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Chapitre 5 : Donner à voir

Jean-Yves TILLIETTE

Le chemin de la poétique va de carrefour en carrefour. A peine a-t-on franchi celui où divergeaient les voies respectives de l’ordre naturel et de l’ordre artificiel qu’un second embranchement se présente :

Curritur in bivio : via namque vel ampla vel arta,

Vel fluvius vel rivus erit ; vel tractius ibis,

Vel cursim salies ; vel rem brevitate notabis.

Vel longo sermone trahes.

« Votre course vous conduit à un carrefour : la route sera large ou bien resserrée, fleuve ou bien ruisseau ; vous la suivrez d’un pas paisible ou bondirez d’un pied léger ; vous croquerez votre sujet d’un trait rapide ou bien l’étirerez en un long discours… »

(Poetria nova, 206-209)

L’antithèse ici quadruplement soulignée est celle qui oppose amplificatio à abreviatio. Geoffroy va consacrer à ces notions et aux techniques qui les servent deux développements distincts, fort ample dans le premier cas (219-694) et, comme il se doit, beaucoup plus bref dans le second (695-741). La longueur du passage dédié à l’amplificatio – presque 500 vers, près du quart du poème – peut étonner, car il ne s’agit pas d’un concept central de la rhétorique classique. Le De inventione n’emploie que deux fois le terme, en relation avec la théorie des lieux communs, mais sans songer à le définir1. Plus circonstanciée, la Rhétorique à Herennius, suivie par Quintilien (Inst. or. 8, 4), s’y attarde de façon assez précise à deux reprises (Her. 2, 47-50 et 3, 24-27), signalant à ces occasions :

« L’amplification est un moyen qui vise, grâce à un lieu commun, à émouvoir les auditeurs »,

et :

« L’amplification suscite chez l’auditeur la colère ou la pitié »2.

Il ressort de ces remarques que d’une part, les techniques de l’amplificatio relèvent bien de l’inventio, puisqu’elles se fondent sur l’usage des lieux communs, qui constitue une partie importante de celle-là ; que d’autre part elles ont pour fonction de rendre l’argumentation plus percutante, plus propre à émouvoir le public et ainsi emporter sa conviction : elles en appellent à la moralité, mais ont surtout partie étroitement liée avec le pathétique, avec la dimension affective du discours, comme le souligne encore Alcuin dans son Dialogue sur la rhétorique et sur les vertus3. On peut donc imaginer que Geoffroy de Vinsauf, après avoir exploré, dans le passage sur la dispositio, ce qu’il en était de la fonction herméneutique du poème et de sa dimension intellectuelle, va désormais prendre en compte l’adhésion affective, émotionnelle à son propos.

Envisageant d’autre part la tradition de la poétique, on rappellera que, selon Karsten Friis-Jensen, le long développement de la Poetria nova sur l’amplificatio est à lire en relation avec la deuxième des règles réputées avoir été formulées par Horace, celle de la congrua orationis digressio, la digression pertinente4 ; celle-ci va à l’encontre de la pratique de qui croit judicieux d’insérer dans son poème des morceaux de bravoure, les fameux « lambeaux de pourpre », totalement étrangers au sujet. A l’inverse, les pauses dans le récit entraînées par la « bonne » digression auront pour effet de rehausser la materia et, loin d’en détourner l’attention, de la rendre plus éloquente, de lui donner plus d’emprise sur l’esprit de l’auditeur ou du lecteur.

« Il y a digression pertinente, déclare le commentaire Materia, lorsque, abandonnant le fil de son propos, on prend une autre direction pour le bénéfice [du public] et à l’avantage de la cause que l’on défend »5.

C’est peut-être à ce texte que Geoffroy de Vinsauf a emprunté la métaphore, sur laquelle il s’appuie avec tant d’insistance, de la poésie comme cheminement : aux mots cursu, digreditur du commentaire Materia correspondent, dans le passage considéré de la Poetria nova, progressus, gressum, cursum viae, etc. Toute rebattue qu’elle soit, l’image n’est pas pour autant insignifiante : si l’œuvre « suit une voie », ou « poursuit sa course », c’est qu’elle est orientée vers un but. Cette fin, en partie différente de celle qu’assignent les traités de rhétorique à l’amplificatio, est double. Elle se définit d’abord comme utilitas. On rejoint là un des leitmotiv de la tradition pédagogique médiévale : il n’est pas un auteur d’accessus qui ne pose la question du bénéfice que pourra procurer l’étude de l’œuvre qu’il introduit6. C’est en vertu de son utilitas que la poésie est considérée comme une des branches de l’éthique. Mais les effets de la digression appropriée doivent aussi profiter à la « cause » elle-même. En latin classique, et dans le contexte juridique où s’inscrit la Rhétorique à Herennius, le mot désigne le procès ; au moyen âge, c’est « la chose », quasi-synonyme de res et de materia. Et l’on s’aperçoit alors avoir insidieusement progressé depuis le début du poème : à la lecture des vers 43-61 de la Poetria nova, on pouvait concevoir la materia comme existant en soi, comme une substance inaccessible aux accidents. On se rend compte ici qu’elle est malléable :

Formula materiae quasi quaedam formula cerae.

Primitus est tactus duri ; si sedula cura

215 Igniat ingenium, subito mollescit ad ignem

Ingenii sequiturque manum quocumque vocarit.

« Un petit fragment de materia est comparable à un petit morceau de cire : d’abord, il est dur au toucher ; mais si le zèle du génie le fait cuire à son feu, il mollit aussitôt à ce feu et prend la forme, quelle qu’elle soit, à laquelle le voue la main ».

(Poetria nova, 213-216)

Le génie du poète vise donc à modeler, c’est-à-dire à donner forme intelligible à ce qui n’a en soi pas de sens, ou plutôt est résistant (durus) à l’interprétation. La poésie rejoint vraiment ici la rhétorique, dans sa dimension herméneutique d’explication des faits. Tout objet, toute « petite parcelle de matière » est en droit sujet poétique, puisque, comme on l’a vu, la poésie a pour fin de prendre à bras le corps le monde et d’en rendre compte. Mais c’est une matière inerte, « dure au toucher ». L’œuvre de l’écrivain va être de la rendre ductile, de la faire advenir sur la scène du langage sous l’angle selon lequel il a choisi, avec l’aide de l’ars, de la considérer pour en faire jaillir la signification profonde. C’est dans cet esprit qu’il faut interpréter le rôle de l’amplificatio, qui n’est pas, contrairement à ce qu’écrit Faral, de « développer, allonger (un sujet) »7, comme on allonge une sauce, mais de le présenter sous le jour le plus propre à parler à l’intelligence et au cœur de l’auditeur.

Les huit procédés de l’amplificatio

Les techniques aptes à amplifier le discours poétique sont, selon Geoffroy, au nombre de huit. Notre auteur paraît affectionner ce nombre, puisque c’était déjà celui des façons de commencer selon l’ordre artificiel. Faut-il lui conférer une valeur symbolique ? Le huit pourrait alors renvoyer à la forme parfaite du cube, ou au nombre des modes musicaux reflétant l’harmonie des sphères ; à moins encore qu’il ne faille l’associer, comme le fait l’art roman, à la naissance par le baptême : l’objectif ultime de la « nouvelle poétique », où il sera beaucoup question de la rédemption, n’est-il pas de baptiser celle d’Horace ?8 A vrai dire, considérant que les dix chiffres de la décade sont grandement polysémiques dans la culture médiévale, et qu’on peut donc leur faire dire ce que l’on veut, nous ne nous avancerons pas plus sur la voie scabreuse de l’arithmologie…

Ce qui est certain en revanche, c’est que Geoffroy manifeste ici une grande indépendance vis-à-vis de l’auctor ad Herennium, qui distingue quant à lui dix façons d’amplifier dont la liste ne recoupe en rien celle que dresse notre auteur9. Celui-ci articule son catalogue de façon bien scolaire, au moyen d’adjectifs numéraux (v. 220 : primo ; 226 : gradus ulterior ; 241 : tertius ; 264 : quarta, etc…), mais selon une logique qui ne saute pas d’emblée aux yeux. Sept des huit modi amplificandi sont en effet extraits par lui de la liste de figures donnée par le quatrième livre de la Rhétorique à Herennius, mais sont empruntés indifféremment et dans le désordre à la catégorie des « figures de mots » – la paraphrase (procédé n° 1) et l’apostrophe (n° 4) – à celle des tropes – la périphrase (n° 2) – et à celle des « figures de pensée » – la comparaison (n° 3), la prosopopée (n° 5), la description (n° 7) et l’opposition (n° 8). La digression (n° 6) est pour sa part plutôt à mettre en relation avec les commentaires à l’Ars poetica10.

En réalité, si l’on veut bien considérer qu’il est question ici d’inventio, et non d’elocutio, cette énumération à première vue bizarre apparaît comme assez savamment structurée, selon un schéma 3 + 2 + 3 :

– les trois premiers procédés, plutôt élémentaires, et sur lesquels Geoffroy s’attarde peu, sont de nature essentiellement grammaticale. Paraphrase, périphrase et comparaison correspondent à trois façons d’essayer de cerner l’être de la chose, de le mettre en relief, mais à l’aide de moyens strictement linguistiques ;

– les trois derniers font en revanche appel aux ressources de la pensée discursive : on peut rendre compte de l’objet soit par digression, c’est-à-dire en le juxtaposant à un autre avec lequel il ne semble de prime abord avoir aucune ressemblance, mais qui en éclaire indirectement la signification, soit par description, en montrant ce qu’il est, soit par opposition, en disant ce qu’il n’est pas ;

– la partie centrale du chapitre, de loin la plus longue (plus de 250 vers) et la plus abondamment illustrée d’exemples, est consacrée à la présentation de deux figures du dialogue, l’apostrophe, où c’est le poète qui s’adresse à l’objet, et la prosopopée, où c’est l’objet qui s’adresse au lecteur.

Compte tenu du statut particulier, et hiérarchiquement privilégié, dévolu à ces deux figures, nous examinerons d’abord ce que Geoffroy dit des six autres.

1.1. La paraphrase (interpretatio), que six vers suffisent à décrire, redit une même chose avec d’autres mots (sub verbis aliis, v. 223), présente un objet unique au moyen de beaucoup de phrases (pluribus in clausis, 224). Elle s’appuie sur la richesse des synonymies pour épuiser sa matière, un seul et même corps, mais souligné et mis en relief par les vêtements divers qui l’ornent tout à tour :

220 … sententia cum sit

unica…

… variet vestes et mutatoria sumat.

« … quand l’idée est unique, (…) qu’on en varie le vêtement et qu’on la fasse se changer ».

(Poetria nova, 220-222)

La Rhétorique à Herennius attribuait à cette figure la faculté « d’impressionner l’esprit de l’auditeur en renouvelant la vigueur de la première expression »11.

1.2. La périphrase, un peu plus élaborée (ulterior, 226) consiste à « tourner autour » de l’objet – circumitio est le nom que lui donnent les théoriciens –, en remplaçant le mot tout court (vox curta, 227) par une longue série de mots (serie(s) vocum longa, 228). Cette espèce de farandole verbale a pour effet de faire deviner les contours de l’objet au moyen de petites notations (rem innue per notulas, 231-232), à coups d’éclairages brefs, mais incisifs. De nos jours encore, un tel procédé fonde le travail poétique d’un écrivain comme Francis Ponge.

1.3. Ce que Geoffroy déclare de la comparaison évoquerait plutôt pour nous cette sentence de Pierre Reverdy : « Une image n’est pas forte parce qu’elle est brutale ou fantastique, mais parce que l’association des idées est lointaine et juste »12. Ces adjectifs ne s’appliquent pas à ce que notre auteur appelle la comparaison « explicite » (apert(a), 244), qu’il tient en peu d’estime, dans la mesure où elle est pesamment soulignée par les signes à la fois grammaticaux et arithmétiques « plus », « moins » et « égal » (magis, minus, aeque, 246), mais à la comparaison « implicite » (occult(a), 247), autrement dit à la métaphore :

Quae fit in occulto, nullo venit indice signo ;

Non venit in vultu proprio, sed dissimulato,

Et quasi non sit ibi collatio, sed nova quaedam

250 Insita mirifice transsumptio, res ubi caute

Sic sedet in serie quasi sit de themate nata :

Sumpta tamen res est aliunde, sed esse videtur

Inde ; foris res est, nec ibi comparet ; et intus

Apparet, sed ibi non est ; sic fluctuat intus

255 Et foris, hic et ibi, procul et prope : distat et astat

(…) Subtilis juncturae, res ubi junctae

260 Sic cœunt et sic se contingunt, quasi non sint

Contiguae, sed continuae, quasi non manus artis

Junxerit, immo manus naturae.

« La [comparaison] cachée n’a pas besoin d’être marquée d’un signe pour advenir ; elle n’apparaît pas sous son propre visage, mais sous un masque. C’est comme s’il n’y avait pas comparaison, mais quelque transplant inouï par miracle greffé, lorsqu’une image (litt. : chose) s’installe avec autant de justesse dans l’ensemble que si elle était née du sujet même. Et pourtant, on l’a prise ailleurs, mais elle semble être d’ici. Elle est dehors, et ne se montre pas, et on la voit dedans, sans qu’elle soit ici. Ainsi flotte-t-elle entre dedans et dehors, ici et là-bas, lointain et prochain, absence et présence. (…) subtile conjointure, lorsque des choses jointes vont de pair et se touchent, non pas selon l’effet d’un simple voisinage, mais tenant l’une à l’autre, comme si la main de la nature, non pas celle de l’art, les avait accordées ».

(Poetria nova 247-255 et 259-262)

L’abstraction cristalline de ces beaux vers bien difficiles mériterait sans doute d’être illustrée d’exemples. Geoffroy les réserve à la longue description qu’il donnera de la métaphore, au chapitre sur l’elocutio. Au risque d’être un peu pesant, nous clarifierons son propos en citant un vers d’André Breton, qui manifeste merveilleusement cette dialectique de la présence et de l’absence :

« Sur un pont, la rosée à tête de chatte se berçait. »

La chatte n’est pas là, la rosée n’a pas de tête : l’image est lointaine. Et pourtant, elle apparaît aussitôt d’une extraordinaire justesse à qui songe à la forme d’une goutte glissant le long d’une brindille au soleil du matin13. L’image poétique, « greffe inédite » et en même temps « miraculeuse » d’un registre sémantique sur un autre, lave notre regard et nous permet de voir le monde sous un angle tout neuf. Aussi la référence au surréalisme que nous venons de faire est peut-être moins incongrue qu’il n’y paraît. Peter Dronke, à propos du même passage de la Poetria nova, évoque Coleridge14. Il semble décidément se confirmer que le propos de Geoffroy de Vinsauf n’est pas étranger à notre façon moderne de lire la poésie…

Comme il a été annoncé, nous laissons provisoirement en suspens les développements sur l’apostrophe et sur la prosopopée pour nous intéresser à la troisième série des figures de l’amplificatio. Digression, description et opposition « donnent à voir » elles aussi de façon originale, non plus toutefois à partir des mots, mais à partir des choses mêmes, qui se reflètent dans le miroir du texte selon trois angles distincts.

3.2. En dépit de la place assez importante (v. 559-672)15 qu’elle occupe dans l’économie de la Poetria nova, nous ne nous attarderons guère sur la description. C’est en effet le point de la doctrine des arts poétiques qui a le plus largement mobilisé l’attention de la critique moderne : Faral lui a consacré plusieurs études importantes ; récemment encore, les actes d’un colloque scientifique sur « la description au moyen âge » ont été recueillis en un fort volume16. Il serait sans aucun doute oiseux de répéter ici ces travaux. Au demeurant, Geoffroy lui-même qui, suivant le modèle fourni par Matthieu de Vendôme, exécute cette « figure imposée » qu’est la description d’une belle femme (v. 567-626), souligne le caractère conventionnel du procédé (formae descriptio res quasi trita / et vetus, 627-628). Il s’efforce donc bravement d’en fournir un modèle plus original, en décrivant un somptueux banquet royal, où musiciens, jongleurs et comédiens exhibent les multiples facettes de leur ars jocosa (v. 629-670). Si l’on se souvient qu’une riche topique, et notre auteur lui-même (v. 71-75 et 112-115), font du festin une métaphore traditionnelle de la poésie, si l’on constate que la description est définie au vers 563 comme « nourriture et satiété de l’esprit » (cibus… et plena refectio mentis), on peut voir dans un tel développement une sorte de jeu spéculaire : c’est l’acte poétique même qui s’y reflète et s’y représente (dans le même esprit, la description de la parure de la belle femme, v. 606-616, renvoie à l’image des figures de l’elocutio comme vêtement que nous avons plus haut longuement commentée). Ce qui ne nous apprend pas grand-chose : nous savons depuis le début que la démarche de la Poetria nova dans son ensemble est par nature réflexive. Plutôt que ces finesses un peu vaines, on mettra donc en valeur le fait que la description pratiquée par les poètes du temps – nous en avons fait naguère la démonstration à propos de celle d’Hélène, dans l’Iliade de Joseph d’Exeter (ca. 1180) –, grâce aux images bizarres auxquelles elle recourt en vue d’échapper à la convention, tend elle aussi à faire apparaître son objet sous un jour inattendu et à en dévoiler par petites touches la signification profonde : ainsi, le type même de beauté qui est celui d’Hélène connote sa méchanceté17.

3.3. Nous passerons également assez vite sur le procédé d’amplificatio par opposition (contentio), auquel Geoffroy ne dédie que peu de vers (673-691). Symétrique de la description, il vise à révéler la vraie nature d’un objet en énonçant ce qu’il n’est pas. Il est toutefois intéressant de noter que les quelques exemples choisis pour illustrer son usage proposent encore une fois à l’attention du lecteur l’image du puer senex. Ainsi :

685 Ista senectutis non est gena, sed juvenilis ;

Ista juventutis non est mens, immo senilis.

« Le visage que voici n’est pas celui de la vieillesse, mais celui d’un jeune homme ; la pensée que voici n’est pas celle de la jeunesse, mais celle d’un vieillard ».

(Poetria nova, 685-686)

Pour cerner une réalité aussi surprenante, aussi contradictoire avec elle-même que celle d’un « enfant-vieillard », l’opposition est assurément la technique la plus appropriée.

On peut ici se demander, à moins que la question ne paraisse inconvenante, si la série des trois derniers procédés de l’amplificatio – destinée, répétons-le encore, à mettre en lumière une vérité profonde et secrète – ne recoupe pas celle des trois voies d’accès à la connaissance de Dieu définies par la théologie médiévale. Le recours à l’opposition correspond en effet clairement à la connaissance « par négation » de la démarche apophatique : Dieu étant incompréhensible, on ne peut le définir que par ce qu’il n’est pas. La description, quant à elle, serait à rapprocher de la connaissance de Dieu « par intuition », c’est-à-dire par énumération de ses propriétés. Il faudrait alors référer la digression, à laquelle nous arrivons maintenant, à la connaissance « par analogie », ce qu’autorise assurément la présentation qu’en donne Geoffroy.

3.1. Bouleversant l’ordre de l’énoncé de la Poetria nova, nous avons jusqu’alors réservé l’étude de l’amplificatio par digression, à laquelle notre auteur consacre une analyse beaucoup plus originale et difficile qu’à la description et à l’opposition. Après quelques conseils scolaires formulés plutôt maladroitement – la digression ne doit pas être trop longue ; elle se caractérise par l’introduction brutale (saltu quodam quasi transvolo, v. 540), à l’intérieur du thème, d’un second thème lointain, puis par le retour au thème premier –, le poète passe très vite à l’exemplification. Le modèle qu’il propose s’ouvre sur une belle et triste scène d’amour :

Unius astringit duo pectora nodus amoris ;

Corpora disjungit nova causa. Sed ante recessum

545 Oscula praefigit os ori ; cingit utrumque

Mutuus et stringit amplexus ; fons oculorum

In faciem lacrimas derivat ; et ultima verba

Singultus medius intersecat. Estque doloris

Calcar amor viresque dolor testatur amoris.

« Le lien d’une passion unique noue deux cœurs l’un à l’autre ; un hasard imprévu les éloigne. Mais avant la séparation, la bouche mange de baisers l’autre bouche. Les deux amants enlacés se serrent l’un contre l’autre en une étreinte partagée. La source de leurs yeux inonde leur visage de ruisseaux de larmes et les sanglots entrecoupent leurs paroles d’adieu. L’amour est aiguillon de la souffrance et la souffrance manifeste la force de l’amour ».

(Poetria nova, 543-549)

Donc, une évocation, touchante et bien construite, du chagrin des adieux, que conclut une sententia. La digression qui suit est d’un tout autre ton :

550 Veri cedit hiems. Nebulas diffibulat aer

Et caelum blanditur humo. Lascivit in ilam

Humidus et calidus ; et quod sit masculus aer

Femina sentit humus. Flos, filius ejus, in auras

Exit et arridet matri ; coma primula comit

555 Arboreos apices ; praemortua semina surgunt

In vitam ; ventura seges praevivit in herba.

Hoc tempus titillat aves.

« L’hiver cède au printemps la place. L’air ôte sa tunique de nuages et le ciel caresse la terre. Chaud et humide, l’air prend d’elle son plaisir et la terre, qui est femme, éprouve sa virilité. Leur enfant, la fleur, voit le jour et sourit à sa mère ; un tendre duvet coiffe la cime des arbres ; les semences engourdies revivent ; la moisson à venir trouve en l’herbe présage de sa vitalité ; les oiseaux alors s’émoustillent ».

(Poetria nova 550-557)

Et voici la fin de l’exemple, où se rejoignent les deux thèmes :

Haec temporis hora

Quos nondum divisit amor divisit amantes.

« … Telle est la saison qui sépara des amants que l’amour n’avait point encore séparés ».

(Poetria nova, 557-558)

A la lecture de ces vers, on peut se demander avec une certaine perplexité quelle relation entretiennent entre elles les deux « intrigues » enchâssées. Il nous semble, à la lumière de leur conclusion commune, qu’on pourrait la définir comme « effet de contrepoint » : l’exubérance sensuelle de la nature répond à la scène pathétique en un jeu de contrastes saisissant et fort efficace, fondé sur le renversement du motif topique de la « reverdie ». Le printemps, qui, dans la poésie amoureuse d’alors, notamment lyrique, est une invite à l’amour fait ici ressortir plus cruellement encore la mélancolie des départs. La tristesse des gestes amoureux (oscula, amplexus) accomplis pour la dernière fois est mise en relief par la joie débridée d’une nature indifférente et puissamment sexualisée18. Ainsi, le détour par le thème secondaire fait ressortir – comme, avec les moyens qui leur sont propres, le mode descriptif et le mode négatif – l’action principale. De la même façon, Cicéron considérait que, dans le cadre de la plaidoirie, « la digression, introdui (sant) un développement éloigné de la cause et du point à juger (…), conduit à une autre chose capable d’apporter des éléments de confirmation ou de réfutation, (…), du fait qu’elle étend la question par une sorte d’amplification »19. C’est dire que sa mise en œuvre a valeur argumentative, comme nous l’avions dit plus haut de celle de la description à propos de Matthieu de Vendôme. Dante ne pensera pas autrement qui, lorsqu’il évoque dans la Lettre à Can Grande la « manière de traiter le sujet », associe digression et description à des termes comme « démonstration » et « confutation »20.

La gloire du roi Richard et les plaintes de la Croix

Les six procédés de l’amplificatio que nous avons analysés visent à montrer, au moyen d’expressions et d’idées neuves et de ce fait plaisantes (delectare), et, en montrant, à démontrer (docere). Il revient aux deux autres, apostrophe et prosopopée, de satisfaire à la troisième fonction de la rhétorique, susciter l’émotion (movere). Ce qui explique le statut privilégié que leur confère Geoffroy : on se souvient que pour l’auctor ad Herennium, l’amplificatio est étroitement liée au pathétique. La nature grammaticale même de ces discours à la deuxième personne les destine à une telle fin : il s’agit là non de faire voir la chose, mais de l’animer, de lui donner vie et de l’impliquer, ainsi que le lecteur, dans un dialogue souvent véhément. Aussi Geoffroy dit-il de l’apostrophe :

455 Sic igitur variat vultum : vel more magistri

Corripit errorem pravum ; vel ad omnia dura

In lacrimis planctuque jacet ; vel surgit in iram

Propter grande scelus ; vel fertur ridiculose

Contra ridiculos.

« Elle montre divers visages : tantôt, comme un maître d’école, elle blâme les vices, tantôt, face à tous les cruels coups du sort, elle gît parmi les larmes et les gémissements ; tantôt elle éclate de rage contre les crimes monstrueux ; tantôt, elle se laisse aller à rire des gens risibles ».

(Poetria nova, 455-459)

Quant à la prosopopée, le modèle parfait en est fourni, selon notre auteur, par la plainte de la terre auprès de Jupiter après les dévastations causées par Phaéton, au livre 2 des Métamorphoses d’Ovide (Poetria nova, 464-465), et par les pleurs de Rome apparue à César lors du passage du Rubicon, au chant 1 de la Pharsale (465-466)21. Il se vérifie donc que les deux figures se caractérisent par un contenu et impact émotionnels forts.

2.1. L’apostrophe qui, selon la métaphore dont nous continuons de suivre le fil, sert au banquet de poésie les plats les plus savoureux, les plus parfumés et les plus riches (sapidus et odorifer et pretiosus, 271) a décidément inspiré Geoffroy : il lui consacre près de deux cents vers (264-460) et pas moins de six exemples, qui modulent toute la gamme des sentiments que traduit et provoque à la fois ce type d’énoncé. On ne s’attardera pas sur les trois premiers, peu développés, où le poème, prenant à partie le lecteur en magister ronchon, successivement adresse un memento mori « à celle qui est trop gaie » (v. 277-291), appelle un présomptueux à plus de modestie (294-303) et pousse à la vaillance un pusillanime (306-323). On est vraiment là dans le cadre d’une poésie moralisante (ethicae supposita), à la frontière entre la lettre de direction et l’épigramme, comme les cloîtres médiévaux en produisent abondamment22.

Notre auteur a en revanche été beaucoup plus et mieux inspiré par des thèmes politico-épiques : les apostrophes à l’Angleterre (Anglia regnorum regina…, v. 326-366) et à la Normandie (Neustria sub clypeo…, v. 368-430) sont de splendides morceaux de bravoure, les premiers de la Poetria nova – à telle enseigne qu’elles circulent de façon indépendante dans certains manuscrits23. Symétriques l’une de l’autre, elles évoquent tour à tour la gloire de l’Angleterre sous le règne de Richard Cœur de Lion, et le deuil de la Normandie après sa mort prématurée. De l’éloge du souverain à l’opprobre jeté sur ses assassins, elles remplissent avec la plus grande virtuosité les deux fonctions traditionnellement assignées à l’éloquence épidictique, laus vel vituperatio. Mais une lecture attentive permet d’y déchiffrer une signification moins superficielle.

Avant donc d’étudier l’agencement subtil des figures qui émaillent ces beaux textes, il faut insister sur le fait que, pour la première fois depuis la dédicace à Innocent III, la Poetria nova situe ici son propos non sur le plan de l’universel et de l’intemporel, mais dans l’actualité historique. Cela n’est sans doute pas sans répercussion sur la réception du passage par ses lecteurs immédiats. Lorsque Geoffroy de Vinsauf compose la Poetria nova, vers 1210, le roi Richard est mort depuis dix ans. L’Angleterre souffre sous le règne calamiteux de son frère Jean sans Terre. Celui-ci s’étant par maladresse et par brutalité aliéné l’Eglise, le royaume est mis sous interdit par le pape Innocent III entre 1208 et 1214. Les conséquences de ce châtiment sont pour ceux qu’il frappe épouvantables : aucun acte sacramentel n’est possible ; c’est donc le salut d’une nation entière qui est mis en question24. Face à la damnation encourue, le règne de Richard apparaît rétrospectivement aux habitants du royaume comme une espèce d’âge d’or. On doit aussi lire à la lumière de ces événements tragiques la Poetria nova : l’ouvrage ne se conclut-il pas (v. 2071-2102) par un appel à la clémence du pape, le dédicataire du poème ?25 C’est donc bien, sous couvert d’interpeller « Anglie » et « Neustrie », aux malheureux sujets du roi Jean, ses compatriotes et premiers lecteurs, que s’adresse Geoffroy. Dans ces conditions, il est raisonnable de postuler qu’ici moins que jamais la portée des exemples n’est strictement pédagogique (fournir aux étudiants d’élégants modèles d’écriture) ; qu’ils assument en outre une fonction morale et spirituelle. C’est pourquoi il convient de peser avec un soin particulier les effets de la rhétorique de l’amplificatio, destinée, comme on l’a vu, à faire apparaître le sujet sous un jour nouveau et original.

Voici donc tout d’abord l’apostrophe à l’Angleterre :

Anglia, regnorum regina, superstite rege

Ricardo, cujus laus est diffusio tanti

Nominis et mundi, cui monarchia relicta

Est soli, secura fides sub regmine tanto.

330 Rex tuus est speculum, quo te speculata superbis ;

Sidus, de cujus rutilas splendore ; columna,

Per quam fulta viges ; fulmen, quod mittis in hostes ;

Laus, qua paene deum pertingis culmina. Sed quid

Singula ? Non illo potuit fecisse priorem

335 Nec voluit Natura parem. – Sed viribus absit

Prorsus habere fidem : mors est quae fortia frangit.

Ominibus ne crede tuis ; si tempore parvo

Illuxere tibi, mox sunt clausura serenum

Nubila fata diem, ducentque crepuscula noctem.

340 Jam cito rumpetur speculum, speculatio cujus

Gloria tanta tibi ; sidus patietur eclipsim,

A quo fulges ; nutabit rupta columna,

Unde trahis vires ; cessabit fulminis ictus,

Unde tremunt hostes ; et eris de principe serva.

345 Omnia laeta vale tibi sunt dictura. Quiescis,

Sudabis ; rides, flebis ; ditescis, egebis ;

Flores, marcebis ; est, vix eris. – Attamen istud

Unde scies ? Quid ages ? Volucrum rimaberis aure

Murmura ? Vel motus oculo ? Vel Apolline fata ?

350 Tolle mathematicos ! Est augur surdus, aruspex

Caecus et ariolus amens. Praesentia scire

Fas homini, solique Deo praescire futura.

Non habet hic patriam ; vetus ille repatriet error

Et pater erroris gentilis nutriat illum

355 Quem genuit, quia sana fides a lumine tollit

Ecclesiae tripodes Phoebi soliumque Sibillae.

Hoc unum praescire potes quia nulla potestas

Esse morosa potest, quia res fortuna secundas

Imperat esse breves. Si vis exempla, priores

360 Respice fortunas. Emarcuit illa priorum

Florida prosperitas : Minos subvertit Athenas,

Ylion Atrides, magnae Cartaginis arces

Scipio, sed Romam multi. Fuit alea fati

Tempore versa brevi. Brevis est distantia laeti

365 Ominis et maesti ; nox est vicina diei.

Haec aliena docent, sed te tua fata docebunt.

« Anglie, ô reine des royaumes, tant que Richard ton roi est en vie – ta gloire est de proclamer partout ce grand nom, à toi seule est abandonné le soin de régner sur le monde –, confiante et sûre sous un tel pouvoir. Ton roi est le miroir où tu te mires avec orgueil, l’astre dont l’éclat te fait resplendir, la colonne dont l’appui constitue ta force, la foudre que tu lances sur les ennemis, l’honneur qui t’avoisine à l’empyrée des dieux. Mais à quoi bon cette énumération ? Nature ne put en façonner de meilleur ni ne voulut fabriquer son égal.

Mais aux dieux ne plaise que tu aies aveugle confiance en tes forces. La mort écrase les puissances. N’ajoute pas foi aux présages qui te comblent. Si, pour un bref instant, ils t’ont nimbée de leur lumière, les nuées du destin offusqueront bientôt le jour et sa limpidité ; les crépuscules amèneront la nuit. Tôt se brisera le miroir, dont le reflet te vaut si grande gloire ; l’astre dont tu reçois l’éclat s’éclipsera ; la colonne qui fait ta force, brisée, chancellera ; l’éclair de la foudre devant quoi tremblent les ennemis s’éteindra ; et de reine du monde tu deviendras esclave. Toutes prospérités vont te dire adieu. Tu connais le calme, tu peineras ; tu es en joie, tu pleureras ; tu vis dans l’opulence, tu souffriras la pauvreté ; tu fleuris, tu te faneras ; tu es, à peine seras-tu.

Mais comment connaître cela ? Que vas-tu faire ? guetter en tendant l’oreille le murmure des oiseaux ? leur vol de ton regard ? les destins avec l’aide d’Apollon ? Au diable les devins ! l’augure est sourd, l’haruspice aveugle et fou le sorcier ! Il est licite à l’homme de savoir le présent, à Dieu seul de prévoir l’avenir. Lui n’a pas de patrie – que le vieux mensonge regagne la sienne et que le païen, père du mensonge, nourrisse celui qu’il a engendré, car de l’Eglise la vraie foi a écarté du monde le trépied de Phébus, le trône de Sibylle. Il est une chose, une seule, que tu peux savoir à l’avance : nulle puissance n’est durable, la Fortune commande au bonheur d’être bref. En veux-tu des exemples ? Jette les yeux sur les destins passés. La prospérité en fleur des anciens s’est fanée : Minos détruit Athènes, le fils d’Atrée Ilion, Scipion les citadelles de l’illustre Carthage, tant d’hommes Rome. En un instant le cours de la partie de dés jouée par le destin s’est inversé. Courte est la distance qui mène du signe de bonheur à celui de malheur ; la nuit est voisine du jour. Voilà ce qu’enseigne la destinée d’autrui – la tienne te l’enseignera. »

(Poetria nova, 326-366)

Avant de rendre compte du propos de Geoffroy, dressons l’inventaire rapide, et sans doute partiel, des figures qui le soutiennent :

– v. 326-329 : polyptote regnorum – regina – rege – regmine (renforcé par l’emploi du synonyme monarchia).

– v. 330-334 : quintuple synonymie (interpretatio), appuyée sur un parallélisme de construction (articulus) et sur un jeu de variations syntaxiques (les cinq relatifs sont à des cas différents) et métriques (quatre des cinq noms sont à des places différentes dans le vers). Le mouvement se conclut par l’abscisio (réticence), soulignée par le rejet : quid / Singula ?

– v. 334-335 : conclusion en forme de disjonction (disiunctio).

– v. 336 : une sententia, soulignée par l’allitération fortia frangit, relance le discours.

– v. 340-344 : reprise (iteratio) des termes énumérés aux vers 330-334. La conclusion prend ici la forme de l’antithèse (de principe serva).

– v. 345-347 : nouvelles antithèses (contentiones) fortement marquées par l’asyndète.

– v. 348-349 : interrogations oratoires (interrogationes).

– v. 350 : exclamation oratoire (exclamatio).

– v. 351-352 : chiasme.

– v. 353-354 : figure dérivative (variante de l’annominatio) pater-patria-repatriet.

– v. 360-363 : exempla.

– v. 364-365 : sententiae.

Ces quelque quarante vers sont donc le lieu d’un feu d’artifice verbal vraiment étincelant. Mais pas seulement : s’il était indispensable d’écouler la petite monnaie de ces figures de rhétorique si artistiquement agencées, c’est qu’en poésie – la Poetria nova nous l’a appris dès ses premiers vers –, l’expression manifeste le sens, la forme révèle la matière. Quel est donc le sujet, la res, que l’usage des mots entend ici mettre en relief ?

L’idée qu’il met au jour paraît à première vue assez élémentaire : le texte n’est qu’une vaste expansion de la formule funéraire Hodie mihi cras tibi, soit : ta prospérité présente est grosse de tes désastres futurs ; ou encore de l’image de la roue de Fortune, qui prend une place envahissante dans la poésie de la fin du XIIe siècle. Rien n’est stable en ce monde, surtout pas les royaumes : l’insistance, dès l’attaque, sur l’emploi de mots de la famille de rex rappelle la célèbre miniature qui orne le premier folio du manuscrit des Carmina Burana ; on y voit quatre figures de rois qui, suivant le pourtour de la roue de Fortune, parcourent les étapes successives (regnabo – regno – regnavi – sum sine regno) de leur carrière terrestre26. Cette idée se traduit, dans les mots de notre texte, par le jeu du contraste entre les temps grammaticaux, présent et futur, par l’emploi massif de figures, énumérées ci-dessus, faisant appel à l’antithèse et aux oppositions binaires, par le choix des exempla historiques qui concluent le développement – nous y retrouvons fugitivement Minos, dont l’histoire, on l’a vu, symbolise les aléas de la destinée humaine.

Cela est au fond fort banal – bien qu’entrant sans doute en résonance particulière avec l’expérience de leur abandon par Dieu alors faite par les Anglais qui, du fait de l’interdit, voient tragiquement se confirmer la prophétie ex eventu de Geoffroy. Nous aimerions cependant suggérer qu’au-delà du propos moralisateur et désabusé, l’entrecroisement de cette chaîne rhétorique et de cette trame idéologique ne tend à rien de moins qu’à définir le lieu de la nouvelle poésie.

Nous nous référons ici aux vers 353 à 356 (les seuls du passage où les figures se font discrètes), d’interprétation assez difficile puisqu’ils semblent largement dépourvus de pertinence par rapport au thème historique du poème : ils font allusion à la nouvelle Loi (comme il y a une poétique « nouvelle »), dictée par la vraie foi en vue de combattre la croyance fallacieuse des anciens en la possibilité de prévoir l’avenir. Là encore, il faut être extrêmement attentif aux mots et aux formules qui expriment l’idée. Si l’expression tripodes Phoebi, « le trépied de Phébus » (v. 356), vient de Lucain (5, 152), solium Sibillae, « le trône de Sibylle » (ibid.), est assurément à référer au chant 6 de l’Enéide, où le nom de la devineresse qui ouvre à Enée l’accès aux enfers revient dix fois, toujours à la clausule. Or, ce chant de l’épopée virgilienne apparaît aux exégètes du XIIe siècle, tel Bernard Silvestre, comme le sommet de la poésie païenne, un chef d’œuvre de profondeur herméneutique : au terme de son parcours dans l’autre monde, le héros, symbole de l’humanité, se voit révéler par son père (cf. ici pater, v. 354) Anchise le futur glorieux de la patrie (patria, v. 353) qu’il va fonder, c’est-à-dire le secret de la destinée humaine. Il semble bien qu’avec les illusions de la divination, ce soit ici la tradition virgilienne que Geoffroy de Vinsauf congédie. A une représentation sûre et prévisible du devenir de l’homme, il faut dès lors substituer la Loi d’un Dieu sans lieu ni origine (Non habet hic patriam). De même, la nouvelle poésie, une fois la vieille cantonnée dans son réduit étroit (vetus ille repatriet error), doit se décider à rompre ses attaches, à s’exiler de sa patrie natale – la Rome de Virgile, d’Ovide et de Lucain – pour s’établir dans l’espace d’une itinérance aux fins indiscernables.

Un tel exil, une telle pérégrination, ne vont pas sans arrachement infiniment douloureux. Cette expérience cruciale de la négativité est métaphorisée, nous semble-t-il, par l’apostrophe à la Neustrie, le planctus sur la mort de Richard (v. 368-430). Celui-ci s’ouvre sur l’expression emphatique du deuil :

Neustria, sub clypeo regis defensa Ricardi,

Indefensa modo, planctu testare dolorem ;

370 Exudent oculi lacrimas ; exterminet ora

Pallor ; connodet digitos tortura ; cruentet

Interiora dolor ; et verberet aethera clamor.

Tota peris in morte sua ; mors non fuit ejus,

Sed tua. Non una, sed publica mortis origo.

« O Neustrie, toi que défendait le bouclier du roi Richard, aujourd’hui sans défense, manifeste en un thrène ton deuil. Que les yeux s’inondent de pleurs, la pâleur détruise les traits du visage, la souffrance noue entre elles les mains, le deuil ensanglante les entrailles, les clameurs flagellent les cieux. En sa mort tu meurs toute entière ; ce n’est pas sa mort, mais la tienne. De là naît la mort non d’un seul, mais d’un peuple entier ».

(Poetria nova, 368-374)

Publica mortis origo : la reprise, légèrement modifiée, d’une célèbre formule virgilienne (Aen. 2, 369 : plurima mortis imago) fait sans doute allusion à la succession de Richard, et aux conséquences catastrophiques de celle-ci. Le poème va en effet décrire un monde d’où Dieu s’est absenté. C’est du moins ainsi que nous comprenons les apostrophes successives qui, en une gradation ascendante, en constituent la trame. L’auteur va en effet maudire l’un après l’autre les fauteurs de la mort du roi.

– Le jour de cette mort, en premier lieu, Veneris lacrimosa dies (v. 375-379). Il n’est bien sûr pas indifférent que Richard ait été tué un vendredi27. Le voici d’emblée assimilé à une figure christique, ou plutôt à la figure du Christ mort. Peut-être faut-il aussi faire un sort au jeu paronomastique sur les mots Venus et venenum (v. 376) : « ce [jour de] Vénus fut un venin ». L’assimilation, au demeurant assez fréquente au moyen âge, de Vénus à Eve, toutes deux séduisantes et infâmes, qui se lirait ici en filigrane confirmerait que c’est bien au poids du péché que Richard a succombé.

– C’est ensuite l’assassin que Geoffroy poursuit de ses invectives (v.380-385). On en retiendra la répétition perfide miles / Perfidiae miles, « soldat perfide, soldat de perfidie » (382-383), soulignée par le rejet. On sait que la perfidia est l’attribut traditionnel des Juifs déicides.

– Notre auteur s’en prend en troisième lieu à la Mort elle-même (v. 386-396). « Plût au ciel, ô mort, que tu fusses morte » (Esses utinam, mors, mortua, 387). Vœu exaucé par la liturgie de Pâques, qui proclame triomphalement : « en mourant, le Christ a vaincu la mort ! » Mais nous n’en sommes ici encore qu’au Vendredi Saint, comme le suggère Geoffroy de façon quasi-explicite :

« … Placuit tibi tollere solem

Et tenebris damnare diem…

« Il t’a plu [sc. à la Mort] d’éteindre le soleil et de condamner le jour aux ténèbres… »

(Poetria nova, 388-389)

… Au moment où Jésus meurt en croix, « les ténèbres se firent » (Mt 27, 45) et « le soleil s’obscurcit » (Lc 23, 45).

– L’apostrophe suivante, qui vise la nature (v. 397-411) est sans doute à comprendre en relation avec l’Anticlaudianus d’Alain de Lille. Cette épopée allégorique de la fin du XIIe siècle, relate, on le sait sans doute, la fabrication par Natura d’un homo novus destiné à racheter le monde de sa corruption – une figure du Christ, donc, même si l’on peut aussi interpréter le personnage de diverses autres façons28. De la même manière, ici :

Quicquid erat tecum vel mirum vel pretiosum

Huic erat impensum ; thesauri deliciarum

Hic sunt exhausti.

« Tout ce que tu possédais de merveilleux et de précieux a été pour lui [sc. pour Richard] dépensé, des trésors de délices en lui ont été épuisés ».

(Poetria nova 406-408)

Mais au rebours de ce que faisait l’héroïne d’Alain de Lille, Nature, en tolérant la mort du roi, a brisé l’œuvre de ses propres mains, et s’est en quelque sorte dénaturée :

Ditissima facta fuisti

Ex hac factura ; fieri pauperrima sentis

410 Ex hac iactura.

« Le façonnant, tu t’es comblée des plus hautes richesses ; l’abandonnant, tu te vois ravalée au plus creux de la pauvreté ».

(Poetria nova 408-410)

Faut-il en déduire que le genre de l’épopée allégorique, élaboré pour rajeunir et christianiser la poétique virgilienne, est lui aussi, littérairement, une impasse ?29

– La gradation culmine enfin avec un cri jeté à la face de Dieu – blasphématoire, malgré le si fas est qui l’introduit. En détruisant Richard, ou en tolérant sa destruction, le meilleur des êtres (optima rerum, 412) a en effet « dégénéré » (degeneras, 413 – le mot, renvoyant à cet infanticide qu’est aussi le sacrifice du Fils, est bien difficile à traduire). Résonne dans ces vers l’exclamation la plus pathétique qui, pour un chrétien, ait jamais retenti dans le ciel :

« Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

On atteint ici le point extrême de la négativité. La poésie noire et désespérée qui jaillit de cette source est une poésie pour temps d’interdit.

La grandeur du crime de Dieu vient de ce qu’il a abattu, en Richard, un éminent défenseur de la foi… et du même coup frappé de vanité une certaine poésie, ou plutôt la poésie même, sous la forme de son genre le plus noble, l’épopée, le récit des exploits glorieux d’un héros pieux et conquérant. Et Geoffroy d’évoquer avec nostalgie les triomphes guerriers du roi, désormais inutiles :

Si recolis, pro rege facit Jope tua, quam tot

415 Milibus oppositus solus defendit, et Achon,

Quam virtute sua tibi reddidit, et crucis hostes,

Quos omnes vivus sic terruit, ut timeatur

Mortuus.

« Souviens-t’en, plaident30 en faveur du roi ta ville de Jaffa, qu’il défendit tout seul face à tant de myriades, et Acre, que sa vaillance t’a rendue, et les ennemis de la croix, qu’il a tant terrifiés de son vivant que, mort, il en est craint… »

(Poetria nova, 414-418)

Faut-il donc, dans ce monde soumis aux caprices énigmatiques de l’omnipotence divine, faire son deuil de toute entreprise, notamment poétique ?

Non. Car après les ténèbres du Samedi Saint, le jour où Dieu s’est absenté du monde, vient Pâques – et la restauration de toutes choses dans une nouveauté virginale31. Le symbole paradoxal de cette renaissance, c’est la croix. La croix, à laquelle faisait allusion l’évocation des victoires de Richard Cœur de Lion en Terre Sainte, que l’on vient de lire ; la croix, dont les propos rapportés illustrent de façon superbe la figure de prosopopée.

2.2. Nous voici donc parvenus au dernier des procédés de l’amplificatio. L’exemple est introduit, fort brièvement, par une définition qui tient en un vers :

Prosopopeia, veni. Cui nulla potentia fandi,

Da licite fari.

« Viens, ô prosopopée. Et ce qui n’a pas le don de la parole, autorise-le à parler ».

(Poetria nova, 462-463)

– on aura noté au passage que, suivant le jeu réflexif auquel il se plaît tant, Geoffroy personnifie la personnification – et par l’allusion à deux modèles classiques de prosopopée (la terre calcinée par Phaéton, Rome en proie à la guerre civile, dont on a déjà parlé), tous deux extraits de récits de mort et de destruction. Par contraste, il s’agira ici encore de dépasser la poésie classique en la renouvelant (si placet exempli novitas, 467). Et notre auteur d’enchaîner aussitôt sur la prosopopée de la croix du Christ :

Crux ego rapta queror, vi rapta manuque canina

470 Et tactu polluta canum. Sum rapta pudenter

A veteri, nec adhuc extorta, nec ense redempta.

Dic, homo, nonne tibi crevi ? tibi fructificavi ?

Nonne tuli dulcem tibi fructum, nonne salutem ?

Dic, homo, dic mihi, dic, homo perdite, quem reparavi,

475 Sicne rapi merui, sine vindice ? sicne perire ?

Me tibi posse rapi non vis effecerat hostis,

Immo tuum vitium. Quia tot tua crimina vidi,

Rapta rapi volui : puduit minus in peregrinis

Quam castris sordere meis. An sordidus esses

480 Si mundum latuit, te, qui videt omnia, vidit.

Esse tuum plene Deus intus et in cute novit

Meque tibi rapuit. Juris poscente rigore

Infligenda foret gravis ultio, mors sine fine.

Sed veni, miserator ait, miseris misereri,

485 Non de judicio contendere. Parcere veni,

Non punire. Cave ! Respice ! Revertere tandem,

Ne pereas, Sunamitis ! Ego, si verteris, ad te

Vertar et instanter ad corda reversa revertar.

Surge cito, propera, te citat et excitat hora.

490 Quid dormis ? Vigila ! Si te crux sancta redemit,

Ense crucem redimas ; et fias inde redemptor

Unde redemptus eras. Quis sanus ad utile torpet ?

In cruce sudavit dominus : servusne quiescit ?

Tolle tuam ! Tulit ipse suam. Gustavit acetum :

495 Fac et idem ! Num major erit reverentia servi

Quam domini ? Si vis suus esse secutor, oportet

Tormentis tormenta sequi. Non itur ad astra

Deliciis ; ideo mortem, quam solvere debes

Naturae, persolve Deo : moriaris in illo ;

500 Quandoquidem mortem non est vitare necesse,

Transeat in formam virtutis : sim tibi causa

Martis, adhuc etiam mortis. Si vinceris, ex hoc

Vincis. Sed vinci plus est quam vincere : victor

Sola spe, victus fruitur mercede coronae.

505 Rumpe moras igitur ; impone silentia carni ;

Delicias suspende tuas ; et currat ad arma

Prompta manus, plangatque moras alata voluntas.

« Moi, la Croix, je gémis d’avoir été volée, enlevée par la force et par la main des chiens et à leur contact infectée. On m’a enlevée – ô vergogne ! – il y a longtemps, et point encore délivrée ni rachetée à coups d’épée. Homme, dis-moi : n’est-ce pas sur toi que je me dressai ? pour toi que je portai des fruits ? Ne t’ai-je point offert un doux fruit ? le salut ? O dis, homme, dis-moi, dis-moi, homme déchu, toi que j’ai restauré, ai-je ainsi mérité d’être enlevée sans qu’on me venge ? d’être ainsi perdue ? Or, si j’ai pu t’être enlevée, ce ne fut pas l’effet de la force des ennemis, bien plutôt de ton vice. Car voyant tous tes crimes, j’ai, par emportement, souhaité de me voir emportée : il y avait moins de vergogne à subir la souillure chez les étrangers que dans ma demeure. Que tu fusses souillé, si le monde n’en a rien su, Celui qui voit tout, Lui, l’a vu. Dieu sait à fond ton être et connaît ton cœur et tes reins. C’est Lui qui m’a enlevée à toi.

La rigueur du droit le réclame : il faudrait t’infliger une terrible punition, la mort éternelle. Mais je suis venu, dit le miséricordieux, faire miséricorde aux miséreux, non soutenir en un procès l’accusation ; je suis venu pour pardonner, non punir. Prends garde ! Jette en arrière les yeux ! Retourne-toi enfin, pour ne pas périr, Sulamite ! Moi, si tu te retournes, je me tournerai vers toi et aussitôt je reviendrai vers le cœur qui m’est revenu. Lève-toi tôt matin, hâte-toi, le moment t’y invite et t’y excite. Pourquoi dors-tu ? il faut veiller ! Si la croix sainte t’a racheté, rachète-la à coups d’épée – et fais-toi ainsi rédempteur de ce qui t’avait rédimé. L’homme sensé reste-t-il assoupi ? Prends ta croix, il a pris la sienne ; il a bu le vinaigre, tu dois en faire autant. La crainte éprouvée par l’esclave l’emporterait-elle sur celle du maître ? Si tu veux marcher sur ses pas, il faut que tes tourments emboîtent le pas à ses tourments. On ne se rend pas au ciel dans les délices ; aussi la mort, dette qu’à la nature il te faut acquitter, acquitte-la complètement à Dieu : meurs en lui. Puisqu’il n’est pas d’échappatoire à affronter la mort, fais-en le moyen de montrer ta valeur : puissé-je être pour toi occasion de combat, et même encore de trépas. Si tu es vaincu, tu en tires victoire. Plus grande chose est d’être vaincu que de vaincre : vainqueur, tu jouis de l’espérance seule, vaincu, des lauriers de la récompense. Cesse donc de t’attarder, impose à ta chair le silence, laisse là tes plaisirs, et que coure s’armer ton bras ardent ; que ta volonté, portée sur des ailes, déplore tout délai ! »

(Poetria nova, 469-507)

Ce magnifique appel à la Croisade mériterait lui aussi d’être commenté pas à pas. Pour faire bref, nous n’insisterons pas trop cette fois-ci sur l’usage des « figures de mots », qui nous semblent parler d’elles-mêmes, pour concentrer d’abord notre attention sur les allusions intertextuelles qui parsèment le texte.

Ainsi, la référence aux « chiens » (v. 470), en relation avec la croix, appelle à la mémoire le verset 17 du psaume 21 (circumdederunt me canes) que la liturgie de la Passion met dans la bouche du Christ crucifié32. On se trouve donc toujours dans l’ambiance tragique de Vendredi Saint qui baignait le passage ci-dessus analysé. Car le Christ sans cesse est recrucifié par la méchanceté des hommes, son agonie se rejoue chaque jour. On en trouve une image forte dans l’énoncé du premier des nombreux paradoxes qui émaillent le texte, lorsque la croix se qualifie elle-même de nec… redempta (v. 471). Ainsi, l’instrument de la Rédemption doit-il être à son tour rédimé : ce sera l’effet de l’opération spirituelle décrite dans la seconde partie du texte (v. 490-492)33. Les interrogations oratoires, apostrophes et anaphores qui suivent (v. 472-482), si elles sont bien propres à susciter l’émotion, soutiennent une pensée moins dense. On fera cependant un sort à la reprise quasi-littérale, au vers 481, d’un hémistiche du poète Perse, qui écrit : Ego te intus et in cute novi (3, 30), dans un contexte assez voisin de celui ici mis en scène – à savoir : l’opposition entre la face digne qu’un homme présente au monde et la souillure de son cœur. Mais il est intéressant de constater que le « je » (ego) du poète païen se voit ici objectivé au profit de Deus. La parole poétique (le savoir – novit – qu’elle profère) ne serait-elle donc autre que celle de Dieu ?

C’est bien ce que manifeste, à partir du v. 484, la seconde partie du texte, riche en citations et allusions scripturaires. Est d’abord convoqué Jérémie (miseris misereri, 484 : cf. Jer. 31, 20 ; iudicio contendere : cf. Jer. 2, 35), le prophète de la consolation et de la miséricorde. Viennent ensuite deux citations du Cantique des Cantiques : Revertere,… Sunamitis \ (485-486 et Ct 6, 12), Surge… propera (489 et Ct 2, 10). La Sulamite incarne l’âme humaine pour l’exégèse médiévale34. Loin d’être de purs ornements, ces références dénotent donc un puissant appel à la conversion – souligné par l’emploi de cinq formes des verbes verto et reverto, aux v. 487-489 – et à l’itinérance spirituelle à quoi invitait déjà le poème Anglia regnorum regina. On rappellera à ce propos que le plus illustre des commentateurs médiévaux du Cantique, Bernard de Clairvaux, fut aussi l’avocat passionné de la croisade pénitentielle. C’est au prix de cet éveil à soi-même que l’homme, de racheté, pourra se faire rédempteur : les vers 490-492, où des mots de la famille de redimere reviennent à quatre reprises, résolvent ainsi le paradoxe énoncé au v. 471. L’homo novus des épîtres pauliniennes est en droit appelé à s’identifier à Celui dont il est l’image. Mais il lui aura fallu traverser ce que nous avons appelé l’« expérience de la négativité » : le v. 493 – In cruce sudavit dominus : servusne quiescit ? – reprend terme pour terme, mais en en inversant la succession chronologique, les vers 345-346 de l’apostrophe à l’Angleterre – quiescis, / Sudabis. Outre qu’elle prouve de façon irréfutable que les deux exemples doivent être lus, comme nous les lisons, l’un par rapport à l’autre, cette reprise montre que, dans le monde racheté par la grâce, la souffrance est la condition du repos, tandis que, dans les royaumes transitoires, le repos était présage de souffrances futures. De même, l’évocation, aux vers 494-495, d’épisodes précis de la Passion, renvoyant cette fois au poème Neustria sub clypeo, justifie la nécessité de boire la coupe d’amertume.

On peut à bon droit se demander ce que ces discours pieux ont à voir avec la poétique, et la poésie. La réponse à cette question est donnée par la fin du vers 497, qui reproduit une clausule virgilienne des plus célèbres. En Aen. 9, 641, Apollon, le dieu prophétique – dont les talents divinatoires ont été récusés par Geoffroy au v. 356 de la Poetria nova –, annonce, à l’occasion de la première grande victoire militaire du jeune Ascagne, les triomphes futurs de sa race : Sic itur ad astra. Sic est une des façons que l’on a en latin de dire « oui ». Geoffroy écrit : Non itur ad astra, prenant ainsi à contrepied le projet virgilien. Quel était ce projet ? Fonder en poésie les bases d’une gloire toute mondaine, assise sur la domination paisible des peuples et de l’univers. Ce qu’établissent les derniers vers de la prosopopée de la croix, c’est que la gloire authentique est paradoxale, qu’elle naît d’une défaite absolue. La fin de l’exemple joue sur des figures oxymoriques organisées autour de la racine du verbe vincere (v. 502-504 : vinceris… vincis… vinci… vincere… victor… victus…). On est ici au cœur des paradoxes pauliniens : absorpta est mors in victoria (I Cor 15, 54). A l’exemple de celle du Christ, notre mort, défaite suprême, est vraie vie et glorieuse victoire, puisqu’elle nous intègre, nous qui étions corruptibles et mortels, au monde de l’incorruption et de l’immortalité (I Cor 15, 53)… et nos immutabimur (I Cor 15, 52).

On se trouve là, selon nous, au centre même du projet et de la Poetria nova, de la mutation qu’elle programme. A savoir : remettre sur ses pieds la poésie païenne, dans son expression la plus haute (l’Enéide), alors qu’elle marchait sur la tête – soit dit pour reprendre, cum grano salis, la célèbre formule de Marx à propos de la philosophie de Hegel. On avait déjà compris que la poésie se voyait confier mission par Geoffroy de substituer aux apparences transitoires les réalités archétypes. L’entreprise ici se précise et s’éclaire à la lumière de l’histoire du Salut. Si la poésie a valeur éthique, c’est qu’elle amène à réfléchir sur la place étrange de l’homme, entre péché et gloire, dans un univers qu’il habite en passager fugace, exilé d’une autre patrie. Et, dans ces conditions, l’expression même fait sens. Car les interactions amoureuses ou belliqueuses entre les mots incarnent les tensions inhérentes à cette condition ambiguë. Ainsi, le Christ, Dieu homme, vaincu triomphal, est-il oxymore. Les figures, loin d’être des fioritures élégantes et superflues, centrent exactement la vérité du discours poétique. On ne tardera point à y revenir.

L’abréviation

Il nous faut cependant d’abord redescendre un instant des hauteurs spirituelles où nous a élevé l’étude des techniques de l’amplificatio. Aussitôt achevée la prosopopée de la croix, qui est un des sommets du poème, Geoffroy enchaîne en effet de la sorte :

Ancillatur item decor alter prosopopeiae,

Ut si jam tritum dicat mensale : « Solebam

510 Esse decus mensae dum primula floruit aetas,

Dum faciem gessi sine crimine. Sed, quia longi

Temporis et fracti sum vultus, nolo venire.

Mensa, recedo, vale. » Gemino sic fungitur ore,

Cum loquitur rigide, tum prosopopeia jocose.

« La prosopopée a encore une seconde servante pleine d’élégance. Voir par exemple ces mots d’une nappe souillée : « on me disait la gloire de la table, au temps de ma jeunesse en fleur, au temps où j’arborais un visage sans tache. Mais puisque j’ai vieilli et que je suis défigurée, je ne veux plus venir. Adieu, ô table, je m’en vais ». Ainsi la prosopopée a deux visages, tantôt sévère, tantôt joyeux ».

(Poetria nova, 508-514)

Le télescopage entre les deux exemples est plutôt violent. N’y a-t-il pas quelque intention sacrilège à rapprocher ainsi de la croix du Christ captive des infidèles un linge de table maculé de graisse et de vin ? De la même façon, Geoffroy faisait suivre les apostrophes à l’Angleterre et à la Normandie d’exemples, assez peu réussis il est vrai, d’apostrophes ironiques (v. 431-454). C’est en réalité, croyons-nous, que son projet pédagogique vise l’exhaustivité. Or, la poésie latine de la fin du XIIe et du début du XIIIe siècle, dans ce qu’elle peut avoir d’innovateur, suit deux grandes tendances : d’un côté, avec Alain de Lille ou Jean de Hanville, par exemple, elle se donne mission philosophique de dévoiler les arcanes du monde ; de l’autre, avec les goliards, elle se plaît à des jeux fondés avant toutes choses sur la parodie, qui tourne en dérision l’ambition des grands genres35 : la célèbre complainte du cygne rôtissant à la broche, Olim lacus colueram (CB 130) offre ainsi un bon exemple de prosopopée grotesque.

Ce qui peut dans une certaine mesure choquer notre rationalité, c’est que Geoffroy ne paraît pas marquer de préférence explicite en faveur de l’une ou l’autre de ces deux tendances, qu’il accueille d’un visage égal la musa rigida et la musa iocosa. En réalité, les parts respectives, en nombre de vers, qu’il leur accorde, suffisent à manifester sa prédilection silencieuse. C’est ainsi qu’il accorde exactement dix fois moins de place (47 vers contre 470) à l’abreviatio qu’à l’amplificatio. Car si cette dernière, dans la grande majorité de ses emplois, est mise au service d’une expression sérieuse, voire tragique, l’autre en revanche est pour notre auteur associée à la pratique de la comédie.

On peut se demander pour quelle raison : ni la tradition rhétorique, ni l’Art poétique d’Horace et ses commentaires médiévaux ne tendent particulièrement à associer la brièveté au comique et au rire. Peut-être ce point de vue est-il à mettre en relation avec la renaissance, au XIIe siècle, d’une poésie épigrammatique et satirique, dont l’efficacité est fondée sur l’ellipse et l’effet de surprise36. Une autre hypothèse vraisemblable consisterait à mettre en cause l’influence de certains genres poétiques en langue vulgaire, comme le lai et surtout le fabliau, qui, dans leurs prologues, revendiquent de façon quasi-rituelle pour eux-mêmes la brièveté37. Geoffroy signale en effet que les techniques de l’abréviation sont particulièrement bien adaptées au régime narratif (Narratio facti / Eligit hanc formam verbi, 708-709) – alors que celles de l’amplificatio, sauf, dans une certaine mesure, la digression, soutenaient plutôt des énoncés de type descriptif ou discursif. Quoi qu’il en soit, les unes et les autres tendent au même but, donner à voir l’objet dans sa vérité essentielle, celles-ci, nous l’avons dit, en en exhibant les diverses facettes perçues sous un angle neuf et insolite, celles-là en en faisant ressortir le trait saillant, à la manière d’un caricaturiste.

Les procédés de l’abréviation sont au nombre de sept – ce chiffre impair, boiteux, connote-t-il une certaine imperfection ? Ce qui est sûr, c’est que Geoffroy, beaucoup plus attentif à ceux de l’amplificatio, les énumère avec désinvolture en neuf vers seulement (698-706), sans se soucier le moins du monde de les ordonner. Il s’agit de l’emphasis, l’allusion, qui dit moins pour signifier plus, de l’articulus, qui correspond à peu près à ce que nous nommons aujourd’hui zeugma, de l’ablatif absolu, du refus des répétitions, de l’ellipse ou sous-entendu, de l’asyndète et de la complexité syntaxique. Ils relèvent donc indifféremment de la rhétorique et de la grammaire38.

Notre auteur va soumettre à leur usage la plus connue, sans doute, des histoires drôles du moyen âge, celle de « l’enfant de neige ». Attestée dès le XIe siècle sous forme de chanson à rire – l’une des plus anciennes que nous ayons conservées –, elle prend tour à tour celle de l’épigramme latine, de la « comédie élégiaque » (De mercatore) et, en français, du fabliau39. Voici le traitement que lui réserve Geoffroy :

Rebus in augendis longe distante marito,

Uxor moecha parit puerum. Post multa reverso

720 De nive conceptum fingit. Fraus mutua. Caute

Sustinet. Asportat, vendit matrique reportans

Ridiculum simile liquefactum sole refingit.

« Un mari part au loin pour accroître son patrimoine. Son épouse adultère enfante. Quand il revient, longtemps après, elle prétend avoir été fécondée par la neige. Tromperie pour tromperie, il encaisse, non sans arrière-pensées. Il emmène l’enfant, le vend et rendant à la mère la monnaie de sa farce, il prétend en retour que l’ardeur du soleil l’a fondu ».

(Poetria nova, 718-722)

Mais le poète ne s’en tient pas là. Il fait plus fort encore, réduisant le récit à deux vers :

De nive conceptum quem mater adultera fingit

Sponsus eum vendens liquefactum sole refingit.

« L’enfant que sa mère adultère prétend conçu avec la neige, son époux le vendant le prétend à son tour fondu au soleil ».

(Poetria nova, 738-739)

Ou, selon cette autre version :

740 Vir, quia quem peperit genitum nive femina fingit,

Vendit et a simili liquefactum sole refingit.

« Parce que sa femme prétend que l’enfant qu’elle a fait est né de la neige,

Son époux le vend et prétend à son tour qu’il a semblablement fondu au soleil ».

(Poetria nova, 740-741)

On se trouve là au bord d’une obscurité que devait compenser le caractère fort divulgué du récit. Mais à vrai dire, la drôlerie, dans de tels cas, réside plus dans le tour de force rhétorique que dans l’énoncé même de l’historiette féroce, destinée à illustrer la duplicité féminine. Aussi le moment est-il enfin venu d’aborder pour elle-même la question de l’ornement du style.

Le chapitre de la Poetria nova consacré à l’inventio s’ouvrait sur l’image de la cire, qu’il revenait à l’esprit du poète de modeler. Il se referme sur une métaphore en tous points comparable :

… fungere lege fabrili :

Ferrum materiae, decoctum pectoris igne,

Transfer ad incudem studii. Permolliat illud

730 Malleus ingenii, cujus luctatio crebra

Formet ab informi massa peridonea verba.

… pratiquez l’art du forgeron : le fer, votre sujet, une fois recuit au feu de l’esprit, placez-le sur l’enclume du travail. Laissez-le s’amollir au marteau de l’intelligence, dont les coups répétés tireront du bloc informe les contours des mots appropriés.

(Poetria nova, 727-731)

Ainsi, la matière (materia, 213) qu’il s’agissait de travailler prend, une fois façonnée, la forme de mots (verba, 731). C’est ce processus de transmutation que va décrire le long chapitre de la Poetria nova sur les figures de l’elocutio.

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1 Inv. 1, 53, 100 et 2, 49, 147.

2 Amplificatio est res quae per locum communem instigationis auditorum causa sumitur (2, 47) ; amplificatio… ad iracundiam adducit… ad misericordiam perducit (3, 24). Inv. 1, 53, 100 associe amplificationes et indignationes.

3 Amplificatio fit ex inpulsione vel ratiocinatione. Inpulsio est quae sine cogitatione per quandam affectionem animi facere aliquid hortatur, ut amor, iracundia, aegritudo, vinolentia… Ratiocinatio est diligens et considerata faciendi aliquid aut non faciendi excogitatio. Ea dicetur interfuisse (…), si amicitiae quid causa factum dicitur, si inimici ulciscendi, si metus, si gloriae… (Alcuin, rhet. et virt. 17, éd. Halm, Rhet. lat. min., p. 533 – aucun autre des textes édités par Halm ne définit le terme).

4 Friis-Jensen 1995, p. 371-374.

5 Est autem congrua rationis digressio que fit quando aliquis dimisso cursu sue orationis, utilitatis causa et ad commodum sue cause ad aliud digreditur (Friis-Jensen 1990, p. 336).

6 Cf. A. J. Minnis et A. B. Scott, Medieval Literary Theory and Criticism c. 1100 – c. 1375. The Commentary Tradition, Oxford : Clarendon, 19912, p. 2 et passim.

7 Faral 1924, p.61.

8 Cf. O. Beigdeber, Lexique des symboles, La Pierre-Qui-Vire : Zodiaque, 1969, p. 329-330 (s.v. « Nombres. Huit »). Gallo 1971 note (p. 167) que les Artes praedicandi définissent également huit modes d’amplification ; à vrai dire, la remarque vaut surtout pour le très influent traité de Richard de Thetford, De octo modis dilatandi sermonem. Le rapprochement, s’il est pertinent, nous conforte dans notre désir de soumettre la Poetria nova à une lecture « religieuse ».

9 Rhet. Her. 2, 48-49, où le ps.-Cicéron dresse une liste, non pas de dix figures, mais de dix lieux communs.

10 Le terme n’apparaît pas dans la Rhétorique à Herennius. Dans le De inv. (1, 51, 97), Cicéron critique Hermagoras, qui en fait une « partie du discours », mais la considère plutôt comme un type d’argumentation. Cf. aussi Quintilien, Inst. or. 4, 3, 11-17, qui a peut-être inspiré le commentaire Materia (Friis-Jensen 1990, p. 336-337).

11 Rhet. Her. 4, 38 : eius qui audit animum commoue(t), cum grauitas prioris dicti renouatur interpretatione uerborum.

12 « L’image », dans Nord-Sud n°13 (mars 1918). L’ensemble de ce texte fondateur de la modernité en poésie serait à citer.

13 Réussite rare chez un poète plutôt amateur d’images « brutales et fantastiques », remarque Georges Mounin (Cahiers du Sud n° 316, 1953, p. 309-312).

14 Dronke 1984 (1973), p. 21-26.

15 A partir du v. 525, la numérotation des vers, dans l’édition de Faral, est fautive. Nous suivons donc celle de Gallo.

16 Bien dire et bien aprandre 11 (1993).

17 Art. cit. supra, ch. 1 n. 25.

18 Voir l’emploi des verbes diffibulat, blanditur, lasciuit, la référence à la théorie médicale des humeurs et même l’allusion, avec l’adjectif praemortua (v. 550), à une élégie d’Ovide particulièrement épicée (Am. 3, 7, 65).

19 In hac autem digressione, [orator] quandam infer (t) orationem a causa atque a iudicatione ipsa remotam, quae (…) in aliam causam deducat, ex qua conficiat aliquid confirmationis aut reprehensionis (…), augendo per quandam amplificationem (Cic., Inv. 1, 51, 97).

20 Dante (?), ep. XIII Domino Cani Grandi de la Scala, 9.

21 Sic Phetonteos tellus experta vapores / Est conquesta Jovi ; sparsis sic Roma capillis / Caesaris instrepuit lacrimosa voce sopori : cf. Ov., Met. 2, 272-303 ; Lucan. l, 185-192.

22 Voir la rapide synthèse et la riche bibliographie fournies par J. Szövérffy, Secular latin lyrics and minor poetic forms of the middle ages, vol. 2, Concord (New Hampshire) : Classical Folia, 1993, p. 334-368 (« Medieval Satire and Invective »).

23 Faral 1924, p. 18-19.

24 Voir l’article « Interdit » du DThC, t. V, 2, col. 2280-2290. Même si cette sanction est juridiquement moins grave que l’excommunication, puisqu’elle ne prive pas de la communion de l’Eglise, les fidèles, exclus des sacrements, de la célébration des fonctions liturgiques et de la sépulture ecclésiastique, ne devaient pas la ressentir moins durement. Cette arme redoutable entre les mains des pontifes est d’autant plus efficace alors qu’elle ne s’est pas encore émoussée : c’est à partir de 1130 environ que l’usage s’en généralise ; Innocent III est celui des papes qui l’emploiera le plus systématiquement. Sur les circonstances particulières de l’interdit jeté sur l’Angleterre, voir H. Jedin, Storia della Chiesa, vol. V / 1 : Civitas Medievale (XII-XIV secolo) (trad. it.), Milan : Jaca Books, 1976, p. 208-211 (bibliographie p. 214).

25 Faral a montré que Geoffroy était en outre l’auteur d’un poème de 92 hexamètres sur l’interdit de l’Angleterre, adressé au pape dont est implorée la miséricorde (Faral 1924, p. 24-27).

26 Cette belle miniature, exactement contemporaine de la Poetria nova, orne la couverture de l’ouvrage récent de T.M.S. Lehtonen (cit. supra, ch. 1 n. 20), consacré aux avatars du thème de Fortuna dans la poésie lyrique latine des XIIe et XIIIe siècles. Rappelons d’autre part que Fortune est un personnage important de l’Anticlaudianus d’Alain de Lille, un texte dont le projet, sinon la réalisation, est assez voisin de celui de la Poetria nova.

27 Ce qui, d’ailleurs, est faux : Richard fut blessé un jeudi, le 25 mars 1199, et mourut un mardi, le 6 avril. Raison de plus pour interpréter le texte dans un sens symbolique.

28 Un état complet de la question dans J. Simpson, Sciences and the Self in Medieval Poetry. Alan of Lille’s Anticlaudianus and John Gower’s Confessio amantis, Cambridge : Cambridge UP, 1995, p. 116-129. On notera que les commentateurs médiévaux identifient volontiers l’homo novus au Christ, ce que répugne à faire la critique moderne.

29 On y reviendra plus loin, mais il nous semble que le doute qui pèse sur l’identité de la figure quelque peu ectoplasmique de l’homo novus (cf. note précédente) marque les limites de la réussite littéraire d’Alain. L’intrigue qu’il élabore est trop platonisante, pas assez incarnée.

30 Sens juridique de facere pro (d’après lat. class. facere contra). Là encore, cette poésie exhibe sa dimension rhétorique.

31 Cf. l’hymne ambrosienne pour Pâques Hic est dies verus Dei, str. 5, v. 1-2 : Mysterium mirabile / ut abluat mundi luem. Depuis Fortunat, l’hymnique pascale fait en outre grand usage de la topique printanière.

32 Lors de l’Office des ténèbres du Vendredi Saint (premier nocturne).

33 Ense crucem redimas (491) fait littéralement écho à nec ense redempta (471).

34 La bibliographie sur l’exégèse médiévale du Cantique est monumentale. Sur l’usage fait de celle-ci par la poésie, voir l’article magistral de P. Dronke, « The Song of Songs and Medieval Love-Lyric », dans W. Lourdaux et D. Verhelst (éd.) The Bible and Medieval Culture, Louvain 1979, p. 236-262 [repris dans : The Medieval Poet and His World, Rome 1984, p. 209-236].

35 Voir, par ex., les articles d’A.G. Elliott, « The Bedraggled Cupid : Ovidian Satire in Carmina Burana 105 », Traditio 37 (1981), p. 426-437 et « The Art of the inept exemplum : ovidian deception in Carmina burana 117 and 178 », Sandalion 5 (1982), p. 353-368.

36 Cf. W. Maaz, Lateinische Epigrammatik im hohen Mittelalter. Literarhistorische Untersuchungen zur Martial-Rezeption, Hildesheim – Munich – Zurich : Weidmann, 1992.

37 Influence mise en évidence par Mme Michèle Gally, dans une conférence sur « La brevitas dans la littérature narrative du moyen âge » donnée par elle en mai 1998 à l’Université de Genève.

38 Analyse détaillée de cette liste dans Gallo 1971, p. 188-195.

39 C’est le conte-type n° 1362 d’Aarne et Thompson et le motif n°J1532.1 de l’Index de Stith Thompson. Sur la fortune considérable de ce récit, voir les indications bibliographiques données par J.M. Ziolkowski dans son édition récente des Carmina Cantabrigiensia (New York – Londres : Garland, 1994), p. 211-213.