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Historiographie et littérature des camps de concentration

Connaissances, reconnaissances et pratiques testimoniales

Alexandre DAUGE-ROTH

Université de Lausanne et University of Michigan

Les récits des camps de concentration forment un ensemble de médiations pour le moins hétérogènes. A la fois historiques, politiques et culturels, leurs enjeux excèdent non seulement le cadre de l’analyse littéraire mais, plus essentiellement encore, le déterminent. Les représentations instituées de l’univers concentrationnaire tout comme le statut socio-historique des récits des camps, loin de constituer des données périphériques, orientent en effet pour une large part nos lectures, qu’elles soient littéraires ou non. Autobiographies, chroniques, mémoires, journaux ou vidéos, ces multiples formes de témoignage représentent en ce sens des pratiques culturelles autant que des médiations historiques. Comment appréhender dès lors ces récits que Charlotte Delbo, dans l’exergue de sa trilogie Auschwitz et après, qualifie de « véridiques » ?1 Sommes-nous en présence de documents « bruts » ou de configurations « savantes » ? Comment penser la distance qui existe entre la « réalité » dont ces récits se veulent les témoins et la place à partir de laquelle ils énoncent cette réalité, en articule la « représentation » ? Face aux impératifs de concordance et aux tris qu’implique toute « mise en intrigue »2, quelle part de l’expérience des camps résiste à la mise en discours, excède – au double sens du terme – l’intelligibilité de nos pratiques énonciatives ? Ces médiations livrentelles, pour reprendre la distinction herméneutique de Primo Levi, un « savoir » ou une « compréhension » des camps ?3 Quelles sont les finalités de ces pratiques testimoniales ? Visent-elles à communiquer l’altérité radicale des camps ou à signifier la falsification, l’arrogance, pour ne pas dire l’impossibilité, de toute compréhension de l’expérience concentrationnaire ? La raison d’être de ces récits est-elle avant tout psychanalytique, littéraire ou socio-historique ? Faut-il privilégier le caractère traumatique de ce qui fut subi et considérer ces démarches testimoniales comme des formes de reconquête de soi ? Ou faut-il plutôt, dans la mesure où la forme même de ces médiations informe notre propre représentation des camps, étudier les propriétés énonciatives et formelles de ces récits et mettre en évidence un genre qui leur serait propre ? Ou est-ce, en définitive, l’analyse des contextes successifs de production et de réception qui prime dans la compréhension de ces pratiques testimoniales dont le dessein serait alors la (re)connaissance culturelle et historique de l’obscénité concentrationnaire ? Comment trancher ?

Peut-être qu’il convient justement de ne pas trancher et de tirer parti de cette hybridité polémique, de prendre appui sur elle pour rendre éloquents les discours et les disciplines qui informent ces récits et légifèrent quant à leur statut. Cette approche adopte une conception de l’énonciation selon laquelle l’autorité et la signification des pratiques discursives leur adviennent du « dehors »4. Ainsi, « lorsqu’il est reçu dans des dispositifs de représentation très différents les uns des autres, le « même » texte n’est plus le même. Chacune de ses formes obéit à des conventions spécifiques qui découpent l’œuvre selon des lois propres […]. Identifier les effets de sens produits par ces formes matérielles est une nécessité pour qui veut comprendre, dans leur historicité, les usages et les interprétations dont un texte a été l’objet. […] la possible intelligibilité des textes dépend donc, des catégories qui désignent et assignent les discours [et] elle dépend aussi des formes qui gouvernent leur transmission »5. Reconnaître la valeur constitutive de ces formes d’extériorité interdit dès lors une analyse des récits des camps pour ou en eux-mêmes. La récurrence des passages où ces témoignages mettent en scène les aléas de leur réception constitue, ici, un indice majeur quant au rôle prépondérant que joue ce « dehors » dans la mise en discours de l’expérience. Si les témoins attirent sans cesse l’attention sur les modalités de leur énonciation, c’est bien parce que leurs récits ne vont pas sans dire et doivent, non seulement, prendre en considération, mais ébruiter « les lois définissant les conditions sociales de l’acceptabilité »6. Par ce geste qui déplace le regard de ce qui est dit sur les conditions où ce qui est dit peut l’être, les témoins rappellent que leur énonciation s’inscrit au sein d’un marché linguistique contraignant, d’un « dehors » dont ils doivent anticiper les sanctions en vue de négocier une forme d’écoute, voire de reconnaissance. Le savoir dont ces récits se veulent les dépositaires n’est ainsi pas exclusivement historique ou factuel, mais historiographique ou métanarratif7 puisque c’est la pratique testimoniale elle-même qui est interrogée et évaluée dans le rapport qu’elle entretient avec l’expérience dont elle se veut le signe.

Dans le cas des récits des camps, ce « dehors » revêt une signification toute particulière. Ces médiations, en effet, se font les témoins d’un univers et d’une expérience en porte-à-faux avec les valeurs et les paradigmes qui régissent nos représentations ou nos attentes. Les témoignages des camps sont, en quelque sorte, en dehors du « dehors » duquel ils s’adressent et auquel ils aspirent. Faire reconnaître l’altérité et l’« obscénité »8 de l’expérience concentrationnaire, rendre recevable l’irrecevable sans pour autant nier ce qui a été subi – ce qui reviendrait à renier une part de soi-même – constitue un dessein qui exige du survivant un sens aigu du « dehors ». Toute pratique testimoniale relève en ce sens d’un processus de négociation et renvoie à des conventions d’énonciation spécifiques. Il convient dès lors, à notre tour, d’envisager les effets contraignants de ce « dehors » sur notre propre position culturelle et historique, si nous voulons interroger la relation effective que nous établissons avec les récits des camps et l’univers dont ils sont l’indice.

Questionner les rapports qu’entretiennent « historiographie des camps » et « littérature des camps » demande en somme que l’on distingue trois perspectives de dialogue. Premièrement, l’histoire des récits des camps, à savoir l’historique de la production et de la réception de ces médiations relatives à l’univers concentrationnaire. Ces dernières sont alors envisagées comme des faits et des pratiques historiques parmi d’autres. Deuxièmement, la représentation des faits historiques dans les récits, autrement dit, les différentes médiations de l’histoire que propose la littérature des camps. Troisièmement, enfin, il convient d’analyser le statut réciproque des médiations littéraires et historiennes dans la mesure où ces deux formes d’énonciation – dont la fonction sociale est à la fois de connaissance et de reconnaissance, c’est-à-dire de « savoir » et de « mémoire »9 – donnent à voir la « même » réalité ou expérience concentrationnaire selon des desseins qui leur sont propres. Il convient donc d’envisager, tour à tour, la contextualisation historique des récits des camps, la textualisation de l’histoire des camps par ces récits et, enfin, les points de convergence et de divergence entre médiations littéraires et historiennes quant à la représentation des camps.

Contextualisation historique des récits des camps

Ne pouvant prétendre être exhaustif dans le cadre de cette communication, j’examinerai quelques exemples possibles de contextualisation afin de mettre en évidence l’incidence de ce geste critique sur l’analyse des récits des camps. Comme l’ont montré de façon détaillée les travaux d’Annette Wieviorka10, il est possible de discerner, en France, quatre périodes dans la représentation de la déportation et des camps. La première phase (1944 à 1948), débute avec les premiers témoignages et se termine au moment où le nombre de témoignages publiés décline. La seconde période (1948 à 1957) renvoie aux années durant lesquelles la mémoire et la représentation des camps est subordonnée aux impératifs idéologiques de la Guerre Froide. La troisième (1958 à 1978) se distingue par l’émergence progressive de la spécificité de la Shoah dont la perception s’affranchit des histoires et des représentations nationales. Le génocide des Juifs, en effet, avait été jusque-là occulté en France par une conception républicaine et laïque de la déportation qui ne reconnaissait officiellement que deux types de déporté – comme en témoignent les ordonnances de 1948 – à savoir celui de « résistant » et celui de « politique »11. Le sort des déportés juifs était ainsi officiellement assimilé en France à celui des politiques ! La dernière période, elle, va de 1978 à nos jours et se distingue des précédentes par la multiplication des affaires et des procès liés à la déportation, par l’émergence des thèses révisionnistes, par l’intérêt tardif des universitaires français pour la déportation, tout comme par la multiplication des lieux de mémoire et des témoignages, ainsi que par la création de centres d’archives vidéo comme celui du Centre de Documentation Juif Contemporain à Paris ou le Fortunoff Video Archive for Holocaust à l’Université de Yale12. Tout récit des camps s’inscrit donc dans cette évolution historique des représentations dominantes qui influence à la fois les médiations que les récits proposent, leur réception, leur statut, si ce n’est la possibilité même de leur publication. Le succès unanime que connurent ainsi, par exemple, les deux livres de David Rousset L’Univers concentrationnaire et Les jours de notre mort, publiés respectivement en 1946 et 1947 chez Minuit13, n’est certainement pas étranger au fait que sa représentation des camps recoupe pour une large part celle du parti communiste qui, par le biais des amicales d’anciens déportés, géra durant cette période la mémoire de la déportation. En privilégiant, d’un côté, la figure et l’activité de résistance des déportés communistes et, de l’autre, Buchenwald comme modèle emblématique de l’univers concentrationnaire – fonction symbolique qu’exerce aujourd’hui Auschwitz – Rousset à la fois produit et reproduit la vision dominante des camps de l’après-guerre en France. La publication du récit La Nuit d’Elie Wiesel en 1958 constitue un autre exemple14. Ce premier récit d’un déporté juif dans la collection « documents » chez Minuit n’est pas sans coïncider avec la période où débute la reconnaissance progressive de la Shoah. Mettre en évidence ces corrélations, ne revient aucunement à discréditer ou à infirmer l’authenticité des témoignages, mais à montrer que leurs représentations sont tributaires d’un « dehors », réfèrent à une extériorité constitutive qui influence autant les modalités de l’énonciation – ce qu’il est possible de dire – que celles de la réception immédiate ou postérieure – ce qu’il est possible de (re)connaître. Si je considère les récits des camps principalement comme des représentations, c’est parce que la notion de « représentation » permet « d’articuler l’étude des représentations collectives, celles des formes et des pratiques symboliques et celle du pouvoir et du politique […] de penser les luttes sociales, non pas seulement comme des luttes économiques ou politiques, mais aussi comme des luttes de représentation et de classement qui ont pour objet les critères de division et de hiérarchisation du monde social »15.

La contextualisation de ces pratiques testimoniales suppose également une étude biographique de chacun des auteurs, la trajectoire personnelle de chacun durant la déportation n’étant pas sans lien avec les médiation qu’ils en proposent. Tous les camps ne sont pas semblables, les conditions de détention varient d’un camp à l’autre en fonction du type de travail à effectuer ou encore de la faction qui est « au pouvoir », les politiques et les droits communs se livrant dans la plupart des camp à une lutte sans merci pour le contrôle de l’administration interne et des privilèges qui en découlent. Etre déporté en tant que « racial », « politique », « droit commun », « homosexuel », « tzigane » ou encore « témoin de Jéhovah » détermine pour une large part le type de traitement subi. La nationalité peut aussi s’avérer un facteur décisif, l’appartenance nationale constituant un mode privilégié de socialisation et d’exclusion dans la Babel concentrationnaire. Il va sans dire que ce que les témoins ont vécu avant et après leur déportation infléchit également la médiation de l’expérience concentrationnaire16. Les croyances religieuses ou politiques, l’âge, la situation familiale ou professionnelle constituent autant de paramètres déterminants pour analyser certaines différences entre des témoignages écrits par des auteurs déportés dans un même camp et sous un même statut, comme c’est le cas, par exemple, pour Levi et Wiesel.

Intégrer dans l’analyse des récits des camps, les paramètres biographiques tout comme l’évolution des représentations dominantes au sein d’une société, revient à contrarier une lecture où toute expérience des camps signifie toutes les autres, où toutes les pratiques testimoniales s’équivalent. S’il convient de refuser ce passage de la partie au tout c’est parce que ce geste est justement celui qui a contribué à occulter la spécificité historique de la déportation des Juifs en France pendant des années et qu’il masque, par exemple, aujourd’hui encore, le sort des déportés homosexuels17 – le seul témoignage de déporté homosexuel en France étant celui de Pierre Seel publié en 1994 et écrit en 198218. Les différentes représentations collectives du passé – que les témoignages reproduisent ou infirment – participent donc, au sein d’une société, autant à l’organisation de la mémoire qu’à celle de l’oubli. Le survivant – tout comme l’historien ou le lecteur – s’avère en ce sens « toujours tributaire de son temps et de son époque. Il se trouve placé, dans le réseau des souvenirs collectifs, à un carrefour : d’un côté il subit comme tout citoyen la mémoire dominante […], de l’autre, il est lui-même un ‘vecteur du souvenir’ (et un vecteur privilégié), en ce sens qu’il propose une vision du passé qui risque – après un long parcours – d’infléchir les représentations de l’heure »19.

Qu’elle soit biographique, en insistant sur la trajectoire de celui qui témoigne, ou socio-historique, en mettant en évidence les représentations successives d’un « même » passé en fonction desquelles le témoin élabore la sienne, la contextualisation historique joue un rôle nodal dans l’analyse des récits. D’un côté, elle permet de mieux comprendre les partis pris des récits dans les médiations qu’ils proposent de l’univers concentrationnaire tout comme l’évolution de leur réception. De l’autre, elle incline à se départir d’une vision homogène de l’expérience concentrationnaire et à ébruiter les silences des successives représentations des camps.

Textualisation de l’histoire des camps par les récits

Georges Perec, dans sa lecture du témoignage de Robert Antelme20, met en évidence un des enjeux majeurs de la textualisation de l’histoire par la littérature : « Au centre de L’espèce humaine, la volonté de parler et d’être entendu, la volonté d’explorer et de connaître, débouche sur cette confiance illimitée dans le langage et dans l’écriture qui fonde toute littérature […]. Car cette expression de l’inexprimable qui est le dépassement même, c’est le langage qui, jetant un pont entre le monde et nous, instaure cette relation fondamentale entre l’individu et l’Histoire, d’où naît notre liberté. »21 L’entreprise littéraire est ici envisagée comme le vecteur par lequel nous instituons, ou plutôt réinstituons sans cesse le lien entre le monde et nous, entre nous et l’histoire. Geste par lequel les représentations de ce qui est ou a été peuvent être autres, s’avérer toujours ouvertes à une possible reconfiguration. Comme le suggère Alain Parrau, « l’œuvre littéraire n’est-elle pas […] ce qui expose un dire comme conquête sur le jamais dit »22, sur ce qui est dépourvu de toute forme de reconnaissance au sein d’une société ? La question, dans le cas des récits des camps, est dès lors double. D’un côté, dans quelle mesure la textualisation de l’expérience concentrationnaire constitue-t-elle une certaine forme de « liberté », une reprise synonyme de déprise ? De l’autre, la littérature des camps dans ses textualisations de l’histoire, est-elle capable de signifier l’altérité du vécu concentrationnaire tout comme celle de l’univers référentiel auquel cette expérience renvoie ?

Déporté politique à Buchenwald, Jorge Semprun refuse à sa façon la rhétorique de l’indicible ou de la défaillance du langage. Face à l’impossibilité apparente de pouvoir raconter ce qu’il a vécu, il fait du témoignage un espace de création et de recréation où l’imagination du narrateur tout comme celle du lecteur jouent un rôle clé. Pour Semprun l’effort de mémoire ne réside en ce sens ni dans la difficulté de se souvenir, ni dans la seule énonciation du souvenir, mais dans la possibilité d’une rencontre entre le monde du lecteur et celui que le survivant lui propose et se propose par le biais de la médiation littéraire. Témoigner met ainsi en jeu autant celui qui témoigne que celui à qui ce témoignage est destiné, la reconnaissance de ce qu’a vécu et subi le premier passant par la capacité d’imagination et la volonté de reconnaissance du second :

Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ? Le doute me vient dès ce premier instant. Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. […] La réalité est là, disponible. La parole aussi. Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui seront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. […] On peut toujours tout dire, en somme. […] Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaire ? Le doute me vient dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d’avant, du dehors – venus de la vie –, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers. Ils sont silencieux, ils évitent de me regarder23.

Une conception analogue de l’énonciation testimoniale se retrouve chez Antelme pour qui tout récit des camps exige « beaucoup d’artifice pour faire passer une parcelle de vérité » sans quoi il est impossible de vaincre la « nécessaire incrédulité » de ses lecteurs ou auditeurs dans la mesure où « la plupart des consciences sont vite satisfaites et, avec quelques mots, se font de l’inconnaissable une opinion définitive »24. L’impossibilité de communiquer l’expérience des camps, si elle existe, ne renvoie néanmoins pas seulement aux conditions d’énonciation et aux types de configuration, mais également aux conditions de réception. Une fois de plus, on retrouve la figure du « dehors », à la différence près que ce « dehors », loin d’être un ailleurs dont nous serions l’ici, nous désigne nous, lecteurs, et signifie notre position périphérique par rapport au vécu concentrationnaire. Pour Semprun, la possibilité de raconter ou plutôt de communiquer son expérience des camps réside en ce sens autant du côté de témoin que de ses interlocuteurs. C’est notre désir, volonté, habilité à produire un effort d’imagination qui est ici en jeu et qui demande que l’on questionne les modalités et les attentes de lecture auxquelles l’entreprise testimoniale nous confronte. Les récits des camps constituent en ce sens une forme de provocation au sens étymologique du terme. Comme l’indique Parrau, le verbe latin provocare signifie « ‘appeler dehors’, le lecteur étant effectivement appelé à sortir des représentations qui le protègent de la vérité des camps »25.

La mise en cause récurrente de la capacité référentielle du langage par les récits des camps est souvent interprétée comme une faillite du système signifiant face à l’inhumanité concentrationnaire. Cette dernière, reléguée dans l’ineffable, se voit du coup soustraite à toute forme possible de (re)connaissance historique ou sociale. A cette conception – qui neutralise la « provocation » que constituent les témoignages des camps – Semprun oppose une vision de la langue en usage. L’énonciation testimoniale est à comprendre comme le lieu d’une négociation du sens de ce qui a été ou vécu et non comme celui de la reproduction et du dévoilement d’une signification préexistante. Les incessantes mises en cause du langage sont ainsi à lire comme autant de moments où le témoin signale et signe l’altérité tout comme l’unicité de son expérience. En d’autres termes, en multipliant ces pauses où la narration se retourne sur elle-même pour exhiber et évaluer les conditions de l’échange linguistique, le témoin signifie d’une part, que l’expérience concentrationnaire excède ses modes de représentation tout comme les nôtres, et, d’autre part, que personne ne peut parler à la place du témoin dans la mesure où l’altérité radicale de son expérience des camps interdit toute forme d’identification. Il nous faut donc accepter, en dépit de notre volonté de savoir et de maîtrise, que nous resterons toujours quelque part en « dehors » de l’expérience concentrationnaire et que toute représentation des camps est le fruit d’un processus de négociation lui-même historiquement déterminé. Adoptant une perspective psychanalytique, Shoshana Felman analyse, dans le cas de la Shoah, la dimension négociée de toute représentation testimoniale, montrant que ni le témoin ni son interlocuteur ne détiennent a priori le sens ou la vérité du témoignage. Le sujet de l’énonciation se fait ainsi le témoin d’une expérience dont la vérité lui échappe, une vérité à laquelle il n’a pas accès au moment où il prend la parole et qu’il doit élaborer en en négociant les modalités avec son interlocuteur26. La mise en scène par les récits des camps de leur propre échec – comme mise en discours de l’expérience concentrationnaire en vue d’en dégager une intelligibilité – ne constitue dès lors pas seulement une adresse au lecteur qui ébruite les modalités de la réception mais, également, une mise en abyme de la relation qu’entretient le témoin avec l’objet même de son témoignage. L’entreprise testimoniale suppose en effet « un décalage entre l’opacité silencieuse de la ‘réalité’ qu’elle cherche à dire, et la place où elle produit son discours, protégée par une mise à distance de son objet (Gegen-stand). La violence du corps n’arrive jusqu’à la page écrite qu’à travers l’absence, […] par un murmure qui fait entendre, mais de loin, l’immensité inconnue qui séduit et menace le savoir »27.

La récurrence de la métaphore du « pont » à laquelle la plupart des témoignages recourent pour qualifier leur propre entreprise est dans cette optique éloquente. Cette image, en effet, sert à énoncer la difficulté, voire l’impossibilité, à « faire passer » leur expérience, à nous « faire passer » en somme dans leur univers : « la langue des camps de concentration, écrit Wiesel, annule toutes les autres langues et prend leur place. Au lieu d’être un lien, elle représente un mur. Le lecteur peut-il être amené de l’autre côté ? »28. Michel de Certeau a proposé une lecture du « pont » qui expose de façon remarquable les enjeux énonciatifs inhérents aux récits des camps. La métaphore du « pont » questionne en effet notre capacité à (re)connaître la discontinuité radicale de l’expérience concentrationnaire, en d’autres termes notre volonté à (re)connaître historiquement ce « dehors » qui nous provoque, qui ébranle l’évidence du rapport que nous entretenons à l’endroit de notre propre expérience :

Il y a partout ambiguïté du pont : tour à tour, il soude et il oppose des insularités. Il les distingue et il les menace. Il libère de l’enfermement et il détruit l’autonomie. […] Transgression de la limite, désobéissance à la loi du lieu, il figure le départ, la lésion d’un état, l’ambition d’un pouvoir conquérant, ou la fugue d’un exil, de toute façon la « trahison » d’un ordre. Mais en même temps il dresse un ailleurs qui égare, il laisse ou fait resurgir hors des frontières l’étrangeté qui était contrôlée à l’intérieur […]. Tout se passe comme si la délimitation même était le pont qui ouvre le dedans à son autre29.

Le mérite de la démarche de Semprun, par rapport à la textualisation de l’histoire, réside dans son refus de souscrire à la rhétorique de l’indicible – optique inconciliable avec son engagement communiste et qui aurait constitué une forme de démission, voire de trahison politique – pour souligner, d’un côté, le travail de recréation littéraire qu’implique toute mise en discours constituant une forme de « provocation » et, de l’autre, la responsabilité et le rôle du lecteur dans le travail de négociation propre à toute représentation de l’expérience concentrationnaire. Lire un récit des camps implique un effort d’imagination, que l’on se fasse violence, que l’on s’expose à l’obscénité dont ces récits se font les médiateurs tout en sachant que toute forme de transparence ou d’identification est impossible, que jamais on ne pourra être ou parler à la place de celui qui témoigne.

Médiations littéraires et historiennes ou la demeure du témoignage comme « chez-soi »

Le retour des camps, s’il a représenté pour tout survivant une forme de libération, ne fut pas pour autant synonyme d’épilogue. Loin de correspondre à la fin de toute souffrance ou de toute aliénation, le retour « chez-soi » s’est avéré l’expérience d’un ajustement social pour le moins abrupt, voire traumatique pour certains. Comme en témoigne ce poème de Delbo, l’histoire dont le survivant se fait le témoin est celle d’un face à face où prime l’expérience d’une différence incommensurable et non celle d’une compréhension réciproque :

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs / quand c’est d’un ailleurs aux autres inimaginable / c’est difficile de revenir

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs / quand c’est d’un ailleurs qui n’est nulle part / c’est difficile de revenir / tout est devenu étranger dans la maison pendant qu’on était dans l’ailleurs

Qu’on revienne de guerre ou d’ailleurs / quand c’est d’un ailleurs où l’on a parlé avec la mort / c’est difficile de revenir et de parler aux vivants […]

Quand on a regardé la mort à prunelle nue / c’est difficile de réapprendre à regarder les vivants aux prunelles opaques30.

Loin de retrouver leur place sociale ou de retrouver leurs repères au sein de l’univers d’avant la déportation, les survivants font l’épreuve d’une double discontinuité. D’une part, ils éprouvent une étrangeté corrosive vis-à-vis d’eux-mêmes, aliénation imposée par l’univers concentrationnaire dont ils espéraient s’affranchir au moment de la libération des camps, associant au retour « chez-soi » un retour à soi. D’autre part, ils incarnent aux yeux de ceux qu’ils retrouvent une altérité vertigineuse et obscène qui interdit toute identification et fait du retour non pas un retour à l’ordre des choses d’avant la déportation, mais une remise en cause de l’espace identitaire qui a valeur de retour sur soi. Cet exil intérieur ou repli sur soi signale l’absence historique de tout espace de reconnaissance susceptible de conférer une certaine visibilité sociale à l’expérience des camps. Ce qu’il importe ici de relever, c’est l’enjeu idéologique que constitue l’articulation du traumatisme « personnel » avec les modes de représentation dominants qui légitiment socialement ce qui est digne de mémoire et ce qui demeure obscène, rejeté de la scène historique et dépourvu de toute trace mémorielle. La littérature testimoniale des camps tend ainsi à remettre en cause les lignes de partage entre le privé et le public, entre l’histoire personnelle et l’histoire officielle. Cette tension a pour indices majeurs la hiérarchisation et la sélection des événements et des gestes jugés dignes de mémoire et d’écriture, la définition de ce qui est dicible et de ce qui échappe à toute médiation, la volonté ou le refus de conférer à l’expérience singulière un caractère métonymique, ou encore la gestion de la pudeur quant à l’avilissement subi et retrospectivement éprouvé comme inavouable.

Dans Auschwitz et après, Charlotte Delbo recourt à une médiation fragmentée qui exploite différents genres narratifs pour témoigner de l’obscénité des camps – signifiant au détour qu’aucun genre n’est ici approprié. Sa trilogie agence ainsi une médiation qui interdit une perception omnisciente, globale ou causale de l’expérience concentrationnaire. A une saisie abstraite et théorique de la violence sur les corps et les êtres, son récit oppose la singularité charnelle des voix et des corps des femmes qu’elle a côtoyées. La banalité d’un détail, l’hospitalité refusée d’un regard, un geste dérobé ou encore une simple parole sont pour Delbo le moyen d’instiller dans l’imagination du lecteur la violence et l’aliénation subies. L’histoire de Delbo se détourne ainsi de toute narration visant un compte-rendu exhaustif ou une explication historique des camps. Sa visée est autre. Il s’agit pour elle de suggérer autant que possible l’obscénité des camps, d’exiler le lecteur au sein d’une altérité qui excède ses manières de voir et de croire et l’inscrire au sein d’un univers référentiel menaçant. Auschwitz et après questionne en définitive l’évidence et la suffisance de nos modes et de nos attentes de lecture.

Dans cette même perspective, il importe de relever que la difficulté de prendre la parole et de témoigner de son expérience des camps renvoie également à une forme de « honte » liée à la nature obscène et avilissante de l’expérience concentrationnaire. Dans le contexte de la Shoah, une des difficultés de l’entreprise testimoniale réside dans le fait que le survivant doit gérer l’aveu d’une expérience socialement inavouable. Témoigner de son expérience des camps engage non seulement le rapport que le sujet entretient avec son passé, mais aussi la gestion sociale du passé concentrationnaire et les médiations légitimes par le biais desquelles l’obscène concentrationnaire revêt une visibilité historique sur la scène sociale où le témoin essaie de prendre la parole. Comme le relève Pollak, « […] si l’expérience concentrationnaire est à la fois ce qui fait parler les survivants et ce qui, en principe, donne à leur histoire particulière un intérêt plus général et justifie une attention spécifique, il n’en reste pas moins que leur prise de parole, loin de les ‘grandir’ comme c’est le cas pour d’autres ‘grands’ témoins historiques, risque de mettre à l’épreuve l’image de soi pour soi et pour autrui. La réalité des camps était avilissante : comment décrire avec pudeur et dignité des actes qui ont avili et humilié la personne ? »31 L’écriture de l’expérience concentrationnaire renvoie en ce sens à une double discontinuité qui exige des survivants non seulement une réponse individuelle – dans la mesure où l’altérité des camps met en cause la continuité de leur identité – mais aussi une réponse collective – dans la mesure où l’altérité des camps remet en cause l’évidence des manières de voir et de croire de la société à laquelle les témoins s’adressent. En ce sens la médiation de l’histoire que forge le survivant engage toujours l’histoire de la société au sein de laquelle il prend la parole et à laquelle il emprunte ses médiations en vue de conquérir une forme de reconnaissance. Comme le souligne Kalí Tal, reconnaître l’impossibilité de séparer l’histoire du traumatisme personnel des médiations sociales et historiques de cette « même » expérience soulève une série de question qui sont centrales pour la littérature testimoniale des camps dans son rapport aux médiations historiennes :

What is the connection between individual psychic trauma and cultural representations of the traumatic event ? What does the act of testimony, of « bearing witness » mean to an individual survivor, to a community of survivors ? How are testimonies interpreted by different audiences ? […] What happens when a survivor’s story is retold (and revised) by a writer who is not a survivor ? How are survivor’s stories adapted to fit and then contained within the dominant structure of social, cultural and political discourse ?32

Le retour entraîne ainsi une reconnaissance du passé personnel et collectif pour le moins délicate puisque théâtre d’un double schisme, à la fois identitaire et social, qui, en plus de confronter les survivants à eux-mêmes, confronte la société à laquelle ils retournent à une altérité mettant en question ses normes tout comme ses représentations du passé, qui structurent le lien social présent. La tentative de « réponse » personnelle que constitue l’entreprise du témoignage pour ceux qui ont survécu aux camps et qui essaient d’en gérer les effets, appelle donc une seconde « réponse » qui questionne la gestion sociale et politique de l’expérience dont les survivants sont le signe. La prise de parole des survivants entretient souvent un rapport polémique avec des modèles narratifs qui visent à maîtriser et contenir socialement l’obscénité de l’expérience concentrationnaire en proposant de cette dernière une médiation articulée et cohérente. Nombreux sont en effet les témoignages des camps qui remettent en cause le consensus des représentations dominantes, dans lesquelles le témoin ne se reconnaît pas, et qu’il cherche ainsi à modifier :

Bearing witness is an aggressive act. It is born out of a refusal to bow to outside pressure to revise or to repress experience, a decision to embrace conflict rather than conformity, to endure a lifetime of anger and pain rather than to submit to the seductive pull of revision and repression. […] If survivors retain control over the interpretation of their trauma, they can sometimes force a shift in the social and political structure33.

Le retour des camps renvoie, paradoxalement, à l’expérience d’une identité qui se découvre sans « chez-soi » préétabli ou, plutôt, écartelée entre des « chez-soi » ou des formes d’appartenance hétérogènes. La reconnaissance – durant et après la déportation – d’une coexistence de plusieurs espaces de références symboliques interdit aux survivants de reproduire toute énonciation de l’identité qui identifierait la représentation de « soi » à un « chez-soi » exclusif, permanent ou homogène et qui, de surcroît, oblitérerait sa propre énonciation pour en masquer le caractère conventionnel. Dans le contexte énonciatif propre au retour des camps, l’entreprise testimoniale offre un espace de reformulation possible du « soi » et du « chez-soi » et de leur articulation. Si le témoignage constitue tout comme il institue un « chez-soi », le « chez-soi » du témoignage reconnaît sa dimension énonciative, performance de soi par soi qui se sait contextuelle, tributaire du lieu et des circonstances avec et à partir desquels elle a dû composer. La demeure du témoignage se sait et se livre ainsi comme une énonciation qui cherche à faire (re)connaître historiquement une expérience marquée par une démesure dont la médiation ne se veut pas la mesure, mais le lieu de contact où l’évidence de nos mesures se brise et mesure les angles morts de ses médiations historiques.

N’entretenant plus avec elle-même une relation d’évidence, Charlotte Delbo fait de sa trilogie un « chez-soi » où tout est à dire, ou plutôt à redire à partir de l’altérité existentielle et traumatique qui motive sa prise de parole. L’acte testimonial devient pour elle, qui se retrouve coupée de son « chez-soi » préalable ou désiré, le lieu à partir duquel la reconquête et la négociation d’un autre « chez-soi » est possible, « chez-soi » énoncé à partir de la différence historique, existentielle et sociale dont Auschwitz et après témoigne. Le « chez-soi », avec lequel elle cherche à coïncider n’est donc pas un « chez-soi » préalablement donné mais un « chez-soi » contemporain à son énonciation et, en ce sens, ouvert à la reformulation. La représentation testimoniale de l’expérience et de l’identité du survivant se sait ainsi performative et se donne à voir comme telle, le survivant ne disposant pas de « chez-soi » fixe et préexistant mais ayant pour demeure l’acte qui l’énonce et par lequel il négocie sa reconnaissance historique et sociale. La littérature testimoniale se caractérise en ce sens par un régime référentiel ambivalent puisque le témoin cherche d’une part à faire corps avec son énonciation et, d’autre part, entretient vis-à-vis de son récit un rapport distancié selon lequel toute forme de coïncidence se sait contingente à l’acte testimonial lui-même. En ce sens, comme le relève Sem Dresden, les récits des camps « no longer signify only the past but also a now that is present »34. La référentialité de l’énonciation testimoniale est double, puisqu’elle renvoie à l’événement passé autant qu’au présent à partir duquel le témoin cherche à établir une certaine relation avec son expérience passée, en vue de l’inscrire dans la scène symbolique de ceux auxquels il s’adresse. Le langage tout comme les genres narratifs à disposition, étant eux-mêmes définis socio-historiquement, représentent dans cette optique un réseau de médiations contraignantes par lesquelles le témoin se positionne au sein des relations de savoir et de pouvoir qui régissent la représentation historique de son expérience. Le témoignage, ainsi, représente un « chez-soi » où les tensions et les antagonismes ne trouvent pas leur résolution, mais une prise de parole par laquelle le sujet met en scène le différend et la différence qui sont au principe de son histoire.

Motivée par le désir de faire (re)connaître une expérience « obscène » – une expérience menaçant l’ordre et l’évidence symbolique qui définissent les rapports de savoir et de pouvoir régissant le devant de la « scène » littéraire et historienne – la littérature des camps constitue une « scène » énonciative où le témoin négocie les différences culturelles et identitaires qui sont au principe de son expérience. Faire reconnaître l’altérité et l’obscénité de l’expérience concentrationnaire, rendre recevable l’irrecevable sans pour autant nier ce qui a été subi, constitue un dessein qui exige du survivant un sens aigu de ce qui du « dehors » contraint sa prise de parole. Toute médiation des camps renvoie en ce sens à un processus de négociation et à des conventions d’énonciation spécifiques, qu’elles soient testimoniales ou historiennes. Il convient dès lors, à notre tour, d’envisager les effets contraignants de ce « dehors » sur notre propre histoire si nous voulons interroger la relation effective que nous établissons avec la littérature des camps. Dépositaires d’un savoir qui excède et provoque l’évidence du nôtre, les récits des camps constituent des actes d’articulation et de positionnement susceptibles de fournir à une personne dépossédée de son « chez-soi » préalable un foyer où elle peut gérer l’altérité traumatique de sa position et travailler à la reconnaissance sociale de cette dernière. Ce faisant, les récits des camps ne se limitent pas à exposer certains faits historiques subis mais nous exposent aux a priori de nos propres représentations. La question est alors de savoir jusqu’où nous sommes capables d’écouter ces tessons de mémoire qui nous sont livrés ? A quel point sommes-nous prêts à nous blesser à leur contact, à faire du « pont » un espace de rencontre où le témoin, dans sa différence, au lieu de se voir toujours déjà devancé par notre propre parole, nous parle et nous détermine ? La lecture de ces récits demande de notre part une forme de don tout comme d’abandon, nous enjoignant d’accueillir une parole qui nous confronte à l’historicité et aux présupposés de nos propres représentations, que celles-ci soient historiennes ou littéraires. Souscrire à cette exigence revient en somme à accueillir une parole qui nous expulse de notre propre espace culturel, en redéfinit les contours tout comme les repères. C’est à ce prix que la « provocation » radicale de l’expérience concentrationnaire peut ne plus être perçue comme « obscène », mais comme partie intégrante de notre « scène » symbolique et signifiante.

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1 « Aujourd’hui, je ne suis pas sûre que ce que j’ai écrit soit vrai. Je suis sûre que c’est véridique ». Charlotte Delbo, Auschwitz et après. t. I Aucun de nous ne reviendra, Paris, Minuit, « documents », 1970, p. 7.

2 Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, « L’ordre philosophique », 1990, p. 168-70.

3 Primo Levi, « Appendice » dans Si c’est un homme, Paris, Julliard, 1987, p. 187-214, p. 211.

4 Michel Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 7-11.

5 Roger Chartier, Culture écrite et société. L’ordre des livres (XIVe-XVIIIe siècle), Paris, Albin Michel, « Bibliothèque Histoire », 1996, p. 10-11.

6 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : l’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 75.

7 James E. Young, Writing and Rewriting the Holocaust : Narrative and the Consequences of Interpretation, Bloomington et Indianapolis, Indiana University Press, 1988, p. 165-6.

8 Au sens de ce qui est « en coulisse », « qui doit rester obscur », voire « qui fait obstacle ». J’emprunte cette conception de l’« obscénité » à Ross Chambers qui recoure à ce sens étymologique du terme pour décrire des pratiques culturelles dépourvues de reconnaissance sociale.

9 Pour une discussion des fonctions de « savoir » et de « mémoire » de l’histoire, voir Roger Chartier, « Le statut de l’histoire. Entretien avec Roger Chartier », Esprit, n˚225, 1996, p. 133-43, p. 134-5.

10 Annette Wieviorka, Déportation et génocide : entre la mémoire et l’oubli, Paris, Plon, « Pluriel », 1992, p. 19-22.

11 Ibidem, p. 141-57.

12 Pour une analyse de ces témoignages vidéos, voir Shoshana Felman et Dori Laub, M.D., Testimony : Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, New York, Routledge, 1992, chapitres 2 et 3 et James E. Young, Writing and Rewriting the Holocaust : Narrative and the Consequences of Interpretation, chapitre 9.

13 David Rousset, L’univers concentrationnaire, Paris, Minuit, « Pluriel », 1993 [1946] et Les jours de notre mort, 2 tomes, Paris, Hachette, « Pluriel », 1993 [1947].

14 Elie Wiesel, La Nuit, Paris, Minuit, « documents », 1958.

15 Roger Chartier, « Le statut de l’histoire. Entretien avec Roger Chartier », p. 143.

16 Pour une analyse détaillée des modes d’ajustement et de survie dans les camps, voir Michael Pollak, L’expérience concentrationnaire : essai sur le maintien de l’identité sociale, Paris, Métailié, 1990, chapitre 3.

17 Lors de la journée officielle de la déportation du 27 avril 1997, les associations d’anciens combattants et de déportés se sont ainsi une fois de plus opposées à toute forme de reconnaissance officielle de la déportation pour homosexualité durant la Seconde Guerre mondiale. Voir à ce propos l’enquête de Sébastien Galceran « Journée de la déportation… et de la mémoire sélective », ex æquo, juin 1997, p. 10-11. Je remercie David Caron d’avoir attiré mon attention sur cet article.

18 Pierre Seel, Moi, Pierre Seel, déporté homosexuel, Paris, Calman-Lévy, 1994.

19 Henry Rousso, Le syndrome de Vichy 1944-198…, Paris, Seuil, 1987, p. 14.

20 Robert Antelme, L’espèce humaine, Paris, Gallimard, 1957 [1947].

21 Georges Perec, « Robert Antelme ou la vérité de la littérature » [1963] dans Robert Antelme. Textes inédits sur L’espèce humaine. Essais et témoignages, Paris, Gallimard, 1996, p. 173-90, p. 190.

22 Alain Parrau, Ecrire les camps, Paris, Belin, « Littérature et politique », 1995, p. 39.

23 Jorge Semprun, L’écriture ou la vie, Paris, Gallimard, 1994, p. 23-4.

24 Robert Antelme, L’espèce humaine, p. 302.

25 Alain Parrau, Ecrire les camps, p. 153.

26 Shoshana Felman et Dori Laub, M.D., Testimony : Crises of Witnessing in Literature, Psychoanalysis, and History, p. 15.

27 Michel de Certeau, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 9.

28 Elie Wiesel, « Why I Write » dans Confronting the Holocaust, éds. Alvin Rosenfeld et Irving Greenberg, Bloomington et London, Indiana University Press, 1978, p. 201. C’est moi qui traduis. Pour une analysée détaillée de la question du passage et des rapports d’extériorité vis-à-vis de l’événement dont les récits se veulent les témoins, voir Shoshana Felman « A l’âge du témoignage : Shoah de Claude Lanzmann » dans éd. Michel Deguy, Au sujet de Shoah, Belin, 1990, p. 55-145, p. 87-112.

29 Michel de Certeau, L’invention du quotidien 1. Arts de faire, Paris, Gallimard, 1990, p. 188-9.

30 Charlotte Delbo, Auschwitz et après., t. III. Mesure de nos jours. Paris, Minuit, « documents », 1971, p. 45-46.

31 Michael Pollak, p. 179-80.

32 Kalí Tal, Worlds of Hurt. Reading the Literatures of Trauma, Cambridge, Cambridge University Press, 1996. p. 3.

33 Ibid., p. 7.

34 Sem Dresden, Persecution, Extermination, Literature, Toronto, University of Toronto Press, 1995, p. 34.