Une poétique de la mémoire
Espace et temps chez Sappho
Entre poésie épique et tragédie, entre iambe et comédie, la Poétique d’Aristote passe sous silence le genre poétique pourtant le plus largement pratiqué dans les cités grecques en mutation : le mélos, mieux connu sous la dénomination trompeuse de poésie lyrique. Aucune grande surprise à cette absence ; des poèmes qui ne sont pas narratifs et qui s’offrent énonciativement comme des actes de chant et souvent des actes de culte n’ont pas leur place dans la réflexion d’Aristote sur les arts mimétiques, sur les arts de la représentation (narrative et dramatique) de l’action. En effet, le poème mélique est lui-même une action chantée ; sa « performance » correspond à une action d’ordre rituel qui s’inscrit en général dans une célébration cultuelle et par conséquent dans une séquence d’actes dont le poème est partie intégrante1. C’est dire que les compositions méliques se distinguent, à travers différentes formes linguistiques, par une forte présence du je qui chante et que ce je auto-référentiel est régulièrement repéré dans le temps et dans l’espace. Par différents gestes de deixis, de « monstration » verbale, ce repérage énonciatif et spatio-temporel, ce repérage d’ordre discursif renvoie au hic et nunc de l’énonciation, à l’« ici » et au « maintenant » de la performance rituelle, que celle-ci soit singulière ou collective, « monodique » ou chorale.
1. Jeux sur le temps et l’espace : Pindare et Bacchylide
1.1. Logiques spatio-temporelles en perspective structurale
En se fondant sur le seul genre mélique dont nous avons le corpus complet pour un auteur, la critique traditionnelle a distingué dans les Epinicies de Pindare la récurrence de cinq « thèmes » : l’« actualité » (avec ses renvois par gestes déictiques interposés au hic et nunc de l’exécution du poème), la « religion » (souvent par l’invocation d’une divinité en référence aux circonstances d’énonciation rituelles du poème), la « poésie » (par auto-référence programmatique à la fonction du poète et au rôle joué par les exécutants du poème), la « gnomique » (dans la formulation de leçons générales souvent inspirée par la sagesse delphique), et finalement le « mythe » (par le récit d’épisodes exemplaires tirés de la tradition héroïque panhellénique ou locale)2. Identifiés dans le corpus des chants composés par Pindare de Thèbes pour célébrer rituellement les victoires aux jeux panhelléniques d’athlètes provenant de différentes cités métropoles ou coloniales, ces cinq éléments de contenu sont à vrai dire repérables dans pratiquement tout poème mélique. Sollicitée par l’intérêt général que suscitent les innombrables versions narratives offertes par la tradition légendaire grecque dans sa profusion d’intrigues, de figures héroïques et de formes d’expression poétique, l’attention de la critique s’est souvent focalisée sur le « mythe », et par conséquent sur la partie narrative et sur la dimension temporelle des poèmes méliques.
Du point de vue de leur articulation temporelle, les poèmes de Pindare, précisément, offrent une sophistication remarquable. Pour rendre compte de procédures d’anticipation et de retour, d’extension et de condensation, d’allusion et d’explicitation, on reprendra volontiers à la narratologie allemande pré-structurale, à titre purement opératoire, la distinction entre Erzählzeit et erzählte Zeit, entre « temps du récit » et « temps raconté », entre le temps de la narration avec son rythme propre et l’arc temporel ainsi progressivement couvert, dans sa séquence chronologique. De l’ordre de l’artéfact analytique, cette distinction permet de repérer les accélérations, les pauses, les silences, les syncopes, les clôtures annulaires dans la cadence d’un récit d’ordre poétique (le temps de la narration), mais aussi de reconstruire dans sa logique temporelle la séquence des actions du « mythe » narré (le temps raconté). Aux mains d’un narratologue qui l’utilise dans une perspective structurale, cette distinction entre le « (pseudo-) temps du récit » et le « temps de l’histoire » permet donc de suivre le jeu des analepses et des prolepses propre à toute narration littéraire dans ses incursions aussi bien intra-diégétiques qu’externes à la diégèse et donc propre à l’intrigue principale ; mais elle le conduit à retracer également les innombrables « anachronies », les inévitables discordances entre le rythme de la narration, avec sa cadence poétique, et la chronologie fondant la logique causale de l’« histoire » racontée3. Il s’agit bien ici de mûthos, mais au sens de l’« agencement des actions » et donc au sens de l’« intrigue » dont traite Aristote dans la Poétique : composant principal de la tragédie, le mûthos comme organisation de l’action narrative se trouve au fondement de toute représentation mimétique, qu’elle soit épique ou tragique4.
Or, à lire la plus longue des Epinicies de Pindare dans cette perspective des écarts entre le tempo de la narration et la chronologie de l’histoire racontée, on s’aperçoit que le récit parvient à nous conduire de l’expédition héroïque des Argonautes et de la conquête de la toison d’or par Jason avec leurs antécédents jusqu’à la victoire du quadrige du roi de Cyrène Arcésilas IV aux Jeux panhelléniques de Delphes ; dans sa progression poétique, le temps de la narration organise ainsi le temps raconté en pas moins de dix-neuf moments distincts5. Sans entrer dans les détails d’une narration complexe et exceptionnellement développée pour une composition appartenant au genre du mélos, il faut rappeler que le poème dans son déploiement narratif nous fait passer de l’éloge initial du roi Arcésilas IV de Cyrène à la prophétie de Médée : à l’occasion du retour des Argonautes et d’une halte sur l’île de Théra, la reine de Colchide évoque l’épisode au cours duquel Triton a donné à l’Argonaute Euphémos une motte de terre de Libye, prélude à la fondation de Cyrène après dix-sept générations, sur l’ordre donné par l’Apollon de Delphes à Battos, un citoyen de Théra, précisément ! Prétexte poétique pour retracer, à travers une série d’incursions dans le passé, les origines et les raisons de l’expédition des Argonautes dans la confrontation entre Pélias, le fils de Poséidon et le tyran de Iolcos, et Jason, le petit-fils du constructeur et fondateur de la cité de Magnésie ; le jeune héros vient revendiquer le trône créé par son arrière-grand-père Aiolos, par la volonté de Zeus. Répondant à un double oracle, Pélias imagine l’épreuve de la toison d’or pour écarter du pouvoir un jeune homme qui par un amour voulu par Aphrodite va bénéficier, au cours de l’expédition qu’il organise vers la Colchide, de l’aide de la belle magicienne Médée. Au cours de l’étape de Lémnos, l’union de l’Argonaute Euphémos avec l’une des femmes redoutées de l’île sera à l’origine de la noble famille qui, via Sparte, finira par émigrer à Théra ! Se situant entre les interventions de Poséidon et de Zeus à Iolcos en Magnésie où règne Pélias et le règne d’Arcésilas IV à Cyrène en Libye, le parcours narratif pour le moins sinueux proposé par Pindare dans le temps raconté est doublé d’un parcours spatial qui s’entrelace avec le cheminement temporel dessiné en particulier par les relations généalogiques.
Si à la perspective narrative et structurale qui permet de distinguer les dix-neuf points de repère mentionnés dans la ligne temporelle organisant la narration de ce récit complexe on ajoute un point de vue énonciatif, on remarquera que cette narration n’est pas entièrement portée par la voix du narrateur. Mises en scène à plusieurs reprises, ce sont tour à tour la voix prophétique de Médée et la voix de l’oracle d’Apollon à Delphes qui permettent les incursions dans le passé et dans l’avenir. Au contraire du temps raconté dont la ligne temporelle s’enracine dans les interventions de Zeus et de Poséidon à Iolcos pour fixer un point spatio-temporel d’origine, le temps de cette polyphonie narrative d’ordre oraculaire est fondé dans le moment et le lieu de l’énonciation du poème : « aujourd’hui » pour le roi de Cyrène Arcésilas, dès le premier vers du poème ! En ce qui concerne Cyrène, cette ligne chronologique remonte en quatre paliers successifs vers le temps et l’espace de l’acte fondateur voulu par Apollon (et accompli par Battos, entre Théra et Cyrène, à la dix-septième génération), puis vers le temps héroïque de la fondation manquée annoncée par Médée (par des Danaens descendant d’Euphémos à la quatrième génération et venant de Sparte, Mycènes et Argos), de là vers le temps de la prophétie de Médée elle-même (à l’occasion du retour des Argonautes, à Théra dont proviendra le héros fondateur Battos) pour aboutir au temps du don de la motte de terre rappelé par Médée (en Libye, dans un épisode précédent de l’expédition des Argonautes). Ceci pour nous limiter au récit subordonné de la fondation de Cyrène. On pourrait faire la même démonstration pour les différents moments de la narration de la création de Iolcos et de l’expédition des Argonautes en Colchide portés par l’intervention de l’oracle Delphes et de la voix d’Apollon6.
1.2. Enonciation et pragmatique des spatio-temporalités méliques
Mais l’essentiel est de relever qu’à travers l’Erzählzeit, aussi bien la erzählte Zeit que l’espace géographique parcouru convergent vers Cyrène où règne Arcesilas IV. C’est dire que par le tempo spatio-temporel de la narration poétique, temps raconté et espace décrit convergent vers le hic et nunc de l’énonciation du poème, pour la célébration rituelle de la victoire remportée par le quadrige du roi – en un moment qui, selon l’indication du commentateur antique, correspond à l’année 462 « avant », dans l’étrange orientation double qui marque la chronologie chrétienne mondialisée. A la voix des nombreux oracles delphiques qui animent les différents mouvements spatio-temporels du long récit poétique se substitue la voix du poète qui, inspiré par la Muse et par l’intermédiaire d’un groupe choral, chante ici et maintenant une victoire panhellénique précisément remportée aux jeux pythiques de Delphes. C’est dire que le jeu entre Erzählzeit et erzählte Zeit ne peut être compris que par rapport au temps de l’énonciation, au temps de l’« ici » et du « maintenant » poétiques qui nous renvoie lui-même à l’hic et nunc de l’exécution du poème au cours d’une célébration à caractère rituel.
C’est le mérite de Paul Ricœur d’avoir ouvert de ce point de vue le principe implicite de l’immanence structurale du texte pour reconnaître que la temporalité construite dans la mise en intrigue narrative, de même que la fiction en général, s’ancrait « dans le monde pratique d’où elle procède et où elle retourne ». Par référence à nouveau à la théorie poétique germanophone, il s’agit donc de développer la distinction d’ordre structural en une triade : « temps du raconter » (« énonciation ») – « temps raconté » (« énoncé ») – « expérience fictive du temps » (« monde du texte »)7. Mais on constate que la qualification du troisième niveau distingué comme fictif nous prive du mouvement de la référence au monde réel ; elle nous prive du renvoi à l’expérience historique du temps où interviennent les acteurs de la « performance » poétique ; en ce qui concerne la poésie mélique grecque, ce sont le compositeur avec sa « fonction-auteur » et le chanteur ou les choreutes, engagés dans une célébration où le poème réalise sa dimension pragmatique et son rôle rituel. Affirmer, comme le fait Ricœur, que « la notion de monde du texte exige que nous ouvrions (…) l’œuvre littéraire sur un ‘dehors’ qu’elle projette devant elle et offre à l’appropriation critique du lecteur », c’est donner de la fiction poétique une conception d’herméneutique philosophique qui élude le problème de la référence linguistique et qui gomme l’effet pratique de compositions s’inscrivant dans les institutions de la cité. A partir des manifestations du je / tu, du hic et du nunc, par gestes verbaux de deixis interposés, l’énonciation inscrite dans le discours nous renvoie, au-delà du temps de la narration, à la conjoncture historique et aux circonstances institutionnelles de la production et de la communication du poème, c’est-à-dire au temps du raconter en tant qu’acte rituel, en un mot au temps social du vécu8.
Dans un retour sur les constructions du temps poétique chez Pindare, c’est le mérite d’André Hurst d’avoir insisté sur le fait que la voix poétique intervient souvent dans son propre discours pour expliciter les nombreuses manipulations du temps de la narration. Ces manières d’orchestrer le tempo du récit en rompant avec la chronologie des actions racontées s’inscrit entre une attitude minimale et une attitude maximale, entre des ruptures qui relèvent du simple énoncé narratif (par un changement de lieu ou par le déplacement vers un pote, un « autrefois » indéfini) et les fortes interventions énonciatives d’un je qui assume explicitement l’anachronie (« Je veux à leur intention composer un éloge commun en proclamant dès le début l’origine que leur offre Tlépolème », chante le poète dans la septième Olympique)9. Ce geste de désignation auto-référentielle du poème composé pour chanter la victoire d’un athlète de Rhodes aux Jeux olympiques de 464 nous renvoie, par la forme du futur « performatif » employé, à son exécution hic et nunc, probablement par un groupe choral de jeunes gens à Rhodes même, dont Tlépolème est le héros fondateur.
De même dans le poème composé par Bacchylide pour célébrer la victoire aux Jeux pythiques d’un jeune athlète de Métaponte en Sicile, les jeux d’anachronie sur le temps raconté font déboucher le temps de la narration avec les espaces ainsi dessinés sur le temps et l’espace énonciatifs de l’« ici » et du « maintenant » inscrits dans le poème ; ces derniers réfèrent eux-mêmes au hic et nunc, au moment et à l’espace de la célébration communautaire et rituelle de l’adolescent vainqueur et de sa cité. Ainsi la composition mélique de Bacchylide nous transporte de la cité coloniale de Grande Grèce où est évoquée et chantée dans le présent la victoire accordée à l’adolescent par Artémis Héméra vers le Péloponnèse où Proïtos, le roi de Tirynthe, a fait édifier pour la même déesse un autel à l’occasion de la fuite de ses filles, provoquée par Héra offensée ; du moment de la fuite des Proïtides, le récit poétique nous entraîne ensuite vers le moment de la fondation de la cité par Proïtos, fugitif d’Argos, et de sa construction avec l’aide technique des Cyclopes ; à la recherche de ses filles, le roi de Tirynthe est conduit à Lousoï en Arcadie où Artémis guérit les jeunes filles de la folie dont Héra les avait frappées ; en reconnaissance, Proïtos et ses filles offrent non seulement un sacrifice à Artémis la Civilisatrice, mais ils instituent aussi en son honneur des danses chorales qui nous ramènent à Métaponte dont Artémis Héméra se trouve être la déesse tutélaire ; un dernier rappel de la valeur des Achéens qui sont parvenus à détruire Troie et qui sont par ailleurs les fondateurs légendaires de Métaponte confirme les liens spatiaux et temporels tissés entre le passé héroïque et la récitation du poème. L’ode est probablement chantée par un groupe choral de jeunes gens, dans le hic et nunc d’une exécution musicale rituelle qui devait s’insérer dans les honneurs cultuels adressés à la déesse tutélaire de la cité coloniale. A confirmer la relation étroite entre spatio-temporalité racontée et temps et espace de la narration avec le temps historique et le lieu géographique de la « performance » de l’épinicie de Bacchylide par l’intermédiaire du temps du temps et de l’espace de l’énonciation (énoncée dans le discours), il y a ces nombreuses structures annulaires qui, tout en assurant la cohérence argumentative du récit, évoquent les mouvements circulaires de la danse qui en accompagne l’exécution chantée10.
Dans les Epinicies de Pindare comme dans celles de Bacchylide, le repérage est toujours double entre le moment axial du temps et de l’espace racontés (Zeus en Colchide ou Artémis en Arcadie, mais aussi Jason à Iolcos ou Proïtos à Tirynthe) et l’« ici » et le « maintenant » de l’énonciation (Arcésilas à Cyrène ou Alexidamos à Métaponte), instituant ainsi une tension dont l’effet social d’ordre pragmatique passe par la construction d’une mémoire communautaire et civique.
2. Logiques poétiques de la mémoire : Sappho
2.1. Du passé héroïque au hic et nunc du chant poétique
I.
D’aucuns prétendent que la plus belle chose,
sur la terre noire, c’est une horde de cavaliers ;
d’autres une armée de fantassins ; d’autres encore une flotte ;
moi, je dis que c’est ce que l’on aime.
II.
5 Le faire comprendre à chacun est parfaitement aisé.
Hélène en effet,
surpassant en beauté tout le genre humain,
a abandonné le meilleur des époux.
III.
Elle s’est embarquée pour Troie,
10 sans garder le souvenir
ni de sa fille, ni de ses chers parents.
Mais c’est [Aphrodite] qui l’a égarée…
IV…
15 [Hélène] vient d’évoquer le souvenir
d’Anactoria, absente.
V.
Comme j’aspire à voir sa démarche charmante
et l’éclat lumineux de son visage
plutôt que les chars de Lydie
20 ou les fantassins en armes.
…
Dans ce poème mélique souvent commenté11, la fonction de l’intrigue empruntée à la tradition héroïque panhellénique et brièvement narrée ne fait aucun doute. Il s’agit d’illustrer le propos gnomique déployé dans la première strophe. En contraste avec le jugement esthétique que l’on peut porter sur une armée de fantassins, sur une troupe de cavaliers ou sur une flotte, la beauté est identifiée avec ce que l’on aime, avec ce qui suscite le désir érotique, conformément à l’étymologie du verbe erâsthai. A titre pédagogique, autant l’objet grammatical indéfini (ótto : « ce que ») que le sujet anonyme (tis) de la forme verbale ératai, « on aime », requièrent des noms ; les figures qui correspondent à ces noms propres de héros sont à chercher dans le passé épique avec son aspect paradigmatique. L’objet de beauté, le corps qui suscite le désir animé par Eros, c’est Hélène ; mais au centre du mûthos à l’origine de la guerre de Troie, Hélène s’avère être aussi celle qui, égarée par Aphrodite ou son parèdre, est envahie par l’amour qu’elle-même suscite. C’est ainsi qu’oubliant Ménélas et l’ensemble de sa famille, elle s’est rendue à Troie : le désir amoureux est provoqué par la beauté d’une héroïne qui est à son tour saisie par ce même sentiment érotique ; Hélène « objet », puis « sujet de désir », pour renchérir sur les réflexions de Michel Foucault à propos d’une « sexualité » grecque dont il a malheureusement ignoré les manifestations poétiques12.
Avec l’exemple tiré du cycle épique troyen, du temps et de l’espace présents de l’énonciation (énoncée), marqués par la forte affirmation du je du locuteur en opposition avec le ils des autres, on est donc passé au temps raconté avec le rythme narratif que lui impose la conduite du poème ; par l’intermédiaire des formes verbales à l’aoriste, du « maintenant », de l’« ici » et du je / ils anonymes, la narration nous a transférés vers le passé héroïque, à Troie, avec Hélène. Marqué par un nûn, « maintenant » en position syntaxique forte, le retour au présent exigé par les règles du genre mélique est immanquable. Ce passage est assuré par la mémoire : en contraste avec la belle Hélène qui, amoureuse, égarée par Aphrodite, a perdu le souvenir de ses proches, le locuteur -je se souvient. Et d’évoquer par son nom propre une jeune fille qui, comme Hélène, est absente ; une jeune fille que distinguent la grâce d’une démarche, le désir d’un regard et l’éclat d’un visage. C’est donc le souvenir d’Anactoria qu’auprès de qui chante le poème et de qui en assume l’énonciation suscite l’évocation d’Hélène, objet et sujet de désir. Par comparaison avec d’autres poèmes de Sappho, on a en général identifié ce locuteur -je – qui ne présente à vrai dire dans les fragments qui nous sont parvenus aucun trait grammatical au féminin – avec la poétesse de Lesbos.
La substitution d’Anactoria à Hélène dans le présent de l’énonciation nous invite à nous imaginer la jeune fille dans la même situation que l’héroïne, mais avec le décalage spatial qu’implique son absence : Anactoria, par les traits très grecs d’une beauté évocatrice d’éros, suscitait et suscite maintenant encore le désir de qui chante le poème en je, hic et nunc, alors qu’elle-même, en un autre lieu, est probablement « sujet de désir ». Si la localisation successive des armes et de l’activité de la guerre en Lydie porte à identifier ce lieu distant avec cette région voisine de Lesbos, autant l’exemple d’Hélène que d’autres poèmes de la mémoire font d’Anactoria une femme désormais elle-même amoureuse ; elle est probablement amoureuse de l’époux auquel la destinait l’éducation à la féminité accomplie reçue dans le cercle de Sappho. Par un déplacement aussi bien spatial que temporel, Anactoria occupe donc de manière décalée la double position incarnée dans la figure d’Hélène : dans le passé récent, dans l’endroit où le poème est chanté, Anactoria suscite, dans une beauté féminine dont les traits sont maintenant précisés, le désir de qui chante ; dans le présent de l’énonciation, mais dans une cité de Lydie voisine, elle vit par ailleurs le désir qu’elle a elle-même suscité. Du temps raconté et de sa narration, le retour à l’espace et au temps de l’énonciation du poème nous conduit donc finalement au hic et nunc de son exécution chantée13.
Le jeu de la mémoire poétique, par l’intermédiaire de la référence au passé héroïque du « mythe », a permis de surmonter le décalage constitutif d’une relation probablement homoérotique qui, par son caractère initiatique, doit déboucher sur une relation hétérosexuelle et matrimoniale14. Le pouvoir de la parole poétique a transformé Anactoria de jeune fille suscitant le désir comme le font les Nymphes à l’égard des dieux en une femme pleinement capable de ressentir l’amour. En lieu et place des chars de Lydie et des troupes de fantassins auxquels on revient en structure annulaire à la fin (probable) du poème, en lieu et place aussi de l’objet de désir générique évoqué au début du poème, Anactoria est dans sa beauté incarnée celle qu’on a aimée et celle qui aime. Mais la jeune Lydienne est aussi celle qui, par la force de la mémoire et de l’évocation poétiques, continue à être aimée, à être aimée par la personne susceptible d’occuper la position discursive du je « lyrique », le je du locuteur et chanteur. A la suite et à l’exemple d’Hélène, la situation passée de la jeune Lydienne à Lesbos devient à son tour paradigmatique ; elle devient susceptible d’agir dans le hic et nunc de la récitation sans doute rituelle du poème, par l’intermédiaire d’une mémoire poétique si efficace qu’elle emplit le poème présent de la puissance d’Aphrodite.
2.2. Le passé proche en paradigme poétique et érotique
Mais il est des poèmes de Sappho dont la référence au passé héroïque est étrangement absente ; il est donc des poèmes méliques qui ne semblent pas inclure la dimension constitutive du « mythe ». Parmi ces compositions dites « de la mémoire », un poème fragmentaire qui nous invite à nouveau à nous porter du côté de la Lydie et de sa capitale, Sardes15.
I.
… Sardes…
… souvent tournant l’esprit ici même
II.
… nous…
(elle t’honorait), toi, semblable à une déesse bien visible,
5 elle se réjouissait de ton chant.
III.
Maintenant, elle brille parmi les femmes de Lydie,
de même qu’au coucher du soleil
la lune aux doigts de rose
IV.
surpasse de son éclat tous les astres ;
10 sa lumière se répand sur la mer saumâtre
ainsi que sur les champs labourés, couverts de fleurs.
V.
Tombe la belle rosée,
les roses s’épanouissent,
et le tendre cerfeuil et le mélilot fleuri.
VI.
15 Tout en marchant, elle se rappelle
la charmante Atthis
et son cœur est dévoré de désir en sa poitrine.
VII.
… aller là-bas… nous… ceci…
l’esprit…
20 résonne… au centre
VIII.
A nous, il ne nous est pas facile
de rivaliser avec les déesses pour la beauté évoquant le désir
… que tu aies…
Le papyrus qui nous a livré cet étrange poème présente encore les traces de trois ou quatre strophes qui appartiennent peut-être au poème suivant ; on y distingue les noms d’Aphrodite et de Peithô, l’incarnation de la séduction érotique, accompagnés d’une libation de nectar et de la probable mention d’un sanctuaire de Poséidon. Au-delà des évidents problèmes d’établissement de texte posés par un document aussi lacunaire et par un poème amputé de son prélude, le mouvement spatio-temporel qui en anime le déroulement argumentatif est assez transparent.
A Sardes, la capitale de la Lydie, une femme tourne régulièrement son esprit vers un « ici » désigné par le déictique de la demonstratio ad oculos qu’est tuíde (vers 2) ; cet « ici » discursif correspond donc au hic et nunc de la « performance » du poème. Dans un passé récent cette femme prenait plaisir au chant musical de celle qui, par la forme en tu, semble être le destinataire du poème et qui est comparée, probablement dans sa beauté, à une déesse. Mais de ce passé proche localisé « ici », le poème nous fait revenir au présent de l’énonciation (nûn) tout en nous transportant à nouveau en Lydie, dans une sorte de chiasme spatiotemporel. L’excellence de la femme chantée au milieu des Lydiennes évoque la lune dont l’éclat surpasse les astres qui l’entourent. Le repère spatio-temporel que constitue le coucher du soleil indique non seulement le mouvement simultané du lever de la lune, mais aussi la localisation géographique de l’« ici » : fort probablement l’île de Lesbos d’où l’on peut voir la lune se lever sur la côte d’Ionie et donc de Lydie ! Autant la qualification de la lune que la floraison des champs, l’évocation de la rosée ou la présence des roses elles-mêmes convoquent dans ce paysage partagé entre mer stérile et terre luxuriante le pouvoir érotique d’Aphrodite16. Par ailleurs le décalage spatio-temporel dans la simultanéité du « maintenant » entre la Lydie où se trouve la femme évoquant comme la lune le pouvoir d’Eros et la Lesbos de l’« ici » de l’énonciation se reporte probablement sur le décalage de la relation amoureuse (homoérotique) entre le tu (ou le locuteur -je) et la femme chantée. C’est alors que, à nouveau par l’intermédiaire du souvenir, dans le présent du poème (ou en tout cas de ce que nous pouvons en induire), le tu se voit attribuer un nom : Atthis qui suscite auprès de la jeune Lydienne, dans ses déambulations, le désir amoureux le plus pressant. Il ne reste plus au nous qu’à intervenir enfin d’une part pour exprimer le désir de surmonter, dans la simultanéité temporelle, le décalage spatial signalé et de se rendre « là-bas » (kêthi, vers 18) dans un nous incluant probablement le tu, d’autre part pour revenir à la comparaison avec une déesse et en montrer les limites.
L’évocation divine porte désormais explicitement sur la beauté féminine qui suscite le désir amoureux, et toute la fin du poème semble saturée par la présence d’Aphrodite et des forces de la séduction érotique : comme si, à l’instar de ce qui semble se passer dans le poème dit « de l’ostracon »17, l’apparition de la beauté de la jeune femme absente et aimante avait provoqué, par l’intermédiaire de la comparaison poétique avec le lever de la lune, l’épiphanie de la divinité de l’amour.
Une analyse détaillée de l’usage des temps verbaux montrerait que le mouvement temporel du poème contribue à l’effet provoqué par le souvenir qui tend à faire coïncider non seulement le passé proche et le présent, mais aussi le « là-bas » avec l’« ici ». Une fois encore, grâce à la mémoire poétique, mais aussi en raison du mouvement métaphorique de la lune, le temps et l’espace racontés débouchent, par le temps de la narration, sur le hic et nunc de l’énonciation. Une fois encore est en jeu la beauté de la femme parvenue à maturité avec le désir érotique qu’elle suscite ; une beauté saisie dans son éclosion, avec le décalage amoureux qu’implique ce mouvement temporel. Dans un passé proche, ici (à Lesbos), la jeune fille chantée prenait plaisir à la danse musicale de celle à qui le poème s’adresse ; maintenant, là-bas (à Sardes), elle éprouve à son tour pour la femme qui a pour nom Atthis le désir érotique que provoque, par la comparaison avec la lune et la rosée, sa propre beauté. Ce qui nous reste de ce poème du souvenir semble indiquer le caractère pédagogique, sinon initiatique, assumé (de manière réflexive) par le chant du tu, le chant d’Atthis : en participant à une activité musicale probablement associée au cercle de Sappho à Lesbos, la jeune Lydienne est parvenue à la maturité de la beauté amoureuse qui lui permet de briller, comme la lune se levant au milieu des étoiles, parmi les femmes de Lydie. Quelques lectrices du fr. 96 n’ont d’ailleurs pas manqué de relever la dimension éducative d’un poème qui contribue à nouveau à exploiter pédagogiquement, dans l’espace et dans le temps, le décalage constitutif de la relation amoureuse en Grèce classique, qu’elle soit homoérotique ou hétérosexuelle18. La présence d’Aphrodite dans les strophes conclusives du poème donne à penser que cette relation y était en quelque sorte ritualisée, dans une perspective probablement initiatique, par la célébration cultuelle de la déesse de l’amour.
La double situation dans laquelle se trouve, par l’effet de la remémoration poétique, la jeune fille chantée n’est pas sans rappeler le double rôle joué par Anactoria – objet et sujet de désir comme Hélène – dans le fr. 16. Ici aussi, la jeune fille devenue femme adulte, pourvue des séductions d’Aphrodite, porte un nom propre : non plus Anactoria, mais Atthis. D’Atthis, la notice biographique du dictionnaire encyclopédique byzantin de la Souda nous dit qu’elle est l’une des trois « compagnes et amies » de Sappho ; elle est mentionnée à côté de trois « élèves » originaires de Milet, de Colophon et de Salamine (de Chypre ?) respectivement. Sans nier la réalité historique de la relation que les anciens ont tissée sur la base des poèmes entre Sappho et son amie Atthis, il est probable qu’Atthis assume le rôle de l’un de ces « stock-characters », l’une de ces figures poétiques que l’on trouve fréquemment dans la position du destinataire de la poésie didactique ; elle pourrait jouer le rôle de l’interlocuteur exemplaire qu’est Persès dans les Travaux d’Hésiode, Cyrnos dans les poèmes élégiaques attribués à Théognis ou Pausanias dans les vers hexamétriques d’Empédocle19. Quoi qu’il en soit, du point de vue énonciatif, le fr. 96 présente un locuteur -je décentré par rapport à la relation amoureuse tissée entre la jeune Lydienne chantée et Atthis qui apparaît dans la position du tu, mais aussi en tant que elle.
La relation érotique d’homophilie liée à l’activité musicale et située dans le passé proche semble donc mise à distance, notamment par l’usage de la troisième personne caractéristique du récit. Du point de vue spatiotemporel, la relation passée semble se substituer à la référence au passé héroïque : ici, mais dans un autre temps, par la comparaison avec une déesse, probablement celle qui semble présente rituellement dans la conclusion du poème. Alors que la relation du je avec Anactoria servait d’intermédiaire entre le « mythe » d’Hélène et le hic et nunc de l’énonciation du poème, la relation d’Atthis avec la jeune et belle femme de Lydie assume la valeur exemplaire que lui assure la réitération dans le souvenir. Telle est la force d’une configuration et d’une logique spatiotemporelles orientées sur le présent, sur un présent pratique, engageant le futur proche vécu par les différents participants et participantes à la cérémonie rituelle, peut-être nocturne, dont la récitation des poèmes de Sappho devait être l’un des moments forts.
On évoquera donc pour conclure le célèbre et très bref fr. 150 :
La règle ne le permet pas :
Le thrène n’a pas sa place dans la maison des Muses.
Cela ne saurait nous convenir.
Les Muses, dont la mère est Mnémosyné, l’incarnation de mémoire…
Bibliographie
Bierl, A. (2003) – « “Ich aber (sage), das Schönste ist, was einer liebt“. Eine pragmatische Deutung von Sappho Fr. 16 LP / V », Quaderni Urbinati di Cultura Classica 103, 91-124.
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1 Les raisons qu’on a pu alléguer pour cette absence paradoxale sont énumérées par Guerrero 2000, 30-35 ; voir aussi, en relation avec le poème mélique considéré dans sa dimension performative d’acte de chant ma propre contribution de 1998, 98-99 et 108-110.
2 Voir en particulier Fränkel 19622, 511-5 1 2 et 526-527. Hamilton 1974, 14-25, distingue quant à lui six « éléments de contenu » : Myth, Naming Complex, Praise, Gnome, Poet’s Task, Prayer.
3 Selon les propositions de Genette 1972, 77-89.
4 Arist.Po. 1450a3-38, que l’on lira avec l’utile commentaire de Ricœur 1983, 57-71.
5 Pi.P.4, dont les circonstances d’énonciation et l’extraordinaire développement narratif sont rappelés par Gentili (et al.) 1995, 103-111. Pour une analyse du déroulement temporel de ce long récit dans une perspective de narratologie structurale, on verra la contribution décisive de Hurst 1983, 154-160.
6 Pour le récit de la fondation de Cyrène, voir l’analyse temporelle que j’en ai tentée en 1996a, 68-78. Le rôle des voix oraculaires pythiques qui assument la narration est bien décrit par Segal 1986, 30-51 et 136-145.
7 Voir Ricœur 1984, 113-131 et 150-152 (150 pour la citation).
8 Sur cette distinction complémentaire entre énonciation (énoncée) et situation de communication, je me suis expliqué à plusieurs reprises ; voir par exemple 2000, 397-403.
9 Hurst 1985, 159-193, illustrant son propos par de nombreux exemples, parmi lesquels celui tiré de Pi.O.7.20-21 ; les relations complexes tissées dans ce poème entre temps du passé héroïque et circonstances présentes de l’éloge ont été étudiées en particulier par Rivier 1950 / 1975, 272-276.
10 Je me permets de schématiser ici à l’extrême les résultats de l’étude que j’ai consacrée en 2000, 399-407, aux aspects spatio-temporels et énonciatifs du poème 11 de Bacchylide ; sur la temporalité narrative de ce poème, voir Hurst 1983, 160-165.
11 Sapph. fr. 16 Voigt ; voir à ce propos la bibliographie impressionnante donnée et commentée par Bierl 2003, 91-92.
12 Pour la définition partielle d’un « sujet de désir » qui, en particulier en Grèce classique, est d’abord un « sujet de discours », cf. Foucault 1984, 9-19 et 43-62. Sur l’ambivalence d’Hélène telle que la conçoit Sappho, voir par exemple Segal 1998, 63-72.
13 J’ai tenté de décrire les rapports complexes que tisse le poème entre les relations amoureuses déployées dans un récit réélaboré en une version très particulière et celles marquant la situation présente dans l’étude de 1987 / 2005, 58-66. La conduite argumentative de ce poème dans sa perspective pragmatique est bien illustrée par Bierl 2003, 99-113.
14 Quant au rôle joué par la poésie érotique dans les rituels de transition initiatique des rapports d’homophilie (en décalage amoureux) aux relations d’amour réciproque dans le mariage hétérosexuel, je me permets de renvoyer à mon ouvrage de 20022, 30-41 et 109-112.
15 Sapph. fr. 96 Voigt, que l’on lira avec le précieux commentaire de Burnett 1983, 300-313.
16 Burnett (1983, 305-310) a décrit dans le détail le rôle poétique multiple joué par la comparaison de la jeune Lydienne avec la lune.
17 Sapph. fr. 2 Voigt, où Aphrodite est convoquée dans le jardin qui, empli des signes d’éros, lui est destiné en guise de sanctuaire pour y verser le nectar (cf. Calame 20022, 190-192) ; ces deux poèmes ont été rapprochés notamment par Gentili 19953, 130-137.
18 Pour le rôle joué par le développement ritualisé et social de la sexualité dans le cercle de Sappho, voir Williamson 1995, 95-132, et les références que j’ai données dans la contribution de 1996b et en 20022, 130-146.
19 Le nom d’Atthis apparaît dans les fr. 8, 49, 90, 131 et 214 C Voigt ; voir aussi les témoignages d’Ov. Her. 15,20 (= test. 19 Campbell) qui nomme également Anactoria et Maxime de Tyr 18, 9 (= test. 20 Campbell) qui compare le rapport amoureux liant Sappho à Gyrinna, Atthis ou Anactoria avec celui que Socrate entretient avec Alcibiade, Charmide ou Phèdre ! Sur la figure d’Atthis dans les différents fragments poétiques où apparaît son nom, voir par exemple Stehle 1997, 276-270, 285-287 et 299-302, dans des lectures très psychologisantes.