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« En donnant lieu a la main feminine »

Lecture de quelques dialogues poétiques des XVe et XVIe siècles

Catherine M. MÜLLER

Les belles éditions commentées que Jacqueline Cerquiglini-Toulet a réalisées du Voir Dit de Guillaume de Machaut1 et des Cent Ballades d’amant et de dame de Christine de Pizan2 ont permis d’apprécier sous un autre éclairage les échanges poétiques entre hommes et femmes aux XIVe et XVe siècles. Par sa lecture proprement littéraire du Voir Dit, qui évite tous les pièges du référentiel, Jacqueline Cerquiglini-Toulet a montré la subtilité de cette œuvre polyphonique où la dame est avant tout figure de poésie. Ses fines remarques m’amènent à m’interroger sur les quelques échanges poétiques parvenus jusqu’à nous dans lesquels l’homme ou la femme de lettres s’adresse non pas à une voix fictive, mais à une poétesse ou un poète historiquement attesté-e. Nous prendrons en considération cinq cas d’échanges lyriques entre écrivains et écrivaines des XVe et XVIe siècles pour tenter de cerner comment les poétesses suscitent une réplique masculine à leurs compositions ou de quelle manière elles répondent à un texte masculin reçu. Ces envois et ces responces qui s’intègrent le plus souvent dans une fiction de dialogue amoureux laissent percevoir entre les lignes des variations fascinantes dans la vision du rapport entre les sexes et la conception de la parole poétique.

Clément Marot et Jeanne Gaillarde

C’est vraisemblablement dans les années 1524-1525 que Clément Marot rencontre Jeanne Gaillarde à Lyon, peut-être à la cour du lieutenant royal et savant mécène Jean Du Peyrat, où se retrouvaient les poètes de son temps. De l’échange versifié qui s’établit entre eux, il nous reste deux rondeaux célèbres :

c.m. à j.g. [A ma Dame Jehanne Gaillarde de Lyon, femme de bon sçavoir] 3

D’avoir le pris en scïence, & doctrine

Bien merita de Pisan la Cristine

Durant ses jours : mais ta Plume dorée

D’elle seroit à present adorée,

S’elle vivoit par volunté divine.

Car tout ainsi que le feu l’Or affine,

Le Temps a faict nostre langue plus fine,

De qui tu as l’eloquence asseurée

D’avoir le pris.

Doncques ma Main rends toy humble, & benigne,

En donnant lieu à la Main feminine :

N’escriptz plus rien en Ryme mesurée4,

Fors que tu es une Main bien heurée,

D’avoir touché5 celle qui est tant digne

D’avoir le pris.

J.g. à c.m. [Responce au precedent Rondeau par la dicte Jehanne Gaillarde] 6

De m’acquiter vers toy je suis surprise [De m’acquiter je me trouve surprise7]

D’un foible esprit. Car à toy n’ay sçavoir

Correspondant : tu le peuls bien sçavoir,

Veu qu’en cest art plus qu’aultre [l’]on te prise.

Se fusse(s) autant éloquente et apprise

Comme tu dys, je feroye mon debvoir

De m’acquiter.

Si veulx prier la grâce en toy comprise,

Et les vertus qui tant te font valoir,

De prendre en gré l’affectueux8 vouloir

Dont ignorance a brisé l’entreprise

De m’acquiter.

Contrairement à ce que l’on observe dans les échanges poétiques traditionnels de la lyrique courtoise, Jeanne Gaillarde ne joue pas le jeu de la responce. Le Voir Dit de Machaut, par exemple, précise que la réponse de Toute Belle correspond exactement dans sa forme à l’envoi du poète : « Si n’atendi pas longuement / Ains me respondi proprement // De tel metrë et de tel rime / Com li rondiaus que j’ai fait rime » (p. 272, v. 2897-2900). De même, l’amant suit scrupuleusement le choix formel de son amie : « Et par tel rime mon rescrit / Ferai comme elle m’a escrit » (p. 64, v. 366-367) ou « En tel maniere et en tel rime / Com elle en son rondelet rime » (p. 76, v. 534-535). Ce manque de correspondance formelle entre les deux rondeaux de Clément Marot et de Jeanne Gaillarde traduit bien le hiatus existant entre l’attente suscitée par le poète et l’absence d’un contenu permettant de la combler. A l’éloge dithyrambique de Marot, la poétesse réplique en effet par la prétérition9. Répondre qu’elle ne saurait s’acquitter d’une réponse, se vêtir d’un manteau de modestie et d’une allégation d’ignorance pour mieux renvoyer le poète à la vacuité de ses propres paroles, n’est-ce pas là une audace peu compatible avec le « foible esprit » qu’elle se prête ? Ce rondeau de « Main feminine », entièrement construit sur le mode de la contre-diction, n’est-il pas justement la preuve irréfutable de son « eloquence asseurée » ?

Dans sa responce Jeanne Gaillarde ruse à chaque vers. La forme « je suis surprise » (ou sa variante « je me trouve surprise »), si elle traduit d’abord une pose de réaction déconcertée devant la haute tâche à laquelle l’instance d’énonciation doit faire face, marque ensuite par l’enjambement (qui permet d’assigner à « surpris » le sens de « convaincu de ») que cette joute verbale est aussi l’occasion d’affirmer avec conviction son manque de maîtrise. Contrairement au poète qui n’établissait aucun rapport de force entre son je et celui de sa destinataire et l’invitait à prendre sa place dans la tradition lyrique, Jeanne relève le défi en faisant de cet échange poétique une occasion de se mesurer à son panégyriste : « à toy n’ay sçavoir / Correspondant ». En l’amenant à admettre le bien-fondé de son point de vue (« tu le peuls bien sçavoir »), elle le renvoie à la réalité de sa propre renommée, contredisant les louanges que le poète lui avait adressées et qui justifiaient son refrain (« D’avoir le pris ») : puisque c’est lui que l’on prise plus que tout autre en l’art de poésie et d’éloquence, l’assertion qu’il avançait à propos de Jeanne se retrouve sans fondement. Les paroles de son admirateur (« Comme tu dys ») sont flanquées aux vers 5-6 d’un subjonctif et d’un conditionnel (« Se fusse … je feroye ») : si elle méritait le prix qu’il lui décerne, elle réussirait à lui répondre. Or cette responce, loin d’être non avenue comme le prétend le discours dans son sens littéral, est aussi bien déjà advenue (vu qu’au vers précédent la locutrice a rendu au poète l’éloge qu’il réservait à elle seule) qu’en train d’advenir, à mesure que se déploie le rondeau. Ainsi se cache sous le conditionnel « feroye » un acte véritablement performatif, accomplissant à chaque lecture renouvelée la réalité d’un faire poétique.

En opposant à l’impossibilité du « debvoir » (v. 6) l’inéluctabilité d’un « vouloir » (v. 10), la dernière strophe met l’accent à la fois sur un désir de dire et un désir de se libérer des conventions langagières. L’« ignorance » qui « a brisé l’entreprise » de l’« affectueux vouloir » est une arme à double tranchant permettant de déjouer le piège de la parole tout en la manipulant, et de se soustraire au dialogue tout en y participant. Le geste de déférence des derniers vers (« prier », « grâce », « vertu », « valoir », « prendre en gré »), qui élève le destinataire à un statut presque divin, permet en fin de compte à la locutrice de privilégier son « vouloir » et de revendiquer sa liberté poétique. Cette licence verbale, enfouie sous les couleurs de la captatio benevolentiae et les lieux communs de l’indicible, pose le refus du devoir et le choix du vouloir comme unique possibilité du discours. L’échange poétique tel qu’il est envisagé par Jeanne Gaillarde échappe au lien d’obligation stipulé par la loi de la communication verbale. Au comble du paradoxe, elle présente son poème comme un non acquittement tout en faisant de cet acquittement son refrain, sa justification et sa matière poétique. Le rondeau s’achève en clamant ce qui le brise, comme pour mieux chanter l’ardent désir de contre-dire inhérent à son « entreprise ».

La posture de cette « Main feminine » est d’autant plus surprenante, au premier abord, que son destinataire lui avait offert « le pris » de la « Plume dorée ». Véritable champion des dames, Clément Marot fait de « Jehanne Gaillarde de Lyon » une « femme de bon [grant] sçavoir », un emblème des savantes de langue française de la Renaissance capables de surpasser même Christine de Pizan. Plutôt que de se laisser prendre au jeu de cette flatterie, Jeanne la déconstruit, la retourne à son auteur, choisissant pour toute marque d’élection celle du non-savoir. Or, en assumant sa pose de modestie, elle adopte justement le parti pris si cher à Marot, celui du style bas, de la simplicité érasmienne, exprimés jusque dans le rondeau qu’il lui dédie : « Doncques ma Main, rends toy humble, & benigne ». L’imitation que Jeanne entreprend de cette rhétorique de la mediocritas ne serait-elle pas le gage le plus sûr de sa dignité de poétesse ? Sous un prétendu refus des paroles élogieuses du maître, elle opte dans sa composition pour le registre stylistique le plus proche du sien, garantissant en filigrane la pertinence de cet éloge. Ainsi, plus elle se compare à lui pour qu’on les différencie, plus elle justifie leur ressemblance.

Comme le poème de Marot qui, sous prétexte de louer l’« eloquence asseurée » de Jeanne, montre la supériorité de la poésie renaissante sur celle des siècles médiévaux (« nostre langue plus fine »), le rondeau de la poétesse, sous le semblant de l’« ignorance », s’acquitte avec brio de cette éloquence. Tout comme le je lyrique masculin, qui, en précisant que sa main est bénie d’avoir su faire l’éloge de cette grande dame, souligne en réalité le bien-fondé de sa propre entreprise, la locutrice prouve par l’« art » (v. 4) de sa responce qu’elle mérite en effet « le pris » de la « Plume dorée » et que dans ce jeu de « Ryme mesurée », le poète a eut raison de lui céder la main.

Bonaventure Des Périers (c.1500-1544) et Claude de Bectoz († 1547)

CHANSON

A Claude Bectone, Daulphinoise10

Si Amour n’estoit tant volage,

Ou qu’on le peust veoir en tel aage,

Qu’il sceust les labeurs estimer,

On pourroit bien sans mal aymer.

Si Amour avoit congnoissance

De son invincible puissance,

Laquelle il oyt tant reclamer,

On pourroit bien sans mal aymer.

Si Amour descouvroit sa veue

Aussi bien qu’il faict sa chair nue,

Quand contre tous se veult armer,

On pourroit bien sans mal aymer.

Si Amour ne portoit les fleches,

Dont aux yeux il faict maintes breches

Pour en fin les cueurs consommer,

On pourroit bien, sans mal aymer.

Si Amour n’avoit l’estincelle,

Qui plus couverte, & moins se celle,

Dont il peust la glace enflammer,

On pourroit bien, sans mal aymer.

Si Amour, de toute coustume,

Ne portoit le nom d’amertume,

Et qu’en soy n’eust un doulx amer,

On pourroit bien, sans mal aymer11.

Response

Si chose aymee est toujours belle,

Si la beauté est eternelle,

Dont le desir n’est à blasmer,

On ne sçauroit que bien aymer.

Si le cueur humain qui desire,

En choisissant n’a l’œil au pire,

Quand le meilleur sçait estimer,

On ne sçauroit que bien aymer.

Si l’estimer naist de Prudence,

Laquelle congnoist l’indigence,

Qui faict l’amour plaindre & pasmer,

On ne sçauroit que bien aymer.

Si le Bien est chose plaisante,

Si le Bien est chose duysante12,

Si au Bien se fault conformer,

On ne sçauroit que bien aymer.

Brief, puisque la bonté benigne

De la Sapïence Divine

Se faict Charité surnommer,

On ne sçauroit que bien aymer.

Claude Scholastique de Bectoz, élève de l’humaniste Denys Faucher et abbesse du monastère de Saint-Honorat de Tarascon13, jouissait d’une grande réputation à la cour de France pour sa piété et son érudition hors du commun. Les hommes de lettres et de science les plus célèbres de son temps – tels Guillaume Budé, Salmon Macrin, Jean et Guillaume Du Bellay – entretinrent avec elle une correspondance latine. En tant que valet de chambre et secrétaire de Marguerite de Navarre, Bonaventure Des Périers la connaissait sans doute personnellement, car François Ier et sa sœur avaient rendu plusieurs visites à la savante religieuse.

La vision néoplatonicienne fortement christianisée de l’amour que cette « nonne lettrée et galante »14 propose en réplique aux paroles désabusées de l’auteur bourguignon est un exemple parlant de la casuistique amoureuse dont se délectaient les cercles littéraires encouragés par le roi de France et la reine de Navarre.

L’envoi de Bonaventure Des Périers joue sur tous les poncifs traditionnels liés à la conception antique (et notamment ovidienne) du mal d’aimer : l’inconstance et l’immaturité (1er couplet), le manque de discernement et de maîtrise de soi (2e), l’aveuglement et la luxure (3e), la souffrance et l’anéantissement (4e), la toute-puissance de Cupidon provocant le dérèglement des lois naturelles et sociales (5e), l’inéluctabilité de l’amertume (6e). La poétesse ne maintient de sa chanson ni les métaphores guerrières des v. 11 et 13, ni les oxymores présents dans les deux dernières strophes ; elle transforme la passion en action, la plainte en confiance, et déplace l’accent du blâme d’Amour vers la responsabilité humaine (strophe 2). A la faiblesse cognitive imputée à Cupidon (v. 3, 5), elle oppose la capacité rationnelle du « cueur humain » fondée sur Prudence et Sapience, filles de Dieu. La facture même de sa response, moyennant une structure argumentative et un lexique abstrait, se fait démonstration verbale du pouvoir de la raison. Par sa réitération positive des deux verbes désirer et estimer (v. 3, 5, 7, 9) la destinataire souligne l’inséparable lien qui existe entre l’affect et l’esprit : si le manque avilit (« l’indigence […] fait l’amour plaindre & pasmer »)15, le désir mène à l’élévation de soi par la contemplation du Bien. Dans cette acception – encore proche, par le truchement du néoplatonisme, de la fin’amor médiévale – l’amour est un sentiment noble, un choix délibéré qui permet l’amendement de soi (v. 6-7, 15). Le passage des « yeux » percés dans le poème masculin (v. 13-14) à « l’œil » ouvert sur « le meilleur » dans la version féminine (v. 6-7) en dit long sur la clairvoyance rendue possible par un amour spiritualisé. La transformation du « mal aymer » en « bien aymer », chantée par le refrain, se précise en effet dans la dernière strophe à l’apparition des mots Divine et Charité. Le contexte philosophico-moral amené par la personnification de Prudence et l’anaphore sur « Bien » devient explicitement chrétien dans les vers conclusifs, conférant au néoplatonisme des quatre premiers couplets une coloration paulinienne. Au contraire de Bonaventure Des Périers qui suggère par son expression « de toute coustume » (v. 21) et sa nomination de l’amour comme « amertume » (v. 22) qu’il est impossible de sortir des conventions culturelles et littéraires propres au discours amoureux, Claude de Bectoz présente une facette morale de la conformité (« au Bien se fault conformer ») selon laquelle un nom peut être renouvelé par un surplus de sens, pour devenir un sur- nom (« se fait Charité surnommer »), littéralement plus élevé parce qu’il est puisé dans la tradition biblique. Le tournant ironique instauré par cette re-nomination force à la relecture du poème selon une clé théologique. Ainsi le dédicataire, comme exemple de « cueur humain », est-il invité en filigrane à « choisir » entre ces chansons pour « estimer » des deux portraits de l’amour « le meilleur ». Si le Cymbalum mundi est bien de lui, c’est d’ailleurs à cette peinture idéalisée que s’attachera l’humaniste dans son œuvre : « Si les poëtes veulent ecrire d’amour, que ce soit le plus honnestement, chastement et divinement qu’il leur sera possible »16. D’un côté, fervent défenseur des écrivains huguenots et traducteur des poèmes religieux de Marot qu’il réhabilite auprès de François Ier, d’un autre côté, serviteur de la musa jocosa arborant la devise « bene vivere laetari » et auteur des Nouvelles Recreations et Joyeux Devis, Bonaventure Des Périers oscille entre profane et sacré. Le dialogue qu’il instaure avec Claude de Bectoz – et dont il inclut les deux voix dans son Recueil – reflète bien cette double orientation. L’échange avec Jacqueline de Stuard, qui le précède immédiatement dans l’imprimé, accroît encore, nous le verrons, le contraste entre une présentation de l’amour comme Dieu de Jouyssance (cité infra) et la Caritas exaltée par l’abbesse.

Jacqueline de Stuard17 et Bonaventure Des Périers

ENVOY

Par Jacqueline de Stuard, Lyonnoise18

O quel effort cruel, & dangereux,

Quand contre Amour, Amour faict resistence !

O que celuy est vrayment malheureux,

Qui contre soy ha soymesme en deffense !

Je sens en moy ceste grand’ vïolence

Estant contrainte à autre m’addresser :

Mais qui pourroit de cela me presser,

Veu que changer n’est point à mon usage ?

Amour luy mesme, il le me faict laisser

Pour me venger de son tort, & oultrage.

Response

Le cueur qui dict qu’à changer le contrainct

Contraire Amour, d’Amour n’a congnoissance,

Car qui bien ayme, à bien aymer s’astrainct,

Doubtant d’Amour la cautelle et puissance.

Il est si fin ce Dieu de Jouyssance,

Que comme il sçait par semblans attrapper,

Ainsi il fainct de laisser eschapper

La Proye, à fin d’esprouver sa constance :

Mais s’elle cuyde enfin s’emanciper,

Il ha pour elle assez de resistance.

Dans l’Envoy de Jacqueline de Stuard, le champ sémantique du conflit et de la contrainte se profile à chaque vers. Si la puissance du combat est soulignée par le rythme binaire (« contre » / « contre » ; « Amour » / « Amour » ; « soy » / « soymesme »), les effets du déchirement intérieur sont rendus par le ton de l’exclamation plaintive (v. 1 et 3) et le passage du général au particulier (« celuy », « soy », « Je sens en moy »). La seule instance où le je s’exprime en position de sujet accompagne un verbe affectif (« Je sens ») ; les autres marques d’énonciation sont objectivées et presque toutes accompagnées de formes verbales dénotant l’obligation d’obéir (« Estant contrainte à autre m’addresser », « me presser », « me faict laisser », « me venger »), qui traduisent bien la perte de maîtrise d’une victime d’Amour. Le maigre espoir induit par la revendication de liberté aux v. 7-8 est nié par la forme interrogative elle-même et la réponse catégorique qu’elle suscite au vers suivant.

Pourtant cette assertion d’indépendance (« changer n’est point à mon usage »), bien qu’annulée dans le vers conclusif, est ce qui motive la réponse du poète. Quoique purement fictive la tentative d’autonomie de la locutrice a suffisamment de poids pour constituer à elle seule le fondement de la réplique masculine. La stratégie de Bonaventure Des Périers est d’alléguer la toute-puissance de l’amour comme gage de la soumission de la dame. En dépit du regard désabusé qu’il posait sur Amour dans sa chanson à Claude de Bectoz, le dizain qu’il adresse à Jacqueline de Stuard nie à sa destinataire autant la validité d’une conception de l’amour-danger que le bien-fondé du désir de s’en protéger. Sa response adopte le ton de l’éducation sentimentale pour transmettre à la dame une « congnoissance » sur l’amour (v. 2) qui lui faisait défaut. Il retient de son envoy aussi bien le thymique (« Le cueur » faisant écho à « Je sens ») que le cognitif (« qui dict », rappelant le registre argumentatif) et reprend son rythme binaire (« contrainct » / « Contraire » ; « Amour » / « d’Amour » ; « bien ayme » / « à bien aymer »). A la métaphore du combat il ajoute celle de la chasse (« attrapper », « eschapper », « proye »), au thème de la vengeance (envoy, v. 10) celui de l’épreuve (response, v. 8). Le fantasme de liberté, tout à la fois exalté et brimé dans l’envoy, suscite un double traitement dans la response : d’un côté, le locuteur souligne l’incompatibilité entre ce rêve d’affranchissement et l’inévitable obéissance amoureuse et d’un autre, il appuie l’argumentation de la dame en forçant le trait dans la description de l’Amour tyrannique. Pour contredire le discours féminin tout en lui donnant raison, le poète recourt à la feinte dont il accuse Amour et tente de prendre sa destinataire au piège de ses propres paroles. C’est par la polysémie qu’il parvient à créer un message ambigu : d’une part, les mots « bien aymer » et « fin » définissent la fin’amor, d’autre part, le double-sens de « cautelle » (‘prudence’ et ‘ruse’) et de « fin » (‘raffiné’ et ‘rusé’) – dont la seconde acception est confirmée après coup par l’usage de « semblans » et de « fainct » – fait rapidement basculer l’ethos courtois dans une peinture de la passion tragique héritée de l’Antiquité. L’emploi de la périphrase « Dieu de Jouyssance » peut même l’infléchir dans le sens d’un naturalisme à la Jean de Meun. De « fin » à « enfin » en passant par « fainct » et « à fin », l’amour tel qu’il est décrit dans le dizain de Bonaventure Des Périers est subtil, calculateur, manipulateur et invincible. Jacqueline de Stuard, quant à elle, suggère, sans la définir, qu’il existe une autre forme de sentiment amoureux censé contrecarrer cet « Amour » qui « faict resistence ». S’agit-il, à la lumière de la response masculine, d’une vision épurée de l’eros, opposée au principe de « Jouyssance », qui mettrait l’accent avant tout sur l’honnêteté et le lien spirituel entre les amants ? Puisque ni Honneur, ni Charité, ni Amitié ne remplace Amour, rien dans cet envoy ne permet d’assigner à cet idéal la conception néoplatonicienne prônée à la même époque par Claude de Bectoz, Marguerite de Navarre ou Hélisenne de Crenne. Cela dit, le syntagme « à mon usage » renvoie à un aspect primordial de la fin’amor, celui du libre choix et du pouvoir de la dame.

Jammette de Nesson († entre 1467 et 1476) et Tanneguy du Chastel († 1477)

Ce retour à un âge d’or de la courtoisie où l’amour affinait les mœurs et créait une cohésion sociale, on en sent la nostalgie plus que jamais à la fin du moyen âge, que ce soit dans les dialogues romancés ou dans les débats de cénacles qui avaient lieu à la cour de France. Ce contexte curial, propice à l’élaboration d’une casuistique amoureuse en vers, a vu naître au XVe siècle une série d’échanges poétiques entre princes et princesses ou entre écuyers et dames d’honneur, comme dans les deux textes suivants, dont l’envoi fut composé vers 1454-1456 par Jammette de Nesson – considérée par Martin le Franc comme « l’autre Minerve » après Christine de Pizan et par Jean Bouchet comme une poétesse « subtile »19 – et dont la response est signée Tanneguy du Chastel, maître de l’écurie royale et membre supposé lui aussi du « salon » de Marguerite d’Ecosse20.

De Nesson A Ja [var. : Jammette de Nesson]21

C’est pour me receller les biens

Qui sont en vous, comme je tiens,

Que ne voulez que je vous voye ;

Mon cueur s’en plaint, que vous envoye,

Aussi font les poures yeux myens.

Chascun jour je vois et reviens

Regardant se je verray riens,

Ainssy que de coustume avoye.

C’est pour me [receller les biens].

Touteffois, se nul n’en retiens22,

Devant tout le monde maintiens

Que ja veu j’en ay tel montjoye23

Qu’on ne poeut plus ; maiz quoy, ma joye,

Ce n’est pas cella où je viens24,

C’est pour me [receller les biens].

Response

Tanegui du Chastel 25

Puis qu’en moy cuidez tant de biens,

Besoing m’est, ainsy que je tiens26,

Qu’un trait de vos yeulx brief me voye,

Car vostre cuer dire m’envoye

Par le mien, qu’ilz sont ja tous miens.

Et donc, quant sy fort je reviens27,

Plus receller ne vous veulx riens

Du penser qu’envers vous j’avoye,

Puis [qu’en moy cuidez tant de biens].

Las, tant que je puis, me retiens

De vous hanter, quar je maintiens

Que comme d(’)onneur la montjoye28,

Me mectez, se vous voy, ma joye,

A retourner là dont je viens,

Puis [qu’en moy cuidez tant de biens]

Comme le rappelle Jacqueline Cerquiglini-Toulet, le rondeau pouvait représenter dans la tradition courtoise un cadeau d’amour29. La plainte, les larmes et le don du cœur de la dame sont en effet acceptés par cet amant comme une déclaration amoureuse : « Car vostre cuer dire m’envoye / Par le mien, qu’ilz [vos yeulx] sont ja tous miens ». C’est la pose de sincérité de la dame qui donne lieu à la Main masculine et l’incite à l’aveu : « Plus receller ne vous veulx riens / Du penser qu’envers vous j’avoye ». Dans le code courtois à l’œuvre dans ce dialogue, on ne recourt au secret, à la feinte, que pour se protéger des losengiers : « Devant tout le monde maintiens ». Au sein du couple doit régner la transparence des signes. Or, la cour étant un nid de médisance, la rencontre entre les amants ne peut se faire sans danger : cette proximité est objet à la fois du plus grand désir et de la plus haute crainte. Si la locutrice se plaint de l’absence de son bien-aimé, le locuteur motive sa réticence à la voir par le respect de son honneur à elle ou la peur de l’abondance de sa propre joie. Quelle que soit la manière dont on interprète au v. 12 « d(’)onneur la montjoye » (avec ou sans apostrophe à donneur), il est explicite que la présence de sa maîtresse oblige l’amant à la distance. L’opposition entre sa déception à elle (« ne voulez que je vous voye ») et sa lamentation à lui (« me mettez […] / A retourner là dont je viens ») traduit la difficulté de communication voire l’impossibilité pour le couple de s’épanouir à la cour. Dans cette fiction amoureuse, la sincérité n’est possible qu’au sein de l’échange poétique. C’est bien en tant que poétesse et poète que ces protagonistes révèlent leur amour. Leur je respectif, en se différenciant du cœur et des yeux – témoins et véhicules de l’affect –, se distancie des sentiments pour mieux les analyser (« je tiens », « (je) maintiens », etc.) et les mettre par écrit. Ce que la réalité du monde courtois refuse aux fin’amans, la poésie le concrétise. Grâce à la dame, qui par son don lyrique est génératrice, chez le poète, de l’expression d’un « penser » amoureux, le désir frustré par la présence éphémère devient possibilité d’une « mont-joye » de paroles poétiques.

Etienne Tabourot et Anne Bégat

La réputation de mystificateur que Tabourot s’est forgée par ses Bigarrures, ramassis d’équivoques, de calembours et autres jeux de langage, et le renom de farceur acquis par le biais de ses Apophtegmes et de ses Escraignes, contes facétieux et grivois, trouvent un écho aussi dans les sonnets qu’il échange avec Anne Bégat vers la fin des années 1560. Fille du Président du Parlement de Bourgogne qui dirigeait dans son hôtel dijonnais un cercle de lettrés, de savants et d’enthousiastes ligueurs, Anne Bégat est elle-même réputée pour son savoir et son habileté à composer des vers. C’est elle qui, nommant Tabourot « Seigneur des Accords » dans ses écrits pour s’amuser avec sa devise familiale « A tous accords », lui a donné l’idée d’adopter ce nom de plume. Dans son quatrième livre des Bigarrures, le poète cite un sonnet de son admiratrice parce qu’il ne trouve pas dans ses propres « incuriositez du passé » (p. 60) un emploi suffisamment parlant d’alternance de rimes masculines et féminines. C’est donc dans le contexte d’un art poétique que Tabourot révèle une portion des sonnets qu’ils se sont échangés. Parmi les dialogues versifiés non anonymes entre poétesses et poètes qu’il nous a été possible de répertorier pour l’instant, celui-ci est le seul où le poète masculin, provoqué par la réponse de la dame, riposte au moyen d’une nouvelle composition. Voici les trois sonnets30 :

Non non, je ne suis point au rang des ombrageux

Qui se sentent soudain picquez de jalousie,

Quand quelque autre survient, choisissant pour amie

Celle là dont ils sont fideles amoureux.

Ma maistresse a le cœur si noble & vertueux

Que je n’ay point de peur que la soudaine envie

D’un nouveau serviteur entre en sa fantasie,

Pour, changeant ses amours, me rendre malheureux.

Qui plus est, si celuy qui la vient accoster

Est gaillard & gentil, je me pourray vanter

De sçavoir, comme luy, faire choix des bons lieux.

Et si c’est quelque sot, j’auray l’occasïon

De rire, & calanger un peu sa passïon,

Car au lustre de luy je me monstreray mieux. (p. 59)

Response d’Anne Begat au Seigneur des Accords.

Et bien, vous estes donc un tresfroid amoureux,

Puisque vous pouvez voir, sans sentir jalousie

Un autre quel qu’il soit, choisissant pour amie

Celle qui toute à vous, vous pourroit faire heureux.

Sans monstre deux Soleils ne se voyent es Cieux,

La Cité en deux Roys n’est pas bien departie,

Et l’ame entre deux cœurs ne peut estre partie,

Aussi tousjours l’amour est en un pour le mieux.

Si vostre parangon de valeur vous surpasse,

Il prendra devant vous facilement la place,

Et pour amie aurez de vostre amie l’ombre.

Et si pour le meilleur, il est lourdaut & sot,

Pour le vous faire court, & conclure en un mot,

A vostre amie & vous il servira d’encombre. (p. 59v)

Replique à Anne Begat, Damoiselle.

Si j’ay pour corrival quelcun qui me surpasse

De biens ou de beauté, de prudence ou sçavoir,

Et que pour ses raisons il puisse recevoir,

Plus tost que non pas moy, vers madame, une place.

Et si quelque lourdaut, pour sa mauvaise grace,

Nous pouvoit empescher l’un & l’autre d’avoir

Le bien & le plaisir qu’en amour on peut voir

Receu par celuy-là qui vivement pourchasse.

Je diray librement qu’il ne la faut chercher,

Comme ne sçachant point que c’est de cest archer

Qui frappe, sans sçavoir tous ces beaux dons elire.

Lors aussi que changé pour un autre m’aura,

Un autre quelquefois aussi la changera.

Du sot, il n’a l’esprit ny pouvoir de me nuire. (p. 60)

Le caractère in medias res de l’incipit du premier texte de Tabourot (« Non non ») inscrit d’emblée cet envoi dans la fiction d’un échange préalable (à moins qu’une découverte à venir ne révèle l’existence d’un dialogue antérieur), tandis que l’interjection « Et bien » de la répartie semble annoncer le style de la conversation. Alors que le poète ne s’adresse jamais directement à Anne Bégat et parle de sa « maistresse » à la troisième personne, la poétesse, tout en ne s’appropriant pas ce « elle », fait entrer son destinataire dans un dialogue forcé en employant le « vous »31. Cependant, à la prédominance du je masculin (l’instance énonciatrice du poète intervient en effet cinq fois en position de sujet), elle rétorque par une absence de marque subjective. L’avant-dernier vers, en évitant le je explicite (« Pour le vous faire court, & conclure en un mot »), défait l’argumentation de son interlocuteur tout en mettant indirectement le doigt sur son orgueil. Ici, la « main femenine » non seulement dénonce en filigrane la vanité du destinataire masculin, mais répond au terme ombrageux (qui désignait la catégorie de fâcheux auquel cherchait à se soustraire le locuteur) par le mot ombre, soulignant par là que sa maîtresse est bien loin de représenter une valeur sûre comme il le présuppose dans son second quatrain. Si la dame que l’on croit posséder peut se dérober au détour de quelques phrases pour n’être plus qu’évanescence, l’adverbe facilement accompagné des deux verbes au futur (« prendra », « aurez ») disent assez combien, aux yeux de la locutrice, les arguments du poète sont en passe de devenir à leur tour l’ombre d’eux-mêmes.

L’impact de cette audace féminine se mesure à la nécessité d’une replique : si la response de Bonaventure Des Périers à Jacqueline de Stuard montrait que l’expression d’autonomie de la dame est inconcevable dans la vision masculine du rapport amoureux, celle de Tabourot à Anne Bégat insinue que toute dame se dérobant au rôle que l’on attend d’elle sera l’objet d’une vengeance assurée : « Lors aussi que changé pour un autre m’aura, / Un autre quelquefois aussi la changera » (v. 12-13). Une maistresse qui se soustrait aux règles dictées par l’amant est considérée comme volage. Elle devient en outre la cible d’une accusation traditionnellement réservée à Cupidon, étant donné qu’elle incarne « cest archer / Qui frappe » aveuglément, sans mesure ni discernement. Echange amoureux ou guerre des sexes ? La provocation d’Anne Bégat suscite chez le Seigneur des Accords l’usage d’une rhétorique de la désinvolture ainsi qu’une proclamation d’indépendance (« Je diray librement », v. 9), ceci pour mieux accuser la dame et lui nier sa liberté à elle. Au bout du compte, par l’assertion renouvelée de sa maîtrise et de son invulnérabilité, l’amant, aveuglé par sa vérité, n’aura pas pris en compte l’exhortation subtile de la poétesse de se garder de présomption. Il suffit de se rappeler l’une des nombreuses poses de modestie du poète dans le Voir Dit pour mesurer la distance qui sépare le locuteur de Tabourot de l’humilité attendue du parfait amant : « je suis petis, rudes et nyces et desapris, ne en moi n’a scens, vaillance, bonté ne biauté par quoi vos doulz yeus me deussent veoir ne regarder ; et aussi je ne sui mie dignes de penser à vous »32.

Au fantasme de supériorité de l’amant chez Tabourot, la locutrice d’Anne Bégat oppose une conception de l’amour élitaire et exclusive, où la jalousie est preuve non pas d’un esprit chagrin, mais de sentiments profonds. Dans sa vision, le bonheur à deux est tangible : v. 4, « Celle qui tout à vous, vous pourroit faire heureux ». Pour anéantir l’image hautaine de la dame comme acquise d’avance, elle associe à la figure féminine les métaphores du ciel, de la cité royale et de l’âme, trois illustrations de l’ennoblissement et de l’élévation qu’attend la bien-aimée. Afin de réhabiliter le personnage féminin, elle recourt par conséquent au code de l’amour courtois ou de l’amitié néoplatonicienne. Mais pour ce qui est de l’homme, cet idéal semble inatteignable. Dans la composition de la poétesse, le rival, plutôt que de servir de faire valoir à l’amant, prouve son infériorité ou lui tient lieu d’obstacle (« servira d’encombre »). La locutrice dresse alors un portrait ironique du serviteur amoureux qui loin d’être l’ami inégalable en perfection, est un individu parmi tant d’autres, « facilement » remplaçable (v. 10).

Cette séquence de trois sonnets propose en fin de compte l’esquisse d’un art d’aimer bien éloigné de l’éthique de la fin’amor ou de la parfaite amitié. Ni l’amant ni la dame ne peuvent prétendre à l’exemplarité ou à l’exclusivité. Le texte de Tabourot inspire à la poétesse une autre image de la femme et du rapport entre les sexes et la response ironique d’Anne Bégat incite le poète à faire part de sa représentation désillusionnée de l’amour et de la fidélité. Ce qui prévaut dans ces poèmes, c’est une conception de l’échange amoureux comme un espace ludique et virtuel où les mots magiciens peuvent transmuer le serviteur en présomptueux et la dame en amante volage au détour d’un vers : sans commencement ni fin véritable, la parole existe hors texte avant le début de la séquence et pourrait engendrer d’autres répliques à l’infini, suggérant que le pouvoir du langage poétique déborde toujours du cadre assigné par l’envoi et les réponses.

Conclusion

A la lumière d’un corpus aussi restreint, il nous est encore impossible d’établir une typologie de la réponse féminine aux XVe et XVIe siècles. Néanmoins, l’on peut observer d’ores et déjà que les poétesses, dans leurs interpellations ou leurs réparties, se saisissent de la thématique amoureuse pour se prononcer sur la place du discours féminin au sein de l’univers courtois et sur sa mise en fiction littéraire. Tous les poèmes analysés laissent percevoir une tendance à la contre-diction ainsi qu’une divergence d’opinion sur la liberté des femmes et l’inscription de leur subjectivité lyrique. Que ce soit pour reprocher à l’amant son manque de transparence et sa trop grande distance, comme c’est le cas de Jammette de Nesson, ou sa vision oppressante de la relation entre les sexes ainsi que le suggère en filigrane le dizain de Jacqueline de Stuard, ou pour opposer au modèle antique de l’amour folie une conception néoplatonicienne, comme le fera Claude de Bectoz, que ce soit encore pour dénoncer la vantardise de l’amant et l’abus de ses soi-disant prérogatives sur sa maîtresse, comme dans l’incitation d’Anne Bégat, ou alors pour se soustraire à l’éloge du poète et se poser en tant qu’altérité non savante, dans une logique d’humilitas, ainsi que le fait Jeanne Gaillarde, toutes ces façons d’entrer en dialogue avec le texte masculin soulignent l’autonomie de pensée et d’expression de la voix féminine. Par ces échanges manuscrits ou imprimés de « ryme[s] mesurée[s] », les femmes ont prouvé à leurs contemporains qu’elles étaient dignes d’être gardées en mémoire comme interlocutrices des poètes à l’aube de la modernité.

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1 Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir Dit, éd. et trad. Paul Imbs, intr., coord., et révision Jacqueline Cerquiglini-Toulet, index et glossaire Noël Musso, Paris, Librairie Générale Française, 1999 (Le Livre de Poche « Lettres Gothiques »). Toutes nos citations proviennent de cette édition.

2 Christine de Pizan, Cent Ballades d’amant et de dame, éd. Jacqueline Cerquiglini, Paris, Union Générale d’Editions, 1982 (10/18, « Bibliothèque médiévale »).

3 Rondeau de Clément Marot tel qu’il apparaît dans le ms. Paris, BnF, fr. 2335, f. 66, avec la variante au titre provenant des Œuvres de 1538 [Paris, BnF, Rés. Ye 1457-1460]. Ce poème a été publié pour la première fois dans l’Adolescence clementine (Paris, BnF, Rés. Ye 1532), où le titre est légèrement modifié en « Femme de grant savoir ». Pour une édition du manuscrit, voir Verdun Saulnier (« Documents nouveaux sur Jeanne Gaillarde et ses amis : Clément Marot, Jacques Colin, Germain Colin », Bulletin de la Société Historique de Lyon 18, 1952, p. 79-100 [Paris, BnF, 8-Z Piece-4298], ce rondeau p. 82) et pour une édition des imprimés, Gérard Defaux (Clément Marot, Œuvres poétiques complètes, Paris, Classiques Garnier, 1990, I, p. 143-144 et notes p. 538-540). Selon Defaux, il s’agit d’une « Composition antérieure à 1527 » (p. 539) ; Saulnier situe l’échange poétique entre Clément Marot et Jeanne Gaillarde dans les années 1524-1525.

4 Allusion à la forme fixe du rondeau ? Il est à noter qu’après cet échange avec Jeanne Gaillarde, Clément Marot ne va pratiquement plus recourir à cette forme poétique.

5 Toucher : « atteindre », « concerner » ; « traiter d’un sujet » ; « serrer la main ».

6 Ms. Paris, BnF, fr. 2335, f. 72v. Les variantes au titre et à l’incipit proviennent de l’Adolescence clementine (Paris, BnF, Rés. Ye 1532, éd. citée de Defaux, 1990, I, p. 143-144 et notes p. 538-540) où le rondeau a été publié pour la première fois ; dans les Œuvres de 1538 (Paris, BnF, Rés. Ye 1457-1460) le texte est identique à la version de l’Adolescence clementine.

7 Surpris de : « saisi de », « en proie à », « déconcerté par », « trompé par » ; « convaincu de ».

8 Affectueux : « émouvant » ; « empressé », « ardent ».

9 Pour un autre exemple contemporain de prétérition féminine, l’on peut citer l’Epigramme VI de Pernette du Guillet, peut-être inspirée de la réponse de Jeanne Gaillarde à Clément Marot : « Par ce dizain clerement je m’accuse / De ne sçavoir tes vertus honnorer, / Fors du vouloir, qui est bien maigre excuse : / Mais qui pourroit par escript decorer / Ce qui de soy se peult faire adorer ? / Je ne dy pas, si j’avois ton pouvoir, / Qu’à m’acquicter ne feisse mon debvoir, / A tout le moins du bien que tu m’advoues. / Preste moy donc ton eloquent sçavoir / Pour te louer ainsi, que tu me loues ! » (Pernette du Guillet, Rymes, éd. Victor E. Graham, Genève, Droz / Paris, Minard, 1968 (TLF), p. 13). Un bref commentaire de ce dizain apparaît dans Gisèle Mathieu-Castellani, La Quenouille et la lyre, Paris, José Corti, 1998, p. 141.

10 Cette chanson et sa réponse se suivent dans le Recueil des œuvres de feu Bonaventure des Periers, Lyon, Jean de Tournes, 1544, p. 185 [Paris, BnF, N070125] ainsi que dans l’édition : Bonaventure Des Périers, Œuvres françoises, éd. Louis Lacour, 2 vol., Paris, P. Jannet, 1856 ; Nendeln (Liechtenstein), Kraus Reprint, 1973, t. I, p. 163-164.

11 Nous transcrivons ici l’imprimé de 1544, à la virgule près.

12 « Convenable », « agréable ».

13 Claude était la fille de Jacques de Bectoz et de Michelette de Salvaing. Parmi les nombreuses mentions de ses talents, on retiendra ces trois extraits provenant d’apologues célèbres des femmes de la Renaissance : « Elle écrivoit avec tant d’elegance en Latin & avec tant de politesse de langage & ornement de sentences, qu’elle en fut admirée des plus eloquens & des plus judicieux de son siècle » (Hilarion De Coste, Les Eloges et les vies des reynes, des princesses et des dames illustres en piété, en courage et en doctrine, Paris, S. Cramoisy, 1647, III, p. 755-761) ; « I suoi gentili & rari costumi mosse un monaco detto Dionigio Faucierio a voler le lettere Latine insegnare : nelle quali tanto inanzi si fece, che non pure intendendo gli scritti de Latini, ma etiandio componendo, come tutte, l’altre Donne di quello studio vaghe di gran lunga ha avanzato, così molti, & non inetti scrittori del medesimo tempo ha pareggiati. Lo stile suo è puro, & senza neo, & tale, che nelle lettere mandate è stata facile, & nelle omelie efficacissima ; quelle gratie in Latino seguitando, che Basilio, cui molto sempre hebbe in honore, nella Greca favella ha espresse. Mossi innumerabili huomini dotti da questi scritti suoi, di molte miglia, per provare in presenza cio che le lettere di lei testimoniavan loro, hanno allungata la via : & da infiniti è stata con lettere salutata, & poscia con la stampa così celebrata, come ad ogni peregrino, & gentile ingegno si conveniva » (Ludovico Domenichi, La Nobiltà delle donne, Vinetia, Gabriel Giolito di Ferrarii, 1549, p. 272) ; « Nel verso seguì il safico, nelle opinioni gl’Accademici, e dalla filosofia imparò i costumi ; la onde di saggia donna e di bella ragionatrice appresso tutti hà havuto il vanto. Le cose c’hà scritto parte sono latine, e parte volgari Francese » (Francesco Agostino Della Chiesa (Dottor di leggi di Saluzzo), Theatro delle donne letterate con un breve discorso della preminenza, e perfettione del sesso donnesco, Mondovi, per Giovanni Gislandi e Gio. Tomaso Rossi, 1620, p. 284-285).

14 C’est l’appellation employée par A. Chenevière dans sa thèse intitulée Bonaventure Des Périers (Paris, 1885, p. 77) et reprise par Ph.-A. Becker dans son ouvrage du même titre (Vienne, 1924, p. 27).

15 La poétesse fait évidemment allusion ici au fait que la pensée antique considère Amour comme le fils de Pauvreté.

16 Cité par Lacour, op. cit., I, p. xxxii.

17 On ignore presque tout de cette poétesse, dont la mère, Sibylle Cadière, a été décrite comme une femme de talent qui aurait reçu la visite de Louis, duc de Savoie, mort chez elle le 29 janvier 1465. De Jacqueline, on sait encore qu’elle était la fille de Catherin Stuard, un marchand lyonnais demeurant à l’angle de la rue St-Jean et de la place du Change, et qu’elle épousa George Grollier, trésorier de Crémone (Claude Bréghot Du Lut, Mélanges biographiques et littéraires pour servir l’histoire de Lyon, Lyon, J.-M. Barret, 1828, réimpr. Genève, Slatkine, 1971, p. 208 et 253). C’est à la cour du mécène Jean Du Peyrat, lieutenant du roi à Lyon, que Bonaventure Des Périers aurait rencontré Jacqueline de Stuard (et probablement Jeanne Gaillarde) d’après Louis Lacour (éd. citée, I, p. xlviii).

18 Recueil des œuvres de feu Bonaventure des Periers, op. cit., p. 184 ; éd. citée de Latour, I, p. 162. La response se trouve aux mêmes pages.

19 Paris, BnF, fr. 12476, f. 114v (Martin Le Franc, Le Champion des dames, éd. Robert Deschaux, 5 vol., Paris, Champion, 1999, IV, p. 180) et Jean Bouchet, Le Jugement poetic de l’honneur femenin & sejour des illustres claires & honnestes dames par le Traverseur, Poitiers, I. et E. de Marnef, 1538.

20 Sur ce cercle poétique, voir mon article intitulé « Autour de Marguerite d’Ecosse : quelques poétesses françaises méconnues du XVe siècle », Contexts and Continuities : Proceedings of the IVth International Colloquium on Christine de Pizan (Glasgow 21-27 July 2000), published in honour of Liliane Dulac, éd. Angus J. Kennedy, Rosalind Brown-Grant, James C. Laidlaw et Catherine M. Müller, 3 vol., Glasgow, University of Glasgow Press, 2002 (Glasgow University Medieval French Texts and Studies, 1), II, p. 603-619. Pour des détails biographiques sur ces deux poètes, voir A. Thomas, « Jammette de Nesson et Merlin de Cordebeuf », Romania 35, 1906, p. 82-94 et Barbara L. S. Inglis, Une nouvelle collection de poésies lyriques et courtoises du XVe siècle. Le manuscrit B. N. Nouv. Acq. Fr. 15771, Genève-Paris, Slatkine, 1985 (Bibliothèque du XVe siècle, 48), p. 35-36 et 48-50.

21 Paris, BnF, n.a.f. 15771, f. 39 (éd. Inglis, Une nouvelle collection…, op. cit., n. LXXV, p. 148, ponctuation différente). Variante au titre de Paris, BnF, fr. 9223, f. 36v (éd. Gaston Raynaud, Rondeaux et autres poésies du XVe siècle, Paris, 1889, n. LXVII, p. 59). Il existe également une version anonyme et sans réponse de ce rondeau dans Paris, BnF, fr. 1719, f. 44-44v (éd. Françoise Féry-Hue, « Au grey d’amours… (Pièces inédites du manuscrit Paris, Bibl. nat., fr. 1719), étude et édition », Le Moyen Français, 27-28, 1990-1991, n. 129, p. 51).

22 « Si je n’en reçois aucun ».

23 « Abondance ».

24 « Où j’en arrive ».

25 Paris, BnF, n.a.f. 15771, f. 39v (éd. citée de Inglis, n. LXXVI, p. 149, ponctuation différente). Dans Paris, BnF, fr. 9223, ce rondeau est au f. 37v (« la response est de l’autre costé par la faulte du relieur » ; éd. citée de Raynaud, n. LXVIII, p. 60-61).

26 « Je crois », « j’affirme ».

27 « Je me remets à votre service », « je suis à nouveau important à vos yeux ».

28 Selon l’emploi ou non de l’apostrophe (donneur ou d’onneur) et le sens que l’on veut attribuer au mot montjoye (« bonheur » ou « abondance »), l’expression peut signifier « celle qui donne la joie » ou « celle qui est un trésor d’honneur ».

29 Jacqueline Cerquiglini-Toulet, « Le Rondeau », La Littérature française aux XIVe et XVe siècles, éd. Daniel Poirion et al., Heidelberg, Winter, 1988 (Grundriss der Romanischen Literaturen des Mittelalters, 7.1), p. 45-58.

30 Ces trois sonnets se suivent dans Estienne Tabourot, Les Bigarrures du Seigneur des Accords. Quatriesme livre, Paris, Jean Richer, 1585 [Paris, BnF, Z-19564]. Dans notre transcription, nous avons changé les u à valeur de consonne en v et les i en j pour faciliter la lecture.

31 On notera que ce pronom apparaît huit fois dans le sonnet d’Anne Bégat, dont deux fois au v. 4, et est accompagné de trois occurrences de l’adjectif vostre.

32 Guillaume de Machaut, op. cit., p. 150, lignes 29-33.