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Le pays des Cimmériens

Pierre BRUNEL

Université de Paris IV-Sorbonne, Membre de l’Institut universitaire de France

ἔνθα δὲ Κιμμερίων ἀνδρῶν δῆμός τε πόλις τε, ἠέρι καὶ νεϕέλῃ κεκαλυμμένοι […]

Mon investigation, ma rêverie aussi vont porter sur ces presque deux vers du chant XI de l’Odyssée (v. 14-15), dont il va d’abord falloir donner une traduction satisfaisante.

Voici quelques échantillons.

– Leconte de Lisle (1869) :

« Là, étaient le peuple et la ville des Kimmériens,

toujours enveloppés de brouillard et de nuées »1.

Cela n’est pas si mal. On note l’intention de rendre la raucité de la gutturale K, ce trait dont se moque le Bloch de Proust dans A la recherche du temps perdu. Leconte de Lisle ajoute « toujours », qu’il tire du participe parfait. Il use d’un pluriel emphatique (brouillards et nuées). En revanche, il ne rend pas ἀνδρῶν (des hommes Cimmériens).

– Victor Bérard (1924/1933) :

« [la passe et les courants profonds de l’Océan], où les Kimmériens ont leurs pays et ville. Ce peuple vit couvert de nuées et de brumes »2.

Là, on assiste à un bouleversement inutile. Tantôt l’asyndète est dissimulée sous une subordination, tantôt, au contraire, une rupture intervient pour la création d’une nouvelle phrase. Dèmos est rendu par un faux sens (« pays »), et en même temps déplacé pour fournir un sujet à la phrase nouvelle. Le K barbare, le pluriel emphatique sont dans le droit fil de Leconte de Lisle, et pourtant on sent un affaiblissement (« couvert »).

– Médéric Dufour et Jeanne Raison (1934) :

« Là sont le pays et la ville des Cimmériens, couverts de brumes et de nuées »3.

Ce pourrait être la version modernisée de la traduction de Leconte de Lisle, sans ses excès. Le présent se justifie par la permanence, mais à dire vrai il n’y a pas de verbe exprimé dans ces deux vers. Le pluriel emphatique est maintenu.

– Philippe Jaccottet [1955]

« Là se trouvent la ville et le pays des Cimmériens,

couverts d’un voile de brouillard »4.

Cette traduction, due cette fois à un non-helléniste de profession, tend au vers, et respecte ici la découpe de la versification homérique. Mais dèmos est traduit par « pays », comme chez Victor Bérard, l’ordre des deux substantifs est inversé. En revanche, une expression synthétique (« un voile de brouillard ») vient se substituer aux deux substantifs coordonnés dans le texte homérique (air et nuée).

– Gabriel Germain [1964] :

« Là, s’étendent la contrée et la cité des Cimmériens,

Que la brume et les nues ensevelissent »5.

La traduction tend aussi au vers, avec le même scrupule que le précédent. Germain rend dèmos par « contrée », ce qui n’est pas exact ; d’air il passe à brume pour ἀήρ, il passe du singulier au pluriel pour νεϕέλη. Il adopte un tour relatif au lieu du participe opposé.

Je propose la traduction suivante :

« Là, pour leur part, des hommes Cimmériens et le peuple et la ville, par la vapeur terrestre et la nuée tout ensevelis ».

J’essaie de la commenter.

– J’ai choisi le mot-à-mot piétonnier à la manière de Charles Péguy quand il essayait de traduire le début de l’Œdipe Roi de Sophocle, comme ses « bons maîtres », M. Simore, M. Doret ou M. Paul Glachant, et quand, comme eux, il refusait une traduction « lâche », « vague », éloignée », « ce flottement continuel, ce relâchement, ce vague, ce sans-gêne avec un texte, ce vêtement trop lâche et nullement drapé, nullement serré, nullement épars, ce vêtement tout fait, cette confection, mal ajustée, mal juste, appliquée aux figures qui le méritaient le moins, aux formes antiques, c’est-à-dire, de toutes les formes, à celles qui le supportent le moins »6. A tout ce flou, il préférait le « devoir appliqué », la « copie d’élève », même si c’était « un devoir d’écolier assez vieilli », une « pauvre traduction, honnête, mais pauvre », « grotesque d’un bout à l’autre, à force de vouloir serrer le texte ». Et il savait très bien que, même dans ce cas-là, la traduction reste encore un peu lâche : « pour qui a le texte sous les yeux elle est encore trop lâche elle-même et ne serre pas assez le texte »7.

– J’ai essayé de rendre compte de ce qui est à la fois une particule de transition et un adversatif, δε. Cette particule est déjà présente dans le vers précédent :

« ἡ δ’ ἐς πείραθ’ ἵκανε βαθυρρόου ’Ωκέανοι »

« et la [nef] parvint aux limites de l’Océan aux flots profonds.

« Et le navire atteignit les eaux dernières sur l’Océan au cours profond »

(trad. Gabriel Germain).

Il pourrait donc suffire là encore d’un « et ». Mais des eaux se distinguent ceux qui vivent sur leurs bords. La nuance adversative doit donc être rendue pour laisser comme une zone préservée.

– J’ai tenu à rendre ἀνδρῶν, qui n’est pas ανθρώπων. Ces Cimmériens sont des hommes au sens le plus fort du terme, l’inverse donc de ces Lemniennes, les femmes sans hommes dont il est question dans la Quatrième Pythique de Pindare et auxquelles Georges Dumézil a consacré un livre8.

– Le sens donné à δῆμος par le dictionnaire de Bailly est « terre habitée par un peuple ». Il est aussi question du pays des Troyens (δήμῳ ἐνὶ Τρώων) dans le chant I de l’Odyssée (v. 237), du pays des Hyperboréens dans la troisième des Olympiques de Pindare (v. 17). Le couple δήμος καὶ πόλις est traditionnel : les deux mots sont inséparables au v. 50 du chant III de l’Iliade (ποληί τε παντί τε δήμῳ : à la ville et à tout le pays) ou au vers 3 du chant VI de l’Odyssée (Φαίηκων ἀνδρῶν δῆμόν τε πόλιν τε le pays et la ville des Phéaciens »). Dans ce dernier cas, ἀνδρῶν est aussi présent, bien qu’il y ait des femmes, à commencer par Nausicaa et ses compagnes, chez les Phéaciens. L’insistance, dans un cas comme dans l’autre, est mise sur la partie masculine de la population. Surtout on a affaire à une formule qui est transportée du chant VI au chant XI avec un changement d’objet.

Dans les deux cas, δήμος ne perd pas sa connotation politique. Si éloignés soient-ils dans l’espace, les Cimmériens constituent, comme les Phéaciens, un peuple organisé. Tout se passe comme si, avant même le VIe siècle et les réformes de Clisthène, cité et démocratie ne formaient qu’un9. Mais ce dèmos cimmérien peut avoir un chef, un roi, l’équivalent d’Alkinoos chez ces Phéaciens qui peuvent, en entendant le récit d’Ulysse, se regarder dans le miroir des Cimmériens.

– ἠέρι, forme ancienne pour ἀήρι, c’est le datif d’ἠέρ/ἀήρ, c’est l’air, l’atmosphère autour de la terre, par opposition à αίθήρ, la région supérieure de l’air, « l’air supérieur » comme le dit Baudelaire dans « Elévation »10. D’où mon recours à une formule périphrastique longue, trop longue. Mais Péguy savait fort bien qu’« une traduction qui veut serrer un texte est longue »11.

κεκαλυμμένοι vient de καλύπτω, couvrir, envelopper, cacher. Le verbe, comme l’indique Bailly, est employé pour couvrir un mort de terre ou d’un tombeau (Pindare, Néméennes, VIII, 65 ; Sophocle, Antigone, v. 28 ; Euripide, Les Suppliantes, v. 531). On peut être couvert, enseveli par la nuit (Iliade, V, 23). Ulysse arrive dans un pays de la nuit qui se trouve à proximité du pays des morts : double raison pour adopter la traduction forte que j’ai retenue, à la suite de Gabriel Germain.

Cette traduction pourtant doit être sortie maintenant du mot à mot, que le patron formulaire n’appelle pas toujours nécessairement (par exemple pour ἀνδρῶν) :

« Là se trouvent le peuple et la ville des Cimmériens,

ensevelis dans vapeur aérienne et nuée »12.

Reste, entière, la question des Cimmériens, ce peuple qui est donc le plus voisin de l’Océan que doit traverser le bateau d’Ulysse, pour aller vers la demeure d’Hadès (εἰς Ἀίδα’ ἰέναι δόμον).

Je vais cette fois consulter les notes des éditions.

– Pas d’explication de ce nom dans l’édition de Victor Bérard.

– Dufour-Raison se contentent de dire que c’est « un peuple de légende », ce qui ne les empêche pas de chercher pour les Cimmériens une localisation géographique (voir plus loin).

– Jaccottet donne l’indication suivante : « Il est peu probable qu’il y ait là une allusion aux Cimmériens historiques, ces féroces dévastateurs dont parle Hérodote. Peut-être s’agit-il plutôt de ‘Chimériens’, c’est-à-dire de ‘Gens de l’hiver’ »13.

Il est question en effet des Cimmériens chez Hérodote. C’est un peuple de la Chersonèse Taurique, indique Bailly, avec référence aux Histoires I, 15, etc. En fait, à l’endroit indiqué, ces Κιμμέριοι ont été forcés par les Scythes nomades à quitter leurs demeures (I, 15), c’est-à-dire que ces Cimmériens ont été chassés d’Europe par les Scythes (I, 103). Ils ont dû se réfugier en Asie, où les Scythes ont continué de les poursuivre14. Ceci s’est passé avant le règne de Crésus, roi des Sardes (I, 6), et il y a alors pillage (ἁρπαγή), sans asservissement, renversement et passage sous un autre pouvoir (καταστροϕὴ). L’ancien pays des Cimmériens est désigné comme la Cimmérie, ἡ Κιμμερίη, dans le Livre IV d’Hérodote, chapitre 12.

Quant à l’autre étymologie prononcée par Philippe Jaccottet, elle ne peut être que fantaisiste. En effet, la Chimère s’écrit avec un khi (Χιμαίρα), et le sens figuré ne semble pas avoir été connu par les Grecs.

Gabriel Germain ne glose pas ce nom. Mais il donne une indication de mouvement : « Les Achéens, en longeant le pays des Cimmériens, sont arrivés à une terre ‘de brume et de nuées’« où n’atteignent jamais les rayons du soleil »15. Pour lui, il ne peut s’agir que d’une géographie imaginaire. « Avant même le départ des navigateurs », note-t-il, le poète « joue d’une géographie mythique chargée d’effroi : l’Océan, limite du monde, qu’il faut franchir ; les fleuves infernaux, en particulier le Pyriphlégétôn, dont l’étymologie évoque les images du feu et de l’embrasement, et le Styx redouté des dieux ; les bois sacrés de Perséphone […], l’Erèbe, c’est-à-dire la Ténèbre. Il ne dessine pas de paysage plus concret : à quoi bon ? On ne saurait le voir ».

Avec Victor Bérard et à sa suite, il y a eu en effet un acharnement des exégètes à chercher des points de repère réels pour la géographie odysséenne. L’édition Garnier renvoie à un article d’Henri Bidou, une chronique plutôt, qui n’a aucune valeur scientifique : cette « Promenade aux Enfers », parue dans Le Temps le 15 avril 1931, ne faisait que vulgariser la thèse de Victor Bérard. Cette thèse, développée déjà dans son Introduction à l’Odyssée (Les Belles Lettres, 1925), puis dans Les Navigations d’Ulysse est présente dans la note pour le vers 21 du Livre XI, celui qui rappelle le lieu de rendez-vous fixé par Circé

« ᾔομεν, ὄϕρ’ ἐς χῶρον ἀϕικόμεθ’ ὅν ϕράσε Κίρκη »

Il s’agit pour Bérard du pays de Pouzzoles, du Lucrin et de l’Averne. C’est là en effet, dit-il, que les Alexandrins localisaient cet épisode odysséen. C’est là que Virgile, à son tour, amènera Enée pour visiter les Enfers. Ulysse serait allé du mouillage de Circeo à l’entrée du Lucrin, longeant par la côte 140 km environ16.

La localisation occidentale, chez Victor Bérard, était de l’ordre de la conviction profonde. Pour lui, le pays des Cimmériens ne peut être baigné que par ce qu’il appelle « les eaux du Couchant ». Il se trouve, comme l’île de Circé, sur la côte italienne, et d’ailleurs, note-t-il, le Monte Circeo a gardé jusqu’à nous son nom grec : tous les détails de la description odysséenne s’appliquent à ses rivages, à ses grottes, à son fleuve du Cerf, à sa forêt, à ses cochons noirs et à son temple de la Déesse des fauves »17.

Gabriel Germain, peu porté vers la thèse bérardienne, a considéré que « toutes les aventures d’Ulysse en terre lointaine sont nourries de folklore ». Il savait que « les descentes chez les Morts sont, bien avant Homère, des thèmes classiques de la pensée religieuse en Asie Mineure et en Egypte »18. Le chant XI de l’Odyssée correspond, c’est vrai, à une évocation des morts (nekuia), et non à une descente aux enfers (catabasis), même si des éléments de catabase, probablement interprétés, y sont présents (la vision des suppliciés). Il y a en tout cas un voyage au lieu de la nekuia qui correspond à une géographie.

Une telle géographie, pour Gabriel Germain, ne pouvait être que de type archétypal, même s’il était sensible à des analogies avec le monde méditerranéen, en particulier avec le Maroc, qu’il connaissait bien19. La thèse archétypale me paraît bien représentée dans les lignes suivantes :

« En recourant à des thèmes et à des images qui hantent depuis des millénaires la sensibilité humaine, le poète a trouvé, vers le cœur de ses auditeurs, des chemins que l’épopée des héros ne connaissait pas. La caverne, la maison solitaire au cœur des forêts, la femme aux pauvres secrets qui règne sur les bêtes féroces, l’île perdue où se cachent des amours inaltérabies aux attaques du temps, n’ont cessé à travers les siècles, toujours reconnaissables, sous des apparences nouvelles, d’être proposées aux jeunes sensibilités avec un succès qui ne se dément pas. Ce sont là quelques-uns des « archétypes » qui commandent aux rêves et aux fabulations à peine conscients »20.

On se moque, selon lui, quand on prend l’île de Circé, « clairement située à l’Orient du monde, en plein large, pour l’attacher à une presqu’île italienne »21. C’est à Bérard, bien sûr, qu’il s’en prend. Au contraire, selon lui, « le poète, en vrai poète, a fait sortir Ulysse du monde réel par une longue tempête et l’y a ramené sur un navire magique, en passant par un pays de rêve qu’un dieu, depuis, a peut-être détruit. Autrement dit, il a pris lui-même la précaution de nous avertir qu’il se donnait toute liberté et il nous a heureusement affranchis des rivages réels ». Et il s’indigne : « Quel affreux rapetissement on veut lui infliger ! Et pour quel résultat ! Quelle lumière les hypothèses géographiques peuvent-elles apporter sur le poème en tant que poème, sur tout ce qui a fait la raison d’être de l’œuvre et qui assure sa survie ? »22.

Le voyage au pays des Morts correspondrait alors à un itinéraire initiatique. Sa mère Anticleia y attend Ulysse, et le pays des Cimmériens donnerait accès à l’un de ces « paradis de la Mère » qui sont constitutifs de l’Odyssée tout entière. On reconnaît cette fois, au creux de l’analyse de Gabriel Germain, l’archétype jungien de l’Anima. Il ne craint pas d’affirmer que « le Maître de l’Odyssée est sous l’influence de la Mère, au sens psychanalytique et au sens religieux du mot […]. En lui se reconnaît, beaucoup plus puissant encore que dans l’Iliade, l’attachement millénaire des Egéens aux figures multiples et complémentaires de la Grande Déesse, tantôt Mère et Epouse, tantôt Vierge sévère qui punit de mort un simple regard imprudent, tantôt Amante vouée à l’amour charnel »23.

Alain Ballabriga, dans un livre publié en 1998, Les Fictions d’Homère. – L’invention mythologique et cosmographique dans l’Odyssée, a voulu repenser la question en se tenant à distance à la fois de la localisation trop précise à la manière de Victor Bérard et d’un idéalisme qui tend à tout fonder sur des archétypes cosmologiques primitifs. Il a voulu montrer que l’Odyssée renferme « toute une série d’allusions à des représentations cosmographiques, certes mythiques, mais tributaires aussi d’une pensée nouvelle, en prise directe avec des théories sur les confins de la terre issues des navigations et explorations archaïques »24. Ainsi l’épisode des Lestrygons, du point de vue cosmographique, lui paraît combiner des éléments occidentaux (siciliens) et orientaux (Propontide), « à la faveur, vraisemblablement, à la fois d’une grande méconnaissance des réalités géographiques extérieures à la mer Egée et de théories sur la proximité des levants et des couchants au nord du monde, issues elles-mêmes de la vague connaissance par ouï-dire des phénomèmes célestes observables dans le Grand Nord »25. Ce type de spéculation serait attesté aussi au VIIe siècle par Mimnerme, à propos du mythe des Argonautes, et au début du VIe siècle dans la Géryonide de Stésichore : le premier fait du pays d’Aiétès un pays du repos solaire et de la convergence entre orient et occident, le second imagine que les enfants du Soleil, Aiétès et Circé, partagent avec leurs parents une même demeure nocturne et septentrionale. L’Odyssée elle aussi suggère la proximité du pays de Circé et d’Aiétès dès les premiers vers de l’épisode de Circé : Circé et Aiétès, nés d’Hélios, ont pour mère Persé, elle-même fille d’Okéanos, – cet océan que, sur l’ordre de Circé, Ulysse doit franchir pour aller du pays des Cimmériens à la maison d’Hadès (X, v. 135-139).

Pour ce pays des Cimmériens, Alain Ballabriga nous ballotte de la même façon entre deux zones géographiques : la Tyrrhénie ou la Colchide.

– La Tyrrhénie : selon l’historien Ephore de Cumes, les Cimmériens avaient habité des demeures souterraines près de l’oracle du lac Averne et de Cumes en Campanie. Hésiode lui-même situait le pays de Circé en Tyrrhénie, c’est-à-dire en Etrurie, dans l’actuelle Toscane26. Le pays de Circé pourrait être assimilé avec Circei, sur la côte du Latium. Mais cette localisation semble s’être faite dans le courant du VIe siècle, même si de telles localisations occidentales reposent sur des bases elles-mêmes antérieures à l’Odyssée.

– L’Odyssée elle-même ne parle pas ouvertement des Tyrrhéniens mais fait état d’Aiaié, l’île de Circé, comme d’une île colchidienne, orientale comme la Colchide et où pourtant on ne parvient pas à distinguer l’est de l’ouest. Le nom d’Aiaié est dérivé, comme Aiétès, du nom d’Aia, qui désigne le lointain pays de la toison d’or, aux confins du monde et aux bords de l’Océan dans un fragment de Mimnerme :

« Jamais Jason, de lui-même, n’aurait ramené la grande toison depuis Aia par une route douloureuse, pour le violent Pélias accomplissant un pénible exploit, et jamais ils n’auraient atteint le beau cours de l’Océan »27.

Hérodote intègrera cette Aia dans un système de coordonnées géographiques qui articule l’espace scythique, la mer Caspienne, et postule une extension indéfinie des terres au-delà des confins connus. Chez les poètes, Aia est un pays limite du soleil et du fleuve Océan, et dans l’Odyssée (X, v. 190-193) un point limite où le soleil à la fois se couche et se lève.

Pour Alain Ballabriga, « c’est encore en tenant compte de représentations relatives au Grand Nord que l’on doit lire la brève et mystérieuse évocation du pays des Cimmériens »28. Pour lui, l’évocation des morts, ou Nekuia, est un développement secondaire du VIe siècle, alors que l’épisode de Circé, plus ancien, aurait été connu au VIIe siècle. L’île de Circé se trouve dans une mer des confins en deçà du fleuve Océan : elle ne serait pas une île purement mythique, mais un pays réel situé vers le fond du Pont et au-delà duquel l’univers s’étend encore.

L’île de Circé est solaire, alors que le pays des Cimmériens est nocturne. Ce dernier représenterait donc le Grand Nord, qui commençait pour les Grecs dès les rivages septentrionaux du Pont et les plaines scythes – la Crimée et l’Ukraine actuelles (voir le traité hippocratique Des airs, des eaux et des lieux). Dans cette région s’était perpétué le souvenir des Cimmériens, ce peuple qui avait ravagé l’Ionie au VIIe siècle. Le Bosphore cimmérien (détroit de Kertch) se situe entre la mer Noire et la mer d’Azov. Les Cimmériens de l’Odyssée ne seraient pas un peuple mythique antérieur aux Cimmériens réels, mais une sorte de projection poétique de ces derniers.

Il convient cependant de ne pas faire d’Homère un Strabon, et Alain Ballabriga en convient. Pour un poète archaïque, le Bosphore cimmérien « flotte vaguement dans un espace pontique des confins cosmiques où se mêlent réalités géographiques et entités de l’au-delà »29.

Il est clair que le mythe nous guide bien plus sûrement que le fil d’une quelconque géographie. On peut, on doit revenir aux deux principes de Claude Lévi-Strauss : contredire et conte-redire.

Contredire. Ulysse est envoyé par la solaire Circé vers le pays de la nuit, qui est non seulement enveloppé de vapeurs et de nuées, mais ignorant du soleil.

οὐδέ ποτ’ αὐτούς

Ἠέλιος ϕαέθων καταδέρκεται ἀκτίνεσσιν,

οὔθ’ ὁπότ’ ἂν στείχῃσι πρὸς οὐρανὸν ἀστερόεντα,

οὄθ’ ὅτ’ ἂν ἐπὶ γαῖαν ἀπ’ οὐρανόθεν προτράπηται

ἀλλ’ ἐπὶ νὺξ ὀλοὴ τέταται δειλοῖσι βροτοῖσι.

Car jamais

Le soleil, l’éclatant, de ses rayons ne les contemple,

Ni lorsqu’il monte pas à pas vers le ciel et ses astres,

Ni lorsque de nouveau, du haut du ciel, il se tourne vers notre terre.

Mais toujours une nuit de perdition, ailes tendues, couvre ces malheureux30.

Par un même paradoxe, ce pays de nuit va être le lieu d’une révélation, d’une lumière sur l’avenir, et, parmi les ombres évoquées, c’est celle de Tirésias, le devin aveugle, qui apportera cette lumière.

Conte-redire. Gabriel Germain a été sensible à certaines analogies entre le voyage d’Ulysse au pays des Cimmériens et le voyage des Argonautes partis, non seulement à la recherche de la fabuleuse Toison d’or, mais à celle de l’âme d’un mort, Phrixos. Gabriel Germain verrait même une manière de rivalité entre le mythe odysséen et celui des Argonautes. « Il se peut », écrit-il, « que le poète ait vu dans la confrontation de son héros et des ombres un moyen décisif de repousser au second plan les aventures des Argonautes, dont lui-même atteste la célébrité ; on comprend mieux encore qu’il y ait apporté, dans ce cas, des soins tout particuliers »31.

Dans les deux cas, le voyage se fait vers le Nord, aux confins septentrionaux du monde inconnu, et vers un océan qui, lui aussi, est lié à ce monde des morts.

Telle était, en ce qui concerne le pays des Cimmériens, la donnée odysséenne. La littérature ultérieure a pu la renouveler. Je voudrais prendre trois exemples remarquables à des titres divers.

1. Dante, Inferno, chant XXVI.

Le voyage outre-tombe a conduit Dante et Virgile, son mentor, dans le huitième et avant-dernier cercle, celui des Fraudeurs. La huitième des dix bolges qui constituent ce cercle est celle des conseillers perfides, qui sont enveloppés de flammes. D’un de ces vêtements de flammes, s’élève, à la demande de Virgile, la voix d’Ulysse :

« Indi la cima qua e là menando

come fosse la lingua che parlasse,

gittò voce di fuori e disse : « Quando

mi diparti’ da Circe, che sottrasse

me piú d’un anno là presso a Gaeta,

prima che si Eneia la nomasse,

né dolcezza di figlio, né la pieta

del vecchio padre, né ‘l debito amore

lo qual dovea Penelopé far lieta,

vincer potero dentro a me l’ardore

ch’i ebbi a divenir del mondo esperto

e de li vizi umani e del valore ;

ma misi me per l’alto mare aperto

sol con un legno e con quella compagna

picciola dal la qual non fui diserto.

L’un lito e l’altro vidi infin la Spagna

fin nel Morrocco, e l’isola d’i Sardi,

e l’altré che quel mare intorno bagna.

Io e ‘ compagni eravam vecchi e tardi

quando venimmo a quella foce stretta

dov’ Ercule segnò li suoi riguardi

acciò che l’uomo piú oltre non si metta ;

da la man destra mi lasciai Sibilia,

dal l’altra già m’avea lasciata Setta.

« O frati », dissi, « che per cento milia

perigli siete giunti a l’occidente,

a questa tanto picciola vigilia

d’i nostri sensi ch’é del rimanente

non vogliate negar l’esperïenze,

di retro al sol, del mondo sanza gente.

Considerate la vostra semenza ;

fatti non foste a viver come bruti,

ma per seguir virtute e conoscenza. »

Li miei compagni fec’io sí aguti,

con questa orazion picciola, al cammino,

che a pena poscia li avrei ritenuti ;

e volta nostra poppa nel mattino,

de’ remi facemmo ali al folle volo,

sempre acquistando dal lato mancino.

Tutte le stelle già de l’altro polo

vedea la notte, e’l nostro tanto basso,

che non sugëa fuor del marin suolo.

Cinque volte racceso e tante casso

lo lume era di sotto da la luna,

poi che’ntrati e ravam ne l’altro passo,

quando n’apparve une montagna, bruna

per la distanza, e parvemi alta tanto

quando veduta non avëa alcuna.

Noi ci allegrammo, e tosto tornò in pianto,

ché de la nova terra un turbo nacque

e percosse del legno il promo canto.

Tre volte il fé girar con tutte l’acque ;

a la quarta levar la poppa in suso

e la prora ire in giù, com’altrui piacque,

infin che « l mar fu sovra noi richiuso. »

« Puis agitant sa pointe çà et là

comme si c’était la langue qui parlait,

elle jeta au-dehors une voix, et dit :

« Quand je quittai Circé, qui me cacha

plus d’une année là-bas près de Gaète,

avant qu’Enée lui ait donné ce nom,

ni la douceur de mon enfant, ni la piété

pour mon vieux père, ni l’amour dû

qui devait faire la joie de Pénélope,

ne purent vaincre en moi l’ardeur

que j’eus à devenir expert du monde

et des vices des hommes, et de leur valeur ;

mais je me mis par la haute mer ouverte,

seul avec un navire et cette compagnie

petite qui jamais ne m’abandonna.

Je vis l’une et l’autre rive jusqu’à l’Espagne,

jusqu’au Maroc, et l’île des Sardes,

et les autres que cette mer baigne, tout autour.

Mes compagnons et moi, nous étions vieux et lents

lorsque nous vînmes à ce passage étroit

où Hercule posa ses signaux,

afin que l’homme n’allât pas au-delà :

je laissai Séville à main droite,

à main gauche j’avais déjà passé Ceuta.

« O frères », dis-je, « qui par cent mille

périls êtes venus à l’occident

et à cette veille si petite

de nos sens, qui leur reste seule ;

ne refusez pas l’expérience,

en suivant le soleil, du monde inhabité.

Considérez votre semence :

vous ne fûtes pas faits pour vivre comme des bêtes

mais pour suivre vertu et connaissance. »

Je rendis, par ce bref discours, mes compagnons

si ardents à poursuivre la route,

que j’aurais eu peine, ensuite, à les retenir ;

et tournant notre poupe vers l’orient,

des rames nous fîmes des ailes pour ce vol fou,

en gagnant toujours sur la gauche.

La nuit je voyais déjà toutes les étoiles

de l’autre pôle, et le nôtre si bas

qu’il ne s’élevait plus du sol marin.

Cinq fois s’était rallumée, cinq fois éteinte,

la lumière en bas de la lune,

depuis que nous étions dans ce pas redoutable,

lorsque nous apparut une montagne brune,

dans la distance, et qui semblait si haute

que je n’en avais jamais vu de pareille.

Nous nous réjouîmes, et la joie se changea vite en pleurs,

car de la terre nouvelle un tourbillon naquit,

qui vint frapper le navire à l’avant.

Il le fit tournoyer trois fois avec les eaux ;

à la quatrième il lui dressa la poupe en l’air,

et enfonça la proue, comme il plut à un Autre,

jusqu’à ce que la mer fût refermée sur nous. »32

Contrairement à ce qu’on pense souvent, il ne s’agit pas d’une nouvelle et dernière aventure d’Ulysse après son retour en Ithaque. Mais cette aventure océanique se situe après que le héros a quitté Circé. Ce peut être la première séparation tout aussi bien que la seconde, donc le moment où, dans l’Odyssée, la divine magicienne envoie Ulysse consulter les morts (X, 491 et sqq.) :

« ἀλλ’ ἄλλην χρὴ πρῶτον ὁδὸν τελέσαι καὶ ἱκέσθαι

εἰς Ἀίδαο δόμους καὶ ἐπαινῆς Περσεϕονείης

ψυχῇ χρησομένους Θηβαίου Τειρεσίαο »

« Mais il faut d’abord accomplir jusqu’à son terme un autre voyage,

vers les demeures d’Hadès et de la terrible Perséphone,

pour avoir recours à l’âme du Thébain Tirésias. »

Ulysse est donc parti vers l’Océan, comme le lui conseillait la Circé homérique. Mais cet Océan est pour Dante et l’Ulysse dantesque l’océan Atlantique qui s’étend au-delà des colonnes d’Hercule. Non plus un fleuve marquant une limite, des confins du monde, mais la haute mer ouverte (« l’alto mare aperto »). Ils ne perdent pas le soleil, ils le suivent, sur la route du couchant. Ils franchissent la limite interdite, au lieu de se tenir sur la limite, comme dans l’Odyssée. Au lieu de rester dans ce pays des confins qu’est le pays des Cimmériens, ils entrent dans le monde inhabité (monde sanza gente). Alors, eux aussi, ils entrent dans la nuit, une nuit d’ailleurs étoilée, jusqu’au moment où ils sont engloutis par une vague gigantesque qui est une véritable montagne marine.

Dante n’a pas choisi entre Tyrrhénie et Colchide. Il a opté pour l’Occident contre l’Orient, pour le Sud contre le Nord. Comme l’a fait observer le Père Auguste Valensin, commentant cet épisode dantesque, « les colonnes d’Hercule dans la pensée de Dante et du Moyen Age, marquaient les limites, à l’Ouest, du monde habité. Au-delà, c’était l’océan et l’hémisphère sud, lequel était interdit aux hommes »33. L’Ulysse dantesque, possédé par la libido sciendi, serait une sorte de Faust avant l’heure, mais un Faust inhumain, et exclusivement cérébral. « Aucune affection n’est capable de le retenir, lorqu’il s’agit de voir ce que nul homme n’a vu encore : les étoiles de l’autre hémisphère. Il paraît être le symbole de la Raison tragiquement travaillée par l’incoercible besoin de savoir »34. Il a expié, non pas l’usage de la Raison, mais son abus. Non seulement il est interdit de vouloir passer par ses propres forces du monde naturel au monde surnaturel, mais une entreprise de ce genre est naturellement vouée à l’échec.

Pour Dante, l’autorité trompeuse de Circé ne pouvait être une garantie suffisante. Et il ne fait pas de doute pour lui que l’Ulysse homérique a commis déjà une faute d’hybris, en franchissant un seuil, et qu’il ne pouvait qu’en être puni. Selon le Père Auguste Valensin, Dieu soulève la trombe du châtiment. En fait, la source directe de cette fin du chant XXVI de l’Inferno se trouve dans les Métamorphoses d’Ovide, quand, dans le Livre XIV, Macarée, un ancien compagnon d’Ulysse, raconte à Enée le dernier voyage du roi d’Ithaque et de son équipage vieillissants35.

2. Arthur Rimbaud.

Le passage de Dante à Rimbaud ne semble pas devoir se faire aisément, car il n’est même pas sûr que le poète adolescent ait lu quoi que ce soit de La Divine Comédie. Cela n’a pas empêché une universitaire américaine, Margherita Frankel, de soutenir à New York University et de publier en français une thèse intitulée assez malencontreusement Le Code dantesque dans l’œuvre de Rimbaud ?36. La question de l’Ulysse dantesque ne l’a nullement préoccupée, et elle n’est pas davantage remontée à l’Odyssée, comme cela s’impose pourtant. Aussi n’analyse-t-elle aucun des textes sur lesquels je crois devoir me pencher.

Excellent en latin, Rimbaud avait aussi appris le grec, même s’il s’y refère très rarement. Il utilise les caractères grecs quand il compare, dans sa lettre du 25 août 1870 à son professeur Georges Izambard, la Marguerite de la jeune poétesse lyonnaise Louisa Siefert à Antigone ἀνύμϕη, l’Antigone non mariée de Sophocle37. Une chose est certaine : il connaît le chant XI de l’Odyssée, et en particulier ce qui concerne le pays des Cimmériens.

L’allusion est cette fois précise et riche dans la partie centrale d’Une saison en enfer, « Alchimie du verbe », où il fait ce que John Jackson a appelé son « autobiographie poétique »38. En fait, c’est plutôt d’un fragment d’autobiographie poétique qu’il s’agit, de l’histoire d’une de [s]es folies : le culte de l’hallucination volontaire qu’on peut, par une approximation qui reste grossière, identifier avec la tentation du voyant. Rimbaud la fait commencer à « Voyelles », et il la conduit jusqu’à un terme, jusqu’à une dernière chanson égarée, « O saisons, ô châteaux ».

Cette aventure, il la présente comme une véritable odyssée poétique, une entrée dans l’inconnu (le terme était présent dans les deux lettres dites « du voyant », à Georges Izambard le 13 mai 1871 – « il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens », – à Paul Demeny le 15 mai – « Car il arrive à l’inconnu ! »). Comme l’Ulysse dantesque, il a choisi de franchir les limites de la raison, au risque de se perdre corps et biens.

« Il arrive à l’inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu’il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables »39.

Mais deux ans après, quand, après la rupture avec Verlaine, il fait le bilan de cette aventure, il comprend la nécessité d’un arrêt. Il était près d’être submergé par la folie menaçante, d’être englouti dans la mort. Ivre, le bateau n’aurait pas échoué cette fois dans la flache ardennaise, mais sombré dans l’Océan :

« Ma santé fut menacée. La terreur venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de dangers ma faiblesse ne menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie de l’ombre et des tourbillons »40.

Le texte de Rimbaud est beaucoup plus proche qu’il n’y paraît de celui de l’Odyssée. La notion de confins du monde correspond aux πείρατα d’Homère : c’est la situation même du pays des Cimmériens. L’« ombre » correspond au voile de brume et de nuée, à l’absence de soleil. Les « tourbillons » rendent compte de l’épithète appliquée à l’Océan, βαθυρρόου – au courant profond.

Il est utile de se reporter aux brouillons d’Une saison en enfer, et sur le manuscrit, aux lignes qui correspondent à ce passage d’« Alchimie du verbe » :

« Je me trouvais mûr pour le trépas, et ma faiblesse me tirait jusqu’aux confins du monde et de la vie, où le tourbillon dans la Cimmérie noire ; patrie des morts, où un grand […] a pris une route de dangers laissé presque toute l’âme […] sur une embarcation épouvantes » * Confins du monde »41.

L’élision du verbe (« où le tourbillon ») est dans la manière du texte homérique correspondant (εὔθα δὲ […] δῆμός τε πόλις τε). « Noire » renforce et généralise l’effet de tenèbres pesantes. Les « épouvantes » correspondent plutôt à la fin du chant XI, quand Ulysse se sent verdir de crainte (χλωρὸν δεός : peur verte ; nous dirions plutôt peur bleue) à la pensée que, du fond de l’Hadès, Perséphone pourrait lui envoyer la tête de Gorgô (v. 633-635).

Un texte devait venir illustrer le récit, comme plus haut étaient également annoncés par le brouillon « Faim », « Chanson de la plus haute tour », « Eternité », « Age d’or » et « Mémoire » et plus bas « Bon[heu]r », c’est-à-dire « O saisons, ô châteaux ». La difficulté est que cette fois le texte nous manque, et qu’il est impossible de l’identifier avec certitude.

L’édition Œuvre-vie dirigée par Alain Borer pour le centenaire de la mort de Rimbaud considère le texte comme perdu, et le place en tête de ce qui, en 1872, aurait dû constituer les Etudes néantes42. Pour moi, il ne serait pas impensable que ce texte soit le poème sans titre et difficile à dater « Qu’est-ce pour nous, mon cœur… ». Alors qu’il est en alexandrins, il fut publié parmi les Illuminations dans La Vogue, n° 7, le 7 juin 1886, au moment de la révélation du recueil difficile à constituer ou à reconstituer pour l’éditeur. Placé avant « Démocratie » dans ce numéro de revue, il pourrait en être une manière de version en prose. Ernest Delahaye, le camarade de Charleville qui ne fut pas toujours un témoin très fidèle, le datait de 1872, et Paterne Berrichon, le beau-frère posthume, lui donnait le titre de « Vertige », comme s’il était nécessaire d’illustrer aussi cette autre phrase, au début d’« Alchimie du verbe » : « Je fixais des vertiges ».

L’équipée, qui tient le plus de la « marche vengeresse » à terre que de l’expédition maritime, aboutit à des séismes où les compagnons, les « romanesques amis », seront engloutis comme dans le chant XXVI de l’Inferno :

« Nous serons écrasés !

Les volcans sauteront ! et l’océan frappé… « 43

Mais ce n’est qu’un cauchemar dont une dernière ligne, plus qu’un dernier vers, marque la fin :

« Ce n’est rien ! j’y suis ! j’y suis toujours ».

Le mythe cimmérien a un prolongement original dans les Illuminations, et très exactement dans le poème en prose intitulé « Dévotion », l’un des deux, avec précisément « Démocratie », dont le manuscrit manque. De là à imaginer une relation entre ces deux textes, il n’y a qu’un pas, que je franchirais aisément. Le credo des colons et leur hymne sauvage semble succéder à la série des prières votives de schéma ternaire : invocation, évocation, objet du vœu.

L’avant-dernier alinéa maintient ce schéma, mais il est comme noyé dans une formulation abondante qui s’étend sur plusieurs lignes :

« Ce soir, à Circeto des hautes glaces, grasse comme le poisson, et enluminée comme les dix mois de la nuit rouge – son cœur ambre et spunk – pour ma seule prière muette comme ces régions de nuit et précédant des bravoures plus violentes que ce chaos polaire »44.

Rimbaud a étendu le septentrion jusqu’à ce paysage polaire qu’il affectionne dans les Illuminations (« Angoisse », « Barbare », et même « Being Beauteous »). C’est une variante du nouveau Chaos sur lequel doit s’édifier une nouvelle Création. Circé devient une Circé des glaces, ou plutôt, au masculin, un Circeto (lequel peut faire penser tant au monte Circeo qu’à la Dirceto phénicienne dont il est question dans Salammbô de Flaubert). Cet autre pays des Cimmériens (non nommés ici) est un pays de nuit, mais de nuit polaire, avec le soleil rouge prolongé. Circeto prend des allures de baleine ou de cachalot. L’évocation se réduit à cela, et, peut-être faut-il y déceler une allusion perfide à Verlaine, présent dans ce texte avec Lulu et le temps des Amies, scènes d’amour saphique publiées par Verlaine en 1868.

Il n’est pas avéré, d’ailleurs, que spunk ait le sens de « sperme » qu’il m’est arrivé, après d’autres commentateurs, de lui prêter. La romancière américaine Zora Neale Hurston (1901-1960) nous a fourni involontairement une autre clef quand elle a intitulé Spunk une nouvelle qui a donné son titre au recueil tout entier traduit par Françoise Brodsky. « Spunk » veut dire « cran, courage », précise la traductrice dans une note45. Il y aurait alors quelque chose de tautologique dans « Dévotion », « bravoures » reprenant et recouvrant Spunk.

La dévotion, tournant en rond, est une prière pour une prière, prière cimmérienne, serait-on tenté de dire, muette « comme ces régions de nuit » (voir XI, 29 : ἀλλ’ ἐπί νὺξ ὀλοὴ) et « précédant de bravoures plus violentes que ce chaos polaire » (l’acte d’affronter les morts).

Michel Deguy, soucieux de « déplier », de « déployer », d’« utiliser la formule à d’autres lieux », de « métaphorer la métaphore », a suivi, dans son commentaire le mouvement qui est amorcé dans ce passage d’une prière à l’autre. Se rappelant une page de Georges Dumézil sur devotio, et que Rimbaud était latiniste, il a songé à ceci : « que la dévotion, ou exécration proférée pour un chef de guerre qui se jette, pour y mourir ou en renverser le cours, dans une mêlée qui tourne mal, a ‘les sombres apparences d’un acte de désespoir […] qui épuise la liste des domaines de l’univers […] et se jette en pâture au gouffre toujours avide’« . Il a donc invité à lire le poème en prose de Rimbaud « dans un sens ouvert, inventant la référence, comme imprécation et supplication à l’Eve future, à la féminité totale, mère, fille, sœur, compagne… une sorte de Manifeste féministe hyperconcentré de Rimbaud, si l’on ose »46. Ce serait retrouver, mais à venir, les « paradis de la Mère » dont a parlé Gabriel Germain à propos de l’Odyssée, et l’un des archétypes profonds, selon lui, de la Nekuia homérique.

Faut-il établir un lien entre cette attirance mêlée de répulsion de Rimbaud pour le pays des Cimmériens et le nom curieux, inattendu, que lui a donné Félicien Champsaur dans son roman à clefs Dinah Samuel, publié chez Ollendorf en 1882 ?47 Une allusion est faite à cet Arthur Cimber [sic] et à son « penchant » pour un de ses « camarades »48. Rimbaud, à cette date, était inconnu. C’est seulement en octobre-novembre 1883 que Verlaine publiera une longue notice sur lui dans la revue Lutèce, avant de la reprendre en 1884 dans Les Poètes maudits (première série). 1886 sera l’année révélation de l’œuvre de Rimbaud dans la revue La Vogue (Les Premières Communions », puis Les Illuminations, puis la reprise d’Une saison en enfer).

Champsaur pouvait pourtant connaître le seul livre qu’avait fait paraître Rimbaud lui-même, Une saison en enfer (Bruxelles, Alliance typographique, 1873). Cette plaquette, non diffusée, lui avait peut-être été communiquée par Verlaine, en même temps que le manuscrit des « Chercheuses de poux », dont il cite deux strophes. Dans le texte qui suit immédiatement le prologue, « Mauvais sang », le (faux) damné se présentait, sinon comme un Cimbre ou comme un Cimmérien49, du moins comme un descendant des Gaulois, une sorte de Barbare, de païen mal christianisé, et même pas christianisé du tout malgré le baptême. C’est de là que viendraient tous les vices qui l’ont conduit en Enfer, dans un Enfer qui est plongé dans la nuit, comme le pays des Cimmériens (la section suivante s’intitule « Nuit de l’Enfer »), une nuit rouge, comme celle de « Dévotion », puisqu’elle est éclairée par le feu (et, du même coup, l’avant-dernier alinéa de « Dévotion » est éclairé de cette lumière infernale).

On comprend dès lors la présence, dans l’« Adieu » d’Une saison en enfer, de ce qui pourrait passer pour un dernier avatar du bateau qui a conduit Ulysse, vers le pays des Cimmériens, sans autre pilote que le vent : une « barque élevée dans les brumes immobiles » (voir ήέρι), une « lugubre gondole », comme disait Franz Liszt, conduisant vers « cette goule reine de millions d’âmes et de corps morts et qui seront jugés » : la Mort elle-même. Un « grand vaisseau d’or » nargue et cette barque funèbre et le damné – celle qui pourrait reconduire vers l’île solaire de Circé. Mais dans les lignes ultimes, Rimbaud, à ce moment-là du moins, ne renonce pas à l’aurore et à l’entrée « aux splendides villes ».

3. James Joyce.

En projet dès 1906-1907, composé à partir de 1914, publié à Paris en 1922, le grand roman de Joyce, Ulysses, raconte, à travers une série d’épisodes odysséens, une journée vécue à Dublin par Leopold Bloom (Ulysse), Molly Bloom son épouse (Pénélope) et Stephen Dedalus, projection de l’auteur lui-même, qui fait office de Télémaque.

Le sixième épisode, « Hadès » a été achevé en 1918, adressé à Ezra Pound au mois de mai de cette année-là, et publié en septembre dans la Little Review. Bloom marche. Il se déplace parmi les tombes du cimetière de Prospect, à Dublin. Joyce a amplifié un schéma initial, au fil des réécritures successives. Au fil des ajouts, l’esprit du nouvel Ulysse est submergé par des associations d’idées mortifères. Joyce a voulu qu’il parût submergé par la mort comme un esprit incube.

Les quatre fleuves de l’Hadès, – l’Achéron, le Pyriphlégéton, le Styx, et le Cocyte (Odyssée X, v. 513-514) sont ici la Dodder, le Grand Canal, la Liffey et le Canal-Royal. Le cortège funèbre de Paddy Dignam traverse ces chemins humides en marquant quelques arrêts. Joyce multiplie les jeux de correspondances, dans le détail desquels il n’est pas question d’entrer ici. Hadès lui-même est représenté par le plantureux John O’Connell, plaisantin et grand procréateur devant l’Etemel. Joyce d’ailleurs a mêlé Odyssée et Enéide, donc évocation des morts et descente aux Enfers.

De ce pays des morts, situé lui aussi au septentrion, Joyce donne une description fantomatique :

« The high railings of Prospects rippled past their gaze. Dark poplars, rare white forms. Forms more frequent, white shapes thronged amid the trees, white forms and fragments streaming by mutely, sustaining vain gestures on the air »50.

« Les hautes grilles de Prospect ondulèrent sous leurs regards. Peupliers noirs, formes blanches, rares. Formes plus fréquentes, silhouettes blanches qui se multiplient parmi les autres, une foule de formes blanches et des moignons de monuments, monde muet soutenant en l’air le néant de ses gestes »51.

Il mêle deux passages du Livre VI de l’Enéide (v. 282-294, 306-316) et les hauts peupliers du bois de Perséphone, dans l’Odyssée (X, 510, μαχραὶ αἴγειροι).

Tout se passe dans une zone de brouillard qui rappelle le monde des Cimmériens. O’Connell raconte l’histoire de deux poivrots qui « sont venus ici un soir de brouillard chercher la sépulture d’un ami à eux »52, et qui ne la trouvèrent qu’après avoir longtemps piétiné.

Bloom n’a rien d’héroïque. Il est au cimetière de Prospect un passant, même pas considérable. S’il n’est le treizième après douze, il est le quatorzième. Il s’abrite derrière la carrure d’O’Connell, le bon conservateur, le temps, sinon d’un colletage, du moins d’un flirt, ou d’un fleuretage avec la mort. Le souvenir des fossoyeurs de Hamlet vient se mêler à celui de l’Enéide et de l’Odyssée. On réenterre Pamell en même temps qu’on enterre Paddy Dignam. Et c’est la ville de Dublin tout entière qui devient un cimetière hanté par les ombres des défunts.

Est-il alors possible de « rentr[er] dans le monde »53, comme le veut Leopold Bloom ? Il n’aspire pas à l’autre monde appelé enfer, et il cherche à rester dans le monde des vivants :

« Tant à voir à entendre à sentir encore. Sentir près de soi des êtres chauds et vivants. Laissons-les dormir dans leurs lits grouillants d’asticots. Ils ne m’auront pas encore ce coup-ci. Des lits chauds : de la chaude vie pleine de beau sang riche »54.

Mais Ulysse peut-il faire comme s’il n’avait pas rôdé autour de l’Hadès au point de croire qu’il y pénétrait ? Bloom est « défrisé » (chapfallen55). Rimbaud se dit pour toujours « d’outre-tombe »56. Ulysse et ses compagnons regagnent l’île du Soleil, mais Circé, les accueillant au retour de la mission qu’elle leur a imposée, les interpelle :

« Σχέτλιοι, οἴ ζώοντες ὑπήλθετε δῶμ’ Ἀίδαο, δισθανέες, ὅτε τ’ ἄλλοι ἅπαξ θνήσκουσ’ ἄνθρωποι ». (ΧII, 21-22).

« Malheureux, vous qui vivants êtes descendus dans la demeure d’Hadès, Morts deux fois, alors que les autres morts ne vivent qu’une fois… ».

Le redoublement de la mort, loin d’être un privilège, pourrait être une malédiction. Telle est la rançon d’un voyage au pays des Cimmériens. Pour Gabriel Germain, « le grand coup d’audace du poète [Homère] a été de mener Ulysse aux confins du pays des Morts et d’en faire sortir les Ombres ». Mais il est conscient que ce n’était pas pour un message d’espérance57. Le temps, plutôt, d’un frisson…

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1 « Rhapsodie XI », dans Homère, Odyssée, traduction en prose par Leconte de Lisle, Alphonse Lemerre, sd., [1869], t. I, p. 187.

2 L’Odyssée, « poésie homérique », Les Belles-Lettres, collection des Universités de France, rééd. 1963 [1924], tome II, p. 81.

3 Homère, L’Odyssée, Classiques Garnier, s.d., p. 157.

4 Homère, Odyssée, trad, de Philippe Jaccottet, Club français du Livre, coll. Portiques, n° 43, 1955, p. 207. Repris aux éd. Maspero, 1982, et La Découverte, 1992, p. 178. Dans la Préface qu’il a écrite pour sa traduction, Jaccottet cite la thèse de Gabriel Germain, Genèse de l’Odyssée, qui avait paru l’année précédente. Il relève par exemple la relation établie entre l’histoire du Cyclope et un conte berbère.

5 Gabriel Germain, Homère, éd. du Seuil, coll. Ecrivains de toujours, n° 43, 1964, p. 167.

6 « Les suppliants parallèles », dans les Cahiers de la Quinzaine, septième cahier de la septième série, 12 décembre 1905, repris dans Œuvres en prose 1898-1908, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1959, pp. 885-886.

7 bid., pp. 889-890.

8 Le Crime des Lemniennes, 1924, réédité par Bernadette Leclercq-Neveu, Macula, coll. Argô, 1998.

9 Voir Pierre Lévêque et Pierre Vidal-Naquet, Clisthène l’Athénien, Annales littéraires de l’Universìté de Besançon, Les Belles-Lettres, 1964 ; Jean-Pierre Vernant, « Espace et organisation politique en Grèce ancienne », dans Mythe et pensée chez les Grecs, Maspero, 1965, Petite collection Maspero, t. I, pp. 207 sqq.

10 Les Fleurs du Mal, éd. de 1861, pièce III, v. 9-12 : « Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ; / Va te purifier dans l’air supérieur, / Et bois, comme une pure et divine liqueur, / Le feu clair qui remplit les espaces limpides ».

11 « Les Suppliants parallèles », p. 890.

12 Il ne saurait être question de reprendre ici l’expression de Claudel, dans le premier monologue de Cébès, au début de Tête d’Or : « Et les arbres, et les nuées aériennes, / Me parlent avec un langage plus vague que le ia ! ia ! de la mer […] ».

13 Rééd. cit., p. 178, note 1.

14 On a rapproché les Cimmériens des Gimirrai que mentionnent d’anciens documents orientaux, en écriture cunéiforme, datant du règne de Sargon II (722-705). Ils ont menacé le royaume d’Ourartou, l’Ararat de la Bible. Dans l’Ancien Testament, Genèse X, 2, il est question de Gomer, correspondant au Gimirrai des Assyriens. Il est placé parmi les fils de Japhet.

15 Homère, p. 157.

16 Ed. cit., t. II, pp. 82-83.

17 L’Odyssée d’Homère. – Etude et analyse par Victor Bérard, Mellottée, 1931, rééd. 1954, p. 270. Je laisserai de côté la thèse selon laquelle et l’île de Circé et le pays des Cimmériens se trouveraient sur la côte occidentale de la Grèce au nord d’Ithaque. C’est l’idée développée par Tim Severin dans The Ulysses Voyage. – Sea Search for the Odyssey, 1987, trad. fr. Albin Michel, 1989. Ce livre est, à beaucoup d’égards, de l’érudition-fiction. Son point d’appui antique, mais tardif, est le Guide de Grèce, la compilation de Pausanias. Severin conteste la localisation italienne, pp. 167-168.

18 Homère, p. 123.

19 Voir son livre Genèse de l’Odyssée, Presses Universitaires de France, 1954.

20 Homère, p. 124.

21 Ibid., p. 128.

22 Ibid., p. 128.

23 Homère, p. 133.

24 Presses Universitaires, collection « Ethnologie ». Je cite ici la quatrième de couverture, qui résume l’ensemble de la thèse.

25 Ibid., p. 139.

26 Théogonie, v. 1011-1016.

27 Fragment 11 dans l’éd. de Martin West ; cité par A. Ballabriga, op. cit., p. 139.

28 Op. cit., p. 141.

29 Les Fictions d’Homère, p. 143.

30 Odyssée, XI, v. 15-19 ; traduction de Gabriel Germain dans Homère, p. 167.

31 Homère, p. 157.

32 Dante, L’Enfer/Inferno, traduction de Jacqueline Risset, G.F. Flammarion, 1985-1992, pp. 240-243.

33 Auguste Valensin, Regards sur Dante, dernière conférence, « L’Ulysse dantes-que ou les limites de la raison », Aubier, 1956, p. 184. Le texte de cette conférence a d’abord paru dans Etudes, numéro de février 1954.

34 Ibid., p. 187.

35 Ovide, Les Métamorphoses, chant XIV, v. 223 sqq.

36 Nizet, 1975.

37 Je renvoie à mon édition des Poésies complètes des Rimbaud, Le Livre de poche, Classiques de poche, Librairie Générale Française, 1998, où se trouve cette lettre, pp. 63-66. La référence à Antigone ἀνύμϕη se trouvait dans l’avertissement du recueil de Louisa Siefert, Rayons perdus. Elle est donc assez peu significative en ce qui concerne Rimbaud.

38 « L’autobiographie poétique de Rimbaud », dans Rimbaud. – Tradition et modernité, textes recueillis par Bertrand Marchai, Editions Interuniversitaires, 1992, pp. 35-76.

39 Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871, Poésies complètes, éd. cit., p. 151.

40 Une saison en enfer, Illuminations et autres textes, éd. de Pierre Brunei, Le Livre de poche, Classiques de poche, Librairie Générale d’Edition, 1998, p. 75.

41 Fac-similé du manuscrit dans le catalogue de la vente de la Bibliothèque Jacques Guérin, Huitième partie, Rimbaud – Lautréamont, Paris, 17 novembre 1998, p. 59. Je ne suis pas exactement la transcription qui est donnée en regard. Le texte est de toute façon de lecture souvent difficile ou incertaine.

42 Œuvre-vie, Arléa, 1991, p. 291. Mais pourquoi rajouter l’article dans le titre « Les Confins du monde » ? L’erreur semble venir de Bouillone de Lacoste.

43 Poésies complètes, éd. cit., pp. 225-226, où j’ai choisi de le placer en marge des poèmes de l’année 1871, ce qui ne rendrait pas impossible une intégration à « Alchimie du verbe ».

44 Ed. cit., p. 142.

45 Zora Neale Hurston, Spunk, Berkeley, Turtle Island Foundation, 1985 ; trad. fr., Zulma, 1993, rééd. éd. de l’Aube, 1996, p. 13.

46 Michel Deguy, « Dévotion », dans l’ouvrage collectif Le Millénaire Rimbaud, Belin, L’Extrême contemporain, 1993, pp. 52-53.

47 pp. 278-279. Réédition de ce roman par Jean de Palacio aux éd. Séguier en 1999. Le fait est signalé, entre autres, par André Guyaux dans la chronologie qu’il a établie pour le Cahier de L’Herne Arthur Rimbaud, 1993, p. 410.

48 Verlaine, à n’en pas douter, bien plus que le dessinateur et peintre Jean-Louis Forain, auquel pense Guyaux. C’est de Verlaine seul que Champsaur peut tenir « Les Chercheuses de poux », le poème dont par la même occasion il cite deux strophes.

49 Le rapprochement a pu être fait entre les Cimmériens et les Cimbres. En fait, ces derniers, peuples germaniques, n’ont rien de commun avec les Cimmériens. Mais ils ont descendu le Danube et exercé leurs ravages du côté du pays des anciens Cimmériens, comme ceux-ci étaient allés piller Sardes.

50 Ulysses, 1922 ; rééd. Penguin Books, 1968, p. 102.

51 Ulysse, traduction intégrale par Auguste Morel, assisté de Stuart Gilbert, entièrement revue par Valery Larbaud et l’auteur, 1929, reprise dans Œuvres de James Joyce, édition publiée sous la direction de Jacques Aubert, t. Π, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995, p. 113.

52 Ibid., p. 120. Ulysses, p. 109 : « Two drunks came out her one foggy evening to look for the grave of afriend of theirs ».

53 Ibid, p. 129. Ulysses, p. 116 : « Back to the world again ».

54 Ibid., loc. cit.

55 Ibid., p. 130 [117]. C’est l’écho du monologue de Hamlet dans le cimetière où est inhumée Ophélie : « Alas, poor Yorick ! […] Quite chapfall’n » (acte V, sc. 1, v. 202).

56 « Vies » ΙII, dans les Illuminations, éd. cit., p. 102.

57 Homère, pp. 122, 140.