La harpe et la forge
Poétique de l’ars subtilior
Parler d’ars subtilior revient à évoquer une région à ce jour inexplorée des lettres médiévales françaises. Ce nom, assez peu familier à l’oreille des musicologues, éveille encore moins de résonances dans le domaine littéraire1. C’est pourtant dès 1963 que paraissait l’article d’Ursula Günther intitulé « Das Ende der Ars Nova »2, proposant, pour faire pièce au terme de « maniérisme » jugé par trop péjoratif, cette nouvelle façon de désigner un certain lyrisme de l’extrême fin du XIVe siècle3. Que cette appellation soit demeurée presque sans écho jusqu’à présent peut sembler étrange, tant il est vrai que la subtilitas s’impose comme l’une des clés de l’activité artistique du temps. Il n’est que de parcourir les traités musicaux pour constater la fortune du mot 4, auquel les travaux de Jacqueline Cerquiglini ont rendu sa place centrale notamment dans l’écriture de Guillaume de Machaut5. Rhétorique et musique, trivium et quadrivium : l’un des mérites de cette notion de subtilité, et non le moindre, consiste justement en ce qu’elle permet de rendre compte de la pensée médiévale dans la pluralité de ses manifestations, et invite à considérer la production artistique d’une époque à partir d’un point de vue qui dépasse les frontières entre disciplines.
Ultime héritier de la tradition des trouveurs, Machaut serait, si l’on en croit une opinion couramment répandue, le dernier poète-musicien6 ; la séparation entre musique et poésie daterait de l’Art de dictier d’Eustache Deschamps7. Encore faut-il souligner l’ambiguïté de ce départ entre « musique naturele » et « musique artificiele » : sœurs jumelles par leur nom, les deux musiques restent étroitement liées l’une à l’autre, puisque « chascune puet bien estre appellée musique »8. Mais c’est surtout un fait d’ordre historique – l’existence avérée de deux ou trois générations de compositeurs-poètes9 postérieures à Machaut – qui invite à nuancer l’idée d’une rupture soudaine et définitive entre les deux arts.
Venus du Nord de la France ou de l’Italie, ménestrels ou ambassadeurs, les représentants de l’ars subtilior ont exercé leurs activités en des lieux aussi divers que le palais des papes d’Avignon, les royaumes de Chypre et d’Aragon, la cour du duc de Berry, celle des Visconti et celle des comtes de Foix10. Certains d’entre eux, comme Cuvelier, Vaillant ou Suzoy, sont évoqués au début du XVe siècle par un auteur de Règles de la seconde rhétorique11 ; d’autres sont restés anonymes. Un trait cependant les rapproche : leur commune prédilection pour les formes fixes – et notamment pour la ballade – dont ils écrivent conjointement musique et texte12. Les chansonniers de Modène, Chantilly, Turin13, ainsi que le codex Reina14, entre autres, témoignent de la richesse de l’invention lyrique au tournant des deux siècles. Pourtant, en dépit de son grand intérêt littéraire, le répertoire de l’ars subtilior n’est étudié, le plus souvent, que pour l’analyse de ses complexités musicales.
Est-ce à cause de l’ombre portée du grand Machaut ? Les poètes de l’ars subtilior n’ont donc pas profité de la réhabilitation du lyrisme de l’automne du moyen âge. Ils sont restés sur le versant sombre de la subtilité, et ce malgré l’or qui flamboie dans leur nom – ou peut-être justement à cause de cet « or ». Le comparatif latin éveille des connotations péjoratives. Il suggère l’excès de finesse, voire l’hermétisme : comme si, à vouloir être « plus subtil », on risquait de l’être trop. De fait, le musicologue Richard Hoppin évoque avec insistance, dans un ouvrage qui fait encore autorité, le « style maniéré de la fin du XIVe siècle »15. L’épithète est significative : constatant la sophistication de la nouvelle notation rythmique, elle conduit souvent à déprécier l’ensemble des pièces.
Il est cependant permis de se demander si la qualification de maniérisme est pertinente en ce qui concerne l’ars subtilior. D’une part, ce serait faire un faux procès à l’artisanat poétique de la fin du moyen âge que de lui reprocher son affectation. D’autre part, le terme dénie toute unité esthétique à ce lyrisme, dont il ne considère d’ailleurs que l’aspect musical16. Il s’agirait donc d’une constellation de productions individuelles, voire solipsistes ; expériences inutiles, vouées à l’échec, frappées d’inanité dès les années trente du XVe siècle par l’avènement d’une nouvelle ars nova17. Notre hypothèse est au contraire que ces artistes, par-delà la multiplicité de leurs voix, mènent une réflexion commune sur la création ; réflexion que l’on pourrait donc qualifier de poétique, et dont les enjeux s’inscrivent au sein de la mutation plus générale du lyrisme.
Un lyrisme fugace
La mésestime dans laquelle a si longtemps été tenue l’ars subtilior est peut-être due au fait que s’y exprime une inquiétude de la création. Le propos se fait pessimiste, le ton ironique. C’est ainsi que la ballade « Or voit tout en aventure », signée par un certain Guido, revendique hautement – à moins qu’elle ne la dénonce – une situation d’anarchie esthétique :
Or voit tout en aventure,
Puis qu’ainsi me convient fayre
A la novelle figure
Qui doit a chascun desplayre,
Que c’est trestout en contraire
De bon art qui est parfayt :
Certes, ce n’est pas bien fayt !18
On a pu voir dans cette pièce un manifeste de l’ars subtilior et une réflexion sur l’usage des finesses rythmiques importées d’Italie19. Mais la notation musicale n’est pas seule en cause ici. L’omniprésence du verbe fayre à la rime, et de ses dérivés (deffayre, parfayre) installe une ambiguïté sémantique20. Le poète-musicien se dit faiseur ou faititre : mots qui renvoient aussi bien au domaine de la composition qu’à celui de la poeterie. Eustache Deschamps, dans sa ballade à double texte sur la mort de Machaut, utilise le terme de « faiseur » dans son acception littéraire : « clers, musicans et fayseurs en françois »21.
Or la présence de cette déploration de Deschamps dans le manuscrit de Chantilly n’est pas fortuite. Les Guido, Trebor, Solage, Cuvelier, et autres musiciens dont les pièces figurent dans ce recueil partagent la même préoccupation : comment composer après la mort de Machaut ? L’artisanat lyrique a désormais deux visages, puisqu’il se veut à la fois musical et poétique. La ballade bitextuelle prend acte, dans sa forme, de ce dédoublement. Mais il semble même, à travers l’apostrophe aux « gentils Galoys » et à la multitude des instruments de musique, que toute unité de la création soit désormais impossible22.
Une image parcourt les textes, qui suggère cette impossibilité : c’est celle de la fontaine. Source vivace du lyrisme et de l’amour chez Machaut23, elle s’est muée en un lieu désormais inaccessible. Ainsi chez Philippot de Caserta :
En attendant, souffrir m’estuet grief payne
Et en languor vivre – c’est ma destinee –
Puis qu’avenir ne puis a la fontayne,
Tant est de ruissius entour avironnée24.
De même chez Solage : lorsque le poète s’adresse à Fortune, c’est pour lui reprocher de l’avoir « bouté au fleuve de tristor ». Suit une prière :
A vous supli, tresreluisant saphir,
Dois et ruissel, fontayne de douçour, (…)
Alegés moy de ma grieve dolour25.
On reconnaît dans ce motif la reprise inversée des mots mêmes de Deschamps :
La fons Ciree et la fonteine Helie
Dont vous estiez le ruissel et les dois,
Ou poetes mistrent leur estudie,
Convient taire (…)26.
Se taire, c’est se tarir. Ou plutôt, c’est renoncer à boire d’une eau certes abondante, mais guère pure. L’importance de ce motif dans le manuscrit de Chantilly illustre l’idée d’une dégénérescence de la création, due à la multiplication des faiseurs :
Les grans ruissauz qui la font leur demaine
Si ont les conduis de la font estoupee
Si c’on n’i puet trouver la droite vaine
Tant est courompue l’iaue et troublee ;
Gouster n’en puis une seule halenee27.
Ce poète anonyme qui meurt de soif « en couste la fontaine » appelle de ses vœux l’inspiration salvatrice. Mais si l’eau de l’Hippocrène fait défaut, elle sera replacée par une substance plus aérienne, la fumée. Mélancolie oblige, Solage et Hasprois en font le motif principal de leurs compositions, respectivement « Fumeux fume par fumee »28 et « Puis que je sui fumeux »29. Là encore, le lien avec Eustache Deschamps, alias Jean Fumée, se révèle.
Mais un point commun rassemble toutes ces compositions : qu’elle soit liquide ou aérienne, eau ou fumée, la matière lyrique y est souvent vue comme un fluide. L’image de la fumée, qui s’apparente à un voile, reflète l’évanescence sonore des figures rythmiques. Cette inconstance se retrouve dans la poésie, où les dessins des strophes jouent volontiers de l’hétérométrie30. Quant à la métaphore aquatique, elle renoue avec l’étymologie supposée de la « musique », moys31. Ornementations virtuoses, voix syncopées, hémioles, sont autant de manières de détourner le flux musical. Il ne s’agit plus de remonter aux sources du lyrisme, mais d’en suivre les méandres. Le motif le plus répandu est celui de la fuite. Ainsi de la dispersion des ménestrels, à la mort de leur mécène :
Fuions de ci, fuions, povre compaigne !
Chascuns s’en voist querir son aventure
En Aragon, en France ou en Bretaingne
Car en brief temps on n’ara de nous cure.
Fuions querir no vie bien seüre,
Ne demorons yci eure ne jour,
Puisque perdu avons Alienor32.
Le mouvement centrifuge, dans cette ballade, rappelle celui des « conduits » et des « dois » de la fontaine évoquée par Deschamps. Ailleurs, c’est la voix d’un malmarié qui compare plaisamment sa situation à celle d’« un crible plein d’eaue »33. Chez les poètes de l’ars subtilior, le crible et le tamis font figure de métaphores obsédantes. Dans la ballade « Si con cy gist mon cuer », le poète se dit « tramis en desespoir » et « tamisié d’un divers tamis »34. Mais le discours amoureux tient ici peu de place. En fait, c’est bel et bien l’art musical lui-même qui expose sa propre vanité : plutôt que de composer, mieux vaudrait, reconnaît Senleches, « faire soppes en un panier »35. Si le poète du Voir Dit accusait son rival, Thomas Paien, d’avoir pris « toute la graisse du pot »36, l’image qui prévaut désormais est celle d’un récipient percé.
Une thésaurisation musicale ?
Héritiers d’une tradition lyrique – ils se désignent eux-mêmes comme des fils, des successeurs, « successive venientes »37 – les compositeurs de l’ars subtilior sont confrontés à la fugacité de leur propre chant. Leur geste sera donc celui de la clôture, de la thésaurisation. Si coffres et gibecières hantent les textes de la fin du moyen âge38, la musique n’est pas en reste, qui invente elle aussi ses propres contenants. Ainsi des deux célèbres pièces de Baude Cordier qui ouvrent le manuscrit de Chantilly, comme pour compenser la perte des premiers folios. La première composition, « Belle, bonne, sage », se présente sous la forme d’un cœur. La cohérence visuelle de la partition est redoublée par l’acrostiche qui inscrit dans le premier quatrain le nom du compositeur. Il s’agit là d’une étrenne, d’une offrande amoureuse :
Belle, bonne, sage, plaisant et gente,
A ce jour cy que l’an se renouvelle
Vous fais le don d’une chanson nouvelle
Dedens mon cuer qui a vous se presente39.
Mais ce don reste paradoxal, puisqu’il s’agit tout à la fois d’offrir le poème et de le retenir dans une forme close. Ecrin du chant, le cœur est aussi sa prison40. Dans la seconde composition, « Tout par compas », la partition prend la forme d’un cercle, auquel répondent quatre cercles plus petits, disposés aux quatre coins de la page. Cette manifestation physique du rondeau donne corps à ce que pourrait être, au sens propre du terme, un lyrisme en rond.
Tout par compas suy composés
En ceste ronde proprement…
La circularité du chant est redoublée par une écriture en chace, qui demande l’interprétation du rondeau sous forme de canon, les entrées des voix étant différées :
Trois temps entiers par toy posés,
Chacer me pues joyeusement
S’en chantant as vray sentement41.
Omniprésente, la forme du cercle se retrouve dans les proportions rythmiques de la pièce, dont les trente-trois mesures sont une figure de la perfection. Sur la page, l’un des quatre cercles périphériques contient la signature de la pièce lyrique :
Maistre Baude Cordier se nonme
Cilz qui composa ceste ronde ;
Je fais bien sçavoir a tout honme
Maistre Baude Cordier se nonme,
De Reins dont est et jusqu’à Ronme
Sa musique appert, et a ronde
Maistre Baude Cordier se nonme
Cilz qui composa ceste ronde42.
Opérant une totalisation musicale et géographique, le rondeau redéfinit le monde ; son auteur est nommé et renommé. Dans sa sonorité, le nom de Cordier conjoint d’ailleurs le cœur et la corde. La corde permet de relier, et, partant, de recorder : elle exhibe un lien entre musique et mémoire.
Mais c’est à un autre compositeur, Jacob de Senleches, qu’il revient d’avoir à merveille illustré cette acordance si chère à Machaut43. Comme l’est peut-être Baude Cordier44, Senleches est harpiste de profession ; ses talents d’instrumentiste lui valent d’avoir servi Pedro de Luna, le futur Benoît XIII45. Sa harpe, cependant, ne relève pas seulement de l’anecdote. Instrument fréquemment représenté en peinture46, la harpe reste souvent prétexte à l’allégorie47. Senleches, sans exclure ces valeurs allégoriques, traite la harpe comme un véritable objet. L’instrument fournit en effet le dessin de l’une de ses compositions, intitulée « la harpe de mélodie ». La version de cette pièce musicale dans le manuscrit Chicago, Newberry Library 54.1 donne à voir l’image d’une harpe, dont les montants constituent le cadre de la partition48. L’une des originalités de cette composition réside en ce qu’elle remplace les lignes des portées musicales par les cordes de l’instrument : on peut donc la lire comme une sorte de tablature. Cette explication est fournie par le rondeau inscrit sur le ruban qui s’enroule autour du montant incurvé de la harpe. Ce poème donne en effet des instructions pour l’interprétation de la notation inhabituelle et du canon des voix supérieures :
Se tu me veulz proprement pronuncier,
Sus la tenur pour miex estre d’acort
Diapenthe te convient comenchier
Ou autrement tu seras en discort.
(…)
Puis va cassant duz temps sanz forvoier :
Premiere note en .d. prent son ressort ;
Harpe toudis sans espasse blechier,
Par sentement me puis douner confort.
Se tu me veulx proprement pronuncier…
La notation de la pièce, ainsi que sa structure de canon, doivent être décryptées à la lumière du rondeau. Quant au poème copié à l’intérieur de l’instrument, c’est un virelai, dont les paroles renvoient à sa propre musique.
La harpe de melodie
Faite sanz merancolie
Par plaisir
Doit bien chascun resjoïr
Pour l’armonie
Oïr sonner et veïr49.
Oïr et veïr : le texte insiste non seulement sur la suavité du résultat sonore, mais aussi sur l’aspect visuel de la composition. Ce que voient les yeux doit être en acort avec ce qu’entendent les oreilles. La recherche de l’harmonie atteint ici son point culminant. Deux formes fixes sont superposées et contenues dans le dessin : le virelai, et le rondeau qui en constitue la clé d’interprétation. Si l’on suit les indications données par le rondeau, le virelai doit se chanter en chace : là encore, cette structure contribue à enfermer la composition dans une forme circulaire, où les voix se poursuivent inlassablement.
La harpe pourrait ainsi s’imposer comme l’espace idéal d’une thésaurisation du lyrisme. Par sa forme, elle enserre les textes écrits dans un cadre totalisant. Par sa sonorité, elle évoque l’élément liquide et cette fontaine que les poètes désirent retrouver. La lyre d’Orphée a des parentés avec l’eau : elle résonne mieux grâce à la réverbération des flots et conduit les fleuves, selon Machaut, à remonter vers leur source50. Restaurer l’harmonie première des Muses, tel est le but avoué des poètes de l’ars subtilior :
Le Mont Aon de Thrace, doulz païs
Ou resonnent les douçours d’armonie
A en sa cour neuf Dames de haut pris
Qui de beauté tiennent la seignourie.
La tient Phebus son sejour.
(…)
Les poetes, qui furent tant soubtiz,
Mirent leur sens et tout leur estudie
A bien savoir les amoureus delis
D’Hipocrene la fontayne jolie,
Ou ces dames nuit et jour
Font treçoirs et chapeaux de noble atour.
(…)
La git mes cuers qui est tres ententis
Au doulz acors de la grant melodie…51
Certes, une harpe attemprée produit l’harmonie, et les couronnes de fleurs sont destinées au poète-musicien. Quant au chiffre de neuf cordes par série, c’est bien sûr celui des Muses. Pourtant, la vertu totalisante de l’instrument reste limitée. Contrairement au cœur, la harpe n’est pas un véritable contenant, mais un objet strié, plus proche du tamis que du coffre. Le flux lyrique ne pourrait-il passer au travers ? Le compositeur met en garde l’interprète : les notes sont à lire sur les lignes uniquement, et non pas entre les lignes, « ou autrement tu seras en discort ». Pour faire sonner correctement la pièce, il faut « (harper) toudis sans espasse blechier ». Instrument rêvé de la conservation du lyrisme, la harpe serait-elle malgré tout impropre à retenir la voix vive ?
La musique et son escripture
Le désir de totalisation qui anime les écrivains du temps concerne donc, au même titre, les musiciens de l’ars subtilior. Mais la thésaurisation musicale demeure vouée à l’échec : subtile et labile, la musique peut toujours échapper à ses interprètes. De fait, un certain désenchantement affleure dans l’ironie mordante mise en œuvre par nos poètes.
Chez Jacob de Senleches, cette « poétique de la grimace »52 atteint son point culminant. Dans sa ballade à double texte « Je me merveil / J’ay plusieurs foys »53, l’ironie se fait structurelle. Elle s’entend à travers la dissonance textuelle de deux voix parallèles, que tout rapproche et que tout éloigne en même temps. La construction antithétique de la ballade repose sur l’énonciation simultanée du cantus I et du cantus II ; cependant, leurs deux discours, parfois contradictoires, sont assumés par la première personne du singulier. C’est ainsi que le je du cantus I fustige la médiocrité de ses contemporains. Au compositeur soutil s’oppose la sotie des mauvais musiciens, dont l’activité n’est au mieux qu’un « labour » :
Je me merveil aucune fois comment
Homme se vuelt mesler de contrefaire…
(…)
C’est soctie par peu devisament
Car cel labour ne leur est necessaire…54
Au cantus II, il semble que ce soit encore le poète-compositeur qui s’exprime, mais pour déplorer la perte de l’inspiration :
J’ay pluseurs fois pour mon esbatement,
Ou temps passé, heü playsir de faire
Un virelay de petit sentement
Ou un rondel qui a moy puist playre
Mais maintenant je me vueil tout quoy tayre
Et moy laissier ester et reparer,
Puisque chascuns se melle de forgier55.
La première personne du singulier se dédouble, dans un jeu au second degré entre identité et altérité. L’auteur manie magistralement l’équivoque, puisque les deux voix concurrentes ne se rejoignent sur le refrain que pour mieux dire la pluralité : « chascuns se melle de forgier ».
Or ce n’est pas seulement dans le texte, mais surtout dans sa mise en musique que réside l’aspect le plus subversif de cette ballade. Le vers-refrain, commun aux deux voix, s’écrit en effet dans deux mensurations différentes ; pourtant, le résultat sonore est rigoureusement le même à chaque voix, si l’on excepte le décalage temporel dû au canon56. L’extrême raffinement de la notation rythmique réside en ceci qu’elle parvient à se contredire elle-même, répondant ainsi à l’ironie des textes.
La situation de la « harpe de mélodie » paraît s’être ici inversée : ce que l’on entend ne correspond plus à ce que l’on voit. La partition semble écrite en trompe-l’œil. Jeu gratuit, pure virtuosité d’une acrobatie rythmique ? Certainement pas. Le ton fulminant du texte trouve un écho dans la complexité de la notation musicale, complexité qui n’est pourtant pas perceptible à l’audition. Par cet artifice, le compositeur confère au signe une indépendance nouvelle vis-à-vis du chant. Celle-ci n’aura pourtant été possible qu’au prix d’une brisure : « dorenavant vueil ma forge deffaire »57, dit le poète ; « Englume ne mertell ne m’ont mestier / Puisque chascuns se melle de forgier »58. Geste remarquable, qui déconstruit le réseau sémantique propre à Machaut (faire, affaire, parfaire)59, en le poussant jusqu’à ses limites. Contrairement au forgier, réceptacle du lyrisme60, la forge devient ici le lieu de la destruction. La dissonance des textes transforme en cacophonie l’harmonie jadis entendue par Pythagore. Derrière cette image d’un lyrisme démembré se profile aussi la figure d’Orphée, comme si le seul chant possible était désormais celui d’un sujet divisé, dépossédé de lui-même. Mais ce geste hautement revendiqué n’est destructeur qu’en apparence ; car en dénouant le lien nécessaire entre chant et notation, le compositeur élève la musique au rang de l’écriture.
Avec Jacob de Senleches, le dialogue entre poésie et musique fait montre d’une richesse et d’une inventivité hors du commun. Si nombre d’autres compositeurs jouent de l’ambiguïté de la notation musicale, tous ne poussent pas aussi loin la recherche d’une signifiance rythmique. Pourtant, il est fréquent de rencontrer dans leurs textes une réflexion sur l’art musical. Chez Suzoy, par exemple, c’est à travers une généalogie que la musique trouve ses lettres de noblesse :
Pictagoras, Jabol et Orpheüs
Furent premier pere de melodie ;
Selonc l’Escripture, moult pourveüs
Furent de sa douçor et armonie.
Si doivent donq ceulz qui or sont en vie
Leur science louer, et leur mestrie,
Pour droit prouver que musique est fontayne
De toute honnour, et d’amour souverayne61.
Une incise apparemment anodine, « selonc l’Escripture », témoigne tout à la fois de l’autorité des textes-sources et de l’invention d’un lien nouveau entre la musique et les lettres. La présence de figures mythologiques permet une régénération de l’art. Il en va de même dans cette ballade anonyme qui attribue à Orphée de nouveaux pouvoirs :
Plus ne put Musique son secret taire ;
Car tant a fait cris, plours, suspirs et plains
Que d’Orpheüs a fait son secretaire
Qui de science est gouverné et plains62.
La musique n’est plus à percevoir uniquement par l’ouïe, mais se donne désormais comme texte. Que dire par exemple des acrostiches63 insérés dans certaines ballades ? Chanté, l’acrostiche peut passer inaperçu ; pour saisir la richesse des pièces lyriques, il faut donc les lire. On mesure l’écart qui sépare ce procédé de celui de Machaut, encore tout entier tourné vers la perception orale du chant. La rondeau « dix et sept, .V., .XIII., .XIIII. et quinse »64, dans le Voir Dit, n’exigeait pas de lecture du texte, car l’anagramme, répétée à chaque refrain, pouvait être décryptée à l’oreille. L’une des originalités de l’ars subtilior consiste au contraire en la mise en œuvre d’une musique visuelle, donnant le ton d’un lyrisme qui se refuse à renier sa part littéraire.
Le lyrisme de l’ars subtilior s’inscrit dans la continuité de celui de Guillaume de Machaut, révélant l’influence exercée par le poète-compositeur sur les générations suivantes. Inauguré par le « noble rhétorique », l’artisanat inspiré65 poético-musical a fait des émules, et désormais « chascuns se melle de forgier ». Equivoqueur virtuose, Jacob de Senleches prouve qu’un nouveau lyrisme est possible, qui met en scène une réflexion sur son propre devenir. Pourtant, loin de se réduire à « une savante spéculation sur le signe rythmique », laquelle s’inscrirait « tout droit dans les artifices de la fin du siècle »66, l’ars subtilior réalise ce tour de force que représente l’invention d’une notation musicale autonome et pleinement signifiante, capable de poésie et d’ironie au même titre que le langage littéraire. Complexe, voire sophistiquée, cette écriture qui se veut parfois « musicienne du silence67 » est volontairement superflue. Après la disparition sonore du signifiant dans la performance chantée, la partition demeure comme l’étrange et superbe reliquat d’un lyrisme parti en fumée. Qu’elle se transforme en dessin68 ou proclame sa propre contingence, la notation musicale donne ainsi tout son éclat à ce que l’on pourrait appeler une rhétorique graphique.
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1 Dans le Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen Age (R. Bossuat, L. Pichard et G. Raynaud de Lage), édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zink, Paris, Fayard, 1992 (première édition Fayard, 1964), l’ars subtilior est présentée comme un courant musical. Voir l’article « Ars Nova » de Nicole Sevestre, p. 95-96.
2 Ursula Günther, « Das Ende der Ars Nova », Die Musikforschung 16, 1963, p. 105-121.
3 Plus précisément, la période d’efflorescence de l’ars subtilior inclut également les premières années du XVe siècle, puisqu’elle coïncide avec le schisme de la papauté (1378-1417).
4 Voir par exemple le Prologue du Tractatus figurarum attribué à Philipoctus de Caserta, édité et traduit par Philip E. Schreur, Lincoln, University of Nebraska Press, 1989 (Greek and Latin music theory 6), p. 66-68, ainsi que le traité De minimis notulis (Anonymus X), dans Scriptorum de musica nova series a Gerbertina altera, éd. Edmond de Coussemaker, III, p. 413-415, Paris, Durand, 1864-76 (réimpression Hildesheim, Georg Olms, 1963), p. 413 (« moderni subtilesque musici ») ; passages cités par Maricarmen Gómez et Ursula Günther aux colonnes 892-93 de l’article « Ars subtilior », dans Die Musik in Geschichte und Gegenwart. Allgemeine Enzyklopädie der Musik, deuxième édition révisée, éd. Ludwig Finscher, 20 vol., Kassel, Bärenreiter, 1994-98, t. I, col. 892-911.
5 Jacqueline Cerquiglini, « Un engin si soutil ». Guillaume de Machaut et l’écriture au XIVe siècle, Paris, Champion (Genève, Slatkine), 1985 (Bibliothèque du XVe siècle 47).
6 Voir par exemple Jean-Claude Mühlethaler, « Un poète et son art face à la postérité : lecture des deux ballades de Deschamps pour la mort de Machaut », Studi francesi 33, septembre-décembre 1989, p. 387-409, p. 387.
7 Pour une étude de ce texte, voir Roger Dragonetti : « ‘La poésie… ceste musique naturele’. Essai d’exégèse d’un passage de l’Art de Dictier d’Eustache Deschamps », dans Fin du Moyen Age et Renaissance. Mélanges de philologie française offerts à Robert Guiette, Anvers, De Nederlandsche Boekhandel, 1961, p. 48-64 ; repris dans La Musique et les Lettres : études de littérature médiévale, Genève, Droz, 1986 (Publications romanes et françaises 171), p. 27-42.
8 Eustache Deschamps, « L’Art de Dictier » dans Œuvres complètes, t. VII, éd. Gaston Raynaud, Paris, Firmin Didot, 1891 (S. A. T. F.), p. 266-292 : « Et aussi ces deux musiques sont si consonans l’une avecques l’autre, que chascune puet bien estre appellée musique, pour la douceur tant du chant comme des paroles (…) et est de ces deux ainsis comme un mariage en conjunction de science, par les chans qui sont plus anobliz et mieulx seans par la parole et faconde des diz qu’elle ne seroit seule de soy » (« De Musique », p. 271).
9 Cf. Nigel Wilkins : « The Post-Machaut Generation of Poets-Musicians », Nottingham Medieval Studies 12, 1968, p. 40-84.
10 Maricarmen Gómez et Ursula Günther, art. cit. Voir également Maricarmen Gómez, « La musique à la maison royale de Navarre à la fin du Moyen Age et le chantre Johan Robert », Musica Disciplina 41, 1987, American Institute of Musicology, Hänssler Verlag, p. 109-151. Pour Nors S. Josephson (article « ars subtilior » dans The New Grove Dictionary of Music Online, éd. L. Macy), on peut distinguer trois, voire quatre périodes différentes dans l’ars subtilior, représentées par des groupes distincts de compositeurs.
11 Recueil d’arts de seconde rhétorique, éd. Ernest Langlois, Paris, Imprimerie nationale, 1902, p. 13-14 : « Aprèz vint Jaquemart Le Cuvelier, de Tournay, qui fut faiseur du roy de France, Charles le Quint. (…) Aprèz vint maistre Jehan Vaillant, lequel tenoit a Paris escolle de musique (…) Aprèz sont de present (…) maistre Jehan de Suzay, et pluseurs aultres, qui enssivent les regles telles que nous mettrons en nostre traitié. »
12 La plupart du temps, il semble en effet que le compositeur soit également l’auteur du texte qu’il met en musique. Mais certaines pièces lyriques résultent d’une collaboration entre un poète et un musicien : c’est le cas de la ballade à double texte sur la mort de Machaut, dont le texte est écrit par Deschamps et la musique composée par Andrieu.
13 Pour des transcriptions modernes de la musique de ces manuscrits, on pourra se reporter aux éditions suivantes : Gordon K. Greene, (éd.), French Secular Music. Manuscript Chantilly, Musée Condé 564, éd. des textes par T. Scully, Les Remparts, Monaco, L’Oiseau-Lyre, 1981 (Polyphonic Music of the Fourteenth Century, vol. 18 et 19) ; Willi Apel, (éd.), French Secular Compositions of the Fourteenth Century (Corpus Mensurabilis Musicae 53), Rome, American Institute of Musicology, 197072, édition des textes littéraires par Samuel N. Rosenberg, vol. I : compositions attribuées ; vol II : ballades anonymes ; vol. III : virelais, rondeaux, chansons, canons anonymes, et compositions sur des textes latins ; Richard H. Hoppin, (éd.), The Cypriot-French Repertory of the Manuscript Torino, Biblioteca Nazionale J. II. 9, Rome, American Institute of Musicology, 1960-63, 4 volumes (Corpus Mensurabilis Musicae 21). Pour des études, voir entre autres Ursula Günther, « Das Manuskript Modena, Biblioteca Estense, a. M. 5, 24 (olim lat. 568) », Musica disciplina 24, 1970, p. 17-67.
14 Il s’agit du manuscrit Paris, BnF, nouv. acq. fr. 6771.
15 Richard H. Hoppin, La Musique au Moyen Age, traduit de l’anglais par Nicolas Meeùs et Malou Haine, 2 vol., Liège, Mardaga, 1991 (traduction française de l’ouvrage Medieval Music, New York, Norton, 1978) t. I, p. 536.
16 Notons en outre que le terme de maniérisme s’applique d’abord à l’art pictural, dans le contexte particulier du XVIe siècle italien : l’application de ce concept à la littérature ne va pas de soi. Voir Ernst R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Age latin, traduit de l’allemand par Jean Bréjoux, Paris, P.U.F., 1956, p. 427-470.
17 Dans ses Etudes sur le XVe siècle musical (Anvers, De Nederlandsche Boekhandel, 1941), Charles Van den Borren écrit : « Aux confins du XIVe et du XVe siècle, la musique s’était (…) complue dans des coupages de cheveux en quatre, qui menaçaient de la priver de sève. Cette tendance vers ‘l’art pour l’art’ (…) a été victorieusement contre-battue dans la suite. Prenant sa revanche, la musique déborde en un flot vigoureux, avec les Dufay, les Binchois, les Lantins, etc. » (p. 263). Richard H. Hoppin se fait l’écho de cette conception, lorsqu’il évoque « la période de transition qui va de la mort de Machaut en 1377 jusqu’aux années 1420-1425, au début des activités de compositeurs de Dufay et de Binchois », La Musique au Moyen Age, op. cit., I, p. 535.
18 Manuscrit Chantilly, Musée Condé 564 (nous utiliserons désormais l’abréviation « Ch. 564 »), f° 25v, v. 1-7.
19 Voir Maricarmen Gómez et Ursula Günther, « Ars subtilior », art. cit, p. 893-894.
20 « Nous faysons contre nature / De ce qu’est bien fayt defayre » (Ch. 564, ibid., v. 8-9).
21 Eustache Deschamps, ballade 123 (cantus I), ms. Ch. 564, f° 52, v. 2.
22 « O Guillaume, mondains diex d’armonie, / Après vos fais, qui obtiendra le choys / Sur tous fayseurs ? Certes, ne le congnoys », Id., ballade 124 (cantus II), ms. Ch. 564, f° 52, v. 3-5.
23 Guillaume de Machaut, La Fontaine amoureuse, texte établi, traduit et présenté par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Paris, Stock/Moyen Age, 1993, v. 1300-1424.
24 Ms. Ch. 564, f° 33v, v. 1-4.
25 Ms. Ch. 564, f° 57v, v. 15-16 et 19.
26 Eustache Deschamps, ballade 124 (cantus II), v. 9-12. Bien que les textes de la double ballade figurent au folio 52 du manuscrit de Chantilly, nous suivons ici la correction (« la fons ciree ») proposée par Jean-Claude Mühlethaler, art. cit., p. 396-400.
27 Ms. Ch. 564, f° 33v, v. 8-12.
28 Ms. Ch. 564, f° 59 (il s’agit d’un rondeau).
29 Ms. Ch. 564, f° 34v.
30 Cette instabilité se lit par exemple dans l’alternance de décasyllabes et d’hendéca-syllabes qui caractérise la ballade « Passerose de Beauté » de Trebor (ms. Ch. 564, f° 21).
31 Cf. Jean-Marie Fritz, Paysages sonores du Moyen Age. Le versant épistémologique, Paris, Champion, 2000, p. 90-107.
32 Ms. Ch. 564, f° 17, v. 1-7. Cette ballade de Senleches est une déploration sur la mort d’Eléonore (1382), épouse de Jean Ier d’Aragon.
33 Dans le virelai pluritextuel « Un crible plein d’eaue / A Dieu vous comant », éd. Gordon K. Greene, French Secular Music. Manuscript Chantilly…, éd. cit, t. 18, nº 4.
34 Ms. Ch. 564, f° 31v, v. 12-13.
35 Ms. Ch. 564, f° 44v, v. 20.
36 Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir Dit, édition critique et traduction par Paul Imbs, introduction, coordination et révision par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, Paris, Le Livre de Poche (collection « Lettres Gothiques »), 1999, lettre XXXV, i, p. 572.
37 Tractatus figurarum attribué à Philipoctus de Caserta, éd. cit., p. 66.
38 Voir Jacqueline Cerquiglini-Toulet, La Couleur de la mélancolie. La fréquentation des livres au XIVe siècle, 1300-1415, Paris, Hatier, 1993, notamment p. 57-69.
39 Ms. Ch. 564, f° 11v. Pour une édition du texte et de la musique, voir Gordon K. Greene, French Secular Music…, éd. cit, t. 18, nº 1 (Voir l’illustration en annexe).
40 Le motif du labyrinthe ou du dédale parcourt les pièces de l’ars subtilior. « En la maison Dedalus » constitue l’incipit d’une ballade anonyme mise en musique. Voir Willi Apel, (éd.), French Secular Compositions…, éd. cit., II, nº 140.
41 Le principe musical de la rétrogradation, expérimenté par Machaut dans le rondeau 14, « Ma fin est mon commencement », cède ici la place à un dessin véritablement circulaire. Notons que l’idée d’un palindrome pourrait se retrouver dans la signature même du compositeur, s’il était prouvé que Cordier soit à identifier au mystérieux Rodericus, alias Uciredor.
42 Ms. Ch. 564, f° 12. Cf. Gordon K. Greene, French Secular Music…, éd. cit., t. 18, nº 2 (Voir l’illustration en annexe).
43 Voir par exemple le jeu d’annominatio qui clôt le Voir Dit, v. 8966-8985. Guillaume de Machaut, Le Livre du Voir Dit, éd. cit., p. 784-786.
44 Si l’on en croit Craig Wright, Cordier serait l’autre nom de Baude Fresnel, harpiste et valet de chambre de Philippe le Hardi ; cette hypothèse reste controversée. Voir Craig Wright, « Tapissier et Cordier : New Documents and Conjectures », The Musical Quarterly 59, 1973, p. 177-189.
45 Ursula Günther, « Zur Biographie einiger Komponisten der Ars subtilior », Archiv für Musikwissenschaft 21, 1964, p. 172-199, p. 195.
46 Pour une étude de l’importance de l’instrument dans l’iconographie, voir Howard M. Brown, « The trecento harp », dans Studies in the performance of late mediaeval music, éd. Stanley Boorman, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, p. 35-73.
47 Chez Guillaume de Machaut (Le Dit de la Harpe, éd. K. Young, dans Essays in Honor of Albert Feuillerat, New Haven, Yale University Press, 1943, p. 1-20), les cordes de la harpe représentent autant de qualités morales. Chez Jean Molinet, la description de la harpe introduit l’allégorie de la Trinité (Jean Molinet, « Petit traictiet de la harpe », dans Les Faictz et Dictz de Jean Molinet, éd. Noël Dupire, Paris, SATF, 1937, 3 vol., t. II, p. 439-442, v. 51-60).
48 Manuscrit Chicago, Newberry Library 54.1, f° 10. Voir l’illustration en annexe.
49 Richard H. Hoppin (dans La Musique au Moyen Age, op. cit., t. II, nº 69, p. 202-205) donne la transcription des textes et de la musique de la Harpe de mélodie d’après les ms. Ch. 564, f° 43 v et Chicago, Newberry Library, ms. 54.1, f° 10. Il corrige les transcriptions de Willi Apel (French Secular Compositions…, éd. cit., t. I, nº 92) et de Nors S. Josephson (« Vier Beispiele der Ars subtilior », Archiv für Musikwissenschaft 17, 1970, p. 54-55).
50 « Orpheüs mist hors Eurydice/ D’enfer, la cointe, la faitice, / Par sa harpe et par son dous chant. / Cils poetes dont je vous chant / Harpoit si très joliement / Et si chantoit si doucement / Que les grans arbres s’abaissoient / Et les rivieres retournoient / Pour li oïr et escouter, / Si qu’on doit croire sans doubter / Que ce sont miracles apertes / Que Musique fait. C’est voir, certes. ». Guillaume de Machaut, Prologue, édité par E. Hoepffner dans les Œuvres de Guillaume de Machaut, Paris, Firmin Didot puis Champion, 3 vol., 1908-1921 (S.A.T.F.), t. I, p. 10, v. 135-146.
51 Ms. Ch. 564, f° 22v, v. 1-5, 9-14, 17-18.
52 Grimace est le nom de l’un des compositeurs de l’ars subtilior.
53 Cette ballade à double texte se trouve au folio 44v du ms. Ch. 564. Pour une édition des textes et de la musique, voir Willi Apel, (éd.), French Secular Compositions…, éd. cit., I, nº 90, p. 172-174.
54 Ibid., cantus I, v. 1-2 et 8-9.
55 Ibid., cantus II, v. 1-7.
56 En effet, si le refrain se caractérise par un changement de mensurations aux deux voix supérieures, ce changement se trouve contrecarré par l’utilisation de notes rouges ou blanches qui inversent la division des valeurs. Les deux voix chantent donc rigoureusement la même mélodie, bien que celle-ci soit notée de deux façons différentes. Nous remercions Monsieur Gilles Dulong d’avoir bien voulu mettre à notre disposition son analyse de cette ballade dans sa thèse de doctorat (La Ballade polyphonique à la fin du Moyen Age. De l’union entre musique naturelle et musique artificielle, thèse soutenue à l’université de Tours, février 2000, p. 285-291).
57 Cantus I, vers 5.
58 Cantus I, vers 6-7.
59 Cf. Guillaume de Machaut, Prologue, éd. cit., ballade III, p. 4, v. 5-8.
60 Sur le « forgier » au sens de reliquaire, voir Jacqueline Cerquiglini, « Un engin si soutil », op. cit., p. 232 et p. 246.
61 Ms. Ch. 564, f° 30v, v. 1-8.
62 Ms. Ch. 564, f° 33, v. 1-4.
63 Plusieurs exemples d’acrostiches se trouvent dans le ms. Ch. 564 (voir plus haut) ; citons entre autres la ballade « Corps femenin » de Solage (f° 23v) dont les premières lettres de chaque vers forment l’expression « Cathelline la royne d’amours », sans doute en hommage à Catherine de France, sœur de Charles VI.
64 Guillaume DE Machaut, rondeau 17, Le Livre du Voir Dit, op. cit., p. 574.
65 Selon l’expression de Jacqueline Cerquiglini, « Un engin si soutil », op. cit., p. 211.
66 Nigel Wilkins et Olivier Cullin, article « Senleches », dans le Guide de la musique du Moyen Age, dir. Françoise Ferrand, Paris, Fayard, 1999, p. 553. Pour Richard H. Hoppin, les configurations rythmiques inhabituelles ou irrégulières de La Harpe de mélodie (comme par exemple la diminution 2 : 1 des voix canoniques) constituent « un maniérisme inutile, puisque inaudible » (La Musique au Moyen Age, op. cit., p. 550).
67 Stéphane Mallarmé, « Sainte » (v. 16), dans Poésies, éd. Bertrand Marchal, Paris, Gallimard, 1992, p. 41.
68 Plus tard, Geofroy Tory réalisera d’ailleurs d’autres calligrammes musicaux, à partir du dessin d’un instrument à vent et non plus d’une harpe. Le lien entre musique et lettres y reste fondamental, puisque le « flageol de Virgile » résulte d’une conjonction de la lettre O (contenant les sept arts libéraux) et de la lettre I (rappelant les neuf Muses). Les images se trouvent au second livre du Champ Fleury. Art et Science de la vraie proportion des lettres, Geofroy Tory, Paris, Bibliothèque de l’Image, 1998 (fac-similé de l’édition de Gilles de Gourmont, Paris, 1529) : « Ordonance des neuf Muses, & Apollo », f° XIV v. ; « Ordonance des sept Ars liberaulx & Apollo », f° XV ; « Le Flageol de Virgile en perspective, et moralité », f° XVI v.