Effigies helléniques du prototype dans un langage figural du christianisme
1. Je tenterai de cerner dans ces réflexions plusieurs termes qui ont marqué d’un sceau indélébile un corpus de doctrines élaborées par les théologiens du monothéisme, depuis le IIe siècle de l’ère chrétienne, avec des éléments provenant de la paradosis, centrée sur le sacrifice de Jésus-Christ1. Ce qui nous interpelle ici relève d’une processualité complexe, car les énoncés particularisés de la religion judéo-chrétienne se précisent d’une génération à l’autre lors de la rédaction grecque des écrits et la koinè que « parlaient » les documents du christianisme parvenait à leur offrir des images vivantes de la foi, à l’égal des personnifications sublimes : « effigies du divin » (εἰκόνες τοῦ θεοῦ). Je me bornerai de rappeler à ce propos les observations de Jean Pépin, lorsqu’il examine la thématique platonicienne de l’homme comme effigie divine, relancée et amplifiée par Clément d’Alexandrie :
« En des termes assez semblables à ceux d’Epictète, il célèbre l’homme statue vivante, offrande à la divinité, porteur de l’image divine qui ne nous quitte pas et nous détourne du péché »2.
Le sillage de la pensée figurative s’élargit, avec l’essor de la patristique, préludant chez Origène aux débats avec les sectes et les écoles de philosophie, étape de transition qui aura comme aboutissement la remarquable productivité spéculative des penseurs d’Alexandrie et de Constantinople, jouxtant l’édifice des grands Cappadociens.
2. Sans relâche, un relais d’« images préfiguratives », apparentées aux logia, témoigneront du revirement sotériologique, symbolisant la nouvelle série des épreuves sacrificielles que le Christ devait subir : des tupoi préfigurent, dispersés, les dogmes~archétypes. Un tel message de redressement sera formulé dans les Actes des Apôtres 7, lorsque surgit le nouveau « témoin » de la foi Stéphane, le « protomartyre » « plein de grâce et de puissance », qui reproche durement à ses « frères » (devenus des persécuteurs) de « résister à l’Esprit Saint, comme leurs pères ». Son langage utilise à deux reprises le même désignatif, qui recouvre des aspects différents de la prototypie. Dans une citation qui reprend des blâmes adressés par le prophète Amos, les τύποι sont les « images » idolâtres d’une déité étrangère (Ac 7,42-43 = Am 5,25 s.). Plus loin, on remarque déjà la deuxième facette du revirement. Moïse a reçu la vision divine de la tente du sacrifice, qu’il devait bâtir κατὰ τὸν τύπον « selon le modèle qu’il avait vu ». On peut alors constater comment s’ébauchent les virtualités des « effigies ». L’articulation du relais comporte une projection symbolisante (l’epibolé), qui finit par transcender les catégories d’un métaphorisme usuel. Elle pouvait tendre vers la polarité mise en évidence par le Pseudo-Denys : celle des « images dissemblables ». Quoi qu’il en soit, des termes prototypiques réfèrent aussi aux niveaux, superordonnés, des évènements qui évoquaient l’histoire de l’humanité dans un kosmos progressivement miné par la déchéance, après la chute d’Adam, lui-même un « prototype parental » – le « prôtopatôr » des humains3.
3. Ayant pris son essor à l’époque des premières « missions » apostoliques, une allégorèse des figures correspond à l’énonciation très graduelle des termes qui proclament le mystère du salut depuis les Actes et certains passages des Epîtres. Ainsi, Paul développera au début sa propre théologie de la crucifixion, s’acheminant vers le symbolisme transfiguré du « corps » de la communauté ecclésiale, dont le Christ est « la tête » (Ep 4,15-16). Au chapitre 10 de cette même Epître aux Ephésiens, la projection symbolisante prend l’allure d’une théorie des figures, déchiffrée dans le texte du Pentateuque. Lors du passage des Israéliens par le désert le prototype du salut se montre dans la pierre qui fait jaillir l’eau par miracle ; « ce rocher spirituel » qui les désaltérait « c’était le Christ ». Mais ensuite, ils se livrèrent à la débauche… Et alors : « ne devenez pas idolâtres comme certains d’entre eux et ne vous livrez pas à la débauche comme le firent ceux-là »4. Le commentaire final insiste à nouveau sur l’échéance de ce qui était advenu in figura (dans le texte τυπικῶς – adverbe). Immanquablement, l’exemplarité se charge d’une signifiance tragique, alors même qu’elle promet le salut par le Christ (vision eschatologique des corps glorieux ressuscités). Après le premier Adam, pétri de terre, « de même que nous avons porté l’icône ressemblante de l’homme terrestre (καθὼς ἐϕορέσαμεν τὴν εἰκόνα τοῦ χοϊκοῦ), nous porterons l’icône ressemblante de l’homme céleste (ϕορένσομεν τὴν εἰκόνα τοῦ ἐπουρανίου) »5. Ce passage permet de constater la valorisation du terme eïkôn, appelé à dominer la série des prototypies que la religion chrétienne des premiers siècles adoptait pour « sanctifier » la transfiguration du réel – un mystère des « formes » spiritualisées – et l’enseignement (tupos didachès). En guise de préliminaires au discours sur la justification par la foi, la pratique rituelle du judaïsme, mentionnée selon le texte de la Genèse (17,9-14), cette « marque » (sêmeion) incisée dans la chair d’Abraham circoncis devient maintenant un « sceau de la justice reçue par la foi lorsqu’il était incirconcis » (Rm 4,11-12). Or, dans la tradition des métaphores platoniciennes, le « sceau » était invoqué pour symboliser l’empreinte personnalisée, qui doit imprimer l’image ou le signe que le porteur entend procurer comme signe de reconnaissance. Le symbole prototypique de la règle d’enseignement intériorisée (tupos didachès) provient d’un registre différent. Il atteste la vénération qui entourait la didakhé orale, héritage sapientiel plus récent attribué aux apôtres, transmis d’une manière fragmentaire par les manuscrits néotestamentaires :
« Dieu soit loué ! de ce qu’ayant été auparavant esclaves du péché, vous avez obéi maintenant de tout cœur, livrés à cette doctrine sur le modèle de laquelle vous avez été formés »6.
Un sémantisme restrictif se rattache aux occurrences de cette forme de la religion qui se réclame d’une regula disciplinae, vivifiée par le sacrifice de Jésus. On observe des codifications similaires dès que la secte de Qumran affermit sa doctrine. A l’époque des apôtres, dans l’administration hellénistique, l’usage courant des tupoi – actes formulaires – avait déteint sur la terminologie des cultes. Le même appellatif s’appliquait parfois aux contenus typiques des documents (comme dans Ac 23,25, la « teneur » de la lettre du gouverneur Félix)7.
4. Les valeurs que nous venons d’examiner sont parmi les plus marquantes dans une première étape du christianisme, symptomatique pour sa prise de position à l’égard du passé. Souvent, les premières avancées des prédicateurs n’hésitent pas à discréditer les anciennes représentations du culte, comme l’avait fait Stéphane quand il parlait de la « forme-prototype » du temple de Salomon, réalisée d’après un modèle communiqué à Moïse, destiné toutefois à disparaître. Dans l’attente d’une gloire à venir (« l’adoption et la délivrance pour notre corps »), les auditeurs de Paul reconnaissent une souche de prototypie immanente à la tradition orale, selon la doctrine relayée par les témoins du Christ, qui sont eux-mêmes prédestinés par la déité et préfigurés, conformes à l’éïkôn du Fils :
῞Οτι οὓς προέγνω, καὶ προώρισεν σνμμόρϕονς τῆς εἰκόνος τοῦ υἱοῦ αὐτοῦ, εἰς τὸ εἶναι αὐτὸν πρωτότοκον ἐν πολλοῖς ἀδελϕοῖς8.
En termes de prédestination, les élus sont ceux qui auront le privilège de se configurer en fonction d’un modèle transcendant (par la volonté du Père). Purifiés et illuminés, ils seront admis dans la fraternité du Christ. Leur destinée suit un trajet isomorphe par égard aux paradigmes de la christologie. Le Pseudo-Denys se souvient du théorème paulinien, lorsqu’il ébauche la définition des paradigmes (dans les Noms divins, 5, 8). Certains proposent ici le désignatif « modèles », mais on risque alors de superposer au texte un schème contaminé par le néoplatonisme. Il vaut mieux maintenir les redondances du texte original :
« Nous disons que les paradigmes sont des raisons ‹divines› qui produisent la substance des êtres en Dieu (ἐν θεῷ τῶν ὄντων οὐσιοποιύς). Ayant préexisté d’une manière unifiante, la théologie les appelle prédéterminations (προορισμούς) et volontés divines bienveillantes, celles qui prédestinent et font les êtres. Selon celles-ci le Suressentiel a d’avance défini et porté au monde toutes les choses qui existent (πάντα τὰ ὄντα) »9.
Au fil des interprétations, l’herméneutique d’un Origène défend dans toute lecture de la Bible la vérité du sens propre, parfois occulté par des figures anagogiques. Néanmoins, une « dynamique de substitution » domine l’antagonisme qui oppose l’esprit à la lettre, dans les démarches de l’activité herméneutique. Les « types » de l’Ancien Testament, le sens charnel de ses contenus (y compris bon nombre de ses histoires) pourront privilégier une manifestation de la vérité, « ut uiam quoddammodo accipiant requirendae ueritatis cessantibus typis »10. D’où la nécessité d’évaluer correctement sur le plan typologique ces approches conflictuelles :
« L’allégorie chrétienne, pour arriver à ce résultat sans précédent, a dû repenser sur de nouvelles bases la relation du signe et du signifié et en particulier transformer la notion classique d’image ou de symbole en celle de « type » de la personne et du rôle de Jésus. Voilà pourquoi, bien qu’il manque de garants très anciens, le terme de « typologie » semble bien préférable à celui trop général d’« allégorie », pour désigner la pratique proprement chrétienne de l’exégèse spirituelle »11.
En fait, dès le IIIe siècle la réception des textes sacrés se déploie par degrés, en fonction de la critique figurale, issue d’un processus de lecture simultanée, sur plusieurs niveaux. Il faut envisager ce processus dans l’alternance de ses opérations, qui aboutissent à l’hermeneïa : interprétation codée des figures et transfert-déchiffrement du sens littéral.
5. La poussée du langage des figures prend ses véritables dimensions dans nos propres lectures du phénomène culturel dès qu’on examine d’une époque à l’autre le fonctionnement des formes prototypiques. Décantés au niveau spéculatif de la théorie, plusieurs thèmes accédèrent au statut des modèles. La portée de leur signifiance hiérarchique se prêtait tout aussi bien aux définitions rigoureuses, énoncées dans les dogmes et les textes fondateurs du rituel, en même temps qu’elle faisait l’objet d’une figuration codifiée dans l’architecture d’une église archétypale, tout comme, dans les arts plastiques, la stylisation abstraite des icônes transposait sous forme d’images la teneur conceptuelle d’une théologie.
Désormais, toutefois, il n’était plus opportun de recourir en droite ligne aux schémas de la « justification » ; la série des signes manifestera le plus souvent une alternance qui fait parler a posteriori des catastrophes de l’histoire du monde et du cheminement d’Israël, éclairés par le symbolisme « véridique » de la Passion : après l’agonie de Jésus sur la croix, le message de sa résurrection. Plus tard, Grégoire de Nazianze fera le point sur une méthode d’interprétation inspirée par les visées d’un recadrage historial, périple démonstratif qui entreprend la lecture herméneutique à rebours des « figures » symbolisantes :
« A cela je puis donner la vraisemblance imagée (gr. eikazein !) de la théologie, sauf que je ‹déchiffrerai› à partir des contraires (gr. ἐκ τῶν ἐναντίων)12. Là (i. e. dans la mouvance de l’Ancien Testament) c’est le changement à partir des suppressions ; ici, c’est le perfectionnement grâce aux adjonctions. Voici comment : l’Ancien Testament proclamait manifestement le Père, le Fils plus obscurément. Le nouveau a manifesté (ephanerôsen) le Fils, a fait entrevoir la divinité de l’Esprit <Saint>. Maintenant l’Esprit a droit de cité parmi nous et nous accorde une vision plus claire de lui-même »13.
Dans l’ordre de la narrativité, une échancrure décisive s’était ouverte lors de l’attente des cinquante jours de la Pentecôte : sentiers illuminés par les rencontres de Jésus transfiguré, nouveaux témoignages de sa présence au-delà du tombeau14. Depuis ces miracles, qui préludent aux Actes des Apôtres, les événements sont enchâssés dans le prolongement de la rédaction des trois Evangiles synoptiques ; leur cadence phénoménale dilate le rythme temporel, car la chrétienté subira aussi l’emprise de l’Apocalypse johannique. Dorénavant, la communauté ecclésiale érigera en dur les termes symbolisants qui manifestent les mystères de la foi, abrités à l’intérieur du naos, réceptacle aux deux narthex– adéquation ou support des ressemblances ineffables, par delà tout l’entrelacs des allégorèses.
6. Se proposant d’éclairer le sens initiatique de l’architecture qui abrite le culte, Maxime le Confesseur définit dans sa Mystagogie les traits symbolisants des forces cohésives qui sont à l’œuvre dans l’espace ecclésial : réunion des hommes et des femmes, appartenant à des races différentes, parlant des langues dissemblables. Néanmoins, assemblés et unifiés sans se confondre, réunis dans l’église – icône de la déité –, ils reçoivent la grâce d’exister par le Christ, microcosme des âmes qui se tient à l’intérieur du cosmos archétype, soutenu par Dieu et unifié par son opération :
Τὴν τοίνυν ἁγίαν ᾿Εκκλησίαν κατὰ πρώτην θεωρίας ἐπίβολήν, τύπον καὶ εἰκονα Θεοῦ ϕέρειν ἔλεγεν ‹…› ὡς τὴν αὐτῷ κατὰ μίμησιν καὶ τύπον ἐνέργειαν ἔχουσαν15.
L’ensemble des effigies concrètes symbolisantes qui dérivent d’une transposition des figures représentent le « corps » de l’église, avec ses « membres », agencés autour d’une voûte réservée à l’image transfigurée du Christ, qui est la « tête », surplombant avec sa présence les travées de l’architecture sacrée. Ce moulage transposé dans les pierres vives d’un édifice parachève la clôture iconique des ressemblances, mouvement qualifié par un désignatif intraductible : une hieroplastia qui produit la souche de toute iconographie, caractérisée par le Pseudo-Denys dans son traité De la hiérarchie céleste comme une procédure de la théologie, capable « de conduire nos intellects vers les effigies du sens anagogique des écritures saintes »16. Selon l’excellente transposition de Jean Sarrazin et de Périon,
theologia poeticis sanctis formationibus in non flguralibus mentibus usa est, ad nostrum intellectum attendendo ‹…› et ad eundem accommodate sacras scripturas anagogicas effigiando17.
Autrement dit : les chrétiens appréhendent sur plusieurs niveaux les effigies du prototype. Au centre – ou plutôt à l’origine – on discerne l’invocation du Christ, assimilé à l’« effigie sacrée de sa croix », dont l’architecture des premières églises reproduira la disposition : « σταυρὲ παντοδύναμε, ὁ τύπος τοῦ Χριστοῦ ». Cette parfaite adéquation sera symbolisée à son tour par l’image du sceau (σϕραγίς), empreinte personnelle du Seigneur Jésus Christ et implicitement un fidèle reflet de la mystérique filiation (υἱότης) qui l’unit au Père. Dans l’architecture des églises byzantines, pour faire pendant à la section ouverte du pronaos, l’autre extrémité du monument sera délimitée par la frontière de l’ancien adyton. Maintenant, la collocation absidale de l’endonarthex aboutit au réceptacle des sacrements liturgiques, espace dominé par le symbolisme du katapetasma, voile et involucre du Très Haut, autel qui abrite le Saint des Saints. Cependant, le symbolisme « historié » des vérités divines proposées au regard des fidèles dans l’église implique des références à la matérialité des images, dont les attributs coïncident avec la disparité chaotique des ressemblances humaines.
7. Lorsqu’on examine l’ensemble des termes symbolisants raccordés au mystère18 de Jésus, « l’empreinte » hellénique prédominante dans l’élaboration du dogme central coïncide en tout point avec la convergence des termes désignatifs :
– εἰκών, l’« image véridique », nous permet d’accéder au foyer de l’archétype divin qui harmonise la ressemblance ;
– τύπος avec ses dérivés désigne les modèles dispensés par une souche d’exemplarité, celle qui subsiste sur le plan des paradigmes (παραδείγματα), eux-mêmes raccordés au niveau supérieur dans une « procession » des modèles ;
– ἐνανθρώπησις, l’« incarnation humaine de Jésus Christ », manifeste la voie du retour dans le stade providentiel des « processions ». Le Sauveur qui s’est fait Verbe ayant assumé la totalité de notre condition (à l’exception du péché), l’homme peut retrouver un élan perfectif qui le rapproche du plérôme (la « plénitude » idéale des qualités départies par le démiurge).
L’emploi souple, nuancé, des acceptions génériques convient tout naturellement aux Dialogues de Platon, surtout quand il envisage d’orienter ses interlocuteurs vers les empreintes d’un modèle, à partir des perceptions intermédiaires :
« Ce ne sont pas là, je le dis, des beautés relatives ‹…› ; mais il est dans la nature de ces choses d’être, par elles-mêmes, belles toujours et de comporter des plaisirs qui leur sont propres, sans rapport aucun avec ceux qu’on trouve à se gratter ! Il est certain que ce caractère, d’être belles et de comporter des plaisirs qui leur sont propres, appartient aussi aux couleurs (καὶ χρώματα δὴ τοῦτον τὸν τύπον ἔχοντα καλὰ καὶ ἡδονὰς) »19.
Un autre texte significatif propose la métaphore du moule qui retient dans l’âme, comme une masse de cire, l’empreinte des signes (ekmageïa) dont nous voulons garder mémoire – tracé « limpide » ou « maculé » (confus) des perceptions. Le Théétète a instauré ainsi le schéma figural du processus cognitif et ses désignations, car
« dans les choses que nous savons et que nous percevons le jugement (doxa) tourne et s’enroule » ‹comme un courant alternatif !›, « tour à tour faux et vrai : en droite ligne, il amène les moulages (tupous) et leurs empreintes appropriées (oikeia apo-tupômata), quand il est vrai, des empreintes gauchies et bancales quand il est faux »20.
Une fois le schéma fixé, d’une manière inévitable l’itinéraire des abstractions devait s’attacher au nœud conceptuel de l’eitόs (εἰκός), réfraction ou épure monnayant l’« icône prototypique » (εἰκών), appréhendée par analogie, comme le dicterait une stratégie de l’eikasticité (support du « vraisemblable »), qui est à son tour le produit d’une modélisation d’après nos souvenances (comme des images à la surface de l’eau ou l’ombre des personnages ou des objets entrevus par les habitants de la caverne)21. Jouxté par cette corrélation polaire, antithétique, des paradigmes, le thème des efforts spirituels qui s’élancent dans la veillée contemplative pour atteindre l’homoiôsis theôi (« se rendre semblable à la déité ») particularise une des voies les plus exclusives des mystiques dans l’orthodoxie byzantine.
8. On peut à ce stade dresser un bilan provisoire des aspects problématiques de la prototypie, thématisée dans les grandes doctrines de la philosophie hellénique, lorsqu’elle refait surface dans les dogmes fondateurs du christianisme, influencés notamment par les courants du néoplatonisme et l’emprise multilatérale des écrits stoïciens. Si on se tourne vers la méthodologie des sciences cognitives modernes, plusieurs disciplines qui s’occupent actuellement du langage humain ont maille à partir avec la reconnaissance des prototypes, avant même de s’accorder sur une définition stricte de cette notion, valable pour l’ensemble de ses occurrences. En tout cas, l’approche pragmatique nous montre clairement qu’il s’agit d’une opération cognitive des plus fréquentes. Les difficultés surgissent quand on demande à des locuteurs de nommer et de caractériser parmi les membres d’une série d’objets, d’individus ou de propriétés le spécimen représentatif ou – plus précisément – l’exemplaire-prototype. La plupart du temps, le membre sélectionné sera défini selon des consensus obtenus facilement, auprès des locuteurs indépendants soumis au même test, mais leur commentaire et l’analyse de leurs motivations ne donnent pas des résultats satisfaisants pour comprendre les critères selon lesquels un prototype doit être encadré dans une catégorie spécifique. Notons que les désignatifs grecs de la série {τύπος → prototype → archétype → εἱκών} impliquent un terrain d’application très large, puisqu’ils réfèrent aux rapports de similitude perçus et / ou catalogués depuis les moindres indices perceptibles jusqu’aux traits caractéristiques les plus pertinents, identifiés, comme on a pu le constater, dans un grand nombre de domaines, hiérarchisés par degrés, en fonction des relais cognitifs qui produisent les catégories et sélectionnent des paradigmes : modèles schématiques, dont certains, nettement perceptibles, se concrétisent sur le plan de la matérialité (à partir de l’expérience immédiate des sens), alors que d’autres nous orientent vers les zones les plus élevées de la connaissance abstraite. Les hypothèses modernes concernant les prototypes affrontent d’abord un problème de catégorisation, pour définir les critères au moyen desquels on décide de l’appartenance ou de la non appartenance d’un objet à une catégorie. Comme elle doit vérifier pour chaque membre d’une catégorie s’il satisfait un ensemble de conditions nécessaires et suffisantes, cette opération rencontre des obstacles majeurs quand elle applique – par exemple – ce modèle soit aux espèces naturelles, soit aux séries de couleurs. Des tests psychologiques révèlent plus particulièrement l’existence d’une structuration interne des catégories et celles-ci constituent la dimension horizontale des rapports de similarité. Les individus font usage de leur dotation encyclopédique pour un repérage naturel, qui cherche parmi les objets connus le plus grand nombre de traits similaires partagés avec un prototype22. En allant même plus loin, je dirai qu’il serait tout aussi probant de nommer des catégories qui se distinguent par leur convergence prototypique dans la sphère de la « dissemblance » (et je mentionnerai speciminis gratia les traits qui apparentent la tératologie de quelques organismes isolés observés au fond des Océans : ils s’opposent par certains traits de leur physionomie à toutes les autres familles, mais quant à eux, l’extranéité les apparente vaguement par ces mêmes traits). Un autre lien très significatif dans la structuration des prototypies assouplit des schémas introduits par les néoplatoniciens (filiation spontanée, involontaire !). L’observateur surprend ainsi la dimension verticale des catégorisations, lorsque les similarités renvoient à des propriétés qui appartiennent à une même hiérarchie intercatégorielle « dont les catégories ne sont pas équivalentes entre elles ». On distingue alors les trois degrés qui fournissent des propriétés pour encadrer par exemple les traits catégoriels d’un prototype : un niveau « superordonné », un autre « basique », le troisième « subordonné »23. Depuis Platon, des hiérarchies de ce type commandent l’ordre des plus hautes déterminations, dans un système du monde qui articule en fait un déploiement ternaire de la connaissance des réalités. Les variantes les plus proches de nos réseaux catégoriels sont décrites par Proclus dans son exposé didactique. Il affirme explicitement qu’il y a inclusion réciproque des triades et de leurs membres24, sans qu’on puisse détruire le rapport hégémonique à l’intérieur d’un ensemble dont l’ordre supérieur doit toujours dominer et se distinguer par sa capacité d’inclure plus de généralité par rapport aux ordres subordonnés. Un prototype dominateur peut d’ailleurs commander l’ensemble des triades, comme c’est le cas pour la triade Etre, Vie, Intelligence. Si l’on revient aux controverses modernes, une version étendue améliore la théorie des prototypes, en accordant un rôle important à l’usage, lui-même déterminé par plusieurs circonstances, surtout lorsque le contexte historique s’interpose, comme nous l’avons remarqué à propos des fluctuations qui ont marqué l’emploi des moralités figurales tirées de l’Ancien Testament. Parmi les perfectionnements apportés, le principe des « modèles cognitifs idéalisés » n’a pas omis d’intégrer les images mentales au processus de catégorisation (« structures à schéma d’images ») et ceci nous oblige d’examiner aussi les extensions métonymiques et métaphoriques.
9. On accède sur cette voie au symbolisme trinitaire de la théologie chrétienne, c’est-à-dire au corps de doctrine qui s’est constitué dans les circonstances particulières d’une christologie raccordée aux remous du néoplatonisme, mis en demeure par les provocations de la gnose. Le dogme de la Trinité raffinera le principe inclusif sur le pallier de la domination unidirectionnelle du principe transcendantal de la Déité. Je me bornerai à spécifier que l’empreinte unifiée qui manifeste le pouvoir du Père se transmet aux autres « personnes » dans un partage simultané des propriétés. Avec des précautions supplémentaires Eusèbe de Césarée parlera du contraste qui différencie de l’archétype les prototypes que nous envisageons dans l’esprit comme des paradigmes de la perfection divine – simples modèles conceptuels25. Les formules énonciatives pourront échelonner par inclusion les archétypies. A partir de l’expression-clé du Symbole de Nicée ‹« lumen ex lumine »›, Clément d’Alexandrie développera sa propre théologie du Logos : « lumière ‹qui est› l’archétype de ‹la› lumière » (ϕῶτος ἀρχέτυπον ϕῶς)26. Et Grégoire de Nysse introduit dans la forme-archétype du Père le reflet parfait du Christ, effigie iconique de beauté : « ὁ μὲν υἱὸς ἐν τῷ πατρὶ ὡς τὸ ἐπὶ τῆς εἰκόνος κάλλος ἐν τῇ ἀρχετύπου μορϕῇ »27. Pour faire avancer l’analyse du symbolisme représenté par des effigies dogmatiques, il faut se méfier des recherches unilatérales qui tendent à restreindre le domaine de la sémantique du prototype. Jusqu’à présent, les sémanticiens assujettissent chaque fois l’exploration des prototypes aux procédures d’une grammaire verbale ; on a testé en premier lieu les performances ou la compétence des locuteurs. Or les aptitudes et les avancées de la connaissance peuvent aller bien au-delà de ces frontières du dicible, même si les derniers aveux du sujet « explorateur » finiront par ébranler la plupart de nos certitudes.
10. A travers ces remous, il convient de chercher un point d’ogive, qui est celui des formulations acceptées finalement par l’ancienne communauté qui a confessé dans sa grande majorité les articles de foi énoncés par le symbole de Nicée (359). Dans ce document, l’effigie de gloire correspond au symbolisme d’une apokatastase ouranienne des temps, amenée par la rédemption et « préfigurée » iconiquement par l’Apocalypse de Jean (1,8), lorsque Jésus délègue son image, prototype dans le ciel, vision du Seigneur Dieu qui s’annonce lui-même (manifesté), tel qu’il paraîtra au Jugement dernier28. Lorsque l’on examine l’union hypostatique de la Trinité proposée par le dogme « orthodoxe », fixé dans sa formulation rigoureuse par Cyrille d’Alexandrie, Basile de Césarée et ses collaborateurs (les autres Cappadociens), il faut revenir au symbolisme figural livré dans l’Epître (pastorale) aux Colossiens, ch. 1 (versets 13-20, une rédaction postérieure à « l’Apôtre » Paul). Ce texte pose la centralité d’une présence salvifique de Jésus crucifié, véritable image-empreinte du Père, « Dieu invisible », qui s’est manifesté aux humains en livrant son Fils « le premier conçu de toute la Création » : ὅς ἐστιν εἰκὼν τοῦ θεοῦ τοῦ ἀοράτου, πρωτότοκος πάσης κτίσεως. Dans la vision métaphorisante du dogme, trois composantes frappent l’entendement des croyants (destinataires du message pastoral). Premièrement, une vibration de l’arrière-plan cosmique fait écho au symbolisme du Pantokratôr (Ap 1,5) et redresse en quelque sorte la mouvance d’un message « intertestamentaire » qui était propre à l’eschatologie sombre des prophètes hébreux convertis. Ensuite, l’insertion de Jésus dans l’advenu historique médiatise la deuxième composante et cette rencontre a suscité une polysémie presque intraduisible, car en grec le destin de la « création », raccordé maintenant au « premier engendré » (prototokos), coïncide parfaitement avec les « créatures », prisonnières de leur finitude. Ces deux notions se superposent dans le sémantisme de la « fondation » : κτίσις – nomen actionis – désigne l’ensemble du « monde créé » et « tout individu de la création » (la Vulgate utilise pour ce dernier terme le vocable non ambigu : creatura). Par le recours au symbolisme bipartite, une face allégorise le microcosme humain, l’autre personnifie le corps de l’Eglise, communauté spirituelle, « contenant » de la nouvelle créature, dont le Christ est la « tête » (gr. kephalè) mais aussi le ktistes, « fondateur », qui surplombe cette mystagogie (comme nous l’avons montré pour le dispositif architectonique de l’Eglise). La troisième composante de l’effigie triadique se présente sous la forme abstraite la plus paradoxale. On dirait que le dogme a transformé la formule des néoplatoniciens qui posait l’existence de « l’un tout »29. Pour la théologie archétypale du monothéisme chrétien la « consubstantialité » (ὁμοουσία) des Personnes de la Trinité se démarquait, par contraste, des présupposés de la homoioousia, « ressemblance des natures » (ὁμοιουσία, de ὁμοῖος, « similis »). Dans un des ses Dialogues sur la Trinité, Cyrille d’Alexandrie approfondit un passage de l’Evangile de Jean (14,9-10), où le Seigneur Jésus lui-même dit « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». Cyrille envisage la complémentarité des natures divines (le Père, le Fils et le Saint Esprit) comme une parfaite Union hypostatique, qui cependant n’est pas un mélange, car les « idiomes » restent dans un rapport de coessentialité « sans se confondre » (asunhytôs, adverbe). Chez Grégoire de Nysse, selon une des énonciations rigoureuses de cette agencement unitif des archétypes, « l’hypostase du Fils devient en quelque sorte la forme et la Personne dans laquelle se reconnaît le Père »30. Paradigme ou source de perfection (teleion), l’estance du Père marque de son empreinte (gr. charakter) l’hypostase du Fils qu’il a engendré. Plus exactement, comme on envisage la correspondance des qualités abstraites ou ineffables, qui sont les propriétés de ces personnes divines (gr. idiômata), Jésus se représente lui-même, par une diffraction de la vision intérieure « dans l’union sur-essentielle »31. On arrive ainsi à la position extrême, d’une co-substantialité qui risque de nous acheminer finalement vers une « récupération » monophysite. Les Cappadociens – dont Basile et les deux Grégoire sont les plus brillants théoriciens – trouveront des sentiers de médiation, pour mieux expliquer l’unité ou la monade souple qui ne détruit pas la manifestation des « idiomes » et permet une coexistence des deux natures (humaine et divine) dans l’être du Fils. Cette approche obligera les théologiens de méditer sur les contraintes de l’action volitive (boulésis) et sur les souffrances assumées par l’humanité du Christ, divinité invulnérable qui a décidé de souffrir (selon la doctrine « dithélique » pour laquelle Maxime sera martyrisé en 662). Le cheminement ultérieur du débat trinitaire contient encore une moisson abondante de controverses fascinantes ayant trait à la typologie des catégorisations. Les textes que nous venons de commenter ne font qu’ébaucher une première vue d’ensemble du « sensus effigiatus » qui a transformé l’interprétation des prototypes, dès que le christianisme a codifié sa théologie dans une ambiance culturelle vivifiée par l’héritage hellénique.
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Nasta, M. (2001) – « Quatre états de la textualité dans l’histoire du corpus dionysien », dans Nasta, M., Les êtres de paroles. Herméneutiques du langage figuré, Bruxelles.
Pépin, J. (1961) – Les deux approches du christianisme. Paris.
Pépin, J. (1971) – Idées grecques sur l’homme et sur Dieu, Paris.
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1 Sur le prestige de la παράδοσις, thématisée dans la doctrine des premiers Pères, voir maintenant nos remarques, Nasta 2001, 149 s.
2 Cf. Pépin 1971, 189 et la note 3 (Ch. 6, 2 : Accueil de l’anthropologie platonicienne à des fins spirituelles). Respectivement, dans Clem.Al.Protr.4.59.2, p. 46, 15-18 : ἠμεῖς ἐσμὲν οἰ τὴν εἰκόνα τοῦ θεοῦ περιϕέροντες ἐν τῷ ζῶντι καὶ κινουμένῳ τούτῳ ἀγάλματι.
3 Voir encore Pépin 1971, 187 sq. les observations très intéressantes sur la « christianisation de l’anthropologie platonicienne », rapportée à l’effigie figurale d’un Adam, prototype de l’humanité.
4 Voir 1 Co 10,4 : ἔπινον γὰρ ἐκ πνευματικῆς ἀκολουθούσης πέτρας, ἡ πέτρα δὲ ἦν ὁ Χριστὸς. Et ensuite, 10,6 : ταῦτα δὲ τύποι ἡμῶη ἐγενήθησαν [haec autem in figura facta sunt nostri].
5 1 Co 15,47-49. Nous avons là un tracé d’origine de la thématique développée par Clem.Al. Protr. 4.59.2, le contexte que nous citons ci-dessus (note 2).
6 Rm 6,17 : ὑπηκούσατε ‹…› εἰς ὃν παρεδόθητε τύπον διδαχῆς. Quant à la formule τύπον διδαχῆς, il convient de suivre la version de la Vulgate, dont les interprètes étaient sans doute plus proches de cette mentalité : « oboedistis autem ex corde in eam formam doctrinae, in quam traditi estis ».
7 On rapprochera de ces acceptions des tournures similaires (plutôt classiques), utilisées couramment pour désigner « l’ébauche », « l’esquisse » ou « le résumé » (surtout au datif : τύπῳ ou ἐν τύπῳ).
8 « Ceux que d’avance il a connus, il les a aussi prédéterminés à être conformes à l’image de son Fils, afin que celui-ci soit le premier-né d’une multitude de frères » (Rm 8,29-30).
9 Dion. Ar. d. n. (« Des noms divins »), ch.5 § 8, PG 3, 824 C. Voir également ibid. ch. 7, 869 C-D : Dieu reste inconnaissable dans sa nature. Mais nous l’appréhendons : ἐκ τῆς πάντων τῶν ὄντων διατάξεως ὡς ἐξ αὐτοῦ προβεβλημένης καὶ εἰκόνας τινὰς καὶ ὁμοιώματα τῶη αὐτοῦ παραδειγμάτων ἐχούσης (« à partir d’un ordonnance ment de tous les êtres, lequel, produit par lui-même, possède en lui certaines icônes et similarités des paradigmes divins »). A. Traversari, traducteur de la Renaissance, a bien saisi le statut spécial de la « préfiguration » : « ex ordinatissima dispositione ab ipso producta ».
10 Or. hom. 17, 1 in Jos. (Lat.), traduction de Rufin, éd. Baehrens, 400, 18-401, 5. Cité par Pépin 1961, 85 (ch. 1, 3, 2 : De l’allégorie à la typologie). Nous empruntons à la même source plusieurs formulations que nous résumons ci-dessus.
11 Pépin 1961, 48.
12 Qui se réalisent dans notre histoire… dans la traduction des SC (voir note suivante) = « sauf le fait que c’est l’inverse ».
13 Cf. Gr. Naz. or. 31 (Discours théologique 5), dans l’édition de la collection SC 250, 326-327 (et les notes 1-2).
14 Préparation des apôtres, pour qu’ils puissent eux-mêmes célébrer autrement « à rebours ! » les effets de la Pentecôte instituée par l’Ancien Testament (cinquante jours après la Pâque juive).
15 Max. myst. (PG 91), 664 D, 1-5. C’est ainsi que s’amorce le discours sur l’archétype symbolique de l’église dont nous avons résumé les idées fondamentales. L’eïkôn de l’église resserre la totalité des « raisons » cosmiques dans un faisceau qui nous détermine, comme si on était compris dans le processus créateur de l’archétype divin : αὐτὰ τῷ Θεῷ περὶ ἡμᾶς ὡς ἀρχετύπῳ εἰκὼν ἐνέργουσα (ibid. 667 c).
16 Dion. Ar. c. h. PG 3, ch. 2 § 1 (137 B) : Καὶ γὰρ ἀτεχνῶς ἡ θεολογία ταῖς ποιητι καῖς ἱεροπλαστίαις ἐπὶ τῶν ἀσχηματίστων νοῶν ἐχρήσατο, τὸν καθ᾿ἡμᾶς, ὡς εἴρηται, νοῦν ἀνασκεψαμένη, καὶ τῆς οἰκείας αὐτῷ καὶ συμϕυοῦς ἀναγωγῆς προνοήσασα, καὶ πρὸς αὐτὸν άναπλάσασα τὰς ἀναγωγικὰς ἱερογραϕίας.
17 Dion. Ar. c. h. ch. 2, § 1 (137 B11-12). Voir aussi la version de Jean Scot Erigène, au ch. 1 (136 B) : …ut perduceret per sensibilia in intellectualia, et ex sacris figuratis symbolis in simplas caelestium hierarchiarum summitates.
18 Les oscillations de la tradition manuscrite dans 1 Co 2,1 mettent en évidence les deux facettes d’un langage symbolisant qui s’efforce de surclasser les virtualités de la parole, car il s’agit d’annoncer le « témoignage de Dieu » (μαρτύριον τοῦ Θεοῦ) ou, selon d’autres manuscrits, « le mystère du Christ » (μυστήριον τοῦ Θεοῦ qui devient dans le texte lu par Augustin « mysterium Christi »). Progressivement, les termes symboliques modifient les effigies du prototype, images primordiales polyédriques du sens révélé.
19 Pl.Phlb.51c (version de Léon Robin).
20 Pl. Tht. 194b.
21 Pl. R. 511d-516d.
22 Voir dans Ducrot / Schaeffer 1995, 281-291 les « degrés de prototypicalité » et dans Kleiber 1990, 153 (ch. 4) : La version étendue de la sémantique du prototype.
23 Cf. Moeschler / Reboul 1994, 383-389. A la page 388, on montre les déterminations qui s’échelonnent pour « Milou » : « animal » (niveau superordonné), « chien » (niv. basique), « fox-terrier » (niv. subordonné)…
24 Cette construction se prévaut du célèbre postulat de Platon, qu’il énonce dans R.6.509b s. : la transcendance absolue de l’Un qui est le Bien. L’Un domine une disposition ternaire géométrique pour laquelle la métaphore de Soleil devient un nœud de prototypie avec deux ramifications : d’un côté, les « effigies-eikones » ménagent l’accès du type eikasia vers « l’image » du monde sensible, sa matérialité et les êtres vivants ; de l’autre on atteint par « l’intellection » (noésis) le monde illuminé par le Bien, ouvert à la connaissance qui emprunte la méthode dialectique, accédant aux idées. Pour le mécanisme de la triade chez Proclus, voir Theol.Plat. (Eléments de Théologie) 103, éd. Dodds, E. R., Oxford, 1933, p. 92, 13-16.
25 Eus. h. e. 10, 4, 55 (PG 20, 872 A).
26 Clem.Al.Protr. 10 (PG 8, 213 A).
27 Gr. Nyss. Eun. 1 (PG 45, 448 A).
28 ’Εγώ εἰμι το ἄλϕα καὶ τὸ ὦ, λέγει ὁ κὺριος ὁ θεὸς, ὁ ὢν καὶ ὁ ἦν καὶ ὁ ἐρχόμενος, ὁ ΠANTOKPATΩP. « Je suis alpha (« principium ») et oméga (« finis »), dit le Seigneur dieu… le TOUT PUISSANT ». Cette formule est à l’origine de l’icône-représentation cosmique de Jésus, par l’effet d’une métonymie ou antonomase figurale, quand son effigie se propose au regard symboliquement dans le ciel de l’église, désignant la coupole centrale du pantokrator, dans l’architecture byzantine et dans la partie centrale des anciennes églises romanes.
29 Cf. par exemple Dam.Pr. vol. I : De l’ineffable et de l’Un, (éd. Westerink, L. G. / Combès, J., Paris, 1986) : Troisième partie : Aporétique de la notion de l’Un. – L’Un comme Tout (= R. I 45), 67 s. et Conclusions sur l’Un (= R. I 85), 127 s. Cette doctrine distingue aussi trois hypostases différentes, mais elles n’ont pas les « propriétés » des Personnes trinitaires et semblent se ramifier à partir de l’Un indéterminé, comme une Triade intelligible. Néanmoins on y trouve l’idée de la procession : « On pourrait suggérer davantage le premier principe par ce qui demeure, le second par ce qui procède, le troisième par ce qui se convertit ».
30 Cf. Gr. Nyss. diff. ess. (PG 32) 340 C : ἡ τοῦ υἱοῦ ὑπόστασις οἱονεὶ μορϕὴ καὶ πρόσωπον γίνεται τῆς τοῦ πατρὸς ἐπίγνώσεως.
31 Cyr. dial. Trin. 5 (PG 77, 557 D = SC 237, p. 298-299) : « Mais lui, le seul à connaître le Père, connu également par le Père seul, il s’est représenté non pas comme l’image d’une simple volonté non-subsistante pour nous [οὐ ψιλῆς ἡμῖν καὶ ἀνυπάρκτου θελήσεως•εἰκόνα], mais comme l’empreinte de l’hypostase de celui qui l’a engendré ».