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Mythos et Plokè dans l’Odyssée à propos de l’« Irou pygmè »

Dimitri N. MARONITIS

Centre de la langue grecque, Athènes

I

L’épisode marginal et singulier de l’« Irou pygmè », qui ouvre le chant XVIII de l’Odyssée (1-157) et donne lieu à un récit d’une longueur et d’une conclusion inhabituelles, nous autorise, s’il ne nous y oblige pas, à réexaminer le rapport entre mythos et plokè dans les deux épopées homériques1. Et en particulier dans l’Odyssée, où la relation des deux termes se complique et prend un tour qui a de quoi surprendre l’auditeur-lecteur.

Il est sans doute inutile de préciser que la question a fait l’objet, depuis l’antiquité jusqu’à nos jours, d’une bibliographie très vaste, mais loin d’être unanime dans ses définitions et ses appréciations2. Toutefois, si l’on schématise les thèses convergentes qui établissent expressément une relation entre les deux termes, on peut grosso modo aboutir aux principes suivants.

Dans tout récit structuré, le mythos semble précéder la plokè. La plokè est en d’autres termes la forme que revêt le mythos dans la narration, tant dans ses dimensions réelles et symboliques, que dans ses principales fonctions structurelles. Le mythos se divise d’ordinaire en plusieurs épisodes successifs organisés selon un enchaînement chronologique et causal, faisant ainsi du sujet l’axe factuel de la narration. La plokè, quant à elle, intervient « en chemin » et, dans les récits les plus sophistiqués, modifie, ou même bouleverse provisoirement le déroulement du mythe, en s’écartant ou s’échappant de l’axe narratif. Si le mythos, par ses impératifs factuels et symboliques, détermine d’une certaine façon la composition de la narration, la plokè revendique sa propre liberté, fantaisie qui est toujours mise sur le compte de l’inventivité du narrateur et qui constitue la preuve de son talent littéraire.

Ce schéma général de relations paradigmatiques entre mythos et plokè prend une forme particulière dans le cas des épopées homériques, dans la mesure où l’on ne peut pas dans ce cas parler d’invention personnelle au sens où l’auteur d’une œuvre invente son propre mythos. A quelques désaccords de détail près en effet, les spécialistes sont aujourd’hui d’accord pour dire que l’Iliade et l’Odyssée s’appuient sur une tradition préétablie3. La question de savoir si cette tradition mythologique, généralement appelée mythe troyen, avait déjà donné lieu à un enchaînement d’épisodes épiques avant la composition de l’Iliade et de l’Odyssée, ou si au contraire ledit cycle épique n’a pris sa forme qu’après leur rédaction, n’a pas encore été tranchée par la recherche homérique. Le doute qui subsiste n’empêche pourtant pas presque tous les spécialistes d’Homère de penser que l’ensemble du mythe troyen (c’est-à-dire à la fois l’épopée guerrière et les aventures de l’après-guerre) avait déjà été défini dans ses grandes lignes avant Homère, constituant le cadre contraignant de la rédaction de l’Iliade et de l’Odyssée. Ce qui signifie plus simplement que les principaux épisodes, comme les protagonistes, de la guerre de Troie et des Νόστοι ont fonctionné comme des impératifs narratifs qu’ils n’était pas possible d’ignorer, du moins directement.

S’agissant de l’Iliade, on peut ranger parmi ces impératifs : la cause théologique et héroïque de la guerre de Troie – ce qui vaut d’ailleurs aussi pour sa fin, laquelle coïncide avec la prise et la destruction de la cité de Troie ; pour ce qui est des héros, on retiendra le destin paradigmatique d’Achille, annoncé d’emblée par l’adjectif qui lui est associé : ὠϰύμοϱος, c’est-à-dire « qui meurt d’une prompte mort ».

Dans le cas de l’Odyssée, la tradition mythologique transparaît d’abord dans la typologie des Νόστοι, mais aussi et surtout dans l’exception faite du νόστος d’Ulysse ; retour qui s’achève de manière heureuse, malgré les aventures dramatiques vécues dans l’intervalle. Or, c’est précisément par ces aventures que s’établissent le parallélisme et le contraste entre le retour du héros central et celui des deux Atrides, Ménélas et Agamemnon – ce qui laisse supposer que l’Odyssée a pour modèle authentique une épopée antérieure dont le titre attesté est ‘Ατϱειδῶν Κάθοδος4. D’ailleurs, le retour tardif mais heureux d’Ulysse implique nécessairement la tradition mythologique de la fidèle Pénélope ; laquelle résiste jusqu’à la fin à la tentation des prétendants et fait contre-poids, d’une part à l’infidèle Hélène, et d’autre part à la meurtière Clytemnestre.

Dans ces conditions, c’est-à-dire compte tenu du cadre mythologique obligé de l’épopée, le rôle de la plokè revêt une importance accrue ; c’est surtout en effet dans leur plokè que réside la qualité exceptionnelle de l’Iliade et l’Odyssée, épopées qui parviennent tout à la fois à respecter et à modifier leurs prescriptions mythologiques.

II

Je n’ai pas la latitude d’expliquer ici la plokè de l’Iliade, fût-ce dans les grandes lignes. Disons simplement que son trait le plus manifeste réside dans la concentration de la guerre de Troie, longue de dix ans, en une guerre de quelques jours, qui fonctionne comme une incision verticale révélatrice de l’anatomie du mythe troyen. Ce choix radical est renforcé par la sinuosité de la narration : alors que, par des retours en arrière ou des anticipations intercalés, le début et la fin du conflit occultent l’épisode de la guerre de Troie elle-même, ils ne sont pas intégrés au corps de la narration – comme on sait en effet, l’Iliade s’achève sur l’inhumation d’Hector, qui a lieu pendant la trêve de douze jours conclue entre Achéens et Troyens. De même, la mort d’Achille (dont la funeste colère apparaît dans le préambule du récit épique comme étant au cœur de la narration) est annoncée sans avoir lieu dans le cadre narratif de l’Iliade.

De façon générale, la plokè du récit épique choisit, contre toute attente, d’« achever » le conflit par un « match nul », au mépris de l’issue de la guerre de Troie : dans le récit de l’Iliade, la guerre se solde en effet par des pertes équivalentes, le meurtre de Patrocle par Hector étant suivi du meurtre d’Hector par Achille. Et, ce qui est plus important encore : ce double meurtre, qui équilibre le bilan, est en quelque sorte doublement compensé dans le dernier chant du récit épique par l’entrevue de réconciliation entre Achille et Priam, et par le retour funèbre d’Hector. Cette solution apportée par la plokè de l’Iliade entraîne le renversement idéologique du mythe troyen, lequel obéit au schéma traditionnel qui assigne respectivement aux adversaires le sort des vainqueurs et des vaincus ; l’Iliade vient bouleverser cette répartition inégale5.

Les relations entre mythos et plokè dans l’Odyssée sont plus complexes et je dirais même ironiques, du moins indirectement. L’ironie résulte précisément du fait que le tissu narratif incite à entendre et à lire l’épopée comme un conte, une histoire d’aventures au dénouement heureux. Mais derrière et sous cette apparence de conte, les épisodes de la narration demeurent constamment incertains ; les comportements et les situations qui y sont décris sont en effet ambigus, oscillant entre l’optimisme choisi de Tissue et le suspens des étapes intermédiaires, entre la connaissance des dieux et l’ignorance des héros.

Le mythos de l’Odyssée est double, dans la mesure où il transpose un thème romanesque par excellence dans un contexte épique. Par souci de concision, on pourrait appeler ce support romanesque « Le retour de l’exilé »6 : un homme quitte sa patrie, laissant derrière lui sa femme et, éventuellement, un jeune enfant ; mais son absence, qui se prolonge plus que de raison, est dramatisée par une série de péripéties téméraires et périlleuses ; après bien des vicissitudes, l’absent finit par retrouver un jour sa patrie et sa maison. Le temps écoulé et la douleur de sa longue absence l’ont changé ; entre-temps, son épouse, croyant que son mari a définitivement disparu, succombe à la tentation d’un second mariage ; le retour de l’absent coïncide avec la décision de ce deuxième mariage, ce qui amène nécessairement l’affrontement entre l’époux en titre et le prétendant ; la victoire finale de celui qui se présente sous les traits d’un étranger confirme son identité, son épouse le reconnaît comme étant son mari, tout en insistant pour qu’il lui fournisse des preuves ; viennent enfin l’étreinte amoureuse des époux et leurs apologues respectifs qui comblent le vide de longues années de séparation.

Ce tissu romanesque se mêle, dans le cas de l’Odyssée, à un contexte proprement épique. Non pas seulement parce qu’Ulysse s’avère l’un des héros majeurs du mythe et de la guerre de Troie, mais aussi parce que son νόστος est comparé à celui d’autres héros célèbres de l’Iliade ; la multiplication du nombre des prétendants transforme le duel romanesque en un véritable exploit méta-épique.

La figure même d’Ulysse présente dans le récit épique la même multiplicité. Comme je me suis efforcé de le montrer en détail dans un de mes livres7, le profil du héros a, dans l’Odyssée, trois faces, traduites par autant d’adjectifs homeriques attachés à son nom ; en sa qualité de héros pré-épique, Ulysse est qualifié de πολύτϱοπος ; en tant que héros épique, de πτολὶποϱθος ; et enfin, en tant que héros méta-épique, de πολύπλαγϰτος. En outre, deux caractères du héros doivent être considérés comme étant purement odysséens ; car Ulysse apparaît dès le préambule du récit épique comme un personnage φιλέταιϱος et, dans le cadre des Apologues s’avère un exceptionnel narrateur.

De ce point de vue, le mythos même de l’Odyssée, qui mêle entre eux des éléments hétéroclites, pourrait être considéré comme un type programmatique de plokè. Mais néanmoins, dans ce récit épique, c’est à mon sens ce que j’appellerais une « plokè intérieure » – macroscopique et microscopique – qui occupe la plus grande place dans la narration.

Je propose de ranger dans le type de plokè dite « macroscopique » : d’une part, les détours narratifs qui bouleversent le cours linéaire et chronologique de la narration ; et d’autre part, de grandes unités narratives qui, en étant avancées, intercalées ou déplacées, retardent l’action du mythe et fonctionnent comme des étapes ou des haltes.

Dans le type de plokè dite « microscopique », l’on rangera les épisodes plus courts qui s’écartent plus manifestement de l’axe narratif et introduisent des personnages périphériques ou marginaux de l’épopée.

Exemples caractéristiques de la première catégorie : le début du récit épique in media res ; l’exposé rétrospectif des Apologues, qui se transportent d’Ithaque à Schérie : l’arrivée et le séjour d’Ulysse dans la cabane isolée d’Eumée, avec ce qui précède et ce qui suit.

Exemples de la deuxième catégorie : l’épisode injurieux avec Mélanthios dans le cours du chant XVII ; l’autre épisode injurieux avec Mélantho vers la fin du chant XVIII ; l’« Irou pygmè » qui ouvre le même chant et se trouve au cœur de notre propos.

Je n’insisterai pas ici sur tous les exemples précédents de plokè macroscopique ou microscopique ; non plus que sur d’autres exemples, moins évidents, presque clandestins, qui, d’une façon ou d’une autre, échappent au noyau narratif et en même temps l’entourent, imprimant momentanément à la progression linéaire du récit un mouvement cyclique.

Je rappellerai toutefois qu’il est des cas de plokè – macroscopique essentiellement – qui, par leur position et leur fonction excentrées, ont choqué non seulement les Analystes des études homériques, mais aussi le Néoanalyste Schadewaldt, lequel attribue ces singularités narratives de l’Odyssée à un deuxième poète enclin à la caractérologie8. En effet, certains exemples de plokè macroscopique et microscopique, viennent greffer sur le corps de l’Odyssée la composition de portraits et de caractères : c’est certainement le cas, à l’échelle macroscopique, de Télémaque et d’Eumée ; c’est aussi le cas, à l’échelle microscopique cette fois, de Mélanthios, d’Iros et de Mélantho. Toutefois il serait dommage pour l’Odyssée d’enlever ces caractères, lesquels se distinguent en caractères nobles et moins nobles, panachant jusqu’à la langue du récit épique et la rendant, selon les passages, soutenue et familière ; digne et enjouée, travaillée et brute. Et j’en reviens à l’exemple de l’« Irou pygmè », épisode au caractère presque bouffon.

III

A première vue, le pugilat entre Iros et Ulysse semble non seulement incongru mais de facture grossière. D’aucuns iraient jusqu’à dire : de mauvais goût. Cette première impression, sur laquelle compte néanmoins le poète pour provoquer l’auditeur-lecteur, se dissipe si l’on réfléchit sur ce que signifient sa place dans le chant et son insertion dans le contexte général.

En réalité, il convient de considérer cet épisode comme l’un des degrés d’un crescendo narratif parfaitement cohérent, dont le but est de mettre en évidence la brutalité des prédendants9 et de quelques esclaves infidèles du palais, face à la figure altérée de l’étranger qu’aucun d’eux n’a encore identifié – puisque le seul des personnages présents qui l’ait reconnu jusque-là est Télémaque, lequel dissimule cependant, autant qu’il le peut et autant qu’il le doit, ce qu’il sait depuis un moment déjà. La grossièreté en tout cas des autres à l’égard de l’étranger n’est pas totalement inconcevable si l’on songe à l’allure à la fois misérable et comique d’Ulysse, qui pénètre dans sa propre demeure sous les traits d’un mendiant en haillons, vieux, laid et chauve de surcroît.

Quoi qu’il en soit, l’« Irou pygmè » est précédé de deux cas de comportement brutal, et suivi de deux autres au chant XVIII. Il vient en effet après les injures moqueuses que Mélanthios adresse à l’étranger sur le chemin du palais (Od. XVII 217 sq.), aussitôt suivies, dans la grande salle du palais cette fois, du violent accès de colère d’Antinoos, non seulement importuné par la manière provocante dont mendie Ulysse, mais vivement irrité par son impertinence, de sorte qu’il finit par lui lancer une escabelle sur l’épaule (Od. XVII 445 sq., 458 sq.). Et il vient avant Tattitude injurieuse de Mélantho (Od. XVIII 321 sq. cf. XIX 65 sq.), sœur de Mélanthios, tandis qu’Eurymaque répète la violence d’Antinoos, en paroles et en actes (Od. XVIII 387 sq.). De ce point de vue, T « Irou pygmè » occupe une place prépondérante dans l’enchaînement, puisqu’il se situe au centre de quatre épisodes du même type, deux en amont et deux en aval.

Deuxième remarque résultant du même processus de mise en perspective : l’« Irou pygmè » s’avère le préambule cocasse du massacre des prétendants10 qui suivra : l’étranger terrasse et ridiculise le mendiant qu’il a pour adversaire, après avoir relevé ses haillons sur sa virilité, découvrant sa force et sa beauté physique – mouvements qui seront repris et magnifiés dans la scène du massacre des prétendants.

Enfin, une troisième et dernière remarque, laquelle révèle dans l’épisode envisagé une nuance d’ironie. Iros se présente en effet comme un client régulier du palais, un mendiant professionnel, pusillanime, certes, mais d’une stature peu ordinaire (Od. XVIII 1-4). C’est en cette qualité qu’il s’oppose à l’étranger de passage, mendiant comme lui, qui menace de lui ôter le pain de la bouche ; sauf qu’en l’occurrence, il s’agit d’un masque de mendiant. Deux figures donc, dont l’une semble être la caricature de l’autre ; un peu comme si Iros se regardait dans un miroir, déformant naturellement. Quant à Ulysse, la présence soudaine au palais d’un autre mendiant lui permet de mieux se figurer son propre masque, qu’il connaît sans le voir. Le jeu de miroir s’avère donc plus ou moins mutuel, et ce n’est évidemment pas un hasard si Antinoos et les autres prétendants s’en amusent autant (Od. XVIII 35 sq.).

Dans les cinq cas de brutalité commise aux dépens d’Ulysse non encore identifié (dans l’ordre : celle de Mélanthios, d’Antinoos, d’Iros, de Mélantho et d’Eurymaque), répartis entre les chants XVII et XVIII, ce qui prime, c’est la composition de caractères, une sorte de théâtralité. Et je me permettrai ici d’ouvrir une petite parenthèse pour rappeler une remarque pertinente d’Hermogène (Πεϱί μεθόδου δεινότητος, 8.33), lequel définit la plokè comme étant une « double méthode », qui différencie les genres littéraires (la harangue du dialogue, par exemple, la comédie, de la tragédie et de l’épopée), tant pour ce qui est de leurs fins que pour ce qui est de leur ton.

Dans le cas qui nous occupe, en tout cas, la composition de caractères se manifeste de trois façons : par le nom des protagonistes, par leur discours et par leur manière d’agir. De toute évidence, l’homonymie Mélanthios-Mélantho11, dont la première composante est μέλας, n’est pas fortuite ; en outre, le nom d’Iros, d’après le commentaire que l’on trouve dans le texte même, est un sobriquet qui parodie la messagère des dieux, dont le nom, Iris, est presque identique12. Quant aux noms d’Antinoos et d’Eurymaque, leur étymologie, qui souligne leur caractère tout au long de l’Odyssée, est assez transparente, je crois, pour se passer d’explication. Il convient toutefois de noter que, dans le contexte envisagé, la brutalité de ces deux prétendants de Pénélope, qui se distinguent des autres, ne se limite pas à un discours injurieux et violent, mais s’accompagne, pour la première et unique fois dans l’épopée, d’une sorte de droit manuaire ; tous deux jettent en effet leur escabelle contre Ulysse mendiant (Od. XVII. 462 ~ XVIII 394)13.

Le caractère théâtral des cinq personnages transparaît cependant davantage dans leur discours, dans la langue étonnamment crue qu’ils utilisent et qui, dans le cas des trois personnages marginaux (Mélanthios, Iros et Mélantho), atteint des sommets sans précédent et semble franchir la barrière du vocabulaire épique.

Mais donnons-nous la peine d’étudier de plus près ce registre de l’injure dans l’Odyssée, registre dont l’ampleur – il est baucoup plus développé que dans l’Iliade – rend plus vif son réalisme, au sens littéral et métaphorique du terme. Le poète de l’Odyssée semble dans ces moments puiser le vocabulaire trivial qu’il emploie dans la langue courante de son époque, ou dans les récits de son temps qui parodient la grandeur épique, comme le Margitès14.

D’ailleurs, dans son ensemble, l’épisode de l’« Irou pygmè » ressemble beaucoup à une parodie de la noblesse épique15. L’audace verbale du poète, réservée à quelques scènes de la plokè microscopique, confirme la définition de Todorov16, lequel oppose la liberté de la plokè au caractère conservateur du mythos.

En tout état de cause, l’intempérance et la vulgarité de la langue de Mélanthios, d’Iros et de Mélantho (qu’Eurymaque imite mot pour mot dans ses propres railleries), rabaisse le discours de l’Odyssée au niveau d’un quotidien pathologique. Dans la mesure où le mythos se définit en premier lieu à partir de conventions généralement admises (comme l’enchaînement causal et chronologique des parties qui le composent), la plokè, dans ses différentes versions et applications, assure à la narration odysséenne des écarts et des détours qui, en l’éloignant des conventions, la rendent plus vivante. Et en ce sens, l’Odyssée peut être considérée comme un exemple fondamental de plokê progressiste ; caractère qui se traduit par l’intrication des différents épisodes, des différents personnages et par la mixité de la langue elle-même.

Dans un passage, important pour notre propos, de sa Poétique (1456a 9), Aristote, comparant la plokè au mythos dans des tragédies construites sur le même thème du point de vue mythologique, remarque : πολλοὶ δέ πλέξαντες εὖ λύουσι κακῶςδεῖ δέ ἄμφω ἀεί ϰρατεῖσθαι (« beaucoup savent nouer la plokè, mais ne savent pas lui donner un dénouement ; or il faut que les deux parties constituent un ensemble parfait »). Remarque qui signifie que, finalement, la plokè se compose de deux parties et qu’il est plus difficile de la dénouer (λύσις) que de la nouer (δέσις).

Ce pertinent impératif aristotélicien est plus que respecté dans l’Odyssée : il y est dépassé. Dépassement que l’on observe dans les deux types, microscopiques et macroscopiques, de la plokè odysséenne. L’épisode de l’« Irou pygmè » illustre parfaitement le premier cas.

Je rappelle que dans l’introduction de l’épisode, les prétendants, après l’initiative d’Antinoos, applaudissent à la provocation d’Iros et prennent plutôt son parti (Od. XVIII 36 sq.). C’est dans ce climat qu’Antinoos fixe la double récompense : le vainqueur de ce pugilat fort divertissant aura droit à une part de choix pour se remplir la panse et sera à l’avenir le seul mendiant admis à tous les festins des prétendants (Od. XVIII 43 sq.).

Mais lorsqu’Antinoos voit que le corps robuste de l’étranger terrorise le pusillanime Iros, sa sympathie se reporte sur le nouveau venu et ses menaces sur le mendiant professsionel (Od. XVIII 79 sq.). La victoire finale de l’étranger augmente encore la bonne disposition des prétendants à son égard : estomac de chèvre farci et compliments viennent le récompenser. Amphinomos (son nom annonce déjà son attitude ambiguë vis-à-vis des autres prétendants) va même jusqu’à lui offrir une coupe de vin et à lui souhaiter bonne fortune (Od. XVIII 122-123). Content, Ulysse accepte le geste généreux et tente, par la morale d’une histoire inventée, d’éloigner Amphinomos du groupe des autres prétendants ; de le renvoyer à temps chez lui, afin de l’épargner (Od. XVIII 125 sq.). Amphinomos hésite un moment puis, tout en pressentant un malheur, reprend sa place parmi les autres prétendants (Od. XVIII 153-154).

Ce dénouement aporté à l’épisode de l’« Irou pygmè » est certainement réussi à l’échelle microscopique ; mais il crée un problème pour la suite du mythos odysséen, dans la mesure où il relâche la tension entre Ulysse et les prétendants, condition nécessaire pour que se réalise l’acte de vengeance du massacre des prétendants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Athéna (Od. XVIII 346-348), dans la dernière partie du chant, veille à ce que la situation retrouve son caractère explosif, ce qui ne tarde pas, d’abord à cause du chapelet d’injures adressé par Mélantho à l’étranger, puis à cause de la brutalité d’Eurymaque, qui se livre même à un acte de violence physique.

Cet exemple nous permet, je crois, de mieux voir comment fonctionne le dénouement de la plokè odysséenne à l’échelle microscopique : à l’intérieur de l’unité d’un même épisode, le dénouement correspond parfaitement à l’impératif aristotélicien : mais il contient en même temps une affaire en souffrance, une question pendante qui annonce la suite du mythe et ne sera tranchée que plus tard, en dehors du cadre de l’épisode.

Le même procédé est appliqué à l’échelle macroscopique, comme le montre le dénouement donné à l’ensemble de la plokè de l’épopée entre le chant XXIII et le chant XXIV. Dans le cadre du chant XXIII, la reconnaissance d’Ulysse par Pénélope est couronnée par leur complainte mutuelle, leur étreinte amoureuse et leur sommeil réparateur, qui les délivre de tous les soucis passés et sur lequel veille la déesse Athéna. Il est difficile d’imaginer un dénouement plus heureux à la plokè odysséenne ; et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les érudits alexandrins considéraient déjà que l’épopée de l’Odyssée s’achève là, et que le reste constitue une addition ultérieure17.

Mais un tel dénouement de la plokè odysséenne, romantique s’il en est, ne comporte pas cette affaire pendante dont j’ai parlé tout à l’heure. Or, c’est avec ce critère de l’élément en souffrance qu’il faut nécessairement juger les parties d’ordinaire dénigrées du chant XXIII et la totalité du chant XXIV. Car une double affaire en souffrance est préparée et mise en scène dans ces passages dénigrés : la première est réglée dans le cadre de l’épopée, l’autre échappe à ses limites.

Je rappellerai qu’Ulysse, après le massacre des prétendants et avant l’heure imminente de sa reconnaissance, prévient Télémaque du risque d’insurrection des parents des prétendants massacrés (Od. XXIII 137-139). A la fin du même chant, il revient sur la question, arme son fils et s’arme lui-même, se préparant au conflit maintenant certain (Od. XXIII 366-368). L’insurrection a effectivement lieu dans la deuxième partie du chant XXIV (453-466) et n’est annulée qu’à la dernière minute, là encore grâce à l’intervention d’Athéna (Od. XXIV 472 sq.). Ce qui signifie que le dénouement en tous points heureux de la plokè odysséenne comporte bien une affaire en suspens, qui n’est réglée qu’à la fin de l’épopée18.

Cependant à l’intérieur du chant XXIII se prépare une autre affaire en suspens de la plokè odysséenne, laquelle renvoie cette fois à un après l’Odyssée légendaire. Je veux parler de la raison du second départ d’Ulysse, dont Pénélope voudrait connaître les détails prophétiques au moment le plus inopportun : après la reconnaissance et avant l’étreinte amoureuse du couple (Od. XXIII 248 sq.)19.

Cette dernière « affaire en souffrance », qui s’inscrit dans l’échelle macroscopique de la plokè de l’Odyssée, rappelle, il me semble, si elle ne le reproduit pas, le procédé utilisé dans ce chapitre par le poète de l’Iliade. Car là aussi le mythe et la guerre de Troie dépassent nettement les limites du mythe et de la guerre de l’Iliade ; le mythe et la guerre de Troie ponctuent en quelque sorte l’épopée de l’Iliade, mais prennent à la fin du récit l’allure d’une histoire inachevée. C’est exactement ce qui se passe dans l’Odyssée, dont la plokè intérieure aboutit également sur une histoire en suspens, en référence au mythos taditionnel qui l’encadre et la dépasse en même temps. La question de savoir lequel, du mythos ou de la plokè, l’emporte dans les deux épopées homériques devient une question caduque à la lumière de cette notion d’« affaire pendante ».

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– « Neue Kriterien zur Odyssee-Analyse », in Hellas und Hesperien : Gesammelte Schriften zur antike und zur neueren Literatur in zwei Bänden, R. Thurow – E. Zinn (ed.), vol. 1, Zürich & Stuttgart 21960, pp. 58-77.

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1 Le mot μῦθος dans les épopées homériques, ainsi que le suggère R. Martin, The Language of Heroes : Speech and Performance in the Iliad, Ithaca 1989, pp. 12, 14, 22, 37-38, se rapproche d’une certaine façon de la notion de plokè, puisqu’il exprime l’acte de discours (speach-act), acte qui présuppose le prestige du parleur ; il se déroule dans le cadre d’une audition publique ; il se déploie en longueur et concerne l’organisation du discours (cf. par exemple Od. XI 368 : μῦθον ὡς ἀοιδòς ϰατέλεξας). Quant au mot πλοϰὴ et sa forme verbale correspondante πλέϰειν, ils ne figurent pas dans les épopées homériques. Certes, on trouve l’expression analogue du tissage du discours (cf. par exemple Il. III 211 : μῦθους ὕφαινον) – cf. J. Svenbro, La parole et le marbre : Aux origines de la poétique grecque, Lund 1976, pp. 193-212. Chez Pindare, le rapport entre la poiesis et la plokè devient plus claire (Olymp. 6. 86-87 : πλέκων ποιϰίλον ὕμνον ; Nem. 4. 94 : ϱήματα πλέϰων), tandis que chez Sappho (fr. 188 L-P) apparaît le mot μυθοπλόϰος comme qualificatif d’Aphrodite – sur ce point, cf. J. McIntosh Snyder, « The Web of Song : Weaving Imagery in Homer and the Lyric Poets » CJ 76, 1981, pp. 193-196.

Dans la Poétique d’Aristote (1450a 3 ϰαι 1450a 15) le mot μῦθος, en tant que σύνθεσις et σύστασις τῶν πϱαγμάτων, décrit en même temps la notion du contenu et la plokè ; cf. S. Koster, Antike Epostheorien, Palingenesia 5, Wiesbaden 1970, p. 54 ; P. Ricœur, ᾽H ἀφηγηματικὴ λειτουργία, traduction grecque par V. Athanassopoulos, Athènes 1990, p. 66. En d’autres passages de la Poétique les mythes se distinguent en ἁπλούς et πεπλεγμένους (1452a 1), tandis que comme ϰαλλίστη σύνθεσις de la tragédie est considérée la πεπλεγμένη (1452b 2, cf. 1455b 2).

2 La distinction entre mythos et plokè constitue une interrogation de la théorie contemporaine du récit, où le couple en question est désigné comme Geschichte-Fabel, story-plot, histoire-récit, fabula-sjužet, histoire-discours – voir sur ce point E. Lämmert, Bauformen des Erzählens, Stuttgart 51972, pp. 24-25 ; G. Genette, Discours du récit : essai de méthode, in Figures III, Paris 1972, pp. 71-72 ; S. Chatman, Story and Discourse : Narrative Structure in Fiction and Film, Ithaca 1978, pp. 19-20 ; P. Brooks, Reading for the Plot : Design and Intention in Narrative, New York 1984, pp. 12-14 ; W. Martin, Recent Theories of Narrative, Ithaca 1986, pp. 107 sq. ; Tz. Todorov, Θεωϱία Λογοτεχνίας, traduction grecque par E. P. Nikoloudis, Athènes 1995, pp. 284 sq.

3 Je fais référence, à titre indicatif, à I. Th. Kakridès, ῾Oμηρικὲς Ἔρευνες, Athènes 31984 et aux études de W. Kullmann, aujourd’hui reprises in Home-rische Motive. Beiträge zur Entstehung, Eigenart und Wirkung von Ilias und Odyssee, Stuttgart 1992.

4 Cf. les indications que je donne sur les νόστοι de l’Odyssée in D. N. Maronitis, ᾽Aναζήτηση ϰαί νόστος τοῦ ᾽Oδνσσέα : ᾽H Διαλεκτιϰή τῆς ᾽Oδύσσειας, Athènes 1971, pp. 130-140.

5 Sur la fin de la guerre de Troie par un « match nul », cf. D. N. Maronitis, « ῾O ἰλιαδικòς πόλεμος », in ῾Oμηϱιϰὰ ΜεγαΘέματα : Πόλεμος-῾Oμιλία-Νόστος, Athènes 1999, pp. 27-50.

6 L. Radermacher, Die Erzählungen der Odyssee, Sitzungsberichte der Akad. in Wien, Phil.-hist. Kl. 178, 1, Wien 1915, p. 51 ; I. Th. Kakridès, « ᾽Oδυσσέως ἀναγνωϱισμός », aujourd’hui in Ξαναγυϱίζοντας στòν ῞Oμηϱο, Thessalonique 1971, pp. 169-182. Quant au même motif dans l’épopée serbo-croate, cf. J. M. Foley, Traditional Oral Epic : The Odyssey, Beowulf, and the Serbo-Croatian Return Song, Berkeley 1990, pp. 359-387.

7 Ἀναζήτηση ϰαὶ νόστος τοῦ Ὀδυσσέα, op. cit., pp. 72 sq.

8 Voir ce qui est dit sur le poète B par W. Schadewaldt, « Der Prolog der Odyssee » et « Neue Kriterien zur Odyssee-Analyse », in Hellas und Hesperien, Zürich & Stuttgart 1960, B. 1, pp. 44, 61-62, 72, 75-76.

9 D. Levine, « Odyssey 18 : Iros as Paradigm for the Suitors », CJ 77, 1982, pp. 200-204.

10 Sur ce point, cf. aussi R. Schröter, Die Aristie als Grundform homerischer Dichtung und der Freiermord in der Odyssee, Phil. Diss., Marburg 1950, pp. 180-182 ; H. Eisenberger, Studien zur Odyssee, Palingenesia 7, Wiesbanden 1973, p. 242 ; H. Bannert, Formen des Wiederholens bei Homer, WS Beiheft 13, Wien 1988, p. 100. A ma connaissance, dans la bibliographie concernant la question, à l’exception de G. Danek, Epos und Zitat : Studien zu den Quellen der Odyssee, WS Beiheft 22, Wien 1998, p. 342, à XVIII 1-119, lequel parle de « Parodie des Aristieschemas », personne n’a souligné avec précision le caractère manifestement grotesque de l’« Irou pygmè », comme un net contraste au caractère grave du massacre des prétendants. D’ailleurs, cette combinaison antithétique de style grotesque et sérieux sur le même sujet semble être un choix plus général du poète de l’Odyssée.

11 Concernant ce couple, ainsi que d’autres couples du même type dans l’Odyssée, (« Character doublets »), cf. B. Fenik, Studies in the Odyssey, Hermes Einzelschriften 30, Wiesbaden 1974, pp. 174 sq. ; F. Bader, « L’art de la fugue dans l’Odyssée », REG 89, 1976, pp. 28 sq. ; H. Schwabl, « Die Funktion von « Character Doublets » in der Handlungsführung der Odyssee », in Ευχήν Ὀδυσσεῑ. Πρακτικὰ τοῡ Ζ´ Συνεδρίου για τήν Ὀδύσσεια (3-8 Σεπτεμβρίου 1993), Ithaca 1995, pp. 105 sq.

12 Pour ce qui est du nom Ἶρος comme parodie du nom Τρις, cf. G. Nagy, The Best of the Achaeans : Concepts of the Hero in Archaic Greek Poetry, Baltimore & London 1979, pp. 228-229 n. 3 et 4 ; sur le nom “A ΐρος (Od. XVIII 73), cf. C. Higbie, Heroes’ Names, Homeric Identities. Albert Bates Lord Studies in Oral Tradition, voi. 10, New York 1995, pp. 14-15. D’autres étymologies du nom Προς sont proposées par J. Russo (M. F-Galliano-A. Heubeck), A Commentary on Homer’s Odyssey, vol. 3, Oxford 1992, p. 47, à XVIII6-7.

13 Sur cette analogie, avec ses variantes, cf. H. Reynen, « Schmährede und Schemelwurf im ρ und σ des Odyssee », Hermes 85, 1957, pp. 135 sq.

14 C’est ce que laisse entendre, à l’occasion du mot μάργος (Od. XVIII2) G. Nagy, op. cit., p. 229 et n. 3. Pourtant, M. Förderer, dans son étude Zum homerischen Margitès, Amsterdam 1960, ne rapproche pas Μαργίτης de l’« Irou pygmè » de l’Odyssée.

15 A. K. Zervou, Ironie et Parodie. Le comique chez Homère, Athènes 1990, pp. 170 sq. ; P. Pucci, Odysseus Polytropos : Intertextual Readings in the Odyssey and the Iliad, Ithaca 1987, p. 162.

16 Tz. Todorov, op. cit., p. 285.

17 Sur le τέλος de l’Odyssée, défini par les érudits alexandrins à XXIII 296 et transporté par Focke et Schadewaldt à XXIII 343, on peut lire la critique, entre autres, de R. Friedrich, Stilwandel im homerischen Epos. Studien zur Poetik und Theorie der epischen Gattung, Heidelberg 1975, pp. 160 sq. ; A. Heubeck (J. Russo-M. F-Galliano), A Commentary on Homer’s Odyssey, vol. 3, Oxford 1992, pp. 342-345 à XXIII 297 et, plus généralement, H. Erbse, Beiträge zum Verständnis der Odyssee, Berlin 1972, pp. 166-177.

18 La notion d’« affaire en suspens » ou d’« affaire pendante » [« εϰϰϱεμότης »], ainsi que je l’utilise ici, est différente, d’un point de vue de syntaxe et de style, de la notion plus vaste de Spannung ou de la notion de tension narrative, définies par T. Schmitz, « Ist die Odyssee « Spannend » ? Ammerkungen zur Erzähltechnik des homerischen Epos », Philologus 138, 1994, pp. 13-14, et par R. Scodel, « The Removal of the Arms, the Recognition with Laertes, and Narrative Tension in the Odyssey », CPh 93, 1998, pp. 1-17.

19 Cf., sur cette question, G. E. Duckworth, Foreshadowing and Suspense in the Epics of Homer, Apollonius and Vergil, Phil. Diss., Princeton 1933, pp. 32, 96 n. 204 ; J. Peradotto, Man in the Middle Voice : Name and Narration in the Odyssey, Princeton 1990, p. 69 sq., 89-90 ; et, d’une manière plus générale, concernant le « an ending beyond the ending », cf. D. H. Roberts, « Afterword : Ending and Aftermath, Ancient and Modern », in D. H. Roberts, F. M. Dunn and Don Fowler (éd.), Classical Closure : Reading the End in Greek and Latin Literature, Princeton 1999, pp. 252-253.