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Le nom d’Ulysse

André SAUGE

Genève

Le récit de l’Odyssée est une broderie complexe où s’entretissent divers motifs. Le nom Ὀδυσσεύς est l’un de ces motifs1. Dans le cadre de cette étude, nous centrerons notre attention sur l’épisode où l’aède raconte l’origine du nom de son personnage. J’en dégagerai les indices qui laissent entrevoir que le poète de l’Odyssée a lui-même donné à son personnage le nom « Ὀδυσσεύς ».

Parmi les âmes qui viennent du monde des morts, il y a (Od. 11.85) Aὐτολύκου θυγάτηρ μεγαλήτορος Ἀντίκλεια « Anticléia2, la fille d’Autolykos audacieux ». Avec le nom de la mère rime celui de la nourrice, Eurycléia. Ce dernier est motivé par un épisode de l’Odyssée, raconté au chant 19 : alors que la vieille nourrice s’apprête à laver les jambes du mendiant, sous le masque de qui, l’auditeur ou le lecteur le savent, se cache Ulysse revenu, elle reconnaît une blessure ancienne de son maître ; elle est près de se récrier ; Ulysse contient son cri (Od. 19.466-490). Euryclée, suggérons-le d’emblée, est « celle qui est retenue / se retient de dire le nom » (d’appeler).

Je rattache le premier membre du composé, non à εὐρύς « vaste », mais au thème *wru-, avec prothèse, *ewru-, de ἔρυμαι (« protéger, garder de »), sur lequel paraît également formé un nom comme « Eurypyle », par exemple. Mühlestein (1969, 79-81) met le nom de la nourrice en rapport avec le thème de l’obéissance. Extraire le sens de « se faire obéir » de la base *κλε -)- (« faire entendre »), cela me paraît passablement tiré par les cheveux. Certes, Euryclée est Ὦπος θυγάτηρ Πεισηνορίδαο, relève-t-il. L’auteur considère que les noms de ses ascendants confirment le sens qu’il prête à celui de la nourrice. De façon fort ingénieuse, il dérive Ὧψ (en raison de l’accent) de Ἅ-οπ-, « mit Stimme versehen ». Or le préfixe peut avoir une valeur négative. Ainsi peut-on entendre qu’Eurycléia est fille de « Sans voix », lui-même fils de « Obéit au guerrier ». Elle est née d’une manipulation narrative nécessaire à l’aède pour attirer l’attention de l’auditeur sur l’importance du nom de son personnage. Ulysse, déguisé en mendiant, n’a-t-il pas lui-même manœuvré pour que ce soit la vieille nourrice qui le lave ? Ne soupçonnait-il pas qu’elle le reconnaîtrait ? Il a suscité le surgissement et le refoulement de son nom3. La demande du mendiant est l’occasion qui permet à l’aède de produire le nom comme μῦθος, comme « message silencieux », comme un pur signifié improféré à destination d’un auditeur à qui la mise en scène donne le statut d’initié (de voyant du sens). Cette écoute visionnaire est représentée, à l’intérieur du texte, par la mise en scène de Pénélope dont Athéna détourne l’attention en la mettant dans un état second, en quelque sorte en faisant d’elle le milieu réfléchissant, le miroir d’une opération silencieuse.

Les noms de la servante et de ses pères sont « engendrés » par un épisode narratif et, par là, ils laissent entendre la fonction que l’aède confère à cet épisode ; le poète attire l’attention de l’auditeur sur l’importance d’une opération qu’il évoque dans ce contexte, la dation du nom. Deux opérations s’emboîtent en quelque sorte l’une dans l’autre : ce qui est donné en plein (la nomination) s’emboîte dans ce qui est donné en creux (le nom est retenu). Selon l’ordre des séquences narratives, un nom est d’abord « refoulé » avant d’être ensuite « donné » : l’opération est construite comme celle d’un changement de nom. Elle est analogue à ce qui se passe, d’abord auprès de Polyphème – alors Ulysse y refoulait son nom « propre » sous l’appellation de « quiconque », puis il déclarait son nom –, ensuite chez les Phéaciens : Ulysse longuement tait son identité avant de déclarer son nom à la demande expresse d’Alkinoos. Ainsi peut-on affirmer que le nom Ὀδυσσεύς est un propos explicite dans le récit du retour d’Ulysse.

Un épisode de l’Odyssée4 est un commentaire du signifiant « Eury-clée » ; il y a de fortes chances que le nom du personnage ait été créé pour ce récit et à partir de lui. La particularité du nom de la mère et le fait qu’il rime avec celui de la nourrice invitent à une hypothèse analogue.

Au moment où Euryclée reconnaît Ulysse à une cicatrice, l’aède interrompt le récit pour évoquer le contexte dans lequel le fils d’Anticlée s’est blessé. Le récit de la blessure est aussitôt différé ; l’aède superpose, en vérité, deux inscriptions, celle de la blessure par la défense d’un sanglier (une dent) et celle du nom que, à la demande de la mère Anticléia5, Autolykos, le grand-père maternel, donne à son petit-fils à sa naissance (Od. 19.406-409) : « Vous établirez pour lui le nom que je vais vous dire, quel qu’il soit. Me voici réfugié en ce lieu, moi qui en ai poursuivi beaucoup de ma haine6 (ὀδυσσάμενος), hommes et femmes, sur la terre nourricière. Que Ὀδυσσεύς lui serve de nom… »

A l’origine, il y a donc une demande de la mère. Au lieu que le futur seigneur d’Ithaque reçoive, en relation patrilinéaire, de son père, le nom de son grand-père, c’est le grand-père maternel qui le lui donne. Le nom donné évoque par métonymie quelque chose qui revient en propre au donateur : le grand-père, qui a amplement motivé la haine de ceux qu’il a trompés investit son petit-fils de la mission de « poursuivre de sa haine ». « Ὀδυσσεύς » nous est donc donné, par une double opération métonymique, comme un substitut du nom propre « Αὐτόλυκος », que l’on peut interpréter : « Celui qui porte proprement le nom ’Loup’ (λύκος), c’est lui (αὐτός)7. » Dit autrement : « ce n’est pas l’autre », le petit-fils. Sur ce dernier est déplacée une qualification du grand-père (« il poursuit de sa haine ») ; le déplacement par l’imposition du nom refoule à l’arrière-plan et rejette sur le grand-père un nom embarrassant (source de haine, justement). Le thème de la poursuite agressive masque et démasque le loup. Il restera au porteur de la haine de la retourner contre les faiseurs de haine, de faire du poursuivi le poursuivant de ceux qui, eux, poursuivent une femme de leurs assiduités dévorantes.

En faisant jouer « son »8 rôle à Autolykos, l’aède fait de la dation du nom « Ὀδυσσεύς » le déplacement d’un nom, qui convient proprement au grand-père, sur le petit-fils. Ce déplacement a pour effet de mettre à nu le nom du grand-père et de nier que ce nom mis à nu soit approprié au petitfils (« Loup, c’est lui », et non l’autre). Le grand-père procède à un changement de nom par une métonymie. Ce faisant, il prend sur lui le nom de l’autre.

Les inscriptions sur les vases attestent, dans l’état actuel de nos connaissances, un nom d’Ulysse, plus ancien que Ὀδυσσβύς, formé sur OLU- / OLI- La vocalisation – ou la graphie –  / o / de / w / est un phénomène que laisse soupçonner un nom propre comme celui de Oἰλεύς9. Rien n’interdit de rattacher Ὀλυ-ττ-εύς à une racine10 *wl-kj-, devenant Ὀλυ-ττ- / Ὀλυ-σσ- par vocalisation de / w / et syllabation de / l / vocalique analogue à celle de λύκος. Le nom que le poète de l’Odyssée a refoulé par simple substitution d’un phonème à un autre ( / d / à / l / ) et qui lui permettait, à la fois, de représenter le personnage sous un jour, d’abord ambivalent, puis positif et de l’enrichir de qualités nouvelles, rattacherait la figure primitive d’Ulysse au monde complexe des « loups », soit des « bandes de guerriers », des bandes que forment les jeunes aristocrates à l’âge de l’initiation, soit de l’« outlaw », du loup expulsé de la meute, en quête d’une nouvelle meute qu’il dirigera. En tant que tel, « Ulysse » désignait le chef de la meute qui conduit l’attaque et agite le troupeau, resserré sur lui-même, d’un mouvement panique. Il fait et défait l’assemblée. Seul, il surgit du dehors à l’improviste et provoque l’effondrement de l’organisation de la meute. La fable aristocratique en a fait la figure du tyran ; Solon se l’est appropriée pour dénoncer dans l’aristocratie un comportement tyrannique sous des apparences civilisées (la « meute de chiens »).

Sur les vases, entre 600 et 540, le loup s’avance encore sans masque. Tous les éléments ne convergent-ils pas vers la naissance de Ὀδυσσεύς aux alentours des années 540 ? D’une mère à double titre « Anti-cléia » : elle est l’occasion d’un « changement d’appellation » et d’une « inversion (de sens) d’une appellation ». Mère non d’Ulysse, mais de « Odyssée ».

En suggérant que l’aède de l’Odyssée a procédé délibérément à la substitution d’un nom à un autre, je laisse entendre que je ne retiens pas l’explication selon laquelle Ὀδυσσεύς est une forme ionienne, tandis que le nom Ὀλυτεύς vel similia, qui identifie le personnage sur les vases, est d’origine continentale. Autrement dit, je ne crois pas que Ὀδυσσεύς est formé à partir d’une racine orientale d’où serait issu l’étrusque Utuse11. Il importe peu, d’ailleurs, de le croire ou de ne pas le croire : on ne peut s’appuyer sur le nom étrusque d’Ulysse (de la forme Utu-) pour expliquer la figure Odu- de l’Odyssée et la rattacher à une origine ionienne orientale ; les inscriptions étrusques sont postérieures au Ve siècle ; l’émigration étrusque depuis l’Asie Mineure relève de la légende plus que de l’histoire.

Wachter (2001, 267) considère que la forme Ὀδυσσεύς ne peut pas être une invention du poète de l’Odyssée, parce que le sens du nom ne convient pas particulièrement au personnage du récit. Or un personnage peut porter un nom qui ne le qualifie pas lui-même, mais l’un de ses proches. Tel est justement le cas du fils d’Ulysse, Télémaque. Ainsi le rapprochement entre Ὀδυσσεύς et ὀδύσσασθαι ne sert-il pas à définir un trait de caractère du héros lui-même (Ulysse n’est ni « haineux », ni « odieux »), mais le comportement du dieu qui le poursuit de sa « haine ». Il reste que la poursuite des prétendants est un thème suffisamment important du récit pour motiver également le nom Ὀδυσσεύς. Je ne puis, dans le cadre de cet article, examiner les autres jeux sur le signifiant auquel le nom est soumis dans l’ensemble de l’Odyssée.

Sur les vases, le nom le plus ancien est celui qui comporte un λ. Ὀδυσσεύς y est la forme la plus récente. A la question que je lui posais à ce sujet – quel vase porte l’inscription ΟΔΥΣ- la plus ancienne ? – voici ce que me répondait M. Descœudres, de l’université de Genève : « Quant à votre […] question, je ne peux pas y répondre : je croyais, me fiant à Lorber, que l’inscription ODYSEUS la plus ancienne était celle du cratère Astarita à Naples (Amyx, Corinthian Vase-Painting no. 74), du 2e quart du VIe siècle, mais en réalité l’inscription dit bien, comme le font du reste toutes les inscriptions corinthiennes, OLISEUS. Selon Wüst, dans la RE XVII, aucune inscription attique avec cette version ne semble prédater le Ve […]. Quant aux vases non-attiques, c’est à un psykter chalcidien, donc fabriqué à Rhegium, qui se trouve aujourd’hui à Melbourne, que revient l’honneur de porter ce qui pourrait être la plus ancienne mention d’ODYSEUS. Il date d’environ 540 / 30 av. J.-C12. »

Me reprochera-t-on de me taire sur la « première » attestation du nom Ὀδυσσεύς, la dédicace des trépieds des IXe-VIIIe siècles av. J.-C., découverts à Ithaque même, ou de me contenter de guillemets en guise de réfutation ? Quant à la confusion possible entre λ et δ dans les graphies, il serait possible de la retenir si l’on constatait que les deux lettres sont indifféremment utilisées dans les inscriptions primitives de vases, dans la période allant de 600 à 540. Or ce n’est pas le cas : seul Λ est employé, quelle que soit la provenance (corinthienne, attique, chalcidienne, etc.) du vase. Les deux écritures Λ / Δ n’apparaissent ensemble qu’à la fin du VIe siècle ; l’écriture avec Λ disparaît dans la seconde moitié du Ve siècle en Attique.

Palmer (1980, 36) défend l’origine mycénienne du personnage en rattachant le nom Ὀδυσσεύς à une racine indo-européenne (*duk-j-), d’où il déduit le sens de « celui qui mène à l’assaut » (si je ne m’abuse, Curtius proposait la même étymologie du radical). L’explication est plausible. Pourquoi ce nom n’est-il pas attesté dans les inscriptions avant 540-530 ? Telle est la question. Si l’Odyssée était une épopée ionienne composée au VIIIe siècle, voire écrite à ce moment-là comme le pensent certains, il me paraît difficile d’expliquer – je parle par euphémisme – comment ce nom ne s’est pas imposé d’emblée pour se substituer à un autre, chargé de valeur négative.

Au fond, on raisonne à partir d’un présupposé que l’on n’examine pas : l’Odyssée est un récit du VIIIe siècle. Examiner un présupposé, c’est enquêter sur les raisons que l’on a de l’admettre. J’ai beau y réfléchir : je ne vois aucune raison probante d’admettre que l’Iliade et l’Odyssée aient pu être composées au VIIIe siècle. Il n’y a là rien de plus qu’un objet de croyance. Il est difficile de combattre une croyance : avec elle, c’est le monde du sujet qui s’écroule. J’oserai ajouter ceci : si philosopher c’est apprendre à mourir, c’est que philosopher c’est apprendre à se défaire de toute croyance. Pardon d’inviter des savants à se faire un peu philosophes, pas trop, juste assez pour y gagner une pointe d’humour. Je ne tiens pas du tout à ressembler à Solon et ὡς ἐν κυσὶν πολλῆισιν ἐστρά[ϕθαι] λύκος.

Bibliographie

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Brommer, F. (1982 / 3) – « Zur Schreibweise des Namens Odysseus », Zeitschrift fur vergleichende Sprachforschung 96, 88-92.

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Wachter, R. (2001) – Non-Attic Greek Vase Inscriptions, Oxford.

Wüst, E. (1937) – s.n. « Odysseus », RE XVII, 1905 sqq.

Ziegler, K (1962) – « Odysseus, Utuse, Utis », Gymnasium 69, 396-398.

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1 Le nom d’Ulysse a suscité une littérature abondante ; parmi les études se distingue, à mon sens, celle de N. Austin (1972).

2 Stanford (1974, 12) : « […] the name could be understood as meaning ’Counter-fame’ or ’She whose the reputation is hostile. » La surdétermination des significations d’un nom propre n’est pas à exclure. Je proposerai une autre lecture d’Anticléia.

3 Austin (1972, 17) attire notre attention sur le parallélisme entre la scène où Alkinoos (fin du chant 8) demande à son hôte de dire enfin son nom et la scène du bain : dans les deux cas, c’est Ulysse qui a manœuvré pour se démasquer. Il en est comme si le parcours initiatique du héros avait été celui de l’apprentissage de la maîtrise dans l’énonciation de son nom.

4 En voir un indice dans la description (Od. 19.481) de la façon dont Ulysse empêche Euryclée de parler, notamment l’emploi du verbe ἐρύομαι (tirer à soi pour tenir sous sa garde, retenir et contenir).

5 Je retiens la lecture, fût-elle unique dans les manuscrits, Ἀητίκλεια et non Ἐυρύκλεια. D’abord, il n’y a pas de raison que ce soit la servante qui demande au grand-père de donner un nom à son petit-fils à sa naissance ; ensuite, en réponse à la demande qui lui est faite, Autolykos s’adresse à son gendre et à sa fille (vers 406) ; enfin, la justification de la demande (404 : πολυάρητος δέ τοι ἐστι : c’est que [cet enfant] est pour toi objet de nombreuses prières) ne peut guère émaner que de la mère. Anticléia propose à Autolykos de donner à l’enfant le nom qu’il aurait donné à son enfant (ϕίλῳ παιδί) issu de son fils (παιδός). Autolykos aurait souhaité pour lui un fils et non une fille. La mère suggère à son père d’appeler l’enfant Ἀρητός ; le grand-père use de l’occasion qui lui est donnée pour se décharger sur l’enfant d’une malédiction qui pèse sur lui ; il croit faire une bonne opération : il se démasque ; « Le loup, c’est lui ! » Autolykos est un spécialiste de l’usage des serments à son profit ; il a l’art des formules qui « coincent » ses adversaires et qui lui permettent de s’approprier leurs biens sans qu’ils puissent protester. La dation d’un nom est analogue à la prestation de serment. Anticléia la première, avant Pénélope, s’appuie sur la puissance du rusé pour la retourner contre lui et le tenir à son nom « propre ».

6 Si l’hypothèse de Schulze (cité in Chantraine, DELG, s. v. ὀδύσ[σ]ασθαι) est correcte, selon laquelle οὐδύεται, interprété ἐρίζει dans le lexique d’Hesychius, est un allongement métrique pour ὀδύεται, l’individu ὀδυσσάμεηος serait l’individu « objet / source de dispute universelle », objet en tant qu’il en est la source. [Pour les ambiguïtés du sens du moyen, et de manière générale, pour les ambiguïtés qui affectent la figure d’Ulysse exprimée à travers ses noms, voir Peradotto (1990, 120-142)]. Avec Ulysse se met en place un nouvel ordre social, après élimination des vrais perturbateurs démasqués, dévoreurs parasitaires des biens des autres, querelleurs insatiables, les membres de l’aristocratie guerrière. Au fond, savons-nous bien ce que « haïr » signifiait dans les civilisations anciennes et n’avons-nous pas tort d’y voir une question de sentiment ? Est-il en effet impossible que « manger » (*ed-) et « haïr » (*od-) aient une racine linguistique, et organique, commune (la dent) ? La haine ne serait-elle pas d’abord un comportement, celui selon lequel les hommes « se déchirent » ou « se dévorent entre eux » ?

7 Voir, dans ce sens, Philippson (1947, 8-22).

8 Pardon pour ce déterminant πολύτροπος !

9 Oἰλεύς s’explique par formation sur εἰλέω, soit au sens de « rassembler » (« Le rassembleur »), soit au sens de l’agresseur qui fait que des individus, dans un troupeau, se resserrent les uns contre les autres, tout en étant emportés dans un mouvement tourbillonnaire. Les deux entrées que distingue Chantraine (εἰλέω 1 : « rassembler » ; εἰλέω 2 : « faire rouler ») appartiennent à une même racine (*wḷ- / *wel), à laquelle pourrait bien appartenir le nom du « loup » (Wolf, λύκος, lupus, etc.). Il est quelques indices certains, dans l’épopée, qui invitent à faire l’hypothèse que / o / peut être une transcription de / w / . Je ne puis, ici, m’étendre sur ce sujet.

10 Pour une analyse de la racine, voir Bader (1995, 85-145). L’auteur fait l’hypothèse qu’à la racine se rattache le sens de « arracher » (cf. ἑλεῖη en grec) ; le loup appartiendrait à l’ensemble des animaux « razzieurs ».

Ni les langues germaniques, ni le grec n’obligent à faire l’hypothèse d’une racine à laryngale, du moins pour le nom du « loup ». Les diverses figures attestées par les langues (wol-f ; lu-p- ; lu-k-et, si l’on veut bien en accepter l’hypothèse, olu-) peuvent s’expliquer comme une transformation de la suite / w /  + l vocalique, soit par syllabation de la liquide (wol- / var-), chute de / w / et coloration compensatoire de la liquide en / u / (lu-), vocalisation de / w / et coloration de la liquide ou dissimilation vocalique (olu-).

11 Voir Wüst (1937, 1909) ; Ziegler (1962).

12 Voir également Wachter R. (2001, 267) s’appuyant sur l’article de Brommer (19821983, 88-92) ainsi que F. Brommer (1983, 18). Brommer (1982, 92) conclut : « Die aufgezählten 52 Namensbeischriften zeigen ganz eindeutig, dass die Namensform mit Lambda die ältere ist. Vor 540 und in Attika erst vor 480 v. Chr. kommt keine andere vor. Nach 440 gibt es nur noch die Namensform mit Delta. Höchstens [ein] Böotische[r] Skyphos ist noch später entstanden. »