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« Oppositions et jeux phoniques : le sens et le son dans les Hymnes orphiques »

Anne-France MORAND

Lausanne et Victoria (Canada)

Je remercie Emmanuelle Métry, Hervé Genoud et Jean-Luc Vix qui ont relu mon texte et l’ont fait profiter de critiques fort utiles.

Trop influencés par la lecture silencieuse, nous passons à côté de jeux sonores présents dans les textes anciens. Dans cet article, je me propose d’explorer les jeux phoniques, certaines figures de style liées à ces jeux et les sens qui en dérivent. L’absence de lien entre le son et le sens nous semble si banale qu’il est difficile, dans notre ère postsaussurienne, d’envisager sérieusement le lien essentiel qui les unissait dans la conception antique. J’ai choisi de ne pas me limiter à des figures rhétoriques restreintes et de me référer aux notions de jeux sonores et d’harmonie phonique « qui comprend toute chose comme allitération, rime, assonance, etc. »1. Cette définition a l’avantage de ne pas nous enfermer dans une catégorie trop étroite.

Un point a retenu mon attention : le lien entre les oppositions, figures polaires et oxymores, et les rapprochements de sons, car ces figures littéraires sont particulièrement importantes dans un texte en apparence dépouillé, les Hymnes orphiques. La combinaison d’une opposition et d’un jeu sur le son ne constitue qu’une partie d’un ensemble plus vaste que nous aborderons de manière globale, de manière à éclairer les rapports entre les oxymores et les croyances du groupe des Hymnes orphiques. Avant d’aborder le sens des oppositions dans des cas concrets, voyons s’il est possible de les définir plus précisément. L’« expression polaire », que Lausberg range au nombre des énumérations2, est définie de la manière suivante par Macleod :

’neither xnor y’, or ’both x and y’ – y being the opposite of x – where the relevant notion is only either x or y3.

Les oppositions contenues dans les Hymnes orphiques servent parfois à exprimer un sentiment de plénitude divine, mais dans d’autres cas, l’opposition est plus forte et le terme d’oxymore semble mieux convenir. Lausberg définit cette figure comme la jonction syntaxique de termes opposés en une unité qui acquiert ainsi une forte tension contradictoire4 ; Büchner, comme l’union complète de contradictions exclusives5. Puisque la définition de l’oxymore est relativement tardive6, il nous appartient de déterminer la nature et le caractère des oppositions dans le cadre des Hymnes orphiques.

Ces derniers, qui comportent quatre-vingt-sept hymnes hexamétriques courts, introduits par un prologue, ont recueilli les critiques les plus vives quant à leur style et à leur contenu.

[The] collection of Orphic hymns cited in the Derveni papyrus… cannot be identified with the eighty-seven hymns that have come down to us in company with the hymns of Homer, Callimachus, and Proclus, for these were composed somewhere in western Asia Minor. They form a single collection, bound together by homogeneity of style and technique, and probably composed by a single author. They were used by members of a private cult society who met at night in a house and prayed to all the gods they could think of, to the light of torches and the fragrances of eight varieties of incense. Occasionally their ceremonial activity went as far as a libation of milk. We get a picture of cheerful and inexpensive dabbling in religion by a literary-minded burgher and his friends, perhaps in the second or third century of our era7.

Il n’est pourtant pas surprenant de trouver peu d’effets poétiques dans ces vers car il s’agit de textes rituels qui, par nature, ne sont pas narratifs, mais il semble d’autant plus nécessaire de prendre en compte le peu d’indices sur les liens qui unissent les mots.

Dans une première partie, je fournirai des exemples de jeux sonores, de rapprochements de mots par le biais du son et du mètre et enfin d’oppositions fondées sur des mots aux sonorités semblables, de manière à donner quelques parallèles tirés de la tradition dans laquelle les Hymnes orphiques s’inscrivent. Puis, dans une deuxième partie, je me concentrerai sur les Hymnes orphiques : le recours à des sons semblables pour rapprocher des entités divines, les jeux d’oppositions liés aux croyances du groupe qui utilisa ce texte et enfin les cas un peu particuliers où l’opposition est exprimée par des mots de sonorités semblables.

Dans la littérature grecque, les jeux phoniques abondent. Pindare commence la première Olympique avec les sons a / i / o / e / u / ô, ἄριστον μὲν ὕδωρ8. La succession de toutes les voyelles provoque le sentiment plaisant d’une harmonie phonique que l’absence de la lettre êta ne saurait gâter. L’origine exacte de ce sentiment peut d’ailleurs échapper à l’auditeur ou au lecteur. Ce type d’effet a bien entendu plus de chance d’être perçu lorsque les textes sont lus à voix haute et à plusieurs reprises.

La succession des voyelles a, par ailleurs, une valeur religieuse, de même que la succession des lettres de l’alphabet9. Les Papyrus magiques, pour ne prendre qu’un exemple, comportent de nombreux jeux phoniques fondés sur les voyelles :

α εε ηηη | ιιιι οοοοο υυυυυυ ωωωωωωω Σεμεσιλάμμψ | αεηιουω10

Dans ces lignes, les voyelles sont en outre disposées en un jeu numérique.

Deux mots, aux sons similaires, placés dans la même position métrique, peuvent ainsi être rapprochés. L’Hymne homérique à Déméter débute ainsi :

Δήμητρ’ ἠΰκομον σεμνὴν θεὰν ἄρχομ’ ἀείδειν,

αὐτὴν ἠδὲ θύγατρα τανύσϕυρον ἣν Ἀϊδωνεὺς

ἥρπαξεν, δῶκεν δὲ βαρύκτυπος εὐρυόπα Zεύς11.

Les deux adjectifs mis en parallèle comprennent les sons a / u / u / o. Comme souvent dans ce genre de jeux phoniques, le rapprochement des mots n’est pas isolé mais fait partie d’un ensemble de répétitions de sons : dans ce cas, les vers se terminent en outre par une rime en -eus. Le sentiment d’harmonie phonique, que l’auditeur perçoit, provient de divers éléments : la métrique très semblable des deux vers, la position des mots rapprochés juste après la césure, la place de l’accent, la rime, la succession des voyelles.

Le rapprochement de mots par le biais de sons similaires sert aussi à mettre en évidence une opposition de sens : au chant V de l’Odyssée, Athéna adresse un discours animé à son père :

Zεῦ πάτερ ἠδ’ ἄλλοι μάκαρες θεοὶ αἰὲν ἐόντες

μή τις ἒτι πρόϕρων ἀγανὸς καὶ ἤπιος ἔστω

σκηπτοῦχος βασιλεύς, μηδὲ ϕρεσὶν αἴσιμα εἰδώς,

ἀλλ’ αἰεὶ χαλεπός τ’ εἴη καὶ αἴσυλα ῥέζοι12

A nouveau, le rythme caractéristique du vers, la place des mots, juste après la coupe bucolique et les sons mettent en évidence le rapprochement des deux mots. Le poète ne cherche cependant pas simplement à flatter l’oreille, mais il les unit pour mieux les opposer en une sorte d’expression polaire.

Une étymologie associée au nom de Ménélas joue sur la ressemblance des sons et l’opposition entre ténèbres et lumière :

ὡς Mενέλαος οὔ-

πω μελαμϕας οἴχεται

δι’ ἔρεβος…13

Ce genre d’oxymore, exprimé par des sons semblables, convient bien à l’atmosphère oraculaire de ce passage choral.

Les effets sonores et les oppositions dans les Hymnes orphiques ont peu intéressé la critique. Avant d’aborder les exemples concrets, un certain nombre de remarques sur le genre de ces hymnes s’imposent. La forme choisie pour ces prières trouve des explications chez les auteurs antiques. Lorsqu’il mentionne les hymnes d’Orphée, Pausanias met en évidence deux aspects : ils sont d’une grande beauté et ils sont courts14. Leur brièveté les distingue nettement des Hymnes homériques par exemple15.

[Le développement des Hymnes] est formé d’épithètes, de participiales ou de courtes relatives. Il n’y a là aucune place pour un récit ; en bref, les hymnes orphiques ne sont pas narratifs ; il ne faut donc y chercher l’exposé d’aucun mythe16.

Les Hymnes orphiques sont courts, ne présentent pas à la divinité le récit d’un mythe et adoptent un style haché qui fait songer à la congerie, συναθροιμός, une figure impliquant la juxtaposition et le lien entre les différents termes17. Les mots ne se succèdent en effet pas dans le désordre mais conformément à la logique du rituel et du mythe18. Le lien entre les différents mots n’est pas évident, mais la métrique, en particulier les limites que déterminent les césures, les jeux phoniques, dont le but est de rapprocher et d’opposer certains mots, sont autant d’indices sur le sens du texte. Dans les Hymnes orphiques, le rapprochement de sons sert parfois à mettre en évidence l’unité ontologique des mots. L’hymne à Physis rapproche les mots δαίμων « divinité » et δαήμων « savant » :

πολύκτιτε δαῖμον

πολύμικτε, δαῆμον

πολύκτιτε, † ποντία δαῖμον19 (à Physis)

L’essence véritable des dieux se manifeste dans leurs noms. Ainsi, l’adjectif ἀερόμορϕος, « qui a la forme de l’air », désignant Héra et Rhéa, les rapproche de cet élément20. Platon note dans le Cratyle, à propos du rapprochement entre le nom d’Héra et l’air, qu’il y a une inversion, θεὶς τὴν ἀρχὴν ἐπὶ τελευτήν, et que la déesse est nommée de manière cachée, ὠνόμασεν ἐπικρυπτόμενoς21.

Les Hymnes orphiques fournissent fréquemment des étymologies de noms divins. Un des noms de Protogonos est expliqué par la notion de lumière :

λαμπρὸν ἄγων ϕάος άγνόν, ἀϕ’ οὗ σε Φάνητα κικλήσκω22

(à Protogonos)

Le rapprochement de Phanès et de la lumière est de plus souligné par l’inversion du son dans la préposition ἀϕ’.

A l’inverse, nos textes opposent des notions. Nous aborderons de manière systématique les oxymores – qu’ils comportent un jeu sonore ou non – en rapport avec les principales croyances du groupe. Dans ces textes, la forme la plus concise d’oxymore figure dans certains adjectifs composés. Par exemple, l’hymne à la Nuit présente cette divinité de manière originale. Quand il est question de la Nuit dans d’autres hymnes, elle est qualifiée de « sombre », « brumeuse » ou tout simplement « noire »23. En revanche, dans l’hymne qui lui est consacré, la Nuit se présente comme une lumière qui se détache de l’obscurité. Cette manière de la caractériser est liée aux rituels nocturnes du groupe religieux comme l’indique notamment l’offrande d’une torche dans le titre de cet hymne24. Le recours à des adjectifs comportant une forte opposition entre l’obscurité et la lumière est en harmonie avec cette image :

κυαναυγής

† νυχαυγής

νυχαυγεῖς25 (à la Nuit)

L’épithète νυχαυγής « brillante dans la nuit » qualifie également Mélinoé, une divinité des ténèbres apparemment fille de l’union incestueuse de Zeus et de Perséphone. Le mot νυχαυγής se présente comme le dénouement de l’opposition entre les aspects visibles et les aspects ténébreux de la déesse.

ἄλλoτε μὲν προϕανής, ποτὲ δὲ σκoτóεσσα, νυχαυγής26

Mais l’opposition n’est pas entièrement réduite puisqu’elle persiste dans la notion de « brillante dans la nuit » : elle est simplement exprimée de manière succincte.

De manière plus banale, la plénitude divine est mise en évidence par des jeux d’oppositions :

Ἀργήν τ’ ἠδὲ Πέας – τὸ γὰρ ἔπλετο πᾶσι μέγιστον -27 (pr.)

πpεσßυγενεθλ’, ἀργή πάντων πάντων τε τελευτή28 (à Ouranos)

παντoγένεθλ’, ἀργὴ πάντων πάντων τε τελευτή29 (à Zeus)

πυθμὴν μὲν πόντου, γαίης πέρας, ἀργὴ ἁπάντων30 (à Nérée)

ἔχεις δέ τε πείρατα κόσμου

παντός σοὶ δ’ ἀρνή τε τελευτή τ’ ἐστὶ μέλουσα31 (à Apollon)

τέρμα ϕίλον γαίής, ἀρχὴ πόλου32 (à Océan)

Dans l’hymne à Ouranos et dans l’hymne à Zeus, l’opposition entre le début et la fin est séparée par la répétition des mots πάντων et τε qui attirent l’attention et, comme les oppositions fondées sur des termes de même racine, donnent une impression de rapprochement dans la contradiction.

L’opposition entre la mortalité et l’immortalité est illustrée à quelques reprises par la juxtaposition de mots allitératifs. Dans l’hymne à Mère Antaia, les mots θεὸν θνητῆς se suivent juste après la césure :

Εὔβούλον τεύξασα θεὸν θνητῆς ἀπ’ ἀνάγκης33 (à Mère Antaia)

Ce jeu sur les sons et sur l’opposition des sens apparaît dans un vers qui décrit le passage d’Euboulos de l’état d’humain à celui de dieu34. Cette figure rhétorique convient donc bien au contexte.

Nous ne sommes pas surpris de rencontrer l’opposition entre la mortalité et l’immortalité dans les hymnes à Pluton et à Perséphone :

ἕδρανον ἀθανάτων, θνητῶν στήριγμα κραταιόν35 (à Pluton)

ζωὴ καὶ θάνατος μούνη θνητοῖς πολυμόχθοις36 (à Perséphone)

Certains traits de la cosmogonie orphique sont particulièrement bien exprimés par des oxymores, comme le caractère à la fois masculin et féminin de certains dieux :

θῆλύς τε καὶ ἄρσην37 (à Séléné)

πάντων μὲν σὺ πατήρ, μήτηρ, τροϕὸς ἠδε τιθηνός38 (à Physis)

ἄρσην μὲν καὶ θῆλυς ἔϕυς39 (à Athéna)

ἄρσενα καὶ θῆλύν. διϕυῆ40 (à Misé)

Ces exemples ne recourent pas à une racine ou à un son communs. Le dernier exemple comporte cependant un trait original : l’oxymore aboutit à une résolution : les caractères féminin et masculin sont définis par le terme de « nature double », διϕυῆ, qui se réfère à l’androgynie de Misé. Le terme διϕυῆ qualifie d’ailleurs aussi Protogonos-Phanès, cet être sorti de l’œuf de vent41.

Un autre exemple de résolution d’une opposition se trouve dans un hymne à Dionysos qui rapproche ce dieu de Protogonos-Phanès et commence de la manière suivante : Πρωτόγονον, διϕυῆ42. L’opposition entre les chiffres un et deux se poursuit avec le chiffre trois : Πρωτόγονον. διϕυῆ, τρίγονον43. Cette figure de style fondée sur une succession numérique sert à mettre en évidence la nature double de Dionysos et à exposer un mythe fondamental de l’orphisme : les trois naissances de ce dieu44.

Dans un seul cas, l’androgynie est évoquée par des mots de sons apparentés :

κούρη καὶ κοῦρε45 (à Adonis)

La confusion des générations, qui a déjà été évoquée dans le rapprochement de Protogonos et de Dionysos, est également un élément caractéristique des croyances orphiques que l’oxymore exprime parfaitement. Le premier exemple se trouve au début de l’hymne à Sabazios qui est un des noms de Zeus :

Κλῦθι. πάτερ, Κρόνου υἱέ46 (à Sabazios)

Cet oxymore contient une opposition faible puisque les substantifs ne sont pas étroitement liés ; les mots ne sont cependant pas rapprochés arbitrairement.

Le rapprochement entre père et fils se trouve dans l’hymne à Triétérique, une épiclèse de Dionysos :

Πρωτόγον’, Ἠρικεπαῖε, θεῶν πάτερ ἠδὲ καὶ υἱέ47 (à Triétérique)

L’oxymore exprime aussi les liens qui unissent certains dieux, comme Rhéa et Héra ou Zeus et Dionysos, car ces divinités sont à la fois rapprochées mais également séparées. Les dieux demeurent en effet des entités distinctes, car ils conservent des caractéristiques différentes et apparaissent à des moments différents de la chronologie divine.

Les Hymnes rapprochent également des sons pour mieux en opposer le sens ; Athéna est « indicible et dite », ρρητε. ῥητή… 48 (à Athéna). Le mot ἄρρητο ?, « indicible, qui ne saurait être dit », est étroitement lié aux mystères du groupe qui utilisa les Hymnes.

Enfin, certaines oppositions sont plus complexes :

πάντων γὰρ κρατέεις μούνη πάντεσσί τ’ ἀνάσσεις49 (à Héra)

πάντων γὰρ κρατέεις μούνη καὶ πᾶσιν ἀνάσσεις50 (à Hygie)

κοινὴ μέν πάντεσσιν, ἀκοινώνητε δὲ μούνη51 (à Physis)

Les deux premiers exemples contiennent une opposition et un rapprochement de mots liés à la notion de tout (παντ-), tandis que le dernier vers contient une double opposition. Les oxymores doubles provoquent un sentiment de confusion caractéristique du langage des devinettes et des oracles52.

En résumé, certains oxymores opposent des termes de racines différentes, d’autres jouent sur des ressemblances du son de plusieurs manières : en introduisant des mots répétés au milieu de l’opposition, en recourant à des mots de la même famille ou en utilisant des mots aux sons similaires. Un jeu phonique apparaît rarement de manière isolée, mais s’intègre dans un réseau de jeux sur les sons. Plusieurs éléments contribuent en outre à rendre le phénomène perceptible pour l’auditeur : le mètre, les césures, les différents jeux phoniques qui impliquent même dans certains cas des inversions du son. Parfois, la résolution de l’oxymore est suggérée par une épithète ou dans un exemple, par un jeu numérique, mais dans la grande majorité des cas, l’auditeur demeure face à une opposition en apparence irréductible ou même à plusieurs oppositions qui contribuent à obscurcir le texte.

En conclusion, les oxymores sont fondamentaux pour la compréhension de la religion des Hymnes orphiques. Cette figure est idéale pour décrire les rapprochements de divinités, l’identification de dieux appartenant à des générations différentes, le caractère féminin et masculin de certains et l’opposition entre la mortalité et l’immortalité. L’oxymore décrit bien ces aspects des croyances orphiques, parce que le résultat de l’opposition va au delà des deux termes opposés et exprime la plénitude divine. Nombre de ces oppositions sont étroitement liées à un ensemble de jeux phoniques qui recourent à des mots liés par l’étymologie ou de sonorités similaires. Les termes opposés rendent compte de la multiplicité des manifestations divines, tandis que la ressemblance entre les différents sons est un signe de la cohérence et de l’unité qui règnent au niveau divin. C’est en effet à ce niveau que les contradictions exclusives pour les humains se résolvent. L’oxymore, une figure qui convient particulièrement bien au discours religieux, donne le sentiment diffus d’un phénomène qui dépasse le mortel53.

L’impression d’une harmonie phonique est présente dès la première lecture ou audition de ces textes, tandis que le lien entre les sons et les sens est à peine perceptible, car il implique une bonne connaissance des hymnes. Platon nous dit dans le Cratyle que le lien entre les mots « Héra » et « l’air » ne devient clair que lorsque le nom de la déesse est répété plusieurs fois54. L’existence d’un sens à découvrir sous les mots et les sons ne surprend pas dans le contexte des écrits attribués à Orphée. Comme le papyrus de Derveni, les Hymnes orphiques s’expriment par énigmes, αἰνίγματα55. La découverte du sens est le résultat d’une grande familiarité avec ces vers. Celui qui n’est pas initié ne peut en comprendre la portée, car le texte est, comme Athéna, à la fois « indicible et dit », ἄρρητε, ῥητή56.

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1 Starobinski 1967, 1906 ; Starobinski 1971, 27.

2 Lausberg 1990, § 672.

3 3 Macleod 1982, 92 (ad Hom. Il. XXIV, 45). Cf. aussi Wilamowitz 1909, vol. iii, 230231 (ad E. HF 1106) ; Lloyd 1966, 90-94.

4 Lausberg, § 807.

5 Büchner 1951, 2 ; 11.

6 Serv. Aen. VII, 295 ; Büchner 1951, 7.

7 West 1983, 28-29.

8 Pi. O. 1,1.

9 Guarducci 1978, passim.

10 PGM 13.624-626.

11 H. Hom. Cer. 1-3 [Allen]. A cause du parallélisme entre les deux vers, je n’ai pas adopté la leçon τάνίσϕυρον au vers 2. Cf. Richardson 1974, 137 (ad h. Hom. Cer. 2).

12 Hom. Od. V, 7-10 [von der Mühll].

13 E. Hel. 517-519 [Diggle] ; Büchner 1950, 52.

14 Paus. IX, 30, 4 et IX, 30, 12 (cf. OF 304).

15 Rudhardt 2002, 486 ; Hopman-Govers 2001, 35.

16 Rudhardt 2002, 487.

17 Quint. inst. 8,4, 26 ; Lausberg 1990, § 406 ; § 675.

18 Morand 1997, 175-176.

19 Orph. H. 10,2 ; 10,11 ; 10,20 [Quandt] ; cf. Pl. Cra. 398b.

20 Orph. H. 14,11 (à Rhéa) ; 16,1 (à Héra). Cf. Pap. Derveni col. 22,12 ; D.L. 7,147 ; Pl. Cra. 404c ; OF 56.

21 Pl. Cra. 404c ; il convient néanmoins d’ajouter que Platon commence sa phrase avec le mot ἴσως.

22 Orph. H. 6,8.

23 Orph. H. 7,3 (aux Astres) ; 59,1 (aux Moires) ; 78,4 (à Eos), etc.

24 Orph. H. 3, tit.

25 Orph. H. 3,3 ; 3,7 ; 3,14 (à la Nuit). Ὦ Νυκτὸς κελαινοϕαὴς □ὄρϕνα Ar. Ra. 1331 (Eschyle se moque du style d’Euripide). Le terme κυαναυγής est aussi utilisé pour les Néréides (Orph. H. 24,8), mais je comprends cet adjectif comme une référence à la couleur de la mer. Cf. Ricciardelli 2000, 302-303 (ad Orph. H. 16,1).

26 Orph. H. 71,8 (à Mélinoé). Pour κυαναυγής, cf. SEG 35 (1985), 1683 qui se réfère aux maisons de Pluton et de Perséphone ; μελαμϕαεῖς μυχούς TrGF I 70 Carcinus II F 5,3 (aussi dans le contexte de Koré et de Pluton).

27 Orph. H. pr. 42.

28 Orph. H. 4,2.

29 Orph. H. 15,7.

30 Orph. H. 23,4.

31 Orph. H. 34,14-15.

32 Orph. H. 83,7.

33 Orph. H. 41,8. Cf. aussi, ἀθανάτων τε θεῶν ἠδὲ θνητῶν ἀνθρώπων Orph. H. 41,2.

34 Le texte est incertain et difficile à interpréter. Je ne suis pas d’accord avec la correction d’Euboulos en Eubouleus dans l’édition de Ricciardelli 2000, 397-398 (ad Orph. H. 41,8). Morand 2001, 167-168.

35 Orph. H. 18,7. Pour les sons, cf. aussi ὃς κρατέεις θνητῶν θανάτου χάριν Orph. H. 18,11.

36 Orph. H. 29,15. Cf. aussi θε, θνητοῖς… Orph. H. 78,1 (à Eos).

37 Orph. H. 9,4.

38 Orph. H. 10,18 ; cf. OF 248 μητροπάτωρ.

39 Orph. H. 32,10.

40 Orph. H. 42,4.

41 Orph. H. 6,1 (à Protogonos) ; cf. OF 54 ; 56 ; 81. Les autres dieux qui ont cette double nature sont : Dionysos (Orph. H. 30,2), Corybas (Orph. H. 39,5), Eros (Orph. H. 58,4) ; pour Eros, cf. Orph. A. 14.

42 Orph. H. 30,2.

43 Orph. H. 30,2 (à Dionysos) ; cf. AP X, 28 ; S. Ant. 55.

44 Rudhardt 2002, passim.

45 Orph. H. 56,4. κοῦρε ne se trouve pas chez Quandt, cf. West 1968, 294-295.

46 Orph. H. 48,1.

47 Orph. H. 52,6. Quandt édite πρωτόγον’, mais la majuscule s’impose.

48 Orph. H. 32,3.

49 Orph. H. 16,7.

50 Orph. H. 68,11.

51 Orph. H. 10,9.

52 Büchner 1951, 94.

53 Büchner 1951, 112 ss.

54 Pl. Cra 404c.

55 Sur le vocabulaire des énigmes dans le papyrus de Derveni, cf. Most 1997, 123.

56 Orph. H. 32.3.