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L’épopée du retour et le / la vrai(e) héros / héroïne de l’Odyssée

John Miles FOLEY

Center for Studies in Oral Tradition, University of Missouri

Je commence avec un aperçu de cet article, qui entre dans une brève comparaison entre l’Odyssée et un type d’épopée slave du sud qui s’appelle « l’épopée du retour » (the Retum Song)1. Le premier fait – et la base de mon explication ci-dessous – est une correspondance fondamentale de structure entre le poème homérique et l’épopée du retour : tous les deux suivent le même dessin narratif. On peut l’observer avec une clarté particulière dans la poésie épique slave du sud, mais ce dessin se manifeste aussi dans beaucoup d’autres traditions indœuropéennes.

D’après cette comparaison, je voudrais offrir quelques observations concernant trois sujets. Premièrement, il faut considérer de nouveau la question de l’ordre de la narration de l’Odyssée, et tout spécialement l’idée célèbre de « in medias res » comme principe d’organisation. Secondement, je veux examiner l’ambiguïté de Pénélope en tant que qualité fonctionnelle de son personnage et qu’aspect essentiel de l’Odyssée et d’autres épopées du retour. Finalement, nous allons nous tourner vers la réunion d’Ulysse et de Pénélope (au telos à 23.296) et « la dernière partie » du poème en posant la question « Où se trouve réellement la fin de l’Odyssée ! »

Le chemin du nostos

Le dessin d’une épopée du retour a cinq éléments principaux qui se présentent dans une séquence régulière et donc idiomatique. L’histoire commence avec l’absence du héros, à cause d’une bataille antérieure ; il languit dans la captivité, souhaitant toujours le retour à sa patrie et dans sa famille. Pendant sa captivité une femme puissante (ou une déesse) le prend en main ; quoiqu’elle ne soit pas celle qui l’a capturé, elle devient l’agent de sa libération éventuelle. Il y a un homme (parfois un dieu) qui est la cause originelle (ou la force à la source) du malheur du héros, mais cette figure reste ordinairement au second plan. L’absence est reliée à l’élément suivant de la grande « carte » du nostos : le désastre pour le héros et son épouse, et peut-être son fils (s’il y en a un). Pendant que le héros souffre en prison ou dans une situation telle qu’il est régi par un supérieur, les prétendants occupent sa maison et cherchent à le remplacer auprès de sa femme ainsi que d’acquérir ses possessions. Sans aucun doute, au moment où commence l’épopée du retour, à partir du premier mot, ces deux étapes ont déjà eu lieu ; l’auditoire traditionnel peut remplacer les « chapitres qui manquent » parce qu’il a déjà entendu cette histoire – ou une autre qui suit le même plan. De plus, nous allons apprendre au moins un résumé de ces aventures « omises » pendant le flash-back plus tard dans la narration.

Après cela, le héros va retourner en sa patrie, mais déguisé en prisonnier ou simplement en mendiant. Ce troisième élément, le retour, consiste à accomplir le voyage lui-même, ce qui veut dire à atteindre le but après beaucoup d’événements dangereux. Ayant découvert les prétendants mais étant maintenant déguisé, le héros commence à mettre à l’épreuve la fidélité (ou l’infidélité) des personnages, y compris ses serviteurs ou domestiques, sa mère, son père, son fils, et finalement son épouse. La vengeance, la quatrième étape du nostos, est réalisée quand le héros prend part à un ou plus d’un concours athlétique et, contre toutes ses attentes et celles de ses rivaux, il les vainc. Soit par de tels concours, soit par l’issue d’une bataille effective pendant laquelle le héros va tuer ceux qui ont usurpé sa place, il sort vainqueur. En d’autres mots, la vengeance peut se présenter sous diverses formes, quelquefois rituelle (les luttes athlétiques), quelquefois mortelle, et quelquefois tous les deux.

Enfin, le héros et son épouse (ou fiancé et fiancée) arrivent à la dernière étape, la réunion. Plus qu’une simple rencontre, ce cinquième élément fournit un vrai terminus – le bout du chemin pour les deux personnages principaux de l’épopée du retour en tant que narration. Sans doute, c’est la culmination de toutes les épopées qui suivent le dessin de nostos, le moment unique quand les problèmes les plus sérieux sont résolus. Mais la culmination n’est pas nécessairement la fin absolue ; il reste toujours un épisode supplémentaire après le cinquième élément, constitué individuellement afin de s’accorder avec les détails de chaque poème. Ce type d’épopée révèle en effet deux niveaux de fins : la réunion, un signal traditionnel qui marque toutes les chansons épiques de ce sous-genre ; et le terminus du poème, la cessation de la narration.

Deux Odyssées slaves du sud

Pour illustrer la séquence de l’épopée du retour avec des exemples presque contemporains, nous allons consulter les guslars, les aèdes slaves du sud. Le premier exemple sera La Captivité de etič Osmanbeg (Ropstvo Cetic Osmanbega), par l’aède Alija Fjuljanin2. C’est un des chanteurs dont Milman Parry et Albert Lord ont enregistré le répertoire dans la région de Novi Pazar. La narration procède comme suit. Cetic Osmanbeg, un héros turc, est emprisonné pendant plusieurs années par Ban Tasevic dans la cité de Zadar, située dans le territoire chrétien du pays (l’absence). Naturellement, il manque à sa famille ; quand C. O. était absent, les prétendants ont pris sa maison et maintenant ils sont en train de proposer le mariage à l’épouse de C. O. (le désastre). C. O. hurle toute la nuit, afin d’obliger ceux qui le maintiennent en captivité à le libérer. Il entame son voyage vers sa patrie, mais en chemin il rencontre des brigands ou haiduci, tout spécialement leur chef Milutin. C. O. est sur le point de vaincre et tuer Milutin quand le brigand demande le pobratimstvo, une forme de parenté synthétique, et un lien important se forme entre les ennemis. Après cela le voyage est achevé (le retour).

C. O. arrive, déguisé, dans sa région d’Udbina et il pose des questions et met ceux qui l’entourent à l’épreuve pour déterminer – secrètement – qui lui reste fidèle, s’adressant à son domestique Husein, à sa mère, et à son épouse. Dans ce poème les prétendants sont mentionnés seulement par implication, comme une partie de son interrogation de son épouse3. Avec l’affirmation de la fidélité de celle-ci, les prétendants sont effectivement vaincus (la vengeance). Le héros et la vjerna ljuba, ou « amour vrai, » sont réunis au telos de l’épopée (la réunion). Mais il faut préciser que le poème n’est pas complètement fini. Pendant l’absence de C. O., son fils a été enlevé par l’ennemi chrétien, le Ban de Janok, et il faut le sauver. C. O. et son « frère » Milutin, qui raparaît maintenant assez soudainement, vont libérer le garçon, et après cet épisode supplémentaire la narration est complète.

Considérez aussi une autre chanson de la tradition épique musulmane, cette fois La Captivité d’Ograscic Alija (Ropstvo Ograscic Alije), une des narrations par le guslar Mujo Kukuruzovic de la région de Stolac4. Quand l’histoire commence, Ograšćić Alija (O. A.) est emprisonné pendant plusieurs années par le ban dans la cité de Janok, encore située dans le territoire chrétien du pays (l’absence). Il manque à sa famille ; quand O. A. était absent, les prétendants ont pris sa maison et maintenant ils sont en train de proposer le mariage à son épouse. Sur ces entrefaites, il languit en prison. Ses cheveux et sa barbe poussent jusqu’à sa taille, et des serpents et des scorpions jouent près de lui (le désastre). Enfin O. A. commence à hurler, et la banica arrive à sa cellule pour discuter d’un échange : s’il promet de cesser de hurler et de ne jamais entrer en guerre contre son peuple, elle le libérera. Il est essentiel que le héros relate un flash-back (ressemblant à l’Apologue de l’Odyssée) comme étant une partie intégrale ou étape de la négotiation de son retour. Presque tous les exemples des épopées du retour manifestent la même caractéristique5. Après cela, le héros entame son voyage vers sa patrie, pendant lequel il doit surmonter de nombreuses difficultés (le retour).

O. A. arrive, déguisé, dans sa région de la Krajina et il pose des questions et met ceux qui l’entourent à l’épreuve pour déterminer – secrètement – qui lui reste fidèle, s’adressant à quelques soldats, au « trickster » Tale d’Orašac, puis à son propre fils Hadžibeg, et finalement à son épouse Alibegovica. Un combat rituel (un jeu athlétique) s’ensuit, et O. A., quoiqu’il soit fatigué par son incarcération de douze ans et son récent voyage à pied, remporte la victoire contre les prétendants (la vengeance).

Mais l’épouse se montre infidèle : confrontée avec les nouvelles de la mort supposée de O. A., elle rit avec plaisir. Nous avons ici une différence estimable dans le dessin narratif. Le héros et la vjerna ljuba (un amour vrai) ne sont pas réunis au telos de l’épopée, parce que l’épouse s’est montrée infidèle (manque de la réunion). Malheureusement, O. A. tue Alibegovica, et la narration s’engage dans un autre dessin : le héros abandonne son peuple et se joint à l’armée des ennemis. Un second type du dessin narratif – la délivrance – s’ensuit6. La logique est assez simple : sans le telos, il manque une vraie fin à l’épopée. En effet, O. A. retrouve Klytemnestre au lieu de Pénélope.

En résumé, nous pouvons observer que ce type épique slave du sud, l’épopée du retour, révèle une morphologie reconnaissable. Elle comprend cinq éléments ou étapes : l’Absence, le Désastre, le Retour (avec un flash-back), la Vengeance, et la Réunion (ou sa non-existence). Le dernier élément peut se manifester comme une antithèse, ce qui veut dire en forme négative ; malgré son titre, la vjerna ljuba (un amour vrai) devient quelquefois fidèle et quelquefois infidèle, et il n’est pas possible de prédire avec confiance quelle sorte de dénouement se présentera à l’horizon. Si l’on connaît la narration spécifique – le poème individuel, distingué du dessin général du sous-genre – on peut prévoir le telos ou sa non-existence. Mais cependant, et quoiqu’on sache les détails à l’avance, il reste une tension entre la certitude de la narration spécifique et l’ambiguïté du dessin générique7. Finalement, regulièrement inclus comme étant une des parties du dessin de l’épopée du retour est un épisode supplémentaire, une scène ou plus au bout de l’épopée. Il faut noter que ces épisodes supplémentaires ne constituent pas une vraie étape de la structure traditionnelle ; on trouve trop de variations liées spécifiquement à chaque narration individuelle. Un tel degré de variabilité surpasse celle de la morphologie traditionnelle des cinq éléments qui donnent le fondement de l’épopée du retour. Nous pouvons l’exprimer comme cela : d’habitude, cet épisode suit le poème, et non pas le dessin.

Ce type d’épopée sur la carte internationale

En plus des centaines d’exemples qui se retrouvent dans la tradition slave du sud, l’épopée du retour est très répandue, tout spécialement mais pas uniquement dans les Balkans. On rencontre partout la même narration, avec des héros et des héroïnes familiers et les cinq éléments typiques, dans les époques anciennes, médiévales, et contemporaines, et dans plusieurs sociétés d’Europe et d’Asie. C’est vraiment un phénomène tout au moins indo-européen, certainement dans sa distribution sinon dans son origine8. C’est pourquoi il faut mentionner à la fois les traditions contiguës, comme celles de Bulgarie, de Russie, et d’Albanie (ce n’est pas seulement un sous-genre slave dans cette région), mais aussi des traditions lointaines, commes celles de l’Angleterre médiévale et les cycles vivants qui sont enregistrés au vingtième siècle chez les groupes turcs de l’Asie centrale9.

De plus, on ne peut pas oublier la tradition épique grecque ancienne. Même si nous avions, avec l’Odyssée, un seul exemple existant de sa richesse originelle, il y en avait d’autres, comme nous pouvons établir par référence aux fragments cités dans les œuvres d’autres auteurs et par consultation de la Chrestomathie de Proclus, un néo-Platoniste du cinquième siècle. Quelques savants, probablement la plupart d’entre eux, ont supposé qu’il existait un Cycle Epique au temps d’Homère et un peu après10, une collection assez organisée à laquelle les aèdes ou poètes ont cherché à contribuer, créants les épisodes manquants comme on cherche à résoudre un puzzle. Mais bien que d’autres poèmes existent, un modèle de telle nature – avec des textes incrémentiels, organisés dans une collection comme dans une anthologie moderne – ne suffit pas à expliquer la tradition orale d’Homère et de ses contemporains. Il me semble bien mieux d’imaginer une situation analogue aux traditions épiques existantes (comme, par exemple, les épopées slaves du sud). Caractéristiquement, dans ces cas-là on ne trouve pas une anthologie composée et maintenue dans un ordre particulier, mais un fond ou arrière-plan qui reste implicite, et qui est connu par l’aède et par l’auditoire. Ce fond consiste en une langue (plus exactement, en une parole) et une tradition qui sont partagées par tous les participants, et à cause de cela les activités de textualisation incrémentielle et d’organisation nette y sont secondaires11. Toutes les autres narrations – la totalité du mythe grec ancien et tout spécialement les contes associés avec Troie – sont impliquées par chaque poème, chacun comme un lemme d’une grande encyclopédie mythique qui reste elle-même non textualisée. Le Cycle Epique était une anthologie non écrite, non publiée ; c’était une anthologie traditionnelle12.

Donner la parole à Agamemnon

Pour confirmer ces perspectives sur l’Odyssée, appelons un témoin qui joue un rôle indiscutablement unique dans ce poème et même dans la grande tradition mythique à laquelle ce poème fait référence. Ecoutons la psuchê d’Agamemon parlant à la psuchê d’un des prétendants, Amphimedon, après qu’Ulysse les a tués (24.192-202) :

« ὄλβιε Λαέρταο πάϊ, πολυμήχαν’ Ὀδυσσεῦ

ἦ ἄρα σὺν μεγάλη ἀρετῃ̑ ἐκτήσω ἄκοιτιν

ὡς ἀγαθαί φρένες ἦσαν ἀμύμονι Πηνελοπείῃ,

κούρη Ἰκαρίου ώς εὖ μέμνητ’ Ὀδυσήος, 195

ὐνδρός κουριδίου. τῷ οἱ κλέος οὔ ποτ’ όλε̑ιται

ἦς ἀρετη̑ς, τεύξουσι δ’ ἐπιχθονίοισιν ἀοιδὴν

ἀθάνατοι χαρίεσσαν ἐχέφρονι Πηνελοπείῃ,

οὐχ ὡς Τυνδαρέου κοΰρη κακά μήσατο ἔργα,

κουρίδιον κτείνασα πόσιν, στυγερὴ δε τ’ ἀοιδὴ 200

ἔσσετ’ έπ’ άνθρώπους, χαλεπὴν δέ τε φῆμιν όπάσσει

θηλυτέρησι γυναιξί, καί ἥ κ’ εύεργός ἔησιν. »

Avec ces vers mémorables Agamemnon esquisse deux caractérisations : le modèle de fidélité, Pénélope, et le modèle d’infidélité, sa femme Klytemnestre. Mais en même temps, et du point de vue de la tradition épique et de ses implications, il décrit aussi une morphologie de deux types d’une chanson épique (ἀοιδή) : (1) la chanson agréable (ἀοιδὴν χαρίεσσαν) de Pénélope et (2) la chanson abominable (στυγερὴ ἀοιδὴ) de Klytemnestre. Ce sont deux variations d’un conte qu’Homère et sa tradition identifient comme le nostos – en d’autres mots, l’épopée du retour. Vis-à-vis des chansons slaves du sud, on peut comparer l’άοιδὴ χαρίεσσαν de la femme de Četić Osmanbeg avec la στυγερὴ άοιδὴ d’Alibegovica. Chaque paire de narrations – les deux grecques anciennes et les deux slaves du sud – montre un type de chanson épique avec deux dénouements ; a fortiori, chaque paire peut illustrer la morphologie traditionnelle et idiomatique. Ce n’est pas surprenant qu’il y ait dans l’Odyssée tant de références concernant l’autre dénouement, celui d’Agamemnon, Klytemnestre, et Oreste13.

Trois questions homériques

Maintenant, nous passons aux trois questions posées au commencement de cet article. En formulant une réponse brève à chacune, nous essayerons de faire attention aux perspectives dont nous avons discuté ci-dessus. Tout spécialement, souvenons-nous de la morphologie traditionnelle de l’épopée du retour, dont l’Odyssée s’est révélé être une instance. Particulièrement, il faut rappeler la séquence des cinq éléments et sa force idiomatique, l’épisode supplémentaire, et le rôle décisif de l’héroïne.

1. Quel est l’ordre de la narration de l’Odyssée ? Ce n’est pas une question de « in medias res. » Tout procède d’après la « chronologie » du dessin narratif, qui fournit l’ordre le plus fondamental. Même le flash-back est une caractéristique régulière de l’épopée du retour. Quand Ulysse récapitule ses travaux pour Pénélope à la fin du vingt-troisième chant, il utilise un autre mode de narration ; son ordre ne suit pas la séquence de l’épopée du retour. On peut dire qu’Ulysse raconte ses aventures à Pénélope tout comme elles lui sont arrivées en réalité ; cependant Homère décrit ces mêmes aventures tout comme elles lui sont racontées.

2. Est-ce qu’on peut expliquer l’ambiguïté de Pénélope ? Comme Agamemnon le dit lui-même, il y a deux possibilités de forme pour l’épopée du retour. Du point de vue de la morphologie traditionnelle comme contexte pour chaque épique individuel, nous resterons nécessairement dans le doute concernant l’identité de l’épouse – positive ou négative, fidèle ou infidèle, héroïne ou non – jusqu’au dévoilement de sa vraie nature d’après l’épreuve. On trouve des centaines d’épopées de chaque sorte dans la Collection Milman Parry, par exemple. L’ambiguïté de la vjerna ljuba – et dans l’Odyssée celle de Pénélope – est une qualité de valeur unique : seulement si la femme maintient son incertitude, seulement si elle retarde le progrès vers une décision absolue et finale, il est possible de garder une place pour le héros. Dans toutes ces narrations, le héros parvient toujours à rentrer chez lui – il n’y a jamais d’exceptions. Mais une plus grande question se présente : qui l’attendra à son retour ? Dans ce sens-là Pénélope est vraiment une héroïne ; son personnage est au moins aussi important que celui d’Ulysse.

3. Le telos et « la dernière partie » du poème : où se trouve réellement la fin ? Après les cinq parties ou éléments du dessin narratif que nous avons observés, on trouve toujours un épisode supplémentaire, constitué individuellement afin de s’accorder avec chaque poème. C’est aussi le cas dans l’Odyssée d’Homère, dans laquelle trois actes non traditionnels – la rébellion des familles des prétendants tués, l’épreuve administrée à Laertes par son fils (qu’il ne connaît pas), et la Paix d’Athèna – suivent le telos (en 23.296) de la réunion de Pénélope et Ulysse. Ces trois actes existent en dehors de la séquence des cinq éléments, mais ils s’emboîtent dans le dessin narratif ou se trouvent les détails qui distinguent chaque narration et la rendent unique. La morphologie de l’épopée du retour peut éclairer la question de l’unité de l’Odyssée par analogie.

J’espère que ces remarques ont illustré la force potentielle de l’analogie entre l’Odyssée et l’épopée du retour, tout spécialement les chansons épiques des guslars slaves du sud. En suivant les analyses de Parry et Lord, nous pouvons examiner non seulement la structure, mais aussi les sujets esthétiques : la caractérisation, la séquence narrative, l’unité du poème, et beaucoup d’autres. La dynamique de la tradition orale et son étude d’un point de vue comparatif peuvent illuminer, en fin de compte, beaucoup d’aspects essentiels de la poétique.

Bibliographie

Davies, Malcolm. 1988. Ed., Epicorum Graecorum Fragmenta. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht.

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– 1991. Immanent Art : From Structure to Meaning in Traditional Oral Epie. Bloomington : Indiana University Press.

– 1995. The Singer of Tales in Performance. Bloomington : Indiana University Press.

– 1999. Homer’s Traditional Art. University Park : Pennsylvania State University Press.

– 2000. « Epie Cycles and Oral Tradition : Ancient Greek and South Slavic. » Euphrosyne : Studies in Ancient Epic and its Legacy in Honor of Dimitris N. Maronitis, ed. John N. Kazazis and Antonios Rengakos. Munich : Franz Steiner Verlag, pp. 99-108.

Holmberg, Ingrid. 1998. « The Creation of the Ancient Greek Epic Cycle. » Oral Tradition, 13 : 456-78.

Lord, Albert Bates. 1960. The Singer of Tales. Cambridge, Mass. : Harvard University Press. Rpt. New York : Atheneum, 1968 et seq.

Olson, S. Douglas. 1990. « The Stories of Agamemnon in Homer’s Odyssey. » Transactions of the American Philological Association, 120 : 57-71.

SCHS. Serbo-Croatian Heroic Songs, coll., ed., and trans. Milman Parry, Albert Lord, and David Bynum. Cambridge, Mass. and Belgrade : Harvard University Press and the Serbian Academy of Sciences.

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1 Pour des discussions étendues de ce type d’épopée (un sous-genre en lui-même), voir Foley 1990 : 359-87 (la structure d’un point de vue comparatif) et 1999 : 115-67 (les conséquences esthétiques pour l’Odyssée) ; avec référence à L’Hymne à Déméter, voir Foley 1995 : 175-80.

2 Pour le texte en la langue originale, voir SCHS, Π, pp. 316-23 ; pour la traduction en anglais, I, pp. 314-22. Quant à l’histoire et l’usage comparatif de « oral-formulaic theory, » voir Foley 1988.

3 Plus ordinairement, dans ce type d’épopée les prétendants et ses activités se montrent explicites.

4 Cette chanson épique est une partie d’un plus grand projet en préparation : une édition, avec une traduction en anglais, d’un choix de poèmes composés par les guslars de la région de Stolac. Sur Kukuruzović et ses narrations, voir Foley 1990 : 48-50, 1991 : 87-95, et 1999 : 131-35.

5 Les rares exceptions à cette règle, qui procèdent sans le flash-back, sont des chansons très courtes ou non développées. En ce cas, l’aède peut diminuer ou peut-être effacer entièrement quelques traits ou actes, mais il ne peut pas éliminer les cinq éléments qui constituent ce sous-genre de l’épopée du retour.

6 Avec référence au dessin de la délivrance, que Lord a nommé « Rescue, » voir Lord 1960 : 260-65.

7 Considérez les neuf citations d’Agamemon, Klytemnestre, ou Oreste dans l’Odyssée. Voir Oison 1990 ; Foley 1999 : 117, 135-37, 149.

8 Ce dessin peut être indo-européen ou disséminé d’un peuple à l’autre. Ça ne fait pas grande différence pour ce qui nous concerne : le lien évident entre l’épopée homérique et les autres épopées du retour, particulièrement les poèmes épiques slaves du sud.

9 Pour la bibliographie, voir Foley 1999 : 298, n. 2.

10 Pour une édition des fragments du et références au Cycle Epique, voir Davies 1988.

11 Avec référence au principe de « traditional referentiality, » voir Foley 1991, 1995, 1999.

12 Voir aussi Holmberg 1998 et Foley 2000.

13 Voir n. 7 ci-dessus.