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Chapitre II : Les Hôrai

Jean RUDHARDT

Les trois premières filles de Thémis portent chacune un nom particulier mais nous les voyons souvent désignées collectivement. Hésiode les appelle Hôrai, ainsi que nous l’avons dit. Avant d’étudier les personnalités de chacune d’entre elles, nous chercherons à identifier leurs caractères communs. Comme le nom qui s’applique à elles toutes est fréquemment employé dans la langue usuelle, nous tenterons en premier lieu de comprendre ce qu’il signifie.

A. Vocabulaire

1) Le nom hôra dans la langue usuelle

Les Romains ont adopté le nom grec hôra (ὥρα) ; sous sa forme latine « hora », il donnera naissance au mot français « heure ». Selon les dictionnaires, le nom grec désigne une période, une division du temps, le plus souvent une heure ou une saison. Telle serait sa signification première ; les différents sens qu’il peut revêtir selon les contextes en seraient dérivés ; il serait ainsi possible de les classer de la façon suivante :

1. a) une certaine période, subdivision du jour ou de l’année, l’heure ou la saison.

b) plus particulièrement le printemps.

c) le printemps de la vie, c’est-à-Diké la jeunesse et sa beauté.

2. le temps qu’il fait aux différents moments de l’année en un certain lieu : le climat.

3. le moment propice à certaines entreprises, le temps qui convient à l’accomplissement d’une action.

Ce tableau permet de distribuer clairement et de comprendre assez bien les textes où le nom ὥρα figure mais il ne me satisfait pas. Il ne nous fait pas saisir, me semble-t-il, les caractères essentiels d’une hôra.

Plusieurs textes grecs semblent évidemment le justifier. Voici un passage de Platon. « Il se trouve que je ne porte point de chaussures ; la chose paraît maintenant opportune ; quant à toi, tu n’en portes jamais. Il nous sera donc facile de marcher le long du ruisseau en y plongeant les pieds », dit Phèdre à Socrate, lors de leur promenade le long de l’Ilissus. Le jeune homme ajoute : « en outre cela ne sera pas désagréable, particulièrement τήνδε τὴν ὥραν τοῦ ἔτους τε καὶ τῆς ἡμέρας, particulièrement pendant cette hôra de l’année et du jour. »1 Régissant deux compléments, le même nom ὥρα désigne une fraction de deux ensembles différents. Le français sera contraint d’utiliser deux mots pour le traduire : « en outre cela ne sera pas désagréable, particulièrement en cette saison de l’année et à cette heure du jour. »

En fait le nom hôra désigne souvent une fraction du jour ou de la nuit. Platon parle d’une période du jour pouvant durer le tiers d’une hôra2. Nous lisons chez Xénophon que le soleil permet de reconnaître les hôrai, les heures de la journée, tandis que les astres caractérisent celles de la nuit3. Mais s’agit-il toujours d’un temps bien défini ? Nous lisons dans les Helléniques ἦν τῆς ὥρας μικρὸν πρὸ δύντος ἡλίου « C’était de l’hôra un peu avant le coucher du soleil »4. Le mot me paraît désigner ici une durée mal délimitée, à l’intérieur de laquelle l’indication « peu avant le coucher du soleil » situe un moment plus précis. Il a peut-être un sens voisin dans l’hymne homérique à Hermès :

ὁρμαίνων δόλον αἰπὺν ἐνὶ φρεσίν, οἷά τε φῶτες

φηληταὶ διέπουσι μελαίνης νυκτὸς ἐν ὥρῃ.

méditant une ruse, un piège, semblable à ceux que

les voleurs préparent dans l’hôra de la sombre nuit5.

On pourrait en effet comprendre « dans une période de la nuit » ; je me demande pourtant si l’on ne doit pas entendre plutôt « dans la durée de la nuit », la tournure « hôra de la nuit » correspondant à la formule usuelle « hôra du printemps » (εἴαρος ὥρη), qui paraît signifier « le temps ou la saison du printemps ».

Dans des textes beaucoup plus nombreux, le nom hôra désigne en effet un moment de l’année. Il s’applique notamment à l’été, à l’hiver ou, plus souvent, au printemps chez les poètes épiques6. A partir du moment où les Grecs distinguent quatre saisons, il peut les désigner toutes, comme nous le voyons chez Alcman :

ὥρας δ’ἔσηκε τρεῖς, σέρος

καὶ χεῖμα κὠπώραν τρίταν

καὶ τέταρτον τὸ ϝῆρ, ὅκα

σάλλει μὲν, ἐσθίην δ’ἄδαν

οὐκ ἔστι

Il a institué trois saisons, l’été

l’hiver et troisièmement l’automne

et il y a ajouté une quatrième, le printemps, lorsque

tout est en fleurs, mais qu’il n’est pas possible

de manger à satiété7.

Plusieurs témoignages pourraient suggérer l’idée que les hôrai sont le produit de la division d’une durée, celle du jour ou celle de l’année. Diogène Laerce résume les principales thèses de Thalès et poursuit. « On dit aussi qu’il a découvert les saisons de l’année τάς τε ὥρας τοῦ ἐνιαυτοῦ et l’a divisée en trois cent soixante cinq jours8. Eusèbe écrit à propos d’Anaximandre : « C’est lui le premier qui construisit un gnomon, pour reconnaître les solstices, les années, les saisons et les équinoxes, πρὸς διάγνωσιν τροπῶν τε ἡλίου καὶ χρόνων καὶ ὡρῶν καὶ ἰσημηρίας. »9 Ces phrases conservent un certain flou ; nous avons déjà noté l’imprécision des limites de l’hôra. Il est évident dans plusieurs cas qu’elle ne correspond exactement ni avec l’heure ni avec la saison, au sens strict du mot. Nous venons de voir que l’hôra peut être rapprochée des solstices ou des équinoxes. Pour Démocrite, le jour le plus important serait le quinzième des hôrai équinoxiales10. Cette saison dont on compte les jours ne me paraît coïncider ni avec le printemps ni avec l’automne. D’autres textes sont plus remarquables.

ὡς ὁπόταν

χειμέριον κατὰ μῆνα πινύσκηι

Ζεὺς ἤματα τέσσαρα καὶ δέκα.

λαθάνεμον δέ μιν ὥραν

καλέουσιν ἐπιχθόνιοι

ἱερὰν παιδοτρόφον ποικίλας

ἀλκυόνος

…… ainsi quand

pendant le mois d’hiver Zeus

assagit quatorze jours,

cette hôra de calme

les mortels l’appellent

hôra sacrée, nourricière de l’alcyon

aux multiples couleurs11.

Pour Empédocle, il semble au contraire que les hôrai soient une période de longue durée, difficile à définir. En évoquant le destin posthume des hommes, il décrit ainsi celui du meurtrier ou du parjure :

τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι

φυομένους παντοῖα διὰ χρόνου εἴδεα θνητῶν

ἀργαλέας βιότοιο μεταλλάσσοντα κελεύθους

Pendant trente mille hôrai, ils errent loin des Bienheureux, renaissant au cours du temps sous de multiples formes d’êtres mortels qui, l’un après l’autre, parcourent les chemins de la vie difficile12.

Chez Hérodote, il arrive que l’hôra se distingue de la saison. L’historien raconte la bataille de l’Artémision : ὡς δὲ εὐφρόνη ἐγεγόνεε, ἦν μὲν τῆς ὥρης μέσον θέρος…, « Quand vint l’obscurité – dans l’hôra c’était le milieu de l’été –, il tomba de l’eau en quantité pendant toute la nuit et du tonnerre éclata sèchement, venant du Pélion. »13 L’hôra dont l’été constitue une partie est probablement l’année, notre mot désignant en celle-ci un cycle naturel. Chez Démocrite enfin, les limites de l’hôra restent imprécises ; elle est une partie du temps mal délimitée mais suffisamment étendue, pour que la formule « toute hôra » signifie « constamment, à toute époque, dans le cours entier des temps »14.

En bref, si l’hôra paraît se situer dans l’écoulement du temps, elle n’est définie ni par sa date, ni par sa durée ; ce n’est exactement ni une heure ni une saison ; ce n’est pas une simple subdivision du temps. Quels sont donc ses caractères spécifiques ?

Il arrive que les noms grecs signifiant printemps, été ou hiver servent seulement à indiquer une date ou à préciser le moment où un événement s’accomplit15. Lorsque ces noms ne sont pas employés seuls mais accompagnés du mot hôra qu’ils déterminent, comme nous le voyons dans les expressions hôra du printemps, hôra de l’été, hôra de l’hiver, les choses ne sont jamais aussi simples : les auteurs attribuent alors des qualités particulières à chacune des saisons.

Dans la saison printanière, les jours s’allongent ; l’herbe pousse ; c’est le moment de faucher16. Les auteurs insistent sur la croissance et la prolifération des plantes.

φύλλα τὰ μέν τ’ἄνεμος χαμάδις χέει, ἄλλα δέ θ’ὕλη

τηλεθόωσα φύει, ἔαρος δ’ἐπιγίνεται ὥρη

Les feuilles, le vent en répand certaines sur la terre ; vigoureuse,

la forêt en fait croître d’autres et vient l’hôra du printemps17.

Ce n’est pas seulement le temps du renouveau de la végétation ; cette hôra est aussi associée à la vie animale : au chant de l’hirondelle18, à la sortie du bétail dans les champs19 ; à l’abondance du lait, au bourdonnement des mouches et des taons autour des bestiaux20.

L’hôra d’été est caractérisée par la chaleur mais ce n’est pas tout. Nous lisons chez Alcée :

τέγγε πλεύμονας οἴνωι, τὸ γὰρ ἄστρον περιτέλλεται,

ἀ δ’ ὥρα χαλέπα, πάντα δὲ δίψαισ’ὐπὰ καύματος,

ἄχει δ’ἐκ πετάλων ἄδεα τέττιξ…

………

ἄνθει δὲ σκόλυμος, νῦν δὲ γύναικες μιαιρώταται

λέπτοί δ’ἄνδρες, ἐπεὶ ‹ › κεφάλαν καὶ γόνα Σείρος

ἄσδει

rafraîchis ton gosier en buvant du vin, car l’astre reparaît ;

voilà l’hôra pénible, sous l’effet de la chaleur tout est assoiffé ;

du fond du feuillage, la cigale fait entendre son bruit doux…

………

le chardon fleurit ; maintenant les femmes sont plus sensuelles

et les hommes sont faibles, parce que Sirius ‹ › dessèche

la tête et les genoux21.

Hésiode ne disait pas autre chose :

ἦμος δὲ σκόλυμός τ’ἀνθεῖ καὶ ἠχέτα τέττιξ

δενδρέῳ ἐφεζόμενος λιγυρὴν καταχεύετ’ἀοιδὴν

πυκνὸν ὑπὸ πτερύγων, θέρεος καματώδεος ὥρῃ

τῆμος πιόταταί τ’αἶγες, καὶ οἶνος ἄριστος

μαχλόταται δὲ γυναῖκες, ἀφαυρότατοι δὲ τοι ἄνδρες

εἰσίν, ἐπεὶ κεφάλην καὶ γούνατα Σείριος ἄζει,

αὐαλέος δέ τε χρὼς ὑπὸ καύματος.

quand le chardon fleurit, quand la cigale sonore,

installée sur un arbre déverse son chant

sans cesse, du battement de ses ailes, lors de l’hôra pénible de l’été ;

alors les chèvres sont plus grasses, le vin meilleur,

les femmes plus lascives et les hommes moins vaillants,

parce que Sirius leur brûle la tête et les genoux,

que leur peau se dessèche sous l’effet de la chaleur22.

Le froid caractérise l’hôra d’hiver23 mais, pour cette raison même, c’est aussi le temps des conversations paisibles auprès du feu24. Les marins cessent de naviguer ; certains travaux agricoles sont interrompus25. C’est pourtant le moment des semailles26 ; le temps où certaines familles d’oiseaux quittent la Grèce27.

Bien qu’elles semblent banales, ces remarques mettent en évidence le caractère essentiel des hôrai. Quand ils parlent de l’hôra en général, sans en préciser la situation à l’intérieur de l’année, les textes lui attribuent des caractères correspondant à ceux que nous venons de noter. Ils lient les hôrai à la météorologie et précisent que le navigateur doit les prendre en considération parce qu’elles donnent une indication sur l’état probable de la mer et des vents28 ; ils les associent aussi aux migrations des oiseaux29. Elles définissent les vents et les produits du sol, dit Platon30. Liées à la croissance des végétaux, elles reçoivent avec Dèô les offrandes des moissonneurs31. Ce sont les dieux, écrit Xénophon qui nous donnent l’eau, « l’eau si précieuse qui, collaborant avec la terre et avec les hôrai, fait pousser et croître tout ce qui nous est utile »32. Par le jeu des hôrai, écrit Hécatée d’Abdère, les dieux nourrissent et font croître toutes choses33. Il y eut jadis un temps malheureux, lisons-nous dans un fragment attribué à Empédocle, où la course du soleil n’était pas fermement établie ; il ne suivait pas encore sa trajectoire régulière, » pour lui conférer la parure des hôrai porteuses de fruits, couronnées de boutons de roses »34. Selon Héradite les révolutions du soleil définissent « les hôrai qui apportent toutes choses », ὥρας αἳ πάντα φέρουσι35.

En bref, l’hôra que ni sa date ni sa durée ne définissent est caractérisée par sa convenance à certaine phases de la croissance des végétaux, de la vie animale ou des activités humaines. Elle est une condition de toute naissance et de tout essor. Pendant l’hiver, les quelques jours de calme qui constituent l’hôra des alcyons sont la période propice à la reproduction de ces oiseaux. Le Grec s’attend à ce qu’il y ait une corrélation entre les hôrai de l’année et le désir amoureux ; l’absence d’une telle corrélation leur paraît remarquable ou douloureuse. Nous lisons chez Ibicos :

ἦρι μὲν αἵ τε Κυδώνιαι

μηλίδες ἀρδόμεναι ῥoᾶv

ἐκ ποταμῶν, ἵνα Παρθένων

κῆπος ἀκήρατος, αἵ τ’οἰνανθίδες

αὐξόμεναι σκιεροῖσιν ὑφ’ἕρνεσιν

οἰναρέοις θαλέθοισιν.

……         ἐμοὶ δ’ἔρος

οὑδεμίαν κατάκοιτος ὥραν·

†τε† ὐπὸ στεροπᾶς φλέγων

Θρηίκιος Βορέας

ἀίσσων παρὰ Κύπριδος ἀζαλέ-

αις μανίαισιν ἐρεμνὸς ἀθαμβὴς

ἐγκρατέως πεδόθεν †φυλάσσει†

ἡμετέρας φρένας

au printemps les cognassiers

arrosés par les eaux

venues des fleuves, à l’endroit où se trouve

le jardin inviolé des Vierges, et les bourgeons des vignes

croissant à l’abri de sarments ombreux

s’épanouissent ; mais pour moi le désir amoureux

ne se calme en aucune hôra ;

comme le Borée thrace

s’illumine de l’éclat des éclairs,

il vient en surgissant de la part de Cypris ;

dans la folie cruelle, ténébreux et sans peur

de tout temps, avec vigueur, il tourmente

mes esprits36.

Pendant la nuit, l’hôra est le temps de l’amour ; il est douloureux de ne point y obéir. Nous lisons la plainte suivante dans un poème anonyme qui pourrait être de Sappho :

δέδυκε μὲν ά σελάνα

καὶ Πληιάδες, μέσαι δὲ

νύκτες, παρὰ δ’ἔρχεθ’ὥρα·

ἐγὼ δὲ μόνα καθεύδω.

La lune s’est couchée

ainsi que les Pléiades ; c’est le milieu

de la nuit ; voici que vient l’hôra

et moi je dors toute seule37.

Caractérisé par la chaleur ou par le froid, temps du repos et temps de l’amour ; temps des semailles, temps des fleurs et des fruits, l’hôra est propice à l’essor de la vie. Les hôrai sont riches en joie, lisons-nous dans l’Iliade38. Ce sont la floraison, l’épanouissement qui les symbolisent le mieux. C’est eux que plusieurs textes évoquent quand ils parlent des hôrai, sans se référer à aucune saison particulière. Nous le voyons par exemple dans les Chants cypriens : « elles le plongèrent dans les fleurs printanières telles qu’en portent les hôrai, oἷα φέρουσ’ὧραι, dans le safran, l’hyacinthe, la violette épanouie, dans la belle fleur de rose à la merveilleuse douceur, dans les divins calices du narcisse parfumé »39. C’est pourquoi le mot hôra est associé au nom du printemps plus souvent qu’à celui des autres saisons. Davantage encore il semble parfois le désigner, même s’il est employé seul et sans nulle détermination particulière. Nous le voyons notamment dans une comparaison homérique : des troupes s’établissent dans la plaine du Scamandre, « aussi nombreuses que les herbes et les fleurs le sont au printemps (dans l’hôra) »40.

A une époque tardive, les Hymnes orphiques rapprocheront encore les hôrai de la croissance végétale et de la fructification. La terre s’y trouve invoquée dans les termes suivants :

αὐξιθαλὴς φερέκαρπε, καλαῖς ὥραισι βρύουσα

Ils les associeront en outre à la croissance de toutes choses, αὔξησιν ἁπάντων, et, du même coup, à la santé, à la prospérité et à la paix41. En fait, dès les temps anciens, l’hôra n’est pas seulement un moment propice à toute germination, à toute croissance ; elle est solidaire de nombreuses entreprises humaines, liée à leur accomplissement. Selon l’Iliade, Poseidon et Apollon ont travaillé pendant une année au service de Laomédon ; or, au terme convenu, le roi les renvoie sans les payer.

ἀλλ’ὅτε δή μισθοῖο τέλος πολυγηθέες ὧραι

ἐξέφερον, τότε νῶι βιήσατο μισθὸν ἅπαντα

Λαομέδων ἔκπαγλος, ἀπειλήσας δ’ἀπέπεμπε

Mais, quand les hôrai riches en joie amenèrent le temps

du payement, il nous refusa brutalement notre salaire,

le terrible Laomédon, et nous renvoya en proférant des menaces42.

Ainsi les hôrai sont le temps de l’accomplissement d’un travail, temps au terme duquel le prix de ce travail doit être versé. Un texte de Xénophon complète cette information. « Voici la différence entre l’agriculture qui rapporte et celle qui ne rapporte pas. Lorsqu’il y a des ouvriers et qu’ils se trouvent en grand nombre, un exploitant veille à ce que ces ouvriers soient en plein travail pendant l’hôra, tandis que l’autre exploitant n’y veille point. Car, si sur dix ouvriers l’un travaille pendant l’hôra, on le distingue aisément ; si un autre abandonne sa tâche avant l’hôra, on le distingue aussi. »43 Nous le voyons, l’hôra est ici le temps pendant lequel un ouvrier agricole doit travailler pour que son activité à l’intérieur d’une exploitation soit efficace.

Temps de la maturation, temps qui donne au travail son efficacité, l’hôra est aussi le temps qui convient aux fêtes religieuses. On connaît l’histoire de Cléobis et Biton, les fils d’une prêtresse argienne. « C’était la fête d’Héra à Argos ; il fallait absolument que leur mère fût conduite au sanctuaire sur son attelage mais les bœufs n’étaient pas revenus des champs au temps requis (dans l’hôra). Empêchés d’attendre à cause de l’hôra, les jeunes gens se mirent eux-mêmes sous le joug et tirèrent le char, ce char où leur mère se déplaçait. »44 Un poème populaire disait.

Je chante la mère olympienne de Ploutos

Déméter, dans les hôrai où l’on porte des couronnes,

et je te chante, toi, fille de Zeus, Perséphone.

Salut ! Prenez bien soin de notre cité !45

Chez Eschyle, l’ombre de Clytemnestre rappelle aux Euménides toutes les offrandes qu’elle leur a consacrées

ἦ πολλὰ μὲν δὴ ἐμῶν ἐλείξατε

χοάς τ’ἀοίνους, νηφάλια μειλίγματα,

καὶ νυκτίσεμνα δεῖπν’ έπ’ ἐσχάρᾳ πυρός

ἔθυον ὥραν οὐδενὸς κοινὴν θεῶν.

Vous avez goûté à maints de mes dons ;

j’ai versé des libations sans vin en offrandes apaisantes

et j’ai sacrifié nombre de victimes sur des autels flambants

pour de vénérables repas nocturnes,

à une hôra que vous ne partagez avec aucun des dieux46.

Dans ces quelques vers, l’hôra est bien une période de la nuit mais c’est surtout une durée propice à l’accomplissement d’un rite ; il faut préciser : à l’accomplissement d’un rite singulier, qui ne convient pas à n’importe quelle divinité.

Un autre trait semble caractériser les hôrai : plusieurs textes parlent de leur périodicité. Selon Hécatée d’Abdère, elles suivent un chemin circulaire, en grec, une période (περίοδος)47. Hérodote parle précisément du cycle des hôrai, ὁ κύκλος τῶν ὡρῶν. En racontant la fin de son séjour chez Circé, Ulysse dit :

ἀλλ’ὅτε δή ρ’ἐνιαυτὸς ἔην περὶ δ’ἔτραπον ὧραι,

καὶ τότε μ’ἐκκαλέσαντες ἔφαν ἐρίηρες ἑταῖροι

« quand une année se fut écoulée et que les hôrai eurent accompli leur cycle, mes fidèles compagnons m’appelèrent et me Diként… »48. Dans l’Œdipe-Roi, le chœur des Thébains craint que des événements pénibles ne surviennent, περιτελλομέναις ὥραις, « pendant que les hôrai accomplissent leur révolution »49. Selon Platon, annuel50, le cycle des saisons est solidaire des révolutions sidérales51. Cette périodicité ne leur est pourtant pas essentielle : dans de nombreux cas, le phénomène désigné par le nom hôra ne se répète pas indéfiniment ; il n’appartient à aucun cycle.

Cela peut arriver quand il est question de végétaux : Un poète lyrique évoque « des pois mêlés de fleurs jaunes, ἁπαλαῖς θάλλοντες ὥραις, épanouies dans leur tendre splendeur (leur tendre hôra) »52. L’homme ressemble à la fleur. Dans une vie humaine l’hôra est la période de l’épanouissement ; elle est la jeunesse ; elle est la beauté. Dans le Phèdre, Lysias donne à un jeune homme l’avertissement suivant : les plus dignes de ton amour ne sont pas ὅσοι τῆς σῆς ὥρας ἀπολαύσονται, ἀλλ’ο’ἵτινες πρεσβυτέρῳ γενομένω τῶν σφετέρων ἀγαθῶν μεταδώσουσιν… οἵ, παυσαμένου τῆς ὥρας, τότε τὴν αὑτῶν ἀρετὴν ἐπιδείξονται, ceux qui jouiront de ta jeunesse (de ton hôra) mais ceux qui, lorsque tu seras devenu plus vieux te feront partager leurs richesses,… ceux qui, lorsque ta beauté (ton hôra) aura passé, te donneront la preuve de leur mérite »53. Seul Socrate semble n’avoir pas désiré le bel Alcibiade mais il lui reste fidèle, alors que les autres s’éloignent de lui. En voici la raison, dit-il : « c’est que moi seul je t’aimais, les autres aimaient ce que tu possédais ; or ce que tu possédais cesse d’être dans sa plénitude (dans son hôra) mais toi, tu commences à fleurir », τὰ δὲ σὰ λήγει ὥρας, σύ δ’ἄρχῃ ἀνθεῖν54. Platon distingue ici l’apparence ou la beauté, choses qui vous appartiennent et peuvent vous être enlevées, de la personne, réalité que l’on fut, que l’on est et qui sera toujours mais qui se révèle pleinement dans la maturité. Empruntons un exemple plus banal à Xénophon : « La femme portait le vêtement le plus propre à laisser transparaître sa beauté (son hôra), ἐσθῆτα ἐξ ἡς ἂν μάλιστα ὥρα διαλάμποι. »55 La jeunesse et sa beauté se situent sans doute dans une période limitée, à l’intérieur de la durée d’une vie humaine, mais elles ne se répètent point une fois qu’elles ont passé ; elles ne sont pas périodiques.

Dans plusieurs cas, il semble même que l’hôra échappe au temps. Le déchaînement ou le calme des vents, les pluies ou les sécheresses, la chaleur ou la froidure caractéristiques d’une hôra, ne sont pas toujours liées à une période de l’année ; il arrive qu’elles le soient à une région du monde. « La Cyrénaïque, la plus élevée des régions de la Libye habitées par des populations nomades », écrit Hérodote, » comprend trois hôrai remarquables. Les produits du sol de la région côtière requièrent d’être récoltés et vendangés les premiers. Lorsqu’ils ont tous été cueillis, ceux de la région médiane, située au-dessus des côtes et appelée « le domaine des collines », demandent à l’être à leur tour. Faite cette récolte intermédiaire, les produits de la terre de la région supérieure parviennent à maturité et doivent être cueillis. Tout se passe de telle sorte que la première récolte est bue et mangée quand arrive la dernière. Ainsi, pour les Cyrénéens, l’automne (saison des récoltes) dure huit mois »56. Les hôrai restent liées à la croissance et à la maturation des végétaux mais, concernant toutes trois ce qu’Hérodote appelle l’automne, elles ne correspondent plus à des saisons. Elles ne se situent pas dans le temps mais dans l’espace. Ce sont des régions caractérisées par un climat. Le mot revêt un sens voisin dans une autre phrase du même auteur : « Il se trouve que ces Eoliens ont colonisé une terre meilleure que celle des Ioniens mais qui ne jouit pas du même climat. »57 Il a la même signification dans un fragment d’Anaxarchos : « on parlait, lors d’un repas, des climats et de la température de l’air. »58 Il existe des phrases où nous ne savons pas au juste s’il faut traduire hôra par saison ou par climat59. Notre hésitation n’a pas de sens. Les Grecs ne se posaient pas la question car ni le moment ni le lieu ne définissaient véritablement l’hôra à leur yeux ; pour eux, le mot évoquait d’abord des conditions propices à un développement, à une croissance, à une maturation, ces conditions pouvant être éventuellement temporelles ou locales. Il sert parfois à l’évocation d’un bonheur situé dans un passé légendaire ou dans l’autre monde. Voici comment Platon décrit le sort dont les hommes bénéficiaient sous le règne de Cronos. « Ils vivaient le plus souvent en plein air, sans vêtements ni couvertures, car la qualité des hôrai était tempérée et ne leur causait aucune souffrance. Ils trouvaient des couches tendres dans l’herbe qui poussait de la terre en abondance. »60 L’Axiochos décrit de la façon suivante le séjour des privilégiés dans le monde des morts. « Ils vont habiter dans le pays des hommes pieux. Là des hôrai généreuses portent la semence de tous les fruits ; là coulent des sources d’eau pure ; les prairies se couvrent de fleurs de toutes les couleurs, comme au printemps ;… le bonheur y est sans mélange et la vie douce. »61

Il faut reconnaître toutefois que l’hôra reste le plus souvent située dans le temps. Quelques textes semblent même l’assimiler au temps et l’opposer à l’espace. Pour indiquer cette opposition, ils jouent parfois de la quasi homophonie qui unit en grec le mot hôra au mot chôra (qui veut Diké le lieu)62. Nous ne méconnaissons donc pas les affinités qui unissent l’hôra à la durée ; nous avons pourtant constaté qu’elle n’en est pas une simple subdivision ; elles n’est pas une tranche de temps exactement mesurable. Elle est essentiellement la condition d’une naissance ou d’un développement. On observera que la vie ou l’action dont elle permet et favorise l’essor se situent dans le temps. (Peut-être vaudrait-il mieux Diké dans l’histoire, histoire de l’individu, histoire de la société, histoire de l’univers- qui peuvent impliquer à la fois l’espace et le temps ?) Telle est la nature des liens qui unissent le plus souvent une hôra à une durée.

Les auteurs grecs utilisent plusieurs formules comportant le nom hôra suivi d’un verbe à l’infinitif ou d’un substantif au génitif ; le mot hôra y revêt les différentes valeurs que nous lui avons déjà reconnues, signifiant tantôt un moment ou une durée plus ou moins exactement définie, tantôt le temps propice ou la maturité, l’aptitude à certaines actions ; dans le plus grand nombre des cas, le nom porte à la fois ces deux sens, l’un ou l’autre des deux prédominant, selon les cas. En voici quelques exemples.

Nous lisons chez Homère : « c’est l’hôra de dormir »63, « c’est l’hôra de préparer un repas pour les Achéens pendant qu’il fait encore jour »64. Les interlocuteurs des dialogues platoniciens disent souvent : c’est l’hôra de partir65. Dans de telles phrase, le sens temporel prédomine ; nous pouvons traduire : « c’est le moment de ». Les choses sont un peu plus complexes dans les vers de Timon :

ὥρη ἐρᾶν, ὥρη δὲ γαμεῖν, ὥρη δὲ πεπαῦσθαι

il y a une hôra pour aimer, une hôra pour se marier, une hôra pour avoir renoncé66.

Le mot hôra signifie bien une certaine période dans la vie d’un individu mais il se réfère du même coup à l’état dans lequel celui-ci se trouve dans cette phase de son existence, à ses besoins et à ses aptitudes. Quand Platon mentionne une hôra de réfléchir à certains sujets67, il désigne sans doute un moment mais, également situé dans l’histoire d’un individu, ce moment implique les dispositions intérieures que le cours des événements lui a données.

Des vers de l’Odyssée nous inspireront une remarque semblable : « Il y a une hôra de la conversation, une hôra du sommeil. »68 Selon Démocrite, l’hiver est l’hôra des semailles69 ; d’autres auteurs parlent de l’hôra de la récolte70. Nous retrouvons ici toutes les qualités que nous avons déjà vues impliquées dans la notion grecque de « saison ». Le mot hôra évoque des qualités voisines, d’une manière encore plus évidente, dans les formules suivantes. Une jeune fille parvient à l’hôra de l’homme71. Hérodote raconte l’histoire d’une femme qui devient très belle, après l’avoir été moins. C’est alors qu’un homme intervient : « Agètos, fils d’Alcide, l’épouse quand elle arrive à l’hôra du mariage. »72

Plusieurs textes grecs sont difficilement intelligibles à qui, méconnaissant la signification profonde que nous avons reconnue au nom hôra, croit qu’il désigne simplement une subdivision du temps.

Après la mort, lisons-nous dans le Phédon, l’âme conserve son identité, tandis que le corps se défait et se décompose mais cette décomposition n’est pas immédiate. Le corps « se maintient assez longtemps ; ἐὰν μέν τις καὶ χαριέντως ἔχων τὸ σῶμα τελευτήσῃ καὶ ἐν τοιαύτῃ ὥρᾳ, καὶ πάνυ μάλα, si l’on a un corps agréable à voir au moment de la mort et dans une telle hôra, il se maintient même très longtemps »73. Quelle est la valeur du démonstratif τοιαύτη que j’ai provisoirement traduit par « tel » ? Quel est le sens du mot hôra ? Chambry traduit : « si l’on meurt avec un corps en bon état et dans une saison également favorable. » Donnant au mot hôra le plus courant des sens que les dictionnaires lui attribuent, il comprend que la saison, sèche ou humide, chaude ou froide, agit sur l’état du cadavre. L’idée n’est pas absurde mais le démonstratif embarrasse le traducteur. Il paraît supposer que cet adjectif se réfèrant à un mot précédant dans la phrase comme la chose est usuelle, reprend une idée exprimée ici par la formule χαριέντως ἔχων. Il lui faut alors appliquer cette formule à l’hôra, d’une manière implicite et bien improbable. Sur ce point, Robin prend les choses plus simplement ; il attribue au mot hôra une autre des valeurs que les dictionnaires lui reconnaissent : « beauté de la jeunesse ». Il traduit donc : « pour un corps qui est à l’heure du trépas plein de grâce et dans tout l’éclat de sa fleur. » Le vocabulaire semble respecté mais les mots « pleins de grâce et dans tout l’éclat de sa fleur » paraissent exprimer deux fois la même idée, d’une manière compliquée et redondante ; ajoutons qu’on ne voit pas très bien le rôle que Robin attribue à l’adjectif démonstratif. Pour ma part, je prêterais au mot hôra le sens que notre analyse vient d’éclairer : L’hôra est la condition d’une action, d’une réussite. Construit avec une propositon consécutive ou avec un simple infinitif, l’adjectif démonstratif indique souvent une qualité nécessaire à l’obtention d’un certain résultat ; il peut être traduit par « tel (qu’une certaine chose se produit ou se produira) ». Dans notre phrase, la proposition consécutive ou le simple infinitif sont inexistants ; j’observe pourtant que le résultat considéré est énoncé au début de la phrase puis réexprimé d’une manière elliptique mais claire immédiatement après la formule dont nous discutons : « dans une telle hôra ». Je proposerai donc de traduire. « Si l’on a un corps agréable à voir au moment de la mort et qui se trouve dans des conditions appropriées, il reste même intact très longtemps. » La dernière proposition de la phrase dont ni Chambry ni Robin ne me semblent tirer les conséquences pourrait à mes yeux confirmer cette interprétation. C’est en effet une explicative visant justement à éclairer la proposition que nous tentons de comprendre ; elle précise en quoi consistent les conditions propres à assurer la conservation d’un cadavre : « Car un corps émacié, desséché, comme sont les momies égyptiennes, demeure intact pendant une durée inimaginable. »74

La phrase que nous venons d’examiner est difficile et mon interprétation demeure discutable. Les choses sont ailleurs plus claires. Nous lisons dans l’Axiochos : Ὁ γὰρ πατὴρ ἔκ τίνος ὥρας αἰφνιδίου ἀδυνάτως ἔχει καὶ πρὸς τῷ τέλει τοῦ βίου ἐστίν. « Sous l’effet d’une hôra soudaine, mon père se voit sans force et se trouve près du terme de la vie. »75 Puisqu’elle survient ainsi d’une manière inattendue, l’hôra ne peut être ni une saison, ni une heure, ni aucune des subdivisions régulières du temps. Elle est ce qui produit un résultat inscrit dans l’ordre naturel des choses. L’idée que le mot hôra signifie primitivement une subdivision du temps contraint le philologue à une sorte de gymnastique, pour expliquer son emploi. Dans une note savante citée par J. Souilhé dans son édition des dialogues apocryphes de Platon (Belles-Lettrres. Paris), Fischer écrit que les mots désignant des périodes ou des moments sont parfois employés à la place d’autres mots signifiant ce qui survient et se déroule dans certaines de ces périodes et que, dans le cas particulier, le mot hôra ne désigne pas une partie du jour mais un événement. L’expression « hôra soudaine » voudrait donc Diké un événement soudain, un accident. « Vocabula temporis non rara poni solent pro vocabulis rerum, quae accidunt et eveniunt certo quodam tempore… Iam verba ἀδυνάτως ἔχειν et αἰφνίδιος ostendunt ὥραν non significare partem diei, sed casum… Ὥρα αἰφνίδιος igitur est casus quo quis oppressus est subito et repente ; et qui oppressus casu aliquo repentino est, ita ut defectus sit omnibus viribus, is dicitur ἔκ τινος ὥρας αἰφνίδιου ἀδυνάτως ἔχειν. » L’explication est ingénieuse mais contournée.

Quelques exemples plus simples justifieront la façon dont nous venons de comprendre deux phrases difficiles.

Considérant deux jeunes gens, le Socrate de Xénophon s’interroge en premier lieu sur leur attitude à l’égard de la nourriture, « car il n’y a pas de vie, si l’on ne se nourrit pas. Ne sera-t-il donc pas naturel, pour l’un et pour l’autre, de vouloir toucher à quelque aliment, quand vient l’hôra ? »76. Il est certainement faux de traduire comme Chambry : « à certaines heures » ; c’est ne pas tenir compte du verbe ἥκω, « venir » ; ce verbe nous indique clairement qu’il ne s’agit pas ici d’une heure quelconque. L’hôra est le moment propice, le moment qui convient à la prise de nourriture.

Hérodote raconte l’étrange expérience du pharaon Psammétique. Voulant savoir quelle langue fut originelle, il confia deux enfants nouveau-nés à un berger, en lui donnant les instructions suivantes : μηδένα ἀντίον αὐτῶν μηδημίαν φωνὴν ἱέναι, ἐν στέγῃ δὲ ἐρήμῃ ἐπ’ἑωυτῶν κεῖσθαι αὐτὰ καὶ τὴν ὥρην ἐπαγινέειν σφι αἶγας, πλήσαντα δὲ τοῦ γάλακτος τἆλλα διαπρήσσεσθαι « que personne ne prononce aucun mot devant eux ; qu’ils soient déposés seuls dans un local désert ; à l’hôra, qu’on leur amène des chèvres et, qu’après leur avoir fait boire du lait à satiété, on leur donne les autres soins nécessaires »77. On sera alors attentif aux premiers mots qu’ils prononceront, L’hôra est clairement ici le moment qui convient, le moment propice à l’allaitement.

Platon parle des maladies provoquées chez la femme par le fait qu’elle ne procrée point. La matrice, écrit-il, « organe animé, mu par le désir de faire des enfants », s’irrite et souffre « ὅταν ἄκαρπον παρὰ τὴν ὥραν χρόνον πολὺν γίγνηται, quand elle ne porte point de fruit pendant une longue durée malgré l’hôra »78. L’hôra est ici la maturité des organes féminins, leur aptitude à la procréation.

En terminant ce chapitre, je citerai une phrase de Jamblique. Il parle du καιρός (kairos), mot que nous pourrions traduire : « le moment opportun ». Le philosophe dit à quel point il importe de savoir choisir les paroles ou les gestes justes, ceux qui conviennent à la situation que vous occupez, aux circonstances où vous êtes plongés. Il ajoute : « certains phénomènes accompagnent (ceux que nous venons de mentionner) et sont tels qu’ils se conforment presque à la nature du kairos ; ce sont ceux qu’on appelle l’hôra, le convenable, l’approprié », οἷα συμπαρέπεσθαι τῆι τοῦ καιροῦ φύσει τήν τε ὀνομαζομένην ὥραν καὶ τὸ πρέπον καὶ τὸ ἁρμόττον79. Par ces mots, le néoplatonicien confirme quelques-unes de nos conclusions ; il nous apprend en outre la parenté de l’hôra et du kairos. Sur ce dernier point, je citerai un texte d’une nature très différente : une clé des songes. Dans les rêves, la vision de fleurs ou de fruits constitue un signe heureux ou néfaste, selon la période où le rêve a lieu : lors de l’épanouissement des fleurs, de la maturation des fruits, ou en une autre saison. A ce propos, Artémidore d’Ephèse écrit tantôt κατὰ τὴν ὥραν, παρὰ τὴν ὥραν (conformément à l’hôra, contrairement à l’hôra), tantôt κατὰ τὴν ὥραν, παρὰ τὸν καιρόν (conformément à l’hôra, contrairement au kairos). Ces textes m’inspirent la remarque suivante. La langue grecque connaît deux mots signifiant à peu près l’idée du temps : 1°) le mot chronos qui peut s’appliquer à un moment précis, à une époque déterminée, à une durée plus ou moins bien définie ; 2°) le mot kairos qui veut Diké la juste mesure et désigne dans le cours des événements la circonstance favorable, le moment propice ou opportun. S’il concerne le temps, le mot hôra me semble de la nature du kairos autant et plus que de celle du chronos. Il y a pourtant une différence entre l’hôra et le kairos. Celui-ci paraît souvent fortuit ; il résulte du hasard. Au contraire l’hôra tient à la nature profonde des choses.

En effet si, telle que la présentent plusieurs des textes que nous avons cités, l’hôra n’est pas périodique, trop de témoignages soulignent le caractère cyclique de certaines hôrai pour que nous puissions négliger leur enseignement. Fondée sur celle des mouvements sidéraux, la périodicité de ces hôrai a un sens. Elle montre que l’hôra procède de la nature. Un texte le dit clairement, en regroupant plusieurs des informations que nous avons déjà collectées. Il est tiré des Lois de Platon. Le philosophe souhaite que l’on enseigne de l’astronomie aux enfants, dans la mesure de son utilité : « De quoi parlons-nous ? Nous parlons de l’ordonnance des jours dans le parcours des mois, de l’ordonnance des mois à l’intérieur de chaque année. Cette double ordonnance doit permettre que les hôrai, les sacrifices et les fêtes, recevant chacune les caractères qui lui conviennent du fait qu’ils se déroulent conformément à la nature, τῷ κατὰ φύσιν ἄγεσθαι, maintenant la cité éveillée et vivante, apportent aux dieux les honneurs qui leur sont dus et rendent les hommes plus conscients de cette exigence. » Les mots clés sont κατὰ φύσιν, « conformément à la nature »80. Cette conformité est une condition de la pertinence et de l’efficacité des hôrai ; solidaires des cérémonies religieuses, celles-ci pourront assurer l’accord des hommes et des dieux, pour assurer la vitalité, la vigilance de la cité.

Chacun à sa façon, les philosophes enseignent eux-mêmes que les hôrai procèdent de la nature. Ils en expliquent la naissance, en se référant à ce qui constitue pour eux les principes fondamentaux de l’univers. Ceux qui lient l’ordre cosmique aux combinaisons des nombres, proposent des théories numériques des hôrai81. Ceux qui réduisent la diversité apparente des substances corporelles à la combinaison de quelques éléments simples montrent en elles le produit de mélanges équilibrés. Platon y voit un juste dosage du sec et de l’humide82 ou l’introduction d’une limite dans un continu illimité83. Combinaison de principes ou convenance de nombres, le système des hôrai constitue un ensemble ordonné ; elles sont une harmonie. L’équilibre qui s’établit en chacune d’entre elles et entre elles toutes assure leur productivité84. Il arrive toutefois que des accidents troublent cet équilibre ; telle est la source des maladies et de bien d’autres maux85. N’entrons pas dans le détail de ces spéculations. Constatons simplement qu’elles visent à justifier un sentiment commun : les hôrai plongent leurs racine dans la nature la plus profonde de l’univers ; elles sont solidaires de ce qui lui confère tout à la fois son ordonnance et sa vitalité. Leur désordre occasionnel constitue le signe d’une perturbation qui affecte la santé ou la prospérité des hommes.

2. Deux adjectifs

La considération de deux dérivés du nom hôra permettra de confirmer les observations que nous venons de faire et de les compléter : il s’agit des adjectifs ὡραῖος (hôraios) et ὥριος (hôrios). Ils sont à peu près synonymes mais, avant une époque tardive, le second est exclusivement poétique, tandis que le premier est d’un usage commun. De par leur formation, ils devraient qualifier un objet lié à une hôra. Les dictionnaires nous incitent à leur donner pour sens premier : « propre à une saison, à certains moments de l’année ou de la vie humaine. » Une telle interprétation n’est pas illégitime ; elle nous permet de choisir des mots commodes pour traduire les deux adjectifs, dans la plupart de leurs emplois ; elle ne rend pourtant pas pleinement compte de la relation qui unit à l’hôra l’acte, la personne ou l’objet qu’ils qualifient. En examinant les textes où ces mots figurent nous constaterons en effet que cette relation n’est pas seulement temporelle.

Il arrive qu’hôraios et hôrios se réfèrent à une saison mais ils en évoquent alors les qualités ou les pouvoirs plus qu’ils ne précisent la situation qu’elle occupe dans la durée de l’année. Dans les cas les plus banals, ils suggèrent simplement les conditions météorologiques qui la caractérisent. C’est ainsi que nous lisons chez Hésiode : « Ne sois inattentif ni à la venue du printemps ni à celle des pluies saisonnières, μήθ’ ὥριος ὄμβρος. »86 Le mot hôraios lie la météorologie aux moments de l’année d’une manière si étroite qu’Hérodote utilise la fome substantifiée hè hôraia (=ὥρη ἡ ὡραίη) pour désigner la saison où, de l’avis d’un Grec, il devrait normalement pleuvoir ; l’historien le fait d’une manière paradoxale, en parlant d’un pays où cette saison est précisément une saison sèche87.

L’adjectif hôraios qualifie les conduites humaines adaptées à certaines conditions saisonnières. Hésiode écrit : τῆμος ἄρ’ ὑλοτομεῖν, μεμνημένος ὥρια ἔργα, « il convient alors de couper ton bois, étant attentif aux travaux appropriés à la saison »88. Il importe en effet de respecter les exigences propres à chaque période de l’année ; c’est particulièrement vrai en matière de navigation. « Quant à toi, Persès, conserve la mémoire de tous les travaux appropriés aux saisons, surtout en ce qui concerne la navigation », ἔργων μεμνημένος εἶναι / ὡραίων πάντων, περὶ ναυτιλίης δὲ μάλιστα89. Après avoir retiré le bateaux sur le rivage, mis à l’abri rames et gréements, il faut attendre que vienne l’ὡραῖος πλόος90. La formule est remarquable : Il ne s’agit pas d’attendre l’hôra, « la saison », propice à la navigation mais le ploos, « le voyage maritime », adapté à l’hôra. Cela ne signifie pas seulement un voyage correctement situé dans le temps mais aussi un bon voyage. En commentant cette formule, Hésiode précise : « alors tu ne briseras pas le navire et la mer ne fera pas périr tes gens. »91 Le poète terrien qui se méfie de la mer, emploie ici une formule négative ; Théocrite s’exprime d’un manière plus positive : « Pour Agéanax qui désire naviguer en Dikéction de Mytiléne, que tout soit hôrios (ὥρια πάντα γένοιτο) et qu’il parviennne au port après une heureuse traversée. »92 Ainsi, en soulignant son accord avec l’hôra, les adjectifs dérivés qualifient une action réussie.

On le voit notamment dans la vie agricole. Les travaux des champs se situent dans l’année à des moments que maints signes permettent d’identifier. C’est le cas des labours. « Quand les Pléiades, les Hyades et la force d’Orion plongent sur l’horizon, alors il te faut penser au labour qui doit être effectué en cette saison, ἀρότου μεμνημένος εἶναι ὡραίου. »93 Ces mots sont suivis d’une proposition malheureusement difficile à comprendre : πλείων δὲ κατὰ χθονὸς ἄρμενος εἴη. Je serais enclin à suivre l’interprétation de Mazon et de West en ce qui concerne le mot πλείων ; il signifie sans doute « le grain, la semence ». Faut-il rattacher ἄρμενος à ἀείρω ou à ἀραρίσκω ? Si nous y voyons une forme du verbe ἀείρω, devrions-nous comprendre : « puisse le grain croître de la terre » ? je ne le sais pas. Un chose est claire, après hôraios nous trouvons un optatif : la convenance à l’hôra autorise à énoncer un vœu. Le même adjectif qualifie aussi la période propice aux moissons, que la forme substantifiée hè hôraia peut désigner précisément. Nous lisons chez Apollonios de Rhodes : « Quand une guerre s’élève entre peuples voisins, le paysan, de peur que l’ennemi ne moissonne son champ avant lui, prend en main sa faucille courbe fraîchement aiguisée et se presse de couper les épis avant l’heure, sans attendre la saison où ils mûrissent aux rayons du soleil. »94 Delage dont je viens de citer la traduction rend bien compte du texte grec : οὐδε βολῇσι / μίμνει ἐς ὡραίην τερσήμεναι ἠελίοιο. On notera toutefois que l’ὡραίη ne se définit pas par une date mais par la maturation du blé ou, mieux peut-être, par la convenance entre une action humaine, ici la moisson, et un stade du développement végétal, dans le cas particulier la maturité des céréales. Décrivant les usages de peuples habitant la vallée de l’Araxe, Hérodote écrit : καρποὺς δὲ ἀπὸ δενδρέων ἐξευρημένους σφι ἐς φορβήν κατατίθεσθαι ὡραίους καἰ τούτους σιτέεσθαι τὴν χειμερίνην. « Les fruits qu’ils ont cueillis des arbre, ils les déposent dans leurs réserves hôraioi et les mangent pendant l’hiver. »95 L’opposition hôraioi-hiver donne évidemment à l’adjectif une connotation temporelle mais l’adjectif s’accorde avec le nom « fruit », qu’il qualifie : ce sont des fruits dans leur pleine maturité. Substantifié, le neutre pluriel ta hôraia désigne les blés mûrs. Selon Xénophon le bon intendant devrait prendre à les montrer à son maître autant de plaisir que celui-ci à les voir96. Ce même mot signifie les récoltes que l’on transporte ou que l’on ensile97.

Considérons enfin un texte difficile d’Hésiode. « Il faut semer nu, labourer nu, moissonner nu,

εἴ χ’ ὥρια πάντ’ ἐθέλησθα

ἔργα κομίζεσθαι Δημήτερος, ὥς τοι ἔκαστα

ὥρι’ ἁέξηται98.

Les mots ἔργα κομίζεσθαι posent un problème. Le moyen κομίζεσθαι peut signifier « mettre dans un lieu servant de réserve » ; cela nous inciterait à voir dans « les œuvres de Déméter » la récolte que les travaux agricoles produisent ; deux faits s’opposent pourtant à cette interprétation. Aucune indication de lieu ne complète le verbe κομίζεσθαι ; la proposition finale introduite pas ὥς signifie à coup sûr « afin que… tout croisse » ; or la récote ensilée n’a plus de croissance possible. Il ne faut pas raisonner en français mais en grec. Au moyen comme à l’actif, serait-ce avec les nuances propres à chaque voie, le verbe κομίζω signifie « vouer ses soins » à un objet, quelque forme que ces soins puisse prendre. Les ἔργα Δημήτερος sont les travaux agricoles : ils associent l’homme à l’activité d’une déesse qui, solidaire des céréales, les fait croître et mûrir. Nous traduirons provisoirement :

si tu veux, toutes hôria,

vouer tes soins aux œuvres de Déméter, afin que toutes

croissent, hôria.

Il nous reste à percevoir le sens du mot hôria. Si l’on veut que les œuvres de Déméter soient hôria, il faut travailler nu. Cela nous montre que la qualité signifiée par cet adjectif ne se définit point par une date ; la nudité n’est pas temporelle. Cette qualité leur est conférée, partiellement du moins, par la façon dont les hommes participent aux œuvres de Déméter ; ils agissent en sorte que ces œuvres deviennent hôria. Cette qualité est pour les œuvres le résultat d’une croissance. Les vers qui suivent nous apprennent enfin que si les œuvres ne croissent point et ne deviennent pas hôria, l’homme, privé de ressources, sera contraint à la mendicité. Ainsi les ἔργα, les œuvres, sont à la fois les travaux agricoles, des labours et des semailles à la récolte et à son engrangement, et la croissance de la céréale, de la graine à l’herbe puis à l’épi, ainsi qu’à la formation de graines nouvelles. A chacun de ces stades le comportement humain est hôrios quand il convient au stade correspondant du développement végétal. Les ἔργα sont tous hôria, quand les deux processus, produits conjoints de l’activité divine et du travail des hommes, parviennent à leur aboutissement. Nous traduirons donc les vers d’Hésiode de la façon suivante : « Il faut semer nu, labourer, nu moissonner nu, si tu veux en t’adonnant aux œuvres de Déméter les conduire à leur accomplissement, afin que chaque récolte parvienne à maturité. »

Lisons encore Hésiode :

σοὶ δ’ έργα φίλ’ ἔστω μέτρια κοσμεῖν

ὥς κέ τοι ὡραίου βιότου πλήθωσι καλιαί.

Prends à cœur d’ordonner correctement tes travaux,

afin que tes greniers soient emplis de ce qui fait vivre, horaios99.

Le mot biotos « la vie », « ce qui fait vivre », désigne ici la nourriture que le travaux bien ordonnés produisent ; obtenu au terme de ces travaux, ce qui fait vivre est hôraios c’est-à-Diké dans sa maturité, dans sa plénitude.

D’autres vers expriment une idée voisine en termes légèrement différents :

« Il accorde peu d’attention aux querelles et aux débats de l’agora »,

ᾧ τινι μὴ βίος ἔνδον ἐπηετανὸς κατάκειται

ὡραῖος, τὸν γαῖα φέρει, Δημήτερος ἀκτήν,

celui qui n’a pas chez lui en abondance, dans un état hôraios,

ce qui fait vivre et que la terre produit : le blé de Déméter100.

Dans ces deux textes l’adjectif hôraios ne qualifie donc pas simplement le produit agricole mais les plantes récoltées, considérées comme un élément, comme une principe vital ; il indique que ce principe atteint le stade de sa pleine efficacité.

De fait, les adjectifs hôraios et hôrios ne s’appliquent pas seulement à des végétaux ; ils peuvent qualifier des êtres humains. Ils indiquent notamment leur aptitude au mariage. Ils le font pour des hommes, comme le montre un passage d’Hésiode. « C’est hôraios qu’il faut amener une femme dans ta maison, quand tu n’as pas beaucoup moins de trente ans, ni beaucoup plus. Ce mariage sera hôrios. Quant à la femme, qu’elle accomplisse sa puberté pendant quatre ans et se marie la cinquième année. »101 Solon emploie hôrios de la même façon. Ayant divisé la durée de la vie humaine en périodes de sept ans, il écrit : « dans la cinquième période, il faut se rappeler que l’on est un homme hôrios pour le mariage et chercher à se donner une descendance. »102 Notons toutefois que, dans cet emploi, les deux adjectifs qualifient plus souvent des femmes. Les Vénètes, écrit Hérodote, célèbrent leurs mariages dans une cérémonie annuelle : « Ils réunissaient toutes les jeunes filles qui devenaient alors hôraiai pour le mariage et les conduisaient ensemble dans un même lieu… »103 A propos de l’Athénien Callias dont la conduite à l’égard de ses trois filles lui paraît remarquable, l’historien raconte : « quand elles devinrent hôraiai pour le mariage, il leur constitua une dot prestigieuse et les maria aux hommes qu’elles choisirent. »104 Selon Xénophon, faisant une ouverture à Cyrus, Gobrias lui dit : « J’ai une fille, digne d’être aimée, déjà hôraia pour le mariage. »105 Dans la poésie, le mot hôrios connaît le même usage. Antonios Thallos évoque le triste destin d’une femme que la mort enleva dans sa prime jeunesse, « tu étais », écrit-il, « hôrios pour le mariage »106. L’aptitude dont il s’agit n’est pas simplement une aptitude sociale, c’est une une maturité physique ou fonctionnelle. A la formule « hôraia pour le mariage » se substitue parfois le tournure « hôraia pour l’homme »107. Les deux adjectifs signifient une beauté propre à inspirer le désir. Un monstre évoqué par Aristophane revêt de multiples formes ; c’est tantôt une vache, tantôt un mulet, tantôt une très belle femme, γυνὴ ὡραιοτάτη τις108. Le même superlatif du mot hôraios qualifie une courtisane séduisante, mentionnée par le poète comique dans un passage scabreux109. Avec cette signification, l’adjectif s’applique souvent à des jeunes gens ; il sont si beaux, si désirables qu’il peut être prudent de ne pas trop s’approcher d’eux110. Selon Platon, la beauté signifiée par l’adjectif hôraios, cette beauté de la jeunesse triomphante, propre à inspirer le désir, doit être distinguée de la vraie beauté qui est, elle, durable111. Les adjectifs dérivés du nom hôra peuvent enfin s’appliquer à des animaux ; ils signifient alors l’état d’une femelle prête à mettre bas112.

Les derniers des emplois de l’adjectif hôraios que nous venons de citer ne doivent pas nous tromper. Il peut signifier des achèvements d’autres types et qui approprient à d’autre fins. S’il suggère parfois une aptitude à l’amour et à la procréation, il évoque en d’autre cas une convenance à la mort. Neutre et substantifié, hôraion, signifie pour un être humain l’âge où sa vie prendra normalement fin. Refusant de sacrifier son fils Ménécée pour sauver la cité, Créon préférerait mourir lui-même. « Quant à moi, puisque j’en suis au point d’achèvement de ma vie, ἐν ὡραίῳ γὰρ ἕσταμεν βὶου, je suis prêt à mourir, pour délivrer notre pays. »113 A ce point d’achèvement, la mort elle même paraît hôraios. Nous lisons chez Xénophon : « Qu’y a-t-il de plus éloigné d’un chant funèbre qu’une vie glorieuse et qu’une mort hôraios ? »114 Pour exprimer une idée semblable, Solon emploie un autre adjectif dérivé de hôra, ahôros, « sans hôra, qui ne se produit pas dans l’hôra ». Si un homme, écrit-il, traverse la dixième des périodes de sept ans qui composent une destinée humaine, alors « ce n’est pas au moment où il est ahôros qu’il reçoit sa part de mort »115.

L’adjectif hôraios qualifie enfin des cérémonies religieuses116. Il implique sans doute une référence à la date de leur accomplissement mais il signifie aussi la convenance qui unit les rites considérés à un stade du développement végétal ou à l’accomplissement d’activités humaines. Dans certains cas, l’offrande est prélevée sur les hôraia des champs117. Pour plaire au dieu, les hommes lui apportent tout ce qui est hôrios118.

(Faisons une remarque incidente. Les mots hôra et hôraios dont nous constatons que le sens est à la fois très riche et complexe connaissent en Grèce moderne des évolutions opposées. Le nom ὥρα conserve surtout un sens temporel, il correspond le plus souvent au français « heure », tandis que l’adjectif ὡραῖος signifie seulement « beau, très beau, excellent »119.)

B. Les divinités Hôrai

Une tradition bien attestée depuis Hésiode appelle Hôrai un groupe de déesses, nées de Zeus et de Thémis120. Des statues les représentent en plusieurs lieux121 ; à Athènes et à Olympie, elles sont figurées sur le trône ou près de la tête de Zeus ; à Corinthe et à Olympie, sur le trône d’Héra122 ; à Amyclée, on les voit sur le fameux monument que Bathyclès construisit pour servir au culte d’Apollon123 ; à Mégalopolis, sur une table d’offrandes destinée aux deux déesses124. Un autel leur est consacré à Olympie125 ; elles ont un sanctuaire, à Corinthe126. Les Athéniens les associent aux fête apolliniennes des Thargélies et des Pyanepsies, célèbrent différents rites en leur honneur et leur font un sacrifice périodique127. Ainsi les déesses Hôrai ont à la fois une réalité mythologique et une présence cultuelle.

Il est pourtant malaisé de comprendre ce qu’elles furent aux yeux des Grecs. Leurs opinions divergent quant à leur nombre et quant aux noms portés par chacune d’entre elles. Comme nous le savons déjà, Hésiode en connaissait trois : Eunomiè (la Bonne organisation), Diké (la Justice) et Eirènè (la Paix). Sur ce point, la plupart des auteurs se montrent fidèles à son enseignement128 mais les Athéniens ont une tradition différente. Voici ce que Pausanias nous en dit incidemment, dans un développement qu’il consacre aux Charites. « Les Béotiens racontent qu’Etéocle fut le premier des hommes qui sacrifia aux Charites ; ils savent qu’il institua le culte de trois Charites mais ils ne se souviennent plus des noms qu’il leur donna. Les Lacédémoniens affirment qu’il y a deux Charites, que leur culte fut institué par Lacédémon, le fils de Taygétè ; que celui-ci leur donna les noms de Clèta (l’Invitée) et de Phaenna (la Brillante). Ces noms conviennent aux Charites ; ceux qu’elles portent chez les Athéniens leur conviennent aussi car, depuis des temps très anciens, ils honorent les Charites Auxô et Hègémonè. En effet le nom de Carpô n’est pas celui d’une Charite mais celui d’une Hôra. Les Athéniens accordent des honneurs à la seconde des Hôrai, en même temps qu’à Pandrosos, et ils appellent cette déesse Thallô. Suivant la leçon d’Etéocle d’Orchomène, nous avons la coutume d’adresser nos prières à trois Charites. »129

De ce texte compliqué se dégagent deux enseignements relativement simples :

a) Selon une vieille tradition athénienne, il y a deux Charites, Auxô et Hègémonè, et deux Hôrai, Carpô et Thallô. Le culte associe cette dernière à Pandrosos.

b) Il y a suffisamment de proximité entre les Charites et les Hôrai pour que Pausanias éprouve le besoin d’une mise en garde : ses lecteurs risquent de confondre entre elles les divinités de ces deux groupes.

Sans confirmer exactement les indications de Pausanias, un document inséré dans le discours de Lycurgue contre Léocrate leur donne de la vraisemblance ; il montre que les noms cités par le périégète sont bien ceux de divinités athéniennes. En prêtant le serment civique, après Aglauros, Enyalios, Arès et Zeus, les nouveaux éphèbes invoquent en effet Thallô, Auxô et Hègémonè130. Ce document soulève pourtant un problème. Le groupement des trois divinités dont les noms sont placés en dernier lieu, après celui de Zeus, paraît indiquer qu’elles forment un ensemble cohérent, aux yeux de l’éditeur ancien qui introduisit le texte du serment dans le discours contre Léocrate. Une inscription nous donne un autre sujet de réflexion ; elle conserve le serment tel qu’il était prononcé dans le dème attique d’Acharnes ; or nous y voyons le nom Carpô substitué à celui d’Hègémonè131. Une hypothèse permettrait de coordonner ces données. Nous supposerons que la vieille tradition attique a bien connu deux Charites et deux Hôrai, comme l’écrit Pausanias ; toutefois le chiffre hésiodique de trois Charites et de trois Hôrai s’impose finalement à l’esprit des Athéniens ; ils reforment un groupe de trois divinités en utilisant les vieux noms locaux ; l’inscription d’Acharnes donne le groupement cohérent : Thallô, Auxô, Carpô – trois noms que nous pourrions approximativement traduire : « Floraison », Croissance », « Fructification ».

N’attribuons pas une importance excessive à cette hypothèse ; elle reste incertaine. Examinons en revanche les noms que nous venons de découvrir. Celui des Charites est le pluriel d’un nom usuel charis, qui signifie « la grâce » ; il faut entendre soit « le charme et la beauté », soit « le plaisir et la joie » ; les siècles classiques l’utiliseront pour Diké en outre « la bienveillance, le respect ou la reconnaissance ». Les textes lient souvent les Charites à Aphrodite, déesse de l’amour et de la séduction, qui favorise la fécondité ; ils les associent aussi à l’essor de la végétation132. Comme nous venons de le voir, la vieille tradition athénienne connaissait deux Charites : Auxô – dont le nom est apparenté à un verbe signifiant « accroître, augmenter » – et Hègémonè – dont le nom veut Diké « la conductrice ». Elle connaissait deux Hôrai, Thallô – dont le nom est apparenté à un verbe signifiant « fleurir » ou « verdoyer » – et Carpô – dont le nom est apparenté à un mot courant signifiant « le fruit » ou « la récolte ». Le serment des éphèbes d’Achames réunit Thallô, Auxô, Carpô, trois divinités dont les noms conviennent donc bien aux Hôrai puisque celles-ci favorisent la croissance et la maturation des végétaux, comme nous l’avons constaté. Nous observerons toutefois que la vieille tradition associe Auxô à Hègémonè, dont le nom a des connotations politiques ; nous ajouterons que toutes ces divinités sont invoquées dans le serment prononcé par les adolescents, au moment où ils vont accéder à la citoyenneté. Ils attestent en premier lieu Aglauros, une héroïne qui, comme ses sœurs, a sans doute des affinités avec la rosée, mais que les rites et les mythes lient étroitement à l’histoire originelle de la cité ; il nomment ensuite les dieux de la guerre, puisqu’il vont accomplir un service militaire, et Zeus, le dieu de la souveraineté. Comprises dans cette série, les trois divinités que nous considérons doivent aussi remplir une fonction civique ou politique. Nous savons au demeurant que les hôrai contribuent à l’accomplissement de toute entreprise.

Les noms que la tradition hésiodique donne aux Hôrai, Eunomiè (Bonne organisation), Diké (Justice) et Eirènè (Paix), désignent clairement en elles des divinités politiques. En les étudiant individuellement, les unes après les autres, nous constaterons qu’elles assurent ensemble le succès des activités sociales et la prospérité d’une cité ; en celà, elles sont bien des Hôrai.

Considérons enfin une notice d’Hygin, dont le texte est malheureusement corrompu. Le mythographe latin nous apprend que certains auteurs énumèrent dix Hôrai ; elles semblent se succéder comme les heures du jour, de la première apparition de la lumière et du lever du soleil jusqu’à son coucher ; entre ces termes extrêmes assez clairement intelligibles, prennent place des noms qui, pour autant que nous parvenions à les comprendre, évoquent des activités humaines propres à certains moments de la journée. Il s’agit là d’une reconstitution arbitraire, fondée sur l’un des sens les plus limités que le mot « hora » peut prendre et qu’il revêt en latin plus souvent qu’en grec. Hygin nous donne une autre liste plus intéressante, fruit de sa propre réflexion : « Auxo, Eunomia, Pherusa, Carpo, Dice, Euporie, Irene, Orthosie, Thallo »133. Il intègre dans sa liste les Hôrai de la tradition athénienne renouvelée : Thallô, Auxô, Carpô (confirmant ainsi l’hypothèse que nous avons faite quant à l’intégration d’une ancienne Charite dans la triade des Hôrai), et celles de la tradition hésiodique : Eunomia, Diké, Eirènè ; il y ajoute trois noms : Euporia veut Diké « l’abondance » ; Phérousa est « celle qui porte » ou « qui apporte » ; épithète occasionnelle d’Artémis, Orthôsia veut Diké « celle qui dirige ou conduit dans la juste voie ». En réunissant des noms qu’il emprunte ainsi à plusieurs traditions, Hygin croit établir une liste de neuf Hôrai. Son texte même me paraît montrer qu’il existe seulement trois déesses auxquelles trois traditions donnent des noms différents ; chose remarquable, ces noms se correspondent ; avec des nuances diverses sans doute, ils portent des sens voisins, tous appropriés à la désignation de divinités incarnant les hôrai, telles que notre analyse lexicologique nous les a fait entrevoir.

Tentons de cerner les traits de ces trois divinités. Pour des témoins tardifs encore, solidaires du déroulement de l’année et de celui de la vie végétale, les Hôrai sont bien telles que l’usage commun du mot hôra nous le laisse pressentir. Aratus les associe aux déplacement du soleil à travers les signes du zodiaque et voit en elles des dispensatrices de fruits134. Ovide les rapproche des fleurs, en faisant parler la déesse Flora, reine des fleurs, de la façon suivante :

roscida cum primum foliis excussa pruina est

et variae radiis intepuere comae,

conveniunt pictis incinctae vestibus Horae

inque leves calathos munera nostra legunt.

dès que la rosée saisie par le gel est tombée des feuilles et que les frondaisons aux divers aspects se réchauffent sous les rayons du soleil les Hôrai viennent toutes ensemble, vêtues de tissus colorés, cueillent mes dons et les mettent dans des corbeilles légères135.

D’autres textes sont plus remarquables. Riches et belles, dispensatrices de la prospérité, les Hôrai sont proches des fleurs et des fruits. Leur charme les apparente aux Charites auxquelles de nombreux monuments figurés, des poèmes et des mythes les associent136. Elles dansent souvent à leurs côtés, et participent ensemble aux rondes divines. A l’arrivée d’Apollon sur l’Olympe, lisons-nous dans un hymne, les Muses se mettent à chanter,

de leur côté les Charites aux belles boucles et les joyeuses Hôrai,

Harmonie, Hébé et la fille de Zeus, Aphrodite,

dansent en se tenant, la main de l’une sur le poignet de l’autre137.

Un hymne orphique invoque les Hôrai dans les termes que voici :

Ὧραι ἀειθαλέες, περικοκλάδες, ἡδυπρόσωποι,

πέπλους ἑννύμεναι δροσέρους ἀνθῶν πολυθρέπτων,

‹ἁγνῆς› Περσεφόνης συμπαίκτορες, ἡνίκα Μοῖραι

καὶ Χάριτες κυκλίοισι χοροῖς πρὸς φῶς ἀνάγωσι

Ζηνὶ χαριζόμεναι καὶ μητέρι καρποδοτείρηι·

Hôrai toujours florissantes, vous qui formez des rondes, le visage plein de douceur,

portant des vêtements empreints de rosée, couverts de multiples fleurs,

vous partagez les jeux de la sainte Perséphone quand les Moires

et les Charites, dans leurs danses circulaires, la reconduisent à la lumière,

pour plaire à Zeus et à sa mère (Déméter), la dispensatrice de récoltes138.

Toutes ces indications sont pittoresques mais, liés entre eux, la beauté, la joie, la danse, les fleurs et les fruits portent un sens. Pindare fait de Thémis la première épouse de Zeus et non la seconde, comme l’enseignait Hésiode. En parlant de leur mariage, il présente les filles auxquelles il a donné le jour :

En premier lieu, c’est la céleste Thémis, fertile en bons conseils,

que, sur un char attelé de cavales d’or près des ondes océanes,

les Moires ont conduite vers la cime vénérable

en suivant la riche voie de l’Olympe,

pour y être, dans les temps anciens, l’épouse de Zeus Sauveur.

Parées d’un bandeau d’or et porteuses de beaux fruits,

elle mit au monde les Hôrai véridiques139.

« Parées d’un bandeau d’or, porteuses de beaux fruits,… véridiques », les trois adjectifs se complètent ; l’or et les fruits sont indissociables de la vérité.

A ces images, certains textes donnent encore un autre sens : les danses, les parures et les fleurs appartiennent à l’ordonnance des fêtes religieuses. Un dithyrambe de Pindare célèbre Dionysos :

Quand, tandis que s’ouvre

la chambre des Hôrai aux voiles pourpres,

les fleurs divines amènent le printemps odorant,

on jette sur la terre immortelle de charmantes touffes

de violettes ; on dispose des roses dans les chevelures ;

les voix des chanteurs retentissent, mêlées au son des flûtes ;

les chœurs se dirigent vers Sémélé qui est parée d’un diadème140.

Nous reviendrons sur la chambre des Hôrai. Pour l’instant, retenons seulement une chose : Lors de son ouverture, des plantes fleurissent et c’est le printemps ; c’est aussi le moment de célébrer Dionysos. Mais le poète associe aussi les Horai aux fêtes d’autres dieux :

L’année a maintenant achevé son cours

et les Hôrai, fille de Thémis,

reviennent dans la ville de Thèbes, amie des chevaux,

amenant pour Apollon le banquet

où l’on porte les couronnes qui lui plaisent141.

Progressons dans le domaine des mythes. L’Iliade nous montre Héra et Athéna prêtes à intervenir en faveur de Ménélas, dans la bataille que se livrent les hommes. Elles sont équipées et vont quitter le séjour des dieux.

αὐτόματοι δὲ πύλαι μύκον οὐρανοῦ, ἅς ἔχον Ὧραι

τῇς ἐπιτέτραπται μέγας Οὐρανὸς Οὐλυμπός τε

ἠμὲν ἀνακλῖναι πυκινὸν νέφος ἠδ’ἐπιθεῖναι·

τῇ ῥα δι’ αὐτάων κεντρηνεκέας ἔχον ἵππους·

D’elles-mêmes, les portes du ciel grincèrent, que maîtrisent les Hôrai.

Le vaste ciel et l’Olympe leur ont été confiés,

ainsi que la charge d’écarter un épais nuage et de le remettre en place.

C’est par cette ouverture que les déesses dirigèrent leurs chevaux, en usant de l’aiguillon142.

Dans une autre circonstance, les deux déesses renonçant à combattre sur la terre, pour ne pas entrer en conflit avec Zeus, sont revenues sur l’Olympe :

Pour elles, les Hôrai dételèrent les chevaux aux belles crinières ;

elles les attachèrent devant les mangeoires divines

puis, inclinant les chars, elles les appuyèrent contre un mur de la cour143.

Ainsi, commises à la garde des portes du ciel, les Hôrai prennent soin des attelages divins, lorsque les dieux vont quitter leur résidence olympienne ou lorsqu’ils y reviennent après un séjour parmi les hommes. Cette tradition reste vivante jusqu’à l’époque impériale. Ovide y fait allusion144. Lucien s’y réfère plusieurs fois ; comme Homère le faisait déjà, il associe les portes célestes à des nuages. « Que les Hôrai enlèvent dès maintenant la barre et qu’éloignant les nuages, elles ouvrent toutes grandes les portes du ciel. »145 Deux images symbolisent ainsi la clôture du monde supérieur où les dieux résident : celle d’une porte que des gardiennes ouvrent ou referment et celle de nuages qu’elles dissipent ou qu’elles accumulent. Il n’est pas rare que le mythe utilise ainsi plusieurs images hétérogènes pour suggérer une seule et même idée.

Les vers de Pindare que j’ai cités sans les commenter me semblent se référer à cette tradition

φοινικοεάνων ὁπότ’οἰ–

χθέντος Ὡρῶν θαλάμου

εὔοδμον ἐπάγοισιν ἔαρ φυτὰ νεκταρέα,

Quand, tandis que s’ouvre la chambre des Hôrai aux voiles pourpres, les fleurs divines amènent le printemps odorant…146.

Je suis enclin à penser que les mots « la chambre des Hôrai » désignent leur résidence céleste, tandis que « les voiles pourpres » évoquent les nuages derrière lesquels, avec les dieux, elles trouvent un abri.

Il convient de relever que les Hôrai jouent pour le Soleil un rôle semblable à celui qu’elles remplissent pour les autres dieux. Lucien précise qu’elles lui ouvrent le passage du ciel et prennent soin de ses chevaux147. Ovide évoque le Soleil préparant son attelage, à la fin de la nuit :

Lucifer……                  exit.

Quem petere ut terras mundumque rubescere uidit

Cornuaque extremae uelut euanescere lunae,

Iungere equos Titan uelocibus imperat Horis.

Iussa deae celeres peragunt ignemque uomentis,

Ambrosiae suco saturos, praesepibus altis

Quadripedes ducunt adduntque sonantia frena148.

Lucifer……                  quitte le ciel.

Quand il l’a vu se diriger vers la terre, le ciel devenir rose,

Le croissant de la lune finissante pâlir,

le Titan (=le Soleil) ordonne aux Hôrai d’atteler ses chevaux ;

les déesses exécutent rapidement cet ordre et, tandis qu’ils crachent du feu,

repus d’ambroisie, dans les crèches élevées,

elles conduisent les chevaux, leur mettent des mors sonores.

Le rôle que les textes attribuent ainsi aux Hôrai est subalterne mais ce n’est pas un rôle négligeable ; plusieurs auteurs en parlent avec respect. En se référant à l’Iliade, Pausanias écrit que le ciel leur a été confié ; qu’elles sont les gardiennes d’une résidence royale149. A ce titre, elles assurent le passage du Soleil et celui des dieux, elles favorisent leur voyage, quand ils se rendent sur la terre pour y intervenir parmi les hommes et lorsqu’ils reviennent sur l’Olympe pour y délibérer, dans l’assemblée dont leur mère Thémis fixe le début et la fin. De cette façon, elles collaborent à toutes les entreprises divines. Ovide rapproche le rôle des Hôrai de celui du dieu romain Janus qui, avec elles, garde les portes du ciel. Or celui-ci peut déclarer fièrement : « Si Jupiter en personne sort du Ciel et y revient, c’est grâce à la fonction que je remplis. »150

Les Hymnes orphiques conservent le souvenir d’un autre mythe relatif aux Hôrai : elles ont joué avec Perséphone quand, sortant de l’Hadès, la jeune déesse est remontée dans le monde supérieur. J’ai déjà cité le vers :

Vous partagez les jeux de la sainte Perséphone quand les Moires et les Charites, dans leur danse circulaire, la reconduisent à la lumière, pour plaire à Zeus et à sa mère, la dispensatrice de récoltes151.

Dans cette occurrence, les Hôrai se trouvent associées aux Charites, comme c’est le cas dans plusieurs autres circonstances. L’aimable relation qui les unit à Perséphone semble assez importante pour qu’un hymne appelle la fille de Déméter « compagne de jeu des Hôrai »152. Nous avons lieu de penser que des rites commémorent périodiquement ces jeux anciens, comme d’autres cultes rappellent la naissance du fils de Sémélé, lors de hôrai bisannuelles153.

Les Hôrai interviennent encore dans des circonstances très différentes. Quand, née d’une écume qui flottait à la surface de la mer, Aphrodite arrive sur le rivage de Chypre, poussée par les souffles du zéphyr,

les Hôrai, la tête ceinte d’un bandeau d’or,

l’accueillirent avec joie ; elles la couvrirent de vêtements divins ;

sur sa tête immortelle, elles posèrent une belle couronne d’or

joliment ouvragée ; dans les lobes de ses oreilles,

elles mirent une fleur d’orichalque et d’or coûteux,

ainsi que, sur son tendre col et sur sa gorge,

la parure de colliers d’or154.

Les Chants Cypriens associent les Hôrai à la parure d’Aphrodite dans une autre circonstance. Comme Bemabé le suggère non sans vraisemblance, elles contribuent à parer la déesse quand celle-ci va se soumettre au jugement de Paris.

Elle couvrit son corps de vêtements que les Charites et les Hôrai

avaient confectionnés et qu’elles avaient plongés dans les fleurs printanières

telles qu’en apportent les hôrai : dans le safran, dans les jacynthes,

dans la violette épanouie, dans la belle fleur de rose

douce et parente du nectar, dans les boutons divins

du narcisse odorant. Ainsi Aphrodite

se vêtit de voiles parfumés par des hôrai de toutes sortes155.

Les filles de Thémis jouent un rôle analogue auprès de Pandora. Quand, obéissant à Zeus, Héphaistos eut achevé de fabriquer une femme séduisante, à l’image des déesses,

Athéna, la déesse aux yeux pers, arrangea ses vêtements et lui mit une ceinture ;

les Charites et la puissante Peithô

déposèrent des colliers sur son corps ;

les Hôrai aux beaux cheveux la ceignirent de guirlandes de fleurs printanières ;

harmonieusement, Pallas Athéna adapta sur elle cette parure156.

Dans ces différents épisodes, les Hôrai se montrent proches des Charites avec lesquelles elles collaborent. Elle remplissent encore une fonction subalterne mais leur charge ne se réduit pas à celle d’habiles femmes de chambre. Elles interviennent à des moments précis. Aphrodite vient de naître pour inspirer de l’amour ; elle affronte le jugement de Paris où elle doit triompher. De même Pandora vient d’être créée, pour séduire et proposer aux femmes un modèle ambigu. Dans ces circonstances critiques, les Hôrai mettent la déesse puis la femme en état de bien tenir leur rôle de séductrices.

Un texte de Pindare nous donne peut-être des indications intéressantes. J’en propose une traduction imparfaite, puisqu’il me faudra la commenter.

Ὥρα πότνια, κάρυξ Αφροδίτας

ἀμβροσιᾶν ψιλότατων,

ἅ τε παρθενηίοις παί-

δων τ’ἐφίζοισα γλεφάροις

τὸν μὲν ἁμέροις ἀνάγκας χερσὶ βαστά-

ζεις, ἕτερον δ’ἐτέραις.

Hôra souveraine, héraut

des divines amours d’Aphrodite,

toi qui, posée sur les paupières des jeunes filles

et des jeunes gens,

transportes l’un avec une force irrésistible mais douce,

et l’autre avec brutalité…157

Employé au singulier, le mot Hôra s’applique rarement à une déesse ; je serais enclin à le tenir pour un nom commun en lui faisant signifier « la beauté, la jeunesse », s’il ne se trouvait pas au vocatif ; si le nom héraut ne lui était pas apposé ; s’il n’était pas accompagné de l’adjectif potnia qui qualifie toujours une personne, le plus souvent même une personne divine. Pour toutes ces raisons, il désigne à coup sûr une déesse, même s’il évoque peut-être bien l’idée de la jeunesse. Un héraut parle au nom d’une autorité dont il fait connaître les desseins ou la volonté. Héraut d’Aphrodite, l’Hôra rend manifestes les sentiments inspirés par la déesse de l’amour. Elle se pose sur les paupière des jeunes filles et des jeunes gens. Le mot blepharon que je traduis littéralement par « paupière » évoque le regard et son attrait ; il dit le rôle des yeux dans le jeu de la séduction. (L’adjectif helicoblepharos « aux yeux animés de mouvements tournants » est une épithète d’Aphrodite). Cette Hôra complice de la séduction agit sur ceux qu’Aphrodite veut soumettre à son empire. Elle les anime, les soulève, les transporte, usant « des mains de la nécessité ». Les mains que les textes opposent souvent à la parole ou à la persuasion sont un symbole de la force. « Les mains de la contrainte ou de la nécessité » me semblent signifier une force contraignante, une force irrésistible. L’adjectif héméros qualifiant les mains ou la force qu’elles symbolisent signifie « apprivoisé » quand il s’applique à des animaux, « civilisé », quand il qualifie des hommes ; il peut aussi vouloir Diké empreint d’urbanité, de douceur. Ma traduction énonce cette dernière notion, la plus facile à formuler. Je me demande toutefois si le texte ne suggère pas une idée plus subtile : la force avec laquelle l’Hôra communique à l’être humain les sentiments inspirés par Aphrodite peut respecter l’ordre social et les règles de l’urbanité ; elle peut au contraire les enfreindre brutalement.

Les auteurs tardifs situent les Hôrai dans l’entourage d’Aphrodite, ils les associent aux scènes de séduction, aux prémices des unions fécondes158.

Des auteurs plus anciens associent les Hôrai aux nouveau-nés. Pindare rapporte une prédiction faite au sujet de la nymphe Cyrène : elle aura un fils, Aristée, qui naîtra en Libye.

C’est là qu’elle mettra un fils au monde. L’enlevant à sa mère,

l’illustre Hermès l’apportera aux Hôrai assises sur de beaux sièges et à la Terre, Gaia.

Prenant le nourrisson sur leurs genoux,

elles feront tomber des gouttes de nectar et d’ambroisie

sur ses lèvres et le rendront immortel159.

Proches de la Déesse-Terre, assises sur de beaux siège, les Hôrai nourrissent un nouveau-né qu’elles font prospérer. Selon Pausanias, elles furent en outre les nourrices d’une grande déesse. « Dans l’hymne d’Héra », écrit-il, « se trouve un récit d’Olen enseignant qu’Héra fut nourrie par les Hôrai, qu’Arès et Hébé sont ses enfants. »160

En bref, liées à la floraison, à l’amour et à la séduction, les Hôrai ont les qualités requises pour élever un nourrisson et lui assurer une heureuse croissance. Les filles reprennent le rôle nourricier que leur mère Thémis avait rempli auprès d’Apollon ; l’hymne homérique nous avait en effet appris qu’elle lui donna du nectar et de l’ambroisie, immédiatement après sa naissance.

Bien qu’ils répètent quelques informations que d’autres témoignages nous ont déjà données, je citerai enfin quelques textes éclairant à la fois plusieurs des qualités propres aux Hôrai. Le premier est d’une interprétation difficile. Dans ma traduction, je tenterai d’expliciter des images ou des idées qu’il me paraît évoquer d’une manière elliptique :

Ἐλατὴρ ὑπέρτατε βροντ-

τᾶς ἀκαμαντόποδος

Ζεῦ· τεαὶ γὰρ ὡραι

ὑπὸ ποικιλοφόρμιγγος ἀοιδᾶς

ἑλισσόμεναί μ’ἔπεμψαν

ὑψηλοτάτων μάρτυρ’ἀέθλων.

Dieu suprême, toi qui conduis (les chevaux du) tonnerre

aux pieds infatigables,

ô Zeus ! Tes Hôrai dont la danse tourne

au rythme du chant qu’accompagne la phorminx

m’ont (dans le cours de ce mouvement) envoyé (à Olympie),

pour y être le témoin des plus hautes victoires161.

Ces vers établissent un lien particulier entre Zeus et les Hôrai : elles sont siennes. Ils énoncent en outre un fait que nous connaissons bien : elles dansent et font des rondes, mais ils disent peut-être davantage encore. Le participe ἐλισσόμεναι qui décrit leur danse me paraît évoquer les verbes signifiant ailleurs le retour cyclique des hôrai, retour lié aux mouvements sidéraux. Une correspondance unirait ainsi la ronde des déesses aux mouvements de l’univers. La proposition… τεαὶ. Ὥραι… ἐλισσόμεναί μ’ἔπεμψαν établit une relation entre leur danse et le départ du poète. C’est dans le cours de leur ronde qu’elles l’envoient à Olympie. En tournant, les Hôrai amènent et aménagent le moment propice à la fête olympique, moment où elles envoient sur les lieux celui qui chantera l’athlète victorieux. Cette interprétation n’étant pas certaine, je ne m’attarderai pas davantage sur ces vers. D’autres textes sont clairs et confirment les conclusions où nous avons été conduits.

Athénée nous apporte des informations qu’il doit à un très bon auteur : « Lorsqu’ils sacrifient aux Hôrai » écrit Philochore, « les Athéniens ne font pas rôtir les viandes mais ils les font bouillir, en demandant aux déesses d’éloigner d’eux les âpres brûlures et les sécheresses, de conduire à maturité tout ce qui pousse, avec une chaleur mesurée et des eaux opportunes. En effet, l’action de rôtir présente peu d’avantages, tandis que l’ébullition n’enlève pas seulement sa dureté à ce qui est cru mais peut donner du moelleux à ce qui est sec et conduire le reste à une juste cuisson »162. Athénée nous donne ainsi un enseignement sur des rites athéniens. Il nous suggère en outre une interprétation des gestes sacrificiels : la cuisson produira sur la végétation des effets semblables à ceux qu’elle exerce sur les chairs des victimes ; le rite agirait donc par analogie. Il complète enfin notre connaissance des Hôrai. En déterminant un climat, elles agissent sur les conditions de la vie humaine, sur le développement des végétaux et l’essor de tout ce qui est sujet à la croissance.

L’hymne orphique aux Hôrai dit en termes remarquables ce que les hommes attendent de ces divinités :

ἔλθετ’ ἐπ’ εὐφήμους τελετὰς ὁσίας νεομύστοις

εὐκάρπους καιρῶν γενέσεις ἐπάγουσαι ἀμεμφῶς

Venez à nos mystères où les paroles sonnent juste, où les gestes se conforment à la règle, en faveur des nouveaux mystes,

amenant pour eux sans susciter nul reproche, favorables à de bonnes récoltes, les processus générateurs de périodes propices163.

Usant de périphrases pour rendre des mots grecs sans équivalents dans la langue française, ma traduction est trop compliquée ; elle devrait cependant permettre au lecteur de percevoir la démarche d’une pensée qui nous est peu familière. Les Hôrai suscitent des naissances mais elles ne font pas exactement naître les fruits ; elles font naître des kairoi, des moments propices ; et c’est dans la mesure seulement où elles produisent de tels moments que ces naissances se trouveront favorables aux fructifications. Au demeurant nous avions déjà constaté, en étudiant le vocabulaire, que la hôra est proche du kairos.

Diodore complète toutes ces leçons. Après avoir énuméré les filles divines de Zeus – parmi lesquelles il situe les Hôrai, « Bonne organisation », « Justice » et « Paix » –, puis tous les dieux qui naquirent de lui, il dit les compétences que Zeus donna à chacun d’entre eux. En parlant des Hôrai, il écrit : « Comme son nom l’indique, chacune d’entre elles a reçu la charge de disposer et d’ordonner les choses de la vie, de la manière la plus utile aux hommes. En effet rien ne peut, mieux que ‘la Bonne organisation’, ‘1a Justice’ et ‘1a Paix’ aménager une vie de bonheur. »164

Hésiode écrivait déjà : « En second lieu, Zeus épousa Thémis, qui mit au monde les Hôrai, ‘Bonne organisation’, ‘Justice’ et ‘Paix’

αἵ τ’ἔργ’ ὠρεύουσι καταθνητοῖσι βροτοῖσι

qui, pour les hommes mortels, protègent leurs ouvrages »165.

J’utilise provisoirement le verbe « protéger » pour traduire le grec ôreuô (ὠρεύω). Hésiode le choisit en raison de la ressemblance qui l’unit au nom Hôra mais que signifie-t-il au juste ? La question est assez difficile pour que les érudits antiques cherchent à y répondre. Cornutus écrit. « On dit qu’uni à Thémis, Zeus engendra les Hôrai par lesquelles, parmi nous, tous les biens ôreuetai (ὠρεύεται) et sont gardés ». Il écrit aussi : « Le nom du ciel, ouranos, dérive du verbe ôrein (ὠρεῖν) ou ôreuein (ὠρεύειν) qui signifie ‘surveiller’, ‘garder’ ou ‘protéger’ ce qui est. Du même verbe dérivent le nom thyrôros (gardien des portes) et le verbe polyôrein (prendre grand soin de). »166 L’Etymogicon Gudianum donne la notice suivante : « Hôrai : dérivant du verbe ôreuein qui signifie ‘garder’, ‘surveiller’, ‘préserver’, car les Hôrai sont les gardiennes des ouvrages des hommes. Elles les surveillent, les gardent et en prennent soin. »167 Hésychius définit enfin le verbe ôreuein : « s’occuper de, prendre soin des terres de la campagne. » Il écrit encore ôreuein : « garder ou préserver »168. En bref, les spéculations étymologiques inspirées par le texte d’Hésiode nous apprennent qu’aux yeux des Grecs, les Hôrai favorisent les travaux des hommes, elles en protègent les résultats ; disons du moins qu’elles s’en préoccupent et y vouent leurs soins.

Nous avons noté que les Hôrai remplissent des fonctions subalternes. Collaborant avec plusieurs dieux, elles obéissent particulièrement à Zeus. En décrivant la statue de Zeus qui se dresse dans l’olympeion d’Athènes, Pausanias écrit. « Au-dessus de la tête du dieu se trouvent les Hôrai et les Moires » (ces dernières, on le sait, sont les divinités du destin). « Il est évident pour tout le monde que le destin n’obéit à nul autre qu’à Zeus et qu’il distribue les Hôrai dans un utile dessein. »169

En conclusion, si les Hôrai revêtent parfois des aspects plaisants et pittoresques, elles présentent pourtant d’étroites affinités avec les forces qui favorisent la croissance et la maturation des végétaux, le développement et l’efficacité des travaux humains ; en réalité ce sont ces forces obscures que les Grecs appellent précisément hôrai. Ils les perçoivent dans le déroulement du processus auquel elles contribuent et les associent volontiers à la durée de son accomplissement ; cependant ils les tiennent pour divines. Ils expriment ce sentiment en honorant des déesses Hôrai dont ils parlent mythiquement, comme ils le font presque toujours pour évoquer des dieux qui échappent à toute conceptualisation.

Selon deux scholies d’Aristophane, les Athéniens faisaient des offrandes ou des sacrifices pour le Soleil Hélios et pour les Hôrai lors de deux fêtes apolliniennes, les Thargélies et les Pyanepsies. Ces brêves notices pourraient confirmer certains des traits que nous avons décelés chez les filles de Zeus et de Thémis. Fêtes complexes, les Thargélies et les Pyanepsies remplissent sans doute plusieurs fonctions ; d’une manière claire, elles associent Apollon au rythme de la végétation. Or, dans le cours de ces fêtes, les scholies rapprochent le rite accompli pour les Hôrai du maniement du rameau eirésioné, lequel symbolise à coup sûr une phase de la croissance végétale. Il semble en outre que les Thargélies soient l’occasion d’une présentation des jeunes enfants aux phratries paternelles. Si c’est bien le cas, les Hôrai se trouveraient ainsi liées à une étape de la croissance humaine. Lors d’un sacrifice, elles semblent en outre solidaires du Soleil – qui contribue à rythmer le temps170.

Si, sous l’appellation commune d’Hôrai, les Grecs désignent souvent les trois déesses d’une manière collective, nous savons aussi qu’elles portent chacune un nom particulier ; qu’elles ont donc des personnalités distinctes. Nous ne reviendrons pas sur les noms de la vieille tradition athénienne ; à leur sujet nous n’avons pas d’autres informations que celles que nous avons déjà données. En revanche, nous connaissons un peu mieux les Hôrai hésiodiques dont les traditions majeures de la Grèce gardent également le souvenir ; nous les examinerons maintenant l’une après l’autre.

(Les érudits anciens mentionnent une comédie d’Aristophane intitulée « les Hôrai ». Elle a disparu et nous n’en connaissons malheureusement presque rien.)

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1 PLAT. Phaedr. 229 a.

2 PLAT. Leg. 6, 784 a.

3 XEN. Mem. 4, 3, 4 ; voir aussi HDT. 2, 2 ; XEN. Mem. 4, 7, 4.

4 XEN. Hell. 7, 2, 22.

5 HOM. H. 4, Hermès, 66-67.

6 HES, Op. 584 ; HOM. Od. 5, 85 ; Il. 6, 148 ; 2, 471 ; Od. 18,367. Sur l’hôra d’été, HES. Op. 664.

7 ALCMAN. 20, PAGE = 12, CALAME. (trad. Calame). Les choses sont un peu plus complexes : l’ὠπώρα ne coïncide pas exactement avec notre automne.

8 11. THALES A 1 DK = DIOG. LAERT. 1, 27.

9 12 ANAXIMANDRE. A 4 DK = EUS. P.E. 10, 14, 11.

10 DEMOCRITE. B 14, 7 DK.

11 SIMONIDE. Fr. 508, PAGE.

12 EMPEDOCLE. B 115, D.K.

13 HDT. 8, 12.

14 DEMOCR. B 191, D.K.

15 E.g. HDT. 2, 24 ; 5,31 ; XEN. Hell. 4, 8, 7 ; THC. 2, 47 ; 3, 116.

16 ΗΟΜ. Od. 367.

17 ΗΟΜ. Il. 6, 146-147 ; cf. Od. 9, 51 ; Il. 2, 467-468.

18 18 MELICI. STESICHORE. fr. 211. PAGE ; Cf. Popularia. 848.

19 HOM. H. 2 Dém. 174-175.

20 HOM. Il 2, 471 ; 16, 643 ; Od. 22, 301.

21 ALCEE. fr. 347, Z 23. LOBEL-PAGE.

22 HES. Op. 581-587.

23 HOM. Od. 5, 485.

24 XENOPHANE B 22. DK.

25 PLAT. Prot. 344d.

26 DEMOCRITE B 14. DK.

27 HOM. Il, 3, 4.

28 PLAT, Resp. 6, 488d.

29 PLAT. Leg. 12,952e.

30 PLAT. Crat. 410c.

31 ANTH. 6, 98

32 XEN. Mem. 4, 3, 6.

33 HECATEE. ABD. fr. 7. D.K.

34 EMPEDOCLE. B 154. D.K.

35 HERACLITE B 100 D.K.

36 IBYCUS. fr. 286 PAGE. A partir du vers 8, traduction incertaine d’un texte corrompu, traduction inspirée par les conjectures de plusieurs philologues.

37 37 MELICI, Adespota. 976. PAGE.

38 HOM. Il. 21,450.

39 Cypria. fr. 4, 2-6. BERNABE.

40 HOM. Il. 2, 468 ; voir aussi Od. 9, 51.

41 ORPH. HY. 26, 3 ; 10, 29 ; 32, 13-16 ; 51, 18.

42 ΗΟΜ. Il. 21, 450-452.

43 ΧΕΝ. Œc. 20, 16.

44 HDT. 1, 31.

45 45 MELICI. Conviviala. 885. PAGE. Cf. aussi Adespota, 926 c.

46 ESCHL. Eum. 106-109.

47 HECATEE fr. 7. DK.

48 HOM. Od. 10, 469-471.

49 SOPH. O.R. 153-156.

50 PLAT. Leg. 9. 865e.

51 PLAT. Epin. 977b

52 PHILOXENE. fr. 836 e. PAGE.

53 PLAT. Phaedr. 234a.

54 PLAT. 1 Alc. 131e ; Nombreux autres emplois semblables du nom hôra : PLAT. Symp. 217a ; 219c ; Resp. 5, 474d-e ; 475a ; Leg. 837b-c ; etc.

55 XEN. Mem 2, 1, 22.

56 HDT. 4, 199.

57 HDT. 1, 149

58 ANAXARCHOS. A. 3. D.K.

59 HDT. 1, 142 ; 2, 77 ; 3, 106 ; etc. ; PLAT. Tim. 24c ; Criti. 111e.

60 PLAT. Pol. voir aussi description du sort des Athéniens avant l’immersion de l’Atlantide, PLAT. Criti. 111e.

61 [PLAT] Ax. 371c-d.

62 HERACLITE C 1. D.K. ; PLAT. Hipparch. 225c ; certains textes signalent cette opposition sans utiliser le mot chôra. cf. PLAT. Resp. 491d.

63 HOM. Od. 11, 330 ; 373

64 HOM. Od. 21, 428

65 PLAT. Euthyphr. 15e ; Apol. 42a ; Prot 362 ; Resp. 5, 462e.

66 ATHEN, 7, 281 e ; 13, 601c-d ; cf. ANTHOL. PAL. 10, 38.

67 PLAT. Prot. 361e ; Theaet. 145b ; Soph. 241b ; Phil. 62e ; Crito. 46a.

68 HOM. Od. 11, 379.

69 DEMOCR. B 14. DK.

70 PLAT. Leg. 8, 844d-e.

71 PLAT. Criti. 113d.

72 HDT. 6, 61.

73 PLAT. Phaedo. 30c.

74 Dans une autre phrase encore ([PLAT.] Def. 414c) le mot hôra me paraît signifier la disposition dans laquelle une homme se trouve, disposition propre à produire certains effet ; mais cette phrase est elle-même difficile à comprendre.

75 PLAT. Ax. 364b.

76 XEN. Mem. 22, 1, 2.

77 HDT. 2, 2.

78 PLAT. Tim. 91c.

79 ECOLE PYTHAGORICIENNE. D 5, 182. D.K.Sur les rêves, voir. ARTEMID. Oneirocrit. 1, 73, 1, 77 ; 2, 3 ; 2, 8.

80 PLAT. Leg 7, 809d.

81 HERACL. B 126a DK. ; ECOLE PYTHAGORICIENNE. B. 27. DK.

82 PLAT. Symp. 188 a-b.

83 PLAT. Phil. 26 a.

84 PLAT. Phil. 30c ; Criti. 111e ; Epin. 977b.

85 DIOG. APOL. C 3. DK. PLAT. Resp. 8, 563e-564a ; Leg. 797d ; 10, 906c.

86 HES. Op. 492.

87 HDT. 4, 28.

88 HES. Op. 420.

89 HES, Op. 641-642.

90 HES. Op. 630.

91 HES. Op. 665-666.

92 THEOCR. 7, Thalysies, 61-61.

93 HES. Op. 614-617.

94 AP.RH. 3, 1386-1390.

95 HDT. 1, 202.

96 XEN, Econ. 15, 1.

97 THC. 1, 120, 2 ; PLAT. Leg. 8, 845 c ; 847 e ; Criti. 118e.

98 HES. Op. 391-394.

99 HES. Op. 306-307.

100 HES. Op. 30-32.

101 HES. Op. 695-698.

102 SOL. POETAE ELEGIACI, GENTILI-PRATO, 23, 99-10.

103 HDT. 1, 196.

104 HDT. 6, 122.

105 XEN. Cyr, 4, 6, 9.

106 ANTH. 7, 188.

107 HDT. 1, 107.

108 ARSTPH. Ran. 290-291.

109 ARSTPH. Acharn. 1148.

110 XEN. Symp. 4, 26 ; 7,3 ; 8, 21 ; Mem. 1, 3, 10 ; 1, 3, 13 ; 1, 3, 14.

111 PLAT. Resp. 10, 601 b.

112 OPPIEN. Hal. 1, 689. Cf. PHILIPPE DE THESSALONIQUE. ANTH. 9, 311.

113 EUR. Phén. 968.

114 XEN. Agésil. 10, 3.

115 SOL. POETAE ELEGIACI. GENTLI-PRATO. 23, 17-18.

116 E.g. PLAT. Criti. 116 c.

117 XEN. An. 5, 3, 9.

118 THEOCR. 15, Syrac. 112, ss.

119 ΑΓΓΕΛΟΥ ΒΛΑΧΟΥ. ΛΕΧΙΚΟΝ ΕΛΛΗΝΟΓΑΛΛΙΚΟΝ. s.v.

120 HES. Th. 901 ; PD. Hym. 1 b ; Péan, 2, 6. PUECH ; DIOD. 5, 72, 5, ORPH. HY. 43, 1-2 ; APLD. 1,3, 1 ; CORNUTUS, 29 ; HYG. Fab. 183,4-5.

121 PAUS. 3, 18, 10 ; 7, 5, 9.

122 PAUS. l, 40,4 ; 2, 17, 4 ; 5, 11, 7 ; 5, 17, 1.

123 PAUS. 3, 19,4-5.

124 PAUS. 8, 31, 3.

125 PAUS. 5, 15, 3.

126 PAUS. 2, 20, 5.

127 PORPHYR. de Abst. 2, 7 ; SCHOL. ARSTPH. Equ. 729 ; Plout. 1054 ; ATHEN. 14, 656a, citant PHILOCHORE. Cf. L. DEUBNER. Attische Feste, pp. 190-191.

128 PD. Ol. 13, 5, ss. ; DIOD. S. 5, 72, 5 ; ORPH. H. 43 ; APLD. 1, 3, 1)

129 PAUS.9, 35, 1-3.

130 LYC. c. Léocr. 77. Cf. POLLUX. 8, 106.

131 L. ROBERT. Etudes épigraphiques, 1938. pp. 296 ss.

132 E.g. Cypria, 4, 1 ; 5, 4 ; PANYASSIS 17, BERNABE ; PAUS. 6, 24, 6-7.

133 HYG. Fab. 183, 4-5

134 ARATUS. Phaenom. 550-552.

135 OV. Fast. 5, 215-218.

136 136 Monuments : PAUS. 2, 17, 4 ; 5, 11, 7 ; 7, 5, 9 ; Exemples de textes : HES. Op. 73-75 ; Cypria, fr. 4 BERNABE ; PANYASSIS, fr. 17. BERNABE ; ORPH. H. Pr. 17-18. Cf. XEN. Symp. 7, 5.

137 HOM. H. 3 Apollon 1, 194-196.

138 ORPH. H. 43, 5-9.

139 PD. Hymn. 1, b. PUECH = fr. 30. 6.

140 PD. Dith. 4, 14, ss. PUECH.

141 PD. Péan. 1, 5, ss.

142 HOM. Il. 5, 749-752 = 8, 749-754.

143 HOM. Il. 8, 432-435.

144 OV. Fast. 1, 125

145 LUC. 21,33 : 30,8.

146 PD. Dith. 4, 14, ss. Voir ci-dessus p. 87 et note 140.

147 LUC. 79, 14,1.

148 OV. Met. 2, 115-121.

149 PAUS. 5,11,7.

150 OV. Fast. 1, 125.

151 ORPH. HY. 43.

152 ORPH. HY. 29. 9.

153 ORPH. HY. 44, 7 ; 54, 3.

154 HOM. H. 6, Aphrodite 2, 5-11.

155 Cypria. fr. 4 BERNABE.

156 HES. Op. 72-76.

157 PD. Nem. 8, 1 ss.

158 E.g. MOSCHOS. Europè, 162-166. APULEE. Métamorphoses, 6, 24.

159 PD. Pyth. 9, 59, ss.

160 PAUS. 2, 13, 3. Olen est un poète légendaire auquel Hérodote attribue déjà plusieurs hymnes chantés à Délos. Même si nous avons ici le produit d’une invention particulière d’un poète mal connu, comme la formulation de Pausanias pourrait nous le laisser croire, elle est significative : il paraît naturel de faire des Hôrai les nourrices d’une déesse.

161 PD. Ol. 4, 1, ss.

162 ATHEN. 14, 656 a.

163 ORPH. HY. 43, 10-11.

164 DIOD.S. 5, 73, 6

165 HES. Th. 903.

166 CORNUTUS. N.D. 29

167 ET. GUD. s.v. Ὧραι.

168 HESYCH. s.v. ὠρεύειν.

169 PAUS. 1, 40, 4.

170 L. DEUBNER. Attische Feste. Berlin, 1932. pp.190, ss. ; 201. Voir aussi, sur la fonction des deux fêtes, H.W. PARKE. Festivals of the Athenians. Londres, 1977.