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A propos de l’arc d’Ulysse

Des steppes à Ithaque

Pierre SAUZEAU

Université Paul Valéry, Montpellier 3

La voici qui s’approche tout contre l’oreille

comme si elle allait parler, embrassant son amant chéri.

C’est la Corde : tendue sur l’arc elle vibre…

Il est père de filles nombreuses,

il les fait tinter lorsqu’il marche au combat :

c’est le Carquois…

Elle revêt le plumage de l’aigle, sa dent est de fauve,

retenue par les tendons elle vole…

c’est la Flèche…

Enduite d’arsenic, tête d’antilope à bouche d’acier…

la Flèche…

Rig-Véda, 6, 75 ; trad. L. Renou

G. Germain, dans le premier chapitre de son ouvrage sur la Genèse de l’Odyssée, reconnaissait dans l’épisode du « jeu de l’arc » du chant XXI l’écho d’un « rituel royal des steppes », en fait, un emprunt au monde indo-iranien ; il nous a paru intéressant de suivre cette piste avec d’autres moyens et dans une perspective assez différente. Germain, qui se méfiait non sans de bonnes raisons de l’étymologie, et entendait déployer un comparatisme très large, cantonnait la recherche linguistique dans un rôle plutôt secondaire. Nous voudrions, pour notre part, vérifier sa thèse sur ce point précis, par un travail sur l’histoire du vocabulaire et du symbolisme de l’arc en Grèce archaïque, en essayant de faire le partage entre deux phénomènes que Germain n’a peut-être pas suffisamment distingués : héritage i.e. et emprunt proprement dit.

Malgré le discrédit de l’arc dans la société grecque réelle et dans les traditions panhelléniques de l’épopée, Ulysse est un héros archer, et fier de l’être (Od., VIII, 215-228). Cette contradiction, que Germain avait repérée1, a été depuis lors décrite de manière approfondie2. L’arc n’est pas l’arme identitaire des Grecs – bien au contraire – mais c’est l’attribut de dieux comme Artémis et d’Apollon, l’arme infaillible et « sacrée » d’Héraklès et de Philoctète3, symbole de victoire et d’une certaine forme de souveraineté. Cette contradiction est en fait à l’œuvre dans le texte même de l’Odyssée, comme l’a récemment montré G. Danek4 : le massacre à l’arc fait place à un combat de type héroïque.

L’arc d’Ulysse

Si les arcs représentés en Grèce au premier millénaire sont de types divers, l’arme « homérique » est un arc composite5, beaucoup plus puissant que l’arc simple, mais aussi beaucoup plus difficile à bander, comparable dans son principe à l’arc scythe, inventé selon la tradition par le héros éponyme Skythès6.

Ce type d’arme est décrit avec une apparente précision par Homère, à propos de Pandaros : son arc est paradoxalement à la fois un don d’Apollon (Il., II, 827) et un artefact dont la complexité est soulignée (Il., IV 105-III)7 :

« L’arc vient d’une chèvre sauvage, un bouquetin8 (…) ; les cornes de son front mesuraient seize palmes. Un artisan, un polisseur de cornes, les a travaillées, puis ajustées ensemble. Une fois le tout lissé, il y a monté un bec d’or. »

Quand on tend l’arme pour la mettre en service, la forme de l’arc s’inverse, d’où l’épithète παλίντονος (Il., VIII 266 ; Od., XI, 59 ; XXI, 11) : « qu’on tend vers l’arrière »9. Cette mise en tension de l’arc reflexe, ou le geste de bander un arc simple de grande puissance, constitue un moment difficile et crucial, qui requiert force et habileté, une véritable épreuve conçue comme telle par les Scythes, les Perses, les Indiens et les Grecs.

Ceci dit, la description détaillée de l’arc de Pandaros pose des problèmes. Un grand arc fait du simple ajustage de deux cornes manquerait de la flexibilité nécessaire. Tout se passe comme si l’aède avait disposé d’une précise description de la fabrication d’un arc composite associant très probablement le bois, le tendon et la corne, description qu’il n’aurait pas véritablement comprise. L’arc d’Ulysse, qui est lui aussi « grand » (μέγα), est certainement une arme composite, puisque le héros (Od., XXI, 395) vérifie que les vers, en son absence, n’ont pas rongé les « cornes » (κέρα), preuve de la présence de bois, et puisqu’on le chauffe pour l’assouplir (Od., XXI, 180 et s.), ce qui suppose la présence de tendon.

Noms de l’arc

Malgré l’ancienneté de son invention, les langues indo-européennes n’ont pas pour l’arc une désignation commune. « Il est constant, écrivait E. Benveniste, que le nom de cette arme se renouvelle partout. »10 En grec, l’arc est désigné par deux mots différents, βιός et τόξον, « synonymes », dans la mesure où ils désignent la même arme de façon apparemment équivalente.

Le mot τόξον est, déjà chez Homère, beaucoup plus fréquent que le terme concurrent (122 fois au lieu de 17) ; il est d’ailleurs resté la désignation normale de l’arme dans la langue grecque et a fourni de nombreux dérivés : τόξευμα, τοξευτής – τοξευτήρ, etc., ainsi que de nombreux composés, soit comme premier terme11, soit comme deuxième terme12.

L’étymologie de τόξον est en principe inconnue. Une étape capitale a cependant été franchie en 1937 par E. Benveniste13, qui a proposé de considérer ce vocable comme un emprunt à la langue scythe, comme γωρυτός, mot qui apparaît justement au chant XXI, v. 54, et qui désigne proprement non le simple carquois (en grec φαρέτρη, que le poète de l’Odyssée utilise en général) mais l’objet plus complexe destiné à recevoir à la fois les flèches et l’arc reflexe. Benveniste s’appuie sur deux arguments convergents de nature différente :

1) l’arc est la spécialité reconnue des cavaliers scythes et des peuples iraniens en général. 2) l’onomastique scythe (Τόξαρις14, Τάξαρις) l’autorise à poser un mot iranien *taχša- « arc », d’ailleurs attesté en persan littéraire.

Le mot τόξον se trouve indirectement mais indiscutablement attesté en mycénien15 (fait bien entendu ignoré de Benveniste en 1937 comme encore de Germain au moment de la rédaction de sa thèse) ; cela ne remet pas en cause la théorie, mais contraint tout de même à la considérer d’un autre œil. Les arguments historiques empruntés au premier millénaire ne sont plus vraiment pertinents ; mais Benveniste avait lui-même envisagé une date très haute pour cet emprunt : « Si l’on veut se représenter les circonstances où τόξον et γωρυτός ont pu être empruntés, on doit se rappeler que, établis le long des côtes, du Danube à la Caspienne (…), des peuples guerriers, Scythes et Thraces mêlés (…), ont longtemps voisiné avec les Proto-Hellènes avant même que ceux-ci aient envahi la péninsule. »16 La localisation de peuples de langue « iranienne » (proto-scythes, Cimmériens) à l’âge du Bronze, en Europe orientale, n’est pas impossible17. G. Germain pensait de son côté que le thème du Jeu de l’arc était entré dans les traditions héroïques de la Grèce avant les grandes migrations i. e. « quand les Grecs et les Indo-iraniens pouvaient encore entretenir des contacts »18. Le fait que la présence de l’arc composite dans le monde mycénien soit discutée19, et surtout que les haches du Jeu odysséen soient en fer pose toutefois quelques problèmes pour dater du deuxième millénaire l’emprunt mythique.

Pour l’étymologie de τόξον, en tout cas, on pourrait envisager un emprunt très ancien à une langue iranienne d’un radical désignant à la fois l’arc et le bois qui le constitue. Benveniste lui-même, qui semble curieusement, sur ce point, se contredire à quelques pages de distance, ne refusait pas, en fin de compte, le rapprochement, déjà fait par les Anciens et suggéré par Virgile lui-même (Géorgiques, II, 448)20 avec le latin taxus « if » ; Chantraine le récusera fermement dans le DÉLG. Les arguments que Benveniste avait rassemblés contre le rapprochement de taxus et de τόξον sont de natures diverses et ne nous semblent pas dirimants, parce que l’hypothèse de l’emprunt à une langue iranienne supprime les difficultés phonétiques21 et le problème de la désignation différente de l’arc et de l’if en latin et en grec22. « Rien ne prouve que le τόξον ait été jamais en bois d’if », disait encore Benveniste. Mais l’arc simple est presque toujours de bois, et l’arc composite « épique » comportait nécessairement une âme de bois ; or, si plusieurs essences sont propices à cet usage23, le bois d’if est associé à l’arc de façon étroite et profonde dans les sociétés indo-européennes24. Par exemple yew « if » signifiait « arc » en anglais poétique25 ; le même phénomène est attesté dans les langues celtiques et nordiques. Le vieux norrois a pour l’arc deux mots : yr « if » et almr « orme ». Autre chose : l’if est de fait une essence fort toxique. On prétendait dans l’Antiquité (Dioscoride, IV, 79) que son ombre même était mortelle26. On peut se demander si le bois propice à la fabrication des arcs, et choisi essentiellement pour ses propriétés physiques, ne comportait pas une fonction magique. D’autre part l’arc et le poison sont inséparables : la flèche est d’autant plus efficace qu’elle est empoisonnée, usage bien connu d’Homère, confirmé par l’étymologie du mot τοξικόν, et maintenu dans la conscience linguistique des Grecs par la parfaite homophonie des deux mots ἰός d’origine différente, l’un signifiant « poison », l’autre « flèche » (ce dernier correspond au sanskrit isu- et à l’avestique išu-, rencontre étymologique d’ailleurs signalée par Germain27).

Il faut donc prendre garde à poser la question étymologique concernant τόξον de la façon la plus précise possible. D’une part les Anciens ne pratiquent évidemment pas une classification « scientifique » des espèces végétales. D’autre part le nom de l’arbre n’est pas un point de départ « concret » et « primitif » : E. Benveniste28 a montré ailleurs que le nom grec du chêne (δρῦς) devait être interprété à partir de *der-w, signifant le concept de « fermeté »29. « La désignation des noms d’arbres se fonde assez souvent sur les utilisations qu’on fait de l’arbre ou de ses fruits à différentes fins, plutôt que sur son identité botanique », nous rappelle A. Martinet30. Les arbres susceptibles d’être travaillés pour faire des arcs, ifs ou autres, ont pu être nommés dans certaines langues i.e. comme les arcs eux-mêmes, avec adaptation éventuelle du genre grammatical. Ainsi, l’iranien aurait eu pour l’arc (selon l’hypothèse d’E. Benveniste) *taχša-, nom d’agent de *taχš-, « faire partir, lancer », emprunté à date très haute par les proto-Grecs (τόξον, au neutre)31, cependant que le latin désignait l’if par taxus32. Ainsi s’expliquerait l’emprunt par le proto-grec ou le grec mycénien du mot à une langue iranienne, au troisième ou au deuxième millénaire. Le cas de βιός sera différent.

– βιός, à une exception près sur laquelle nous reviendrons, se trouve confiné à l’épopée homérique, où son emploi (sept fois dans l’Iliade, dix fois dans l’Odyssée) semble déjà menacé par celui de τόξον. Il n’a pas de dérivé. Selon P. Chantraine (DELG s.u.) cette désaffection pourrait être due à la quasi-homonymie de βίος « vie ». Du point de vue diachronique, en tout cas, ce vocable archaïque se présente comme un héritage incontestable du vocabulaire indo-européen. Plusieurs langues indo-européennes possèdent en effet des termes étymologiquement proches pour désigner l’arc, la corde de l’arc, le tendon : véd. jiyá « arc » ; avest. Jyā « corde d’arc » ; lit. gijà « fil » ; v.sl. zica « tendon ». La comparaison permet donc de supposer que par une métonymie fort banale (pars pro toto) la corde de l’arc (faite d’un nerf ou d’un tendon) a donné son nom à l’arme dont elle forme un élément essentiel. Mais, nous allons le voir, les faits sont en réalité plus complexes.

Confrontons cette notice, rédigée à partir du DELG. de P. Chantraine et de l’article d’E. Benveniste33, avec ce que nous dit l’Etymologicum Magnum :

« On accentue sur la finale pour distinguer de βίος « vie ». Il semble que les Anciens aient eu le même mot pour l’arc et pour la vie. C’est pourquoi Héraclite l’obscur écrit :

Τῷ οὖν τόξω ὄνομα βιός ἔργον δὲ, θάνατος.

« Le nom de l’arc, c’est donc βιός ; mais son œuvre c’est la mort. »

L’arme a été nommée ainsi à cause de la violence (βία) de la tension, quand on la tend avec force ; ou bien parce que les Anciens trouvaient grâce à elle la nourriture nécessaire à la vie, en chassant avec un arc… »

La remarque d’accentuation est au fond parfaitement correcte à nos yeux (du point de vue synchronique). Suivent plusieurs étymologies entre lesquelles on n’est pas obligé de choisir : le grammairien ancien admet « comme également et simultanément dignes d’intérêt des étymologies différentes »34. Celles-ci consistent en fait à rapprocher le nom homérique de l’arc (βιός) de deux mots, l’un (βίος) quasiment homophone, l’autre (βία) proche phonétiquement (paronymie), puis à rechercher, parfois désespérément, parfois avec bonheur, une association d’idées qui justifie sémantiquement la proximité phonétique. Nous allons tenter d’approfondir la légitimité de ces rapprochements du point de vue des étymologies « diachronique » et « contextuelle ».

Le mot grec signifiant « force, violence » (βία) est un vieux mot-racine qui trouverait, selon de nombreux auteurs, un correspondant exact dans un mot skr. J (i) yā « force, violence, prédominance, domination ». Ce mot du reste fort rare Jyā (2)35 et l’un des noms bien attestés de la « corde de l’arc » Jyā (1) sont en vieil indien parfaitement identiques. Nous avons là l’exemple d’un problème classique de la « reconstruction sémantique ».

En réalité, il faut remettre en cause – du point de vue de l’étymologie diachronique – le rapprochement traditionnel entre le mot grec βία (qui suppose une labio-vélaire : *gweyH) et le mot skr. Jyā (2)36 qui s’explique autrement : mais en sanskrit également, une certaine confusion règne et l’étymologie contextuelle doit rendre compte des rapprochements que l’étymologie diachronique est conduite à récuser.

La corde de l’arc

La corde de l’arc constitue évidemment un élément essentiel de l’arme elle-même ; non seulement c’est elle qui donne parfois son nom à l’ensemble, mais, en Inde, elle se trouve fortement valorisée et chargée de significations symboliques comme le montre l’Hymne védique aux armes.

Si βιός a commencé par désigner en grec la corde de l’arc, on ne trouve plus guère de traces indiscutables de ce sens dans les textes. Dès Homère, la corde de l’arc, qui paraît avoir été faite en particulier avec le nerf sciatique du bœuf, est généralement désignée par le terme ἡ νευρά (νευρή) « corde de l’arc », « corde de la lyre », féminin qui correspond à l’inanimé τὸ νεῦρον « nerf, fibre, tendon » : celui-ci peut d’ailleurs lui aussi désigner la corde de l’arc (Il., IV, v. 122 : νεῦρα βόεια, v. 124)37, la corde de la lyre, ou bien prendre un sens figuré « force, vigueur ».

La corde de l’arc, constituée du « nerf » ou du « tendon » de l’animal, semble avoir été chargée de la même signification symbolique que l’organe lui-même, conçu comme le siège de sa force, qui porte en grec le nom de τένων, « tendon, muscle long » ; ce mot nous renvoie à *ten et à l’idée de tension, si essentielle au tir à l’arc. Ce siège de la force est chez l’homme, selon le savoir partagé des anciens, dans sa nuque ou dans les tendons du bras ou de la cheville. On rappellera ici la légende de Typhée « énervant » Zeus, celle de Pâris atteignant Achille au tendon de la cheville, ou celle, moins connue, selon laquelle l’Argonaute Poias, le père de Philoctète, tue Talôs, l’homme de bronze défenseur de la Crète, d’une flèche qui atteint l’unique veine de la cheville.

Il faut nécessairement considérer un certain nombre des significations en question comme étroitement liées dans l’idéologie indo-européenne, et voir dans cette liaison l’indice d’une très ancienne et très profonde association d’idées entre la vie, la force, le tendon, l’arc et la corde de l’arc, association qui a quelque chose d’universel38, mais dont la langue et la littérature grecques témoignent avec insistance.

La force

La force peut constituer le pivot d’un champ lexical où l’arc trouverait sa place. Cette idée paraît importante pour comprendre l’association d’Héraklès avec l’arc39. La distance à laquelle on lance une flèche constitue une sorte d’unité de mesure (Od., XII, v. 83-84, 102). L’épithète κρατερός s’associe aussi bien à τόξον (Il., VIII 279) qu’à βιός (H. h. à Apollon, v. 301). Voyez aussi la joie de Lêtô (ibidem, v. 126) :

οὕνεκα τοξοφόρον καὶ καρτερὸν υιὸν ἔτικτεν…

« … d’avoir enfanté un fils vigoureux et qui sait porter l’arc… »

(trad. J. Humbert)

Au chant XXI et XXII de l’Odyssée, ces associations avec κράτος, κρείσσων ετ κρατερός – καρτερός sont fréquentes (XXI, v. 280, 345, 353 (lien entre l’arc et le kratos du mâle), XXII, v. 13). C’est que le récit de l’épreuve de l’arc dans l’Odyssée repose sur cette idée : tendre l’arc, c’est prouver sa force. On citera par exemple les paroles d’Antinoos (Od., XXI, v. 171-173) avec un jeu entre δύνασαι et τανύσσαι. Voyez aussi la reprise du mot βίη lors des tentatives de Télémaque (v. 126-128), puis ce que dit le même Télémaque (v. 134-135) sur sa force (βίη) insuffisante. Cf. aussi v. 185, 253, 315 ; 371 et 373 (noter la formule βίη– φί τε φέρτερος). Le jeune héros est désigné aux vers 101 et 130 par ἱερή ἴς Τηλεμάχοιο, « la force de Télémaque ». Le mot ἴς (Fίς) – qu’on trouve en rejet au vers 283 – se lit aussi dans le nom du héros Iphitos (Ίφιτος), qui a jadis donné l’arc à Ulysse (Od., VIII, v. 224 et s. ; XXI, v. 14, 37).

G. Germain avait démontré que l’épreuve mise en scène par l’aède était empruntée aux rites royaux du monde indo-iranien. La tension de l’arc y est l’épreuve de force par excellence, celle qui qualifie pour la royauté : ainsi, d’après Hérodote, Cambyse fait assassiner son frère Smerdis qui, seul parmi les Perses, a réussi à bander « de quelque deux doigts au plus », l’arc remis pour lui aux Ichthyophages par le roi d’Ethiopie (III, 21). Tendre l’arc, c’est de façon décisive éprouver sa force et se qualifier pour la gloire, le mariage et la souveraineté. Notons tout de même que l’idée est attestée en Grèce non seulement par le texte épique, mais aussi, dans un contexte athlétique, par une anecdote transmise par Pausanias (VI, 8, 1-4) à propos du champion de pancrace Timanthès de Cléonées :

« Voici quelle fut la cause de sa mort. Il avait cessé de pratiquer l’athlétisme ; néammoins il continuait d’éprouver sa force en tendant un grand arc (τόξον μέγα) tous les jours ; il vint à s’éloigner de chez lui et pendant qu’il était au loin, cessa de s’entraîner avec son arc. Quand il revint, il se trouva incapable de tendre l’arc ; il alluma un feu et se jeta vivant sur le bûcher » (trad. pers.)

Ce récit historique (ou prétendu tel) présente à nos yeux au moins trois intérêts : son « héros » se comporte comme un doublet d’Héraklès, même s’il montre, selon le jugement du Périégète, « plus de folie que de courage » ; il met en scène en Grèce, et sur le plan de la réalité, un thème mieux connu dans les domaines indien et iranien ; il associe enfin explicitement l’arc à la Force (βία) et à la Vie (βίος).

La vie

Pour ce qui est de βίος « vie » (*gwi-w-os de *gwey-H), le rapprochement avec βιός est en un sens justifiable du point de vue de l’étymologie « diachronique », étant donné la proximité des formes qu’on reconstitue ; mais à l’évidence beaucoup plus paradoxal du point de vue sémantique. Il s’appuie sur le vers d’Héraclite (Fr. 48 Diels-Kranz) que citait l’Etymologicum Magnum :

Τῷ οὖν τόξω όνομα βιός ἔργον δὲ, θάνατος

« Le nom de l’arc est donc « bios » ; mais son œuvre, c’est la mort »

où se trouve le seul emploi non homérique du mot βιός. Ce vers repose à l’évidence sur l’homonymie quasi parfaite entre deux termes qui peuvent néammoins paraître en forte opposition sémantique : « arme meurtrière » et « vie » : le jeu de mots révèle la coincidentia oppositorum. On a écrit40 que pour le philosophe, ce rapprochement atteste que « la vie cause la mort, que chacun est lié à l’autre. (…) En contemplant l’arc comme une totalité phénoménologique, la « mort » n’est pas plus essentielle pour lui que la « vie » ; si l’on considère le tout, son « œuvre » et son « nom » étant pris ensemble, l’arc révèle (au philosophe) l’unité essentielle de la vie et de la mort. » Nous avons là un exemple de ce goût pour le jeu de mots qui, pour les Grecs appartient à la poésie la plus haute, voire à la sphère du sacré ; et de fait, en cette occasion, la « vérité » du jeu de mots recoupe d’une certaine façon des données fournies par la comparaison i. e.

On retrouve un écho d’Héraclite chez Sophocle, Philoctète, v. 931 et 933 :

‘Απεστέρηκας τὸν βίον τὰ τόξ’ ελών

… τὸν βίον με μή ἀφέλῃς

« Tu m’as enlevé la vie en m’enlevant mon arc…

… ne me prends pas la vie… »

Le héros assimile très étroitement son arc et sa vie, et c’est ce qui rend si pathétique son cri plusieurs fois répété : « Rends moi mon arc… » (v. 924 ; cf. aussi v. 932 ; 973 ; 975 ; 981…). En réalité le jeu de mots en question remonte sans doute à Homère lui-même. Il se décèle par le rapprochement d’un verbe signifiant « tuer » avec βιός. Au chant XXIV de Y Iliade, ce chant de deuil, Achille, pour le persuader de se nourrir, rappelle à Priam les malheurs de Niobé :

« Elle qui, en sa maison, avait vu périr douze enfants, six filles, six fils en pleine jeunesse… »

v. 605 … τοὺς μὲν Απόλλων πέφνεν ἀπ’ ἀργυρέοιο βιοῖο…

« Les fils, c’est Apollon qui les lui tua de son arc d’argent… »

La même association se retrouverait dans un vers de l’Hymne H. à Apollon : v. 301 :

κτεῖνεν ἅναξ, Διὸς υἱός, ἀπό κρατερόῖο βιοῖο.

« (le dieu) fils de Zeus, tua de son arc puissant (le Dragon femelle…) »

où les mots « antithétiques » sont placés en début et en fin de vers.

On pourra aussi se demander si l’association avec βίος au sens de « nourriture, ressources », ou du moins avec βίοτος (Od., XXI, v. 78) n’est pas suggérée par exemple dans ces vers où Pénélope invite les prétendants à l’épreuve de l’arc, opposant implicitement leur parasitisme à l’héroïsme de son époux, symbolisé par son arme (Od., XXI, 75). On pourrait revenir sur les vers du Philoctète de Sophocle. Le contexte en effet insiste sur l’utilité de l’arc qui a permis à Philoctète de trouver sa nourriture (par exemple 287-288 ; 955-956 ; 1108-1110). L’idée est exprimée avec beaucoup de force aux vers 1125-1126 :

« Il brandit dans sa main ce qui était ma nourriture (τρόφαν…), à moi malheureux… »

La musique

Le champ sémantique de mots comme νευρά et νεῦρον, qui peuvent s’appliquer également à la lyre, nous conduit dans une autre direction, la musique : cette corde fait de l’arc qui se détent une sorte d’instrument de musique (Il. IV, v. 125) :

λίγξε βιός, νευρὴ δὲ μέγ’ ἴαχεν…

« l’arc crisse, la corde sonne bruyamment… » (trad. Mazon mod.)

λίγξε est la seule forme attestée d’un verbe ἄλίζω à rapprocher de l’épithète λίγυς « mélodieux », qui se dit chez Homère du vent (Il., XIV, 17 etc.), de la phorminx (II., IX, 186 etc.), de la voix de Nestor (Il., I, 248), plus tard (Eschyle, Sophocle) du chant du rossignol ou de la flûte ; ἰάχω se dit chez Homère du cri de guerre, de détresse.

Pour l’essayer après l’avoir tendue comme celle d’une phorminx, Ulysse joue de la musique avec la corde de son arc (Od., XXI, 410-411) :

δεξιτερῇ δ ἄρα χειρ λαβών πειρήσατο νευρῆς

ῆ δ ὐπὸ καλὸν ἅεισε, χελιδόνι εἰκέλη αύδήν.

« [Ulysse] prit de la main droite la corde et l’essaya :

elle chanta clair, avec la voix d’une hirondelle… »

Ce chant de l’arc résonne pour le malheur de ceux qui l’entendent :

δεινὴ κλαγγὴ γένετ’ ἀργυρέοιο βιοῖο

« Un son terrible jaillit de l’arc d’argent. » (Il., I, v. 49)

D’où un rapprochement plein de significations entre l’arc et la lyre41 ; ainsi, dans l’Hymne H. à Apollon, v. 131-139, le dieu déclare dès sa naissance :

« Qu’on me donne ma lyre et mon arc recourbé… »

Une autre énigme d’Héraclite (Fr. 51 Diels-Kranz) a aiguisé la finesse des commentateurs :

παλίντονος ἁρμονίη κόσμου ὅκωσπερ λύρης καὶ τόξου

« L’harmonie du monde, comme celle de la lyre ou de l’arc, est retour de tension vers l’arrière ». (trad. pers.)

Ces rapprochements reposent sur une homologie qu’Aristote42 explicite au moment d’éclairer par un exemple le fonctionnement de la métaphore : « [Les métaphores] sont toujours formées de deux termes, comme la métaphore par analogie ; par exemple le bouclier, disons-nous, est la coupe d’Arès, et l’arc est une phorminx sans les cordes (ἄχορδος)… »

La métaphore peut s’appuyer également sur le nom de la corne (κέρας) qui peut désigner les montants de la lyre comme les « bras » de l’arc (nom dû à leur forme plus qu’à la présence de corne dans leur fabrication)43. Ce qui est au fond de tout cela, c’est le thème de la voix de l’arc, qui remonte certainement aussi loin que l’arme elle-même, thème que les Indiens ont particulièrement développé et que G. Germain avait analysé44. Il revenait cependant à G. Dumézil de replacer ce thème dans la perspective de la comparaison i-e. C’est pour lui la « deuxième fonction » de la Parole45. Il est remarquable que ce thème soit si profond dans la poétique de l’Odyssée, comme plusieurs auteurs récents46 l’ont souligné.

Pindare, qui affectionne tout particulièrement ce lien métaphorique, évoque le son grave de l’arc d’Héraklès :

« Héraklès tendit sa corde au sourd grondement de toute la force de son bras… » (Isthmiques, VI, 33-35 ; trad. pers.)

Le poète va jusqu’à faire de τοξεύματα l’équivalent de ἔπη (Isthmiques, V, 46-48) et jusqu’à faire d’ὕμνους le complément du verbe τοξεύειν (Isthmiques, II, 5). L’« arc » est ici la φόρμιγξ47. Les flèches bruissent dans le carquois et sifflent dans l’air : association musique – paroles – flèches bien attestée en Inde comme en Grèce, et d’où est née la formule epea pteroenta. Les flèches que va tirer Ulysse sont στονόεντες « gémissantes » (Od., XXI, 12) : le participe évoque à la fois le bruit des flèches dans le carquois et, de façon proleptique, le gémissement des victimes.

La conclusion qui s’impose est, nous semble-t-il, toute à l’honneur de G. Germain : même si l’on trouve, chez les nordiques par exemple, d’intéressants échos48, c’est bien vers le monde indo-iranien, et plus particulièrement vers les steppes scythiques, qu’il faut chercher les comparaisons les plus utiles, et les voies d’emprunt du nom τόξον (comme, selon toute probabilité, de la technique de l’arc réflexe). Il faudrait néanmoins distinguer entre deux ordres de faits : d’une part les emprunts au monde iranien – emprunt linguistique qui remonte au moins à l’époque mycénienne, emprunt technique de l’arc composite, emprunt mythique du Jeu de l’arc, difficile à situer et à dater, qu’on rapprochera de l’emprunt des thèmes « shamaniques » comme celui d’Abaris49 ; et d’autre part ce qui relève d’un héritage commun, comme le nom βιός et le système de ses connotations.

La mythologie de l’arc telle qu’Homère la développe dans l’Odyssée, et que Germain a si bien esquissée, relève selon nous à la fois de l’un et de l’autre phénomène, mais le second, son caractère hérité, doit être souligné : sa vitalité chez Homère, mais aussi chez les poètes grecs ultérieurs en fait un phénomène véritablement grec, qui s’explique mieux par l’héritage que par l’emprunt et pourrait expliquer l’emprunt. Rappelons ici que de multiples indices linguistiques conduisent à supposer une importante proximité des proto-hellènes et des proto-aryens50. Comme l’a montré B. Sergent, le statut de l’arc51 en tant qu’arme de guerre constitue au sein du monde i.e. une sorte de ligne de démarcation qui sépare les Celtes, les Germains, les Italiques etc., des Indo-Iraniens. La Grèce – où l’arc de guerre est discrédité – est fondamentalement du côté des Occidentaux, mais, notre dossier le prouve, fonctionne comme une « plaque tournante » entre les deux espaces. D’où l’extrême ambiguïté de l’arc épique.

Il convient donc – et ce sera notre conclusion – de dépasser le point de vue de G. Germain, sans pour autant renoncer à son hypothèse de l’emprunt, et, à la suite de F. Bader52, de considérer l’ensemble du Massacre des Prétendants comme relevant de l’héritage i.e. Et sans doute faudra-t-il étendre cette conclusion, comme le pensent de bons esprits, à l’ensemble de l’Odyssée.

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1 Germain 1954, p. 37.

2 Voir en part. Delcourt 1962 ; Vidal-Naquet 1989 ; Sergent 1991.

3 Sur les formules associées à l’arc et aux archers, voir Wathelet 1988, pp. 802-803.

4 Danek 1998.

5 Lorimer 1950 ; la complexité technique d’une telle arme est bien soulignée par Mc Ewen & alii 1991.

6 Selon une légende fameuse (Hdt. IV, 8-10), « bricolée » par les Grecs du Pont à partir de traditions scythiques. Hérodote raconte ensuite l’épreuve de l’arc qui permettra de choisir un roi parmi les trois fils du héros.

7 Wathelet 1988, p. 804, y voit « quelque chose d’unique et d’exotique ».

8 Il faut ici, comme nous l’a fait remarquer Mme A. Bonnafé, modifier la traduction de P. Mazon « un isard sauvage » ; l’isard est une sorte de chamois dont les cornes ne sauraient servir à la fabrication d’un grand arc.

9 On le comprend ainsi d’ordinaire : « παλίντονος describes the reflex curves assumed by the typical composite bow in its unstrung State. » Lorimer 1950, p. 295. Germain 1954, p. 40. En tous cas, c’est bien ce type d’arc que le mot désigne plus tard, chez Hérodote (Enquête, VII, 69). Par métonymie, le mot s’applique chez Eschyle (Choéphores, 161) aux flèches des Scythes (Σκυθικὰ παλίντονα βέλη). Plus tard, le neutre pluriel τὰ παλίντονα sera un terme technique pour désigner une machine de siège qui lance des pierres.

10 Benveniste 1937. Le nom des outils et des armes montre souvent une facilité de renouvellement due aux jargons techniques, mais aussi aux innovations technologiques.

11 Par exemple : τόξαρχος, τοξόκλυτος, τοξοφόρος, etc.

12 κλυτότοξος, ἀγκυλότοξος, άργυρότοξος, χρυσότοξος, etc.

13 Benveniste 1937.

14 Sur ce personnage, voir Lucien, Le Scythe ou le Proxène ; commentaires in Dumézil 1983, pp. 102-106.

15 Sont attestés à Pylos (PY An 207) des to-ko-so-wo-ko (τοξοFοργοί), c’est-à-dire des « fabriquants d’arc » et à Knossos (KN X 7624) un to-ko-so-ta (τοξότας), c’est-à-dire un « archer » (sobriquet ?).

16 Benveniste 1937, p. 45.

17 Sur l’apparition historique des Scythes, qui n’est attestée formellement que par un bas-relief assyrien du IXe siècle av. J.C., cf. Avant les Scythes, préhistoire de l’art en URSS, Paris, 1979, p. 155. Sur les Cimmériens et l’arc, cf. Rausing 1967, p. 107. Les Thraces évoqués par E. Benveniste ne font guère que compliquer l’hypothèse de l’emprunt par une hypothèse de plus : leur langue est fort mal connue. Certains spécialistes soulignent l’étroitesse des rapports entre Thraces et Mycéniens (Best-De Vries 1989)

18 Germain 1954, p. 52.

19 La majorité des auteurs doute de cette présence (résumé de la question chez Reboreda Morillo 1998). Mc Leod 1966, penche pour un emprunt de l’arc composite à l’époque mycénienne, et plutôt en Egypte.

20 Harrison 1994.

21 « rapprochement peu satisfaisant pour la phonétique », difficulté que Benveniste résout lui-même par l’hypothèse de l’emprunt : « un o rend souvent un a iranien prononcé très ouvert ». D’où l’alternance dans le nom propre Toxaris / Taxaris.

22 « Le grec et le latin ont pour « if » et pour « arc » des mots différents : gr. τόξον et σμῖλαξ ; lat. arcus et taxus. Ni lat. taxus n’a fourni un nom de l’arc, ni gr. τόξον ne s’est jamais appliqué à un arbre ». La démonstration ne nous convainc pas. Encore une fois, si le mot grec τόξον est un emprunt, le raisonnement ne tient plus.

23 Il suffit de se reporter à l’évocation des armées rassemblées par les Perses que nous donne le livre VII d’Hérodote pour avoir une série d’arcs faits de bois différents : arcs de roseau des Bactriens, des Indiens, des Ariens, des Caspiens (Hdt., VII, 64-67) ; tige de feuille de palmier (Hdt., VII, 69). Pausanias (I, 21, 5) précise que les arcs des Sarmates et leurs flèches étaient en bois de cornouiller (τόξα τε κράνινα καί ὀιστοὐς) : il en allait de même chez les Lyciens décrits par Hérodote (VII, 92). Une belle trouvaille archéologique (cf. Dossiers de l’Ar chéologie, 194, 1994, p. 40) a livré un arc composite scythe (VIe-Ve s. av. J.C.) dont le bois était de bouleau

24 Sansonnetti 1993.

25 L’if en tant que bois de l’arc est fort valorisé en Angleterre. Voici une chanson due à A. Conan Doyle :

« Qu’est-ce que l’arc ? / L’arc naquit en Angleterre / de vrai bois, de bois d’if, / le bois des arcs anglais ; / et les hommes libres / aiment le vieil if / et la terre où croit l’if… » ; voir aussi Hardy 19924.

26 Il est encore de nos jours le δέντρο τοῦ θανάτου ; cf. Amigues, 1989, p. 155.

27 Germain 1954, p. 53.

28 « Problèmes sémantiques de la reconstruction », Word, 10, 1954 = Benveniste, 1987, pp. 300-301.

29 Il se trouve justement qu’un des noms de l’arc en sanskrit, drunam, pourrait bien s’expliquer à partir de cette étymologie.

30 Martinet 19942, p. 45.

31 A côté du latin taxus il faut mettre un mot slave tis (forme serbo-croate et russe), proto-slave *tiso ; ajoutons au dossier le lat. taxa, le ffagon ? (Pline, Hist. Nat., 15, 130) et éventuellement le grec ἡ τάξος, cf. note suivante). Friedrich 1970, p. 129, considérant comme impossible l’emprunt par les mycéniens d’un mot proto-iranien, envisageait de compter le grec τόξον parmi cette série de noms de l’if issus de *tVkso, qui aurait ensuite désigné l’arc. C’est traiter bien cavalièrement, nous semble-t-il, le problème de la voyelle a / o. Voir sur la question du o bref i. e. Bonfante 1975. Dans l’hypothèse d’un emprunt, il faudra chercher plutôt du côté des langues proto-iraniennes que du côté du Thrace : le passage de [a] à [o] souvent attesté en Thrace ne semble pas pouvoir expliquer le cas particulier de τόξον, si l’on suit du moins C. Poghirc « A/O en thrace et en daco-mésien », in Best-De Vries 1989, pp. 296-306.

32 Il existe enfin le mot grec ἡ τάξος que Dioscoride (4, 79), il est vrai, considère comme un emprunt au latin taxus (sommes-nous cependant obligés de le suivre sur ce point ?). Hésychius note simplement : « ἡ τάξος•δένδρον τι ὀρεινόν ».

33 Benveniste 1937.

34 Lallot 1991, p. 137.

35 Hapax (SB (M) 5, 4, 5, 4 ; cf. le composé paramajyā ; RV 8, 1, 30 ; 8, 90, 1.

36 Ce dernier est indissociable du présent jināti « faire violence, dépouiller par violence », lui-même à rapprocher de l’avestique zyā, du vieux perse di- « dépouiller », « frustrer » ; le z avestique et le d du vieux perse excluant une labio-vélaire, il faut supposer *geyH- « dépouiller, frustrer » >Jyā (2), différent de *gwey-H-> βία. Mais l’étymologie diachronique ne vient pas à bout des difficultés. Car les comparatifs et superlatifs dépendant de Jyā (2) signifient « supérieur », « aîné », et sont impossibles à expliquer à partir de « dépouiller, frustrer ». On supposera en conséquence que *gweyH- « être supérieur » et *geyH- « dépouiller, frustrer » se sont partiellement confondues en vieil-indien, sans doute en raison de certaines proximités morphologiques et sémantiques. Nous devons ces précisions à J. Haudry.

37 Ailleurs le lien qui fixe la tête de la flèche (Il., IV, v. 151).

38 Voir Brown 1993 pour un rapprochement d’ailleurs maladroit avec les données bibliques.

39 Sur le lien Héraklès-arc-Ulysse, cf. Crissy 1997.

40 Hölscher 1974, p. 232.

41 Frontisi-Ducroux 1986, pp. 47 et sq.

42 Rhétorique, ΙΠ, 11, 1412 b 34-1413 a 21

43 Ainsi trouve-t-on dans un fragment de Sophocle (Fr. 244 Radt) cité par Plutarque (Du contrôle de la colère, 455 d) le rapprochement de Pandaros brisant son arc (Il., V, 215) et de Thamyras brisant sa lyre :

« brisant la corne (κέρας) aux ligatures d’or

brisant l’harmonie de sa lyre aux cordes tendues… » Trad. J. Dumortier – J. Defradas.

44 Il citait par exemple ce passage du Lalita-Vistara (texte hagiographique de date inconnue) qui raconte une épreuve de l’arc préparatoire au mariage du Bouddha : « Au moment où cet arc fut ainsi tendu, le son en retentit dans toute la grande cité… » Germain 1954, p. 19.

45 Dumézil 1982.

46 Cf. par ex. Segal 1996.

47 La même image organise les vers 5-11 de la IXe Olympique : « Mais aujourd’hui, armé de l’arc des Muses, de l’arc à longue portée (ἑκαταβόλων Μόῖσαν ἀπὸ τόξων), couvre des flèches qu’elles te donnent Zeus, qui lance le rouge éclair, et l’auguste promontoire de l’Élide […] Fais voler aussi un de ces doux traits vers Pythô (πτερόεντα δ’ἵει γλυκόν Πυθῶναδ’ ὀϊστόν) ! Tes paroles ne risquent point de tomber vainement à terre, quand tu fais vibrer la phorminx pour les exploits d’un lutteur… » (trad. Puech).

48 Delcourt 1962 ; Boyer 1991. Je remercie ici M. R. Boyer qui a bien voulu me confier une version longue de son article de 1991, ainsi que M. C. Lecouteux. Je reviendrai ailleurs sur une comparaison entre les archers grecs et les autres grands archers de l’espace i.e. Voir pour l’instant Sauzeau P., « Hékatè », in A. Moreau & J.C. Turpin éd., La magie, Actes du Colloque de Montpellier 1999, Montpellier, 2000, t. 2, p. 199-221.

49 Mastromattei 1988.

50 Martinet 19942.

51 Rappelons qu’il convient de distinguer le statut de l’arc de son utilisation dans la réalité.

52 Bader 1976.