1969) – « Introduction », dans Grégoire de Nazianze, La Passion du Christ. Tragédie, Paris, 11-116.

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1 L’hérétique Apollinaire de Laodicée composa des drames à la manière d’Euripide (cf. Sozom. hist. eccl. 5,18), renouvelant la tentative d’Ezéchiel le Tragique (200 av. J.-C. ; 300 v. de son Exode sont conservés). Longosz (1997) considère aussi le jeu des « homélies dramatiques » grecques, où une forme quasi théâtrale s’intègre dans la liturgie.

2 Sur son authenticité contestée mais probable, cf. Tuilier 1969, 27-64. Ses 2602 v. sont tirés surtout d’Euripide mais aussi d’Eschyle et de Lycophron. Trois parties (passion, mort, résurrection) font se succéder les discours de Marie, de Jean, etc. et d’un chœur.

3 Tert. spect. 3,7 ; Ambr. fuga sæc. 1,4 uanitas circus est, quia nihil prodest ; uana est equorum uelocitas, quia mendax ad salutem est ; uanitas theatrum est, uanitas ludus omnis ; Aug. serm. 198 illa dæmonia delectantur canticis uanitatis, delectantur nugatorio spectaculo et turpitudinibus uariis theatrorum, insania circi, crudelitate amphitheatri. Cf. aussi Blanchard-Lemée 2003, 392-393.

4 Aug. enn. psalm. 84,15,19 quem delectabat spectare, delectet orare ; quem delectaban cantica nugatoria et adulterina, delectet hymnum dicere Deo ; currere ad ecclesiam, qui primo currebas ad theatrum.

5 Aug. serm. 275 magnum et multum mirandum spectaculum noster animus cepit : nec inanissimam et perniciosissimam, sicut solet in theatris quarumque nugarum, sed plane utilissimam et fructuosissimam uoluptatem oculis interioribus hausimus, cum beati Vincentii gloriosa passio legeretur ; 301A modo spectauimus magnum certamen septem fratrum et matris illorum. quale certamen, fratres mei, si nouerunt mentes nostræ spectare ! comparate huic sancto spectaculo uoluptates et delicias theatrorum ! ibi oculi inquinantur, hic corda mundantur ; hic laudabilis est spectator, si fuerit imitator, ibi autem et spectator turpis est, et imitator infamis. denique amo martyres, specto martyres : quando leguntur passiones martyrum, specto.

6 Les manuscrits distinguent parfois expressément le Romanus du Peristephanon et ne le rangent jamais entre deux poèmes de ce recueil. A la différence de l’édition aldine (1501), les éditions postérieures s’écarteront de la tradition manuscrite – à commencer par celle de J. Sichard (1527, 148r) qui précise : « supplicium Romani martyris, quod Aldus Romanus seorsim tragœdiæ nomine impresserat, ex industria inseruimus Coronatis. »

7 Cf. Prud. perist. 2 : après des scènes d’exposition (v. 21-52) viennent quatre « actes » où alternent les confrontations entre le juge et s. Laurent (v. 53-140. 165-356) et les actions menées par le martyr seul (recensement des pauvres, v. 141-164 ; exorcisme de Rome, v. 357-496). En perist. 5, après la confrontation et l’échec des tortures (v. 17-236), un acte se situe dans le cachot (v. 237-324), puis survient la mort de s. Vincent (v. 325-376) suivie par deux tentatives contre le cadavre (exposition, v. 377-436 ; noyade, v. 437-504). Cette structure en cinq actes avec prologue et épilogue se trouve déjà dans l’épyllion De aue Phœnice de Lactance et dans le premier chant des Posthomériques de Quintus de Smyrne.

8 Juste après le dénouement est rédigé un compte-rendu officiel destiné à l’empereur, seriemque tantæ digerens tragœdiæ, « relatant le déroulement d’une telle tragédie » (v. 1113). La persécution est appelée plusieurs fois spectaculum (v. 86. 463. 701) et, exceptionnellement, le martyr est désigné par heros (v. 52. 457).

9 Prudence fait l’inverse en utilisant ailleurs (perist. 13 et 14) kata stichon des vers normalement rangés en strophes. Un jeu analogue s’observe avec les huit strophes de l’hymne ambrosienne : pour le même sujet que son modèle (s. Laurent), il passe de 32 v. (Ambr. hymn. 13) à 584 v. (Prud. perist. 2).

10 Prudence viole des règles observées par Plaute (p.ex. ne pas faire précéder l’iambe final d’un mot crétique) et recourt souvent à des licences rares chez Horace (substitution de l’anapeste au 1er pied) ; cf. Lease (1895). Le Romanus semble plus ancien que les poèmes du Peristephanon, à la structure narrative également mieux maîtrisée.

11 Cf. LXX 2 Ma.7 ; Ps. J. autocr.log. = 4 Ma.3.19-17.6 (en particulier 8.1-17.6) ; Ambr. Iac. 2,10,43-12,58. En outre, le début du De Iacob (1,1, 1-2,7) paraphrase le volet philosophique initial du 4 Ma. (1-3).

12 Aug. serm. 301A (cf. supra n. 5).

13 Le martyre des sept frères Maccabées a lieu après 167 av. J.-C. (persécution d’Antiochus IV : cf. supra n. 11) et celui de Romain en 303 ap. J.-C. (cf. Eus. resurr. etasc.2 ; mart. Pal.2). Vers 400, ils sont vénérés dans des sanctuaires urbains distincts ; cf. Eltester 1937, 286.

14 Cf. Fux 2003, 43-82.

15 Près de 60 % de parlé en perist. 2 et près de 40 % en perist. 5, contre une proportion allant entre 10 et 30 % dans les autres poèmes du Peristephanon comprenant des discours directs. Dans le Romanus : 80 %.

16 Cf. Fux 2003, 9-13. 54-55. Symétriquement, l’hymne De Trinitate (« apoth. præf. 1 », à tort, dans l’index du ThlL) fait la transition entre le recueil du Cathemerinon et le début du bloc de cinq poèmes en hexamètres (apoth. ; ham. ; psych. ; c. Symm. 1-2).

17 Cf. Henke 1983, 88-132.

18 Cf. Arist.Po. 1452b10-13.

19 Hor. ars 185.

20 Le martyr Romain parle 13 fois (v. 97-107. 123-265. 267-390. 426-445. 458-545. 562-570. 586-660. 667-670. 801-810. 818-820. 853-855. 928-960. 1006-1100), parfois longuement, sauf au 4e acte où le relaient l’enfant (2 fois : v. 672-675. 681-685) et sa mère (3 fois : v. 721-790. 833-835. 839-840). Le juge Asclépiade parle tout au long de la pièce, 17 fois au style direct (v. 77-95. 116-120. 266. 396-425. 446-450. 548-555. 573-585. 664-665. 680. 686-695. 794-795. 813-815. 821-825. 868-895. 922-925. 979-980. 1101-1105). A la fin, il y a encore une réplique du médecin Ariston (v. 982-1000).

21 Des propos de Romain (v. 53-55), de l’enfant (v. 716) et du médecin (v. 867) sont rapportés indirectement, tout comme les paroles des bourreaux (v. 111-113. 831). Les ordres d’Asclépiade sont aussi parfois au style indirect (7 ex.), de même qu’une partie de sa discussion avec le médecin (v. 969-978. 1004-1005).

22 Cod. Theod. 15,1, 19 (Gratien) ; 16,10,15 (Honorius) sicut sacrificia prohibemus, ita uolumus publicorum operum ornamenta seruari ; cf. Prud. c. Symm. 1,499-510, en part. 501-502 marmora tabenti respergine tincta lauate, | o proceres ! liceat statuas consistere puras ; perist. 2,473-484, en part. 481-484 tunc pura ab omni sanguine | tandem nitebunt marmora, | stabunt et æra innoxia, | quæ nunc habentur idola.

23 Le martyr Laurent qui montre au préfet les pauvres de Rome, « trésor de l’Eglise », dans une mise en scène étudiée (perist. 2,163-164. 169-184), se fait traiter de « bouffon » (perist. 2,313-324). Là aussi, le « théâtre » du martyr est en fait une leçon de vérité.

24 Lact. inst. 1,11,25 cum officium poetæ in eo sit, ut ea quæ uere gesta sunt in alias species obliquis figurationibus cum decore aliquo conuersa traducat ; Prud. perist. 9,18-20 non est inanis aut anilis fabula ; | historiam pictura refert, quæ tradita libris | ueram uetusti temporis monstrat fidem (à propos d’une fresque, point de départ du récit ; allusion à l’adage horatien ut pictura poesis) ; 10,215 dicis licenter hæc poetas fingere (critique du martyr contre les amateurs de drames mythologiques).

25 Prud. perist. 14,69-78 : ces allusions licencieuses évoquent les vers fescennins, tradition dans laquelle se situe Claudien quand il compose son poème (fesc. 1 = carm. 11) en hendécasyllabes alcaïques kata stichon.

26 Aug. serm. 301A (cf. supra n. 5).