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La dame à sa fenêtre

Un cas d’intertextualité entre Eschyle et le livre des Juges

François BOVON

Cambridge, Massachusetts

Professeur de grec à la Faculté des lettres de l’Université de Genève, André Hurst ne s’est pas désintéressé de la tradition littéraire chrétienne. Il aimait traduire avec ses étudiants les pages par exemple de Basile de Césarée incitant les jeunes chrétiens du IVe siècle à lire la littérature profane1. Professeur de Nouveau Testament à la Faculté de théologie de la même Université, j’ai entretenu pendant plus de vingt ans des rapports de constante collégialité et amitié avec celui que nous honorons aujourd’hui.

Dans la Bible que je lisais alors, en marge des versets 28 à 30 du chapitre 5 du livre des Juges, j’ai noté, à l’époque de ma jeunesse : voir Eschyle, le début des Perses. Je n’ai jamais oublié ce parallèle et je suis heureux d’offrir aujourd’hui à André Hurst le résultat de la petite enquête que j’ai enfin menée.

Le livre des Juges raconte, au chapitre 4, la victoire que remportèrent la prophétesse Débora, leader charismatique d’Israël, et Baraq, le vaillant guerrier de Nephtali, sur Sisera, le roi ou le général de Canaan2, dont l’imposante armée comptait neuf cents chars de fer (Jg 4,2-3). Le cantique de Débora, au ch. 5, est un chant de victoire, l’un des plus anciens textes de la Bible hébraïque, dont la date traditionnelle fut longtemps le XIIe siècle avant J.-C., alors que la date retenue par divers savants récents oscille entre le Xe et le VIIIe siècle avant J.-C.3. Après une invitation à la louange, une invocation, une déclaration de foi, une mention de la situation sociale et politique d’alors et de nouvelles invitations à chanter (Jg 5,2-12), l’hymne évoque les préparatifs de la bataille, la bataille elle-même, la déroute de Sisera et sa mort humiliante (Jg 5,13-27). Voici ce que nous lisons immédiatement après :

Par la fenêtre elle se penche et elle regarde, la mère de Sisera, à travers le grillage : « Pourquoi son char tarde-t-il à venir ? Pourquoi la marche de ses chars est-elle si lente ? » La plus sage de ses princesses lui répond, elle lui réplique en disant : « N’est-ce pas parce qu’ils trouvent et partagent le butin : une captive, deux captives par tête de guerrier, un butin d’étoffes de couleur pour Sisera, un butin d’étoffes, une broderie, une étoffe de couleur, deux broderies pour le cou des captives. » (Jg 5,28-30)4.

Le cantique s’achève aussitôt après par les mots :

Qu’ainsi périssent tous tes ennemis, Seigneur, et que tes amis soient comme le soleil quand il se lève dans sa force. (Jg 5,31)5.

Au début des Perses, nous nous trouvons, comme ici, dans le camp des ennemis battus, en présence des femmes qui subissent l’histoire6. De façon dramatique, Eschyle y évoque l’attente anxieuse de la mère du roi des Perses, les ennemis des Grecs, qui sort de son palais pour voir ce qui se passe. Ce qu’elle ignore encore, telle la mère de Sisera, c’est la défaite de son fils.

Mais voici venir, annonce le coryphée, pareille à la clarté qui sort de l’œil des dieux, la mère du Grand Roi, ma reine : je tombe à genoux. (Pers.150-152).

Atossa – tel est le nom de la reine – de dire alors :

C’est bien pourquoi j’ai quitté le palais tendu d’or et la chambre où longtemps j’ai dormi avec Darios : moi aussi, je sens le souci déchirer mon cœur, et c’est à vous que je veux tout dire, amis, à cette heure où je ne suis plus sans crainte pour moi-même. (Pers.159-162).

En attendant le messager, qui sera un messager de malheur, la reine raconte un songe prémonitoire et reçoit quelque réconfort de ses conseillers.

Il est, à la parenté de ces deux textes, une première explication qui vient à l’esprit : les situations de guerre (vainqueur – vaincu) et les situations sociales et politiques (homme – femme ; roi – peuple) ayant été ce qu’elles étaient dans l’Antiquité, il était inévitable que des événements semblables se soient déroulés dans des circonstances analogues. La parenté entre les deux textes, cependant, me paraît être telle qu’une solution qui compte sur le hasard s’avère insuffisante.

La solution inverse, tout aussi risquée, ne s’impose pas davantage : admettre une dépendance littéraire directe d’un texte sur l’autre, du livre hébraïque des Juges, dont la version grecque n’existait pas encore, sur le dramaturge grec. Je crois plutôt à la formation, à la fixation et à la diffusion d’un motif littéraire que j’appellerais la dame à sa fenêtre. On retrouve, en effet, dans les littératures hébraïque et grecque, des exemples de scènes à la fenêtre ou sur les murailles, où des femmes, mères ou épouses, maîtresses ou jeunes filles, attendent et observent patiemment ou impatiemment, nourries de craintes autant que d’espoir. De fait, le contenu de cette attente peut varier. Dans un cas, la femme, le plus souvent la mère du héros, s’inquiète du retour de son fils parti à la guerre et, comme elle dépend de lui, de son propre sort. Dans l’autre, la femme, l’épouse, l’amoureuse ou la courtisane espère entrevoir la venue ou épier la présence de celui qu’elle aime et qui l’attire.

Au second livre des Rois, nous découvrons la situation violente de la guerre : à l’instant où elle sera jetée du haut des remparts par Jéhu, vainqueur de son fils Yoram, roi d’Israël, Jézabel, la reine mère inquiète s’est mise à sa fenêtre pour observer :

Jéhu était sur le point d’entrer à Izréel, quand Jézabel l’apprit. Elle se farda les yeux, orna sa tête, puis se pencha à la fenêtre. (2 R 9,30).

Jézabel ne peut plus être anxieuse ici que pour son propre sort, puisqu’elle vient d’apprendre la mort tragique de son fils7.

Au livre des Proverbes, nous rencontrons la situation de l’amour en temps de paix. C’est ici la Sagesse elle-même qui, telle une femme, se met à observer :

Comme j’étais à ma fenêtre, j’ai regardé par le treillis. Je vis un de ces niais, j’aperçus, parmi les jeunes, un adolescent dénué de sens. (Pr 7,6-7).

Dans son souci didactique, l’auteur du livre des Proverbes montre la situation inconvenante du jeune séduit par une prostituée, pour mieux faire ressortir la valeur de la norme (Pr 7,8-23). Au lieu d’un sage qui doit devenir amoureux d’elle, la Sagesse aperçoit ici un sot qui se laisse entraîner par sa concurrente, la femme de mauvaise vie.

Au livre VI de l’Iliade, le poète raconte la dernière visite d’Hector à son épouse Andromaque et le dernier baiser que le père donne à son fils Astyanax. L’arrivée d’Hector constitue une surprise pour son épouse. La princesse troyenne avait fait ce que décide de faire toute femme inquiète du sort général de la bataille et du destin particulier de son époux : elle était sortie de chez elle pour aller voir :

« Ainsi dit – puis s’en va – Hector au casque étincelant. Vite il s’en vient à sa bonne demeure. Mais il n’y trouve pas Andromaque aux bras blancs. Elle n’est plus dans le palais : elle est allée, avec son fils, avec sa suivante aux beaux voiles, se poster sur le rempart : elle se lamente, elle se désole. »8

L’autre situation, la scène amoureuse, existe aussi dans la tradition grecque. On raconte par exemple que Phèdre, du haut du temple d’Aphrodite qui observe, regarde Hippolyte s’exercer dans le stade adjacent9. Ovide raconte l’histoire du pauvre et malheureux Iphis qui se suicide par dépit. Celle qui, de haute naissance, l’a négligé, sans s’émouvoir, regarde de sa fenêtre, passer le cortège funèbre. La divinité, sans nul doute Aphrodite, ne supporte pas une telle indifférence et pétrifie littéralement Anaxarétè10. Ovide ajoute que Salamine – il s’agit de celle de Chypre – possède encore, outre un temple consacré à Aphrodite qui se penche pour regarder, une statue de la jeune fille.

Ce qui donne du poids à ces motifs littéraires, c’est leur relation avec le monde mythologique des dieux et des déesses. Il existe en effet, comme on vient de le voir, une description d’Aphrodite qui la montre penchée à sa fenêtre pour observer. A Trézène, la ville qui fait face à Athènes de l’autre côté du golfe Saronique, on vénérait une Aphrodite κατασκοπία, « celle qui observe »11. A Chypre et en Phénicie, on l’adorait de façon semblable comme « celle qui se penche pour observer », παρακύπτουσα12.

Puisqu’il faut sans nul doute placer l’origine d’Aphrodite dans le monde sémitique, en Phénicie du côté d’Astarté, il convient de chercher en ce monde-là également l’origine du motif littéraire de la dame à sa fenêtre. De fait, il paraît bien que tant les textes cananéens que les représentations iconographiques de cette région manifestent la présence de la déesse qui observe de sa fenêtre. Les archéologues ont même ajouté un argument tangible : les palais cananéens connaissaient de telles fenêtres, munies d’un treillis, qui permettaient aux reines, princesses et autres nobles dames d’avoir accès par la vue sur le monde, sans être elles-mêmes visibles de l’extérieur13. Que ces dames aient tenu à voir tantôt l’issue de la guerre, tantôt l’occasion d’un amour tient à la vie sociale d’alors, comme il en va de celle d’aujourd’hui. Ce qui a changé – heureusement – c’est la condition des femmes14.

Pour en revenir à nos deux cas particuliers, à nos deux exemples, je porterais volontiers l’option littéraire d’Eschyle au compte de l’Orientalisme15. Quoi de plus naturel pour un auteur grec qui veut évoquer la défaite des Perses, les ennemis de sa patrie, que de recourir au motif oriental ou sémitique de la reine, princesse, épouse ou déesse qui s’inquiète de l’avenir, sort de chez elle et tente de voir l’issue de la bataille ?

Ce que nos deux textes partagent encore de façon plus précise et particulière, c’est qu’ils sont l’expression d’un petit peuple, fier d’avoir porté un coup décisif à l’ennemi voisin réputé pour sa supériorité écrasante. C’est aussi que la mère du roi, et non point n’importe quelle femme, se fasse un souci dramatique. C’est enfin – autre marque tragique – que l’inquiétude ignorante s’exprime sur un fond de désastre accompli.

Si le motif de la femme à la fenêtre, ravie de regarder et fière d’être admirée, poursuit sa carrière dans l’art et la musique en Occident – que l’on songe au Don Juan de Mozart16, au Faust de Goethe, à Pelléas et Mélisande de Debussy17 –, celui de la mère ou de l’épouse soucieuse de voir rentrer le fils ou l’époux parti à la guerre ne disparaît pas non plus – que l’on se rappelle la chanson « Malbrough s’en va-t-en guerre » -. L’image de la femme que véhicule le double motif est celle d’une femme habituellement confinée dans sa demeure, toujours soumise au monde des hommes. L’évolution des mœurs et des consciences à l’époque moderne changera les données. Il y aura certes encore la dame à sa fenêtre, mais, telle la mère Royaume de l’Escalade à Genève, elle participera, active et autonome, à la défense de la cité18.

Bibliographie

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1 Boulenger 1965.

2 Général aux ordres du roi Yavîn de Haçor en Jg 4,2, Sisera est présenté comme roi en Jg 5,28-30.

3 Voir Soggin 1987, 74-75.

4 Je cite la TOB (20009). Archaïque, la langue du Cantique de Débora est difficile. Voir les remarques philologiques de Burney (1920, 154-157).

5 Sur le cantique et le rôle des femmes dans le livre des Juges, voir Margalit 1995 ; Chisholm 1994, particulièrement 38-39 ; Lanoir 1997.

6 En citant Les Perses, je me réfère à l’édition et à la traduction de Paul Mazon (19536) ; v. aussi de Romilly 1974. Sur la reine Atossa, sur son rêve, voir Hogan 1984, 225 ; sur les penchants patriotiques et idéologiques d’Eschyle, voir Harrison 1998 ; sur la reine elle-même, voir Alcalá 2001 ; pour un commentaire du rêve et des explications philologiques, voir Moreau 1992-1993.

7 Voir aussi 2 S 6,16 et 1 Ch 15,29 : à sa fenêtre, la fille de Saül, Mikal, regarde le jeune roi David qui amène l’arche à Jérusalem et danse devant l’objet sacré. La relation entre Mikal et David est faite d’amour et de mépris. Voir enfin Qo 12,3 : l’auteur parle de la vieillesse, du jour « où perdent leur éclat celles qui regardent par la fenêtre. »

8 Il.6.369-373, trad. P. Mazon (1987, 167). Plus bas, l’intendante explique à Hector l’absence à la maison de sa maîtresse : « Elle s’en est allée sur le grand rempart d’Ilion, parce qu’elle a entendu dire que les Troyens étaient à bout de forces et que c’était maintenant le grand triomphe achéen. » (Il.6.386-387).

9 Voir Paus.2.32.3.

10 Voir Ov. met. 14,698-764 ; et Plutarque, Dialogue sur l’amour 20 (Moralia 766C-D).

11 Voir Paus.2.32.3 ; Pirenne-Delforge 1994, 176-181 ; 185 n. 97 ; 413 et 468.

12 Dans le passage de Plutarque auquel je me réfère ci-dessus (cf. n. 10), c’est la jeune fille punie qui porte le nom de παρακύπτουσα, mais, comme dans le cas de Phèdre, que je signale ci-dessus (cf. n. 9), il y a un rapport étroit entre le niveau humain et le niveau divin, entre la jeune femme et la déesse. L’équivalent latin de παρακύπτουσα est prospiciens, ainsi que nous l’apprend Ov. met. 14,759-761 ; sur la déesse à la fenêtre, voir Dahood 1952, particulièrement 213-215 ; Fauth 1967 ; Eissfeldt 1968 ; Albright, 1969, part. p. 10 ; McKane 1970, 334-335 ; Rudhardt 1975, part. 121 ; Pirenne-Delforge 1994, 358-359 ; Coogan 1999. Sur le verbe παρακύπτω, voir Michaelis 1954.

13 Voir principalement Fauth 1967.

14 Il faut mentionner ici le παρακυπτικόν, l’ouverture qui de la galerie d’une église ou d’un autre lieu public donnait à l’empereur byzantin et à la famille impériale une vue plongeante sur l’autel, l’arène ou la piste ; voir Sophocles 1914 ; Kazhdan 1991. A Constantinople, une telle ouverture existait à Sainte-Sophie, à Saints Serge et Bacchus et dans la loge impériale de l’hippodrome. En Occident, on trouve des dispositifs semblables dans les églises et chapelles princières, par exemple à la chapelle royale de Versailles. Je remercie ici Bertrand Bouvier, qui m’a fait plusieurs suggestions à propos de cet article et sur ce point en particulier.

15 J’utilise ce terme conscient du poids idéologique que la science européenne a fait reposer sur lui dès le XIXe siècle ; voir Saïd 1994.

16 On se rappelle aussi la chanson du joli tambour, en particulier la troisième strophe : « La fille du roi était à sa fenêtre ».

17 L’auteur des Actes de Paul et Thècle y recourt quand il place Thècle à sa fenêtre et la dépeint telle une amoureuse avide de capter les propos de Paul installé dans une maison voisine (Actes de Paul et Thècle, 7).

18 Pour ceux qui ignorent le patrimoine héroïque de la cité de Calvin, disons que dans la nuit du 12 décembre 1602, les Genevois résistèrent à une attaque surprise des Savoyards. Ce jour est célébré chaque année sous le nom de l’Escalade. N’oublions pas cependant que la mère Royaume avait été précédée, aux temps anciens d’Israël, par la femme vaillante qui, du haut de la tour, avait lancé une meule sur la tête d’Abimélek et lui avait fracassé le crâne (Jg 9,53).