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Le Codex des Visions : une perspective ascétique de l’engagement chrétien ?

Françoise MORARD

Introduction

L’étude présentée ici ne portera que sur le contenu du Codex des Visions, sa forme poétique étant laissée à l’appréciation de connaisseurs plus autorisés et mieux à même d’en faire découvrir toute la richesse et la signification.

Le récit de la Vision de Dorothéos, ainsi que les poèmes qui l’accompagnent, et en particulier l’Adresse aux Justes, présentent des traits caractéristiques de toute une littérature ascétique dont les découvertes de ces cinquante dernières années surtout, pour ne rien dire des écrits des Pères du Désert et du monachisme en général, nous ont donné une assez bonne connaissance.

On est dès lors fortement tenté de chercher le milieu d’origine de ce document dans des conventicules d’ascètes, familiers aussi bien de la littérature juive et chrétienne que de celle des grecs cultivés. L’analyse qui suit voudrait essayer de justifier cette hypothèse de travail.

La Vision de dorothéos

Le genre littéraire

La vision qui permet à Dorothéos de raconter son expérience spirituelle n’est pas du même genre que celles dont les récits apocryphes ou apocalyptiques nous offrent la description. Il n’est pas question ici d’un voyage céleste accordé à un privilégié pour lui dévoiler les secrets de l’au-delà. Il s’agit plutôt de ces visions, assez fréquentes dans les récits d’hagiographie monastique, et qu’on pourrait qualifier de parénétiques. Accordée à un simple moine ou, plus souvent, à un supérieur de communauté, la vision lui montre le châtiment qui l’attend ou qui attend l’ensemble des frères, s’ils ne s’amendent pas, ou au contraire, la félicité qui récompensera leurs efforts s’ils sont fidèles à leurs engagements. En effet, Dorothéos n’est pas enlevé au ciel mais se trouve « dans le palais, au milieu du jour, seul » et s’endort « d’un doux sommeil » (vv. 4-5). La vision qu’il a, il l’a, précise-t-il, « dans son cœur », comme il est dit des saints moines qui reçoivent dans la prière leur vision d’investiture quand ils sont appelés à une mission spéciale, ou qui apprennent par le même moyen les épreuves qu’ils auront à endurer pour la remplir.

Le cadre narratif

Demeurant en vision dans l’environnement qui est le sien, Dorothéos se trouve posté à l’intérieur du palais, c’est-à-dire dans un état de vie qui l’a investi d’une dignité et d’une charge qu’il qualifie lui-même de « redoutables » (v. 47) : il s’agit sans doute ici du service de l’ascète en Présence de Dieu et dans sa maison.

Cependant, et c’est à ce moment que la vision revêt son caractère parénétique, il apprend qu’il s’acquittera mal de sa fonction et qu’en châtiment il sera rétrogradé, placé dans le vestibule et commis désormais à la seule garde des portes avec interdiction de pénétrer à l’intérieur (vv. 55-58). Ce qui est frappant dans l’ensemble de la Vision, c’est qu’il est demandé à Dorothéos, avant comme après sa faute, de se tenir debout, de « surveiller les portes » (v. 58), de « monter la garde comme surveillant de la cour et du palais » (v. 187) et même, devenu après sa faute un « Homme transformé », il reçoit l’ordre de se tenir en faction aux portes, comme auparavant (v. 294).

Cet office de « surveillant » peut être assimilé à celui des anges appelés « Veilleurs » par l’Apocalyptique juive : en Dan. 4,10 et surtout dans le 1er Hénoch, les anges Veilleurs sont ceux qui se tiennent debout en présence de Dieu et qui ne dorment jamais1. Il est également question de ces « Veilleurs » dans les Actes de Philippe (36,2 et 60,1) et dans la Doctrine d’Addaï (36), textes qui émanent de milieux syriaques à forte tendance ascétique.

Or, les ascètes des premières communautés de Syrie se dénommaient eux-mêmes Fils et Filles du Pacte. Le mot « pacte » pouvait signifier en syriaque ou alliance, ou vœu, ou encore « station » et, dans ce dernier sens, il évoquait la vie angélique. Au baptême, les ascètes ou ihidaye, en revêtant le Christ, recevaient un statut spécial dans la communauté. Ils y assuraient la statio, la station des Veilleurs, des anges qui se tiennent debout en présence de Dieu2. Cette vie angélique, cette vie des Veilleurs, anticipait le Paradis eschatologique.

On pourrait donc penser que Dorothéos était destiné à cette vie-là, symbolisée dans sa vision par son office de gardien, dans le palais.

Les éléments du récit

Mais notre héros va mal s’acquitter de son office : il se laisse entraîner par « de mauvaises pensées », ne fait que ce qui lui semble avantageux pour lui-même (v. 85) ; pire, il dénonce les autres et les accuse injustement (vv. 86-92) ; il abandonne son poste de garde et tente de se justifier par des mensonges (vv. 112-125). Nous avons là l’énumération des tentations et des fautes qui guettent le moine et dont la source se trouve dans les pensées de toutes sortes que les Pères appellent des logismoi ; ceux-ci, empêchant l’ascète de fixer son attention uniquement sur la Présence de Dieu, le conduisent à relâcher sa vigilance et à négliger la garde de son cœur.

Alors intervient le châtiment : le héros est fustigé jusqu’au sang et jusqu’à « ne plus avoir la force de se tenir debout », ce qui signifie jusqu’à devenir incapable de remplir sa fonction de « veilleur » (vv. 131-153). Cette sorte de supplice est fréquemment mentionnée dans les visions qui nous sont rapportées des Pères du Désert, en particulier dans les Vies coptes de Pachôme, le fondateur du cénobitisme égyptien : « Un jour il arriva qu’on enleva notre père Pachôme par ordre du Seigneur pour lui faire contempler les tourments et les châtiments par lesquels on torture les hommes. Est-ce dans le corps qu’il fut enlevé, est-ce hors du corps ? Dieu sait qu’il fut enlevé. Ayant été emmené au nord du paradis des délices, loin de ce monde et du firmament, il vit des fleuves, des canaux et des fossés pleins de feu, dans lesquels se trouvaient et étaient tourmentées les âmes des pécheurs… ils étaient livrés à des anges tortionnaires à l’aspect fort effrayant et tenant en main des fouets de feu… »3. Or les fautes qui méritent ces châtiments sont, à peu de chose près, celles dont il est question dans le récit de Dorothéos : la mollesse, l’oisiveté, la médisance, la flatterie, le dénigrement. De plus, « ces anges tortionnaires sont pleins de joie et d’allégresse… car le Seigneur les a créés impitoyables, afin qu’ils n’aient point pitié des hommes impies qu’on leur a livrés pour les tourmenter », ce qui explique sans doute la cruauté du supplice infligé à Dorothéos. Le but de cette vision est clairement expliqué à Pachôme par son ange : « Tout ce que tu as vu, témoigne-le aux frères, afin qu’ils fassent en sorte de ne pas tomber dans de pareils châtiments… témoigne-le aux frères et au monde entier, afin qu’ils fassent pénitence et se sauvent. »4 La pénitence est exprimée ici par le courage et la soumission de Dorothéos qui accepte de réintégrer son poste, malgré sa douleur (vv. 196-197). Il peut accéder au salut grâce à la prière d’intercession du Christ et de Gabriel et la faveur lui est accordée ensuite de pouvoir répandre sur lui l’eau lustrale « jusqu’à ce qu’il soit complètement lavé de ce sang [qui le couvre] » (v. 212). On peut se demander s’il faut voir ici le baptême au sens strict du sacrement. L’ascète, en effet, est supposé avoir déjà reçu le baptême qui lui a ouvert les voies de la carrière. La présence, dans le même codex, des trois premières Visions du Pasteur d’Hermas incite à penser qu’il s’agirait plutôt de la pénitence considérée comme un second baptême, selon l’enseignement du chapitre 13 de la troisième Vision : les pierres qui ont été rejetées dans la construction de l’Eglise sont « ceux qui ont péché et qui veulent faire pénitence… ils seront utiles à la construction s’ils se repentent. » La lustration mentionnée ici n’est d’ailleurs pas conférée à Dorothéos par un ministre, mais il est invité à verser lui-même l’eau lustrale sur sa tête pour se laver du sang qui le recouvre (vv. 211-212).

C’est seulement après avoir choisi le patronage d’André qu’il reçoit de Jésus en personne et « pour être baptisé de ce nom intrépide », « l’eau immortelle du Très-Haut », « prise à la source ». Dans la tradition juive et biblique, le changement de nom évoque un changement de vocation ou de mission (par ex. Abraham, Pierre etc.). L’entrée dans la carrière ascétique s’accompagnait souvent d’un changement de nom qui marquait ainsi la conversion à une vie toute nouvelle. Ce « baptême » reçu par Dorothéos pourrait donc, après la purification de ses fautes dans la première eau lustrale, sceller son propos définitif de servir Dieu dans la force et le courage, « comme un guerrier puissant et redoutable » (v. 234).

Les monitions qu’il reçoit à ce moment sont celles qui accompagnent le jeune ascète dans ses débuts (vv. 245-263) : se tenir debout (la statio du veilleur) ce qui représente la vigilance intérieure, garder le silence, affronter l’ennemi de face, écouter dans la joie les conseils des vieillards ou des anciens, invoquer Dieu pour avoir une force invincible et « avant tout se retirer, pour garder sa force » (v. 261). Dans ce dernier conseil il est difficile de ne pas voir une allusion à la retraite de l’ascète, sinon au désert, en tout cas dans la solitude.

Devenu André, Dorothéos est désormais un « Homme transformé » (v. 273). Cette expression, souvent utilisée dans les textes ascétiques primitifs comme les Evangiles de Thomas, de Marie, des Egyptiens, ou encore plus précisément dans les Actes apocryphes d’André, se trouve aussi sous la plume d’Ignace d’Antioche5. Suppliant ses correspondants de ne pas s’opposer à son martyre, il leur écrit : « Laissez-moi recevoir la pure lumière ; quand je serai arrivé là, je serai un homme. Permettez-moi d’être un imitateur de la Passion de mon Dieu ». C’est donc bien la force d’âme qui peut conduire Dorothéos, devenu André, au martyre qui fait de lui un « Homme transformé ».

Cependant, la mission qu’il reçoit alors n’a pas changé : « Il (Jésus) m’ordonna de me tenir en faction aux portes, comme auparavant » (v. 294). Le devoir de l’ascète reste le même, ce qui change, en revanche, c’est la manière dont il peut désormais s’acquitter de sa fonction. Investi d’un courage et d’une force invincibles, il apparaît « brillant comme le soleil dans tout son éclat » de sorte que même la foule s’en aperçoit et s’exclame : « Bienheureux homme qui, dans les jours de sa vie, suit avec zèle son Dieu » (vv. 296-303). Suivre Jésus avec zèle, c’est bien là la motivation dernière de l’ascète.

Une ultime requête est alors adressée à Dieu par le héros : « Envoie-moi chez les incroyants… envoie en mission le héros » (vv. 310 et 313). La réponse du Seigneur n’est plus lisible dans le manuscrit. Mais la fin du récit montre le héros reprenant sa place « debout, entre les hautes portes », ayant atteint une stature dépassant la normale et revêtu d’habits multicolores et inhabituels, ce qui doit signifier le changement radical qui s’est opéré en lui, même si sa fonction et son devoir sont demeurés inchangés.

Sorti de sa vision, il prie « demandant d’être pour le Dieu Très-Haut un messager de tout ce qu’il lui avait confié (vv. 339-340). Comme Pachôme et les saints moines favorisés de visions, il sait que celles-ci ne leur sont accordées que pour soutenir les autres dans leur combat et il chante « un poème célébrant l’œuvre des justes, ainsi que celle du Christ Seigneur » (vv. 341-342). Sans doute faut-il trouver ce poème dans l’Adresse aux Justes que nous a conservée encore le manuscrit.

L’Adresse aux justes

Sans faire partie intégrante de la Vision, ce poème pourrait se présenter comme une sorte de commentaire du récit de Dorothéos.

Situation de l’homme en ce monde

Décrivant la situation de l’homme en ce bas monde, il montre les différents choix qui s’offrent à lui, reprenant en l’amplifiant le fameux exposé des deux voies : celle du bien qui conduit à la Vie, et qui est protégée par « l’ange qui use de sagesse dans la conduite de son troupeau » (vv. 65-66) ; celle du mal qui mène à la perdition et sur laquelle domine « le diable-tromperie » (vv. 66-67).

Après avoir largement disserté sur cette fourberie du diable et sur les pièges qu’elle tend aux mortels en danger de finir ainsi dans l’Erèbe (vv. 6-49), après avoir rappelé la réalité du Jugement de Dieu à venir (vv. 49-103), le poème montre alors quelle a été la conduite de celui qu’il appelle « notre homme » (v. 104). Celui-ci, en effet, a été en son temps un « serviteur du diable »(v. 108), il a subi « les maux que la perfide tromperie lui infligeait »(vv. 108-109). Cependant il a agi, « non par amour du diable, mais par irréflexion » (vv. 110-111).

Les trois états de vie ascétique

Désormais, le moment est venu pour lui, comme pour les justes, de vivre avec « ceux qui n’appartiennent à aucune nation » (v. 111), qui ont « renvoyé leur épouse, en concluant avec elle un arrangement » (v. 112), car, dit le texte (vv. 113-115) « aucun juste ne peut, s’il vit à l’intérieur d’une nation, auprès de conseillers et d’une prudente épouse, servir Dieu Très Haut ». En effet, poursuit-il : « Pour son pays, pour son épouse, il oublie Dieu » (v. 119). On est ici en présence de deux caractéristiques de la vie ascétique primitive : la xéniteia, ou le statut d’étranger en ce bas monde, et la continence. La troisième, la pauvreté, est mentionnée expressément dans la suite du texte et le discours se clôt sur cette exclamation : « Ah ! Il fut bienheureux, cet homme, quand il méprisa les richesses terrestres du diable et qu’il voua son amour à Dieu ! » (vv. 135-136). Dieu l’a sauvé au milieu de ses épreuves et lui a donné « force et sagesse » (v. 141). Désormais il se tient sur un trône éclatant, il chante un hymne mélodieux, il a pris rang parmi les anges (vv. 154-156).

La repentance et le salut

Dans sa prière finale (vv. 157-163), le scribe rappelle que Dorothéos est tombé au pouvoir du diable et de sa terrible tromperie, mais que Dieu l’a sauvé et « l’a remis debout ». Cette dernière affirmation signifie que Dieu lui a redonné son statut initial, celui de l’ange qui se tient debout devant Dieu, comme on l’a vu plus haut et comme il est dit en particulier de Gabriel, qu’aujourd’hui encore la liturgie orthodoxe appelle ἄγγελος πρωτοστάτης.

Milieu et Origine

Il reste bien sûr à déterminer dans quel milieu ce texte a pu être composé.

En suivant les indications fournies par les éditeurs sur le personnage de Dorothéos, en se souvenant de la provenance du manuscrit, on aurait le choix entre l’Asie mineure ou l’Egypte du début ou du milieu du IVe siècle. De plus, le contenu et la forme du texte laissent entrevoir un milieu d’hommes cultivés, auxquels la littérature et la poésie grecques sont familières.

L’ascétisme des origines et sa diffusion

Les recherches des cinquante dernières années en particulier nous ont permis d’être mieux renseignés sur l’extrême diversité des premières communautés qui ont reçu et vécu le christianisme dans l’ensemble du monde juif et gréco-romain de l’époque. On sait désormais que le christianisme syrien a été, dès les origines, fortement influencé par l’ascétisme peut-être hérité des Esséniens, que ce premier ascétisme a connu son apogée au IVe siècle, qu’il a très vite essaimé, en Egypte surtout, où existaient des ascètes qu’Antoine le Grand s’efforça d’imiter (vers 270), en Asie Mineure aussi, où il a trouvé des échos bien avant que Basile de Césarée ne tente son expérience monastique dans la propriété familiale d’Annesoi (en 358). Les Actes de Thomas, l’Evangile de Thomas, le Diatessaron de Tatien sont des témoins syriaques très anciens de cette tendance ascétique, mais on la trouve aussi dans les Actes apocryphes d’autres apôtres qui n’ont pas été écrits en Syrie : les Actes de Pierre, de Paul, de Jean et d’André qui prônent les mêmes exigences de renoncement au mariage, aux richesses, aux facilités de la vie d’ici-bas.

Dès la mort de Pachôme, en 346, la région d’Akhmim en Egypte (Panopolis en grec) est riche de neuf monastères et de quelque cinq mille moines ; à la fin du siècle on en compte près de dix mille. Ceux-ci parlent le copte, mais également le grec6. Il n’est donc pas impossible que certains moines hellénophones aient voulu exprimer, dans une versification qui leur était familière, l’idéal ascétique dont ils vivaient, soit pour s’encourager mutuellement, soit encore pour convertir les païens de leur entourage.

On sait également que dans cette même première moitié du IVe siècle, Eustathe, devenu évêque de Sébaste en Arménie, pousse le radicalisme évangélique jusqu’à ses extrêmes conséquences : pauvreté totale, chasteté parfaite, jeûnes rigoureux, et que ces excès, du moins ceux de ses épigones, seront condamnés au Concile local de Gangres en 340 ou 355, par quatorze évêques du Nord de l’Asie Mineure. Il demeure pourtant certain que l’influence d’Eustathe a été déterminante en Asie Mineure, en particulier sur la mère et la sœur de Basile, et sur son frère Naucratios qui s’adonnèrent à la vie ascétique dans leur propriété du Pont, ainsi que sur Basile lui-même. Un autre disciple d’Eustathe, Aère, prit ses distances avec le maître en poussant jusqu’à l’excès ses pratiques ascétiques. Entre-temps, si l’on en croit l’historien Sozomène, Eustathe, puissamment aidé par un riche fonctionnaire impérial converti à l’ascétisme, Marathonius, introduisit la forme de vie monacale à Constantinople même. Quoiqu’il en soit, il est bien certain que l’ascétisme était présent en Asie Mineure dès les débuts du IVe siècle. Il faudrait encore ajouter que le jeune Eustathe avait fait un séjour prolongé à Alexandrie où il avait entendu les prédications d’Arius et s’était fait son disciple. Il s’y était également initié à la vie ascétique. Sans doute était-il loin d’être un illettré. Il n’a laissé aucun écrit, mais l’historien Sozomène s’est plu à lui attribuer, probablement à tort, la paternité de l’Asceticon de Basile. Que, dans les conventicules fondés par lui, on ait su allier l’idéal ascétique à une culture hellénistique réelle, ne semble pas devoir être considéré comme absolument invraisemblable…

Conclusion

Au terme de ce parcours, Dorothéos nous apparaît comme le sujet d’une « épopée intérieure » qui serait celle de l’ascète. L’auteur décrit, dans un style approprié, les difficultés de cette aventure, les embûches qu’elle comporte, mais aussi sa grandeur et sa récompense. En conférant au héros la force d’âme qui l’amène à se transformer de Dorothéos en André, son effort ascétique lui permet finalement d’affronter victorieusement le martyre. En ce cas, il convient sans doute de chercher à identifier le personnage, comme l’ont fait les éditeurs7, et à voir peut-être en lui un Dorothéos signalé par Eusèbe de Césarée et qui fut martyrisé sous Dioclétien. Le poème aurait été composé alors pour exalter sa mémoire, soit en Egypte, soit en Asie Mineure.

Une autre solution pourrait être envisagée : héros fictif d’une « épopée ascétique », destinée à magnifier ce choix de vie et à encourager ceux qui l’adoptent, Dorothéos aurait mérité par son seul combat intérieur la couronne du martyre, selon l’idée exprimée par Athanase d’Alexandrie dans la Vie d’Antoine (47,1) : « Quand enfin la persécution cessa,… Antoine partit et se retira de nouveau dans son ermitage. Là, chaque jour, il était martyr par le témoignage de sa conscience. »

Mais dans les deux alternatives le héros mérite vraiment la récompense finale promise par la première strophe de l’Adresse aux Justes : « Seul, celui qu’il aimait, Dieu l’a ravi et l’a emmené dans l’île ogygienne, en récompense de son martyre ; il le conduisit au saint paradis des enseignements du Christ pour lesquels il était mort dans sa plénitude, au sein de la sagesse. »

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1 Premier livre d’Hénoch, en particulier 39,12-13.

2 Sur ce sujet voir P. Escolan, Monachisme et Eglise, le monachisme syrien du IVe au VIIe siècle : un monachisme charismatique (Paris, 1999) 33-34.

3 Th. Lefort, Les Vies coptes de S. Pachôme et de ses premiers successeurs (Louvain, 1943) 148-149.

4 Ibid., p. 151.

5 Ign., Rom., 6,2-3.

6 Sur le regroupement des « étrangers » en « maisons » à l’intérieur de la Communauté, voir les Vies coptes de S. Pachôme, op. cit., 154-156.

7 Papyrus Bodmer XXIX, Vision de Dorothéos (Genève, 1984) 46-49.