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Thesphata pant’ eiponta

Mythologie continentale dans la Nekuia du chant XI de l’Odyssée

Ezio PELLIZER

Università degli Studi di Trieste

Traduction de l’italien par Isabelle COGITORE, Université Stendhal-Grenoble 3

1. Dans le Catalogue des Héroïnes du chant XI, on remarque un exemple frappant de poésie allusive, qui dit sans dire, en parlant de personnes connues par des sous-entendus presque énigmatiques. Ulysse raconte à son public, les Phéaciens, tout un pan de mythologie de la Grèce continentale, qui comprend Thèbes, lolcos, Athènes, Pylos et enfin Argos. La technique énonciative rappelle beaucoup certains traits de la pratique propre à la poésie de catalogue, qui est à la fois cumulative et synthétique. Parmi les principes structuraux de base, on trouve la volonté de catalogue (le kata-légein), le choix du féminin, dans lequel (comme dans les Catalogues de l’école hésiodique) comptent surtout les héroïnes, les femmes qui, en s’unissant à la divinité, ont donné le jour à une généalogie d’origine surnaturelle1. La première généalogie divine remonte à Poséidon, qui fit de Tyro, fille de Salmoneus d’Elis, la mère des jumeaux Nélée et Pélias, dans le nord de la Grèce, en Thessalie, après avoir pris l’apparence du fleuve Enipée.

L’axe spatial va grosso modo du nord au sud de la Grèce centrale, en faisant un large détour vers le sud-ouest, jusqu’à Pylos de Méssénie et l’Elide. Depuis la Thessalie, où demeura Pélias, son jumeau « au visage livide », Nélée, flanqué de ses Pélasges, occupera le royaume de Pylos et y acquerra le pouvoir. Partant de l’extrême sud-ouest, il voudra cependant, grâce un contrat matrimonial dans lequel il mettra en jeu la main de sa fille Péro, s’emparer d’un célèbre troupeau qui se trouvait, bien gardé, dans sa terre d’origine, toujours la Thessalie (chez Homère on parle d’une région nommée Phylakè). La splendide jeune fille qui portait, semble-t-il, un nom plein de séduction et qui était courtisée par la meilleure jeunesse de Messénie, devait être donnée comme épouse à celui-là seul qui, en échange, aurait amené le célèbre troupeau des bœufs d’Iphiclès.

Dans une région thessalienne au nom significatif, Phylakè, vivait un roi au nom tout aussi parlant, Phylakos. Rien d’étonnant donc, à une époque où, comme le dit Pausanias, « on faisait grand cas des bœufs »2, rien d’étonnant à ce que ces vaches thessaliennes fussent bien gardées, par le père « Gardien » et son fils Iphiclès. Dans la logique d’un échange matrimonial, au cours duquel l’épouse est accordée par le père en échange de ἔδνα ou de cadeaux de noces, le contrat proposé par Nélée l’impitoyable semble plutôt se rapprocher d’une épreuve matrimoniale. Le fiancé devra se présenter avec le troupeau d’Iphiclès (et Phylakos), protégé par des gardiens inflexibles.

Mais ce qui semble plus intéressant est que, dans ce cas, le héros n’aura pas besoin d’affronter personnellement l’épreuve : il suffit que l’époux potentiel se procure les bœufs de quelque manière que ce soit. La « mission impossible » peut aussi être déléguée à d’autres. Et c’est ainsi que le jeune Bias (l’Homme de la Force ou de la Violence) charge son frère, devin expérimenté et capable de soigner, de les lui trouver.

Ici se mêlent des liens structurels (d’ordre chrono-topique), qui expriment un mouvement vertical, lié à un personnage unique, qui se charge d’obtenir la fiancée pour son frère, en recourant non pas à la force, mais à sa capacité spécifique, la connaissance prophétique et bien d’autres dons qu’il possède, certains étant assurément très singuliers.

Le récit s’articule comme une épreuve de compétence, dans laquelle les transformations et les échanges se font à travers un savoir-faire, l’usage d’expédients ou la prescription de cures efficaces qu’un Destinateur privilégié, qualifié par une sorte d’hyper-compétence, donne à un destinataire qui se trouve dans un état de besoin, de manque. Or, le personnage principal de cet ensemble de récits, celui que nous pourrions appeler le protagoniste de l’histoire (celui qui obtiendra le troupeau en triomphant non pas dans des joutes de force physiques, de courage ou d’habileté, mais grâce à sa compétence et son savoir magique et surnaturel) n’est pas nommément cité, dans les vers homériques de la Nekuia. Il est vrai que le chant XI de l’Odyssée est un chant dédié à un autre devin, Tirésias, qui, par son essence et son destin, diffère sensiblement de notre héros. Ce dernier, en effet, après avoir « prononcé tout ce que les dieux avaient établi » (thèsphata pànta) n’est plus mentionné, mais réapparaît dans le poème, quatre chants plus loin, dans l’épisode qui pourra s’intituler « la généalogie de Théoclymène », raconté en trente-et-un vers (XV, 225-255) par le rhapsode du chant XV. Il est donc évident que le rhapsode de la Nekuia (XI, 291) pensait pouvoir être compris sans même nommer le protagoniste de l’affaire, la technique allusive étant assez puissante pour que le public des destinataires-auditeurs comprenne de qui il était question.

Si nous observons les conditions de l’énonciation et l’effet de réalité qu’elle s’efforce de provoquer, nous voyons bien que le narrateur de la fiction, Ulysse, étant à lui-même son propre rhapsode, considère comme évidentes et totalement connues du public des Phéaciens [habitants d’un royaume assez fabuleux, situé en gros du côté de Céphalonie en Mer Noire, au nord de Zakinthos ou peut-être sur une grande île encore plus au nord, l’actuelle Corfou] les péripéties de vol de bétail et les histoires de magie qui avaient dû se produire environ un siècle auparavant, étant donné que trois générations de prophètes séparent Théoclymène et Télémaque, jeune quand Ulysse est un homme mûr, de l’époque des frères Bias et Mélampous, de Proetos et de ses filles, les cousines de la célèbre Danaé.

Au niveau énonciatif primaire, ce qui concerne la communication entre le rhapsode du Chant XI et son public, on pose comme principe que les auditeurs possèdent déjà une ample connaissance de l’histoire à laquelle il est fait allusion ; sinon, il ne serait pas possible d’éviter de donner au moins son nom. Il devait exister, comme substrat à la récitation du Catalogue des Héroïnes dans l’Hadès, une Melampodie, pas nécessairement semblable à celle de l’école hésiodique, dont nous restent quelques fragments3. Quant au poète du Chant XI, il est intéressant qu’il fasse allusion de manière précise, quoique réticente et plutôt elliptique, aux pratiques divinatoires mêmes que Mélampous aurait eues dans le pays de Phylakos en Thessalie (thèspata pant’ eiponta) ; si ce n’est qu’il n’est pas fait la moindre allusion à une histoire que nous ne connaissons dans ses détails que par des sources postérieures, c’est-à-dire la façon dont Mélampous réussit à guérir la stérilité dont Iphiclès, fils de Phylakos, était atteint, obtenant en échange le fameux troupeau, les vaches d’Iphiklos.

Dans toute la tradition post-homérique, il y a d’abondantes traces d’une mythologie de type magique et « chamanique », comme substrat de la définition de cet intéressant personnage. Remplaçant de son frère, il accepte de prendre son risque en essayant de voler le troupeau bien gardé par Phylakos, mais il sait pertinemment qu’il n’y réussira pas ; or, ce savoir préalable semble être le seul acte purement prophétique dans toute son activité visible. Sa clairvoyance va jusqu’à préciser la durée d’emprisonnement qui lui sera infligée quand il sera pris pour tentative de vol de bétail : une année exactement.

L’histoire qui raconte cette détention est assez caractéristique : Mélampous échappe à la mort (grâce à l’écroulement de la prison dans laquelle il était enfermé) et est libéré par le roi Phylakos et son fils Iphiclès, grâce à l’un de ses dons extraordinaires, que des serpents lui avaient transmis par magie, en lui léchant les oreilles. Il avait en effet la capacité de comprendre le langage des animaux. Le récit donne ensuite un nouvel exploit d’hyper-compétence ou de savoir prodigieux, qui n’est pas dû à sa science de guérisseur, mais de nouveau à ce don extra-ordinaire de comprendre les paroles des animaux. Grâce à une ruse qui rappelle le « dénicheur d’oiseaux » de Lévi-Strauss, Mélampous convoque un certain nombre de volatiles, en les attirant par le sang d’un sacrifice, et, après les avoir interrogés, il apprend de l’un d’entre eux, un aigypios (sorte de vautour), le remède nécessaire pour guérir l’impuissance d’Iphiclès. Ainsi obtient-il en échange les bœufs de Phylakos ; il les emmène chez son frère, qui les conduit à Pylos pour les utiliser comme cadeaux de mariage et obtient finalement la main de Péro la belle.

2. Le deuxième épisode qui concerne ce personnage fait lui aussi l’objet d’une simple allusion par le rhapsode du Chant XV. Le texte parle du destin de Mélampous : celui-ci, nommé cette fois, après la conquête des vaches de Phylakos et Iphiclos (il n’est pas question de la guérison de ce dernier ni du don de Mélampous pour comprendre le langage des animaux), se serait rendu à Argos, et là aurait régné sur un grand nombre de peuples, en construisant sa demeure, en se mariant et en ayant une descendance composée de célèbres devins (comme par exemple Mantios, Amphiaraos, Polyphide et Théoclymène lui-même). Le tout est traité par allusion, avec des omissions ou des informations qui ne se retrouveront que dans l’élaboration suivante, comme dans celle de la rhapsodie continentale de l’école dite hésiodique, ou chez les Lyriques4 ou dans les fragments des logographes et des premiers mythographes, et surtout dans l’activité exégétique des scholiastes.

Silence intentionnel ? La partie la plus mystérieuse – et je la crois destinée à le rester – se trouve dans le noyau Pylien-Thessalien. Pourquoi Nélée voulait-il les bœufs de Phylakos ? Il semble qu’ils aient appartenus à sa mère Tyro, qui lui donna naissance ainsi qu’à son frère jumeau Pélias. Mais quels furent les méfaits de Nélée envers Mélampous ? Quelle fut la terrible folie que la daspletis Erinys aurait déchaînée sur Péro elle-même ? Et pourquoi ne nomme-t-on pas Proetos, connu pourtant des poètes de Y Iliade, et ne fait-on pas allusion à ses filles et à leurs malheurs ? Réticences envers d’autres traditions rhapsodiques ?

3. L’histoire de Mélampous, en partant de ces quelques allusions homériques, et d’autres informations qui devaient déjà se trouver à l’époque archaïque dans le corpus hésiodique (dont ne nous restent que quelques fragments) articulera un ensemble complexe de légendes que je vais tenter de reprendre très schématiquement.

On peut reconnaître deux noyaux principaux, dans une succession chronologique ; nous les appellerons :

A.) 1. la conquête des vaches de Phylakos, 2. la guérison d’Iphiclos le Rapide, 3. la conquête de la main de Péro,

et

B.) 1. la folie des Proetides, 2. leur guérison (avec refus puis acceptation du prix de la guerison), 3. la conquête de deux épouses et de deux tiers de règne d’Argos.

Du point de vue topologique, ces épisodes comportent :

pour le premier, un déplacement de Pylos au pays de Phylakè (où se trouvent les bœufs, que ce soit en Phthiotide thessalienne ou en Achaïe Phthiotide, ce n’est pas clair), et retour, en quête d’un objet ayant valeur d’échange (un « Objet de valeur »), le long d’un axe courbe mais vertical dans son ensemble ;

le deuxième va en revanche d’Argos vers le nord-ouest, vers Sicyone, jusqu’en Arcadie, pour revenir ensuite à Argos, selon un mouvement transversal.

Nous avons déjà parlé de l’histoire de Mélampous et de la guérison d’Iphiclos, même si les variantes sont beaucoup plus riches que ce qu’on a pu dire, et la tradition érudite et scholiastique postérieure fournira des détails bien plus fouillés que n’en donne le texte homérique, qui, comme on l’a dit, va jusqu’à sembler réticent.

La suite argienne (B) parle en effet d’une terrible folie, provoquée par la divinité, mais ne concerne assurément ni Péro, ni sa terrible Erinye. C’est l’histoire des filles de Proetos, Iphinoè, Lysippè et Iphianassa. Elle aussi se trouve déjà dans le Catalogue des Héroïnes et dans la Melampodie perdue.

C’est une histoire très connue, qui, dans la tradition antique, subit un nombre remarquable de variations.

Les Proetides, pour diverses raison, furent frappées d’un mal mystérieux et terrible, qui avait des conséquences physiques et psychiques : chute des cheveux, gale ou même lèpre, et possession divine qui les faisaient errer à travers des régions sauvages, vers le Péloponnèse septentrional et central, d’Argos à Sycione, et jusqu’en Arcadie.

Ici Mélampous agit surtout comme guérisseur et purificateur, recourant aux techniques « chamaniques » les plus diverses (rendues encore plus évidentes précisément par les variantes des sources et des versions) ; il faut remarquer la totale absence d’épisodes prophétiques, et en particulier l’absence d’utilisation de son don (sinon « chamanique », du moins surprenant) de parler avec les animaux et surtout de comprendre leur langage, faculté qui, dans cet épisode argien-arcadien, est totalement absent. En revanche, me semblent particulièrement intéressants, précisément dans leur variété, les moyens employés par Mélampous. Je les reprends ici :

1) une cure pharmacologique, utilisant un médicament efficace contre la folie, l’ellébore noir (qui sera appelé, par rapport à lui, melampodion)

2) une sorte de cure psychagogique, avec des effets sonores, comme l’enchantement, epaoidè (carmen)

3) une technique psychomotorice, où le patient effectue une danse rituelle, èntheos (accompagnée de cris extatiques, met’ alalagmou), en compagnie de « vigoureux jeunes gens », danse qui devait apaiser les trois envoûtées par des mouvements rythmiques appropriés. Une des Proetides serait morte, Iphinoè pour être précis, alors qu’Iphianassa et Lysippè auraient été guéries, et données en mariage au guérisseur et à son frère Bias.

4) une cure par ablutions, purificatoire, cathartique ; même si ce n’est pas totalement sûr, il y a beaucoup d’indices ou d’interprétations possibles, selon lesquelles (et cela est bien dans la logique des « purifications-ablutions ») le guérisseur aurait aussi utilisé pour sa cure un bain dans la source du Clitor, qu’il faudrait peut-être identifier avec celle de Lousoi, près du sanctuaire d’Artémis en Arcadie5.

5) dans la version de Bacchylide, (où n’apparaît pas en revanche Mélampous), la guérison semble obtenue au contraire seulement par un rituel expiatoire, par l’intermédiaire d’un sacrifice de vingt vaches « vierges » au pelage roux6, fait par le père Proetos, en même temps que le bain en Arcadie, à Lousoi.

Tout ce que je me bornerai à dire, pour conclure7, c’est qu’il me semble intéressant de remarquer qu’un héros répondant au nom de Mélampous, inséré avec réticence, de manière allusive, par le rhapsode du Chant XI de l’Odyssée (qui par ailleurs était bien certain de faire référence à des histoires connues de son public) devait avoir déjà dans les siècles plus reculés de la tradition hexamétrique, une vaste mythologie, peut-être déjà diffusée dans toute la Grèce continentale, susceptible d’articuler les traits (non-tirésiens, si l’on peut dire) qui définissent la figure d’un purificateur et d’un guérisseur, un connaisseur des herbes médicinales, des ablutions purificatrices, des remèdes, mais aussi des danses extatiques, des chants, des cris rituels et des enchantements (epaoidài) miraculeux. Un personnage qui se pose en maître, et en rusé utilisateur, dans les échanges, de ses compétences magiques, médicales et rituelles, qui font de lui un fort représentant des fonctions sémio-narratives de l’archi-savoir surnaturel et de son articulation dans la syntaxe narrative du discours mythique. En ce sens, le fils d’Amythaon, en qui seul Homère voit quelqu’un qui sait « prononcer tout ce que les dieux ont établi » (thesphata panta), pourrait être considéré comme le premier représentant de la typologie du mage ou du nécromant qui aura si belle fortune surtout dans l’épopée médiévale ou dans les traditions qui en dérivent, avec des figures de l’imaginaire comme Atlas, Malagigi ou Merlin, ou tous les autres manipulateurs des hauts-faits des héros qui, dans les récits de toutes les époques, mettent en mouvement les parcours infinis de la narrativité, les voyages fascinants à travers des forêts de symboles auxquels nos maîtres nous ont initiés, et dans lesquels ils nous guident encore, quand nous nous risquons dans les labyrinthes de la mythologie, à partir de l’Odyssée jusqu’aux fictions de nos jours.

L’occasion qui nous réunit de rendre hommage à la figure de Gabriel Germain me pousse à rappeler brièvement une coïncidence. L’année même où sortait le livre de Germain, Genèse de l’Odyssée, c’est-à-dire en 1954, mon maître vénérée, Luigia A. Stella (dont la récente mort m’afflige) remettait à l’éditeur un livre qui devait sortir en 1955, Il poema di Ulisse, et qui devait avoir une influence capitale sur ma formation. L’auteur nous parla ensuite fréquemment de G. Germain et de son œuvre, dans les inoubliables leçons qu’elle consacra, au début des années 60, à son cher Homère, au poète de l’Odyssée, le poète grec qu’elle préférait. Déjà alors, grâce à des érudits qui, comme eux, avaient une démarche culturelle ample et courageuse, savaient couvrir les deux rives de la Méditerranée et étaient ouverts à l’étude des cultures antiques du Proche Orient, les étudiants étaient stimulés, poussés à se lancer dans une passionnante aventure intellectuelle, qui devait produire ses fruits et qui continue à produire des travaux de haute volée, comme l’excellent ouvrage The Orientalizing Revolution de Walter Burkert : l’étude comparée des mythologies et des cultures des deux rives de la Méditerranée.

Pour nous, étudiants triestins des années 60, il était particulièrement stimulant que des savants comme Germain fussent si ouverts à ce qu’on appelle d’ordinaire l’étude anthropologique de phénomènes comme la magie, le chamanisme, les peuples imaginaires comme modèles de cultures différentes, pour jeter une lumière sur le texte de l’Odyssée. Les pages que Gabriel Germain a consacrées à Protée, à Nérée le Vieux de la Mer, comme celles consacrées à Circé ou Polyphème, sont là pour témoigner de la vivacité de ces démarches dans l’étude du fantastique et du sacré ; et en quelque sorte, les leçons de Luigia A. Stella (qui enseignait aussi l’histoire des religions) allaient de pair avec les études de Germain lui même, de Pestalozza ou de Momolina Marconi sur les magiciennes séduisantes et dangereuses, les « déesses à la voix humaine », comme Calypso ou Circé. Et c’est pour cela que, en hommage à un maître que je n’ai pas eu la chance de connaître si ce n’est au travers d’un livre qui marqua fortement les études homériques de ces années-là, et en souvenir ému de Luigia A. Stella, j’ai choisi de parler d’un chamane et d’un guérisseur, d’un prophète et d’un purificateur, qui fut à l’origine d’une longue dynastie de devins, de guérisseurs et de thaumaturges, parmi lesquels on peut rappeler Mantios et Polyphide, Polyidos et Amphiaraos, jusqu’à ce Theoclymène qui aura de funestes visions dans une des scènes de « fantastique et de sacré » qui compte parmi les plus impressionnantes de toute la littérature grecque.

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1 Cfr. à ce sujet le travail de André Hurst, Les dames du temps jadis : un argument, Eos 76, 1988, pp. 5-19.

2 Pausanias 4, 36, 4-5 : « βουσί τοῦ τότε χαίρειν μάλιστα ἂνθρωποι ».

3 Il est clair qu’à une époque très archaïque devait déjà circuler une tradition rhapsodique continentale qui transmettait un intéressant poème mantique, sur ce devin ; mais la Melampodie, dont nous avons quelques fragments, nous parle plus de Tirésias et des joutes prophétiques que de notre personnage ; cfr. Ingrid Löffler, Die Melampodie. Versuch einer Rekonstruktion des Inhalts, Meisenheim am Glan, 1963 (Beitr. zur Klass. Philol. 7).

4 Par exemple Bacchylide, qui consacre de longs vers à l’histoire des Proetides dans l’épinicie XI, lui aussi sans nommer Mélampous, qu’il connaissait pourtant bien !

5 Cfr. Vitruve De arch. 1. VIII, Ovide, Metam. XV 322-28, Mirab. de aquis, Etienn. Byz. s.v. Lousoi.

6 Bacchyl. XI, 94 sq.

7 Je peux seulement présenter ici la synthèse d’un discours plus vaste sur cette figure de devin qui devine bien peu, mais qui connaît bien les arts que Germain aurait reconnus comme « chamaniques ».