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Propositions secondaires niées

Frieda EDELSTEIN

Cluj

Beatrice TATARU

Cluj

1. Dans la littérature spécialisée, la structure non + connectif subordonnant est signalée comme la forme d’expression d’une cause niée. Elle est suivie d’habitude par une deuxième proposition subordonnée qui exprime la cause affirmée : non quod (quo) – sed quod (quia) etc. :

pugiles vero (…) in iactandis caestibus ingemiscunt non quod doleant animove succumbant, sed quia profundenda voce omne corpus intenditur1.

1.1. Chez J. B. Hofmann et A. Szantyr2 la présentation est axée surtout sur la chronologie des connectifs ; concernant le prédicat de la subordonnée causale les deux grammairiens précisent les points suivants : le subjonctif signale une cause hypothétique niée ; l’indicatif apparaît quand est nié un fait conçu comme réel, mais auquel on n’attribue aucun impact sur la réalisation de l’action de la principale ; dans le langage poétique et dans la prose classique on trouve l’indicatif « malgré la règle » même dans des situations où dans la prose classique on utiliserait normalement le subjonctif.

L’absence d’indices sur la position et le statut de l’adverbe négatif, placé obligatoirement à la gauche du connectif, permettrait de le considérer comme se rapportant à la proposition causale, et l’indication concernant la subordonnée qui (après la cause niée) exprime la cause affirmée situerait le rapport adversatif au niveau des deux subordonnées causales.

A. Ernout et F. Thomas signalent aussi la structure avec le prédicat de la causale niée à la forme négative3.

2. On a donc :

I. a) verbe + non + connectif subordonnant + verbe + sed + connectif subordonnant + verbe

b) verbe + non + connectif subordonnant + non + verbe + sed + connectif subordonnant + verbe

Ces structures rendent possible l’interprétation selon laquelle non nie le connectif subordonnant, déterminant le refus de la circonstance causale contenue dans la subordonnée qu’il introduit. L’énoncé compterait donc trois propositions : une principale et deux subordonnées causales en rapport adversatif : l’une niée, l’autre affirmée.

L’interprétation est suggérée par :

2.1. la possibilité de placer au début de l’énoncé, devant les deux subordonnées, le verbe à la forme affirmative qui correspond à la cause affirmée ;

2.2. l’organisation de l’énoncé dans certaines situations – peu fréquentes – à l’aide d’un prédicat régent nié non seulement par rapport à la cause niée mais aussi par rapport à celle qui est affirmée :

maiores nostri in dominum (de servo) quaeri noluerunt, non quin posset verum inveniri sed quia videbatur indignum4.

2.3. le parallèle entre les propositions subordonnées et les parties de la proposition ; comme ces dernières peuvent recevoir une négation, on pourrait accepter, par analogie, une « litote » même au niveau de la phrase.

3. Mais les textes latins attestent aussi des énoncés où la négation est placée partiellement ou intégralement au début de la proposition qui est la principale de la cause niée :

II. non + verbe + connectif subordonnant + verbe + sed + connectif subordonnant + verbe :

non idcirco eorum usum dimiseram, quod iis suscenseam, sed quod eorum me suppudebat5.

A la différence du type I, si l’on supprime dans ces énoncés la cause niée, on modifie radicalement l’énoncé, et la cause affirmée se retrouve dans la position de cause niée : non idcirco usum eorum dimiseram quod eorum me suppudebat.

Dès lors il faut prendre en considération un deuxième terme régent, à savoir dimiseram à la forme affirmative : non idcirco eorum usum dimiseram quod iis suscenseam sed (dimiseram) quod eorum me suppudebat. Ce type d’articulation implique une autre interprétation : il faut admettre l’existence d’une syllepse ou d’une ellipse grammaticale.

A l’appui, nous signalons :

3.1. la possibilité de convertir le type I en type II sans modifier l’information. Par exemple : non ingemiscunt quod doleant sed (ingemiscunt) quia (…) omne corpus intenditur. Il devient donc évident que le rapport de coordination adversative se trouve au niveau des propositions principales (l’opposition affirmatif / négatif), et non pas au niveau des causales.

Toujours à l’appui de cette interprétation nous relevons :

3.2. la possibilité d’intercaler dans la proposition principale même la subordonnée qui contient la cause niée :

nemo enim ipsam voluptatem, quia voluptas sit, aspernatur, (…) sed quia consequuntur magni dolores (…) neque porro quisquam est qui dolorem ipsum, quia dolor sit, amet (…) sed quia nonnumquam eius modi tempora incidunt ut (…) dolore magnam aliquam quaerat voluptatem6.

L’appartenance de la négation à la proposition principale – et non à la subordonnée causale niée – est vérifiée par le rôle intrapropositionnel ; si l’adverbe est remplacé par le pronom nemo, celui-ci fonctionne comme sujet du verbe régent aspernatur.

3.3. Entre l’adverbe de négation à la gauche du connectif qui introduit la subordonnée causale niée (type I) et ce même connectif, on peut intercaler soit un adverbe corrélatif du connectif causal (c’est le cas le plus fréquent), soit un adverbe corrélatif du connectif de la proposition dans laquelle est intercalée la proposition causale affirmée :

Valuit ea legatio non tam quia pacem volebant quam quia nondum parati erant ad bellum7.

Le statut syntaxique de l’adverbe tam comme déterminant du verbe valuit infirme un encadrement de la négation non dans la subordonnée causale car entre les deux propositions régentes il y a un rapport de subordination (valuit (…) non tam quia quam valuit quia…).

3.4. Le prédicat est exprimé dans chacune des principales par l’intermédiaire d’une non-identité du verbe (soit que les deux verbes soient des synonymes soit que leur sens lexical soit proche) :

qui legibus quidem propter metum paret, sed eas sequitur et colit quia id salutare esse maxime iudicat8.

En substituant au complément circonstanciel propter metum la subordonnée correspondante, on obtiendra : qui legibus non quia eas metuat paret, sed quia id salutare maxime esse iudicat. Il faut indiscutablement situer le rapport adversatif entre les deux principales.

3.5. Le prédicat de chacune des deux propositions principales peut être omis par ellipse lexicale :

Non quia perspecta non es mihi cognita fama / sed quod in hac omnis parte timetur amor9.

Le contexte permet de compléter la phrase avec les propositions principales : non dico haec… sed dico haec…

3.6. On ajoutera aussi à ce qui vient d’être dit l’observation, d’ordre logique, qu’en rapport avec une cause niée l’effet aussi est implicitement nié.

4. La position de refus peut également être assumée par le locuteur dans le cas d’autres subordonnées circonstancielles ou non circonstancielles :

4.1. Les propositions subordonnées jouant le rôle de sujet, introduites par une conjonction (le plus souvent ut) :

ex quo efficitur, non ut voluptas ne sit voluptas, sed ut voluptas non sit sumum bonum10.

Ici également le rapport adversatif se place au niveau des propositions principales : ex quo non efficitur ut… sed (efficitur) ut…

4.2. Si le verbe passe à la voix active, les subordonnées assument la fonction de complétives directes : ille efficit non… ut sed (efficit) ut…

4.3. Les propositions qu’un pronom relatif connecte à un antécédent pronom démonstratif et qui ont la fonction d’attributives :

eligamus non eos, qui (…) communes locos volvunt et in privato circulantur, sed (eligamus) eos qui vitam docent11.

4.4. Les subordonnées temporelles :

et grammatici (…) omnes in hanc descendent rerum tenuitatem desintne aliquae nobis necesssariae litterae, non (desint) cum Graeca scribimus sed (…) (desint cum) proprie in Latinis (scribimus)12.

4.5.1. Les subordonnées finales :

felicem esse te iudica (…) cum te parietes tui tegent, non abscondent, quos plerumque circumdatos nobis iudicamus non ut tutius vivamus, sed ut peccemus occultius13.

4.5.2. Avec ut omis dans la deuxième proposition finale :

ad aras / deductast, non ut sollemni more sacrorum / perfecto posset claro comitari Hymenaeo, / sed casta inceste, nubendi tempore in ipso, / hostia concideret mactatu maesta parentis14.

4.6. Les subordonnées circonstancielles consécutives :

ita sapiens se contentus est, non ut velit esse sine amico, sed ut possit15.

4.7.1. Les subordonnées circonstancielles de manière par lesquelles on refuse un degré de conformation associé à un mode de réalisation de l’action de la proposition principale :

ipse in finitima regione Persidis hiematum copias divisit, non ut voluit, sed ut militum cogebat voluntas16.

On a relevé aussi des énoncés où manque la subordonnée qui indiquerait la manière dont se réaliserait l’action de la principale proposée par le locuteur. Dans ces cas, l’énoncé se résume à une recommandation de caractère prohibitif :

emerge ad meliorem vitam propitiis diis, sed non (emerge) sic, quomodo istis propitii sunt17

4.7.2. Les subordonnées circonstancielles de manière qui sont en même temps des comparatives exprimant l’égalité :

quam (…) non ita amo ut sani solent / homines, sed eodem pacto ut insani solent18.

non igitur ille ut plerique, sed isto modo, ut tu, distincte, graviter, ornate (dicebat)19.

La comparaison vise la manière dans laquelle se réalise l’action de la principale, soulignée par eodem pacto respectivement isto modo dans la principale de la subordonnée affirmée, en contraste avec le corrélatif beaucoup moins expressif ita, qui est même omis dans le texte de Cicéron.

4.8. Les subordonnées circonstancielles à la fois comparatives et conditionnelles :

sic gerere nos debemus non tamquam propter corpus vivere debeamus, sed tamquam non possimus sine corpore20.

Avec un corrélatif dans chacune des deux propositions principales et des conjonctions subordonnantes comparatives conditionnelles différentes :

neque enim ita se gessit in his rebus (Verres), tamquam rationem aliquando esset rediturus, sed prorsus ita, quasi (…) reus numquam esset futurus21.

4.9.1. L’identité de la fonction syntaxique des deux subordonnées ayant des principales en rapport adversatif – l’une affirmée, l’autre niée – n’est pas une condition nécessaire. On trouve surtout des situations où la subordonnée de la principale au prédicat nié est causale, tandis que sa correspondante en rapport avec la principale affirmative est une circonstancielle de but :

neque vero nunc ideo disputabo, quod hunc statum rei publicae non magnopere defendendum putem, (…) sed ut doceam22

4.9.2. La subordonnée qui exprime la cause niée est introduite par quod ou quo (surtout chez Cicéron), mais on observe aussi l’occurence des connectifs quin et quia.

Ideo, idcirco, eo sont attestés comme corrélatifs des causales.

La proposition finale est introduite par ut si elle est affirmative, par ne si elle est négative.

4.9.3. Il y a des situations où l’utilisation de quo génère une ambiguïté, car la proposition qu’il introduit peut être interprétée aussi bien comme causale que comme finale :

introducebat etiam Carneades non quo probaret, sed ut opponeret Stoicis summum bonum esse23

hi omnes fere Athenas se contulerant, non quo sequerantur otium, sed ut (…) eo patriam recuperare niterentur24.

5. Conclusions :

(1) L’interprétation fondée sur la syllepse est préférable, au moins dans le cas des énoncés où il y a une opposition verbe affirmatif / verbe négatif. Les énoncés contenant des corrélatifs ou des antécédents de pronoms relatifs et ceux où sont exprimés les prédicats des deux principales prouvent que le rapport adversatif se situe au niveau des deux propositions principales et non entre les deux subordonnées.

(2) Les grammaires ne traitent la question des propositions secondaires niées qu’en connexion avec les subordonnées causales, mais elle a en réalité une extension beaucoup plus large, car le phénomène inclut non seulement les subordonnées non circonstancielles (subjectives, complétives, attributives), mais aussi les nombreuses subordonnées circonstancielles (temporelles, finales, consécutives, modales simples, modales comparatives, comparatives conditionnelles).

(3) Même si pour tous les cas où il n’y a qu’une seule principale exprimée l’on admet l’interprétation selon laquelle l’adverbe de négation situé à gauche du connectif subordonnant se réfère à celui-ci, les propositions causales avec non quod, non quia etc. ne peuvent pas être considérées comme causales négatives tant que leur prédicat n’est pas à la forme négative, tout comme ne sont pas non plus considérées comme telles les propositions dans lesquelles la négation se réfère à l’une des parties de la proposition autre que le prédicat. Dans cette hypothèse, on pourrait parler tout au plus de propositions exprimant une cause niée qui implique systématiquement l’existence d’une cause affirmée, exprimée ou non.

Bibliographie

Ernout, A. / Thomas, Fr. (19642) – Syntaxe latine, Paris.

Hofmann, J.B. / Szantyr A. (19652) – Lateinische Syntax und Stilistik, München.

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1 Cic. Tusc. 2,56,6.

2 Hofmann / Szantyr 19652, 588.

3 Ernout / Thomas 19642, 349.

4 Cic. Mil. 59,9.

5 Cic. Fam. 9,1,2.

6 Cic. Fin. 1,32,5.

7 Liv. Auc. 8,19,3.

8 Cic. Parad. 5,34,6.

9 Prop. Eleg. 1,11,17-18.

10 Cic. Fin. 2,24,1.

11 Sen. Epist. 52,8,3.

12 Quint. Inst. 1,4,7.

13 Sen. Epist. 43,3,5.

14 Lucr. 1,96-99.

15 Sen. Epist. 9,5,2.

16 Nep. Vit. Eum. 8,1,3.

17 Sen. Epist. 22,12,4.

18 Plt. Merc .262-263.

19 Cic. N.D. 1,59,6.

20 Sen. Epist. 14,2.2.

21 Cic. Verr. 2,4,49.

22 Cic. Agr. 3,4,5.

23 Cic. Luc. 131,13.

24 Nep. Vit. Pel. 2,1,1.