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Paradigmes de la paternité : pères, fils, et prouesses athlétiques/sexuelles dans l’Odyssée d’Homère

Nancy FELSON

University of Georgia at Athens, USA

τίc νύ μοι ἡμέρη ἥδε, θεοὶ φίλοι ! ἦ μάλα χαίρω· υἱόc θ’

υἱωνόc τ’ ἀρετῆc πέρι δῆριν ἔχουα.

« Quel jour que celui-ci, dieux propices ! Je suis heureux !

Voir mon fils et mon petit-fils rivaliser d’ardeur ! »1

Tels sont les mots de Laërte aux vers 24.514-15, alors qu’il entreprend la bataille contre les prétendants et tue leur chef, Eupeithès, le père d’Antinoos. Dans cet unique descendant d’Arkésios, Athéna lui avait insufflé une force énorme (μένοc, 520), le rendant capable de lutter aux côtés de ses fils et petit-fils. Depuis la mort de sa femme, Laërte, dans son abattement, s’était isolé à la ferme pour un certain temps (1.189-93 et 11.187-96) ; étant donné sa ‘retraite’, il est frappant que le narrateur non seulement lui atribue la première et seule victime nommée mais aussi détaille sa seule aristeia2. Ulysse vient d’exhorter Télémaque à ne pas faire honte (καταιοχύνειν) à la race de ses pères qui, « jusqu’à ce jour, ont fait briller partout leur force » (ἀλκἦ τ’ ἠνορέῃ) (24.508-509). A cela Télémaque répond :

« Si tu le veux, mon père, tu verras que ce cœur-là,

comme tu le souhaites, n’entachera pas ta race ! »

(511-12)

Ici, durant une brève défense de leur oikos, la ligne paternelle de Laërte à Ulysse et Télémaque demeure intacte. Trois générations successives luttent côte à côte… jusqu’à ce que la parole d’Athéna et un signe de Zeus les forcent à la paix. D’une manière contraire au fait, leur victoire est tracée alors même qu’elle est écartée :

Et ils les eussent tous tués et privés du retour

si Athéna, fille de Zeus le Porte-égide,

n’eût élevé la voix et arrêté toute l’armée.

(528-30)

Cette résolution non réalisée – ils les auraient tous tués – fournit une alternative pour la fin de l’Odyssée : le massacre ; mais Athéna, qui aime à comploter, substitue à cela la réconciliation et la paix3.

Après l’aristeia de Laërte, la narration résume les exploits d’Ulysse et Télémaque, sans donner de détail :

Ulysse et Télémaque assaillirent les premiers rangs,

frappant de leurs épées et de leurs lances à deux douilles.

(526-27)

Elle ne nomme pas de victime et ne décrit aucune rencontre. En fait, la bataille elle-même, à partir du moment où Athéna insuffle le μένοc en Laërte jusqu’aux actions résumées d’Ulysse et Télémaque, n’occupe que huit vers (24.520-27).

La narration reflète l’équilibre des trois générations. Les trois hommes parlent. Les discours du père et du fils forment une paire et expriment une communauté de pensée, tout en affirmant l’identification réciproque des deux générations. Quand la voix du grand-père Laërte s’élève, c’est pour célébrer cette journée qui voit réunis son fils et son petit-fils, « rivalisant d’ardeur » pour remporter la bataille de cette joute orale (δῆριν)4.

Est-ce que ceci est une compétition à somme nulle entre le père et le fils, dans laquelle l’amélioration du statut du gagnant a pour conséquence une diminution du statut du perdant ? Je ne le crois pas. Dans la bataille contre la famille des prétendants, il y aura des gagnants et des perdants, à somme nulle ; dans l’assaut de courage engagé dans la famille, cependant, le triomphe du fils – ἀρετῆc πέρι – valide la ligne paternelle, mais c’est son excellence ancestrale qui lui permet de réussir5.

Le trio d’Ithaque, tel qu’il est représenté dans l’Odyssée, appartient à une ligne paternelle inhabituellement harmonieuse6. Une des raisons pour une telle harmonie est que la famille est une lignée de fils uniques (16.117-20)7. Comme Télémaque dit à l’étranger dans la hutte d’Eumée :

ὦδε γὰρ ἡμετέρην γενεὴν μούνωcε Κρονίων.

μοῦνον Λαέρτην ‘Αρκείοιοc υἱόν ἔτικτε,

μοῦνον δ’ αὖτ’ ‘Oδυοῆα πατὴρ τέκεν αὐτὰρ ‘Oδυccεὺc

μοῦνον ἔμ’ ἐν μεγάροιcι τεκὼν λίπεν, οὐδ’ ἀπόνητο.

« Zeus n’a jamais donné qu’un fils aux hommes de ma race :

Arcésios ainsi n’eut qu’un seul fils, Laërte ;

et celui-ci n’eut que le seul Ulysse ; puis Ulysse

ne laissa au palais que moi seul, sans en profiter… »

L’utilisation d’un hapax, μούνωcε (117), et d’une anaphore (118-20) souligne le lignage inhabituel. Quant à Laërte, pour des raisons qui ne s’expliquent pas dans l’épopée telle qu’elle nous reste, il a cédé son trône à Ulysse assez tôt dans l’histoire, supposément sans conflit ; et même durant les vingt ans d’absence de son fils il n’a jamais réclamé son rôle de basileus8. Nous pouvons supposer qu’il a dirigé sa propre maison jusqu’à ce que, souffrant d’abord de l’absence de son fils puis de celle de sa femme, il se soit retiré de ses affaires, même les plus personnelles, et a rejoint la ferme de Dolios9.

Ces relations harmonieuses entre père et fils à Ithaque avant la Guerre de Troie contrastent avec le schéma conflictuel qui se manifeste dans la tradition épique, par exemple dans la narration de Phénix aux vers de Y Iliade 9.445-95 sur son propre quasi-parricide et de son quasi-inceste10. Dans la scène de l’ambassade, Phénix dit à Achille comment, dans la force de sa jeunesse11, il a cédé à regrets aux demandes répétées de sa mère, qu’il a couché avec la concubine qui partageait le lit de son père, et comment il a commis l’acte d’amour. Puis son père Amyntor l’a condamné à la stérilité, un sort qui l’atteint lui-même puisqu’il interrompt son propre lignage de même que celui de son fils. Dans cette histoire, la mère utilise la sexualité naissante de son fils comme une arme contre son mari infidèle ; et le fils veut tuer son père mais est contenu par sa famille qui le garde reclus dans la maison. Il s’échappe, quitte la maison, et erre, jusqu’à son arrivée à Phthia, où Pélée le reçoit avec hospitalité et l’aime tout comme un père aime son fils (Il. 9.481)12 ; il s’y occupe tendrement d’Achille, comme de son propre fils, en espérant ouvertement (ainsi qu’il le dit à Achille) remplacer l’enfant qu’il n’a jamais eu (492-95). De plus, il refuse de rester seul à Troie si Achille en part, même si les dieux promettent de renouveler sa jeunesse fleurissante13 :

ὡc ἄν ἔπειτ’ ἀπὸ cεῖo φίλον τέκοc οὐκ ἐθέλοιμι

λείπεcθ’, οὐδ’ ε’ί κέν μοι ύποcταίη θεόc αὐτὸc

γῆραc ἀποξύεαc θήcειν νέον ἡβώοντα.

(9.444-46)

Ce conte de lutte entre les générations à l’intérieur de la famille d’origine, ainsi que d’exil et enfin d’adoption (de Phénix par Pélée, d’Achille par Phénix) illustre les deux schémas, le premier profondément œdipien (ainsi que nous avons été amené à le nommer), le second idéalement paternel. L’épopée est consciente de ces deux paradigmes, mais elle traite le modèle conflictuel comme une anomalie, et celui qui est plus sympathique comme une norme. Comme je le démontrerai, l’histoire d’Ulysse et de Télémaque contient des éléments propres aux deux schémas, bien que pour eux le conflit entre générations demeure hypothétique : il est déplacé sur les relations d’Ulysse avec les autres νέοι.

Dans cet article, j’examine la dynamique idéalisée père / fils dans l’Odyssée dans la perspective d’une diversité d’échecs à l’intérieur de la tradition épique grecque qui inclut des pères aussi farouches et redoutables qu’Ouranos et Cronos parmi les dieux ou Laios et Amyntor parmi les hommes. J’identifie également les motifs partagés par les deux schémas, positif et négatif, en me concentrant sur des moments de conflit potentiels aussi bien qu’actualisés. Alors que le fils du père redoutable se révolte et essaie de le renverser et usurper le pouvoir – une action oedipienne non sans provocation14, le fils du père doux agit avec réciprocité et respect. La clé de ce schéma à succès, tel qu’elle est construite par le poète de l’Odyssée, est la présence d’un ἢπιοσ πατὴρ.

Plusieurs fois, divers personnages attribuent la qualité de douceur à Ulysse. Deux fois dans l’assemblée d’Ithaque, il est mentionné comme le roi qui était un père doux (πατὴρ δ’ ὣc ἤπιοc ἦεν), d’abord par Télémaque (2.46-47), qui exprime la perte d’un père et la colère contre une ville qui ne l’apprécie pas, puis par Mentor (2.233-34), qui s’exclame sur un ton sarcastique : « que les rois renoncent à faire preuve de douceur » (230-31 : ἀγανὸc καὶ ἤπιοc). Athéna utilise le même langage formulaire lorsqu’elle s’adresse à Zeus (5.7-12), elle aussi pleine de sarcasme, au conseil des dieux :

« Ζεῦ πάτερ ἠδ’ ἄλλοι μάκαρεc θεοὶ αἰὲν ἐόντεc,

μή τιc ἔτι πρόφρων ἀγανὸc καὶ ἤπιοc ἒcτω

cκηπτοῦχοψ βαcιλεύc, μηδέ φρεcὶν αἴcιμα εἰδώc,

ἀλλ’ αἰεὶ χαλεπόc τ’ εἴη καί αἴcυλα ῥέζοι

ὡc οὔ τιc μέμνηται ‘Oδnccῆoc θείοιο

λαῶν, oἷcιν ἄναccε, πατὴρ δ’ ὥc ἤπιοc ἦεν. »

« Zeus mon père, et vous tous, dieux toujours bienheureux,

que renoncent les rois à faire preuve de douceur,

d’aménité, de bienveillance, de mesure,

qu’ils cèdent désormais à la brutalité impie,

puisque nul n’a gardé le souvenir d’Ulysse

chez ceux qu’il gouvernait avec la tendresse d’un père ! »

Le spectre d’Anticlée, lui aussi, aux vers 11.202-203, invoque la conduite douce (ἀγανοφροcύνη) de son fils lorsqu’elle lui explique ce qui a causé sa mort : « C’est mon amour pour toi qui m’a ôté la douce vie. » Ces caractérisations d’Ulysse, prises ensemble, donnent à l’auditoire le sens de sa « personnalité », celle d’un homme qui n’est pas impulsif, ni oppresseur ou dominateur, mais qui, au contraire, est généreux et doux avec sa femme, sa mère, son fils et ses sujets15. De plus, l’existence de formules épiques telles que πατήρ δ’ ὥc ἤπιοc ἦεν soulignent la normalité d’une telle paternité dans la tradition épique : les personnages dans le texte peuvent avoir recours à un père pour mesurer la gentillesse d’un ami ou d’un roi, et le public d’Homère comprend la comparaison16.

Dans les modèles psychanalytiques de la dernière décennie, la figure du « père du rapprochement » a été identifiée comme jouant un rôle crucial dans le développement du jeune garçon ou de la fille17. Ce type de père n’est pas un rival et n’est pas sévère. Ainsi l’enfant peut éprouver un amour identificatoire avec lui. Comme l’écrit Jessica Benjamin :

« De façon conventionnelle, une attirance mutuelle plus forte entre le père et le fils est activée par le père lui-même, et ceci promeut la reconnaissance par l’identification, une relation spécialement érotique. L’affaire amoureuse que pratique le jeune enfant avec le monde se change en une affaire homoérotique avec le père qui représente le monde. Le garçon tombe amoureux de son idéal. Cet amour homoérotique et identificatoire sert de véhicule que le garçon utilise pour établir sa masculinité, à la fois de façon défensive et créative ; il confirme son sens de lui-même en tant que sujet de désir. Bien entendu, ce processus d’identification ne peut réussir que lorsqu’il est réciproque, lorsque le père s’identifie avec son fils et dit, Tu peux être comme moi, ou lorsque la mère qui opine dit, Tu es exactement comme ton père. »18

Cette formulation contemporaine éclaire le père aimable de l’Odyssée ainsi que la sorte de réciprocité qu’elle cause chez le fils. Le père qui s’identifie avec son fils et l’encourage (par gestes et en paroles) élève un fils qui répond avec admiration et, en fait, obéissance. Une telle mutualité peut se communiquer dans la ligne paternelle.

La dyade père-fils élaborée par le poète de l’Odyssée représente une telle paire réciproque. Elle contraste fortement avec le schéma conflictuel déviant familier à la tradition épique. Essentiel au modèle positif est un père qui représente le monde extérieur, l’exploration, la liberté – mais qui dit à son fils « Tu peux être comme moi ». Le fils de la dyade peut désirer devancer son père mais le sentiment mutuel l’empêche d’actualiser ce désir.

J’ai sélectionné deux scènes parmi d’autres dans l’Odyssée dans lesquelles Ulysse – en tant qu’homme malmené par dix ans de guerre et dix ans de mer – entre en compétition avec des jeunes gens. Cette compétition est intergénérationnelle, par définition, et fournit un contexte intratextuel qui permet à l’auditoire homérique de faire l’expérience et d’évaluer la relation Ulysse-Télémaque. Tout d’abord, Ulysse affronte les jeunes Phéaciens, dans des compétitions athlétiques qui anticipent son combat plus meurtrier à Ithaque avec les prétendants. Puis, au combat à l’arc, Ulysse supplante Télémaque (ainsi que tous les jeunes prétendants) comme celui qui tend l’arc, mais il le fait gracieusement et pas trop tôt – c’est-à-dire pas avant que Télémaque démontre qu’il aurait pu gagner. Télémaque à son tour, en tant qu’hôte, donne l’arc à Ulysse gracieusement et à temps afin que son père, et non pas lui, puisse être celui qui tend l’arc, gagne la main de Pénélope, et amorce le massacre des prétendants. Le massacre lui-même fait culminer l’agon entre l’étranger et les prétendants qui a débuté lorsqu’Ulysse le mendiant a pénétré dans le palais.

Ces scènes se complètent. Dans chacune d’elle, nous pouvons voir un Ulysse qui se définit comme étant dans la force de l’âge et qui ne saurait être vaincu ou remplacé. Le narrateur représente Ulysse (et d’autres) en train de commenter ses prouesses masculines et même son droit à entrer dans la compétition.

Parmi les jeunes Phéaciens

Après le banquet et la première partie de lyre, Alcinoos propose plusieurs sortes de jeux (ἀέθλων), « afin que l’étranger puisse redire aux siens / de retour au pays, de quelle excellence nous sommes (περιγιγνόμεθ’) / à la boxe, à la lutte et à la course comme au saut. » (8.102) Le fils du roi, Laodamas, supplie ses amis :

« A l’étranger, amis, demandons s’il connaît peut-être

ou pratiqua l’un de ces jeux : il n’est pas mal bâti,

ces cuisses, ces mollets, ces deux bras au-dessus,

ce cou puissant, ce torse large : il a toute la force

de la jeunesse (ἥβης), mais ses nombreux malheurs l’ont brisé. »

(8.13-37)

Puis, s’adressant à Ulysse en tant que ξεε̑ινε πάτερ, il l’invite à s’essayer aux jeux s’il a des compétences ; car il convient de connaître les sports (ἀέθλουc, 146). « Allons, essaie un peu, chasse les soucis de ton âme. » (149)

Bien que l’invitation du jeune Laodamas soit pleine de respect, Ulysse se sent torturé (κερτομέοντεc, 153) ; il a déjà trop souffert. Ensuite, Euryale arrive et se moque d’Ulysse (νείκεcε, 158) :

« Décidément, ô étranger ! tu n’as rien de celui

qui excelle en quelqu’un des nombreux jeux des hommes,

mais tout de qui, croisant sur son navire aux cent tolets,

étant maître d’un équipage de commerce,

tient mémoire du fret ou surveille la cargaison,

les richesses volées ; mais d’un athlète, tu n’as rien ! »

(159-63)

A ce point de la narration, Ulysse reprend le jeune homme et défend son habileté au sport :

« Tu parles mal, mon hôte, et tu as tout du furieux !…

Tu m’as levé le cœur dans la poitrine en me parlant

contre toute décence ; je ne suis pas novice au jeu

comme tu prétends ; je pense même avoir été

des meilleurs, tant que je gardai mes bras et ma jeunesse.

Maintenant le malheur me tient : car j’ai beaucoup souffert

dans la bataille humaine et dans la houle douloureuse.

En dépit de ces maux, je m’essaierai pourtant aux jeux :

car tes propos mordants m’ont provoqué. »

(166-85)

Ulysse lance le disque, lourd et énorme, au-delà de toutes les marques (ainsi qu’il est proclamé par Athéna) et alors défie les jeunes gens (νέοι, 202) de l’imiter. Il invite tout Phéacien présent à l’exception de son hôte Laodamas à entrer en compétition avec lui dans n’importe quel sport. Il délivre ensuite un ‘encomium’, abondant en mythe, sur sa propre habileté à l’arc poli (212-33), se situant ainsi tout juste après Philoctète parmi ses contemporains :

« Mais je prétends l’emporter de très loin sur les autres,

tous les mortels mangeurs de pain qui vivent sur la terre.

Quand aux gens d’autrefois, je ne songe à les défier,

que ce soit Héraclès ou bien Euryte d’Oechalie

qui pouvaient même aux dieux disputer la science de l’arc. »

(221-25)

Alcinoos intercepte ce neikos et cet agôn, de telle sorte que nous n’entendons jamais parler d’un disque lancé par un jeune Phéacien. Le roi, en tant que hôte et médiateur encourage plutôt son invité :

« Ce que tu dis, ô étranger, n’est parole d’outrage :

tu veux prouver que ta valeur ne t’a jamais quitté,

furieux que cet homme soit venu dans l’assemblée

insulter ta valeur (ἀρετὴν), ce que personne n’oserait

qui n’aurait à l’esprit que des paroles de sagesse. »

(236-40)

De nouveau, il recommande à son invité d’observer et, un jour, de témoigner à sa femme et ses enfants de l’excellence phéacienne lorsqu’il retournera chez lui, et il convoque les danseurs (251-53). Le chant de Démodocos – l’adultère d’Aphrodite et Arès – fait partie de ce déploiement d’excellence phéacienne dans l’épopée, car il est présenté lors des jeux pour impressionner l’étranger. Son thème de compétition sexuelle, de conflits et de réconciliation, résonne dans un contexte athlétique dans lequel Euryale vient de lutter avec Ulysse au sujet du courage masculin. La femme, objet de dispute parmi les hommes, est un élément central dans la tradition épique (comme pour les intrigues mythiques) – Hélène et Briséis dans l’Iliade, Pénélope dans l’Odyssée. Tout au moins, Euryale se sent dépassé par l’étranger ; tout au plus, il craint de perdre Nausicaa19.

Sur les suggestions d’Alcinoos, après la danse, Euryale répare son insolence en parole et cadeaux, cédant ainsi à Ulysse et retirant son insulte. Dans le monde imaginaire de Schérie, les jeunes gens sont impolis avec les anciens, mais sont réprimandés et remis à leur place. En vertu de la réprimande du roi, Ulysse, homme d’âge moyen, encore dans la force de l’âge en ce qui concerne les sports athlétiques, demeure prééminent, bien qu’il ne monopolise pas le centre de l’action. (Il peut être un spectateur aussi bien qu’un acteur – un ingrédient important, en fait, du ἤπιος πατήρ.)

Ulysse montre par son lancer de disque meilleur que tous les autres qu’il ne doit pas être insulté ou ignoré. On peut comparer cette démonstration de prouesse athlétique à son insistance, dans la narration de ses aventures, sur la façon dont chacune des déesses, d’abord Circé puis Calypso, l’a retenu chez elle, le désirant pour mari (9.30 et 32) ; comment il est monté dans le lit magnifique de Circé (10.347 et 480) ; et comment Calypso l’a aimé et s’est occupé de lui (12.450). Ces contes de prouesses athlétiques et sexuelles sont racontés par un homme d’âge moyen, qui affirme avec préoccupation qu’il est encore dans la force de la vie. Plus tard, ce thème réapparaît subtilement dans la colère d’Ulysse envers l’insinuation de Pénélope que quelqu’un a déplacé leur lit :

άνδρῶν δ’ οὔ κέν τιc ζωόα βροτόc, οὐδέ μάλ’ ήβῶν,

ῤε̑ια μετοχλίccειεν, ἐπεί μέγα cῆμα τέτυκται

ἐν λέχει ἀcκητῷ τό δ’ ἐγὼ κάμον οὐδέ τιc ἄλλοc.

« Mais des mortels, aucun, et fût-il vigoureux,

n’eût pu le déplacer. Car il est un secret

dans la structure de ce lit : je l’ai bâti tout seul. »

(23.187-89)

Athlétiquement et sexuellement, Ulysse se présente comme plein de vitalité, plein de μένος20. Mais il a toujours conscience de lui-même par rapport aux νέοι, et il place l’évaluation qu’il fait de lui-même en termes de générations. Son succès confie les jeunes générations à Schérie montre qu’il n’est pas prêt encore à être supplanté, un fait réaffirmé à Ithaque où il entre en compétition (et gagne) avec Iros, puis avec la multitude des jeunes prétendants.

Parmi les prétendants et vis-à-vis de Télémaque

La lutte verbale dans le palais avec les prétendants et l’engagement dans un combat avec leur mendiant préféré, Iros, préfigure la bataille avec les prétendants au chant 22 qui suit la compétition pour bander le célèbre arc d’Eurytos. L’épreuve contre Iros, en particulier, condense en un seul événement la compétition entre Ulysse et les usurpateurs potentiels. Iros représente, dans une synecdoque, les cent huit prétendants. En outre, le déguisement de mendiant d’Ulysse semble pour le moment le faire dépendre de la protection de Télémaque. Cette dépendance apparente donne à Télémaque l’occasion de remplir son rôle d’homme de la maison. En tant que hôte et protecteur de l’étranger, il n’est en aucun cas son subordonné. Ainsi, bien que d’autres éléments de l’intrigue motivent le déguisement habile d’Ulysse, et non le besoin de s’occuper de la maturité naissante de Télémaque, son rôle subordonné de mendiant permet à Ulysse, encore une fois, d’être un père doux qui regarde son fils accomplir ses rôles et essentiellement, bien que temporairement, le remplacer.

Pénélope imagine la compétition à l’arc au cours de son entretien avec l’étranger (19.576-81) et en fait les arrangements dans le chant 21 lorsqu’elle annonce aux prétendants (73-79) :

« Prenez courage, prétendants, car voici votre épreuve :

je vous présente le grand arc d’Ulysse.

Celui qui le plus aisément dans ses mains tendra l’arc

et d’un seul trait traversera les douze haches,

j’accepte de le suivre et de quitter cette maison

de ma jeunesse, cette belle maison pleine de bien

dont je pense me souvenir toujours, jusqu’en mes songes ! »

(19.73-79)

Quelle qu’en soit la connaissance de Pénélope à ce point et quel qu’en soit l’objectif, la compétition à l’arc fournit l’occasion au fils de se confronter à son père et à tous deux, en tant qu’équipe, de se charger des prétendants. Dans cette lutte dont l’enjeu est la main de Pénélope, les suggestions œdipiennes ne peuvent être ignorées, surtout lorsqu’on prend en compte la variété et le nombre d’histoires dans lesquelles le père et le fils occupent le même lit ou entreprennent la même femme. Ici, Télémaque fait face à Ulysse en compétition (pour Pénélope) avant qu’ils joignent leurs forces contre leur ennemi commun.

Dans mon chapitre sur Télémaque, titré « Mother, » dans Regarding Penelope, je trace le développement en spirale de Télémaque depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte (que d’autres bien entendu ont aussi identifié comme un processus de maturation). Télémaque ne tombe sur un problème que lorsque, en retournant à Ithaque, prêt à être un Oreste, il apprend que son père est rentré à la maison, ainsi qu’il l’avait demandé dans ses prières (1.114-17). Lors de la réunion, avant que Télémaque ne reconnaisse son père, chacun en défère à l’autre pour savoir qui aura le siège :

comme il s’avançait, son père lui céda sa place,

mais Télémaque le retint de son côté, disant :

« Reste assis, étranger : nous trouverons un siège ailleurs

en notre ferme ; il est ici quelqu’un pour m’en offrir. »

(16.42-45)

A partir de ce moment, Ulysse et Télémaque agissent en tandem et Ulysse traite Télémaque comme le ferait un père doux. Il se montre à la hauteur de son épithète ἤπιοc πατὴp. La raison pour laquelle, à la compétition à l’arc, le fils en défère à son père est que le père de façon répétée inclut son fils dans leur plan commun de vengeance. Mais la trajectoire de l’intrigue suggère que Télémaque est l’homme de la maison, et des traces de cette intrigue non réalisée peuvent être sensibles dans l’essai fait par Télémaque pour bander l’arc de son père (21.111-29) :

« Allons donc ! ne traînez pas davantage, ne tardez plus

à tenter de tendre cet arc, que nous voyions un peu !

Et moi aussi, d’ailleurs, je veux essayer de le tendre :

si je le tends et si d’un trait je traverse le fer,

alors, ô joie ! ma mère ne quittera plus

cette maison pour un autre homme, ni ce fils

capable désormais de vaincre aux beaux jeux de son père… »

Il dit et, rejetant de l’épaule son manteau pourpre…

monta sur le seuil, il essaya de tendre l’arc.

Trois fois il l’ébranla, impatient de le tendre,

trois fois la force lui manqua, si désireux qu’il fût

d’arriver à le tendre, à traverser le fer d’un trait.

Peut-être, au quatrième effort, l’eût-il tendu,

mais Ulysse lui fit un signe et contint son désir.

Télémaque, Maître sacré, leur dit alors :

« Hélas ! je ne serai jamais qu’un homme vil, sans force…

Ou bien je suis trop jeune et ne puis compter sur mes mains. »21

Ici, nous voyons la passion et la détermination de Télémaque à bander l’arc. Trois participes successifs soulignent l’intensité de son désir. Le succès du père devrait entraîner la désobéissance du fils – surtout après le geste d’Ulysse qui le fait s’interrompre malgré son zèle. Ce moment définit leur relation comme une coopération : il contient l’embryon d’une intrigue autre dans laquelle Télémaque bandera l’arc, tuera les prétendants et supplantera son père d’âge mûr dans l’histoire de vengeance. A la place, le jeune maintenant adulte, dont le père a été absent durant son enfance mais dont il a récupéré l’image dans ses voyages et maintenant en personne22, contrebalance ses désirs intenses (par exemple, bander l’arc) avec sa ferme reconnaissance de la position de son père dans la maisonnée. Après avoir bandé l’arc, Ulysse dit à Télémaque (21.424-27) :

« Télémaque, celui qui est assis dans ta demeure

ne te fait pas honte ; je n’ai pas manqué le but, je n’ai

pas eu de peine à tendre l’arc : ma force est toujours là,

en dépit des affronts, des insultes des prétendants ! »

Le langage de ces remarques, essentiellement ἔτι μοι μένοc ἔμπεδόν ἐcτιν (426), anticipe sur leur échange ultérieur (avec lequel j’ai commencé cet article), alors qu’ils entreprennent la lutte des trois générations contre la famille des prétendants. Ici dans le chant 21, Ulysse affirme, comme il l’a fait parmi le peuple d’Alcinoos, qu’il est encore dans la force de l’âge et qu’il ne fera pas honte (ἔλεγξει) à son fils. Son μένοc est intact et sûr (ἔμπεδον) ; dans la lutte finale, Laërte lui aussi, encouragé par Athéna, possède le μένοc nécessaire pour se battre. Chacun de ces hommes peut donc posséder le μένοc sans rien en retirer de la ressource des autres, car leur compétition n’est pas à somme nulle.

Nous avons vu comment le poète de l’Odyssée illustre la relation culminante du père au fils et du fils au père dans la compétition à l’arc et finalement sur le champ de bataille, comment trois générations luttent contre la famille des prétendants. L’harmonie de leur relation n’est pas donnée, mais est revendiquée en vertu d’une tradition familiale maintenue par Ulysse, qui consiste à partager le devant de la scène entre père et fils. Si nous nous figurons le centre de la scène comme un croisement de routes, nous pouvons voir comment ce schéma invertit le modèle œdipien dans lequel chaque membre de la dyade veut être le premier à occuper le croisement. L’aspect à somme nulle du modèle conflictuel est présent dans le modèle réciproque – dans le désir du père pour la dignité et celui du fils pour prouver sa maturité et sa virilité. Les deux désirs impliquent l’évitement de la honte. Que le père reconnaisse le désir subjectif du fils est essentiel, puisque cet acte de reconnaissance entraîne la reconnaissance et l’obéissance du fils envers le père. Le poète de l’Odyssée transforme cette relation réciproque intergénérationnelle (un idéal de société ou même une norme) en thème de son épopée. En fait, le thème global de nostos, le « retour », contient non seulement l’élément important de la revendication de l’épouse et du royaume, mais aussi le retour sans trouble dans son propre oikos, un retour fondé sur le rapport entre le père et le fils, spécifiquement sur l’absence de menace pour Ulysse provenant de Télémaque. Cependant, comme nous l’avons appris du structuralisme, la signification ne se forme que dans le contexte de ce qui n’est pas, et Ulysse n’est pas le mari cocu, le roi déchu, le père supplanté23.

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1 J’utilise la traduction de Philippe Jaccottet, l’Odyssée (Paris 1982). Le texte de l’Odyssée est cité d’après W. B. Stanford, The Odyssey of Homer, 2nd ed., Vols. I et II (London 1965).

2 Pour une étude récente de ce passage éclairant les tensions intergénérationnelles, voir Gregory Thalmann, The Swineherd and the Bow (Cornell 1998) 206-223. Il élabore et critique le modèle du développement masculin proposé dans Nancy Felson (= Felson-Rubin), Regarding Penelope (Princeton 1994) 67-91. Voir aussi Georg Wöhrle, Telemachs Reise : Väter und Söhne in Ilias und Odyssee oder ein Beitrag zur Erforschung der Männlichkeitsideologie in der homerischen Welt [Hypomnemata 124] (Göttingen 1999), et le premier chapitre, « La référence homérique » de Jean Alaux, Le liège et le filet (Paris, Belin, 1995), pp. 29-67.

Thomas M. Falkner, dans The Poetics of Old Age in Greek Epic, Lyric, and Tragedy (Norman, OK 1995) 3-51, interprète la dernière position de Laërte en termes de renouvellement ; il ne considère pas de manière spécifique les tensions entre les générations. Barry Strauss, dans Fathers and Sons in Athens : Ideology and Society in the Era of the Peloponnesian War (Princeton 1993) 1-20, s’intéresse à la famille dans l’Athènes classique, avec quelques brèves remarques sur les antécédents homériques et hésiodiques ; il utilise la distinction explicitée par A.W.H. Adkins, dans Merit and Responsibility. A Study in Greek Values (Oxford 1960), entre solidarité et conflit. James Redfield, dans Nature and Culture in the Iliad, éd. rév. (Durham, NC 1994) 1-113, discute de son côté la « cooperative relation between father and son » comme « an outgrowth of the special character of inheritance in the Homeric world… Because successful inheritance is the completion of the householder’s social task, each householder is (in effect) dependent on his heir… The father’s greatest hope is that his son will surpass him. » (111)

3 Sur des possibilités d’intrigues alternatives ou hypothétiques, voir Felson, Regarding Penelope, surtout viii, 7, 67 et Marilyn Katz, Penelope’s Renown : Meaning and Indeterminacy in the Odyssey (Princeton 1991) 6-7, qui voit l’histoire de la Maison d’Atrée « as the governing paradigm for the development of the plot of the Odyssey » et lit le poème « as a construction of an alternative to it. » Sur l’utilisation par Homère d’Athéna comme « guiding hand » du poète, voir Karl Reinhardt, Tradition und Geist : Gesammelte Essays zur Dichtung, Carl Becker ed. (Göttingen 1960) 45 ; Sheila Mumaghan, Disguise and Recognition in the Odyssey (Princeton 1987) 20 ; et Felson, ibid. 5, 29, et 59.

4 Sur la signification de δῆριν ἔχουσι, voir Thalmann, The Swineherd 222, n. 99 : alors que dans l’Iliade δῆρις ou δηριάομαι renvoient au conflit entre des antagonistes, les deux occurrences dans l’Odyssée (aux vers 8.76 et 78) dénotent la rivalité entre des camarades d’armes (Achille et Ulysse).

5 Cf. Hés. Op. 11-26 sur deux types de’΄Epις « Strife, » et Alvin Gouldner, « The Greek Contest System, » dans Enter Plato (New York 1965), sur les effets de ‘Έρις sur tous les aspects de la vie en Grèce, privés et publics.

6 Dans le Cycle épique, surtout dans la Télégonie (attribuée à Eugammon de Cyrène), des schémas plus sombres et plus conflictuels survivent : Télégonos, l’enfant d’Ulysse et Circé, finit par tuer son père dans une razzia de bétail et épouse sa belle-mère, Pénélope. Proclus (Epit.) atteste un mariage entre Télémaque et Circé, autre cas d’un fils occupant le lit de son père.

7 Hés. Op. 376-77 exalte la naissance d’un fils unique lorsqu’il s’adresse à son frère querelleur Persès, qui veut plus que sa part du patrimoine : « un seul fils nourrira la maison paternelle » (μουνογενὴς δὲ πάις εἴη πατρώιον οἶκον φερβέμεν). Il ne traite pas ici des rois et des lignes de succession, mais plutôt de maisons rentables et de la coopération entre frères.

8 L’Ithaque dans laquelle Ulysse revient après vingt ans n’a pas de chef politique et ne tient pas d’assemblées (2.26-27) : la comparaison aux vers 19.108-14, où Ulysse compare la réputation de Pénélope à celle d’un roi parfait qui gouverne un royaume vaste, fier et fort, ne correspond aucunement à la réalité d’Ithaque.

9 Sur l’âge avancé de Laërte, voir Falkner, The Poetics of Old Age, 34-46. Laërte ne va plus à la polis mais vit dans la ferme de Dolios, isolé des affaires de la maison et de la ville (1.188-93). Une série de pertes l’a conduit à l’isolement, d’abord celle d’Ulysse (11.202-203, cf. 15.358), puis celle de sa femme. Au départ de Télémaque, sa situation empire (16.142-45).

Dans sa discussion sur l’isolement et la décrépitude de Laërte, Falkner (ibid. 37) conclut que le « shroud Penelope weaves and unweaves… suggests the slender thread of his life. » Il remarque alors que le vieil homme se néglige, mais donne beaucoup de soin à son verger, fait qu’Ulysse reconnaît (24.248-53).

10 L’intimité de Phénix avec sa mère excessive et quasi-incestueuse se manifeste à deux niveaux : il couche avec la femme que son père a substituée à sa mère, et en agissant ainsi, il accomplit la volonté de sa mère.

Le succès de la maturation d’un jeune homme passe d’abord par la consolidation de sa virilité en se séparant de sa mère avant de s’engager dans une sexualité « saine ». Voir N. Felson (=N. F. Rubin) et W. M. Sale, « Meleager and Odysseus : A structural and Cultural Study of the Greek Hunting-Maturation Myth », Arethusa 16, (1983) 137-71.

11 Comme l’antécédent du pronom relatif ὄ sur lequel l’autobiographie de Phénix est introduite, le nom νέoc, jeune homme, modifié par ἡβών, dans sa jeunesse, indique que son opposition avec son père s’est produite à une époque de tension intense entre le jeune homme et le parent.

12 Phénix accepte l’amour paternel de Pélée et le comprend malgré le conflit désastreux qui l’oppose à son propre père. Pour des comparaisons similaires, voir Od. 16.17 et 17.111.

13 En exprimant son refus d’être laissé seul à Troie dans ces conditions, Phénix met en relief la tentation qui peut détruire l’amour paternel (et le fait dans le modèle conflictuel.)

14 Pour une discussion de la relation père / fils telle qu’elle est inscrite en supplément, avec un fils qui représente l’absence de ce qu’elle remplace, et donc comme son déplacement, voir Piero Pucci, Oedipus and the Fabrication of the Father (Baltimore 1992) 62-65. Il écrit (63) : « The father is a plus for the son while simultaneously being a minus, the absense of a fatherhood as absolute origin and destination. Conversely, the son, by being born, produces the father as an origin, an authority but simultaneously he is also the sign of the father’s own birth, a repetition of the father’s experience as a child, a copy of it, and accordingly the son is the father of man, the sign of man’s death and contingency. »

15 Sur quelques qualités d’Ulysse domestique, voir Felson, Regarding Penelope 43-65.

16 Cf. Redfield (voir supra, n. 2). La brutalité d’Ulysse envers Laërte dans le jugement qu’il porte (Od. 24.244-316) avant de révéler son identité (321-22), suggère un mode d’interaction agonistique latent, dans lequel le fils est le membre dominant de la paire.

17 Pour un compte-rendu de ce travail, voir Jessica Benjamin, « Sameness and difference : Toward an ‘over-inclusive’ theory of gender development, » Psycho-analytic Inquiry 15.1 (1995) 125-42. Elle démontre, dans un modèle qui contient quatre phases, une phase inclusive pre-oedipienne, dans laquelle l’enfant mâle et femelle s’identifie avec le parent du même sexe et du sexe opposé.

18 Benjamin, ibid. 130.

19 Nous devons peut-être imaginer Euryale comme un des nombreux nobles phéaciens qui courtisent Nausicaa et qu’elle rejette, selon les commentaires qu’elle attribue à τιc (Od. 6.276-84), comme elle l’explique à l’étranger quand elle l’amène secrètement au palais.

20 Voir Anne Giacomelli [Carson], « Aphrodite and After, » Phoenix 39 (1980) 1-19 pour une discussion subtile des significations de μένοc : « In humans, fluid which moves with a shooting energy in or from the body is called μένοc. » (p. 4). Son étude se concentre sur la peur d’Anchise aux vers 188-90 Hymn Hom. Ven. qu’il devienne ἀμενηνόc, « sans μένοc, faible, » pour avoir couché avec une déesse immortelle.

L’épithète de Zeus, ὑπερμένης (Il. 2.116, 350, 403 al.), que LSJ traduit sans couleur comme « exceedingly mighty » peut plutôt suggérer un μένοc ample et coulant, ainsi qu’il convient à un dieu avec une si grande progéniture.

21 Le choix de Télémaque pour ἂκικυς (21.131) lorsqu’il fait semblant de s’en prendre à lui-même invoque une image de force masculine similaire à ce qu’Anchise craint qu’il lui arrivera s’il couche avec la déesse de l’amour (voir supra, n. 20). La seule autre utilisation de ce mot dans l’Odyssée, aux vers 9.507-16, est aussi ironique : Ulysse cite Polyphème, qui, lorsqu’il entend son identité, se souvient de la prophétie selon laquelle il serait aveuglé par Ulysse. Polyphème, explique Ulysse à Alcinoos, s’attendait à ce qu’un grand et bel homme l’aveugle, et non pas un être petit, bon à rien et chétif (ἂκικυς).

22 Voir Felson, Regarding Penelope 67-91 pour une reconstruction de l’image que Télémaque récupère de son père absent et pour les références aux études qui portent sur la maturation de Télémaque ; voir aussi Hanna M. Roisman, « Like FatherLike Son. Telemachus’ ΚΕΡΔΕΑ, RhM 137 (1994) 1-22 et Wöhrle, Telemachs Reise 117-49.

23 Je voudrais remercier Catherine Parayre d’avoir traduit mon article, « Paradigms of Patemity : Fathers, Sons, and Athletic / Sexual Prowess in Homer’s Odyssey, » d’abord publié dans l’ouvrage de John N. Kazazis et Antonio Rengakos, eds. Euphrosyne. Studies in Ancient Epic and its Legacy in Honor of D. N. Maronitis (Stuttgart : Steiner 1999).