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Brèves remarques sur le Codex des Visions

Jean RUDHARDT

Les poèmes du Codex des Visions m’ont inspiré quelques réflexions ; ce sont celles d’un historien des religions ; je les ai énoncées dans l’édition que nous en avons faite André Hurst et moi. Je sais la fragilité de plusieurs de nos hypothèses et serais prêt à en admettre d’autres mais, pour l’instant, je n’ai point d’interprétations nouvelles à proposer. Je serai donc bref.

A. Observations préalables

1) Quand nous avons abordé le Codex Bodmer dit Codex des Visions, ce document avait déjà fait l’objet d’un travail important. Rodolphe Kasser avait situé dans leur ordre de succession les feuillets du codex démembré ; dans chaque feuillet, il avait en outre replacé un grand nombre de fragments dispersés. En 1991, suivant une suggestion de Van Haelst, il a lui-même modifié la reconstitution qu’il avait proposée en 1984 et que nous avions sous les yeux quand nous étudiions la Vision de Dorothéos1. Il admet encore que ce livre est formé d’un seul cahier mais il reconnaît que les feuillets qui le composent ont été pliés dans le sens contraire à celui qu’il avait d’abord imaginé ; il en résulte que l’ordre des deux moitiés du codex est inversé ; la succession des pages reste pourtant la même à l’intérieur de chacune des deux moitiés, si bien que les conditions du déchiffrement n’ont pas changé. C’est le travail accompli par R. Kasser qui a permis le nôtre ; nos lectures en ont confirmé la grande qualité.

2) Un survol du Codex nous avait donné une impression d’hétérogé néité ; il nous semblait réunir des textes différents les uns des autres, qu’il serait légitime de considérer successivement, chacun pour lui-même. Nous avons donc commencé notre travail en déchiffrant la Vision de Dorothéos qui semblait occuper le début du codex selon la première reconstruction et qui est aussi le plus long poème du recueil. L’étudier isolément, comme nous l’avons fait, était probablement une erreur. Tous les textes du recueil développent des thèmes traités dans le Pasteur d’Hermas et dans la Vision de Dorothéos ou se réfèrent explicitement à l’un de ces deux ouvrages. L’ensemble est cohérent. La connaissance du tout contribue à éclairer le sens et la portée de ses parties, ceux de la Vision notamment. Pour cette raison déjà, l’édition que nous en avons donnée mériterait d’être revue.

B. Remarques faites à la suite de notre colloque

Les communications que nous avons entendues m’ont toutes beaucoup appris. Elles proposent des confrontations fructueuses avec certains textes bibliques ; elles situent en outre les poèmes du codex dans deux contextes éclairants, celui de la vie de l’Eglise et celui de la littérature chrétienne des premiers siècles. J’enregistre leur enseignement avec satisfaction ; elles nous donnent à penser que d’autres recherches analogues pourraient encore améliorer notre compréhension du codex et nous en faire mieux apprécier l’apport.

Quelques-unes de ces communications peuvent mettre en cause les interprétations que nous avons proposées : elles méritent discussion.

1) Madame F. Morard a montré que, dans une littérature ascétique, le martyre peut figurer les sacrifices que l’ascète s’impose à lui-même. Dans l’Adresse aux Justes, l’image du martyre pourrait donc ne pas se référer à la mort d’un chrétien victime des persécutions mais à tous les renoncements auxquels ce texte parénétique nous invitent.

L’Adresse aux Justes porte en effet un caractère parénétique évident ; il est possible de lire dans ses derniers vers une invitation à un retrait du monde. Je n’exclurais donc pas l’idée que l’image du martyre puisse revêtir un sens symbolique dans certains de ses développements ; je crois cependant que le poème entier évoque un martyre réel. Il me paraît en effet impossible d’interpréter l’Adresse sans considérer du même coup les deux grands textes auxquels elle se réfère, comme tous les poèmes du Codex. Ce sont le Pasteur d’Hermas où se trouve évoqué le sort de ceux qui sont morts pour le nom de Dieu et la Vision de Dorothéos. Les mutilations du papyrus et la difficulté du texte nous empêchent de restituer exactement les événements qu’elle raconte ; nous en devinons pourtant les grandes lignes.

Chargé d’une tâche à l’intérieur d’un palais où Dieu réside, Dorothéos faillit plusieurs fois à sa mission, par vanité ou par manque de courage. Il est durement châtié de sa faute. Par un baptême symbolique, le Christ et Gabriel le revigorent. Enfin, revêtu d’une force et d’une ardeur nouvelle, il garde glorieusement les portes du palais divin. La vision l’a saisi alors qu’il s’endormait ; à son réveil, il décide de chanter la gloire du Christ. La vision qui s’empare de Dorothéos dans le cours de son sommeil est ainsi l’expression d’un sentiment de culpabilité ; celle aussi d’une réaction, d’un ressaisissement. A son réveil Dorothéos a pris une décision : il restera à son poste dans l’Eglise ; il proclamera sa foi. On constate que la vision accompagne une crise de conscience ; elle aboutit à une conversion. Celle-ci ne le conduit pas à l’ascétisme pour autant. Il renonce sans doute aux richesses mais aucun vers ne lui attribue le choix de l’austérité. Il décide essentiellement de chanter la gloire du Christ. Fait remarquable : la chose paraît redoutable ; il lui faut du courage pour défendre et proclamer ainsi sa foi2.

Ces considérations et quelques autres nous ont entraînés à situer Dorothéos à une époque de l’histoire où des persécutions pouvaient encore menacer les chrétiens et à supposer qu’il s’est résolu à la fermeté, après un temps de faiblesse et d’hésitation. Peut-être a-t-il finalement refusé de sacrifier, comme certains empereurs exigeaient que fissent tous les citoyens romains ? La gloire dont sa vision lui donnait l’espérance serait donc celle du martyr. L’Adresse aux Justes a confirmé nos hypothèses. Elle nous apprend en effet que Dorothéos est mort martyr et qu’il a accédé au paradis dès son trépas, sans attendre le Jugement dernier ; or ce privilège est le propre de ceux qui ont péri dans les persécutions, témoins de leur foi3.

Ainsi, dans toute la mesure où ils se réfèrent au Pasteur d’Hermas et à la Vision de Dorothéos, les autres poèmes du Codex suggèrent l’image de supplices réels quand ils évoquent des martyres. En résulte-t-il qu’ils exhortent leurs lecteurs à affronter eux-mêmes le martyre, comme je l’avais supposé ? Attribuant au martyre un sens symbolique, ne les invitent-ils pas plutôt à l’ascétisme, comme Mme Morard le suggère ? Plusieurs passages de l’Adresse aux Justes nous autorisent à le penser.

2) L’auteur et la date de la Vision

S’exprimant à la première personne, l’auteur de la Vision donne son poème pour un récit autobiographique. Des raisons sur lesquelles je reviendrai nous ont incité à le croire. Nous devions donc admettre que la composition de cette œuvre a précédé une mort que diverses observations nous entraînent à situer vers 304-305, lors des dernières persécutions du règne de Dioclétien. P. Schubert a rappelé que, dès notre publication de la Vision, des critiques ont contesté cette datation4 : quelques mots significatifs utilisés dans le poème, montrent-ils, ne sont pas encore attestés à la date que nous suggérons.

La Vision emploie en effet des mots relativement rares parmi lesquels nous trouvons notamment les titres βίαρχος, πραιπόσιτος, πριμικήρ et τίρων. Dans l’administration impériale, ces mots désignent des fonctions qui semblent assez bien définies, au Ve siècle. Plusieurs d’entre eux figurent dans les codes de Théodose et de Justinien ainsi que dans quelques autres textes dont le plus ancien, dû à saint Jérôme5, date de la fin du IVe. Ces textes m’inspirent deux remarques. Ils ne se recoupent pas exactement, certains se référant à des hiérarchies civiles, d’autres à des hiérarchies militaires, d’autres encore à des fonctions ecclésiastiques. Ils expliquent en outre assez mal notre poème car celui-ci n’emploie pas tous les termes que les plus complets d’entre eux situent dans des séries cohérentes ; en revanche, ces textes ne mentionnent pas les autres noms que la Vision leur associe. Les fonctions des personnages mentionnés dans la Vision ne correspondent donc pas à celles que ces documents nous font connaître : dans le poème, la variété de leurs titres suppose un système différent des systèmes que ces documents nous proposent. Même s’il y a probablement quelque ressemblance entre le palais impérial et le palais divin où sa vision transporte Dorothéos, ce palais merveilleux n’en est pas la réplique exacte. Il est céleste, il est lumineux ; le complexe palatial englobe un antre inquiétant. Son ordonnance n’est pas le simple reflet de la cour impériale. Les personnages que l’on y rencontre, à côté de Gabriel et du Christ, des πρέσβεις et des γέροντες, ne sont ni de simples officiers ni des courtisans. En fait les noms qui les désignent ne figurent tous ensemble dans aucun autre document et n’ont pas tous la même origine. Connu de Cicéron, comme l’est aussi le banal tiro, domesticus désigne des familiers de la cour impériale chez Tacite, comme son équivalent grec, οἰκέτης, le fera chez Eusèbe ; ostiarius est connu de Pline et de Varron. Présent chez Suétone et chez Tacite, praepositus est attesté dans des inscriptions et des papyrus du IIe ou du IIIe siècles. Il est vrai que, plus tardifs, πριμικήρ et βίαρχος, ne sont pas attestés avant le IVe siècle. Primicerius est employé par Ammien Marcelin, quand il évoque des événements qui se déroulent en 3596 ; d’après le Thesaurus il serait toutefois connu dès le règne de Dioclétien. Une inscription de 327 semble être la première attestation de biarchus7. Quelles conséquences devons-nous en tirer ? Les textes employant l’un ou l’autre de ces deux noms sont trop peu nombreux pour que nous puissions conclure qu’ils furent inusités avant leur première mention connue. Il est en effet très peu probable qu’un des rares documents survivants nous en conserve le premier emploi. Or la distance chronologique séparant des dernières persécutions les premiers des documents où ces deux noms figurent est extrêmement courte. En bref, la date relativement tardive des mentions les plus anciennes de nos deux mots ne suffit pas à infirmer les hypothèses que nous avions faites quant à la date de la Vision.

Pour raccourcir encore cette distance faudrait-il faire descendre dans le temps le martyre de Dorothéos ? Bien que la mention des livres brûlés, dans l’Adresse aux Justes, semble confirmer la référence aux persécutions de Dioclétien, je n’exclurais pas complètement cette possibilité. Des Chrétiens ont été martyrisés en Orient après l’abdication de Dioclétien. J’observe pourtant que l’édit de tolérance, appelé édit de Milan, met fin à l’ère des persécutions en 313. Cela nous autoriserait donc à déplacer la date de la composition du poème d’une dizaine d’années au plus, ce qui ne changerait pas grand chose au problème de vocabulaire dont nous venons de parler.

Devrions-nous alors envisager une autre possibilité ? Au cours du IVe siècle, dans un milieu qui garde le souvenir de Dorothéos et de son martyre, l’auteur de l’Adresse aux Justes ou quelque autre poète aurait pu utiliser l’artifice d’un récit autobiographique et composer, lui, le poème racontant la vision que Dorothéos avait jadis vécue. Il aurait mis en vers un récit que Dorothéos avait fait pour dire sa résolution nouvelle, pour la justifier et chanter Dieu. Peut-être même cet auteur a-t-il inventé de toutes pièces l’épisode de la vision, dans un dessein quasi hagiographique, pour expliquer une conversion qui a frappé les esprits et pour rehausser le prestige de son héros ? Nul argument ne me permet d’exclure de telles hypothèses d’une manière catégorique. J’avoue cependant qu’elles restent peu vraisemblables à mes yeux. Nous avons signalé les différences qui distinguent la langue de la Vision de celle des autres poèmes conservés dans le Codex Bodmer8. Il est vrai que l’idée d’un visionnaire choisissant le style homérique pour dire l’expérience intime qu’il a subie nous surprend. La langue épique n’est pas l’instrument habituel de la confidence mais l’emploi systématique de la première personne n’est pas habituel dans l’épopée. Il y aurait là un choix surprenant de la part de poètes portés à la paraphrase des textes bibliques et à l’imitation de modèles grecs, ou animés d’un dessin didactique comme l’auteur de l’Adresse aux Justes. Un tel choix se comprend mieux de la part d’un personnage qu’un événement exceptionnel émeut et singularise, et qui écrit sous le coup de cette émotion. Dorothéos se décide à défendre l’Eglise et à célébrer le Christ. Il ne se contente pas d’enfreindre les ordres impériaux, il veut dire les raisons de son refus, dire les exigences et la rigueur de Dieu, la commisération du Christ, son action salvatrice, telles qu’il les a personnellement éprouvées9. Cette résolution nouvelle pourrait expliquer tout à la fois son audace poétique et ses maladresses.

Ce sont pourtant d’autres observations qui nous ont peu à peu donné le sentiment que Dorothéos est lui-même l’auteur de la Vision. En dépit de l’usage d’une langue profondément artificielle, en dépit des emprunts qu’il fait à l’épopée, son œuvre nous paraît étonnamment originale et personnelle. Elle se distingue parmi les nombreux récits de visions.

En fait le Pasteur d’Hermas raconte des visions comme la Vision de Dorothéos mais, bien qu’ils occupent ensemble la première partie du Codex Bodmer, ces deux écrits présentent des caractères différents. Le Pasteur d’Hermas est un texte de prose bien connu qui a joui d’une certaine autorité dans l’Eglise aux IIe et IIIe siècles ; la Vision est un poème inconnu jusqu’au déchiffrement du codex. A cette différence immédiatement perceptible s’en ajoute une autre qui me paraît plus importante.

Le texte d’Hermas appartient au genre apocalyptique. Que l’auteur ait réellement vécu les événements fantastiques qu’il raconte ou qu’il les invente pour donner un enseignement par ce procédé, sa vision est allégorique. Un personnage qu’il voit ou qu’il entend lui indique la signification des spectacles auxquels il assiste et en dégage la leçon. Cette leçon a pour objet le destin de l’Eglise. Il s’agit à la fois d’une réalité transcendante et d’une réalité temporelle. Transcendante, présente d’une certaine façon avant toutes choses, elle leur survivra, dans sa perfection, quand elles auront toutes disparu. Temporelle, elle se construit au cours de l’histoire et coïncidera avec l’Eglise transcendante, à la fin des temps. Toute la Création trouvera son sens dans cet aboutissement.

Parus dans des milieux juifs et des milieux chrétiens dans les siècles qui précèdent ou suivent immédiatement le début de notre ère, de nombreux écrits apocalyptiques10 présentent les traits qui caractérisent ainsi le récit d’Hermas.

a) Ces textes racontent les visions vécues par un homme dont ils disent l’enseignement. Il a vu des spectacles, assisté à des événements inquiétants ou merveilleux, difficilement compréhensibles.

b) Une voix ou un personnage surnaturels commentent les images qui s’imposent à sa vue et en dégagent la leçon.

c) Cette leçon porte sur l’ordonnance divine du monde, sur le destin d’une humanité où le peuple d’Israel ou l’Eglise occupent une position centrale, destin tel qu’il est éclairé, à la fin des temps, par un jugement conduisant les individus soit au Ciel soit en Enfer.

La Vision de Dorothéos ne présente aucun de ces traits. Nul personnage n’explique à Dorothéos le sens des événements auxquels il se voit associé. Les spectacles auxquels il assiste ne donnent des leçons directes ni sur l’ordonnance divine de l’univers ni sur l’histoire de l’humanité ni sur la fin des temps ; certes la façon dont il vit son aventure onirique implique certaines croyances religieuses, cosmologiques ou eschatologiques11, mais ses visions n’en sont point une simple expression, serait-elle allégorique. Sans doute voit-il Dieu à l’intérieur de son palais, comme les auteurs de plusieurs textes apocalyptiques le voient dans le ciel ; toutefois la contemplation d’un monde céleste ordonné où Dieu trônant occupe la position la plus élevée constitue le moment culminant de l’expérience racontée dans plusieurs apocalypses ; or ce n’est pas le cas dans le poème de Dorothéos. La vision de Dieu l’impressionne mais il ne s’absorbe pas dans cette contemplation. Un ange ou le Christ en personne lui donnent des ordres. Il entend le Christ et Gabriel plaider sa cause auprès de Dieu quand celui-ci décide de son sort. L’aventure vécue par Dorothéos n’est pas absurde ; malgré les difficultés du texte, nous en devinons le déroulement et nous en pressentons le sens. Ce sens ne concerne ni le monde céleste ni l’ordonnance divine de l’univers ni le destin surnaturel de l’homme ; il concerne la vie de Dorothéos, ses errements et sa conversion. Fidèle au christianisme, il chantera le Seigneur.

Plusieurs visions inspirent des vocations prophétiques. Les auteurs de certaines apocalypses se donnent pour des prophètes ; des visions avaient précédemment influencé les activités de personnages plus connus, tels Isaïe ou Ezéchiel. Même s’il s’apprête à célébrer le Christ et les Justes, Dorothée ne prétend pas être un prophète. Certes, il se voit finalement accédant à la gloire mais il se donne pour un pécheur auquel, seule, la commisération du Christ donne finalement le courage et la force de remplir sa mission. Comme nous l’avons vu, sa gloire sera celle du martyr.

Les textes que nous venons de mentionner ne sont bien sûr pas les seuls qui contiennent des récits de vision. Nous en trouvons notamment chez saint Jérôme et chez saint Augustin12. S’ils présentent des ressemblance ponctuelles avec celui de Dorothéos, ils en diffèrent profondément. Dans celui de saint Jérôme, par exemple, la vision est aussi l’expression d’un sentiment de culpabilité ; elle induit aussi un changement de comportement chez celui qui la subit mais elle reste épisodique. Aucun de ces récits n’a l’ampleur de la Vision de Dorothéos ; aucun ne constitue à lui seul une œuvre achevée, écrite en vers de surcroît.

Ainsi, poème étonnamment personnel, la Vision de Dorothéos se distingue avec évidence des récits de vision connus dans les littératures antiques, juives et chrétiennes. L’expérience qu’elle raconte s’apparente, en revanche, par plusieurs détails aux visions décrites par les mystiques d’une tout autre époque, par Heinrich Suso ou sainte Thérèse d’Avila, notamment13. Dans des contextes historiques et dans des projets théologiques très différents, cette coïncidence dans des traits infimes me semble confirmer l’authenticité de l’expérience racontée dans la Vision et la sincérité du narrateur.

En bref, les communications présentées dans notre colloque m’ont enrichi ; elles m’ont modifié, sans me faire abandonner les principales des opinions que nous avions soutenues.

a) Je crois encore à l’historicité de Dorothéos. Sans exclure la possibilité d’une date un peu plus tardive, je reste enclin à situer son martyre lors des dernières persécutions de Dioclétien.

b) Je garde le sentiment que la Vision raconte une expérience réelle et reste enclin à penser que Dorothéos lui-même en est l’auteur. Je dois donc dater son poème du début du IVe siècle.

c) Plus tardifs, les autres poèmes du recueil se réfèrent à des martyresréels, seraient-ils anciens. Cela n’exclut pas que leurs auteurs assimilent les renoncements de l’ascète au renoncement du martyr : en utilisant l’image du martyre, ils n’invitent point leurs lecteurs à affronter de nouvelles persécutions mais les exhortent à une austérité rigoureuse. Ces poèmes peuvent donc dater de la fin du IVe siècle ou du début du Ve ; ils ne sont en effet pas plus tardifs que le Codex lui même.

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1 Papyrus Bodmer 29, 99-120 (volume désigné dans les notes suivantes par l’abréviation Vision) ; Papyrus Bodmer 38, 103-127.

2 Certes l’auteur de l’Adresse aux Justes invite ses lecteurs à se retirer du monde ; toutefois, même s’il se réfère au destin de Dorothéos, il ne faut pas confondre la leçon qu’il donne et celle qui fut propre à son héros. En évoquant la conversion de celui-ci, la Vision de Dorothéos, elle, ne dit pas du tout qu’elle le conduise à l’ascétisme.

3 Cf. textes cités dans Papyrus Bodmer XXX-XXXVII. Ouvrage cité ci-dessous, sous l’abréviation Poèmes divers.

4 Cf. Jan Bremmer, « An Imperial Palace Guard in Haeven : The Date of the Vision of Dorotheus », ZPE 75 (1988) 82-88.

5 Jer., Contra Johannem Hierosolymitanum, 19.

6 Amm. Marc. 18, 3, 5.

7 Corp. VIII, 8491.

8 Cf. Poèmes divers, 10.

9 Cf. Vision, 18-19.

10 Il est aujourd’hui possible de lire ces documents d’accès difficile en traduction française, dans deux volumes de la Bibliothèque de la Pléiade : La Bible. Ecrits intertestamentaires (Paris 1987). Ecrits apocryphes chrétiens (Paris, 1997).

A peu près à la même époque, la littérature païenne, même si elle présuppose évidemment une théologie différente, évoque aussi de grandes visions relatives à Dieu et à l’ordonnance divine de l’univers. Le Poimandrès hermétique nous en fournit un bel exemple.

11 Nous avons tenté de préciser les principales de ces croyances : Vision, 29-33 ; Poèmes divers, 15-22 ; 60-68.

12 Aug., Vision de Tutslimeni, Serm. 308 (M. 38 col. 1409, 10) : Jer., Ep. 22 ad Eustochium, 30.

13 Nous donnons quelques exemple de ces ressemblances dans Vision, 44-45.