DEUXIÈME PARTIE : La fabrique du poème
L’ordre d’exposition de la Poetria nova parcourt, comme on l’a déjà dit, les étapes d’un plan fixé dès le départ. Cette organisation d’une rigueur déjà scolastique est mise en relief par des transitions souvent lourdement appuyées. On lit par exemple au début du chapitre sur la dispositio, ou ordo : « deux voies s’offrent à l’ordo : le sentier de l’ordo artificialis, la grand-route de l’ordo naturalis » (v. 87-88)1 qui seront l’un après l’autre parcourus. Puis, à propos d’amplificatio et abreviatio : « l’art (poétique), après avoir fourni des prescriptions sur les diverses façons de commencer, t’invite à aller de l’avant ; dirige plus avant et ton pas et ta course (…). Deux voies s’offrent à toi : l’une est large, l’autre étroite » (203-206)2. Ou encore, au début du développement sur les figures : « que ton discours soit bref ou long (i.e. que tu aies choisi amplificatio ou abreviato), il faut toujours le parer de couleurs » (742)3. La métaphore de la route, du chemin, souligne souvent ces points nodaux de l’exposé. L’itinéraire que nous suivrons sera quant à lui plus buissonnier. Le commentaire vers à vers, qui se devrait d’agrémenter une édition critique du texte, court le risque d’écraser ses singularités sous le poids d’informations d’intérêt inégal. C’est pourquoi nous avons fait le choix peut-être capricieux, assurément subjectif, de ne poser au texte que les questions soulevées par les écarts que manifeste la Poetria nova par rapport aux traditions pédagogiques dont elle procède et que nous avons décrites dans la première partie de cet essai. A savoir : pourquoi les conseils sur la dispositio viennent-ils en tête, et pourquoi ne concernent-ils que les façons de commencer ? quel sens conférer à la valorisation tout à fait inédite de la notion d’amplificatio ? qu’est-ce qui, de même, justifie le statut privilégié accordé à la métaphore au regard des autres figures ? pourquoi Geoffroy se borne-t-il à illustrer d’exemples l’emploi des figures de l’ornatus facilis, sans en donner les règles ? et enfin : pourquoi un manuel ad usum scolarum est-il dédié au pape ?
Nous espérons que les réponses à ces interrogations hétéroclites, et portant plutôt sur le début du poème (nous avons suivi la coutume paresseuse des commentateurs médiévaux, toujours plus ardents à gloser les premières pages du texte soumis à leur étude), concourent non seulement à définir les enjeux et les perspectives de la nouvelle poésie, mais aussi à mettre en valeur l’originalité du propos de Geoffroy de Vinsauf.
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1 Ordo bifurcat iter : tum limite nititur artis, / Tum sequitur stratam naturae.
2 Principio varium dedit ars praescripta tenorem ; / Te vocat ulterior progressus. Dirige gressum / ulterius cursumque viae (…) / Curritur in bivio : via namque vel ampla vel arta.
3 Sit brevis aut longus, se semper sermo coloret.