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L’Évocation des Enfers

Mythe et cinéma

Caroline EADES

Université Stendhal-Grenoble III et University of Maryland

Depuis les fantaisies de Méliès jusqu’aux facéties de Harry alias Woody Allen, le cinéma a utilisé pour ses représentations de l’enfer et de ses occupants des caractéristiques empruntées à la tradition picturale et littéraire : autour de Méphistophélès, une armée de petits diables s’acharne à brûler, bouillir et harceler de leurs fourches les pêcheurs impénitents et prisonniers pour l’éternité d’un monde souterrain et traversé de flammes. On peut pourtant se demander si cette image de l’enfer n’est pas, d’une certaine façon, trop réaliste pour être acceptable par l’imaginaire cinématographique : le risque associé au feu relève, en effet, davantage du référentiel, de l’expérience, du quotidien spectaculaire suscité par les catastrophes naturelles ou l’hubris des villes modernes comme l’illustrent Volcano (1997) ou La Tour infernale (1974). C’est également un péril redoutable pour le film comme pour le cinéma pris dans leur matérialité, puisque le feu détruit irrémédiablement la pellicule et a marqué tragiquement les débuts du septième art avec l’incendie du Bazar de la Charité en 1897. C’est donc plutôt un enfer froid, glacé, humide, mental qui se substitue dans certains films à l’enfer chrétien, dantesque ou faustien, héritier de l’enfer sémite1, et qui s’avère ainsi plus proche des situations, des figures et des paysages évoqués par les récits homériques2.

De fait, contrairement aux images d’un enfer souterrain, brûlant et hermétiquement clos, certains films semblent reprendre les caractéris tiques géo-climatiques du « voyage au pays des morts » définies par les mythologies grecque, égyptienne et orientale. Dans son analyse de l’Odyssée3, Gabriel Germain s’attache ainsi à préciser la topographie des enfers élaborée par le récit homérique et compare le parcours d’Ulysse, depuis la demeure de Circé dans les régions orientales vers le Sud-est jusqu’à l’Océan circulaire et au pays de l’obscurité, à l’itinéraire de Gilgamesh suivant la route nocturne du soleil pour parvenir à l’océan primordial et aux Eaux de la Mort, à l’instar de la navigation égyptienne vers le pays des morts et le séjour des Bienheureux. Dans ces récits, le passage dans l’autre monde est figuré non pas par une chute soudaine, une descente dans les entrailles de la terre, mais par un déplacement horizontal, une continuation de la navigation odysséenne vers les confins du monde, conférant ainsi à l’espace infernal son caractère liminaire.

A cet égard, les représentations plus ou moins symboliques de l’enfer et de l’évocation des morts qui peuvent être repérées dans Le Regard d’Ulysse de Théo Angelopoulos (1995), Fellini-Satyricon de Federico Fellini (1969), Stalker d’Andréi Tarkovski (1979), Jusqu’au bout du monde de Wim Wenders (1991), Apocalypse Now de Francis Ford Coppola (1979) et Orphée de Jean Cocteau (1949) se révèlent comparables précisément parce qu’elles mettent en scène des situations similaires fondées sur la progression du personnage principal, le plus souvent par voie maritime ou fluviale, vers une région lointaine à caractère infernal. Il n’y a pas de rupture entre l’univers terrestre tel que nous le connaissons et le monde des morts vers lequel s’avancent les héros : le voyage commence en Californie, dans une base militaire, à Florina dans le nord de la Grèce, dans une province romaine ou dans une ville industrielle soviétique et se poursuit selon un itinéraire vraisemblable sur le plan géographique, pour les uns jusqu’au désert australien, pour les autres jusqu’au cœur de la jungle vietnamienne, à Sarajevo, dans des marais lugubres ou une « zone » désaffectée. L’accent est mis aussi bien dans le texte homérique que dans ces textes filmiques sur l’ancrage réaliste du parcours pour accentuer la proximité conjonctive des espaces4, du connu et de l’inconnu, de l’humain et de l’infernal.

Le défi que relèvent les personnages ne repose pas dans un premier temps sur le courage et l’audace nécessaires pour entreprendre un voyage vers l’autre monde, mais sur leur aptitude à suivre un plan de route défini avant le départ de l’expédition pour en garantir le bon déroulement. L’errance n’est plus de mise pour Ulysse quittant la demeure de Circé, il lui faut désormais soumettre sa navigation aux indications de son hôtesse : « Laisse faire au souffle du Borée qui vous emportera… »5. Pour les aider dans cette aventure, les protagonistes de Wenders et de Coppola disposent de cartes, les autres personnages ont recours aux services d’un guide, qu’il prenne les traits de Circé et de Nausicaa6 dans le film d’Angelopoulos ou d’un bâtelier sinistre dans le film de Fellini, qu’il se nomme Heurtebise dans le film de Cocteau ou « stalker »7 dans le film de Tarkovski.

Dans le chant X de l’Odyssée (v. 507-508), Circé présente à Ulysse une description terrifiante du but à atteindre : le lieu est hostile, déliquescent, bruyant, tout entier marqué par l’ombre de la mort qui envahit la végétation et les lignes verticales des arbres et de la roche qui configurent le paysage. On notera cependant que les propos de Circé n’en restent pas moins réalistes dans la mesure où ils s’adressent à un mortel doué de facultés sensorielles et capable d’exercer ses cinq sens pour appréhender un nouvel espace caractérisé par le bruit assourdissant du « confluent », l’odeur « putride » du séjour d’Hadès, les formes des « hauts peupliers » et de la roche « élevée », la fluidité de l’Océan, des fleuves et des libations, et le goût âcre des « fruits morts ». Le monde où Homère mène son héros est loin d’être aseptisé et désensibilisé comme celui de la science-fiction. La description de Circé trouve même un écho dans le film de Tarkovksi où l’arrivée des protagonistes dans la « zone » est soulignée par l’apparition de la couleur, de sons musicaux et d’odeurs désagréables qui contrastent – comme le précise le dialogue – avec les images en noir et blanc et les sons analogiques de l’univers quotidien des personnages.

Ces récits présentent donc le but du voyage comme accessible par des voies ordinaires, mais insistent également sur sa situation particulière, aux confins du monde, par le biais de deux indices déjà présents dans l’Odyssée. D’une part, ce lieu ménage aux héros la possibilité de mettre pied à terre au sens propre du terme, à l’issue de leur navigation aérienne dans le film de Wenders, ferroviaire dans le film de Tarkovksi, maritime ou fluvial dans les films d’Angelopoulos, de Coppola et de Fellini. D’autre part, le carrefour et la borne qui dans l’Odyssée marquent l’entrée des enfers se retrouvent également, certes humanisés et actualisés, dans les récits filmiques. Jusqu’au bout du monde propose l’exemple le plus proche de la description homérique, puisque les protagonistes, Claire Tourneur et Sam Farber, commencent leur voyage symbolique chez les morts après avoir atterri au sommet d’un rocher australien qui rappelle Ayers Rock, haut-lieu du culte aborigène, mais conserve l’indétermination de la roche mentionnée par Circé8. La pierre creusée par les eaux turbulentes des trois fleuves infernaux prend, dans Apocalypse Now, la forme d’une crique dans laquelle Willard pénètre entre deux falaises et qui se trouve dominée par l’aplomb de temples en ruines. C’est une statue archaïque flottant à la surface des marais dans le film de Fellini, un enchevêtrement de poteaux électriques dans Stalker, un pont dans le film d’Angelopoulos et la double barrière d’un miroir et des murs suitants d’un labyrinthe dans le film de Cocteau qui signalent l’entrée dans la région infernale. La main de l’homme contribue désormais à identifier le lieu et, dans la plupart des cas, au déplacement spatial qui symbolise le passage d’un monde à l’autre s’ajoute un déplacement temporel, un retour vers les origines de l’humanité : l’idée de renaissance, de réversibilité ou de suspension du temps, associée à la résurgence des mythes, marque le décor et les objets désignant l’entrée de l’enfer et symbolise la confrontation du héros d’aventures contemporaines ou historicisées, comme dans le cas du Fellini-Satyricon et d’Orphée, avec le sacré qui est ainsi défini comme la reconnaissance par la technê humaine (figurée par un temple, un pont, une statue, un site industriel…) de la présence divine dans le monde telle qu’elle se révèle dans un lieu exceptionnel.

La présence de l’élément liquide, mer ou fleuve, constitue aussi un point commun à tous ces films. Fellini, Coppola et Angelopoulos utilisent, comme Homère, l’image du réseau de fleuves pour marquer l’entrée dans le pays des morts, qu’il s’agisse d’un labyrinthe de canaux et de marais, de l’enchevêtrement des voies d’eau dans la forêt tropicale ou du système fluvial de l’Europe centrale. Dans le film de Tarkovski, la « zone » est traversée par un fleuve aux eaux tumultueuses. Dans tous les cas, la topographie fluviale présente un caractère dangereux du fait précisément de sa structure et de son étendue : les marais s’étendent à l’infini, les cours d’eau se perdent dans la jungle et la navigation sur les affluents des fleuves balkaniques nécessite l’expertise d’un guide local. L’omniprésence de l’eau donne ainsi au territoire infernal l’apparence d’une région insulaire et prépare les personnages à découvrir un univers à part, hors-norme.

Le film de Cocteau semble faire exception en mettant en scène une descente aux Enfers qui se rattache plus à la tradition orphique qu’au mythe homérique. Pourtant, le miroir liquéfié qu’emprunte son Orphée moderne pour accéder au monde des morts permet à Cocteau de mettre en scène la contiguïté des deux mondes et la référence à l’élément liquide présentes dans l’Odyssée. En outre, le retour du Poète dans le monde des vivants accentue la proximité des deux univers tout en soulignant le caractère horizontal de la topographie infernale. Les représentations filmiques de l’enfer que proposent ces six cinéastes évitent, en effet, nettement de le situer au plus profond de l’univers et d’associer son accès à l’idée de chute, pour le montrer plutôt comme un espace souterrain proche d’où peuvent surgir les morts à la façon des ombres convoquées par Ulysse.

L’évocation des morts est ainsi rendue possible par les deux caractéristiques du lieu liminaire énoncées dans le texte homérique et reprises par les textes filmiques, à savoir son aspect liquide et la proximité des deux univers. Ulysse a le pouvoir de convoquer, « autour de la fosse » qu’il a creusée, « les morts, têtes sans force » sans se déplacer lui-même et sans quitter le rivage de l’Océan, à condition toutefois d’effectuer les trois libations prescrites par Circé « d’abord de lait miellé, ensuite de vin doux, et d’eau pure en troisième »9. Le fait de verser des aliments liquides sur la terre contribue à assurer le rite de passage et la communication avec l’autre monde et renforce la dimension transitionnelle du lieu déjà défini comme perméable par la présence des fleuves. A. dans Le Regard d’Ulysse boit le thé offert par Lévy, directeur de la cinémathèque de Sarajevo, Willard la boisson proposée par l’entourage du colonel Kurtz dans Apocalypse Now et Encolpe le breuvage concocté par la servante d’Oenothée dans Fellini-Satyricon. La pratique chamanique est en quelque sorte intériorisée et inversée, puisque les personnages sont amenés non pas à répandre les liquides sur le sol mais à les absorber sans pour autant substituer un rituel de nécromancie à l’évocation des morts, puisque chacun vise en fait non pas à rendre son esprit réceptif à la parole des morts mais à consacrer sa présence dans l’univers infernal. En effet, le voyage au pays des morts n’est pas décrit comme imaginaire dans ces films : la boisson consacre plutôt une communion provisoire avec les habitants d’un autre monde. Dans Stalker cependant, l’ambiguïté est maintenue puisque le voyage dans la « zone » est encadré par deux scènes qui se déroulent au café, lieu de consommation et lieu de conversation, propice à libérer les transports de l’imagination.

Pour finir la caractérisation du pays des morts en termes homériques10, on notera que ces films associent dans leurs représentations d’un enfer plus ou moins symbolique l’absence de soleil à la présence d’humidité. Brumes, brouillards et vapeurs construisent, plus encore que la nuit, les paysages sombres de Sarajevo dans Le Regard d’Ulysse, de l’antre d’Oenothée dans Fellini-Satyricon, du royaume de Kurtz dans Apocalypse Now, de la Zone infernale dans Orphée. L’alternance de l’ombre et de la lumière, le contraste du noir et du blanc, ou encore la prédominance de couleurs froides11 sont utilisés dans ces films pour créer l’atmosphère lugubre et glaciale de l’enfer antique tout en conservant au décor son ancrage réaliste et son caractère de proximité. Le film de Tarkovski rend particulièrement dynamique cette construction chromatique en opposant dans un premier temps l’enfer sur terre, filmé en noir et blanc, et l’univers de la « zone » en couleurs, avant que celles-ci ne s’estompent au profit d’une teinte uniforme et sombre, proche du gris et du vert, en fin de voyage12.

En outre, le paysage humain des lieux infernaux est proche, dans ces films, de la tradition antique, encore sensible dans les textes évangéliques qui y placent les êtres aimés – et non pas seulement les méchants (Matthieu XVI 18) –, à commencer par Jésus avant la résurrection. Tout comme dans l’enfer mythologique que dépeint Homère, les parents et amis disparus ne sont plus que des ombres : les personnages filmiques retrouvés par les héros dans l’univers infernal, qu’il s’agisse des habitants de Sarajevo dans Le Regard d’Ulysse, de Kurtz dans Apocalypse Now, de la jeune Oenothée dans Fellini-Satyricon, de la mère de Sam dans Jusqu’au bout du monde conservent leur forme humaine sous une apparence parfois spectrale, mais ont perdu leur intégrité mentale, leur pouvoir décisionnel, leur volonté, même pour certains la faculté de voir ou de se souvenir. L’image effrayante qu’a Ulysse de la foule des morts au début et à la fin du chant XI (v. 42-43 et v. 632-33) peut être considérée comme une version archaïque de la scène désormais classique des films d’horreur depuis White Zombie de Victor Halperin (1932) où les morts revenant sur terre se dirigent hagards, les bras tendus, d’un pas mécanique vers les vivants terrifiés. Ce que cherchent ces êtres abandonnés par la vie mentale, c’est la possibilité de retrouver la mémoire, leurs souvenirs, les images du passé, quitte à vampiriser l’âme de celui qui s’aventure jusqu’à eux, à l’instar du héros homérique.

L’épisode consacré à l’évocation des morts par Ulysse contient également une des scènes de l’Odyssée les plus marquantes sur le plan dramatique, émotionnel et symbolique, à savoir les retrouvailles du héros avec sa mère. Angelopoulos y fait directement référence dans Le Regard d’Ulysse en menant A./Manakis à Constanza pour y rejoindre sa mère et célébrer le nouvel an en 1945, 1950 et 1954. De manière plus allusive, Wenders met en scène le retour de son protagoniste vers sa mère aveugle dans une caverne du désert australien. On peut se demander si l’appel téléphonique que passe, depuis la « zone », un des personnages de Stalker à son ancien patron ne se rattache pas à la tradition du contact distancié du héros en quête de vérité avec la figure parentale.

Dans la tradition homérique, l’espace infernal constitue, en effet, pour un personnage unique et exceptionnel non pas une fin, mais une étape, pour l’itinéraire géographique et spirituel de ce héros, non pas un aboutissement mais une évolution, et, pour le récit, non pas une clôture mais un moment essentiel de la structuration narrative. Gabriel Germain différencie deux enjeux du voyage d’Ulysse au pays des morts sur le plan structurel : l’un consiste à proposer une piste de lecture mettant cet épisode au centre de la construction en triangle ou en miroir du récit odysséen ; l’autre pose la question de la fonction de l’épisode dans l’élaboration du personnage d’Ulysse, voire du héros en général et in fine du rattachement de l’Odyssée au genre épique ou au genre fantastique13.

Or, dans les films de Fellini, de Wenders, de Coppola et d’Angelopoulos, l’accès à l’enfer est présenté comme le terme du cheminement du héros et du récit filmique : la narration n’en fait d’ailleurs pas l’objet d’un récit intradiégétique, mais organise plutôt les situations en fonction de ce voyage ultime, selon la structure traditionnelle de l’épopée. Le voyage devient donc essentiel dans le sens où il construit l’étape finale d’un parcours semi-héroïque semi-picaresque, consacrant la réunion du protagoniste avec son moi profond, inconscient ou idéal pour Claire Tourneur, A., Encolpe et Willard.

Dans ce cas, le voyage chez les morts clôt le récit ou au moins assure une conclusion ouverte qui, en reprenant à l’épisode homérique une fonction de prétérition assurée par la prédiction de Tirésias, rend inutile la suite de la narration. Les héros de ces films apprendront la vérité sur leur avenir de poète, de chef de guerre, d’individu, d’être humain, mais les étapes de leur retour seront occultées, qu’il s’agisse du retour du cinéaste du Regard d’Ulysse dans son pays natal, la Grèce, ou dans son pays d’adoption, les Etats-Unis, ou du lieutenant Willard à sa base, de Claire Tourneur et de Sam Farber en Allemagne, ou encore d’Encolpe à bord de la felouque ancrée non loin de la sépulture d’Eumolpe.

Le film de Tarkovski se rapproche davantage du modèle homérique, puis qu’après avoir ramené ses clients de leur visite dans la « zone », le « stalker » retourne chez lui et célèbre ses retrouvailles avec sa famille avant de manifester son désir de repartir. Certes le voyage dans la « zone » occupe la majeure partie du film, mais celui-ci ne constitue pas une fin en soi et, comme il a déjà été mentionné, peut s’interpréter comme la représentation visuelle d’un récit élaboré par les protagonistes dans le café où ils se retrouvent avant leur expédition, réelle ou imaginaire. D’ailleurs, le film semble nuancer l’aspect apparemment initiatique du voyage par le résultat ambigu de cette aventure sur les participants : ils avaient espéré voir tous leurs vœux exaucés grâce à leur passage au cœur de la « zone », mais chacun en revient en proie aux mêmes contradictions et aux mêmes angoisses existentielles. Stalker se rapproche donc à cet égard des interprétations du texte homérique qui consistent à dissocier l’aventure d’Ulysse d’une tradition assimilant le voyage chez les morts à un parcours initiatique du héros jusqu’à la résurrection symbolique, c’est-à-dire la vraie vie14.

Contrairement aux Grecs pour qui la mort s’apparente davantage au sommeil qu’à l’éternité des supplices, les films mentionnés intègrent à leurs représentations du séjour infernal une connotation plus proche des enfers orientaux et chrétiens : l’image de l’enfer et son utilisation méta phorique sont souvent associées aux notions de souffrance, d’expiation, de punition par un procédé d’inversion qui consiste à reprendre la dimension positive de l’état de sommeil et à en priver les êtres séjournant dans l’espace infernal. Dans La Jetée de Chris Marker (1962), les souterrains de Paris deviennent, après la troisième guerre mondiale, un lieu d’expérimentation où une équipe de scientifiques tentent de supprimer tout sommeil profond chez leurs victimes pour pouvoir récupérer les images de leurs souvenirs ou de leurs rêves, annonçant les expériences menées par le père de Sam dans son laboratoire australien sur la représentation des rêves dans le film de Wenders. Le colonel Kurtz d’Apocalypse Now vit désormais en reclus dans son antre sans pouvoir trouver le sommeil. Encolpe est plongé dans une torpeur hantée par des visions cauchemardesques. A. passe ses nuits à voyager en train, en taxi, en bateau pour revivre par le souvenir la fuite des Manakis dans les Balkans ravagés par la première guerre mondiale. Enfin, les visiteurs de la « zone » ne doivent pas s’endormir afin de rester à l’aguet des dangers terribles que mentionne le « stalker », même s’ils ne se matérialiseront jamais. Dans ces films, le vivant se caractérise par la faculté de se soustraire à la tentation du sommeil, à l’instar de nombreux récits mythiques où l’épreuve du héros consiste précisément à « rester éveillé, être pleinement conscient, présent au monde de l’esprit » comme ce personnage de la tradition nord-américaine mentionné par Mircea Eliade qui, tel Orphée, a pour mission de veiller toute la nuit pour ramener son épouse du monde des morts15.

De fait, alors qu’Ulysse, grâce aux instructions de Circé, reste maître du jeu et convoque ceux qu’il veut entendre en les laissant s’approcher du sang sacrificiel16, les personnages filmiques sont à tout moment susceptibles de devenir victimes des pièges inhérents à l’espace infernal : la cage dans laquelle Willard se retrouve emprisonné, le couloir que doivent traverser les protagonistes de Stalker, les berges du marais où Ascylte, le compagnon d’Encolpe, périra dans Fellini-Satyricon, le parc enseveli sous le brouillard où la famille du directeur de la cinémathèque de Sarajevo sera assassinée par la milice sous les yeux d’A. dans Le Regard d’Ulysse. Il n’y a nulle garantie de revenir du monde infernal pour ces aventuriers dont l’audace pourrait être punie : l’objectif même de ce voyage est un pari sur la vie, tandis qu’il consiste essentiellement pour Ulysse à rassembler des informations sur son avenir auprès d’un spécialiste de la divination, annonçant plutôt l’Oedipe de Pasolini errant dans le désert d’oracle en prophète.

Si Oedipe retrouve sa mère à l’issue de sa quête et Ulysse sa fidèle épouse, en revanche le héros filmique ne semble plus soumis à la nécessité de revenir auprès de la mère ou de l’épouse pour qu’elle « écoute, intériorise l’histoire de sa vie et virtuellement se l’approprie »17. Cette fonction, réservée aux femmes dans le récit homérique notamment, est en quelque sorte dévolue au personnage masculin qui reste seul narrateur de son histoire soit à défaut d’auditrices (le « stalker » refuse ce statut à son épouse et l’Eurydice du personnage d’Angelopoulos tourne le dos à celui-ci sans répondre à ses appels), soit au prix d’une certaine « féminisation » du héros dans le film de Cocteau ou dans le film de Wenders où il est franchement remplacé par une héroïne.

Les représentations filmiques du voyage aux pays des morts empruntent donc à la mythologie les caractéristiques du lieu infernal, mais semblent s’éloigner de la structure narrative du récit homérique : par un effet de décentrement et de restructuration, l’aventure odysséenne a perdu sa place centrale pour devenir l’objectif et le terme de la quête héroïque et a perdu sa vocation descriptive et didactique tout en conservant une teneur épique et dramatique. En d’autres termes, dans ces films, c’est Ulysse le guerrier et le marin qui part visiter le monde infernal et c’est Ulysse l’aède qui en revient, rejoignant ainsi la figure mythique d’Orphée.

Les héros filmiques sont, en effet, confrontés à de véritables épreuves physiques et mentales durant leur voyage en enfer, contrairement au héros homérique qui parvient à les éviter grâce aux recommandations de Circé. De plus, ce voyage se situe souvent pendant ou après une guerre : guerre du Vietnam dans Apocalypse Now, guerre nucléaire dans Jusqu’au bout du monde, guerre civile dans Stalker. Mais, comme dans l’Odyssée, la fonction principale du séjour aux enfers consiste, dans un premier temps, à mettre en scène le dialogue du personnage principal avec un disparu, parent, compagnon de route ou héros de guerre, puis à lui permettre d’effectuer un compte-rendu de cette aventure aux vivants, qu’il s’agisse des clients familiers d’un café, des autorités militaires ou des professionnels des médias. Ainsi, même dans le contexte d’un conflit armé, l’argumentation ou la narration se substituent, dans ces films, à l’action pour ajouter à la fonction dramatique de l’épisode un enjeu structurel proche de l’exemple odysséen. Selon Gabriel Germain, le voyage au pays des morts a pour objectif dans le texte homérique d’inciter Ulysse à compenser chez les vivants l’aporie infernale : Achille et ses amis obtiendront la gloire que leur refuse Hadès par l’intermédiaire du récit fait par Ulysse de leurs exploits et du souvenir qu’en garderont ses auditeurs. L’évocation des morts n’est pas du domaine du chamane, du devin, de l’oracle, mais du poète. Dans le texte homérique, le séjour infernal contribue à renforcer la fonction habituelle d’Ulysse chez les vivants, puisque, venu au pays des morts pour interroger Tirésias, il finit par raconter ses propres aventures et donner à Achille des nouvelles de son fils Néoptolème18. Le chant XI interrompt le récit de la Nekyia pour souligner la reconnaissance d’Ulysse par les parents de Nausicaa comme un narrateur hors-pair parmi les vivants, mais Ulysse assure aussi cette fonction chez les morts et se trouve en quelque sorte mandaté par Agamemnon, Héraklès et les héros et héroïnes qui peuplent le séjour infernal pour perpétuer le souvenir de leur destin auprès des vivants.

C’est aussi la mission dont se trouve chargé, bien involontairement, le héros du Regard d’Ulysse parti à la recherche du premier regard c’est-à-dire les premiers films tournés en Grèce : le film se termine avec l’élégie qu’il improvise pour pleurer ses amis disparus, à la manière des premiers poètes, dans la ville de Sarajevo que n’osent plus approcher les journalistes désormais retranchés à Belgrade. Le lieutenant Willard, envoyé en mission pour éliminer le colonel Kurtz sur la base d’un dossier administratif circonstancié, devient le confident de son hôte et finira par établir un rapport plus nuancé et approfondi sur la vie de celui-ci. Au terme de leur aventure, les clients du « stalker », à défaut d’avoir satisfait leurs ambitions matérielles et spirituelles, auront gagné le plaisir de raconter leurs exploits de retour au café, et Eugene Fitzpatrick, dans le film de Wenders, s’affaire sur sa machine à écrire dès la destruction du laboratoire où le docteur Farber menait ses expériences sur les images oniriques.

Le séjour infernal a donc pour effet de transformer le héros épique, vainqueur des obstacles que lui réservait le voyage maritime, fluvial, aérien, en personnage narrateur de sa propre aventure et de celle de ses compagnons selon le modèle odysséen. Le chant XI précise au vers 148 que les habitants des enfers ont le devoir de dire la vérité, réservant ainsi aux seuls mortels, Ulysse en l’occurrence, le droit de mentir. Cette prérogative du « vivant parmi les morts » est soulignée dans le film de Tarkovksi par le discours du « stalker » annonçant sans cesse à ses clients, un physicien et un écrivain, des dangers qui ne se concrétisent pas : le fait que, dès le début de leur aventure, le physicien soit retrouvé sain et sauf après s’être écarté du groupe et perdu dans la « zone » introduit assez vite dans le récit un doute sur la véracité des propos du guide. Dans un second temps, un transfert progressif du statut de narrateur s’opèrera entre le « stalker » et ses clients : son savoir, sa compétence, son pouvoir d’authentification et son mandat, pour reprendre les catégories définies par Franco Casetti19, sont peu à peu mis en doute, puis appropriés par les deux hommes. C’est aussi ce que gagne le cinéaste A. à l’issue du périple qui le conduit du nord de la Grèce jusqu’à Sarajevo : l’auteur de films de fiction20 devient, pour répondre au défi que lui lance l’archiviste de la cinémathèque de Skopje, celui qui peut et qui doit prendre la succession des premiers documentaristes grecs, les frères Manakis, et raconter les horreurs de la guerre actuelle, comme ceux-ci l’avaient fait en 1914-18.

« Ulysse ne va pas chercher chez les Morts le mot dernier de la condition humaine : plus prosaïquement, il cherche à savoir s’il pourra rentrer chez lui et par quelles voies. Nous aimerions qu’il manifestât une curiosité plus profonde, mais nous n’avons pas à refaire le poème : il reste ce qu’il est, l’œuvre d’un imaginatif, non pas d’un mystique »21. De même, les personnages filmiques ne découvrent pas dans l’enfer symbolique qu’ils traversent un moyen miraculeux de prévoir le futur ou de réaliser leurs rêves et, s’ils n’ont pas l’occasion comme le héros homérique d’informer les morts sur le sort des vivants, ils assument en revanche la mission de transmettre la parole et l’expérience des morts aux vivants. Le voyage des héros filmiques leur donnera l’occasion de raconter une histoire, celle de la belle Oenothée ou celle du colonel Kurtz, et de retrouver les souvenirs d’Edith Farber ou des frères Manakis : la mise en images du récit peut donc se substituer à la narration verbale, tantôt en s’articulant à la diégèse comme dans les films d’Angelopoulos et de Fellini selon un procédé d’emboîtement déjà présent dans les épopées homériques, tantôt en prenant la dimension lyrique d’un inventaire à la Pérec avec le long travelling de Tarkovski sur divers objets du passé englués dans la vase.

La fonction du héros filmique lui permet de gagner au cours du voyage dans les enfers un nouveau savoir, une « conscience », par l’intermédiaire de personnages au pouvoir prophétique : le « stalker » chez Tarkovksi, le sorcier chez Fellini, Kurtz chez Coppola, l’archiviste de Skopje chez Angelopoulos, Henry Farber chez Wenders, Heurtebise chez Cocteau. On retrouve ainsi dans ces films la tradition archaïque associant nóstos, nóos et prophétie des morts, alors que le texte homérique met en retrait le terme intermédiaire, à savoir l’acquisition du nóos22. D’une certaine manière, ces récits filmiques renouent les trois termes de la tradition en assurant leur interdépendance précisément grâce au statut de narrateur conféré au personnage principal par sa nekyia.

La combinaison du souvenir, de la conscience et du rêve soulève par ailleurs la question de la temporalité infernale. Homère, en plaçant Tirésias dans le pays des morts, définit l’avenir d’Ulysse comme le souvenir du devin dans un monde sans présent ou sans temporalité. De fait, la plupart des films inscrivent l’atemporalité infernale dans la structure du récit de manière à évoquer un temps alternatif, non-linéaire et non-sagittal, par la circularité ou l’emboîtement des scènes, voire la figure de spirale à laquelle peut être associé le thème homérique du retour, puisque les personnages filmiques accumulent pertes et gains durant leur voyage, à l’instar d’Ulysse. Pour représenter ce temps autre, Angelopoulos, Cocteau et Tarkovksi privilégient la mise en scène de la suspension ou de la coïncidence temporelle par des effets de style paratactiques ou des trucages optiques. Le récit d’une incursion, même symbolique, dans le royaume des morts induit donc, comme dans le texte homérique, un questionnement sur la nature du temps associé à une exploration des confins de l’univers. Homère mène ainsi à la science-fiction tout aussi sûrement qu’aux premières occurrences du récit mythique. Pour paraphraser Italo Calvino, on pourait avancer que la nouveauté du cinéma consiste à « avoir mis un héros épique tel qu’Ulysse <A., Willard, le « stalker »… > aux prises avec les géants, les monstres et les mangeurs d’hommes des temps modernes (…) dans des situations d’un type de saga plus archaïque, dont les racines sont à chercher dans le monde de l’antique fable, et même des conceptions primitives, magiques et chamaniques »23.

Gabriel Germain souligne que l’originalité de l’Odyssée tient précisément à l’insertion d’un « merveilleux populaire dans la « raison » épique24. L’espace infernal est un lieu imaginaire certes parce qu’il est élaboré à partir des archétypes et des universaux symboliques, quitte à subvertir les lois et conventions spatio-temporelles, mais surtout parce que cette subversion, avant d’être symbolique ou métaphysique, est fondée précisément sur la référence aux lois physiques et à la logique rationnelle25. Ainsi, dans les récits filmiques par exemple, le voyage au pays des morts tantôt s’effectue sous le regard d’un scientifique, un physicien chez Tarkovski, le docteur Farber chez Wenders, tantôt obéit aux nécessités d’une enquête policière ou militaire comme dans Apocalypse Now et Le Regard d’Ulysse. Cette insertion du rationnel dans l’imaginaire, caractéristique du genre fantastique auquel Germain rattache l’Odyssée, contribue également à valoriser la figure du héros aède, poète et narrateur, au détriment de la figure prophétique du devin, du chamane, de l’oracle. Le personnage principal ne se préoccupe pas, on l’a vu, d’obtenir des révélations sur l’avenir de la part des morts et finit par confier à l’avenir la tâche d’expliquer et d’assumer le présent et le passé. L’évocation des morts relève de la science comme conscience de l’évolution diachronique et reconnaissance de la temporalité, tout en étant présentée comme une pause, une suspension du temps dans un espace autre, c’est-à-dire comme une situation explicitement mythique.

Ainsi que le note Laurence Coupe26, Le Rameau d’or de James Frazer apparaît parmi les ouvrages que compte la bibliothèque de Kurtz dans Apocalpyse Now. Angelopoulos dans Le Regard d’Ulysse entremêle les références à plusieurs figures mythiques tels qu’Apollon, Orphée, Ulysse…27 Le film de Cocteau affiche nettement sa filiation au mythe. Le voyage au pays des morts dans Fellini-Satyricon se situe dans la seconde moitié du film qui s’éloigne de l’adaptation du roman de Pétrone pour présenter une approche jungienne de la mythologie gréco-romaine. L’arrivée en Australie des héros de Wenders est suivie de multiples références aux mythes aborigènes. L’exploration de la « zone » conduit l’écrivain et le physicien à rencontrer des situations et des figures parfois proches de la mythologie grecque, tel ce chien errant mi-Cerbère mi-Argos qui hante l’esprit du « stalker ». Enfin, on notera au niveau de la microstructure de ces récits la récurrence du chiffre trois avec les trois personnages principaux de Stalker et d’Apocalypse Now (sur le bateau), les trois bobines du Regard d’Ulysse, les trois expériences visant à rendre la vue à la mère de Sam Farber, par opposition au film de Fellini façonné par le dualisme jungien. Or, ce chiffre apparaît dans de nombreux mythes relatifs à la quête de l’immortalité et à la rencontre avec les morts, qu’il s’agisse des trois paroles magiques dans la tradition lapone28 ou de la triple étreinte d’Ulysse et de sa mère.

Les références explicites à la mythologie qui caractérisent ces films constituent certes des indices de la présence d’universaux symboliques au cinéma, mais prouvent aussi la pérennité des mythes antiques, en dépit de la prégnance de représentations plus récentes et assez différentes, et attestent l’intention de certains metteurs en scène non seulement d’intégrer des figures et des situations mythiques à leur récit, mais de les présenter comme telles et d’ainsi reconnaître et commenter leur allégeance aux images d’une tradition ancienne au-delà des emprunts faits aux sources littéraires avouées, à savoir l’œuvre de Pétrone dans Fellini-Satyricon, le texte de Joseph Conrad dans Apocalypse Now, le roman de Stanislaw Lem dans Stalker et la pièce de Jean Cocteau dans Orphée.

Après la prédiction de Tirésias qui constitue l’objet principal de son voyage au pays des morts, ce sont les histoires des « princesses et des reines » et les aventures des guerriers qui intéressent Ulysse. Le récit homérique annonce donc les images photographiques faites d’ombre et de lumière, avec leurs fantômes sans épaisseur et sans âme, puis les images cinématographiques aptes à raconter le passé et le présent sans pour autant apporter de révélation sur l’avenir. D’une certaine façon, l’aventure préfigurée par l’Odyssée s’est réalisée dans son intégralité puisque le risque encouru par Ulysse à la fin du chant XI et symbolisé par le regard pétrifiant de la Gorgone qui fige le vivant dans la contemplation des morts, menace désormais ceux qui sacrifient leur corps et leur esprit à la contemplation d’un œil domestique équipé d’une télécommande et parfois d’une grande oreille accrochée sur le toit.

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1 L’enfer sémite ou Géhenne est caractérisé par l’omniprésence du feu qui châtie et purifie les réprouvés (Matthieu V 29) dans la tradition hébraïque comme dans la tradition islamique (Jahannam désigne le feu de l’enfer dans le Coran).

2 Puisque Gabriel Germain rapproche à maintes reprises la Grèce archaïque et l’Inde tant sur le plan de la pratique du sacré que sur celui de l’imaginaire, peut-être faut-il rappeler, pour justifier l’hypothèse d’une réactivation des mythes grecs antiques dans le cinéma occidental, que l’Inde est aussi le premier pays producteur cinématographique et que les grands cycles de la mythologie indienne sont désormais transmis tout autant par le cinéma que par le spectacle vivant.

3 G. Germain, Genèse de l’Odyssée. Le fantastique et le sacré, Paris, Presses Universitaires de France, 1954.

4 Voir sur l’analyse et la typologie des propriétés et relations spatiales au cinéma A. Gardies, L’Espace au cinéma, Paris, Méridiens/Klincksieck, 1993.

5 Odyssée « poésie homérique », chant X, 507 sqq., trad. Victor Bérard, Paris, Les Belles Lettres, 1924, p. 78.

6 Sur les références directes à l’Odyssée dans la caractérisation et les situations des personnages féminins du Regard d’Ulysse, voir F. Létoublon et C. Eades, « Les Rituels de l’hospitalité ou le temps retrouvé d’Angelopoulos », Cahiers de Recherches du CRLMC, Presses Universitaires Biaise Pascal, 1999.

7 Le personnage éponyme du film de Tarkovski achemine ses clients en draisine vers la « zone ». Les rails se substituent donc aux vents odysséens pour guider les personnages, mais l’instrument de la navigation est mis en retrait par l’échelle des plans et le montage qui isolent les visages des personnages et soulignent la durée et la linéarité du déplacement.

8 En revanche, dans le film de Wenders, le désert australien ne correspond guère aux régions polaires du texte homérique, même si c’est bien de l’autre côté de l’Océan que l’héroïne atteint le bout du monde avant de gagner l’espace intersidéral. Stargate (1994), Dune (1984) et Mad Max (1979), par exemple, utilisent aussi l’imagerie traditionnelle de l’enfer torride, mais l’idée de stérilité et d’assèchement mental figurée par des images souvent floues, monochromatiques et obscurcies par des nuages de sable rappelle plus les déserts septentrionaux que les flammes de la géhenne.

9 Odyssée XI 27-28, op. cit., p. 81.

10 G. Germain souligne que la description des enfers comme un lieu sans soleil et humide se trouve également chez Héraclite (op. cit., pp. 353-354).

11 H.G. Clouzot n’a pas pu mener à bien le projet ambitieux d’un film intitulé L’Enfer (scénario de 1964) qui devait fonder sur le jeu des couleurs la représentation du paysage infernal. Cl. Chabrol a plus modestement choisi pour sa version sortie en 1974 une alternance de bleu et de rouge pour illustrer le délire intérieur de son personnage.

12 Ces caractéristiques de l’enfer archaïque se retrouvent dans les films de science-fiction où le froid, la blancheur et les matières opaques et translucides composent l’atmosphère de Batman (1989), de Superman (1978), de THX 1138 (1967) et de Woody et les robots (1973) par exemple : l’enfer sidéral ou futuriste est soustrait au cycle de la mort et du temps par opposition à l’univers humain ou historique représenté par l’accès au spectre chromatique, à la chaleur et au recentrement de l’espace comme dans la conclusion de 2001, l’Odyssée de l’espace (S. Kubrick, 1968).

13 G. Germain, op. cit., pp. 333 sqq.

14 Voir notamment M. Eliade, Aspects du mythe, Paris, Gallimard, 1963, p. 243.

15 Ibid., p. 162.

16 Odyssée XI 49-50 et 231-232.

17 N. Sultan, Exile and the Poetics of Loss in Greek Tradition, Lanham, Rowman & Littlefield, 1999, p. 91.

18 Odyssée XI 505-537.

19 R Casetti, D’un regard l’autre : le film et son spectateur, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1990.

20 A. est présenté au début du Regard d’Ulysse comme l’auteur d’un film dont seule la bande-son est audible et qui se révèle être en fait Le Pas suspendu de la Cigogne réalisé par Angelopoulos en 1991.

21 G. Germain, Homère, Paris, Seuil, 1961, p. 128.

22 Voir D. Frame, The Myth of Return in Early Greek Epie, New Haven, Yale University Press, 1978, pp. 39-40.

23 I. Calvino, La Machine littérature, trad. M. Orcel et F. Wahl, Paris, Seuil, 1984, p. 116.

24 G. Germain, op. cit., p. 351.

25 Voir G. Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Bordas, 1961.

26 L. Coupe, Myth, London & New-York, Routledge, 1997.

27 Voir F. Létoublon et C. Eades, « Le Regard d’Orphée chez Théo Angelopoulos », Revue de Littérature comparée, n° 4, oct.-déc. 1999.

28 G. Germain, op. cit., p. 376.