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Dans les archives bâloises

Philippe BORGEAUD

Introduction

Sélection des manuscrits en relation avec le Droit maternel

Pour qui désire pénétrer dans le chantier où s’élabore la théorie de Bachofen, une condition préalable, non négligeable, consiste à déchiffrer les manuscrits antérieurs à 18561, susceptibles de contenir des informations sur les thèmes constitutifs du Mutterrecht. Ce projet nous a conduits vers l’Université de Bâle, où sont conservés de nombreux manuscrits de Bachofen. Abrités dans une grande salle, dont ils partagent le studieux silence en compagnie d’éditions rares des plus prestigieux penseurs, philosophes et théologiens des siècles passés, non loin d’Erasme, les papiers du savant bâlois occupent une dizaine de rayons. Ils se présentent sous différentes formes : feuilles volantes ou séries de cahiers rangés dans des cartons et des enveloppes, petits calepins, cahiers d’écolier. Sur ces supports modestes, on découvre une écriture gothique typique du XIXe s., plus ou moins lisible selon la destination de l’écrit – publication éventuelle ou notes personnelles – selon le lieu de rédaction, à Bâle ou au cours d’un voyage, et enfin selon l’instrument choisi, encre ou crayon gris. De petits dessins, parfois, ornent le texte, accompagnant la description de certains objets.

Une question se posait d’emblée : quelles seraient, dans cette masse documentaire labyrinthique, les pages directement utiles à notre enquête sur la genèse du Mutterrecht ? Le choix fut grandement facilité par la description des archives Bachofen établie jadis par J. Dörmann2. Outre une utile biographie de Bachofen, ce document fournit une présentation sommaire de chaque manuscrit, comprenant la description du support, le nombre (souvent approximatif) de pages, la date et le titre du manuscrit (dans la mesure où ces données figurent dans le document décrit), de courtes indications sur le contenu, ainsi que des renvois aux volumes des Gesammelte Werke.

Si ce précieux instrument de travail permet de repérer assez précisément les manuscrits contenant des travaux annonçant le Mutterrecht, il ne fallait pas négliger pour autant les textes qui traitent de sujets en rapport avec la Gräbersymbolik. On a vu, en effet, que la rédaction des deux œuvres est en partie contemporaine3. C’est ainsi que certains manuscrits concernant l'iconographie des tombes ou la conception antique de la mort sont également susceptibles de renfermer des éléments déterminants pour notre recherche. Sur la base de ces critères – date et contenu – dix manuscrits ont fait l’objet de notre attention. Il a para judicieux de les répartir en deux groupes.

Les deux groupes de manuscrits

Le premier groupe est constitué de huit manuscrits, dont deux seulement sont datés, respectivement de 1851 et 1853. Trois des manuscrits de ce groupe consistent en des notes de lecture. Leur intérêt est double. Ils nous renseignent sur la nature des ouvrages jugés suffisamment intéressants par Bachofen pour mériter une prise de notes souvent détaillée, tout en illustrant, sur le vif, la méthode de travail de l’érudit bâlois et sa relation à l’œuvre analysée. On notera au passage l’absence de « notes de lecture » pour de grands ouvrages de référence de l’époque, qui se trouvent néanmoins abondamment cités dans les manuscrits 103 et 104 ainsi que dans le Mutterrecht, comme par exemple les travaux célèbres de K.O. Müller. Bachofen possédait certainement ces ouvrages dans sa bibliothèque personnelle4 et ne prenait de notes détaillées que sur des ouvrages empruntés.

Sur les cinq autres manuscrits du même groupe, quatre forment un sous-ensemble. Il s’agit de textes rédigés en vue d’une conférence, mais qui prirent une telle ampleur que Bachofen décida de les intégrer dans un livre. Sans doute pressé par d’autres projets, il fit suivre le texte d’un inventaire de symboles groupés par mots-clés. Le cinquième manuscrit, incomplet, est consacré à la terre, à son lien avec les puissances célestes et le monde des vivants, ainsi qu’aux représentations dont elle a fait l’objet.

Le deuxième groupe, lui, se compose de deux manuscrits écrits, le premier, de juin à juillet5 1855, le second d’octobre à novembre de la même année. Tous deux portent le même titre général : Das alte Italien. Ils ne sont l’un et l’autre que l’ébauche d’un vaste projet plusieurs fois modifié et jamais réalisé. On y trouve les traces du grand livre que Bachofen tenta d’écrire tout au long de sa vie, et qu’il ne publia que par bribes dans ses œuvres majeures, le Mutterrecht, la Gräbersymbolik, la Sage von Tanaquilet les Antiquarische Briefe.

Le premier groupe de manuscrits

Les extraits de livres et prises de notes : les manuscrits 86, 93, 96

Le premier manuscrit abordé fut le numéro 86, intitulé Scènes de mon voyage en Grèce, 1851 (Schilderungen aus meiner Reise in Griechenland, 1851, Dr J. J. Bachofen). Plus encore que les 140 pages consacrées, dans ce journal, au voyage dans l’Etrurie du Sud que Bachofen effectua lors de son retour de Grèce, ce sont les 5 feuilles (donc 20 pages) contenues dans la même fourre cartonnée et comportant des extraits de Creuzer qui ont retenu notre attention.

La première page donne un titre : « Considérations sur le 9e chapitre du deuxième volume de Creuzer. Les religions de la vieille Italie » (Betrachtungen zu Kreuzers zweitem Bande, neuntes Capitel. Die Alt-Italischen Religionen)6. A partir de la page 18 figurent aussi des extraits du sixième chapitre7. De même qu’il ne mentionne pas explicitement ce retour en arrière dans la lecture, Bachofen reste relativement imprécis dans les références. Quant aux notes de lecture elles-mêmes, on peut distinguer trois types d’approche : des citations littérales, généralement introduites par des guillemets et accompagnées d’une mention de la référence ; des paraphrases plus ou moins proches du texte de Creuzer ; et, finalement, de longs développements que rien, à première vue, ne permet de distinguer des paraphrases.

Plusieurs remarques peuvent être faites sur cette démarche de lecteur. La première est que Bachofen suit rarement son modèle avec fidélité. Souvent, il entrecoupe les citations de considérations personnelles, ce qui pose problème, dans la mesure où il ne signale pas les glissements qui s’opèrent du texte de Creuzer à ses propres réflexions. Plusieurs indices laissent cependant supposer que le manuscrit a fait l’objet d’une relecture, qu’il a été retravaillé. C’est ainsi que les annotations marginales, généralement, reprennent et développent une idée présente dans le texte. Des traits soulignent certains mots ; la mise en évidence, en particulier, d’une annotation marginale figurant à la page 13 nous encourage dans cette hypothèse.

Du point de vue du contenu, il convient de relever plusieurs thèmes qui sont du plus grand intérêt pour notre propos. Parmi eux, tout d’abord, la religion et son caractère universel. Bachofen affirme que les systèmes religieux de l’antiquité sont tous reliés entre eux8 (p. 2). Prenant pour exemple les cultes de l’ancienne Italie, il constate qu’ils sont fortement influencés par la Thrace et la Samothrace, la Thessalie et Dodone et qu’ils sont identiques aux cultes pélasges. Par ailleurs, il relève des points communs avec la doctrine du Zend-Avesta.

Cette religion universelle, primitive, subit par la suite une évolution différente selon les régions. En Italie par exemple, la religion étrusque conserve plus de caractéristiques anciennes et mystiques que d’autres traditions, du fait que la poésie y a joué un rôle moins grand qu’ailleurs, qu’en Grèce notamment (pp. 1 et 17).

Bachofen examine ensuite le système religieux des Etrusques. Il souligne le rôle qu’y jouent deux ensembles de divinités, les divinités chthoniennes d’une part et les divinités à caractère paternel de l’autre. Parmi celles-ci, le Lare apparaît au premier plan (pp. 3-9). Ce démon de la terre engendre la famille et règne sur elle. Il est à l’origine de la vie qui se transmet de génération en génération. Le défunt, pour s’unir à nouveau à lui, doit être enterré. Dans un tel système, l’individu ne joue aucun rôle, contrairement au Lare immortel attaché à une maison et à une famille. L’ensemble des Lares provient d’une unique mère, la Mater Larum ou Mana, qui crée tout ce qui est périssable pour le reprendre en son sein après la mort. En elle on trouve aussi bien la puissance créatrice et protectrice, symbolisée par le chien ou le phallus, que le lien avec le monde des morts.

Parmi les autres dieux importants du panthéon étrusque, Tina, équivalent de Jupiter, représente le sommet de la pyramide, l’âme cosmique, à la fois cause finale et origine naturelle (p. 3). Janus, lui, est au point de départ de toute divinité, père des dieux, début et fin du temps. Etant donné le rôle de premier plan joué par Janus aux origines de la civilisation agraire, les fidèles l’honorent d’offrandes de lait et de miel (pp. 12-15).

La polarité mère (terre) – père (esprit) est donc bien présente dans la religion étrusque. Mais l’Etrurie sera souvent envahie, et dévastée, au cours de son histoire (p. 2). En outre, cette religion évolue selon des rythmes différents de région en région, l’impulsion venant apparemment de l’Orient, comme deux faits semblent le prouver : d’une part Janus est un dieu que les Grecs ne connaissent pas, ou plutôt ne connaissent plus (p. 14) ; d’autre part les dieux de l’ancienne Italie sont les mêmes que ceux que l’on découvre chez les Egyptiens et les Phéniciens. Ayant commencé leur voyage par les îles grecques, où ils ont rencontré la religion de Samothrace, ils l’ont poursuivi en Italie (p. 18), chez les Celtes et enfin en Grande Bretagne (p. 20). Au principe de cette évolution commune à toutes les religions, on reconnaît la volonté, générale, de s’arracher à la base matérielle pour rejoindre les régions célestes, en d’autres termes un désir de « spiritualisation »9. Cette évolution, qui va de pair avec l’avènement de l’agriculture (p. 8), se reproduit au sein de chaque divinité. Janus, dieu infini, intemporel, inaltérable, début de toute chose, dernier survivant d’une religion pure, a vu son champ d’action se rétrécir, notamment sous l’effet de l’adjonction de Jupiter (pp. 14-15). Un autre facteur de cette évolution, découlant lui aussi de l’origine unique de toutes les religions et de l’influence que les unes exercent sur les autres10, est à l’œuvre dans les assimilations de dieux. Ainsi les Pénates, qui garantissent la prospérité de l’Etat, voient-ils leur cercle s’élargir par l’adjonction de tous les dieux protecteurs de l’Etat. Au feu qui ne s’éteint pas, symbole de leur bienveillance, on ajoute d’autres signes véhiculant la même signification et provenant du monde entier (pp. 11-12). Philosophie de la nature, mélancolique et profonde (p. 1), la religion étrusque est donc à l’origine très proche du monothéisme, comme le prouve ce Janus, à la fois début et fin de toute chose, dont Bachofen dit même qu’il est l’alpha et l’oméga11, et dont il affirme qu’il est antérieur au polythéisme (p. 15).

Autre thème récurrent, l’agriculture introduit non seulement une démonologie plus élaborée, mais aussi une civilisation plus élevée, caractérisée par l’institution du mariage. Perpétuer la famille devient, avec l’agriculture, une loi religieuse et le célibat une offense au lar familiaris. Considéré du point de vue céréalier (jeu de mots sur la confarreatio romaine), le mariage a pour fonction la procréation des enfants12. Par ce biais, la religion tellurique introduit dans les maisons un principe monarchique, la puissance élevée du père, qui deviendra un des éléments déterminants de la disciplina romaine13. Cette importance attribuée au père (le paterfamiliasn’est rien d’autre que l’incarnation du Lare de la famille) se retrouve aussi dans l’ascendance des patriciens : fils de Janus, une entité sans début ni fin, ils sont enfants de la lumière et, après l’écoulement de leur temps, ils s’unissent à nouveau à cet être élevé et pur (p. 13).

Une des caractéristiques de la religion tellurique est de lier fortement. C’est d’ailleurs le sens à donner au mot religio, désignant « un lien susceptibie de maîtriser la force et la sensualité de l’homme de la nature, en le faisant vivre dans la crainte des Lares, à savoir ce monde des esprits que la terre cache en son sein, et qu’elle laisse de temps à autre remonter »14. Religio désigne encore « la force contraignante de la foi en un ordre cosmique supérieur, un ordre auquel on subordonne sa volonté et ses pulsions »15.

Tout comme l’éthique, le droit étrusque est solidaire de la religion tellurique. Il ne reconnaît pas de différences sociales. Tous à ses yeux sont égaux16. Lors des Lararia et des Compitalia, fêtes consacrées l’une et l’autre aux Lares, les esclaves jouent le rôle de leurs maîtres et ce sont eux qui président aux cultes (p. 5).

Il est important de relever que la plupart des éléments présentés ici sont étrangers à Creuzer. Il s’agit de réflexions propres à Bachofen et dont on retrouvera la trace dans maints passages du Mutterrecht. En particulier, on peut se demander si nous ne trouvons pas en germe l’idée que l’Italie était destinée, plus que tout autre pays, à dépasser le stade du droit de la mère – un stade non encore explicitement défini – et cela alors même que la religion y semble plus conservatrice qu’ailleurs17. En effet, le célibat étant considéré comme une injure faite au lar familiaris, il faut se marier, moins dans l’intention de s’adonner à des rapports sexuels, ce qui représenterait le côté dionysiaque et grossier du mariage, que dans le but de la procréation, ce qui, du mariage, apparaît comme le côté apollinien. La finalité visée est le fils. Et c’est par la notion de fils qu’on arrive à la notion de père, de paternité, de droit du père, d’abolition enfin du droit de la mère. On se souviendra à ce propos de la toute-puissance accordée au père, et de ce principe monarchique paternel qui gouverne, à travers la représentation du Lar, la maison étrusque décrite par Bachofen.

Le manuscrit 93

Ce manuscrit non daté, mais très vraisemblablement rédigé peu après 185318, contient en écriture abrégée des extraits parfois commentés, accompagnés de notes, tirés de sept ouvrages que Bachofen a pu utiliser aussi bien pour sa préparation de la Gräbersymbolik que pour celle du Mutterrecht19. Ce sont surtout les extraits de Rink et de Gerhard qui ont retenu notre attention.

Les extraits de ces deux auteurs – peu nombreux et souvent très courts dans le cas de Rink, beaucoup plus longs pour Gerhard – sont entrecoupés de réflexions personnelles. On comprend sans difficulté que Bachofen, intéressé avant tout par la déesse Gaia, saute les pages que Gerhard consacre aux divinités dans la littérature, ou encore aux guerres médiques. Mais on s’étonne de le voir passer sous silence les parallèles entre différentes religions ainsi que les constructions étymologiques échafaudées par Rink dans sa Religion des Hellènes. On constatera enfin que les quatre dernières pages consacrées à Gerhard traitent d’œuvres d’art, confirmant une fois de plus l’intérêt que Bachofen voue à l’archéologie.

La lecture de ce manuscrit permet de mettre en lumière plusieurs points essentiels à la compréhension de la genèse de la théorie du droit de la mère. Chez Rink tout d’abord, Bachofen relève l’évolution que subit Hermès. Dieu créateur à l’origine, assimilable à Pluton, il se retrouve par la suite relégué dans un rôle de serviteur. Parallèlement, son symbole, le bâton, devient un simple attribut (p. 8). Quelques notes prises chez le même auteur sont relatives à la solidarité qui unit le monde des morts aux origines de la vie. Cette relation étroite est illustrée par le sacrifice des graines effectué dans les mystères de Samothrace à l’adresse du dieu souterrain Hermès, sacrifice dans lequel on retrouve l’idée essentielle que toute nouvelle création est issue de la semence de ce qui a déjà été créé, en d’autres termes, que la nature naît toujours d’elle-même20. Un autre exemple de ce processus est offert par l’image de la grenade. Le mythe nous apprend que Perséphone doit redescendre dans le monde souterrain auprès de son époux parce qu’elle a mangé un grain de ce fmit. Selon Bachofen, le fait qu’elle a avalé le grain a pour conséquence que le fruit, symboliquement, voyage avec elle. La graine qu’elle ramène ainsi sur terre retourne ensuite, avec elle, dans les profondeurs de la terre. Ce mythe commenterait donc l’apparition de la végétation au printemps et sa disparition à l’époque de la récolte. Les morts connaissent le même cycle. Engrangés chez Hadès, ils remontent sur terre au printemps, en même temps que Perséphone. A l’instar des plantes, ils ne reviennent que pour disparaître. Cette conception est propre à la civilisation de l’agriculture : de même que les plantes sont une création périodique réalisée à partir de la semence qui reste après leur déclin, de même les morts reviennent différents, sous la forme de fleurs, âmes immatérielles et faibles, enfermées dans des simulacres ou des ombres (pp. 9-11).

Un dernier point que Bachofen relève chez Rink concerne la communauté de religion entre la Samothrace, la Grèce et l’Italie. Les Cabires sont identifiés à Déméter, Perséphone, Hadès et Hermès, et se retrouvent dans le Cirque Romain (p. 7). Les Pénates romains sont identiques à ces Cabires originaires de l’île de Samothrace : ce sont Dardanus et Enée qui les ont importés en Italie (p. 12). Le culte à mystères des Cabires révèle ainsi l’origine pélasgique des Pénates (p. 8).

En ce qui concerne Gerhard, tous les passages relevés sont de première importance. Nous retiendrons l’exposé relatif à la transition du monde pélasgique au monde hellénique, transition évoquée dans le cadre de la réflexion sur l’existence universelle d’une divinité primordiale unique et féminine, preuve de l’antériorité du monothéisme sur le polythéisme.

En effet, selon Gerhard, bien que peu de sanctuaires de cette déesse primordiale (La Mère des dieux) soient attestés explicitement, son culte était largement répandu dans le monde grec comme le montrent de nombreux documents liés en particulier aux oracles. Elle fut en effet la déesse suprême de l’ancienne Grèce, qui s’effaça le jour où ses dévots pélasges cédèrent le pas aux serviteurs helléniques de Déméter et surtout d’Apollon. A partir de là, deux scénarios sont possibles : soit les deux cultes se mêlèrent l’un à l’autre, soit le nouveau culte prédomina sur l’ancien21.

Conformément à ce qu’Hérodote rapporte de la religion des Pélasges, cette déesse primordiale ne faisait pas l’objet de représentations figurées (p. 21). Cette constatation entraîne une brève réflexion sur l’évolution des représentations divines. L’être divin qui, au début, n’existe que dans la pensée, se trouve par la suite figuré sous forme de pierres ou d’arbres, ou encore de pierres doubles, lesquelles font allusion au dualisme des forces de la vie cosmique, tantôt unies, tantôt opposées. Dans une phase ultérieure, d’autres symboles interviennent encore, tels les serpents ou le phallus22.

Ecartée lorsque les Hellènes se substituent aux Pélasges, la déesse ne disparaît pas pour autant. Elle poursuit son existence à travers les multiples divinités féminines du panthéon hellénique, qui ne sont que des noms et des conceptions hellénisés d’une seule et même Gaia, déesse de la terre et de la création, ou Rhéa mère des Olympiens. Renvoyant à la conception d’un ordre cosmique qui s’impose aux puissances olympiennes, toutes ces déesses sont les représentantes d’une grande déesse du destin devant laquelle même le Zeus homérique s’incline23. C’est précisément ce lien d’origine entre les diverses déesses qui rend possible l'introduction du culte phrygien de la Mère des dieux dans l’Athènes de l’époque de Périclès. En effet, la divinité phrygienne introduite de l’étranger ressemble à s’y méprendre à deux déesses déjà présentes sur place, et parfaitement athéniennes : la Terre-mère, Gé, et Athéna Polias déesse de la citadelle (p. 17). Cette dernière a déjà, de son côté, subi une évolution. On se la représente habituellement sous les traits de la parthénos vierge et guerrière, mais elle apparaît néanmoins parfois comme une mère féconde. Cette double notion, la mère et la vierge, est une caractéristique essentielle qui renvoie aux divinités de la nature, lesquelles, commente Bachofen, sont vierges pour devenir mère24. Ces trois déesses (la Terre, Athéna et la Mère phrygienne) ne sont donc que des versions légèrement différentes d’une seule et même entité.

La nature maternelle de la déesse primordiale transparaît dans sa relation à l’enfant Zeus qu’elle entoure de ses soins (p. 21). Cette relation constitue d’ailleurs une preuve supplémentaire de son évolution. En effet, le tronc de chêne qui, à Dodone, est le symbole de la Mère des dieux, puis, dans un deuxième temps, des Nymphes qui viennent la remplacer auprès du petit Zeus, ce tronc devient l’image à la fois de Jupiter et de sa parèdre Dioné. Ainsi, Zeus ne se distingue pas beaucoup de la force maternelle primordiale. La force de l’un accompagne obligatoirement la force de l’autre, la Magna Mater prévalant à l’est et Zeus à l’ouest. Au cours de l’évolution, l’entité subordonnée ne disparaît pas, mais continue à exister, comme en attestent ses symboles25.

Les réflexions de Gerhard entraînent Bachofen à introduire une longue digression sur la naissance de la religion, et le passage du monothéisme au polythéisme. « Ainsi, le monde des dieux se développe à partir de cette idée générale et primordiale. Zeus est né de cette idée, autant que de la tête de Minerve. La plus ancienne notion de ce type est féminine : c’est la terre. C’est elle que l’homme scrute, et non Ouranos. Il est naturel que, dans cette unité de l’homme avec la nature, on ne perçoive que le fondement le plus proche, à savoir la terre, et non pas le plus éloigné. On se met donc à honorer la terre, sans lui attribuer de sexe, comme on peut l’observer à Dodone. La distinction des sexes vient seulement plus tard. C’est ainsi que le masculin est issu du féminin. Le phallus d’abord, ensuite sa transformation en personne. C’est ainsi que Zeus finit par devenir l’entité essentielle. L’être de pensée [ce Gedankenwesen, cette idée générale et primordiale] se retire complètement, tout en continuant cependant à dominer toutes choses, en tant que puissance supérieure du destin ; invisible, voilé par conséquent, il précède la République des dieux à laquelle Zeus préside, mais là où il subsiste encore, il se voit personnifié. Les dieux sont eux-mêmes engendrés, produits par la terre ; à l’instar des hommes, ils ne sont donc pas des êtres primordiaux. Dieu n’a donc pas créé le monde, mais le monde a créé Dieu, et c’est pour les hommes que les dieux ont émergé du monde. Quant aux Olympiens, ils sont issus de Gaia. Les symboles traduisent le passage d’une notion générale de force primordiale maternelle vers l’individualisation. A partir des symboles, on voit donc surgir des personnages masculins et féminins, puis l’ensemble des relations et des souffrances humaines. Ces personnages se trouvent combinés sur un modèle humain. On voit apparaître le père, la mère, l’époux. Issu du phallus, Zeus devient le père des dieux. »26

Dans ce tableau des origines du polythéisme, Bachofen s’écarte par trois fois de son modèle. Le premier glissement a lieu à la page 21, où son texte prend un sens opposé à celui de Gerhard. Voici ce qu’écrivait celui-ci : « Ainsi, nous devons poursuivre l’examen de cette évolution au cours de laquelle la déesse unique des temps primitifs, à peine structurée, se rap¬procha peu à peu des formes divines du polythéisme pour se mêler à elles. »27 Bachofen, quant à lui, affirme ceci : « On voit ainsi comment la notion primordiale du dieu monothéiste des premiers temps donne peu à peu naissance à la pluralité polythéiste des dieux. »28 Une déesse d’autrefois, à peine ébauchée, qui faisait l’objet chez les Pélasges d’un culte exclusif en un temps contemporain de celui où se développait, chez les Hellènes, une religion polythéiste, devient chez Bachofen une divinité primordiale du monothéisme qui, ultérieurement, donna naissance à l’ensemble des divinités du polythéisme. Deux autres passages du manuscrit 93, traitant du même sujet, restent sans parallèles chez Gerhard : deux lignes affirmant que tous les cultes sont issus du culte de la terre29, et le long passage des pages 23 et 24 cité ci-dessus.

Notre savant semble donc tellement « habité » par l’idée que le culte d’une terre-mère est à l’origine de toutes les religions qu’il l’introduit où il peut, tant bien que mal, déformant ainsi, autant qu’il s’en inspire, le sens de l’étude qu’il est en train de lire.

Le manuscrit 96

Intitulé Über Preller, ce manuscrit de 40 pages rédigé aux alentours de 1853 contient des extraits de l’ouvrage que Ludwig Preller publia en 1837 sur Demeter und Persephone. Ce sont surtout les vingt et une premières pages qui retiendront notre attention. En effet, dans ces pages, Bachofen s’éloigne à tel point du texte de référence qu’il est souvent impossible de retrouver dans ce qu’il écrit ne seraient-ce qu’une phrase ou un groupe de mots relevant de son « modèle ». Par son contenu délibérément personnel, le manuscrit 96 se situe donc à la jonction des deux catégories de textes du premier groupe. Plusieurs thèmes proches des préoccupations du Mutterrechty sont exposés. Les pages 22 à 40 sont consacrées aux épithètes et caractéristiques de diverses déesses, dont Gé et Déméter, ainsi qu’à un résumé du mythe de Perséphone et à des considérations sur les représentations mystiques.

En ce qui concerne la méthode de travail, ce texte confirme ce que nous avons déjà entrevu dans l’examen des manuscrits précédents. Outre la grande liberté qu’il s’octroie à l’égard des interprétations rencontrées dans l’ouvrage qu’il résume et commente, Bachofen s’écarte souvent de la thématique elle-même proposée par Preller. Il insère de nombreuses remarques sur le monde funéraire, sans préciser qu’elles sont de son crû30. Il met l’accent sur Gé alors que l’objet d’étude de Preller était avant tout Déméter. Il passe enfin sous silence plusieurs motifs récurrents chez Preller, comme celui de la religion nationale et du rôle joué par les poètes dans son élaboration, ou celui encore de la chronologie de la religion et des peuples à l’origine des diverses conceptions religieuses. Par deux fois cependant, il prend explicitement position31.

Ce manuscrit, dont l’écriture est fortement abrégée, semble porter plusieurs marques de relecture : mots soulignés, mots-clés et traits rajoutés dans la marge, destinés à mettre tel ou tel passage en évidence (p. 27). C’est ainsi, pensons-nous, que l’on peut expliquer la disparité entre les pages 1 à 21 et les suivantes, les vingt-et-une premières pages étant probablement le fruit d’une réflexion faite sur la base d’une relecture des notes prises sur l’ouvrage de Preller. Le texte qui commence à la page 21 pourrait correspondre au début effectif des notes. C’est en effet à partir de cette page que l’on trouve des parallèles chez Preller, sans références toutefois. La numérotation des pages ne correspondrait donc pas à l’ordre dans lequel le manuscrit a été rédigé.

Un développement important dans notre perspective est celui qui concerne l’évolution de la conception de la terre, mise en étroite relation avec le niveau d’évolution des peuples. Selon Bachofen, on rencontre dans l’Antiquité trois conceptions de la terre. La première relève des peuples nomades, vivant de la chasse. Le chasseur, qui ne dépend pas de la terre, n’accorderait aucune attention particulière à celle-ci. Ce n’est qu’à sa mort qu’il entre en contact avec elle. Terrible et noire, la terre est donc pour lui le siège de la divinité porteuse de mort32. Mais à partir du moment où l’homme se sédentarise, il se familiarise avec la terre et la conception qu’il en a s’adoucit. Amené à observer l’alternance de la vie et de la mort dans le domaine végétal, surtout à propos de la semence, il remarque en effet le cycle incessant du devenir et du disparaître, qu’il rapporte bientôt à sa propre personne. La Terre devient à ses yeux la puissance qui engendre la vie, qui enfante et nourrit tout, une mère universelle. Symbole de vie et de croissance autant que de mort, elle recueille le corps du défunt avec pitié33. Si nous retrouvons le souvenir de la première représentation (celle des chasseurs) chez Homère (p. 2), le chantre de la seconde est Hésiode qui transmet les représentations religieuses de la tribu pélasge, adonnée à l’agriculture et bâtisseuse de villes (p. 2 et p. 21). Le développement de l’agriculture entraîne pour finir l’élaboration d’une troisième conception : celle d’un cycle qui commence avec la mort pour finir avec la vie, à l’image de la semence enfouie dans la terre et qui devient un épi de blé. Le mythe de Perséphone en est une parfaite illustration34. La deuxième et la troisième conceptions, indépendantes à l’origine, finissent par se mêler – ce qui est naturel puisque la semence de blé, essentielle pour l’agriculture, est en même temps l’expression par excellence de la terre comme puissance productrice et nourricière. Sur le plan divin, cette synthèse équivaut à une identification de Déméter avec la déesse terre (pp. 7-9). Tout en continuant à coexister, les deux déesses s’influencent mutuellement : dotée des caractéristiques de la terre, Déméter, de divinité olympienne qu’elle était, devient une puissance chthonienne. Gaia quant à elle se trouve élevée au rang de déesse olympienne (pp. 11-12).

La troisième conception est donc due à l’agriculture qui révèle à l’homme l’existence du cycle du devenir et du disparaître auquel il est également soumis. Il s’agit d’un ordre naturel immuable et basé sur une ordonnance divine (p. 9). La mort n’est plus qu’un maillon essentiel de cette chaîne, l’ensemble étant divisé en couchers et levers, en descentes et remontées. Le mythe de Koré montre qu’il s’agit d’un ordre cosmique mis en place par les dieux.

Un autre thème développé par Bachofen est celui de l’évolution des représentations de l’au-delà, qu’il met en parallèle avec l’évolution des conceptions de la terre. Dans ce qu’il reconnaît comme troisième étape, la mort ne représente plus un terme, mais un passage. Lui-même produit de la terre, l’homme se voit attribuer, de par sa nature somatique, la même destinée que la graine : en reposant dans la terre à sa mort, il connaîtra comme la graine un « lever » après le « coucher ». Les âmes retournent donc vers le monde supérieur en même temps que les plantes. Sur le plan divin, les dieux de la semence deviennent des juges de la mort, habitant les tréfonds de la terre, mais aussi des messagers de vie. Le fait que les pratiques d’inhumation se répandent toujours davantage est une conséquence de cette évolution (pp. 13-14). La manière dont on se représente la mort et l’au-delà dicte les pratiques funéraires, la disposition des tombes et les symboles qu’on y dépose (pp. 16-17). Dans la doctrine homérique, qui traduit les conceptions des tribus helléniques, les héros apparentés aux dieux sont brûlés et savourent les délices des Immortels dans l’Elysée céleste. La mort représente donc pour eux une transfiguration et l'incinération un moyen de transmettre l’immortalité aux corps jusqu’ici périssables. Plus tard, une autre conception s’opposera à cette conception homérique, celle de l’agriculteur qui a devant ses yeux l’image d’une destinée et d’un avenir tout différents35.

Décisive pour l’évolution des idées relatives à l’au-delà, l’agriculture joue aussi un rôle important au niveau de l’organisation de la vie sociale. Elle impose à l’homme le cadre d’une vie ordonnée, une vie de citoyen, définissant les frontières de la propriété et faisant du mariage la base de la vie en société36. La mélancolie aussi bien que la plaisanterie caractérisent l’agriculture (p. 29). Elle est liée aux tribunaux (p. 34), à la législation (p. 38), à l’art d’entreposer le grain, de le moudre, de confectionner du pain. En d’autres termes, l’agriculture est la condition d’une existence réglée, opposée à la vie sauvage des temps primitifs37.

On peut signaler quelques remarques intéressantes sur le lien entre mythes et symboles. Selon Bachofen, le mythe rend compte d’une expérience vécue, celle du cycle de la végétation, où la vie et la mort représentent le début et la fin. La destinée de la semence fournit à la fois le modèle et le contenu du mythe de l’enlèvement de Koré38. La mythologie serait un élément propre au stade de l’agriculture, l’ordre naturel le plus élevé. La civilisation antérieure, celle de la végétation spontanée, ne crée pas de mythe39. Cependant, même si la conception du monde propre à l’époque la plus ancienne, cette conception rude et primitive qui voit dans la terre le siège de puissances destructrices, n’est pas elle-même productrice de mythes, elle a laissé de nombreuses traces dans la légende40. Le monde funéraire, de son côté, continue d’être un monde sans mythes. Il reste le lieu du symbole par excellence, alors même que celui-ci s’était depuis longtemps déjà transformé en mythes dans d’autres domaines du culte41. De par son archaïsme et son lien intime avec le symbole, le monde funéraire représente donc un objet d’étude privilégié. Il dévoile un monde primitif, commun à toutes les anciennes nations, un monde que les autres sources ne permettent pas d’atteindre42.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les symboles funéraires ne relèvent pas uniquement de la première conception, de celle pour qui la terre est le siège de puissances destructrices et terrifiantes. De nombreux symboles sont liés à l’agriculture, tels le serpent, l’œuf, le phallus, tous des symboles de production. S’imposant à l’occasion de chaque décès comme un mystère de la vie qui disparaît, cette conception de nature cosmogonique est davantage présente dans les tombes que dans le culte.

Curieusement, quand il reprend cette réflexion un peu plus loin, Bachofen élabore un raisonnement contredisant ce qu’il vient d’affirmer. Voici que les religions agraires, elles non plus, ne connaissent pas de mythes. La religion de la nature, qui explique tout par allégories, se limite au miracle, lequel est interprété comme un mystère que seul l’esprit en état d’extase divine peut appréhender. Or, plus la mystique se développe, moins il y a de mythologie. Les religions agricoles ne produisent pas de mythes, mais elles conduisent au mystère et à la contemplation par le biais de symboles. La clarté de l’épopée, perceptible aux sens, leur semble répréhensible. C’est pourquoi les tribus pélasges ne produisirent pas d’épopées, ni de mythes, mais seulement des allégories et des symboles (p. 37).

Cette contradiction, en fait, n’est qu’apparente. Elle s’explique par le fait que, dans un premier temps, Bachofen construisait sa propre théorie, alors que dans le second moment, il reproduit fidèlement la pensée de Preller43. Quant à la chronologie des mythes, le dernier mot, de Bachofen, veut qu’elle soit facile à établir : plus un mythe est beau, épique, et clair, comme celui de Koré, plus il est ancien (p. 37).

Finalement, ce manuscrit nous livre la double raison de l’engouement de notre savant pour l’histoire de l’art, engouement constaté à maintes reprises et que nous retrouverons encore dans bien d’autres circonstances : il s’agit d’une part de la présence dans les tombes de symboles témoins d’un niveau archaïque de l’évolution humaine, et d’autre part de l’immense importance que revêt la symbolique pour l’art, dépassant celle qu’elle peut avoir pour la poésie et l’écriture44.

Les études sur un thème précis

Les manuscrits 97, 98, 99, 100 et 101

En 1853, Bachofen prononce trois conférences devant la Basler Gesellschaft für vaterländische Altertümer. La première traite des tombes des Anciens, la deuxième de différents types de sépultures, la dernière aborde les oracles des morts, les tombes dans leurs relations avec les lieux de culte et leur symbolique. Etant donné les étroits rapports qu’entretiennent l’analyse du monde funéraire, la théorie du droit de la mère, et la notion de terre-mère, ces conférences méritent quelque attention. Parmi les manuscrits conservés dans les archives, les numéros 97, 98, 99, 100 et 101 peuvent être mis en relation avec elles.

Le premier de ces manuscrits, sans doute le plus ancien, est intitulé « (Réflexions sur) les tombes des anciens, plan d’une conférence »45. Il semblerait que cette conférence n’a jamais été prononcée. Les quatre autres manuscrits forment un groupe à part. Bachofen en rédigea le début en vue d’une conférence prévue en janvier 1853. Mais, volubile, il se laissa rapidement emporter. Arrivé à la page 249, il se résolut à écrire un autre texte pour la conférence, dont la date se faisait proche. Il s’agit du manuscrit 102, composé d’extraits des manuscrits 98 et 99. Notre savant poursuivit néanmoins la rédaction du manuscrit commencé, d’abord sous la forme d’un texte suivi, puis sous la forme de notes regroupées sous des mots-clés, le plus souvent des noms de symboles.

Ce sont ces quatre manuscrits (98, 99, 100 et 101) dont nous proposons une lecture rapide. Prévus comme textes préparatoires d’une conférence, ils ont l’avantage de présenter une synthèse dès les premières pages. Etant donné leur unité, ils seront analysés ensemble46.

Le manuscrit 98 porte deux titres sur la première page, l’un en haut à droite, biffé, et l’autre au-dessus de la colonne de gauche. Alors que le premier titre indiquait la destination première (Conférence pour la société historique bâloise)47, le second, lui, devient très général : Les tombes des Anciens48. Une introduction programmatique proclame le bien-fondé d’une ambition d’universalité dans la recherche. Le thème de la conférence est abordé par le biais des divinités des tombes, entités chthoniennes dont le symbole le plus ancien est le phallus, ornement funéraire très fréquent. Les tombes sont liées à plusieurs faits de civilisation : les stèles funéraires servent de modèles aux tables de lois (p. 13), les dieux des morts protègent la propriété et le mariage. Notre savant aborde ensuite l’évolution de la tombe, sa transformation en autel et en temple, puis s’intéresse à leur forme et décor, aux différents honneurs attribués aux morts – incinération, ou inhumation – ainsi qu’à l’orientation et à l’emplacement des tombes. Après une description très détaillée de nombreuses tombes de patriciens, Bachofen se penche sur les représentations funéraires relatives à la vie du défunt, à son enterrement, et enfin à son sort après la mort, que l’on cherchait à influencer par le biais des mystères.

A partir de la page 285, le texte continu s’interrompt pour laisser place à des rubriques constituées autour de mots-clés. Longues parfois de plusieurs pages, ces rubriques contiennent aussi bien des citations d’auteurs antiques ou contemporains que des descriptions iconographiques.

Du point de vue de la méthode de travail, on remarquera d’incessants parallèles établis entre les symboles divins, plusieurs rapprochements avec la religion chrétienne49, ainsi que de nombreuses descriptions d’œuvres d’art construites à partir d’observations personnelles ou puisées dans des ouvrages de référence50, de petits dessins destinés à rendre les explications plus claires, et, enfin, de nombreuses citations d’auteurs grecs et latins en langue originale. N’oublions pas non plus de signaler, dans la colonne de droite de la première page, un inventaire bibliographique intitulé Literatur. Cette liste appelle deux remarques : d’une part elle n’est pas exhaustive – des auteurs effectivement cités, comme Raoul-Rochette, en sont absents – d’autre part aucun des titres énumérés n’apparaît dans le Mutterrechtou la Gräbersymbolik. En ce qui concerne les ouvrages modernes, comme ceux de Raoul-Rochette, Campana et Preller, on notera que Bachofen renvoie non pas aux livres eux-mêmes, mais à ses propres recueils d’extraits et de notes51. Parmi ces ouvrages, c’est la Symbolik de Creuzer qui est la plus fréquemment citée. Les autres livres mentionnés étant tous cités par Creuzer dans les passages auxquels se réfère notre savant, on peut affirmer, sans grand danger, que Bachofen n’a fait que reprendre ces références, sans les vérifier au préalable. Un dernier point à mentionner est l’utilisation d’appendices désignés comme Anhänge. Un long passage sur les Erinyes et le fatum rédigé en marge, puis sur une feuille séparée, nous fournira un bon exemple de ces textes écrits après coup, sans que l’on sache souvent à quel moment52.

Du point de vue du contenu, l’introduction nous fournit de précieuses informations. Bachofen y déclare que sa recherche porte sur les peuples classiques de l’Antiquité en général. Plusieurs raisons président à ce choix d’un ensemble large. Tout d’abord, précise-t-il, il est fructueux de mettre en évidence les grands points de vue avant de passer à l’analyse de détail. Ensuite, l’approche du monde funéraire renvoie à l’Antiquité comme à un tout, dans lequel il n’existe ni différences entre peuples, ni différences entre époques. Non pas que ce monde ignore les spécificités nationales ou les évolutions historiques, mais on retrouve partout, à ce niveau, les mêmes considérations fondamentales. Finalement, la tombe est très conservatrice : ce qui est d’origine religieuse se maintient longtemps, et cela tout particulièrement dans l’Antiquité et dans le monde funéraire. Aussi les tombes de la fin du paganisme contiennent-elles encore les réminiscences les plus parlantes des temps primordiaux53.

Bachofen annonce ensuite les différents chapitres de sa conférence, qu’il ne pourra traiter que de manière allusive en raison de la richesse de la matière : l’importance des tombeaux dans la vie des anciens peuples, leurs liens avec la civilisation ; les créations et les œuvres d’art qu’ils ont inspirées, leurs caractéristiques les plus intéressantes pour le chercheur et le gain que la philologie retirera de leur analyse. En effet, tous les aspects de la vie – la religion et l’architecture, la poésie et le droit – sont présents dans les tombes. Tout ce qui existe de plus beau est transféré en la demeure éternelle, dans laquelle commence l'autre vie (pp. 3-4).

Bachofen présente enfin ses sources, qui sont les mêmes que pour les autres domaines de la philologie : les auteurs et les monuments. Mais alors qu’habituellement les textes permettent d’expliquer les monuments, ce sont ici les monuments qui constituent la source principale. En effet leur forme et leur contenu – ustensiles de toutes sortes et objets symboliques – livrent d’importantes informations, souvent omises par les textes. Un vrai savant se devra donc de pratiquer une science complète de l’Antiquité.

De nombreux thèmes abordés dans ces quatre manuscrits pourraient retenir notre attention. On relèvera l’allusion au caractère tellurique de la religion pélasge que Bachofen décèle dans la conception de Zeus (p. 348) et dans le lien qui unit le cheval, symbole chthonien, à Neptune (p. 363).

Cette religion tellurique évolue au cours du temps. Un long passage sur les Erinyes et le fatum nous montre les étapes de cette évolution. Nous y apprenons que l’épopée non-romaine s’appliquait avant tout à souligner le règne de la fatalité, de la nécessité irritée, l’ordre du monde dont la loi a été enfreinte et qui crie vengeance. Dans l’épopée et toute la poésie ancienne, les Erinyes, les servantes de cet ordre ancien, sont imaginées comme des êtres nocturnes et chthoniens, au service d’Aidoneus et de Perséphone. Elles appartiennent à la race des anciens dieux et non au cycle édulcoré de Déméter-Gé, ce qui les rend particulièrement aptes à représenter le fatum. Toute atteinte à l’ordre moral appelle une punition de leur part. A l’instar des Erinyes, le fatum est une conception émanant de l’ancien ordre du monde, pour lequel la mort est une perturbation de la loi de la nature et non, comme cela deviendra le cas plus tard, une conséquence de cette loi. La mort résulte d’un acte violent, que seuls des êtres du monde infernal peuvent causer. Le fatum est donc une volonté suprême, régnant sur la loi de la nature et ses dieux. C’est la « parole prononcée » d’une divinité que l’on ne connaît pas, que l’on ne reconnaît qu’à travers cette « parole prononcée » et que l’on personnifie dans ce fatum. Les Erinyes ne sont que les instruments de cette fatalité et non la fatalité même. L’idée de base n’est pas la vengeance, bien que celle-ci en représente un aspect. La fatalité équivaut à une punition, à des représailles terribles, et le fatum à un tribunal sévère mais juste. C’est cet aspect-là que met en évidence le destin d’une famille tout entière, lorsqu’un seul homme, lui-même innocent, devient la victime des générations qui l’ont précédé. L’idée du tribunal divin rejoint ici celle de la fatalité. Ainsi, chez Eschyle, les Erinyes apparaissent à Oreste immédiatement après le matricide54.

Dans ce développement, Bachofen fait une distinction claire entre une première époque dominée par des divinités chthoniennes terribles, dont les Erinyes sont les servantes, et une époque ultérieure plus douce, celle de Déméter-Gé. On retrouve cette même évolution dans la conception de la mort. D’abord considérée comme une atteinte à la loi de la nature, comme un acte violent émanant de divinités souterraines irritées, elle finit par faire partie intégrante de cette loi naturelle. Cette évolution est également perceptible dans la relation qu’entretiennent les divinités du monde inférieur avec celles du monde supérieur : bien distinctes au début, elles s’en rapprochent toujours plus par la suite. La pensée de Bachofen, sur ce point, se modifiera. Il finira par postuler une origine commune pour toutes les divinités. Les divinités supérieures, ayant au départ elles aussi une composante chthonienne, seront présentées comme ayant été dépossédées de leur base tellurique à la suite d’une évolution.

On remarquera par ailleurs la teinte chrétienne que prend tout ce développement. Bachofen reprend le thème du fatum à propos de Zeus et de son origine. A l’époque pélasgique, il s’agissait d’un dieu tellurique. Jupiter Aidoneus, en Grèce, était analogue au Jupiter Picus d’Italie. Prisonnier de la matière, il représentait l’esprit qui vit en elle, inséparable d’elle, sa vie. Progressivement Zeus s’émancipe, échappe à la matière jusqu’à devenir un principe de vie immatériel qui réside dans les choses, origine et fin de toute vie. Sous cet aspect, il apparaît comme l’univers, comme la matière conçue en sa totalité. Il est le souffle de l’univers qu’il anime, il est la force qui a tout créé et qui anime tout, d’éternité en éternité. En un mot, il est Dieu le Père. Reconnu d’abord dans la force tellurique de la matière, son évolution l’en détache, et il devient la force étemelle qui règne sur la matière. Un concept double s’est donc formé à partir de la terre. Le fatum (loi immuable), et le divin. Dans un premier temps, leur rapport est ambigu, mais ensuite le premier se soumet au second, le fatum devenant la parole issue de la bouche divine. Ils finiront par ne former plus qu’un, le fatum étant près de Dieu, Dieu étant le fatum même. Dieu se réalise donc dans la parole, et la parole dans la création. Dieu est invisible, mais brille dans la création. C’est ainsi que Jean présente la nature divine : Dieu était la parole et la parole s’incarna dans la création, dont elle était le souffle. Mais comme on ne reconnaissait pas la divinité en ce souffle, la parole devint chair, et cette chair fut donc fils de Dieu le Père. Jean présente le rapport entre la création et Dieu comme une vérité absolue, et non pas comme une croyance propre à un peuple particulier. Il en va de même de Zeus pour les Anciens55.

Alors que Zeus subit une transformation qui le fait passer de dieu tellurique à dieu spirituel et suprême, d’autres divinités connaissent une évolution inverse. Ainsi on trouve avec Diane l’idée que la multitude des dieux est issue d’un seul être. Dans cette déesse, la force de la nature est comme fécondée par la lune qui est un des fondements de la vie. Plus les divinités sont anciennes, plus leurs significations sont nombreuses. Les cycles et les fonctions ne furent distingués qu’aux cours des époques postérieures. Auparavant, les hommes n’avaient pas de divinités, mais sentaient et honoraient l’unique entité qui crée et maintient la vie. Les signes des tombes transmettent cet indicible, ils ne sont pas la représentation de divinités56.

On pourrait s’attendre à ce que l’analyse de Zeus et Diane débouche sur l’idée que tous les dieux ont la même origine, et que seul leur niveau d’évolution détermine leur degré de spiritualisation. Ce serait mal connaître Bachofen. En effet, tout comme on peut déceler un contraste paradoxal entre Zeus et Diane – chez le premier, le monothéisme est le terme de l’évolution, chez la seconde, il en est le point de départ – la suite de la discussion sur l’origine des dieux révèle un nouveau paradoxe. Loin d’avoir une origine commune, les divinités appartiennent à deux classes bien distinctes dès le départ. De fait, tous les Dii Inferí (dieux infernaux) ont leur origine dans les tombes, alors que les Dii Superi (dieux supérieurs) sont d’emblée reliés à des phénomènes naturels supra-telluriques. Plus tard seulement, ces Dii Superi entrent en relation avec les puissances chthoniennes et funéraires, ce qui prépare l’avènement de la doctrine de l’ascension de la psyché vers les astres. Bachofen insiste sur le fait que ces évolutions ont eu lieu ultérieurement, et qu’elles doivent être soigneusement distinguées de l’état le plus ancien57.

On aurait tort de considérer qu’il s’agit de réels paradoxes. On a plutôt affaire à des mouvements de balanciers à l’intérieur d’une seule et même évolution, des allers-retours dont nous aurons encore maintes fois l’occasion de rencontrer l’importance dans les écrits de Bachofen. En dépit de ces oscillations de l’histoire, la trajectoire décrite par la religion antique a tendance à se diriger vers le bas. Dans le sillage de nombreux auteurs grecs et latins, Bachofen constate en effet que la religion se dégrade au fil du temps. La multiplication des divinités anthropomorphes obscurcit peu à peu la notion pure du divin. Plus on remonte dans le temps, plus les pensées des hommes sont grandes et justes. Même s’ils n’étaient pas beaux, les symboles des premiers temps avaient du sens. L’époque où l’homme vivait encore dans l’harmonie de la création fut donc aussi la plus importante du point de vue des dogmes. Ainsi les Romains, ces conservateurs acharnés, réussirent-ils mieux que d’autres à se maintenir longtemps du côté du vrai et du pur58.

C’est sans doute à cette époque primordiale qu’il convient de faire remonter un grand nombre de symboles ainsi que la plupart des mythes, puisque symbole et mythe sont étroitement liés entre eux. Le mythe, qui exprime aux yeux d’un peuple des préceptes moraux, et dans lequel on puise des vérités consolatrices et des doctrines éthiques sur la vie, la mort et l’avenir, informe aussi ce peuple sur son origine et son histoire. Pour que cette langue symbolique demeure compréhensible, les signes, une fois choisis, sont fixés à tout jamais. Certains d’entre eux sont transmis d’un peuple à l’autre, d’une époque à une autre et peuvent donc remonter à l’époque primordiale59. Plus loin, Bachofen reprend l’idée que les mythes sont issus des signes symboliques, une idée, précise-t-il en marge, qui est l’un des fondements de la Symbolik de Creuzer60.

Une autre conception liée à l’époque primordiale, et donc à la notion d’évolution, est celle d’autochtonie, solidaire du rôle maternel de la terre. La réflexion de Bachofen s’élabore à partir de l’image des cigales en or décorant les cheveux des Athéniennes, symboles de leur autochtonie. A l’instar de certains ancêtres mythiques (comme Sosipolis et Tages), les Athéniennes sont imaginées comme étant nées de la terre qu’elles habitent. Cela, note Bachofen, est « très important pour l’appréhension de la terre comme mère, du sein de laquelle nous sommes issus et dans lequel nous retournerons. D’où aussi les nombreux symboles funéraires qui s’y réfèrent : serpents, marmottes, lapins ou lézards. (…) Il s’agit d’une des plus anciennes conceptions de l’esprit humain, une conception fondamentale du genre humain. La terre devait depuis l’origine être considérée comme un être divin et entretenir des liens avec le culte des morts »61. Plus loin, Bachofen revient sur ce lien de la mère et du monde funéraire, en faisant référence aux inscriptions funéraires lyciennes dans lesquelles, comme le rapporte Hérodote, on inscrivait également le nom de la mère62.

Cet ensemble de manuscrits, on en conviendra, comporte un nombre élevé de considérations annonçant la genèse du Mutterrechtautant que celle de la Gräbersymbolik. On aurait tort cependant de croire que les fondations du Mutterrechtsont dès lors creusées. En effet, plusieurs éléments destinés à jouer un rôle essentiel dans l’élaboration de la théorie du droit de la mère ne sont que brièvement mentionnés dans les pages de ces quatre manuscrits. Nous pensons à des motifs tels qu’Ocnus et son âne (thème principal du manuscrit 104)63 ; tels aussi qu’Oreste matricide64, dossier qui sera longuement développé dans la conférence que Bachofen prononcera en 1856 sur le Weiberrecht ; ou encore le rôle des Erinyes, déesses de l’ordre ancien, dont cette même conférence souligne l’importance et décrit la métamorphose dans le cadre de l’évolution de la religion antique. On remarquera en outre que la théorie du développement du droit en deux stades – le ius naturaleet le ius ciuile – bien présente dans le manuscrit 104, la Gräbersymbolik et le Mutterrecht, ne semble pas encore élaborée ici. De même, nous ne rencontrons encore aucune allusion aux Euménides de K.O. Müller, un ouvrage dont il sera beaucoup question dans la conférence de 1856.

Le manuscrit 95

Sans doute postérieur à la première mouture du groupe des textes précédents, et antérieur à leur seconde version, le manuscrit 95 traite en trois chapitres de divers aspects de la Terre en tant que divinité. Le premier chapitre, dont nous n’avons conservé que la fin, était apparemment consacré à la préséance de la puissance chthonienne sur les puissances célestes et à la communication entre le monde des morts, situé au sein de la terre, et celui des vivants, à sa surface. Ce texte se terminait sur la description d’un tableau, description dont la fin est conservée sur la page 5. Le deuxième chapitre (pp. 5-10) est constitué d’une collection de références et citations d’auteurs antiques relatifs à divers aspects de la terre. Le troisième chapitre, intitulé Figuren der Erde (« Figures de la terre », pp. 11-16) contient des descriptions de sculptures, bas-reliefs et peintures représentant la terre.

L’intérêt pour nous de cette étude succincte et structurée de la déesse Terre réside surtout dans ce qu’elle nous apprend sur la méthode de travail de Bachofen. On relèvera le grand nombre de citations et de références faites aux auteurs antiques65, ainsi qu’aux ouvrages contemporains66. Les références aux textes des Anciens sont presque toujours suffisamment élaborées pour qu’il soit aisé de remonter aux sources. Il en va tout autrement des renvois aux ouvrages modernes. Non seulement Bachofen fait preuve d’une grande imagination dans l’abréviation des noms d’auteurs et des titres d’ouvrages, mais il n’hésite pas à utiliser différentes éditions d’un même ouvrage. De plus, quand il ne fait que reproduire littéralement certains passages, il ne le signale pas. On notera encore qu’il reproduit en langue originale les commentaires en latin ou en allemand, mais pas ceux qui proviennent du français. En ce qui concerne l’histoire de l’art, Bachofen commence par la description de l’œuvre, soit sur la base de ce qu’il a vu personnellement67, soit sur la base d’un ouvrage ; puis il fait suivre la description de références souvent tirées du premier livre utilisé. On signalera à nouveau, à ce propos, l’importance que Bachofen attribue aux représentations figurées. Il se présente à nous comme un chercheur remarquablement érudit, à l’aise aussi bien dans la diversité des genres littéraires grecs et latins que dans l’histoire de l’art.

Se présentant comme une systématisation d’informations récoltées antérieurement, le manuscrit n’introduit guère d’éléments nouveaux. Le chapitre le plus intéressant est sans aucun doute le deuxième, qui contient quelques développements relatifs à l’évolution de la déesse Terre.

La rôle joué par la Terre dans diverses cosmogonies montre qu’elle est l’origine et le contenu de tout. Conçue d’abord comme une entité matérielle (cosmique), elle ne devient divine que dans un second temps68. Au cours de son évolution, la Terre voit certaines de ses caractéristiques se détacher d’elle sous forme de déesses indépendantes, comme ce serait le cas avec Calligeneia (p. 8). Au début, la déesse Terre était totalement dépourvue d’attributs. Mais avec le temps les hommes ressentirent le besoin de lui en donner, afin, dit Bachofen, de mettre en évidence ce qui, autrefois, allait simplement de soi69.

Outre son évolution, le deuxième chapitre décrit également certaines caractéristiques de la déesse. Elle est généreuse et dépourvue de jalousie70. Toute vie sur terre, sur mer et dans le ciel se nourrit d’elle71. Ce rôle de nourricière est souligné par son épithète kourotrὁphos (p. 8). L’enfantement et l’alimentation de ses rejetons sont ses devoirs principaux72. Ainsi, elle nourrit et élève le petit Jupiter, de même qu’Aristée (p. 9). Par ailleurs, un certain nombre d’êtres sont nés d’elle, tels que Cécrops, Triptolème, Pelasgus et Erichthonios73. Déesse bienveillante, elle a pitié de ses enfants qu’elle protège74. Elle est enfin la conseillère par excellence, et ses oracles sont nombreux en Grèce, surtout aux époques reculées.

Dans ces mêmes pages, nous trouvons également une liste de déesses assimilées à la terre : Cérès, Bona Dea, Ops, Cybèle, Vesta, pour n’en citer que quelques-unes. La terre est donc la Mère des dieux (p. 7). L’idée, déjà rencontrée, d’une entité monothéiste conçue par Bachofen comme féminine75, précédant le polythéisme et dont tous les dieux sont issus, est donc bien présente ici, même si elle n’est pas formulée explicitement. Le chapitre contient en outre une liste des sanctuaires de cette déesse76.

Nous signalerons encore la présence d’une remarque intéressante à la page 14. Discutant des représentations figurées sur des reliefs montrant comment des hommes désireux de dépasser leur condition de mortel sont finalement précipités à terre, Bachofen ajoute : « Nous voulons en faire une rubrique spéciale des représentations tombales. »77 Il prévoyait donc, dès l’époque de la rédaction de ce texte, c’est à dire en 1853, d’écrire un livre sur les tombes, livre dont il semblait déjà avoir élaboré un plan.

Le deuxième groupe de manuscrits

Description générale

Les manuscrits 103 et 104 peuvent être considérés comme les pièces maîtresses des archives bâloises en ce qui concerne l’étude de la genèse du Mutterrecht. Tous deux sont d’un volume considérable et ont été abandonnés en cours de rédaction.

C’est en juin 1855 que Bachofen entreprend la rédaction de ce qui deviendra le manuscrit 103. L’écriture très soignée, l’absence d’abréviations et la précision des références montrent son intention d’en faire l’objet d’une publication. De ce grand projet qui porte un titre général, L’ancienne Italie, Bachofen n’ira toutefois pas au-delà d’une première partie intitulée « Le peuplement le plus ancien ». L’introduction mise à part, celle-ci n’est en outre composée que d’un seul chapitre, « Les Ligures », interrompu abruptement après 285 pages78. Plusieurs indices permettent d’entrevoir la structure de l’œuvre projetée. Bachofen annonce souvent qu’il reviendra sur tel ou tel sujet, ses indications demeurant souvent vagues – « plus loin », « plus bas »79, « dans les livres suivants »80 – mais devenant parfois plus précises, comme l’attestent plusieurs renvois à un « livre second »81. Une seule fois, ce livre second auquel il fait référence est mentionné par son titre ou son contenu : la « Représentation des tombes »82. Une feuille bleue, en outre, a été glissée dans le sixième cahier. Contrairement à ce que son aspect et le contenu d’une des pages laissent prévoir83, cette feuille contient des informations très importantes sur la manière dont Bachofen concevait le plan de son livre durant l’été 1855. En effet, après avoir surmonté les problèmes de lecture, on y déchiffre un intitulé : « Fernere Reihenfolge » (« développement ultérieur »), ainsi qu’une liste de mots-clés qui renvoie aux titres des chapitres du premier livre ainsi qu’au contenu des livres deux, trois, quatre, et à celui de diverses annexes. La notice s’achève sur la remarque : « Tout relire et compléter ». Une partie de ce plan avait effectivement été réalisée. Cela explique pourquoi la mention octobre figure sous celle de juillet sur la première page du dernier cahier. Avant d’abandonner définitivement ce manuscrit pour se consacrer à la rédaction du 104, Bachofen a donc bel et bien revu ce qui était déjà réalisé, en vue de mener son projet à terme.

Cette feuille bleue a permis à Meuli et Howald de proposer une esquisse de ce qu’aurait pu devenir la suite de ce manuscrit. Selon Meuli84, Bachofen prévoyait de traiter de l’architecture des villes dans le quatrième livre, des peuples orientaux venus s’installer en Italie dans le troisième livre, et de la religion primordiale chthonienne dans le second livre. Le titre que Bachofen donne au second livre – Theorie der Namen – montre clairement, selon Meuli, que l’intention du savant bâlois n’était pas d’analyser l’étymologie des divers noms de peuples, comme dans le premier livre, mais d’aborder le problème de l’attribution à l’enfant d’un nom tiré de celui de sa mère, de même que les causes et les conséquences religieuses de ce système d’appellation. Plusieurs passages du premier livre font d’ailleurs allusion, par anticipation, aux caractéristiques de la religion primordiale telle que devait la présenter le second livre. Selon Meuli, c’est bien ce livre deux qui doit être considéré comme la véritable source du Mutterrecht. Il constate aussi que l’intérêt de Bachofen pour la religion est très présent dès le début du manuscrit, comme en témoignent non seulement les nombreuses anticipations relevées dans le premier livre, mais aussi les innombrables annexes consacrées à des thèmes religieux.

Etant donné l’état de nos connaissances, la reconstitution du plan et les conclusions de Meuli nous semblent toutefois prématurées. Faire d’un livre qui n’a jamais été écrit le précurseur de celui que nous connaissons nous paraît quelque peu hasardeux. En outre, Meuli semble considérer les annexes comme contemporaines de la rédaction du manuscrit. A l’instar du manuscrit 104, rédigé pour l’essentiel entre octobre et novembre 1855, et qui comporte des annexes datant de 1856, on ne peut exclure la possibilité de tels ajouts pour le manuscrit 103. Affirmer que la religion primordiale en général et le système du droit de la mère en particulier constituaient dès le départ le sujet réel et explicite de notre savant nous paraît d’autant plus incorrect que les allusions à ce thème sont très rares dans le manuscrit 103 et se présentent toujours sous forme de remarques marginales. L’orientation des propos de Bachofen dans cette première version du Alte Italien porte encore la marque profonde de l’historien, auteur d’une Römische Geschichte85, soucieux d’établir une histoire complète des débuts de l’humanité, dont la religion ne représente qu’un aspect parmi d’autres. Dans ce sens, le plan proposé par Howald86 nous semble plus plausible : après avoir traité des Ligures dans le premier livre, Bachofen projette, dans le second livre, de traiter de la religion à partir d’analyses étymologiques. Le troisième livre aurait été consacré à la division du peuple primordial en tribus (probablement sous influence orientale) et le dernier aux établissements ultérieurs.

Lors de la pause estivale de 1855, Bachofen modifie le plan de l’ouvrage projeté pour aborder le sujet de Das Alte Italien sous un angle beaucoup plus religieux. Le titre de la première partie de cette entreprise renouvelée n’annonce plus une analyse des migrations, mais une réflexion sur la représentation que l’Antiquité la plus reculée se faisait de la nature, et sur les rapports de cette représentation avec les noms des peuples : « La plus ancienne perception de la nature dans l’Antiquité et son lien aux noms des peuples. »87 Cette deuxième version de L’Ancienne Italie, le manuscrit 104, reste elle aussi inachevée, interrompue tout aussi brusquement que la première, et ne dépasse pas non plus le premier livre.

Dans quelle mesure cette deuxième version diffère-t-elle de la première ? Tout d’abord, on peut remarquer une permutation au niveau du plan : le premier livre de l’ancienne version devient le second livre de la nouvelle version, comme le montrent deux renvois à propos de thèmes proches de ceux développés dans le manuscrit 10388. Au fil des pages, on rencontre également plusieurs renvois à un livre sur les tombes89. Souvent, les indications sont plus vagues, du type plus tard ou plus bas90, une fois, Bachofen annonce aussi un livre ultérieur91. Les passages auxquels il renvoie sont souvent faciles à repérer. Un bel exemple nous est fourni par le contenu des cahiers 5 à 11 (pp. 348 à 836), qui développe ce qui était annoncé à la page 5 de l’annexe à la page 76 du manuscrit 103 : l’analyse du mythe d’Harpocrate et sa mise en parallèle avec celui d’Ocnus. Il n’est toutefois pas impossible que ce renvoi soit postérieur à la rédaction des cahiers 5 à 11.

Bien que les manuscrits 103 et 104 partagent le même titre – Das Alte Italien – le titre du premier livre du 103 – le seul à avoir été rédigé – a changé et avec lui le point de vue de l’analyse. Dans la première version, Bachofen se proposait d’étudier la population la plus ancienne, les Ligures, peuple qui, selon lui, se rapproche le plus de l’idée d’autochtonie. Ainsi, c’est dans le cadre d’une analyse qui se veut historique, menée sur les mouvements et les mélanges de populations, que notre auteur introduit des considérations sur la religion. Le titre de la seconde version, « La plus ancienne perception de la nature dans l’Antiquité et son lien aux noms des peuples », montre que, même si son terrain de prédilection reste l’époque la plus reculée, son propos ne se limite plus à la seule Italie, mais s’étend désormais à tous les peuples de l’Antiquité. Bachofen s’est rendu compte que pour prétendre à l’universalité, il devait élargir autant que possible son champ d’observation.

Chercher à résumer le contenu de ces deux manuscrits conduirait au désespoir aussi bien l’auteur du résumé que son lecteur. La seconde version, beaucoup plus longue que la première, comporte un tel foisonnement de thèmes, dans un tel désordre, que toute tentative d’y retrouver un plan équivaudrait à énumérer des mots-clés92. L’intention de Bachofen de ne pas faire paraître l’œuvre dans son intégralité, mais de la découper en petites études, montre que le savant avait une certaine conscience du caractère indigeste de ce texte93.

Bachofen au travail

Les introductions

Avant d’examiner sur pièce sa méthode de travail, regardons ce que Bachofen nous en dit dans les introductions qui précèdent chacun des deux manuscrits. L’introduction du 103, qui couvre les pages 1 à 17, est relativement longue. La théorie générale qui s’en dégage peut se résumer comme suit : plus Rome gagne en importance, plus ses voisins deviennent insignifiants. Le peuple italien, de bigarré (nous dirions métissé) qu’il était, devient de plus en plus uniforme au cours du temps. Seuls des noms témoignent encore de l’ancienne diversité, les témoins contemporains de cette diversité ayant quant à eux disparu. Parallèlement à ce processus d’uniformisation, on assiste à d’importants et périodiques mouvements de population : au début de chaque « âge cosmique », de grands flux migratoires se dirigent d’est en ouest ou du nord au sud, déferlant sur de vastes espaces. Etant donné l’incessante reprise de ces migrations, aucun peuple n’est tout à fait autochtone, chacun d’eux étant fatalement le produit d’un mélange antérieur. Les migrations, instrument du Tout-Puissant désireux de rajeunir périodiquement l’humanité, se ressemblent toutes. Cette théorie des migrations reste très générale. On y décèle cependant un très vif intérêt pour l’histoire événementielle et pour les étymologies, seuls les noms conservant la mémoire de cette bigarrure passée du peuple italique.

Quelle va donc être la méthode imaginée par Bachofen pour repérer, en deçà de cette bigarrure et en l’absence d’autochtonie, le peuple le plus ancien ? Elle est triple. La première démarche concerne le traitement des sources dont nous disposons sur la Rome archaïque, des sources constituées en grande partie de témoignages provenant de ressortissants étrangers. Ces témoignages revêtent un double intérêt, car ils fournissent non seulement des éclairages sur le vif, révélant une conscience populaire teintée de nationalisme, mais ils rendent compte également du regard critique de l’étranger qui dispose d’une vision et d’une culture plus étendues que l’indigène. La seconde démarche consiste à comparer les différents peuples qui composent cette mosaïque, tout en examinant leurs relations mutuelles. En effet, selon Bachofen, aucun peuple ne peut être étudié convenablement si on le considère isolément. Le troisième volet de la méthode repose sur l’idée qu’il suffit d’un seul témoignage pour que l’on puisse appliquer ce qu’il nous enseigne à l’ensemble des autres peuples, un seul principe, une seule et même règle régissant le destin de tous.

Au niveau de la première démarche, Bachofen souligne deux difficultés. D’abord la plupart des textes ont disparu ; ensuite, on ne peut négliger le risque d’oublier une source ou de mal l’interpréter. Ces difficultés ne devront toutefois pas rebuter le savant, car plus les recherches sont difficiles, plus elles auront de saveur. De plus, précise notre savant, la vérité historique est une part de la sagesse. S’adonner à des recherches historiques ardues est donc un moyen de gravir les échelons de la sagesse. Ces difficultés se répercutent aussi sur le lecteur, ce qui, pour l’auteur, représente un double défi : tout en faisant oublier ces difficultés par la beauté et la grâce de son écriture, il doit rendre compte au lecteur de l’intégralité du chemin parcouru, obstacles compris94. Guider ainsi son lecteur par la main est le propre d’un bon auteur, dont le travail trouve sa consécration dans la mesure où son livre pourra servir de tremplin à d’autres.

L’introduction au manuscrit 104, qui ne couvre que quatre pages, est beaucoup plus brève. Bachofen y résume sa théorie en quelques phrases de portée très générale : l’époque primordiale recherchait l’unité dans la multiplicité, mais aussi la multiplicité dans l’unité. Il s’ensuit que les représentations de base sont riches tout en restant très harmonieuses. Ainsi « l’idée est unique, mais les formes qu’elle revêt multiples »95. Cette réflexion inspirée de Platon joue un rôle primordial dans l’élaboration, chez Bachofen, de ce qui deviendra un véritable schéma interprétatif. Il y fait explicitement allusion à de nombreuses reprises. Les hommes de l’époque primordiale concevaient leurs relations avec la nature et la divinité de manière juste, non pas sur la base de réflexions, mais du seul fait qu’ils en étaient encore proches. Cette idée d’une harmonie primordiale entre l’homme et la création est un thème développé dans tout le manuscrit 104. Avec le temps cependant, les hommes se sont éloignés du paradis originel. Bachofen en donne pour preuve la différence qu’il y a entre une pyramide et une tombe d’aujourd’hui. Mais il rassure son lecteur : les trésors cachés sont accessibles, à condition que l’on se donne la peine de dégager ce qui les recouvre. Il conclut en annonçant son intention de refaire l’ensemble du chemin parcouru durant de longues années de recherche afin de permettre au lecteur de l’accompagner dans cette promenade au cours de laquelle maints détours sont prévus : « Durant des années j’ai lutté avec moi-même, jusqu’à ce que l’idée se présente à mon âme de manière achevée et claire. Maintenant je pourrais très facilement résumer en quelques mots le résultat de nombreuses recherches et de longues observations attentives ; je pourrais donc ouvrir ce livre, dès la première page, sur un bilan tout achevé. Mais l’allégresse avec laquelle je progresse dans mes pensées serait fortement contrariée par ce procédé, et le bénéfice du travail s’en trouverait amoindri, pour les autres comme pour moi. L’homme intelligent ne saurait prendre plaisir à des formules et à des abstractions. Un tel costume sied particulièrement mal aux choses anciennes. Qui désire me suivre doit se résoudre à accomplir tout le chemin ; il ne doit pas s’irriter si parfois, quittant la voie principale, j’emprunte des sentiers de traverse avec pour seul effet de revenir bientôt sur la même route, enrichi d’un bouquet multicolore composé des fleurs cueillies sur les sentiers divergents. »96

Une grande différence existe entre ces deux introductions. Alors que la première expose avec une certaine clarté ses intentions et sa méthode de travail, la seconde ne contient que deux idées générales et une invitation à une promenade certes charmante, mais dont l’invité ignore tout. Cette différence est-elle due au chemin parcouru par Bachofen durant l’été 1855 et au terme duquel il décide de recommencer son livre sur une base toute différente ? D’autres caractéristiques du manuscrit 104, comme son ampleur, le foisonnement de ses thèmes et sa rédaction chaotique, sont-elles, elles aussi, imputables à une réorientation de la pensée ?

Le texte

C’est en suivant Bachofen au fil des pages que l’on finit par voir se dégager clairement les divers schèmes interprétatifs, et les sources à partir desquelles il oriente sa recherche97.

Sans aucun doute le schème dont nous avons parlé ci-dessus (« L’idée est unique, mais les formes qu’elle revêt multiples ») s’avère le plus important. Cette conception platonisante sous-tend les deux manuscrits. Ainsi, Bachofen peut-il déclarer que le but et la condition nécessaire de toute recherche est de reconnaître le caractère premier de l’idée, l’expression étant secondaire98. Dans le manuscrit 103, cette vision des choses l’entraîne sur un domaine apparemment historique : le peuple qui migra en Italie venu du nord et qui y conserva en partie ses noms « teutons » est celui-là même qui colonisa la Grèce et l’Asie. Il s’ensuit que les Mysiens, les Lydiens, les Cariens, de même que les Achéens du Péloponnèse et les Teutons d’Italie sont tous apparentés, ce dont, selon notre savant, nous aurions de nombreuses preuves. C’est donc un seul et même peuple que l’on retrouve de par le monde entier, seuls les noms, les langues, les habits changent99. On retrouve le même type de raisonnement, mais à un autre niveau, dans le manuscrit 104 où Bachofen se propose d’analyser le tableau funéraire trouvé en 1832 dans un columbarium proche de la Porta Latina, qui représente Ocnus100, le vieux cordelier de l’Hadès, en train de fabriquer une corde qu’une ânesse dévore à mesure qu’il la tisse. Au cours de cette analyse, Bachofen ne cesse de rapprocher les significations des divers éléments les unes des autres, pour montrer qu’elles n’expriment toutes qu’une seule et même idée ; il compare cette idée à ce qu’il rencontre dans d’autres cycles mythologiques, pour prouver enfin l’existence d’un seul et même peuple originel. Une grande part de son travail consiste ainsi à mettre en scène des analogies, que ce soit entre religions101, dieux102, mythes103, symboles104 ou représentations105. On rappellera l’invitation explicite à user de méthodes comparatistes, dans l’introduction au manuscrit 103 déjà citée plus haut.

En vertu toujours de l’hypothèse qu’une même idée peut revêtir de nombreuses formes, une analyse minutieuse devra forcément démontrer que les plus petites composantes d’un dieu ou d’un mythe reflètent une seule et même idée106. L’inconvénient d’un tel acharnement, doublé d’une prétention à l’exhaustivité, est rendu manifeste dans les digressions considérables qu’il engendre, ces « sentiers de traverse » que Bachofen annonçait dans l’introduction au manuscrit 104. En effet, pour prouver que tel ou tel élément exprime bien la même idée de base, il convient d’en analyser les moindres détails et d’en expliquer aussi le contexte. Si la signification reconnue à chaque détail est à son tour confirmée par des parallèles dont le contexte doit également être explicité, et qui sont eux aussi analysés à la lumière d’autres analogies, on imagine l’ampleur que peuvent prendre certaines démonstrations107. Ces analyses apparaissent stratifiées, si l’on peut se permettre cette image, comme une sorte d’oignon dont chaque couche constitue un commentaire appelé par un élément de la couche précédente. Une fois le centre atteint, on est censé revenir étape par étape jusqu’à reconstituer le point de départ108.

Un autre instrument fréquemment utilisé par Bachofen est le raisonnement d’apparence syllogistique : Apollon est le dieu du peuple hyperboréen ; or le loup est l’animal d’Apollon ; donc le fait qu’un loup offre des chevaux à un Ligure prouve que les Ligures sont un peuple hyperboréen109. On observe aussi une tendance à comprendre l’unité comme résultant de la réunion de deux éléments ou forces opposées mais complémentaires ; cela entraîne souvent à vouloir ramener à une seule notion deux éléments qui n’ont en fait rien à voir entre eux, cette réduction s’opérant parfois par le biais de l’intervention d’un troisième élément. Nous retrouverons ces méthodes d’analyse sophistique plus loin, lorsqu’il sera question de l’imaginaire géographique, de la religion et des premières traces de l’idée du droit de la mère dans les archives.

Pour mener à bien ses enquêtes, Bachofen puise à de nombreuses sources. La première est constituée par les auteurs antiques, grecs ou latins. Il en cite plus de cent soixante, qu’il serait fastidieux d’énumérer systématiquement. Remarquons qu’il ne se limite pas aux auteurs classiques, mais qu’à côté des poèmes homériques, de Pindare, de Plaute et de Macrobe, il cite également Nonnos, Malalas, Zonaras, Etienne de Byzance et Philès, un Byzantin du 14e siècle. Comme il se réfère très souvent à Lycophron, il se croit obligé de se justifier en expliquant que les Alexandrins reprennent fréquemment des idées plus anciennes et que l’on peut donc sans autre s’appuyer sur un poème aussi obscur que l'Alexandra110. C’est sans doute aussi ce point de vue qui prévaut lorsqu’il utilise des auteurs aussi tardifs que Philès111. La diversité des genres littéraires auxquels appartiennent les textes consultés, de même que le degré fort variable de leur autorité, se double d’une parfaite négligence de la diversité chronologique. Bachofen interroge sur le même plan des géographes (Strabon et Pausanias), des grammairiens (Isodore, Pollux et Hesychius), des historiens (Thucydide, Hérodote, Tite-Live, Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse, Tacite, Cassius Dion, Valère Maxime et Ammien Marcellin), des auteurs tragiques (Eschyle, Sophocle, Euripide) et comiques (Aristophane, Ménandre et Plaute), des philosophes (Platon, Aristote, Cicéron et Plutarque), des encyclopédistes (Varron, Pline l’Ancien), des poètes lyriques (Pindare, Aleman, Horace), épiques (les poèmes homériques, Hésiode et Virgile) et alexandrins (Callimaque, Théocrite, Lycophron, Eratosthène et la Batrachomyomachie), des mythographes (Apollodore, Hygin), des textes à contenu religieux (les Hymnes orphiques, les Fastes d’Ovide et Lydus), l’Ancien Testament, des auteurs chrétiens (Tertullien, Cyprien, Eusèbe, Jérôme et Augustin), des commentateurs anciens (Servius et d’autres scholiastes), des savants byzantins (Eustathe), des recueils de droit et d’inscriptions ou des lexiques comme la Souda. Les auteurs les plus fréquemment cités sont Hésiode, Eschyle, Macrobe, Platon, Hérodote, Lycophron, Apollodore, Cicéron, Strabon, Diodore de Sicile, Virgile, Ovide, Plutarque, Pausanias, Athénée et Philostrate. La fréquence des références varie selon la nature de l’exposé (description d’objets, exposition d’une théorie ou énumération de preuves), alors que le choix des auteurs dépend du sujet rencontré. Au milieu de cette profusion de références, il arrive qu’un développement soit placé sous l’autorité d’un seul auteur, comme c’est le cas des cahiers 5 à 11, qui contiennent de longues citations du De Iside et Osiride de Plutarque. La plupart du temps, notre savant se contente de renvoyer à ses sources, sans reproduire le passage auquel il se réfère. Ses références sont cependant généralement exactes et comportent parfois la mention de l’édition utilisée (pour Plutarque, Macrobe, Varron et Platon). Bachofen ne cite que rarement les textes originaux. Dans les cahiers 5 à 11 du manuscrit 104, il se sert de traductions allemandes du De hide et Osiride de Plutarque, dont il remplit parfois tout un cahier.

Outre les textes antiques, Bachofen explore de nombreux autres domaines dont celui, très fertile à ses yeux, de l’étymologie. Si elle occupe une telle place dans ses démonstrations, c’est que l’étymologie est reconnue par lui comme un témoin précieux des époques disparues. En effet, elle seule permet de révéler cette « bigarrure » originelle du peuple italien. C’est grâce à elle qu’on peut suivre les déplacements des Ligures et identifier les peuples qui leur sont apparentés. La science étymologique nous fait comprendre que les peuples d’Europe et d’Asie sont issus d’une seule et même origine et que les frontières linguistiques sont une apparition relativement récente. Mais ce n’est pas tout. Grâce à elle, nous arrivons à percevoir aussi la religion de ce peuple primordial à travers le témoignage de religions aussi diverses que celles des Grecs, des Egyptiens, des Romains ou des Germains. La correspondance entre le ligure et le germain est particulièrement bien illustrée, selon Bachofen, par l’exemple du Po, appelé Bodencus par les Ligures, nom proche de la dénomination germanique du lac de Constance – Bodensee. Or, Pline l’Ancien qualifie ce lac de peu profond -fundo carens – ce qui est précisément la caractéristique du Pô. On ne peut donc comprendre ce nom Ligure qu’avec le recours à l’allemand112. D’autres exemples d’analyses étymologiques, non moins surprenants, seront traités plus bas, dans le cadre de l’imaginaire géographique, de la religion et des prémisses du Mutterrecht. Le caractère fantaisiste du système étymologique de Bachofen ferait sans doute sourire plus d’un linguiste aujourd’hui. Le reproche principal que l'on pourrait adresser à ces analyses acrobatiques est que les conclusions auxquelles elles conduisent sont systématiquement conditionnées par la théorie. Nous avons affaire à une variante originale et érudite du cercle herméneutique.

Une autre source à laquelle Bachofen puise est la peinture, la peinture funéraire plus particulièrement. Les représentations figurées sont importantes pour lui car elles remplacent les écrits là où ils sont absents, comme dans les tombes, et là où ils ont été perdus. Leur relative ancienneté fait qu’elles véhiculent et expliquent des symboles qui ont souvent disparu ou qui sont devenus difficilement compréhensibles pour nous, renvoyant en particulier à certains aspects de la religion primordiale113. De plus, les représentations figurées sont plus simples et plus claires que les représentations écrites ou orales, l’image étant capable de signifier une pluralité d’éléments non pas dans un ordre successif, mais d’une manière globale114. Ce n’est donc pas un hasard si le manuscrit 104 s’élabore autour de l’analyse d’un tableau funéraire, celui d’Ocnus et de son ânesse. Par ailleurs, l’iconographie permet également d’illustrer cette idée générale et sous-jacente à toute l’œuvre, selon laquelle il n’existe qu’une seule idée derrière diverses formes. En effet, les représentations imagées permettent d’établir de nombreuses correspondances entre divinités, comme par exemple entre Achélous et le Dionysos italique115.

Proche du domaine pictural, nous trouvons la numismatique. Outre les renseignements iconographiques qu’elles fournissent116, les monnaies ont également l’avantage de conserver, dans leurs inscriptions, des formes grammaticales très anciennes117.

Les deux dernières sources de connaissance seront d’une part les mythes – celui qui sait déchiffrer les mythes est en mesure d’en reconnaître les éléments constants et donc anciens118 – et d’autre part l’observation personnelle119, l’expérience du terrain et des musées.

Qu’en est-il des sources modernes ? Bachofen cite un nombre d’ouvrages et d’auteurs impressionnant120. Un grand nombre de références se retrouvent soit dans la Gräbersymbolik soit dans le Mutterrechtsoit dans les deux ouvrages. Les livres les plus fréquemment utilisés concernent l’art et l’archéologie. Quant aux autres ouvrages, il n’est pas rare que Bachofen les cite uniquement pour les critiquer121. Ce fait est révélateur de son attitude envers des savants qui sont ses aînés ou ses contemporains. Il part du principe que ce ne sont pas les modernes que l’on doit interroger, mais uniquement l’Antiquité ; d’où une certaine désinvolture122. Cependant, il ne peut effacer entièrement l’influence que certains d’entre eux ont exercée sur lui, soit qu’il adopte tacitement leur point de vue ou au contraire qu’il réagisse contre eux, soit même qu’il leur emprunte des tournures de phrase ou des expressions123.

Sans doute inquiet du danger de se voir submergé par la richesse de ses sources et de son érudition, Bachofen ressent parfois le besoin de restructurer son texte. Il se rappelle alors à lui-même le vrai but de ses recherches (le peuple primordial et sa religion)124, ou se livre à une récapitulation de la démonstration déjà conduite, avant d’aborder un nouvel aspect du sujet125.

Nous avons relevé plus haut, à propos du manuscrit 104, la fréquence des digressions. Le savant bâlois est parfois conscient de rompre l’enchaînement de son discours126. Ces digressions sont le plus souvent écrites en marge, sur le verso des pages ou sur des feuilles volantes, aujourd’hui conservées à part. Il arrive même que de telles annexes s’imbriquent les unes dans les autres. Leur abondance prouve que ce manuscrit aux dimensions monumentales n’a pas été écrit d’un seul trait, mais a fait l’objet de relectures et d’adjonctions incessantes. Ce travail semble s’être étiré sur plusieurs mois, comme le montrent quelques lignes de l’annexe à la page 252 qui se trouvent sur le verso d’une communication envoyée par une librairie et datée du mois de mars 1856. L’existence de ces annexes peut s’expliquer par la découverte de nouveaux parallèles, soit en cours de rédaction, soit lors d’une relecture. La présence en marge de signes mettant en évidence certains passages, ou encore de mots-clés127, appuie la seconde hypothèse. Ces mots-clés indiquent par ailleurs un état plus avancé de la théorie générale, ce qui constitue une preuve supplémentaire de la rédaction postérieure de certaines annexes. L’image qui ressort est cependant celle d’un écrivain non pas occupé à rédiger un manuscrit définitif, mais qui se trouve encore aux prises avec les mythes, les symboles et les significations qu’il convient de leur attribuer. Les annexes non seulement répètent toujours les mêmes idées de base, mais témoignent d’un jeu de plus en plus farfelu de correspondances et d’équations entre divers mythes et symboles. Cela frôle parfois l’absurde128, comme si peu à peu l’enquête se mettait à dériver, peut-être à cause de cette obsession à expliciter dans les moindres détails, encore et toujours, ce même postulat : tout ne fait qu’exprimer et répéter la même conception religieuse fondamentale. Le fait que les cahiers 5 à 11, donc l’ensemble du développement relatif à l’Egypte, sont vierges de passages réécrits et d’annexes montre que la relecture n’a pas dû les toucher. Pourquoi ? Présentaient-ils un moindre intérêt dans l’élaboration du système conduisant au Mutterrecht, contrairement, par exemple, à la page 13 de l’annexe à la page 252 (cahier 4) qui a été intégrée dans le manuscrit de la Gynécocratie, comme l’indique une petite note de l’auteur ? Ou bien, au contraire, la lecture intensive du De hide et Osiride de Plutarque est-elle à l’origine de l’abandon du projet de L’ancienne Italie et marque-t-elle le départ d’une entreprise renouvelée, dont le Mutterrechtserait l’aboutissement129 ?

Nous avons vu plus haut comment la quête a changé d’objet, du plus ancien peuple italique à la religion primordiale. Ce glissement est provoqué par la prétention croissante de Bachofen à l’universalité. La méthode de travail reflète également cette prétention. En effet, toutes les correspondances établies au travers des analyses de mythes, symboles et étymologies sont déterminées non pas par la réalité historique, mais par des aspirations métaphysiques, dérivant du désir de retrouver une religion primordiale, chthonienne, universelle130. Les données que Bachofen peut intégrer à sa théorie, il les admet comme telles, refusant même, à l’occasion, d’en questionner le bien-fondé131. Pourquoi alors s’appuyer, avec autant d’assurance, sur des auteurs antiques ? Il finit par le dire lui-même : il faut toujours étayer ce qui se présente comme vérité générale par des citations d’auteurs anciens132.

Les thèmes développés

L’imaginaire géographique

Le titre général de l’œuvre projetée, Das alte Italien (L’ancienne Italie), tout comme celui du premier livre de la première version – Die älteste Bevölkerung (Le plus ancien peuplement) – annonce d’emblée une quête des origines, sous l’angle d’une recherche concernant le peuplement le plus ancien. Deux visions, qui sont aussi deux théories, informent cette quête : celle de migrations incessantes et celle d’une seule population originelle répandue sur la terre entière. Commençons par le motif des migrations. Selon Bachofen, chaque « âge cosmique » est marqué par de nouvelles migrations, qui se dirigent du nord vers le sud et d’est en ouest. Dresser l’inventaire historique précis de ces migrations serait une tâche impossible car, nous dit Bachofen, il n’y a jamais eu de début. Ces mouvements de population sont un instrument employé par le Tout-Puissant pour créer l’Histoire – il n’y aurait pas d’histoire sans confrontations et contacts – ainsi que pour régénérer périodiquement les nations133. Les diverses migrations sur lesquelles on est renseigné laissent entrevoir trois mécanismes possibles : soit un peuple obtient le droit de s’installer ailleurs à la suite de négociations conduites par des ambassadeurs, soit le peuple lui-même s’arroge ce droit, soit on a affaire à un phénomène d’exil. Les causes aussi sont multiples. Parmi elles on trouve l’attrait des populations de montagne pour la plaine, un attrait motivé par le désir du butin, d’un meilleur habitat, ou simplement d’aventures134. Cela explique pourquoi les Etats puissants ont tendance à se développer et à disparaître rapidement en plaine, alors qu’en montagne les structures politiques sont plus stables et les traditions se maintiennent plus longtemps. Une autre caractéristique importante des migrations est leur périodicité pendulaire, qu’illustrent les petites invasions régulières et réciproques de peuples voisins qui se font la guerre, profitant tour à tour des faiblesses de l’autre. Les Ligures et les Etrusques135 fournissent un excellent exemple « italien » de ces alternances, comparables aux mouvements d’avancée et de recul que l’on observe en Orient, entre Lydiens et Assyriens136.

A coté du motif des déplacements par vagues successives ou alternantes, Bachofen développe le thème d’un peuple primordial homogène, d’origine hyperboréenne, dont la zone d’expansion s’étend des rives de l’Océan occidental jusqu’au Taurus137. Les habitants de tous les pays en seraient des représentants. Pamphiliens, Arméniens, Phrygiens, Mèdes, Lyciens, Ciliciens, Perses, Indiens, Germains et Latins descendent, tous, de ce peuple primordial qui porte, à l’origine, le nom d’Ases. L’appartenance de cette pluralité de nations différentes au peuple primordial se refléterait dans leurs appellations. C’est ici l’occasion de donner un exemple des prouesses étymologiques de Bachofen. Dans le mythe que Platon raconte au dixième livre de la République, la Pamphilie est la patrie d’Er, héros d’un mythe inventé par le philosophe pour exposer sa doctrine de l’au-delà. Or, précise Bachofen, Er, Hermès, et Germani (« Germains ») dérivent de la même racine qu’Arminius (nom du chef germain ennemi des Romains sous Auguste). Il s’agit d’une racine désignant la terre, qui se retrouve à la fois dans Arès, chez les Ases, et dans des noms explicites de la terre : era, terra, Erde. Arès ou Marès est au demeurant un dieu italo-ligure au corps équin, source de toute croissance. Beaucoup de noms de régions, de montagnes et de villes dérivent de son nom, ce qui renvoie au caractère chthonien de la religion de ce peuple primordial. Le nom d’Arès appelle la comparaison avec la légende généalogique des Germains du Nord, dans laquelle les ancêtres s’appelaient des Ases, nom que portaient les héros divinisés des Goths. Les Asessont donc identiques aux Lares latins. En outre, Moïse (c’est-à-dire l’auteur du Pentateuque, dont on renvoie au livre de la Genèse 10, 1, dans la liste des fils de Japhet) évoque Askenas (Ashkenaz) ; il ne peut s’agir, selon Bachofen, que de l’ancêtre des Ascaniens, qui furent des « Allemands » ou des Cimmériens contemporains de la guerre de Troie ! Ainsi, les tribus italo-ligures font partie du peuple germain, comme le confirme aisément l’analyse du mot germain lui-même. Le g étant seulement un préfixe et erun équivalant de ar, Germain équivaut à Ase, donc à Ligure, peuple dont le dieu principal est Arès. La démonstration ne s’arrête pas là. A l’instar d’Ase, la dénomination indienne Arja138 signifie fils d’Arès, tandis qu’en perse, le même mot signifie les vrais, les authentiques, ce qui est corroboré par la signification du mot germanus et du mot grec gnésioi : vrais frères, descendants des mêmes parents. Il est évident, pour Bachofen, que ces deux parents ne peuvent être que la terre de la patrie et la divinité nationale139.

Les nombreuses correspondances qui existent entre les différentes tribus prouvent leur descendance de ce peuple primordial. Ces parallèles relèvent de plusieurs domaines, souvent étroitement liés, comme la religion et l’étymologie. Le cordelier Ocnus en constitue un bon exemple. Le fait qu’on le retrouve aussi bien à Delphes qu’à Mantoue montre son appartenance à la tribu primordiale qui a peuplé l’Italie et la Grèce. Ocnus apparaît en outre dans les panthéons celte et égyptien, respectivement sous les traits d’Ogmios140 et d’Harpocrate l’ancien141. Sa présence au sein de peuples qui se sont séparés par la suite prouve qu’il remonte à une époque où le processus de différentiation des peuples européens n’avait pas encore eu lieu. L’étymologie vient confirmer l’identité d’Ocnus et d’Ogmios et, du même coup, leur qualité de dieu du peuple primordial. Le fait que ces deux noms dérivent d’une même racine apparaît évident aux yeux de Bachofen. Qu’ils appartiennent à deux langues différentes ne représente pas une difficulté, puisque des notions aussi primordiales que celles qu’ils expriment ne peuvent que remonter à l’époque reculée où les frontières linguistiques n’existaient pas encore142.

L’analyse étymologique du nom d’Apollon permet elle aussi de rendre compte des formes diverses que peut emprunter le nom d’un dieu après la division linguistique du peuple primordial. Les anciens déjà avaient établi un parallèle entre Apollon et le dieu nordique Bélénus. Or, Bélénus n’est autre que le nom indigène, nordique, de l’Apollon gréco-latin. En effet, par préposition du a, Bélénus devient Apollo. La signification du nom peut paraître mystérieuse, mais elle se clarifie lorsqu’on la rapproche de Bolinè, nom porté par une maîtresse d’Apollon143. On en déduit, par analogie, qu’Apollon devait donc autrefois s’appeler Bolinos, dénomination proche de son nom nordique. Or, ce mot peut être expliqué par une épithète attribuée à l’âne, animal favori de l’Apollon hyperboréen : bolίtinon, mot grec renvoyant à l’idée de bouse de vache144, et par conséquent au caractère créateur du dieu durant sa phase chthonienne145. Le fait d’utiliser un mot grec pour expliquer un nom celtique se justifierait entièrement dans ce cas, puisque ces noms sont les vestiges d’une époque où les deux civilisations étaient encore très proches l’une de l’autre146.

Les équivalences linguistiques de cet acabit se multiplient dans le manuscrit 104. Dans le domaine religieux on peut citer, outre les parallèles entre dieux147, ceux qui viennent unir les symboles divins, comme le chien qui représente la force matérielle de la terre aussi bien en Asie, en Egypte, en Grèce qu’en Italie148. Dans toutes ces régions, on considérait également l’eau comme origine et début de tout149, avec pour symbole le cheval150 et le bélier151. Le rôle important que jouait l’eau dans la religion du peuple primordial se reflète également dans l’identité parfaite qui existe entre l'Indus et le Nil, lesquels possèdent une faune et une flore identiques et font l’objet des mêmes offrandes royales152. L’évolution parallèle du symbole de la hache qui, signe du pouvoir divin, devient naturellement celui de la puissance des princes, montre, par exemple, le lien étroit qui existe entre l’Asie Mineure et l’Etrurie153.

A cet « âge primordial » remontent également de nombreux mythes et symboles dont on trouve la trace chez des peuples ultérieurement bien distincts. Ainsi les Italiens et les Egyptiens non seulement possèdent des mythes identiques, ceux d’Ocnus et d’Osiris en particulier154, mais ils partagent aussi des symboles de même signification, comme l’âne155. Cette hypothèse d’une origine commune permet évidemment à Bachofen de puiser ses informations où il veut. Si l’interprétation d’un symbole s’avère difficile dans tel ou tel contexte précis, il lui paraît tout à fait légitime de recourir à une signification qu’on lui reconnaît ailleurs, puisque les deux usages relèvent en définitive du même contexte primordial156. L’existence d’un peuple originel entraîne également le postulat d’une langue commune. Dans l’intention de retrouver les éléments constitutifs de cette langue, Bachofen énumère des racines attestées un peu partout. Parmi celles qu’il repère, on citera les syllabes ar ou er157, ur158, ep / eq / aq / ap159, bri160.

Comment concilier la théorie des migrations continues, issues principaiement du nord161, avec celle d’un peuple primordial ? La solution est simple. Il s’agirait en définitive d’une seule et même théorie, appréhendée sous deux angles. En effet le peuple primordial, ces Ases ou Ariens localisés quelque part au nord et à l’est, se répand par vagues successives. Descendant toutes de lui, les tribus qui apparaissent clairsemées dans le monde ancien partagent le même héritage, dont les éléments principaux se trouvent comme fossilisés dans les deux véhicules de la plus ancienne tradition que sont la langue et la religion. C’est sur ces fondations que sont bâtis les arguments qui occupent les manuscrits 103 et 104, le premier texte privilégiant l’étude des migrations dans le but de retrouver le plus ancien peuple de l’Italie, le second tentant de reconstituer la religion du peuple primordial à travers les témoignages des différents peuples.

L’évolution de chaque tribu issue du peuple primordial est conditionnée par le moment historique où elle s’est mise en route, par la direction qu’elle a empruntée dans sa migration, par les rencontres et les mélanges qui ont eu lieu en chemin avec des tribus parties avant elle. Ces variations dans les dosages topographiques et chronologiques vont déterminer la formation des caractéristiques individuelles de chaque peuple. Les Gètes et les Goths en fournissent un exemple. Les Gètes, une tribu thrace, sont souvent appelés Goths. De fait, les deux peuples partagent la même origine, mais ont connu une évolution différente, les Goths ayant migré « un âge cosmique plus tôt » que les Gètes. Installés ailleurs, et mêlés à d’autres tribus, les Goths se transforment et se différencient ainsi des Gètes. Malgré ces changements, leurs liens avec le Nord subsistent162. Le même processus peut être constaté chez les peuples italiques. L’influence orientale qui les submerge par vagues successives altère l’élément ligure, mais ne fait pas disparaître pour autant les origines nordiques163.

Les Ligures forment une des plus vieilles tribus d’Italie, une des plus importantes et des plus vastes de toute l’Antiquité164. Bachofen croit retrouver leur trace dans toute la péninsule italique ainsi qu’en Sicile165. Un grand nombre de caractéristiques prouvent leur ancienneté. Outre la nature évidemment nordique de ce peuple résistant166, Bachofen souligne son lien privilégié avec les dieux167, la musique et les Muses168, l’état très ancien de sa langue169 et son identification avec différents vieux peuples italiques, comme les Aborigènes170, les Latins171 et les Ausoniens172.

Un des peuples les plus souvent mentionnés par Bachofen au détour d’une phrase est celui des Hyperboréens. Il en est question à propos des Ligures et d’Apollon. C’est en effet le pays ligure que leurs ambassades traversent pour se rendre à Delphes, où ils ont construit pour Apollon une tente faite de plumes de cygne et de cire, un épisode que Bachofen rapproche de la légende ligure d’Apollon et de Cycnus. En outre, la musique et l’hospitalité jouent chez les deux peuples un rôle de premier plan173. Ces éléments suffisent à Bachofen pour considérer que les Ligures sont des Hyperboréens174.

Les Pélasges sont aussi fréquemment mentionnés, un peuple très ancien dont les dieux sont chthoniens175. Zeus-Achélous, le dieu de Dodone, offrit aux Pélasges le chêne, dont le fruit constitue la plus ancienne nourriture des mortels176.

Présents dès les débuts de l’histoire, ces trois peuples (Hyperboréens, Ligures et Pélasges) entretiennent d’étroites relations. De même, chacun d’eux est lié plus particulièrement à d’autres peuples, comme les Ligures aux Colques177 ou aux Béotiens178.

Lorsqu’une population italique subit l’influence d’une tribu orientale dont certains membres ont migré vers l’ouest179, il est fréquent, constate Bachofen, que la tradition lui attribue une origine orientale, ce qui revient à dire, dans la plupart des cas, une origine grecque180. Tout comme le nord, l’orient est souvent synonyme d’un niveau d’évolution plus avancé. Ainsi la Thrace, localisée à la fois au nord et à l’orient, devint très tôt un centre de civilisation remarquable, entre autres par le rôle qu’y joue la musique181. A l’inverse, la côte occidentale de l’Italie devient le dernier refuge des démons et des dieux chthoniens, exilés dans cette contrée mélancolique par l’évolution qui a rendu la Grèce si riante. L’Italie constitue ainsi l’ultime témoin de cette aurore de l’humanité182. On comprendra dès lors que Rome et l’Italie, par la fidélité qu’elles témoignent à ce qui est le plus ancien, deviennent le terrain de recherches privilégié de notre savant. Mais l’orient n’est pas exclusivement synonyme de progrès. Alors qu’à l’ouest certains dieux, comme Apollon, subissent une évolution qui les détache peu à peu de la matière jusqu’à les rendre spirituels, les mêmes dieux, dans les conceptions asiatiques, conservent encore longtemps les caractéristiques chthoniennes qui furent les leurs au début de l’histoire.

L’affirmation simultanée de deux postulats – celui des migrations et celui du peuple originel – entraîne une certaine difficulté à penser les origines de l’Italie en termes d’autochtonie. En effet, si la théorie du peuple primordial suggère l’idée d’autochtonie, la première théorie semble l’exclure. Cette difficulté est rendue manifeste dans l’argumentation elle-même. Dans l’introduction au manuscrit 103, Bachofen déclare la notion d’autochtonie caduque, les peuples considérés comme les plus anciens n’étant jamais que le produit d’invasions encore plus anciennes183. Nous lisons toutefois, dans le même manuscrit, que le centaure symbolise la force créatrice de la terre qui crée tout, y compris les hommes184. Cette conception de la terre comme mère de tout, et donc aussi des hommes, est développée à maintes reprises dans le manuscrit 104185. Dans les représentations religieuses les plus anciennes, la notion d’autochtonie est donc bien présente, mais pas dans le sens qu’elle revêt à Athènes. L’homme est fils de la terre, non pas d’une terre géographiquement déterminée, mais d’une terre plus abstraite, la terre divine présente en tout lieu. L’homme est un descendant de la terre dans la mesure où le peuple primordial, dont il est issu, en descend directement. C’est pour cela que les fondateurs d’une nation, une fois arrivés dans leur nouvelle patrie, sont dits fils de la terre, comme Pélasgus186, et que les habitants des régions méridionales, issus de la première migration, sont reconnus comme étant les premiers à avoir été créés à partir de la terre187.

La religion aux époques primordiales et son évolution

Comme l’indique le sous-titre du manuscrit 104, la religion du peuple primordial est une religion de la nature. C’est une analyse fort détaillée, sinon minutieuse, à laquelle Bachofen se livre dans ce texte intitulé « La plus ancienne perception de la nature dans l’Antiquité et son lien aux noms des peuples ».

La puissance à laquelle renvoie cette religion naturelle est considérée comme matérielle et créatrice, c’est-à-dire comme liée à la matière des corps qu’elle pénètre. Son siège est la terre, ce qui explique pourquoi on la désigne comme chthonienne188. C’est donc de la terre qu’émerge l’idée d’une divinité189, conçue presque partout comme une entité féminine190 et primordiale191. Dans les mythes romains, grecs et égyptiens, cette terre-mère primordiale est solidaire d’un élément aquatique192. La matière étant insuffisante à elle seule193, c’est avec la relation de l’eau à la terre que débute le processus de création194, l’eau communiquant à la matière sa propriété, le mouvement incessant de la vie195. Cette étroite solidarité entre la terre et l’eau se manifeste aussi bien sur le plan étymologique que sur le plan symbolique. La racine ir/ur signifie l’eau, par exemple dans les noms d’iris et d’Isis. Cette même racine est à l’origine de la formation de nombreux noms de villes et de régions que l’on rencontre en Italie comme en Espagne196. De même le cheval, à l’origine symbole de l’élément humide, devient aussi symbole de la terre et des divinités chthoniennes197.

Les marais représentent le lieu par excellence du mélange et de la confusion, de l’interpénétration de l’eau et de la terre198. Dans la boue des marécages se mêlent les deux puissances primordiales et croît une végétation sans cesse renouvelée. Les marais apparaissaient donc aux premiers hommes comme le siège d’une force de vie199, origine de tout ce qui est terrestre200. Cette importance du marécage dans le système religieux primordial est confirmée par le rôle qu’il joue dans les mythes. Des lieux de culte, des autels, comme ceux de Latone, de Dionysos, d’Aphrodite en kalámois et d’Hermès sont localisés dans des marais201. Les animaux qui les habitent, grenouilles ou cygnes, compagnons de l’Apollon chthonien202, les plantes qui y croissent, comme le lotus dans le mythe d’Osiris203, renforcent l’emprise de ce symbolisme. Les dieux en rapport avec des marécages, tels qu’Ocnus, Anna Perenna, Athéna sthéneia, Apollon ou Hermès204, sont eux aussi des représentants de la force créatrice primordiale.

Conçue comme double et parfois même comme triple205, cette puissance est en fait unique et homogène, comme la boue résultant du mélange de l’eau et de la terre. Ce sont uniquement les besoins de la représentation qui l’ont divisée en une composante masculine, l’eau, et une composante féminine, la terre206. Cette division est arbitraire, chacun des deux éléments contenant en lui l’énergie créatrice toujours homogène, dans toutes ses dimensions. Mais la division en deux puissances entraîne plusieurs conséquences. L’une d’elles est l’émergence de l’important motif de l’androgynie207, dont il sera question un peu plus bas ; une autre conséquence est la fréquence des dyades ou couples divins, tels que Dryope et Apollon208, ou Osiris et Isis209.

En règle générale, c’est la terre qui incarne cette force génératrice. La terre fait donc l’objet d’une grande vénération. On lui attribue de nombreuses épithètes210, renvoyant à autant d’aspects spécifiques. La terre est simultanément masculine et féminine211, comme si l’eau, composante masculine, lui était intégrée. Cette androgynie de la terre entraîne l’androgynie de nombreux êtres divins : Héraclès chez Omphale, Aphrodite barbue, Tirésias expérimentateur du plaisir féminin212 et Achille élevé parmi les filles du roi Lycomède213. Procréatrice, la terre est également nourricière, kourotrὁphos214, et bienveillante215, comme toutes les divinités chthoniennes216. Source du droit – les Erinyes sont ses filles et le ius naturaleson œuvre – elle est également responsable des prophéties et des oracles217. Source de la première vie, elle est mère des hommes et des dieux. Le pouvoir de procréation, en elle, se double d’un pouvoir de destraction218 : cause de tout devenir, elle s’affirme aussi cause de toute mort et, le moment venu, elle reprend en son sein ce qu’elle avait créé au préalable. De ce point de vue encore, elle se comporte en mère, puisque cette action s’accompagne de pitié219.

Ce double rôle de procréatrice et de destructrice est à l’origine de deux principes fondamentaux de la religion primordiale. Le premier est celui du dualisme, en vertu duquel le bien et le mal, les deux puissances dont l’opposition constitue le monde naturel, sont à la base de toute création. De même que le contraire ne peut naître que du contraire, la disparition devient la condition nécessaire du devenir. La vie et la mort ne sont donc point contradictoires, mais constituent deux pôles entre lesquels toute création se meut depuis la nuit des temps220. Nous verrons plus loin comment ce dualisme se résout en une synthèse de type hégélien, permettant à Bachofen de ramener deux éléments à l’unité. L’autre principe, corollaire du dualisme, est celui du cycle étemel du disparaître et du devenir, un cycle où la mort devient source de vie et où la vie engendre la mort221. Les marécages, dans lesquels de jeunes pousses viennent sans cesse remplacer les vieux joncs, en sont une illustration parfaite222.

Puisque cette force primordiale produit la mort autant que la vie, le silence devient son attribut, un silence qui entoure toute création. Issu d’elle, Harpocrate l’accompagne, symbolisant le secret. Cause de la mort, cette même puissance primordiale règne sur le monde funéraire223, dont l’entrée se situe d’ailleurs souvent à proximité de marécages224. Cause de vie, elle a la faculté de soigner les maladies225.

Imprégnée de cette force primordiale – seule véritable réalité226 – la Terre est donc le siège sûr et incorruptible de toute vie. C’est pourquoi les prêtres qui sont au service des puissances chthoniennes veillent toujours à garder un contact direct avec elle, soit en marchant pieds nus, soit en dormant à même le sol227.

Cette énumération un peu monotone des caractéristiques de la force génératrice primordiale, qui n’est pas sans rappeler la description de la déesse Terre dans le manuscrit 95, confirme le sentiment que la terre est mère de toute création. Qu’en est-il alors d’autres puissances sans lesquelles aucune création ne semble concevable, comme la lumière et la chaleur, en d’autres termes le soleil ? Conformément au principe selon lequel les contradictions ne sont qu’apparentes, les éléments que l’on conçoit habituellement comme opposés, à savoir la terre et le soleil, ou la signification tellurique et solaire d’une divinité, deviennent solidaires l’un de l’autre. Ainsi le culte d’un Héraclès solaire est-il lié au culte d’un Héraclès chthonien228. La force naturelle, origine et multiplication de toute vie, est toujours et nécessairement unique, alors même que plusieurs facteurs concourent à l’accomplissement du grand œuvre de la création. Conçue comme mère, la terre est le siège de cette force unique et créatrice. C’est pourquoi les divinités créatrices sont avant tout chthoniennes. Pour créer, la terre a bien sûr besoin de la force éveillante du soleil, et de la fécondation de la lune. Inversement, le soleil et la lune ont besoin de la matière terrestre pour produire leur effet sur elle. L’énergie de la création réside donc dans l’action conjointe de ces trois corps. Mais la base matérielle étant constituée par la seule terre, c’est elle qui tient le premier rôle, le soleil et la lune n’étant que des auxiliaires, ou des aspects de cette force chthonienne. Il en va de même de l’ensemble des divinités chthoniennes responsables de la création. En elles (dans leur « idée », dit Bachofen) se trouve intégré tout ce qui est nécessaire à l’éveil et au développement de la force matérielle. Les puissances qui ont une influence sur la terre, comme le soleil, deviennent leurs attributs. La signification solaire d’Héraclès ou d’Apollon, par conséquent, s’élève sur une base chthonienne229.

Conscient que sa théorie de la subordination de la puissance solaire à la puissance tellurique contredit les hypothèses en vogue chez les savants de son époque230, Bachofen ne manque pas de critiquer ces derniers. C’est d’ailleurs pour lui une des rares occasions de nommer d’autres chercheurs et de commenter leurs théories. Faisant explicitement référence à K. O. Müller et à Raoul-Rochette, il soutient que celui qui renonce à l’idée d’unité – en faisant des différents aspects de la nature des entités indépendantes et en interprétant les puissances chthoniennes et célestes comme des forces opposées – se met hors d’état de comprendre les anciennes religions de la nature231.

Nous choisirons deux exemples pour montrer comment Bachofen pratique l’interprétation des mythes à l’aide des principes qui viennent d’être exposés. Le premier exemple nous conduit au sanctuaire de Dodone, dédié au dieu chthonien que serait Zeus. La légende raconte que Zeus avait offert aux mortels le chêne, un arbre appelé « mère » et « nourrice » en raison de ses fruits, première nourriture des hommes. Le sanctuaire de Dodone abrite deux colonnes qui représentent Zeus et Dioné (forme féminine et compagne de Zeus), force double. Mais à côté de cette dyade, on trouve également une triade, puisque Zeus et Dioné mettent au monde trois makes (trois « seigneurs »), les Tritopatores, dieux non différenciés, considérés comme protecteurs. Bien que les nombres deux et trois revêtent la même importance dans la religion chthonienne, la force de la nature apparaît plus parfaite dans la triade. En effet, de par l’adjonction d’un élément médiateur, le trois est plus proche de l’unité que le deux. De plus, ce troisième élément, unificateur, peut être considéré comme issu des deux premiers, créé par eux. A travers le trois, l’activité cachée de la nature se rend visible. Sur l’une des deux colonnes de Dodone était posé un chaudron en bronze ; sur l’autre, la statue d’un garçon tenant dans sa main une chaîne munie de dés qui, sous l’effet du vent, venaient frapper le chaudron. Le bronze du chaudron, consacré aux dieux chthoniens, représente l’eau232. Par ailleurs, le péribole circulaire du temple consistait en une muraille de trépieds ou de chaudrons qui se touchaient, pour permettre la propagation du son. Le bronze étant consacré au dieu chthonien, maître des lieux, le son qu’il produisait pouvait être interprété comme la voix du dieu. On retrouve ici les notions d’harmonie, de rythme et de musique, auxquelles la religion chthonienne ramène toute vie matérielle, et par le biais desquelles elle estompe toute différence entre passé, présent et futur, selon ce que les Péliades, prêtresses de Dodone, proclament dans leurs chants. Suscité par la lumière et les mouvements de l’atmosphère, le son signifie la collaboration des puissances célestes et terrestres à l’éveil de la matière. Dans le sanctuaire des Pélasges de Dodone, on découvre ainsi la manifestation de la force créatrice qui agit selon une loi immuable. On y rencontre aussi un dieu et une mère, au sein de laquelle se forme et grandit tout fruit nourricier. Bachofen termine sa démonstration en déclarant que nous sommes ici en présence de la plus haute expression de l’idée chthonienne et que jamais la matière n’a connu plus de noblesse233.

Le second exemple que nous avons retenu est celui d’Ocnus (transcrit Oknos dans la Gräbersymbolik et dans le Mutterrrecht). Le point de départ de Bachofen est un tableau représentant le vieux cordelier, agenouillé dans une région marécageuse et occupé à tresser une corde qu’une ânesse ronge à mesure qu’il la fabrique234. Par son nom, son apparence et l’idée qu’il exprime, ce cordelier nous ramène directement aux temps primordiaux235. Présent autant à Mantoue, dont il est le fondateur, qu’à Delphes, et rattaché aussi à Thèbes par sa mère, il est antérieur à la séparation des peuples236. Son nom, Ocnus-Bianor, le définit comme un dieu de la création. Ocnus vient de la racine aug- qui signifie augmenter237, et Bianor de bia, la force, et anorea, la vitalité, la force masculine238. Il existe en fait trois Ocnus, étroitement liés à la religion primordiale et aux marais : 1) le cordelier qui fabrique une corde avec du jonc, 2) le fondateur de Mantoue, ville entourée de marécages, et 3) le butor, oiseau des marais. Il s’agit trois fois du même personnage239. Manifesté sous les traits d’un animal aux époques archaïques, il voit plus tard sa thériomorphie réduite au rang d’attribut. L’interprétation d’Ocnus comme dieu créateur est corroborée par son ascendance maternelle : il est le fils de Mantoue, dont la signification est identique à celle de Mantus, nom étrusque de Dispater, dieu qui règne dans les profondeurs de la terre et qui dispense la vie qu’il a engendrée, pour la reprendre à la mort. Selon la conception la plus ancienne, c’est la mère qui transmet sa nature et son nom à sa progéniture et qui lui confère la noblesse240.

Le lien d’Ocnus avec la force créatrice de la terre est également exprimé par son grand âge (le cordelier est représenté comme un vieillard)241, ainsi que par sa position agenouillée242. Son lien avec les oracles243 et donc encore avec le monde souterrain244 est évoqué par le silence qui entoure la scène245. Le dualisme, comme principe de la religion primordiale, est manifesté par les deux brins de corde246 et par l’ânesse. La signification de cet animal, qui finira par être exclusivement négative, est en effet à ce stade encore ambivalente, autant positive que négative. Symbole du cycle étemel du devenir et du disparaître, l’ânesse, comme Ocnus, signifie la grande force créatrice247. La matière dont est tirée la corde – le jonc – évoque l’environnement où prend place cette scène, à savoir le marécage, lieu de création chthonien par excellence. Ocnus, qui peut être mis en relation avec de nombreux autres personnages mythologiques comme Pénélope, Gygès248 ou Osiris, exprime donc pour les premiers hommes l’origine de toute vie physique ainsi que le cycle du devenir et du disparaître qui lui est lié249.

La religion primordiale, telle que la définit Bachofen, est une religion chthonienne, entièrement tournée vers la matière. Ce caractère se retrouve aussi bien dans certaines coutumes, comme celle des mariages consanguins250, que dans les noms de tribus qui dérivent de racines liées à l’eau, aux marécages ou aux animaux des marais251. Comme tant d’autres coutumes, celle-ci également ne peut être expliquée que par la religion : en ces temps-là, nous dit Bachofen, tout était religieux252.

Mais cette époque, cet âge primordial, devait prendre fin. Achille sur la côte troyenne et Héraclès dans un sanctuaire d’Apollon tuent le représentant du dieu, un cygne blanc. Ces actes perpétrés par deux héros qui combattent la rude Ligurie dans le but de faire progresser l’humanité253inaugurent une nouvelle période, dont la religion diffère de celle de l’époque précédente. Voici la description que Bachofen nous donne de cette transition : « L’eau, l’élément humide, apparaît partout comme siège de la grande force créatrice de la nature. Elle féconde la terre et prépare la venue de tous les fruits. L’eau, le pôle masculin, s’oppose à la terre, pôle féminin de toute création. Dans les marécages, tous deux forment une masse indistincte, chaotique. La dualité de la force de base n’y est pas encore séparée en deux puissances distinctes. Le jonc qui jaillit de ce sol boueux est le fruit, expression de ces deux éléments qui se pénètrent intimement. Cette autofécondation, cet accouplement de la matière qui reflue en elle-même, produit une vie luxuriante sur le sol marécageux et la maintient continuellement en cet état sans jamais fléchir. Aucune main humaine n’y contribue. Seule la boue crée, grâce aux deux principes qu’elle contient. Elle crée, puis laisse mourir, pour recréer, à partir de ce qui est fané. Cette activité se poursuit inlassablement, sans qu’il n’y ait jamais d’arrêt, sans qu’on n’y décèle jamais une lacune. De jeunes joncs poussent, se fortifient et remplacent les anciens joncs fanés. A travers les marais et les roseaux qui les recouvrent apparaît donc, sous les yeux étonnés et emplis de pressentiments des premiers humains, le produit de la création, l’origine et le devenir de la production terrestre, le mystère de la première cause et base de la vie physique, et cela de manière particulièrement frappante, claire et énigmatique à la fois. Au milieu des joncs, ils construisirent les premiers autels consacrés à la matière créatrice, c’est là qu’ils pressentirent et vénérèrent le grand phallus de la nature. Là, ils reconnurent la relation entre devenir et disparaître, et comprirent, à travers le dépérissement des anciennes plantes et la croissance des nouvelles, que la naissance et la mort ne sont que les deux pôles extrêmes, mais nécessaires, entre lesquels se meut le cycle de la vie. Dans les marécages, ils ont vu le chaos, la force non-réglée de la création. Ils ont vu que le premier être qui en est issu est Eros, la grande puissance conciliatrice de l’amour, qui fait que les éléments mêlés chaotiquement s’unissent dans une autofécondation éternelle. Ils comprennent finalement que pour rendre fertile cette force qui contient toutes les puissances, il convient qu’elle soit soustraite à l’irrégularité des marais, dirigée vers des voies plus réglées, domptée à l’aide de bride et de mors, soumise à la loi des Etats humains »254.

L’évolution des conceptions religieuses, telle que la décrit cette esquisse de Bachofen, entraîne diverses conséquences, dont la spiritualisation progressive des dieux. La puissance créatrice, cause de la vie et contenu de l’idée divine, évolue peu à peu vers l’immatérialité, l’incorporalité. Issues des profondeurs de la terre et de la boue du chaos, les divinités s’élèvent vers le ciel, sans toutefois perdre la base tellurique qui fut la leur aux époques primordiales. Ignorer ce lien rendrait la nouvelle conception incompréhensible. De fait, cette évolution de la religion est semblable à une pyramide dont la base repose dans la terre et la pointe s’élève vers le ciel, tous les dieux participant à cette élévation, mais à des degrés divers.

Cette évolution ne se limite pas au monde divin, mais correspond au chemin parcouru par l’esprit humain, celui-ci étant le reflet de celui-là. Tout d’abord matériel, entièrement dominé par les lois de la création, l’esprit humain se défait de plus en plus des liens qui l’unissent à la matière, sans toutefois parvenir à s’en détacher totalement. Prenant de plus en plus conscience de sa liberté, il remplace les instincts par la réflexion et l’autodétermination. Contemplée depuis cet observatoire élevé, la matérialité de l’ancien monde divin semble désormais imparfaite, haïssable et méprisable255. Cette mise en parallèle de l’évolution du monde divin et de l’esprit humain fait écho au passage précédemment cité du manuscrit 93 selon lequel ce n’est pas Dieu qui a créé le monde, mais le monde qui a créé Dieu256.

Dans la plus ancienne conception du monde, les éléments célestes et chthoniens ne s’opposent pas. Alors que la terre joue le rôle principal, les autres puissances collaborent à son œuvre. Les divinités résident alors dans toutes les parties du monde, dans le monde souterrain, autant que sur terre et au ciel. Suite à la spiritualisation des dieux, la prédominance de la terre disparaît, remplacée par celle du ciel ou du soleil. Les jeux du cirque à Rome rendent particulièrement bien compte de ce changement. Comme toutes les courses, ils étaient originellement consacrés aux divinités de la création, principalement à celles liées à l’eau. Avec l’accentuation de la nature céleste des dieux au détriment de leur caractère chthonien, les liens du cirque avec l’eau s’estompèrent et on mit de plus en plus l’accent sur le culte solaire. Ainsi, par exemple, on attribua une signification purement solaire à l’obélisque qui décore la piste, le comparant à un rayon de soleil, alors que les colonnes – et l’obélisque est une colonne – faisaient partie des premiers symboles de la force tellurique. L’absence de ce lien entre obélisque et soleil chez Pline l’Ancien (Histoire naturelle 36, 9), et sa présence chez Tertullien (Des Spectacles 8), un auteur postérieur, montre l’importance que le culte solaire finit par prendre au fil du temps, jusqu’à obscurcir la signification des éléments primordiaux257.

C’est à cause de cet obscurcissement dû à la suprématie progressive du céleste que l’on finit par oublier l’origine tellurique d’un dieu comme Apollon. Sa « base matérielle » apparaît pourtant dans sa relation avec le cygne, oiseau des marais, et avec l’âne258 dont la lubricité est un symbole parfait de la force créatrice. Ce n’est que sous l’influence des Doriens qu’Apollon se détache progressivement de la matière et des profondeurs de la terre pour s’élever vers les régions célestes. Physique au départ, son être s’idéalise et devient métaphysique, même si le culte asiatique conserve des traces de son origine chthonienne259. Hermès, quant à lui, illustre l’évolution commune à toutes les divinités : ses attributs – la tortue, le bélier, l’épi de blé – apparaissent à des étapes différentes de son évolution260.

L’évolution du tellurique vers le céleste entraîne des réajustements ou réélaborations de divinités. Elle peut également modifier les relations qu’entretiennent entre elles deux divinités, dont l’une constitue en quelque sorte l’avenir de l’autre. Un exemple en est le couple Ocnus-Héraclès. Leur âge les différencie : Ocnus est vieux, Héraclès est jeune (la jeunesse est un trait que partagent toutes les divinités immatérielles). L’un représente la force créatrice qui règne dans la matière, l’autre celle qui règne sur la matière. Bien que proches dans leur signification, ces deux entités appartiennent à deux niveaux différents d’évolution261. Il en va de même pour Harpocrate l’ancien et Horas le jeune. Tous deux sont fils d’Isis et d’Osiris. Le premier, chauve et infirme des membres inférieurs, est un dieu créateur profondément lié à la matière. Le second, un modèle de beauté et de virilité, devient un guerrier vaillant et invincible. Incarnant l’un et l’autre la force matérielle, Horas appartient néanmoins à une époque plus avancée de l’évolution car il domine la matière, au lieu d’être, comme son frère, enfoncé en elle262.

Chauve et infirme, Harpocrate est également souvent représenté avec un doigt sur la bouche, référence au silence qui l’entoure. Son mutisme témoigne de la nature purement physique et matérielle de l’origine première de toute vie. Cette représentation de la force créatrice évolue. Elle se libère peu à peu des liens de la matière et se déplace vers le ciel où elle devient le principe régissant le cosmos, une puissance suprême appelée aussi fatum ou logos. Muette quand on l’appréhende au niveau le plus inférieur, elle devient donc parole au niveau le plus élevé, parole à laquelle même les dieux doivent obéir, puisqu’ils ne peuvent jamais entièrement nier leur origine matérielle. Dans le mythe égyptien, cette parole est représentée par Osiris, qui, comme Isis, a subi cette évolution vers le haut. De démon chthonien bienveillant qu’il était, il est devenu au cours du temps un être métaphysique, une puissance spirituelle à l’origine de la matière et de la force créatrice, une intelligence éternelle et indestructible. Le parcours de l’évolution s’effectue donc entre ces deux termes que représentent le mutisme et la parole263.

Dans le contexte grec, Hermès offre un excellent exemple de ce type de transformation. Enraciné dans la matière à ses débuts, il devient par la suite l’expression de l’intelligence parfaite, l’inventeur de la parole et du discours habile264. Parallèlement à cette élévation au niveau d’un logos immatériel que seul l’esprit peut appréhender, s’impose peu à peu l’idée d’un dieu étemel régnant au-delà du temps et de la matière. Contrairement aux dieux telluriques qui partagent le destin de la matière en vieillissant et en disparaissant, le logospurement spirituel échappe à la mort265. Bachofen constate à ce propos que plus les représentations religieuses des peuples s’émancipent de la matière, plus on voit s’imposer une conception abstraite de la divinité, identifiée à la providence266.

L’évolution des conceptions religieuses entraîne un progrès des sociétés humaines, déclenché par l’intervention de héros civilisateurs qui soumettent les forces créatrices sauvages, non encore réglées, des marécages. Ainsi Héraclès, qui met fin à l’époque ligure et qui appartient à un stade plus récent qu’Ocnus, dompte le taureau Achélous, symbole de l’eau, et lui arrache une come qui deviendra par la suite la corne d’abondance. De même Cybèle, chaste Mère des dieux, profondément offensée par l’union amoureuse d’Hippoménès et d’Atalante à l’intérieur de son sanctuaire, transforme les deux amants en lions qu’elle attelle à son char. Leurs noms, et leur faute, montrent qu’ils représentent, comme Achélous, la force créatrice tellurique. Atalante, expression du grand sein de la Terre, s’unit à Hippoménès dont le nom comprend celui du cheval (hίppos), symbole de l’eau. Leurs amours mimaient l’union de la terre et de l’eau, telle qu’elle a lieu dans les marais267. La force fécondante de l’eau ne régnera plus désormais de façon sauvage et déréglée, mais elle apportera sa contribution à une forme supérieure et plus ordonnée de culture de la terre. Ce passage d’une création libre à une création maîtrisée se retrouve au niveau de la procréation humaine avec l’instauration du mariage. Contemporaine des débuts de l’agriculture, cette innovation équivaut donc à une évolution des sociétés humaines. Cette évolution, à son tour, entraîne celle des mythes. Achélous, en tant que Zeus de Dodone, avait donné aux mortels le chêne et le miel. Il leur procure désormais des céréales et du vin. Il devient fondateur d’une culture anoblie, d’une agriculture parfaite, d’une vie réglée, civile et morale. Cérès, mère des fruits cultivés, se joint à lui. Leur couple constitue l’aboutissement d’un processus de différenciation toujours plus prononcé. Au début, la grande force procréatrice de la nature était représentée sous la forme d’une dualité sexuée composée d’un être masculin et d’un être féminin. L’unité et l’homogénéité de cette entité primordiale fut menacée lorsqu’on commença à opposer les aspects différentiels de sa dualité constitutive, le masculin étant attribué à l’eau et le féminin à la terre. Au stade du couple Achélous/Dionysos et Cérès, cette distinction finit par spécialiser l’action divine elle-même et sa production, puisqu’Achélous/Dionysos crée uniquement le vin et Cérès les céréales268.

L’humanité a donc connu deux étapes dans son histoire. La première, caractérisée par la prédominance de la matière, est celle des marais et des divinités telluriques. La seconde, que l’on peut nommer l’étape céréalière, voit les dieux et les hommes se détacher de la matière, les uns en se spiritualisant, les autres en dominant la force créatrice par l’agriculture, le mariage, la construction de cités, l’établissement de colonies269. Le monde divin correspondant à cette étape plus évoluée est composé de divinités agricoles comme Cérès ou Dionysos, de représentants de la loi des cités, comme Cybèle, la Mater turrita (« Mère à la couronne crénelée »)270, déesse de la vie ordonnée des agglomérations urbaines, ou encore de dieux de plus en plus spiritualisés et abstraits, comme Apollon ou Osiris. Un fait cependant demeure essentiel : cette spiritualisation relève encore et toujours d’une conception religieuse chthonienne, puisque les divinités de la deuxième étape sont, pour la plupart, celles de la première, tout simplement transposées à un niveau plus élevé de l’évolution. Entre elles, il n’y a pas de solution de continuité271.

La transition entre ces deux étapes trouve également une expression éclatante dans l’histoire divine et dans les rapports des divinités entre elles. Bachofen prend comme exemple Latone et ses enfants, Apollon et Artémis. Comme nous l’avons déjà vu plus haut, Latone représente la force créatrice de la terre et appartient donc à l’étape ancienne. Ses enfants, qui ont comme tous les dieux une base matérielle, partagent dans un premier temps sa nature tellurique. Comme elle, ils symbolisent la force créatrice et sont liés à l’eau272. Toutefois, ils illustrent une conception plus évoluée : tandis que Latone représente le Chaos homogène et la force de l’eau sauvage, ses deux enfants, distincts sexuellement, interviennent au sein d’une création désormais diversifiée et ordonnée. En tant que forces aquatiques réglées et bienveillantes, ils se substituent à leur mère. En dépassant ainsi la rudesse du Chaos, ils inaugurent une nouvelle étape273.

Ce passage d’un stade à un autre se manifeste également dans les symboles. Le cheval, le bélier, le taureau et l’abeille symbolisent chacun à sa manière la force créatrice. Le cheval représente la puissance de la nature livrée à elle-même, l’humidité de la terre comme elle s’exprime spontanément dans les sources jaillissantes, le grand lare qui, s’unissant à la terre, fait tout croître274. Le bœuf, lui, illustre la fertilité du champ travaillé par des labours réguliers, le métier humain, le mariage réglé face à la procréation sauvage. La différence qui s’établit entre ces deux symboles animaux équivaut à celle que l’on reconnaît entre les deux stades de l’évolution. Dans le mythe, le bœuf remplace progressivement le cheval, lequel doit trouver une nouvelle signification : désormais, il symbolisera la guerre. La dominance progressive du bœuf sur le cheval se reflète notamment dans le nom des habitants de l’Italie. Appelés Aequi à l’origine, ils devinrent progressivement des Itali, portant un nom dérivé de vitulus, le veau275. Un phénomène analogue peut être observé en Egypte, ce qui prouve que ce type de transformation a affecté le monde antique dans son ensemble276. Le culte du taureau remplace également celui du bélier lequel, comme le cheval, appartient à un niveau de culture inférieur, puisqu’il est l’animal des bergers et des nomades. L’abeille aussi est liée à l’agriculture. Contrairement aux frelons et aux guêpes qui naissent du crottin ou du cadavre des chevaux, les abeilles tirent leur origine du corps décomposé du taureau. Elles sont le modèle de l’Etat agricole, l’image même de la vie civique, politique, sédentaire et réglée. Enseignant aux hommes l’art de construire les villes et de fonder les colonies, elles allient à cet enseignement concret celui des vertus les plus hautes comme le courage guerrier, l’assiduité, l’endurance et la sobriété. Leur produit, le miel, nourriture beaucoup plus spirituelle que le vin enivrant et aphrodisiaque, montre qu’elles appartiennent à une étape d’évolution supérieure à celle du taureau. Les abeilles représentent le niveau de spiritualisation le plus élevé dont la religion chthonienne soit capable277.

Si l’évolution de l’esprit a entraîné des progrès dans la société, elle a cependant eu des effets néfastes sur le plan religieux, notamment sur le symbole, le culte et le mythe.

Conformément à l’évolution générale, le symbole se spiritualise278. L’œil, par exemple, finit par signifier la clarté spirituelle alors qu’il incarnaît au début la force créatrice. Mais cette élévation n’est pas la seule transformation que doit subir le symbole. Simultanément, on assiste en effet à une banalisation qui le ravale au rang de simple allégorie, ou même d’attribut. La roue, symbole de la force créatrice, devient l’image du renversement qui transforme les premiers en derniers et les derniers en premiers279. Il en va de même de la hache, du crabe et du cygne qui, après avoir été des symboles, des images du dieu Apollon, deviennent de simples attributs280. Cette banalisation entraîne également une désacralisation des symboles qui passent du domaine divin au domaine laïc. La bague et la hache, symboles de la puissance créatrice primordiale, deviennent des symboles du pouvoir royal281. Un symbole peut également se banaliser du point de vue de la complexité de ses significations, comme c’est le cas pour l’âne dont un seul aspect, la signification négative et destructrice, finit par dominer avec le temps.

Les mythes, qui sont plus récents que les symboles et que les rites282, n’échappent pas non plus à ces transformations. Les divers sens attribués à Ocnus en constituent une bonne démonstration. En effet, au sens originel, celui de symbole de la force créatrice, se substituèrent d’autres significations élaborées par des mythes283. Aux dires des guides de Delphes, par exemple, le tableau qui représente Ocnos traduit l’idée qu’une femme dissipatrice dépense davantage que ce qu’un homme, même très travailleur, peut gagner. Pour les Ioniens, Ocnus était l’image même d’un travail vain. Comme les Danaïdes, on retrouve Ocnus aux enfers où il expie un crime. On pourrait expliquer cette mutation dans les enfers par la relation qu’Ocnus entretenait avec le monde souterrain lorsqu’il était encore conçu comme dieu créateur. Mais la signification première d’Ocnus avait déjà été oubliée et le besoin de voir un lien de cause à effet entre un crime et son châtiment est certainement à l’origine de l’idée qu’Ocnus était puni pour le vice de la paresse284. Cette signification n’est d’ailleurs pas la dernière qu’Ocnus se vit attribuée durant son long parcours à travers les âges.

Le fameux tableau du colombarium découvert à Rome par Campana renvoie à la dimension funéraire d’Ocnus. Les représentations tombales, d’une manière générale, illustrent soit le calme et la paix, soit les horreurs infernales qui attendent le défunt dans l’au-delà. L’évolution conduisant à la spiritualisation des dieux se double d’une évolution qui entraîne à opposer l’âme au corps, l’existence spirituelle à l’existence chamelle, le métaphysique au physique. Le corps est désormais considéré comme lié à la terre alors que l’âme du sage s’élève vers une existence pure et céleste. Mais l’accès à la vie dans un au-delà immatériel suppose une initiation. Les représentations tombales ont donc pour but d’encourager l’initiation, en opposant les horreurs qui attendent le commun des humains au bonheur de l’immortalité heureuse réservée aux initiés. C’est la raison pour laquelle une peinture située au-dessus de la représentation d’Ocnus dans le columbarium de la Porta Latina montre le centaure Chiron enseignant la lyre au jeune Achille. Expression spirituelle la plus élevée de la loi qui règne sur le cosmos, la lyre révèle la signification conjuguée des deux tableaux. Alors que le destin d’Ocnus illustre la souffrance des hommes et le désespoir qu’entraîne une vie exclusivement matérielle, l’éducation d’Achille montre comment l’initiation conduit vers la félicité des dieux.

Ocnus représente donc un bon exemple des transformations que subissent mythes et symboles à travers le temps. Ce qui, au début, constituait une expression simple et claire de la divinité se trouve revêtu par la suite de significations allégoriques et éthiques. Les liens entre l’interprétation et son support deviennent de plus en plus ténus, car la compréhension de l’idée chthonienne originelle s’est perdue285. Plus on s’éloigne de l’idée originelle, plus il devient difficile de comprendre la vraie signification des symboles qui en sont issus. De même, plus le sens d’un symbole devient obscur et incertain, plus on assiste à des renversements et à des déformations, entraînant des interprétations artificielles dans lesquelles des relations externes et superficielles remplacent les relations internes et profondes286.

Malgré ses efforts, l’homme ne parvient jamais à s’émanciper complètement de la matière. Au temps de la spiritualisation fera suite un retour des puissances chthoniennes, symbolisées par Dionysos et l’Aphrodite asiatique. Deux récits illustrent ce retour du tellurique : le mythe d’Aristée et celui d’Anius.

Le roi Aristée enseigne à ses sujets l’élevage des abeilles et les travaux agricoles. Considéré comme fondateur d’une civilisation plus élevée287, il est divinisé par son peuple et doté d’une ascendance divine. Sa faute n’en sera que plus grave. Poussé par un désir lubrique, il poursuit Eurydice, la vierge orphique, qui tient la procréation sauvage en horreur. Elle fuit, mais ne voit pas l’hydre cachée dans l’herbe, dont la morsure est mortelle. Cette offense à la loi céréalière, celle de la chasteté conjugale, a pour conséquence que les abeilles d’Aristée disparaissent. Les désirs sexuels impurs ne conviennent pas à cet insecte chaste, pas plus qu’à la doctrine orphique dont la vie des abeilles est l’expression la plus parfaite. Il faudra donc qu’Aristée répare son tort envers Orphée et Eurydice pour que les abeilles reviennent. Devenu adepte de l’orphisme, Aristée personnifie encore la force créatrice, mais désormais située au niveau de l’agriculture. Il sera dès lors invoqué sous les noms de Zeus Aristaeus ou Apollon Aristaeus – un Zeus et un Apollon encore proches de leurs origines chthoniennes. Si le mythe s’arrêtait là, nous n’aurions rien que nous ne sachions déjà288, mais il continue. Diverses traditions rapportent en effet qu’Aristée finit par quitter le culte d’Apollon pour se consacrer à celui de Dionysos289.

Le mythe d’Anius est en tous points parallèle à celui d’Aristée. Anius est également fils et prêtre d’Apollon dont il reçoit le don de prophétie. Mais lui aussi abandonne Apollon, puisqu’il consacre ses trois filles à Dionysos. Celui-ci offre à chacune d’elle de transformer ce qu’elle touche en fruits, en miel ou en vin. Lorsqu’Agamemnon veut les emmener avec lui pour avoir toujours de quoi nourrir son armée, elles se transforment en colombes.290

Les colombes renvoient à Aphrodite qui s’oppose, elle aussi, à Apollon, comme le montre un autre mythe, celui de Ctésylla. Lors d’une fête consacrée à Apollon, un jeune Athénien tombe amoureux de Ctésylla. Il lui lance une pomme sur laquelle il a écrit un serment rédigé de telle manière qu’en le lisant à haute voix, la jeune femme se lie à lui. Fiancée à un autre par son père, elle s’enfuit avec l’Athénien et meurt en couches. A son enterrement, une colombe s’élève alors que son corps disparaît. Ce mythe, selon Bachofen, illustre l’opposition entre la loi d’Apollon et celle d’Aphrodite. Selon la loi d’Apollon, les fiançailles engagées par le père sont définitives, et la jeune fille coupable devrait mourir. Selon la loi d’Aphrodite en revanche, seul l’amour compte et la femme amoureuse est destinée à une vie divine291.

Mais il y a plus. La jeune fille Ctésylla, qui reçoit un culte sur l’île de Kéos, était vénérée sous les traits d’Aphrodite dans la localité de Ioulis, alors que partout ailleurs sur l’île elle était identifiée à Artémis, sœur jumelle d’Apollon. On retrouve dans ces deux formes du culte l’opposition entre la force sensuelle, non réglée, soumise aux pulsions animales, et l’obéissance aux voies réglementées du mariage. Artémis et Apollon, originaires du nord, sont plus purs et plus sobres qu’Aphrodite venue d’Asie, dévote du vin et de l’orgie. La lutte entre ces deux conceptions est inévitable, mais son issue est différente, selon que l’on considère les mythes ou les coutumes. En effet, des influences nordiques finirent par modifier le mythe, anoblissant la conception asiatique. Mais le culte sensuel d’Aphrodite ne cessa pas pour autant son travail de séduction sur les coutumes et les modes de vie. Avec le temps, la pureté primordiale hyperboréenne, nordique, finit par succomber au charme du climat méridional, du vin et de son culte. Les parfums d’Aphrodite reprirent le dessus292.

Ces trois mythes témoignent de l’effort accompli pour rattacher le nouveau (Dionysos et son vin) à l’ancien (Apollon, le lait et le miel). Ils montrent qu’Apollon doit céder la place à Dionysos. Partout, le culte bachique absorbe les autres cultes chthoniens. Les rites purs des premiers temps, caractérisés par le lait et le miel, reculent devant le rituel luxuriant du vin. Secondé par l’Aphrodite asiatique, Dionysos remplace peu à peu Apollon. Bien qu’elles partagent la même base chthonienne, les trois divinités connaissent des évolutions différentes : alors qu’Apollon se détache de la matière et se spiritualise, Dionysos et Aphrodite s’enfoncent toujours davantage dans la vie matérielle. Cette dégénérescence toucha l’ensemble du monde antique. Seule Rome, plus conservatrice dans tous les domaines et notamment dans le domaine religieux, parvint à y résister293.

Les prémisses du Droit maternel

Parmi les données présentes dans le texte de ces manuscrits et que l’on retrouve dans le Mutterrecht, il convient de souligner le rôle de premier plan que Bachofen fait jouer à la religion. Ainsi, à l’affirmation du manuscrit 104 selon laquelle toutes les coutumes découlent de la religion, et tout acte est un acte religieux294, correspond un postulat essentiel du Mutterrecht, qui souligne l’importance de la religion, seul levier de toute civilisation295. Le deuxième parallèle frappant est bien entendu la division de l’histoire religieuse en étapes (deux étapes seulement dans nos manuscrits, correspondant respectivement aux motifs du marécage et de l’agriculture). L’« idée » de la mère enfin est également abordée à travers la conception de la terre, comme entité primordiale.

Trois types de développements annoncent dans ce manuscrit la théorie du droit maternel, ou plutôt mettent en place des éléments qui seront nécessaires à son émergence. Il s’agit du motif de la femme considérée comme représentante de la terre, de la filiation matrilinéaire, et finalement de certaines considérations juridiques.

Siège de la force créatrice, la terre est matérielle. Etant donné que la matière est à l’origine de tout, qu’elle produit tout à partir d’elle-même, la terre est la mère de tous les êtres, y compris des hommes et des dieux. Cependant, une fois qu’elle a produit telle espèce ou telle « race »296, elle y désigne des représentants ou des répondants d’elle-même, nécessairement féminins297. La femme désormais, et non plus la terre, donnera naissance aux humains298… de même, se croit obligé de préciser Bachofen, que la jument (autre représentante mythique de la terre) mettra au monde les chevaux299 ! La maternité de la femme répète donc, dans la durée, l’acte créateur de la terre, le corps féminin se substituant à celui de la terre300. Cette relation très étroite, Bachofen veut l’analyser dans des faits de langue. C’est ainsi que les mots grecs désignant le « chien » (kύon), l’action d’« être enceinte ou d’enfanter » (kύo) et la « colonne » (kίon), apparaissent au savant bâlois comme dérivés d’une même racine. Etre enceinte et enfanter constitue la vocation de tout être féminin. Ce double destin renvoie au modèle de la terre, comme le signifierait la parenté linguistique avec le chien et la colonne, deux symboles éminemment chthoniens301. Graίx, un nom de la mère chez les Hellènes, de même que guné (la femme), et graûs (la vieille femme), dérivent de gaîa, la terre302. Lorsque la femme ne peut plus enfanter, qu’elle ne peut plus remplacer la terre et qu’elle n’a plus de fonction matérielle, elle peut accéder à une vie plus spirituelle. C’est pour cette raison que la terre n’a pas cherché de représentante parmi les abeilles, expression spirituelle de la force chthonienne, et qu’elle continue, dans la conception antique véhiculée par Virgile, à les créer elle-même303. Le cadavre en décomposition du taureau Apis, d’où naissent les nouvelles abeilles d’Aristée, symbolise la terre égyptienne304. La création d’un essaim d’abeilles à partir du corps de la vieille prêtresse Mélissa s’explique aussi dans ce cadre : la vieille femme a dépassé le temps de la maternité et donc celui de la matérialité305.

Un autre trait commun entre la terre et la femme peut être leur virginité. A l’instar de la terre – semblable à la Pénia de Platon306 qui, après chaque création, attend avec impatience une nouvelle fécondation – la femme est mère et vierge à la fois307. Cette virginité, elle la retrouve aussi par l’intermédiaire de sa fille308. La plus haute virginité, alliée au plus intense désir de maternité, voilà ce que serait une vraie féminité309. Nous verrons plus loin l’importance que revêt dans ce manuscrit une telle affirmation paradoxale, renvoyant une fois de plus au principe de la complémentarité des opposés, considérés comme les deux faces d’une seule et même entité.

Nous avons vu, à propos d’Ocnus, que la mère, dans les plus anciennes conceptions religieuses, transmet sa nature et son nom à l’enfant et que c’est donc la filiation matrilinéaire qui établit la noblesse310. Cette constatation réapparaît à maintes reprises au fil des pages311. Nous apprenons ainsi que plusieurs des noms d’Achille lui viennent des qualités de sa mère, la Néréide Thétis : il est dit Liguróscar sa mère, une personnification de l’eau, est une Liguris. De même, ses noms d'Áspetos (indicible, infini) et de Pémptos (le cinquième) renvoient à sa mère qui, comme toute divinité chthonienne, possède le don de la métamorphose. L’épithète d’« innombrable » et donc d’« indicible » découle elle aussi de ce pouvoir312. Pour la même raison, le peuple primordial est appelé Aseou Arien, car, issu de la terre, son nom ne peut que dériver de la racine ar qui signifie la terre313. La terre et les mères, ses remplaçantes, transmettent leur nom, mais aussi leurs qualités et noblesse. C’est donc par elles que la pureté d’une race est maintenue. Récidivant dans son usage de la métaphore équestre, Bachofen n’hésite pas à en déduire que c’est la raison pour laquelle la vente de juments est interdite chez les Ligures314 !

Le fait que la femme prenne le relais de la terre est dû à la nature maternelle du siège dans lequel réside la force créatrice. Une autre caractéristique de la terre, également lourde de conséquences, est le lien étroit qu’elle entretient avec le droit315. Le droit naturel, ius naturae, règne sur l’ensemble de la vie matérielle et veille à ce que tous les hommes soient égaux. Ce droit encourage également l’union entre l’homme et la femme dans le but de la procréation et de l’éducation des enfants – maris et feminae coniunctio, liberorum procreatio et educatio316. Ce droit s’oppose donc au ius ciuile qui, inventé par les hommes, tient compte des différents statuts civils317. Etant donné que le ius naturaeest un droit de la matière, de la terre, et que la mère représente la terre, il est aussi le droit de la mère, comme l’illustre le dossier d’Acca Larentia. Le lien étroit que cette déesse entretient avec la force créatrice se reflète dans son nom qui dérive de l’eau (aqua) et du Lar, démon de la terre. « Acca Larentia règne seule dans la maison, elle dispose de tous les biens, ce qui correspond tout à fait à l’ancien droit de la terre (…). Selon ce droit, la mère est la seule à posséder le pouvoir : elle donne aux enfants leurs noms, elle détermine la noblesse de la descendance, elle se donne elle-même en mariage, elle acquiert elle-même sa dot. Car à l’instar de la terre, la femme enfante tout. La force de l’homme, exerçant un effet invisible, ne peut être prise en compte dans ce système du droit naturel dont la nature est purement physique. »318 Toujours en vertu de ce ius naturaequi ne connaît pas d’esclaves, ni de maîtres, la femme n’est pas soumise à son mari et dispose librement d’elle-même319. La différence entre ce droit et celui des hommes est illustrée par la vénération dont la déesse Carmenta fait l’objet de la part des matrones romaines. L’utilisation des chars étant soudain interdite aux matrones romaines par le Sénat, elles se révoltent en refusant l’amour et la grossesse. Le Sénat est contraint de revenir sur sa décision. Ayant retrouvé le droit de circuler en char, les matrones reprennent leur fonction et construisent un temple consacré à Carmenta qui a su les conseiller. Le symbole du char, exprimant la soumission de la force de la nature aux lois de l’étape agraire, renvoie au niveau d’évolution où la théorie de Bachofen situe le pouvoir des mères. Le mythe d’Aristée, lui aussi, établit un lien entre la sacralité du mariage, une caractéristique fondamentale du droit de la mère, et l’Etat agraire. Le comportement lubrique d’Aristée souille la sacralité de l’union conjugale et c’est pourquoi les abeilles, étroitement solidaires du ius naturale, disparaissent320.

Les mythes d’Anius et d’Aristée illustrent le combat entre l’élément spirituel – incarné par Apollon – et l’élément matériel – incarné par Dionysos et l’Aphrodite asiatique. Ils montrent également l’importance croissante du père, au détriment de la mère. Aristée descend, par sa mère Cyrène, de Pénée, la force physique chthonienne, et a pour père Apollon. Il en va de même d’Anius qui est également fils de la puissance primordiale matérielle321 et d’Apollon. Chez les deux personnages, l’élément paternel, plus élevé et plus spirituel, est davantage apparent. L’élément maternel ne s’efface pas pour autant, mais il s’atténue. Etant l’un et l’autre à l’origine de grands progrès civilisateurs (avant de devenir des fidèles de Dionysos), Aristée et Anius voient leur fonction aller bien au-delà de la simple procréation. L’Apollon dont ils sont les fils est à l’origine un dieu encore chthonien, proche de leurs mères respectives (Cyrène et Rhoio). C’est pour cette raison qu’il peut s’unir à elles. Avec le temps, il se défait de sa matérialité et entraîne ses fils sur la même voie322, jusqu’à l’arrivée de Dionysos. On remarquera que ces mythes mettent en évidence les mêmes facteurs qui, dans le Mutterrecht, mettront fin au rôle important joué par les mères : l’importance croissante du principe spirituel représenté par le père, et l’intervention de Dionysos qui, aidé du vin et d’Aphrodite, soumet les femmes à son pouvoir phallique323.

Dans les réflexions que le mythe d’Osiris lui inspire sur la relation entre les sexes et leur rôle dans le mystère de la création, Bachofen relève cette même évolution du matériel au spirituel, de la mère au père324. On retrouve dans Isis l’équivalence entre la matière et la mère, et son lien avec la création visible : « Tandis qu’Isis est visible pour chacun, (…) Osiris, au contraire, est l’invisible. (…) Aussi l’essence de la masculinité est-elle force cachée, procréation et production invisibles. Elle n’apparaît nulle part, elle n’a aucune substance que l’œil puisse voir. Substance, matière, et tout ce qui en dépend, localisation et spatialité, appartiennent à la nature féminine. (…) De ce type de relation entre masculinité et féminité, découle le fait que la mère n’est jamais incertaine, alors que le père est toujours nécessairement incertain. L’espace et la matière de la création relèvent du monde visible, et c’est dans l’espace et la matière que réside le lien entre la mère et l’enfant. Le lien entre l’enfant et le père est invisible, tout comme la masculinité est invisible par définition, n’appartenant absolument pas à la substance matérielle, et ne se manifestant nulle part dans la nature (…). La naissance terrestre ignore le père, mais la mère doit avoir un époux. La paternité ne peut jamais être que le résultat d’une déduction. C’est parce que la mère a cet époux, que l’enfant a ce père. Pater est quem nuptiae demonstrant (« le père est désigné par le mariage »). On doit connaître le mariage de la mère pour en déduire qui est le père de l’enfant, non pas son père réel, mais son père légitime. Par son invisibilité et son homogénéité, le masculin s’élève dans la nature au-dessus de la matière, qui, elle, correspond intimement au féminin. Le masculin semble renoncer au sensible, auquel pourtant il participe également, et régner, invisible, au-dessus de la matière visible. Il se rapproche de l’être spirituel, et c’est seulement à la suite de cette élévation qu’il s’oppose au féminin, qui, de son côté, règne dans la matière et dans le sensible. C’est pourquoi Platon nomme “père” le spirituel, l’idée, et “mère” la matière, l’espace et le lieu. »325

En marge de la page 610, Bachofen remarque que cette façon de concevoir la relation du masculin au féminin transparaît dans le plus ancien système anthroponymique, dont des traces subsistent encore en Italie. Dans ce contexte, il renvoie aux Lyciens (en citant le passage d’Hérodote 1, 73 en traduction) de même qu’aux inscriptions funéraires étrusques. Comme la virilité agit en cachette et qu’elle a une nature immatérielle, son action consiste à éveiller et à donner vie à ce qui dort dans le sein maternel. Du fait que l’action du père est de nature spirituelle (et donc invisible, incontrôlable) découle le rôle prédominant accordé à la mère en ce qui concerne la noblesse du sang, dans l’ancien système : on en exclut, logiquement, le père326.

Cette réflexion est intéressante à plus d’un titre. On constate que Bachofen fait appel au texte d’Hérodote sur les Lyciens, texte qui deviendra fondamental pour l’élaboration de sa théorie sur le droit de la mère aussi bien dans la conférence sur le Weiberrechtque dans le Mutterrecht. Ce développement nous apprend aussi pourquoi le principe paternel, spirituel, sera localisé précisément dans le soleil qui en deviendra l’expression la plus haute : le rôle du père, analogue à celui du soleil vis-à-vis de la terre, consiste à éveiller le germe de vie qui repose dans la mère327. Enfin, Bachofen y explique pourquoi l’ancien système anthroponymique est matrilinéaire plutôt que patrilinéaire.

La coutume des Lyciens fait encore l’objet d’une réflexion ultérieure, dans le neuvième cahier du manuscrit 104. Partant de quelques vers du sixième chant de l'Iliade, dans lesquels le Lycien Glaukos compare les générations humaines au feuillage éphémère mais toujours renouvelé d’un arbre328, Bachofen se livre à une longue comparaison entre les caractéristiques des ascendances maternelles et paternelles. Le passage d’Hérodote sur les Lyciens apparaît à nouveau, comme commentaire, dans la marge de ce texte dont voici la substance. En ligne maternelle, toutes les générations descendent de la terre, puisque la mère représente celle-ci. Les êtres humains ne descendent donc pas les uns des autres, mais à l'instar des feuilles qui naissent toutes du même tronc, ils sont tous issus d’une seule et même mère, la terre. Les mères sont donc des êtres indépendants les uns des autres et ne se succèdent pas. Elles se distinguent toutes les unes des autres et donnent ainsi un caractère distinct à leur famille. C’est à cause de leur nature individuelle que les mères sont déterminantes pour le rang de leurs enfants et leur origine. L’ascendance paternelle est fondée sur un principe opposé. Osiris, composante masculine de la force créatrice, devient visible et entre dans l’existence terrestre en devenant père. Chaque père est donc un lare, à savoir une émanation de la force primordiale masculine, chaque lare n’étant qu’une partie du grand lare général. Par conséquent, les différentes générations de pères ne sont que les détenteurs de cette même force virile qui passe d’une enveloppe mortelle à une autre. Le fils, substitut du père, est habité par le même lare que lui et que tous ses ancêtres. Contrairement à la lignée maternelle où il convient de nommer chaque mère en raison de son caractère unique, la lignée paternelle ne possède qu’un seul et même lare. Ainsi, tous les enfants sont égaux du point de vue paternel329.

Citant les mêmes vers de l'Iliade dans le Mutterrecht330, Bachofen interprétera les paroles de Glaukos comme la base même du droit lycien de la mère331. S’il ne s’exprime pas encore aussi clairement ici, sa conclusion est identique, à un détail près. Dans le manuscrit, les feuilles tombées symbolisent les mères. Dans le Mutterrecht, les paroles de Glaucos montrent le peu de valeur que le système lycien accordait aux pères. Etant donné l’importance de ce passage pour l’élaboration de la théorie sur le droit de la mère, on peut se demander pourquoi Bachofen a jugé bon de le biffer. Il est probable qu’il ait décidé, par souci de cohérence, de retirer ces lignes qui se trouvent insérées au cœur d’une analyse de la triade Osiris-Isis-Horus, replaçant une partie importante du texte (la citation d’Hérodote) à un endroit qui lui semblait mieux approprié332. Malgré son intention explicite de reprendre cette discussion ultérieurement, notre savant, entraîné sur d’autres sentiers, n’y reviendra plus dans le cadre du manuscrit 104. On ne peut cependant sous-estimer l’importance, pour la compréhension du thème principal du manuscrit333, de cette esquisse abandonnée.

Le manuscrit 104 nous livre une autre réflexion sur les systèmes de parenté, par le biais de considérations touchant l’adoption. Dans le cadre d’un long développement sur Apollon, Bachofen souligne le lien étroit qui existe entre ce dieu et l’empereur Auguste. Il rapporte, à la suite de Suétone, qu’Auguste fut conçu dans un temple d’Apollon et qu’une nuit, encore petit enfant, il monta tout seul au sommet d’une tour pour y attendre le lever du soleil, symbole de l’Apollon spirituel. Adulte, Auguste revêt les insignes du dieu auquel il fait élever plusieurs temples, notamment à la suite de sa victoire à Actium, une victoire qu’il pense devoir au dieu. Le rôle joué par Apollon s’ajoute au fait que nous sommes à Rome. Cela prend sens quand on considère qu’Auguste n’est pas un descendant naturel de la gens Iulia à laquelle pourtant il appartient. Il a été adopté par César334. Dans le Mutterrecht, Apollon Delphien et Rome la juriste collaboreront au triomphe du droit du père, via la pratique de l’adoption testamentaire335.

Le manuscrit 104 met ainsi en place des éléments qui deviendront fondamentaux dans la théorie du droit de la mère : la division de l’histoire en différentes étapes, la spiritualisation progressive de l’humanité, le fait que la mère remplace la terre, la nature matérielle du principe féminin et la nature spirituelle du principe masculin, la prédominance en droit naturel de la mère sur le père, le système matrilinéaire et sa raison d’être. Certains de ces éléments toutefois, en particulier les étapes de l’évolution générale de l’humanité, sont moins élaborés, moins précis que dans le Mutterrecht. On rencontre aussi des points de désaccord, à propos par exemple du rôle joué par Achille et Héraclès. Alors que dans les manuscrits ces deux personnages représentent le droit de la mère – Achille porte le nom de sa mère et le couple Héraclès-Déjanire est un modèle de l’union sacrée du mariage – le Mutterrechtnous les présente comme de farouches ennemis de la gynécocratie, représentants d’une époque qui est absente de nos manuscrits. D’autres éléments, qui deviendront fondamentaux dans la conférence sur le Weiberrechtet dans le Mutterrecht, ne sont cités que marginalement. Ce qui constituera la base du dossier athénien, à savoir le conflit qui oppose les Erinyes (les palaiaὶ theaί, anciennes déesses), à Apollon et Athéna (représentants du nouvel ordre divin), n’apparaît que dans une brève remarque marginale336.

On notera en outre que la plupart des passages qui sont de notre point de vue cruciaux se trouvent situés, de fait, dans des annexes ou appendices. Cela indique que c’est sans doute après la rédaction principale, à l’occasion d’une relecture, que l’intérêt de Bachofen s’est trouvé éveillé à de nouvelles idées. Le savant bâlois est alors entraîné à remonter, parfois, plusieurs dizaines de pages en arrière, pour ajouter telle ou telle remarque. N’oublions pas que son esprit était en constante recherche. Dire que l’on assiste dans ces manuscrits à l’émergence de la théorie du droit de la mère ne semble donc pas exagéré, même si l’objet avoué de la recherche demeure l’ancienne Italie.

Christianisme

Toute la recherche de Bachofen est déterminée par un but métaphysique. Ce but nous apparaît maintenant conditionné, déterminé par un bagage culturel qui l’induit à interpréter les faits selon des schémas bien précis, et même prévisibles.

Une composante essentielle de cette grille intellectuelle est le platonisme, revu par Plutarque. Le De Iside et Osiride remplit les cahier 5 à 11 du manuscrit 104. C’est la lecture de ce traité qui a déclenché chez Bachofen une réflexion sur le droit de la mère, et c’est en effet dans ces cahiers que l’on trouve la première attestation explicite de ce thème337. Nombre d’autres thèmes d’inspiration platonicienne apparaissent dans ces manuscrits. Nous avons mentionné, à plusieurs reprises, le principe selon lequel si l’idée est unique, les formes qu’elle revêt sont multiples. Un autre principe souvent évoqué, qui tire son origine du Phédon, veut que les contraires ne peuvent naître que des contraires338. La manière dont sont abordés aussi bien la relation entre le masculin et le féminin dans le mystère de la création que le système onomastique matrilinéaire, relève elle aussi d’une théorie platonicienne : le père renvoie au spirituel et à l’idée alors que la mère représente la matière, l’espace et le lieu. Ce type d’argument suppose également le postulat du caractère universel de la psyché, opposé au caractère individuel de la matière339. Karl Meuli a montré que cette conception d’inspiration platonicienne conditionne aussi la théorie exposée dans le Mutterrecht : l’évolution du bas vers le haut, de la matière vers l’esprit, du droit de la mère vers le droit du père, de même que l’échelle de valeur appliquée aux stades d’évolution et l’affirmation enfin d’un but commun à l’humanité tout entière, qui est la victoire de l’esprit sur la matière340.

A côté de l’influence platonicienne, il convient de ne pas négliger celle du Christianisme. En témoigne entre autres la grande importance attribuée à la parole, au logoscompris dans un sens spirituel341. Les développements sur le fatum et la providence divine rappellent le passage du manuscrit 100 où Bachofen citait le début de l’évangile de Jean342. Le Verbe, dans le manuscrit 104, est présenté comme l’instrument à l’aide duquel le dieu suprême a créé la matière et lui a conféré sa force de vie343. On rencontre le monothéisme, selon Bachofen, au début et au terme de l’évolution, avec cette seule différence qu’au début, l’unique divinité est matérielle et féminine tandis qu’au terme il s’agit d’un dieu spirituel et masculin. De ce point de vue aussi l’évolution se présente comme une élévation de la matière vers l’esprit, du féminin vers le masculin.

Un autre principe qui tire son origine d’une inspiration chrétienne est celui du troisième élément ramenant un couple à l’unité. Bachofen l’applique très souvent. A Dodone, par exemple, on rencontre aussi bien la dyade que la triade. Ocnus, de son côté, représente la force primordiale qui, en unissant le temps non encore divisé à la matière non encore différenciée, crée les premières conditions de la vie344. On retrouve aussi cette idée dans le mythe d’Isis et Osiris : leur fils Horus, qui possède les caractéristiques opposées de son père et de sa mère, ramène la dualité à l’unité345.

Le dogme chrétien semble encore dicter la manière dont Bachofen caractérise la vraie féminité, mélange de maternité et de virginité. A l'instar de la terre qui donne naissance en étant et en demeurant vierge, Marie met au monde le sauveur de l’humanité sans avoir connu d’homme. Dans les deux cas, le père est invisible. Le Christ, troisième élément qui ramène la dualité à l’unité, représente le passage du droit de la mère au droit du père. Né de la Vierge, il est reconnu comme le Fils par une instance purement spirituelle, Dieu le Père, dont il propagera la religion. Comme Apollon ou Athéna, le Christ est issu de la matière dont il se détache pour la combattre et la vaincre.

La conception de l’histoire, enfin, est déterminée par le Christianisme. Nous avons constaté à maintes occasions que l’histoire, pour Bachofen, ne se laisse pas réduire au passé événementiel, à un passé que l’on pourrait qualifier d’extérieur. En elle repose l’ensemble des conceptions successives que les hommes se sont faites des forces divines qui l’animent. En d’autres termes, Bachofen recherche dans l’histoire les signes de la manifestation divine, il l’interprète comme une scène où Dieu se révèle aux hommes. Tout événement est conçu comme relevant d’un processus dirigé vers un seul but : la révélation de Dieu. Cette vision chrétienne de l'histoire rattache notre savant à la tradition philosophique allemande représentée par Lessing, Herder, Kant et Hegel, penseurs pour lesquels l'histoire est œuvre de Dieu. Cette conception implique que l’évolution humaine est prédéterminée dans la création, qu’elle n’est pas fortuite mais nécessaire. Bachofen est convaincu que la succession des événements qui importent à l’homme est programmée par la providence divine. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles il s’occupe si intensivement du passé : l’étude de l'histoire permet, dit-il, d’atteindre la vérité et la sagesse346. Du fait que Dieu se révèle par l'histoire, la vérité devient le but réel de l’historien, et non l’exactitude des faits. C’est à travers une histoire de l’intériorité, de l’intimité humaine, que l’esprit divin, étemel – transhistorique – se manifeste. Selon la conception chrétienne, le centre de l'histoire universelle est le Christ, esprit devenu homme. La vision historique se concentre donc sur cet élément essentiel, l’esprit, qui devient de plus en plus conscient de son existence. Le tableau historique, tel que le brosse Bachofen, est en parfait accord avec cette vision. Le progrès qui touche tous les domaines de la vie montre le passage de la matière à l'esprit. L’histoire est conçue comme le récit de l’affrontement de ces deux principes. Le combat que se livrent le droit de la mère et le droit du père est à son tour l’expression concrète de cet affrontement.

A la fin du Mutterrecht, Bachofen affirmera que toute l'histoire de notre espèce est déterminée par l’incessant combat entre la matière et l'esprit, la mère et le père, la terre et le soleil347. La balance oscille tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. La victoire complète de l’esprit sur la matière, ce but vers lequel tend l’humanité toute entière, semble impossible à réaliser définitivement348. C’est donc d’un état intermédiaire qu’il faudra se satisfaire, un état que Bachofen désignera sous l’appellation de degré lunaire. Le manuscrit 104, précisément, s’interrompt sur une analyse de la lune, cette terre céleste349, cet astre androgyne qui conjugue le masculin et le féminin, la terre et le ciel, l’éphémère et l’éternel350, la matière et l’esprit. Le Mutterrecht, qu’annonce cette analyse interrompue, pourra précisément être lu comme une œuvre focalisée sur le degré lunaire.

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1 C’est en septembre 1856 que Bachofen prononça sa conférence sur le Weiberrechtà Stuttgart. A cette date, son système d’interprétation était déjà presque entièrement mis en place.

2 Le descriptif des archives réalisé par J. Dörmann « Archiv J.J. Bachofen auf der Grundlage des Nachlasses J.J. Bachofen, eingerichtet von Johannes Dörmann ») qui doit paraître, comme appendice, dans un prochain volume des GW nous a été communiqué sur épreuves par Andreas Cesana et Fritz Graf, que nous remercions vivement.

3 Cf. supra pp. 11 et 40-41.

4 Il semble malheureusement impossible de connaître la composition de la bibliothèque de Bachofen, dont une partie seulement fit l’objet d’une vente en Allemagne, avec catalogue (Karl W. Hiersemann. Klassische Philologie, Altertumskunde. Katalog 320, Leipzig 1905).

5 Certaines parties du sixième cahier datent cependant du mois d’octobre.

6 Cf. F. Creuzer, Symbolik und Mythologie der alten Völker, besonders der Griechen, Leipzig und Darmstadt, zweiter Band, 1820.

7 Von den ältesten Religionen der Griechen, oder vom Pelasgischen Dienst auf Lemnos oder Samothrace.

8 Manuscrit 86, p. 2 : « Es ist dieß Beispiel jener Sätze, die in den Priestersystemen des Alterthums fast allgemein sich finden, und die den Gedanken erregen, daß diese Systeme alle untereinander im Zusammenhang stehen. »

9 Il faut noter que cette remarque est sans parallèle chez Creuzer. Manuscrit 86, p. 6 : « Es zeigt sich in den alten Religionen ein ganz durchgängiges Streben, von der irdischen, materiellen Basis zur Hoehe des Himmels, zur Vergeistigung emporzusteigen. »

10 Influence qui peut être néfaste, puisque Rome, bien que très religieuse, n’a jamais pu élaborer un art propre, ayant subi trop tôt l’influence grecque (p. 18).

11 Passage qui ne se trouve pas chez Creuzer. Manuscrit 86, p. 12 : « Der Begriff der Unendlichkeit liegt in ihm, ich bin das A und das O. » On remarquera cette mise en relation avec la religion chrétienne.

12 Manuscrit 86, p. 8 : « Sie (= la religion tellurique) giebt ferner ein als religiöses Gesetz die Sorge für Fortdauer der Familie. Ehelosigkeit ist Beleidigung des Lar familiaris. Und zwar muß es sein in der cerealischen Ehe durch confarreatio (un des trois mariages romains, peut-être réservé aux familles patriciennes) zur Ausackerung rechter Kinder. »

13 Manuscrit 86, p. 8 : « Sie (= la religion tellurique) führt in das Haus ein das monarchische Prinzip, die hohe väterliche Gewalt, die auch im höchsten Alter zu bewahren über Kinder und Kindeskinder Cicero so sehr zum Lob anrechnet, die jedenfalls das staerkste Mittel war, womit Römische disciplina erhalten wurde. »

14 Manuscrit 86, p. 9 : « … Religio, das heißt ein Band, das den kräftigen sinnlichen Naturmenschen zügelt durch die Scheu vor den Laren, das heißt vor jener Geisterwelt, die die Erde in ihrem Schooße birgt und zu Zeiten herauf sendet. »

15 Manuscrit 86, p. 17 : « Die bindende Gewalt des Glaubens an eine höhere Weltordnung, der man seinen Willen und seine Triebe unterordnet, heißt eben Religio. » Les explications étymologiques proposées par Bachofen sont souvent très approximatives. Cicéron, De natura deorum, propose par exemple une autre explication de religio : selon lui, ce mot dérive de relegere (repasser par la pensée, passer en revue) ; Bachofen, lui, le fait remonter à ligare (attacher, lier). Pour les questions soulevées par l’étymologie de religio, cf. J. Irmscher, « Der Terminus Religio und seine antiken Entsprechungen im philosophischen und religionsgeschichtlichen Vergleich », The Notion of Religion in Comparative Research, Rome 1994, pp. 63-73.

16 Natura omnes liberi nati sumus.

17 Sous forme d’un retour au monothéisme originel par exemple.

18 Année de publication du livre de W.F. Rink, dont il comporte des extraits.

19 A savoir : pp. 1 -7 : Fr. Chr. Andreae, Die Todten-Gebräuche der verschiedenen Völker der Vor- und Jetztzeit, Leipzig 1846 ; pp. 7-12 : W.F. Rink, Die Religion der Hellenen aus den Mythen, den Lehren der Philosophen und dem Cultus entwickelt und dargestellt, 1. Theil, Zürich 1853 ; pp. 12-13 : E. Jaeckel, De diis domesticis priscorum Italorum, Berlin 1830 ; pp. 13-17 : G.F. Schoemann, Dissertatio de diis manibus, laribus et geniis, Gryphiswald 1840 ; pp. 17-28 : E. Gerhard, « Metroon und Göttermutter », Abhandlungen der Königlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin (1849), pp. 459-490 ; p. 28 : Bartoli et Bellori, Lucernae sepulcraleset F. Creuzer, Symbolik und Mythologie der alten Völker, besonders der Griechen, Leipzig und Darmstadt 1819-1823 (2e édition).

20 Manuscrit 93, p. 9 : « Das Neue Zeugen aus dem Korn des Erzeugten ist das Wesentliche. Die stets aus sich (mots soulignés dans le texte) wiedergeborne Natur. »

21 Manuscrit 93, pp. 17-18 : « … Erscheint uns Gaea als oberste Göttin des ältesten Griechenlands, deren Ansehen erst dann in den Hintergrund trat, als ihre Pelasgischen Verehrer durch hellenische Diener Demeters und hauptsächlich Apollos theils zu gemeinsamer Geltung des alten und neuen Kultus, theils zu alleiniger oder überwiegender Herrschaft des letzeren genöthigt wurden. »

22 Manuscrit 93, pp. 21-22 : « Die Gaea ist eine generale (mots soulignés dans le texte) ; auch nicht mit Namen, ebensowenig mit Bild versehn. Also ganz dem herodotischen Pelasgenthum entsprechend. Es ist ein göttliches Wesen, das zunächst nur gedacht wird. Seine Darstellung beginnt mit dem Steine, (Baum, Stamm, Brett). Dann doppelte Göttersteine. die (…) das dualistische Zahlenverhältniss streitender oder verbündeter Kräfte des kosmischen Lebens aussprechen. Dann Hinzufügung von Schlangen und Phallussymbol. »

23 Manuscrit 93, p. 18 : « … Daß wir in allen diesen Göttinnen nur wechselnde Namen und Auffassungen einer und derselben hellenisirten der Gaea gleichgeltenden Erd- und Schöpfungsgöttin zu erkennen haben und zwar einer mit Zeus gemeinsam wirkenden Muttergöttin der olympischen Weltordnung,… »

24 Manuscrit 93, pp. 20-21 : « Sie ist eben nicht nur die jungfräuliche wehrhafte Parthenos, sondern auch die fruchtbare Mutter. Dieser Doppelbegriff von Mutter und Jungfrau (mots soulignés dans le texte) ist den alten Naturgottheiten wesentlich. Die Jungfrau ist da, um Mutter zu werden. »

25 Manuscrit 93, p. 23 : « Es sind also Zeus und die mütterliche Kraft (die weibliche Urkraft), nicht so verschieden, man denkt bei beiden das andere nothwendig hinzu. Im Osten erhält sich mehr die Magna Mater, im Westen Zeus… Man sieht also, dass das Untergeordnete doch auch stets noch dabei stand. Und denselben Sinn hat es, wenn die alten Symbole hinzugefügt werden. »

26 Manuscrit 93, pp. 23-24 : «So entwickelt sich aus jener altesten allgemeinen Idee die Götterwelt. Zeus wird aus ihr geboren, wie aus Minervens Haupt. Der älteste Begriff der Art ist weiblich. Die Erde ist es. Man erforscht diese, nicht Uranos. Natürlich, in der Einheit des Menschen mit der Natur, ersieht man nur die nächste Ursache, also die Erde, nicht die femere. Man verehrt sie aber, ohne ihr ein Geschlecht zu geben, wie zu Dodona. Die Unterscheidung der Geschlechter ist dann schon die spätere. Und so entsteht das Männliche aus dem Weiblichen. Erst der Phallus, dann dieser zur Person entwickelt. So Zeus, und dieser dann die Hauptsache. Jenes Gedankenwesen tritt ganz zurück, es steht aber als hohe Schicksalsmacht noch immer über allem, unsichtbar, daher verhüllt, vor dem Götterstaate, an deren Spitze Zeus steht, und auch wo es noch besteht, personificiert es sich. Die Götter sind selbst gezeugt (mots soulignés dans le texte) und zwar von der Erde, wie die Menschen, sie sind also nicht das Ursprüngliche. Gott hat nicht die Welt, sondent die Welt hat Gott gemacht, nämlich dem Menschen sind sie aus ihr herausgewachsen. Die Olympier entstehen aus der Gaea. Die Symbole vermitteln den Übergang aus einem allgemeinen Begriff einer mütterlichen Urkraft zur Individualisierung. Es entstehen aus ihnen Männer und Frauen, und daher alle menschlichen Verhaeltnisse und Leidenschaften. Man kombiniert sie im menschlichen Sinn. Es entstehn Vater, Mutter, Gemahl. Zeus, aus dem Phallus entstanden, wird Göttervater.» Il faut relever que Bachofen a désiré attirer l’attention, d’un trait dessiné en marge, sur les trois lignes qui traitent de la filiation Gaia-Olympiens. S’agit-il d’une mise en évidence contemporaine de l’écriture de ces extraits, ou s’agit-il d’une adjonction postérieure, datant d’une relecture du manuscrit dans le cadre de l’élaboration du Mutterrecht ?

27 E. Gerhard (1849), p. 469 : « … So haben… wir dem Entwicklungsgang weiter nachzuspüren, inwelchem die Eine und kaum gestaltete Göttin der Urzeit den Göttergestalten des Polytheismus allmählich sich annäherte und vermischte. »

28 Manuscrit 93, p. 21 : « So sieht man, wie der eine Urbegriff des monotheistischen Gottes der ersten Zeit allmälig die polytheistische Vielheit der Götter gebiert. »

29 Manuscrit 93, p. 20 : « Der Erdkult trug die übrigen Kulte nach hellenischer Manier wie im Keime in seinem Schoosse. »

30 Aux pages 32 et 33, Bachofen s’éloigne une fois de plus considérablement du texte de Preller, pour restituer les deux étapes de l’évolution et désigner les peuples qui y ont pris part ; ce passage est introduit par une annotation marginale, indiquant suite des idées. Pour une fois, Bachofen quitte donc son modèle d’une manière tout à fait explicite.

31 Manuscrit 96, pp. 26 et 27 : « Doch glaube ich » entre parenthèses ; « ich glaube » après un tiret.

32 Manuscrit 96, p. 1 : « Sie ist also schrecklich und schwarz, und in ihrer dunkeln Tiefe ruht der Todte. Sie ist der Sitz der Tod und Verderben bringenden Gottheit. »

33 Manuscrit 96, p. 4 : « Die Ursache des Lebens ist die Erde. Sie zeugt und ernährt, sie trägt alles. Sie ist die Allmutter. Was sie giebt ist nur Leben und Wachsthum, nicht der Tod. Sie nimmt mitleidsvoll den Körper im Tode wieder auf… »

34 Manuscrit 96, p. 5 : « … So kommt wieder ein neues Element mit dem Ackerbau, und geht dem Sämann ein neuer Blick in das Prinzip des Lebens auf, wenn er das Korn in der Furche birgt und es nach bestimmter Zeit in neuer, wiedergeborener Gestalt zurückgegeben sieht. Es verschwindet in der Tiefe und kehrt aus ihr wieder zurück ans Tageslicht. Der Prozess der Umwandlung (mot souligné dans le texte), der hier dem Menschenblick entgegentritt, beginnt mit dem Tod, endigt mit dem Leben. Dieser Kreislauf, dies Schicksal des Samenkorns ist Vorbild und Inhalt des Mythus vom Raube der Kore. »

35 Manuscrit 96, pp. 32-33 : « Gedankengang. Die homerische Lehre ; sie repraesentiert die hellenischen achäischen Rassen mit ihrer kriegerischen Rüstung, das Heroenthum des griechischen Volks (…). Die gottgeborenen Fürsten, die mit Gott verwandten Heroen, werden verbrannt (…) und in den Götterstaat oder in ein himmlisches Elysium aufgenommen (…). Darnach ist der Tod eine Erhöhung, (…), der Körper, bisher sterblich, wird nun mit Unsterblichkeit begabt. Und das Verbrennen erscheint von Anfang an als Vermittelung dieser Erhöhung. Ist das die Beschaffenheit der hellenisehen Heldenzeit, (…), so steht dieser Ansicht eine zweite von Grund aus verschiedene gegenüber, die aus einer jenen ersteren ganz entgegengesetzten Geistesrichtung hervorgegangen ist. Denn wenn jenes ehrene Heldenthum (…) seinen Blick auf Ruhm und Unsterblichkeit richtet, so muß dem Landmann eine ganz andere Bestimmung und Zukunft des Menschen vorleuchten. »

36 Manuscrit 96, p. 15 : « Er (der Ackerbau) hat ihm (dem Menschen) geordnetes bürgerliches Leben gegeben. Insbesondere hat er die Ehe als Grundlage von allem gemacht. »

37 Manuscrit 96, p. 39 : « Ackerbau (mot souligné dans le texte), Grundlage geregelten Lebens (…) auf das geregelte Leben des Ackerbaus gegenüber dem früheren Wilden aufmerksam gemacht wird. »

38 Manuscrit 96, p. 5 : « Dieser Kreislauf, dies Schicksal des Samenkorns ist Vorbild und Inhalt des Mythus vom Raube der Kore. »

39 Manuscrit 96, p. 11 : « Jene (die Naturordnung der spontanen Vegetation) hat keinen Mythus geschaffen, (…), diese (die Naturordnung des Ackerbaues) dagegen hat den Mythus vom Raube der Kore hervorgerufen. »

40 Manuscrit 96, p. 20 : « Die Ansicht der ältesten Zeit, die roheste, ursprünglichste (mots soulignés dans le texte) Ansicht, wo die Erde als der Ausgangspunkt alles Schrecklichen, dem Menschen nur Verderbenbringenden angesehen wird, gehört jener Zeit, von der wir in der Sage noch so viele Spuren haben, wo eine Hercules, Theseus und andere Heroen diese rohe zerstörende Natur noch nicht dem Menschen zur Wohnung bereitet haben. » Y a-t-il une différence entre Sage et Mythus ?

41 Manuscrit 96, p. 19 : « Hier muss man also keine Mythologie, sondern nur das Symbol (mots soulignés dans le texte) suchen. Und hier hat das Symbol seine Bedeutung und Anwendung behalten, nachdem es in dem übrigen Kultus schon längst zur Mythologie ‘beflügelt worden war’. »

42 Manuscrit 96, p. 19 : « … Zeigt die Gräberwelt einen vorzugsweise archaischen Charakter, wir werden da in eine ursprüngliche Welt hineingeführt, die sooft ganz verschwunden ist. Darin liegt auch die Zusammengehörigkeit aller alten Nationen. »

43 On rencontre une autre contradiction dans ce manuscrit. En effet, dans les premières pages, Bachofen affirme que la mort est terrible pour les tribus guerrières alors que les pages 32 et 33 disent le contraire : pour les héros hellènes, la mort n’est qu’un passage vers les Champs-Elysées, où le défunt savoure les plaisirs des immortels. Cette contradiction peut s’expliquer par le fait que les points de départ des deux réflexions sont différents. Par ailleurs, il est à noter que dans les manuscrits 93, 103, 104 ainsi que dans le Mutterrecht, l’ordre chronologique est exactement inverse : les Pélasges incarneront les peuples rudes et primitifs, les Hellènes agricoles seront porteurs de lumière.

44 Manuscrit 96, p. 38 : « Symbolik (mot souligné dans le texte) hat ihre Hauptbedeutung für die Kunst, nicht für Poesie oder Schrift. »

45 Manuscrit 97 : « (Gedanken über) die Gräber der Alten. Entwurf eines Vortrages. »

46 Howald en donne un résumé assez complet mais moins circonstancié que nous aux pages 512-516 de son Nachwort, GW IV. Comme les quatre manuscrits sont analysés conjointement et non séparément, on se référera non pas au numéro du manuscrit, mais à la page.

47 « Vortrag in der historischen Gesellschaft zu Basel am 13. Jan. 1853 ».

48 « Die Graeber der Alten ». Ce titre est répété sur la première page des cahiers 2, 4 et 5.

49 A la page 32, par exemple, Bachofen compare les pierres tombales aux autels chrétiens tels que les décrit Prudence.

50 Creuzer, Raoul-Rochette, Campana, Clarac, Millingen, Müller, Preller par exemple.

51 Ainsi, l’abréviation Ausz. renvoie aux Auszüge aus R. Rochette, le manuscrit 78, quatre cahiers non datés et non reliés, intitulés « Gräber » –  un ensemble d’extraits de Raoul-Rochette, Monuments inédits de l'antiquité figurée, Paris 1833. Selon Dörmann, ce manuscrit daterait des années 40. L’abréviation Gdr aus d. Vatikan (= Grabdenkmäler aus dem Vatikan) correspond sans doute au manuscrit 74, un cahier non daté et non relié intitulé « Gräber aus dem Vatikan », contenant des remarques relatives aux monuments 1-25 du Vatican ainsi que quelques dessins datant sans doute du premier voyage à Rome (1842/43). Le manuscrit 75, un cahier non daté et non relié intitulé « Grabvorstellungen », contient la suite du manuscrit 74, donc la description des monuments 26 à 117 du Vatican, agrémentée de quelques croquis. Les références à Campana renvoient au manuscrit 72, un cahier daté, non relié, intitulé « Columbarium a Campana repertum prope viam Latinam-Romae 1843 » et contenant des extraits entre autres de G.P. Campana, Di due sepolcri romani del secolo di Augusto etc., Rome 1840. Pour les renvois à Preller, abrégé généralement Prell, cf. le manuscrit 96.

52 Cf. infra, pp. 85-86.

53 Pp. 1-2 : « Ich will vielmehr die klassischen Völker des Alterthums (mots soulignés dans le texte) im Allgemeinen betrachten. (…) Erstlich wird die Arbeit auf diese Weise fruchtbringender. Denn einläßliche Betrachtung eines einzelnen Grabes oder Grab-systemes wird wenig Frucht tragen, solange man nicht die großen Gesichtspunkte festgestellt hat, die die ganze Materie beherrschen, und nach welchen die Einzelnheiten zu betrachten und zu würdigen sind. (…) Ferner giebt es einen Grund, der in der Beschaffenheit des Gegenstandes selbst liegt. In keinem Gegenstände bildet das Alterthum so sehr ein Ganzes, in welchem nicht nur die Verschiedenheit der Völker, sondem auch die Verschiedenheit der Zeiten alle Wichtigkeit verliert. Nicht daß es in der Gräberwelt keine Nationalitäten und keine Perioden der Entwicklung gaebe. (…) Aber gewiße Grundansichten sind überall zu erkennen. (…) Zuletzt hat das Grab eine wesentlich conservative Kraft. Was religiösen, hieratischen Ursprung hat, erhält sich überall laenger. Besonders im Alterthum. Ganz besonders in den Graebern. Die letzten Zeiten des Heidenthums enthalten die sprechendsten Reminiscenzen der Urzeiten des Menschengeschlechts. »

54 P. 288, en marge, continuant sur une feuille à part : « Das Walten des Verhaengnisses hervorzuheben war eine vorherrschende Tendenz der nichtroemisehen Epopöen. Es ist die zürnende Nothwendigkeit, die an irgend einem Punkte verletzte und dafür sich rächende Weltordnung, deren Dienerinnen die Erinven (souligné dans le texte) sind. (…) Die Erinyen kannte das Epos und überhaupt die ältere Dichtung nicht anders, als in der Bedeutung nächtlicher und chthonischer Urwesen. welche im Dienste des Aldoneus und der Persephone sind. Sie gehören dem alten Göttergeschlecht an, dem grausen, nicht dem milden Kreise der Demeter-Ge. Sie sind also besonders geeignet, jenes unerbittliche Fatum zu vertreten. Sie sind die executiven Organe der verletzten und sich rächenden Naturordnung, wohin auch die Störung der sittlichen Weltordnung gehört. (…) Wie die Erinyen, so ist auch das Fatum ein Ausfluß der alten Weltordnung. Der Tod ist dieser Ordnung eine Störung des Naturgesetztes. nicht wie später selbst in ihr begründet, es ist eine Gewaltthat, die nur von den zürnenden Wesen der Unterwelt ausgehen kann. (…) Also ein höherer Wille, der noch über dem Naturgesetz und den dasselbe darstellenden Gottheiten steht. Es ist das ‘gesprochene Wort’ einer höchsten Macht, die man nicht kennt, die man dafür nur an jenem gesprochenen Wort erkennt, und die man daher in demselben als Fatum personificiert. Dies Fatum ist es, was die alten Tragödien und das spätere Epos feiern (…). Organe dieses zürnenden Verhaengnißes allein, nicht das Verhaengniß selbst sind die Erinyen. Sie sind dessen Schergen, sind zu dessen Dienst aufgeboten (…) Vergeltung, ist dabei nicht der Gedanke, obwohl er als selbstständiger Gesichtspunkt auch vorkommt. Denn das Verhaengniß wird nun auch zur Strafe, der schreckliche Untergang zur Vergeltung und das Fatum ein strenges aber gerechtes Gericht. Von dieser Seite wird es dargestellt, wenn man das Schicksal ganzer Häuser betrachtet, wo der Einzelne, selbst schuldlos, das Opfer der Vorgänger seines Geschlechts wird. Es wird also hier zu dem Gedanken des Verhaengnisses noch der des göttlichen Gerichts hinzutreten. (…) Beim Aeschylos erscheinen sie (die Erinyen) dem Orest gleich nachdem er die Mutter gemordet. Coëph. 1547. »

55 P. 348, en marge et sur une annexe : « Auch seinen Zeus denkt sich der Pelasger tellurisch (mot souligné dans le texte). (…) Er ist identisch mit Jupiter Aïdoneus, Jupiter Picus in Italien ist derselbe. Zeus ist von Anfang an (…) in der Materie befangen. (…) Er ist also der in der Materie lebende Geist, das Leben selbst. Er erhebt sich aber aus der Materie, und wird zum Prinzip des Lebens selbst, das sich von oben herab in die Dinge herabgelassen, in sie versenkt hat. In dieser Erkenntniß liegt nun schon die Ahnung von einem einzigen Unendlichen, von dem alles Leben ausgeht, in das es zurückgeht, in dem es alles zur Einheit sich verbindet. Auf diesem Standpunkt erscheint er als das All, die ganze Materie. (…) Er ist der Odem, der in dem All weht und es belebt. Er ist also die Kraft, die alles gegründet hat, die alles belebt, von Ewigkeit zu Ewigkeit. (…) Mit einem Wort, er ist Gott Vater, der über der Materie steht. In der Kraft der Materie, und zwar der tellurischen, zuerst erkannt, wird er aus ihr heraus entwickelt, und so als ewige Kraft über alle Materie erhoben. (…) Aus der Natur der Erde hat sich also ein doppelter Begriff entwickelt. Fatum, unabänderliches Gesetz, und das Göttliche, to θεῖον ; nachdem ihr Verhältnis unklar gewesen, wird jenes diesem unterordnet als aus seinem Mund hervorgegangen, als λὁγoς », fatum, Wort. Sie sind Eins : das Fatum ist bei Gott, Gott ist das Fatum selbst ; d. H. das Fatum war bei Gott, und in dem Fatum ging Gott ganz auf, er war selbst nun das Fatum. Das Wort aber, wenn es gesprochen ward, erhielt seine Erfüllung. So geht also erst Gott in dem Worte auf, dann das Wort in der Schöpfung. Ebendarum ist Gott selbst unsichtbar, aber er leuchtet in der Schöpfung. Er ist das Lebensprinzip in derselben. So stellt Johannes das Wesen der Göttlichkeit dar. v. 1. Gott war das Wort. Er gieng ganz auf in seinem Worte, v. 2. 3. Das Wort gieng in Erfüllung, verkörperte sich in der Schöpfung, v. 4. Das Leben, der Odem, in der Schöpfung ist also das, worin das Göttliche, Gott und das Wort, zuletzt aufgeht. v. 5. An diesem Lebenshauche, dieser Lebensflamme, haette man die Gottheit erkennen können, nämlich ihre Existenz, ihre Einheit, ihre Unendlichkeit ; aber man erkannte sie daran nicht. v. 14. Nun nimmt dieses Wort Fleisch an ; dieß Fleisch ist also der Sohn des Gottvaters, er geht von ihm aus, wie zuvor das Wort aus seinem Munde. Aber wie die Gottheit in dem Wort ganz aufgeht, so nun in dem Sohne. (…). Wie Johannes hier das Verhaeltniß von Schöpfung und Gott darstellt, als Wahrheit, und nicht als Glaube irgend eines bestimmten Volkes, so war es von den Alten angesehn, und auf diesem Grunde ruht der griechische Zeus, die höchste göttliche Einheit, die alles geschaffen und nun alles regiert. »

56 Pp. 353-354 : « In dieser Göttin erscheint die Naturkraft auch als befruchtet durch den Mond, der mit zu dem Grunde des Lebens gehört. Und je älter die Gottheiten, desto mehr umfassen sie, es liegt in ihnen der eine Grund aller Dinge, das erzeugende Prinzip des Lebens, das Alles in Allem, in dem wir leben und sind. Erst die spätere Zeit trennte und unterschied die Kreise, wie die Functionen. Diese Götter theilen sich das Göttliche. Man hat früher noch gar keine Götter und gar keine Namen, sondern fühlt und verehrt das Eine Große was schafft und erhaelt, und die Zeichen der Gräber stellen dieß Unaussprechliche (souligné dans le texte) dar, und nicht einzelne Götter. »

57 P. 308 : « (…) Und so sind am Grabe alle Dii Inferi entstanden, während die Dii Superi einen anderen Ursprung haben, nicht jenen tellurischen, sondern sich an übertellurische Naturerscheinungen knüpfen. Diese Dii Superi treten dann aber auch in Beziehung zu den Erdkräften und zu den Gräbern, so wie umgekehrt dann auch die Lehre von der ψυχήdie zu den Gestirnen wandert, aufgekommen ist. Diese Dinge sind später und müßen von jenem ältesten Zustande genau und sorgfältig getrennt werden. »

58 R 348, en marge et dans le cadre d’une annexe : « Zurückgedraengt aus dem Bewußtsein wurde die reine Ansicht von der…. (mot illisible) durch die anthropomorphische Vervielfaeltigung der göttlichen Wesen. Je weiter zurück, desto reiner zu diesem Ding dachten die ältesten Menschen richtig und groß ; inhalts- und bedeutungsvoll waren ihre Symbole, wenn auch nicht schön. Jene Zeit, wo der Mensch noch in der Harmonie der Schöpfung steht, ist auch in Bezug auf diese Glaubenssaetze die größte. Die Roemer erhielten sich länger und reiner, dem Wahren näher. »

59 Pp. 250-251 : « (…) dieselbe Mythengeschichte, welche dem Volke die Geschichte seines Landes und seiner Schöpfung darstellte und in der es sich seiner eigenen ältesten Schicksale bewußt war, dieselbe diente ihm als Ausdruck großer moralischer Lehren und als unerschöplicher Schatz, aus welchem es trostreiche Wahrheiten und ethische Lehren über Leben, Tod und Zukunft schöpfte. (…) Die Verständlichkeit der symbolischen Sprache verlangt es und bringt es mit sich, daß die gewählten Zeichen fest und unverändert beibehalten werden. (…) Und so wandert manches von Volk zu Volk und von Zeit zu Zeit und mag daher aus den ersten Zeiten des Menschengechlechts stammen. »

60 P. 252 : « Übrigens können nun diese symbolischen Zeichen Veranlassung zu Mythenbildung geworden sein. (Dans la marge) Das ist der Gedanke, der mit zu den Grundgedanken der Creuzerschen Symbolik gehört. »

61 Pp. 307-308 : « Die goldenen Grillen (mots soulignés dans le texte) im Haare der Athenerinnen galten als Bezeichnung, daß sie Autochtonen seien. Sie sind aus der Erde geboren, worin sie wohnen. (…) Sesipolis und Tages sind ebenso aus der Erde hervorgegangen. Sehr wichtig für das Verhaeltniß der Erde als Mutter, aus deren Schooß wir geboren sind und in welchen wir zurückkehren. Daher auch die vielen Symbole in den Gräbern die darauf sich beziehen : Schlangen, Murmelthiere, Kaninchen, Eidechsen. (…) Es ist eine der ältesten Anschauungen des menschlichen Geistes, eine Grundanschauung des Menschengeschlechts. Die Erde mußte von Uranfang an als göttliches Wesen angesehen werden und mit dem Todtenkult in Verbindung stehn. »

62 P. 331 : « Aus den Lycischen Inschriften ersieht man, daß die ältere Bevölkerung wenigstens, wie Herodot erzählt, auch den Namen der Mutter hinzuschrieb. » Sur l’importance de ce dossier lycien pour l’élaboration de la théorie matriarcale, voir S. Pembroke (1965), « Last of the Matriarchs : A Study in the Inscriptions of Lycia ».

63 Ocnus et ce columbarium joueront un rôle essentiel dans le manuscrit 104 et plus tard, bien entendu, dans la Gräbersymbolik. Dans le manuscrit 99, Bachofen ne leur accorde qu’une importance très limitée. O. Jahn publiera en 1856 un ouvrage sur les représentations de la villa Pamfili. Bien que Bachofen connaisse ce columbarium dès son voyage en 1842 (il le mentionne dans une conférence en 1844), il lui faudra la publication de Jahn pour que ses réflexions sur ce sujet mûrissent (cf. son introduction à la Gräbersymbolik, p. 8).

64 Oreste meurtrier de sa mère est mentionné à la page 377 comme un sujet artistique. Un autre est celui d’Iphigénie qui tend une coupe à Oreste pour le délivrer de la furie causée par le matricide.

65 Homère, Hésiode, les hymnes homériques, Pindare, Eschyle, Euripide, Aristophane, Platon, Théocrite, Polybe, Plutarque, Apollodore, Diogène Laërce, Pausanias, Pseudo-Eratosthène, Photios, Hesychius, Denys de Byzance, la Souda et des Scholies à Platon et Pindare pour ce qui est des sources grecques, et Cicéron, Virgile, Hygin, le commentaire de Servius à l’Enéide et Macrobe pour les sources latines. Il s’agit donc d’auteurs de tous les genres et de toutes les époques.

66 Voici les titres qui ont pu être décryptés : Clarac, Musée de sculptures antique et moderne, ou description historique et graphique du Louvre et de toutes ses parties, Paris 1841 ; E. Gerhard, Prodromos ; Antike Bildwerke zum ersten Mal bekannt gemacht, Stuttgart / Tübingen 1837 ; Auserlesene griechische Vasenbilder, Berlin, 1840 ; A.L. Millin, Galerie mythologique, Paris 1811 ; K.O. Müller, Denkmäler der alten Kunst, Göttingen, 1832 et 1856 ; Th. Panofka, Annales de l’Institut Archéologique = Antiques du cabinet du comte Pourtalès-Gorgier, Paris 1834 ; J.K.L. Schorn, Glyptothèque ; K.B. Stark, De tellure dea dequeeius imagine a Manuele Phile descripta, Jena 1848 ; J. Winckelmann, Monumenti Antichi Inediti, Roma 1821 (2e édition), cité également dans la traduction allemande de la première édition Alte Denkmäler der Kunst, aus dem Italienischen übersetzt von F.L. Brunn, Berlin, 1791 / 1792.

67 Bachofen fait référence à un nombre très important de musées qu’il a dû visiter.

68 Manuscrit 95, p. 6 : « Gaea ist der Ursprung und Inhalt von allem…. Gaea ist also zuerst die Materie, dann wird sie eine Gottheit. »

69 Manuscrit 95, p. 15 : « Attribute hat sie in der alten Kunst eigentlich keine. Später werden ihr viele gegeben, meist aus dem Cereskult entnommen ; man brauchte jetzt eine Haeufung von Attributen, um das ehemals so einfach Ausgedrückte hervorzuheben. »

70 Manuscrit 95, p. 6 : « Neidlos und reichlich spendend ». Citation de l’hymne Homérique à la Terre mère de toutes choses.

71 Manuscrit 95, p. 6 : « Wasauf Erden, im Meere und in der Luft ist, das nährt sich aus deinem Reichthum. » Citation de l’hymne Homérique à la Terre mère de toutes choses.

72 Manuscrit 95, p. 8 : « Es liegt also in jenem Begriff (kourotrὁphos) Beides, das zur Welt zeugen und das Ernähren des Erzeugten. »

73 Aux pages 748-750 du manuscrit 104, sans doute issues des deux premières pages du 95, le texte est le suivant : « Aus der Erde ist alles geboren, was in den verschiedensten Stufen der Ausbildung ihre Oberfläche bedeckt. Vollkommen gerüstet und ausgebildet [750] ist auch der Mensch aus ihrem Schooße hervorgekommen. »

74 Manuscrit 95, p. 9 : « Dann giebt die Erde als gute Göttin Mitleid und Schutz ihren Kindern (souligné dans le texte). »

75 Manuscrit 95, p. 8 et p. 10 : féminine ; p. 11 : masculine (Gott), mais il s’agit sans doute d’un masculin générique. On peut donc affirmer, sans gros risques, que Bachofen devait concevoir cette première entité monothéiste comme féminine.

76 Manuscrit 95, p. 10 : Sparte, Tégée, Olympie, Patras, Athènes, les rives de l’Hellespont.

77 Manuscrit 95, p. 14 : « Und woraus wir eine besondere Rubrik der Grabdarstellungen machen wollen. »

78 Sans compter les annexes. Les titres allemands du manuscrit 103 sont : Das alte Italien, Die älteste Bevölkerung et Die Ligurer.

79 Manuscrit 103, p. 55 : attaques répétées de l’Italie par les peuples gaulois ; p. 85 : relation entre la Ligurie et le Nord germanique ; p. 111 : le rôle prépondérant joué par la mère dans la transmission des noms au sein des anciens systèmes chthoniens ; p. 131 : la racine lib ; p. 155 : lien entre les tribus grecques et les Hyperboréens ; p. 158 : légende des ambassades hyperboréennes ; p. 190 : étymologie de Marica ; p. 193 : tous les aspects du cheval, image de la force de la terre ; p. 194 verso : relation entre Héraclès et Mars ; p. 281 en marge : cheval, symbole chthonien très répandu.

80 Manuscrit 103, p. 19 – sans indication du contenu de ces livres.

81 Manuscrit 103, p. 67 : étymologie du Pô, appelé aussi Bodencus ; p. 125 : Tirésias, un personnage de la religion ligure ; p. 173 les juments, remplaçant la mère-terre, transmettent les qualités, tout comme les femmes transmettent le nom ; p. 174 : l’absence d’ombre et la forme du cerf sont de signification chthonienne ; 194 verso Anhang 3 : le nom de Lare a été le plus influent en Thessalie ; p. 205 : le suffixe terra ; p. 208 verso Anhang 16 : Damia = Terre ; p. 220 : la relation entre les cheveux et la puissance créatrice de la terre.

82 Manuscrit 103, p. 208 Die Darstellung der Gräberà propos du cheval dans les tombes.

83 Maculé de taches de café, le texte, écrit à la hâte avec de nombreuses abréviations, comporte une liste de choses à faire (préparer des livres, des habits, etc.) sans lien aucun avec le propos du manuscrit. La liste a sans doute été rédigée avant un départ en voyage.

84 K. Meuli (1948), GW III, pp. 1087-1088

85 A laquelle il renvoie 103, 6, p. 266.

86 E. Howald (1954), GW IV, p. 529.

87 Die früheste Naturanschauung des Alterthums und ihr Zusammenhang mit den Völkernamen.

88 Bachofen annonce que le deuxième livre traitera des contacts entre les civilisations celtiques et italiques (p. 76 Anhang 13) et montrera les liens entre Ligures et Thraces (p. 187 Anhang 9, 2 marge). Howald (1954), GW IV, p. 530 note 2, renvoie, de manière erronnée, à deux passages où Bachofen est censé annoncer le contenu du deuxième livre. En fait, seules les indications plus loin, plus tard, y figurent (p. 62, Anhang 6 ; p. 138, Anhang 76).

89 Manuscrit 104, p. 71 Anhang : la position assise des divinités funéraires ; p. 68 Anhang 6 Anhang 1 : le lapin, un symbole de la terre ; p. 143 Anhang 17 au sujet de l’opposition entre le tableau représentant Achille et Chiron et celui représentant Ocnus et son âne dans la tombe de la Porta Latina ; p. 235 Anhang 4 au sujet de la signification des grands vases à eau ; p. 252 Anhang 67 au sujet de la colline et du tumulus, images et autels de la force chthonienne. Il est intéressant de constater que tous ces renvois se trouvent dans des annexes. Etant donné les problèmes de datation que posent ces annexes, il est tout à fait possible que les renvois à ce livre sur les tombes soient un ajout ultérieur. La seule allusion dans le texte à une analyse des tombes figure à la page 440 (au sujet de la fleur du lotus), sans toutefois qu’un livre y soit mentionné (cf. Howald (1954), GW IV, p. 553).

90 Manuscrit 104, p. 35 : Tirésias et généalogies d’Ocnus-Bianor ; p. 46 ; Damia ; p. 62 Anhang 6 Anhang 6 : étymologie d’Apollon ; p. 62 Anhang 11 : l’androgynie d’Héraclès ; p. 76 Anhang 13 : racines répandues au nord et au sud, et exprimant la même idée ; p. 68, Anhang 6 : femme = terre ; p. 68, Anhang 11 AnhangC : signification des cheveux et des coupes de cheveux ; p. 88 : pour tous les anciens peuples : cheval = eau ; p. 113 Anhang 1 : base tellurique de l’Héraclès assyro-phénicien ; p. 113 Anhang 2 : la colonne, expression de la puissance chthonienne et plus ancienne image de la divinité ; p. 187 Anhang 16 : la cigogne et son lien avec les marais.

91 Manucrit 104, p. 251 Anhang 1, à propos des relations remontant aux Pélasges entre la Béotie et la Thessalie.

92 Howald, GW IV, pp. 531-552 en donne un résumé succint, dont il sait qu’il donnera le vertige au lecteur consciencieux : « Der Leser dieser Mitteilungen aus dem Manuskript 102 (= 104 ; ancienne numérotation), der sie, ohne etwas zu überschlagen, in sich aufgenommen hat, wird sich eines gewissen Schwindelgefühles nicht erwehren können » (p. 552).

93 Après avoir fait part de son intention de publier l’œuvre dans son intégralité (cf. lettre à Meyer-Ochsner du 31 juillet 1856 ; Howald (1954), GW IV, p. 553), Bachofen revient sur sa décision pensant que des études plus courtes auront davantage de chances d’être lues (cf. lettre à Meyer-Ochsner du 21 septembre 1856 ; Howald (1954), GW IV, p. 553).

94 Bachofen compare sa recherche à une tour de mille marches : avant de pouvoir admirer la vue panoramique, il faut gravir chaque degré. Manuscrit 103, p. 5 : « Aber auf dem Gebiete, auf welchem wir stehen, muß wer die Rundschau von der Höhe des Thurmes mit Wonne genießen soll, auch erst die tausend Stufen der Treppe in seinen Knieen fühlen. Nur selbst Errungenens hat Werth. »

95 Manuscrit 104, p. 2 : « Die Idee ist Eine, ihre Formen und Einkleidungen unzählbar. »

96 Manuscrit 104, pp. 1-2 : « Jahre lang habe ich mit mir selbst gerungen, bis die Idee fertig und anschaulich vor meine Seele trat. Jetzt wäre es mir ganz leicht, das Ergebnis vieler Forschung und langer aufmerksamer Beobachtung in wenig Worte zu faßen, und so dieß Buch gleich auf der ersten Seite mit einem ganz fertigen Resultate zu eröffnen. Aber die Freudigkeit, mit der ich an die Ausführung meiner Gedanken gehe, würde mir durch dieß Verfahren wesentlich gestört, und andern so wie mir selbst der Gewinn der Arbeit geringer. An Formeln und Abstraktionen hat kein Verständiger Gefallen. Den alten Dingen zumal sind sie ein schlecht stehendes Kleid. Wer mir folgen mag, muß sich entschliessen, den ganzen Weg zu machen, ja, mir auch nicht zu zürnen, wenn ich manchmal die Hauptstraße verlassend, Seitenpfade einschlage, um bald wieder mit einem bunten Strauße abseits gepflückter Blumen geziert, auf die verlassene Heerstraße zurückzukehren. » Cf. 104, p. 4 : « Diese Arbeit will ich nun in ihrem ganzen Verlaufe nochmals vornehmen, und von dem ersten Keimen meiner Gedanken bis zu deren vollkommenden Entwicklung Steinchen an Steinchen reihend das Mosaikbild seiner Vollendung entgegenführen. »

97 Vu les dimensions considérables des deux manuscrits, on pourrait dans la plupart des cas citer un nombre élevé d’exemples. Nous nous limiterons aux plus significatifs.

98 104, 4, p. 188.

99 103, 5, p. 208 verso, Anhang 11.

100 Ce personnage mythologique, thème principal du manuscrit 104, apparaît également à plusieurs reprises dans le manuscrit 103 (3, pp. 122-134 et 4, pp. 167-169), en marge de développements sur la parenté entre la Ligurie et Thèbes et le cycle de vie et de mort. Le tableau y était également décrit (3, pp. 127-128 ; la page 127 a été intégrée dans le manuscrit 104). Par ailleurs, Ocnus devient l’objet d’une des deux parties de la Gräbersymbolik. On a là un bon exemple de la manière dont Bachofen se focalise sur un thème précis.

101 104, 2, p. 68, puis 104, cahiers 6 à 11 : mise en parallèle de la religion italo-grecque avec Ocnus et égyptienne avec Harpocrate.

102 103, 3, p. 132 : parallèles entre Ocnus, Aphrodite en kalάmois, les Parques et Pénélope ; 104, 2, p. 62 Anhang 14 A : Ocnus est comparé à Saturne et à d’autres dieux pourvus d’une faucille ; 104, 2, p. 76, Anhang 3 et 104, 2, p. 68 : Ocnus et Harpocrate ; 104, 4, p. 235 Anhang 3 : dieux du panthéon grec comparés à des dieux d’autres pays.

103 103, 3, p. 132. Anhang 1 : Philémon et Baucis comparés à Dryope et son nourrisson, de même qu’à d’autres figures mythiques analogues ; 104, 4, p. 187, Anhang 11 : mythe de Lesbos comparé à des mythes de sens analogue.

104 103, 6, p. 260 : le cheval, symbole ligure par excellence, en Italie du Sud et en Grèce ; 104, 1, p. 43 : les divers symboles d’Ocnus.

105 104, 2, p. 76 AnhangA : différentes représentations d’Ocnus.

106 103, 3, p. 130 : la position des personnages représentés sur un tableau ; 103, 5, pp. 186-187 : toutes les généalogies de Latinus ; 104, 1, p. 10 : pour bien comprendre un tableau dans son ensemble, il faut en considérer toutes les parties ; 104, 2, p. 62, Anhang 2 : pour bien comprendre la signification de l’âne qui accompagne Ocnus, il faut en analyser les moindres détails ; 104, 2, p. 63 : l’analyse de toutes les caractéristiques d’Ocnus permet de dégager sa signification de base ; 104, 3, p. 87 : il ne faut négliger la signification d’aucun élément du mythe de Gygès, car tous répètent l’idée de base ; 104, 4, p. 251, Anhang 4 : toutes les parties du bélier de la toison d’or sont examinées avec acribie : l’animal en tant que tel, sa toison et l’or.

107 103, 5, p. 207 : longue digression à propos de l’érection d’une statue ; 104, 2, p. 62 Anhang 8-14 : longues digression et explication du premier et du second orphisme, dans le but de prouver la double notion de temps et de force chez Ocnus ; 104, cahiers 6 à 11 : la longue analyse de l’Egypte est censée prouver, notamment à travers le parallèle avec Harpocrate, que l’interprétation d’Ocnus est juste ; 104, 3, pp. 94-147 : le mythe de Gygès sert de parallèle à celui d’Ocnus.

108 104, 2. p. 62, Anhang 14 A : Ocnus est comparé à divers dieux, entre autres Saturne ; or, la faucille de ce dernier donne lieu à d’autres comparaisons ; 104, 3, 111-114 : dans la parenthèse que représente le mythe de Gygès par rapport à Ocnus, on trouve une seconde parenthèse sur les mots dérivés de , toujours dans le but de confirmer l’interprétation d’Ocnus ; 104, 3, p. 131 et Anhang : l’explication de la bague de Gygès – destinée à corroborer la signification d’Ocnus – engendre une longue digression sur les bagues et autres insignes du pouvoir en Grèce et en Italie.

109 103, 4, p. 174.

110 103, 2, p. 91.

111 Cf. le préambule du Mutterrecht, GW II, pp. 13-14 (= pp. 10-11 B), où Bachofen fait l’éloge des commentaires du savant byzantin Eustathe qui, contrairement aux auteurs du XIXe siècle, ne modifiait jamais un mythe dans le but de rendre clair ce qui lui semblait obscur. Grâce à cette fidélité, et à la précision de la tradition, il est possible de reconnaître dans ces textes des éléments remontant aux époques les plus reculées.

112 103, 2, pp. 66-71 et 104, 4, p. 255 Anhang 9.

113 104, 3, p. 143 Anhang 19.

114 104, 3, p. 151.

115 104, 4, p. 252 Anhang 62.

116 Une partie considérable du cinquième cahier du manuscrit 103 traite des représentations du cheval sur les monnaies de diverses cités. Les monnaies, selon Bachofen qui s’y intéressait en tant que collectionneur, livrent un bon aperçu des symboles, notamment chthoniens : 104, 4, 187 Anhang 12. Pour Bachofen numismate, cf. M.R. Weder, « Der Bachofensche Münzschatz (Augst 1884) », Jahresberichte aus Augst und Kaiseraugst 11 (1990), pp. 53-72.

117 103, 5, p. 199.

118 104, 4, p. 236.

119 104, 4, p. 187 Anhang 13 Anhang 2 ; 104, 4, p. 185.

120 Pour que le lecteur puisse se rendre compte de la diversité des œuvres consultées, nous avons établi cette courte liste comme échantillon. On y trouve des historiens d’art et d’archéologie (Avellino, Opuscula, Buonarroti, Medaglioni antichi, Campana, Illustratione di due sepoliri Romani del secolo di Augusto, scoverti tra la vie Latina et l’Appia presso la tomba degli Scipioni, Clarac, Musée des sculptures, Friedländer, Oskische Münzen, Inghirami, Monumenti Etruschi, Jablonski, Pantheum Aegyptiaeum, Millin, Description des tombes de Canosa… et Vases peints, Millingen, Ancient greek coins, Raoul-Rochette, Monuments inédits de l’antiquité figurée, Stark, De tellure Dea, Winckelmann, Monumenti antichi inediti), des philologues (Boeckh, Suppl. ad Pindar., Casaubon, Comm. ad. Athen., Creuzer, Symbolik, Gerhard, Prodromus et Vasenbilder, Grimm, Akademische Vorlesungen et Geschichte der deutschen Sprache, Heyne, Erster Excurs zum siebten Buch der Aeneis, Humboldt, Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens, Lobeck, Aglaophamus, Müller, Die Dorier, Sandon und Sardanapal, Orchomenos und die Minyer, Die Etruscer, Niebuhr, Über den armenischen Eusebius, Preller, Fragmente des Polemon et Demeter und Persephone, Voss, Etymologicum et Mythologische Briefe, Welcker, Komposition der Polygnotischen Gemälde in der Lesche zu Delphi), des scientifiques (Brehm, Ornithologie, Faber, Ornithologie), des historiens (Bachofen, Römische Geschichte, Zeuss, Die Deutschen), des revues (Annales de l’Institut Archéologique, Bulletin de l’Institut Archéologique), et des catalogues de musée (Musée Pio Clementino, catalogue par Visconti, musée Chiaramonti, les musées de Naples, de Florence et de Vérone).

121 103, 3, p. 95 : critique d’Aluverius et de Torzetti, 103, 5, p. 208 : critique de Millingen ; 103, 6, p. 261 : critique de Müller ; 104, 2, p. 62 Anhang 1 ; 104, 3, p. 138 Anhang 20 : critique de Müller et de Raoul-Rochette ; 104, 3, p. 143 Anhang : critique de Welcker ; 104, 4, p. 255, Anhang 35 : critique de Müller ; 104, 4, p. 252, Anhang 42 : critique de Creuzer ; 104, 5, p. 283, Anhang 36 : critique de Braensted et de Creuzer et 62 : critique de Müller et de Boeckh ; 104, 10, p. 780 : critique de Müller.

122 104, 3, p. 143, Anhang 12.

123 De nombreuses expressions utilisées dans des passages-clés, notamment dans les introductions, sont très proches de Creuzer et de Grimm, Geschichte der deutschen Sprache. Cf. Meuli (1948), GW III, p. 1083, N. 1 et p. 1092 notes 2 et 3.

124 103, 4, p. 148 ; 104, 3, p. 151.

125 104, 2, p. 54 ; 104, 2, p. 68 Anhang 12 ; 104, 4, p. 187 Anhang 9 Anhang 1 ; 104, 4, p. 255 Anhang 33.

126 104, 4, p. 235 Anhang 5 Anhang 2 : dans le contexte des courses, Bachofen va parler du char de Carmenta, même s’il sait que cela rompra l’enchaînement.

127 104, 2, p. 62 Anhang 3 ; 104, 2, p. 62, Anhang 8 ; 104, 3, p. 138, Anhang 15, 16, 18.

128 Ainsi, par exemple, l’ombre est tantôt l’expression de la faiblesse, tantôt celle de la force (104, 7, p. 532)

129 Cf. infra p. 203 et note 8.

130 Howald, GW III, p. 519.

131 104, 2, p. 68 Anhang 10 : on admet que le chien représente partout et toujours la force matérielle, sans en chercher la cause, donnée pourtant plus loin : le chien est l’expression de la terre à cause de sa lubricité (104, 3, p. 113, Anhang 2) ; 104, 8, p. 572 : l’étymologie antique du Nil est discutable du point de vue linguistique, mais justifiée par la nécessité de disposer de racines qui dépassent les frontières linguistiques.

132 104, 2, p. 60, marge.

133 103, 1, pp. 9-13.

134 103, 2, pp. 53-58.

135 103, 2, p. 90.

136 104, 3, p. 138 Anhang 34.

137 104, 3, p. 138 Anhang 36.

138 Il est surprenant que Bachofen ne s’attarde pas ici sur le mot indien. En effet l’étude des Védas, considérés comme aptes à fournir des clés pour de nombreux mystères de l’Antiquité, était en vogue à son époque. Sur la genèse du concept d’Aryen dans le contexte des spéculations sur l’origine cf. M. Olender (1989). Bachofen semble avoir eu des notions de sanscrit, puisqu’il y recourt pour l’étymologie de liber (104, 3, p. 138 Anhang 9, 2 à propos de la racine ar, syllabe qu’il considère appartenir à toutes les langues, du sanscrit au sémitique, et donc au peuple primordial).

139 103, 5, p. 204 unten Anhang 1 et 2 ; 103, 5, p. 242 verso Anhang unten 4-6.

140 104, 2, p. 76 Anhang 12-14

141 104, 2, p. 68.

142 Ocnus et Ogmios représentent l’un et l’autre la force matérielle qui pénètre toute matière. Cf. 104, 2, p. 76, Anhang 13.

143 Pausanias 7, p. 582

144 Aristophane, Grenouilles 295

145 Cf. ci-dessous, le chapitre sur la religion du peuple primordial, pp. 116-134.

146 104, 2, p. 62 Anhang 66 Anhang 5.

147 Quelques exemples : Diane = Ops, vierge hyperboréenne = Britomartis en Crète (103, 5, p. 208 verso Anhang 5) ; Isis = Thétys (104, 8, p. 570)

148 104, 2, p. 68, Anhang 10.

149 104, 2, p. 70 marge.

150 104, 3, p. 188.

151 104, 4, p. 252, Anhang 18.

152 104, 8, p. 548.

153 104, 4, p. 187, Anhang 9, Anhang 2.

154 104, 8, p. 540 et surtout 104, 9, pp. 686-690.

155 104, 9, p. 650, pp. 662-664 : autant en Egypte qu’en Italie, l’âne symbolise le cycle étemel du devenir et du disparaître et se compose donc du double principe du bien et du mal. Dans les deux pays, la signification de l’âne s’est simplifiée pour finalement n’incarner que la force du mal.

156 Cf. par exemple le cas de la corde dans le mythe d’Osiris, symbole difficile à comprendre, mais dont le sens s’éclaire lorsqu’on utilise le parallèle de la corde d’Ocnus (104, 9, p. 684).

157 104, 3, p. 158, Anhang 9 et 104, 4, p. 252, Anhang 21.

158 104, 4, p. 235, Anhang 18

159 104, 4, p. 252, Anhang 64 ; cette racine est à la base de certains noms de peuples, comme les Epéens ou les Aequi ; le mot Apis en est également dérivé. Sur l’usage bachofénien du bœuf Apis, cf. infra p. 136.

160 104, 7, p. 512.

161 Bachofen les appelle pour cette raison officina gentium, vagina nationum, cf. 103, 4, p 148.

162 103, 4, pp. 152-155.

163 103, 5, p. 186 verso.

164 103, 1, p. 17.

165 103, 1, p. 20 et 103, 2, p. 60 ; Bachofen base ces affirmations sur la présence en Sicile de noms qu’il considère comme ligures.

166 103, 1, p. 18.

167 103, 3, pp. 96-99.

168 103, 3, pp. 119 -120 : Platon (Phèdre.237 a) qualifie les Muses de lίgeiai, mot qu’il explique en invoquant soit leurs voix aiguës, soit leur origine ligure. Quant à la musique, dont le rythme et la mesure numérique constituent la base, elle est la dernière et la plus haute expression de l’harmonie divine qui pénètre le cosmos. Le but suprême de la philosphie est la connaissance de cette harmonie par la connaissance des nombres. Or le divin, présent dans cette harmonie, communique à travers la musique avec notre âme qui se fond alors dans l’harmonie du cosmos (104, 3, p. 143, Anhang 19 Anhang 2-3 ; dans ce passage, Bachofen se base sur Strab. 10, 3, 9-10). Les hommes, qui à l’origine baignaient dans cette harmonie, s’en sont toutefois de plus en plus éloignés (103, 3, pp. 139-140).

169 103, 5, p. 199.

170 103, 4, pp. 181-184 : les anciens considéraient les Aborigènes comme la première population d’Italie. Leur nom désigne une origine nordique : a (simple préfixe) + boreίgonoi ; gonos indiquant l’origine, Boreigones ou Aborigenessignifie) fils du Nord.

171 103, 4, pp. 184-185 : Faunus, le fils d’Arès, est le père de Latinus.

172 103, 5, p. 192.

173 103, 4, pp. 159-161.

174 103, 4, p. 161 et 103, 5, p. 208 verso Anhang 13.

175 104, 2, p. 68 Anhang 9. C’est un fait constant que les dieux des premiers peuples sont chthoniens, en d’autres termes, qu’au début de leur évolution, les peuples vénèrent des dieux chthoniens. Le Zeus chthonien de Dodone, sanctuaire pélasge par excellence, en est un bon exemple (104, 4, p. 252, Anhang 33).

176 104, 4, p. 252, Anhang 4 Anhang 2.

177 103, 3, p. 113.

178 103, 3, pp. 122-124.

179 Les jeux romains en témoignent : ces jeux proviennent de Lydie, comme le prouve le mythe fondateur qui relie les concours de vitesse au lydien Pélops ; ils ont été importés en Italie par les Etrusques, des colons lydiens, qui en transmirent la tradition aux Romains (104, 4, p. 235 Anhang 8).

180 Cf. 103, 6, p. 275, où Bachofen décrit le cas de Diomède. Ce colon grec est honoré par des sacrifices de chevaux, rituel typiquement indigène. Or, par la suite, la tradition fait remonter cette coutume indigène à un modèle grec.

181 103, 4, p. 144 et p. 155

182 103, 3, p. 115 ; 104, 4, p. 252, Anhang 65.

183 103, 1, p. 8.

184 103, 5, p. 191.

185 104, 2, p. 168, Anhang 15־. Les gegeneîscomme Erichtonios, Harpocrate ou les Ethiopiens, premiers hommes que la terre ait créés, se reconnaissent facilement à leur infirmité physique. Pour les parallèles avec la végétation, cf. la page 12 du même Anhang. D’autres, comme les Spartiates, Spartoί, sont créés à partir de dents de dragon semées par la terre (104, 4, p. 251 Anhang 23 et 104, 4, p. 252, Anhang 75, où il est question de Pelasgus, enfant de la Terre).

186 104, 4, p. 252, Anhang 77.

187 104, 2, p. 68, Anhang 1.

188 104, 3, p. 138, Anhang 17. Pour le rapport entre la terre, siège de cette force, et d’autres puissances qui participent également à la création, comme la lumière, cf. infra pp. 119-121.

189 104, 2, p. 76, Anhang 5.

190 104, 2, p. 76, Anhang 14.

191 104, 2, p. 68, Anhang 6.

192 104, 2, p. 70, marge et 104, 3, p. 131, Anhang 9.

193 104, 2, p. 76 Anhang 5.

194 104, 2, p. 62 verso, Anhang 16.

195 103, 6, p. 258. Il s’agit bien évidemment d’une réminiscence de Platon Phèdre 245, où l’immortalité est la caractéristique de ce qui est toujours en mouvement par soi-même.

196 104, 5, pp. 564-574.

197 104, 8, pp. 554-568.

198 104, 2, p. 62 verso, Anhang 17.

199 103, 3, p. 132 ; 104, 3, pp. 155-159.

200 104, 2, pp. 65-66.

201 103, 3, p. 132 pour Latone et Dionysos ; 104, 3, p. 163 pour Aphrodite en kalάmois ; 104, 4, p. 207, Anhang 1 pour Hermès, considéré par les Arcadiens pélasges autour du lac Stymphale comme leur protogonos.

202 104, 4, p. 187 et p. 204, Anhang 3 pour les grenouilles ; 103, 4, p. 149 pour le cygne.

203 104, 2, p. 69.

204 104, 2, p. 71 entre autres pour Anna Perenna et Ocnus ; 104, l, p. 35, marge, verso pour Athéna Sthéneia ; 104, 4, p. 187 et Anhang 2 à la page 187 pour Apollon ; 104, 4, p. 207, Anhang 1 pour Hermès.

205 A Rome, on trouve dans le cadre des jeux du cirque, qui ont conservé beaucoup de divinités et de coutumes chthoniennes disparues ailleurs, des triades de dieux chthoniens, comme Sesia, Messia, Tutelina, ou la triade des dieux Samothraces ou encore Consus, Mars et les Lares ; il s’agit chaque fois d’une seule idée divine, exprimée trois fois (104, 4, p. 235, Anhang 33-39), car dans sa perfection, toute force chthonienne est triple (104, 4, p. 255, Anhang 20).

206 104, 4, p. 255, Anhang 35 ; pour la caractérisation masculine des fleuves en particulier et de l’eau en général : 103, 2, p. 76 verso et 104, 4, p. 207, Anhang 5 ; 104, 10, pp. 750-754 entre autres.

207 104, 10, p. 752.

208 104, 5, p. 283, Anhang 85.

209 104, 8, p. 552.

210 104, 2, p. 68, Anhang 6, Anhang 2 et p. 68, Anhang 7 : Magna Mater, semnὀs theá, Basίlissa, eurústernos, etc.

211 104, 2, p. 68, Anhang 8. Pour le motif de l’androgyne, cf. pp. 147 et 180.

212 104, 2, p. 62, Anhang 11, 104, 2, p. 68 Anhang 8 et 104, 3, p. 138, Anhang 6.

213 104, 4, p. 238.

214 104, 2, p. 68, Anhang 9.

215 104, 2, p. 68, Anhang 9, Anhang 1.

216 Midas en est un exemple : 104, 2, p. 50, AnhangF verso.

217 104, 2, p. 68, Anhang 9, Anhang 2.

218 Cf. l’épithète de Ge, pantoléteira (H.O. 26, 2).

219 104, 2, p. 68, Anhang 9-11.

220 104, 2, pp. 56-58, où Bachofen renvoie tout simplement à Plat. Phaed., sans indiquer de références. Il devait sans doute penser au paragraphe 71c du Phédon de Platon, où il est dit explicitement que la vie naît de son contraire, la mort, et réciproquement. Bachofen donne comme autre exemple les deux brins avec lesquels Ocnus tresse sa corde (104, 1, p. 42). La double hache d’Héraclès illustre également ce dualisme de la force de la nature (104, 3, p. 138, Anhang 7).

221 104, 2, p. 56 Anhang verso et p. 60 marge entre autres.

222 104, 2, p. 66.

223 104, 4, p. 235, Anhang 57-62 : identité des courses de vitesse célébrées en l’honneur de la force créatrice primordiale (la vitesse est une caractéristique de l’eau, une de ses composantes) et des jeux funèbres.

224 104, 4, p. 168 marge et p. 170.

225 104, 4, p. 255, Anhang 53.

226 104, 2, p. 60.

227 104, 2, p. 76 Anhang, où Bachofen renvoie à Hes. Theog. 117 et 128 et mentionne Dodone et les prêtres d’Artémis et d’Apollon au pied du Soracte ; 104, 4, p. 252, Anhang 8.

228 Les termes utilisés généralement par Bachofen dans ce contexte sont les suivants : chthonisch, tellurisch, stofflich, himmlisch, uranisch, Sonnengott.

229 104, 3, p. 138, Anhang 16-19 et 104, 10, pp. 758-788, où Bachofen démontre la même théorie à l’aide du mythe d’Osiris.

230 On préfère alors parler de l’opposition entre le tellurique et le solaire ou entre le chthonien et l’olympien, cf. R. Schlesier (1991/92), pp. 38-51.

231 104, 3, p. 138, Anhang 20 ; 104, 10, p. 280 : dans le cadre de la théorie de la collaboration des diverses puissances et de la prédominance de la terre, dont le mythe d’Osiris est une illustration, Bachofen critique à nouveau la séparation nette que fait Müller entre le chthonien et l’olympien.

232 104, 4, p. 252, Anhang 18-19.

233 104, 4, p. 252, Anhang 5 ; 17-35 ; 34, 2 et 35, 1 : « Das Ewige in der wechselnden Erscheinung, die Identität dessen, das war, das ist und das sein wird, die Gleichheit des Pinzips in allem Stoffe, die Theilnahmealler Dinge an jener Kraft, welche den Inhalt der Gottheit bildet, das ist es, was die Peliaden zuerst den Sterblichen verkündeten. Ein Gott, eine Kraft in Allem und zu allen Zeiten, und eine Mutter, in welcher jener seinerZeugung Raum und Örtlichkeit gegeben hat, eine Mutter aus deren Schooß alle nährende Frucht emporwächst. Das ist der höchste Ausdruck der Pelasgisch-Dodonaeischen Gottheitsidee. Einen höheren Adel hat der Stoff nie genossen. »

234 1 04, 1, p. 6. Cette représentation, qui se trouve dans un columbarium situé à la Porta Latina, a été découverte en 1832 par G.P. Campana, qui la publia en 1841 : Illustrazione di due sepolcri romani del secolo di Augusto, scoverti tra la via Latina et l'Appia presse la tomba degli Scipioni. Bachofen, qui s’y intéressa dès son premier voyage à Rome en 1842, en fera un chapitre important de la Gräbersymbolik. Le tableau de ce columbarium n’est pas la seule représentation d’Ocnus : Polygnote l’a peint dans la Leschè de Delphes, et il en existait également une version du peintre Socrate. Il était aussi représenté sur un autel circulaire qui se trouve dans le musée Pio-Clementino. Paus. 10, 29, 1 sq. et Plin. nat. 35, 11, 40 mentionnent Ocnus (104, 1, p. 8).

235 104, 2, p. 76, Anhang 13.

236 103, 3, p. 122 et 104, 1, p. 37.

237 104, 2, p. 44.

238 104, 1, p. 32.

239 104, l, p. 26.

240 104, 1, p. 28 et cf. supra pp. 30-32. L’antériorité de la matrilinéarité est ici clairement formulée.

241 104, 2, p. 62, Anhang 7.

242 104, 2, p. 76, Anhang 1.

243 103, 3, p. 126 : il est le fils de Manto, fille de Tirésias.

244 104, l, p. 37.

245 104, 2, p. 76, Anhang 6 et 16.

246 104, l, p. 42.

247 103, 4, pp. 167-169 ; 104, 2, p. 48 ; 104, 2, pp. 54-56 : les deux significations constituent les aspects d’une seule et même puissance, impensables l’une sans l’autre ; 104, 2, p. 62 verso, Anhang 1 et 2 (réduction de la signification positive et négative – symbole de la vie et de la mort – à la seule signification négative).

248 104, 3, pp. 84-85 pour Pénélope ; 104, 3, pp. 139-143 et Anhangpour Gygès, dont le mythe est cependant plus jeune que celui d’Ocnus, car plus compliqué.

249 104, 3, p. 139.

250 Pour les mariages entre frères et sœurs, cf. 104, 2, p. 62 verso, Anhang 15 ; pour l’union entre un père et sa fille, cf. 104, 4, p. 220 où il est question du mythe de Clyménos et Harpalycé.

251 104, 4, p. 252, Anhang 84-86 : les Selli, habitants de la région de Dodone, de même que les Hellènes, dérivent de hélos, le marécage ; le mot graikὀs (« grec »), vient de géranos, la grue, un oiseau des marécages ; d’autres oiseaux de marais ont aussi donné leur nom à des tribus, tels le héron, ardea, à la ville d’Ardea, et la cigogne, pelargós, aux Pélasges (103, 5, p. 208 verso, Anhang 13, Bachofen explique ce nom autrement : il viendrait de pel, équivalant de pen, au-dedans, et Las, le lare ; cette différence dans les étymologies d’un seul et même nom ne porte pas à conséquence, puisque le sens reste le même – le nom est chthonien – et que, comme nous l’avons vu, l’idée est unique et les formes qu’elle revêt multiples). Les Epéens, eux, tirent leur nom du cheval, equus, symbole de l’eau et dérivé de la même racine aq/eq/ap/ep que cet élément, aqua, qui a aussi donné le nom de la région Apulie (103, 6, p. 278). Le nom des Ligures fait lui aussi référence à l’humidité de la terre (103, 3, p. 111). Bachofen remarque à plusieurs reprises qu’un peuple ou une ville porte le nom de son dieu (103, 5, p. 202 ; 103, 5, p. 208 verso, Anhang 1 verso ; 6, 103, 6, p. 264 ; 104, 4, p. 252, Anhang 7 ; 104, 5, p. 282 entre autres).

252 104, 5, p. 283, Anhang 45, 1 et 2 : « Alle Sitten der Alten sind Auslfuß ihrer Religion, aus dieser Quelle stammt alles, erhält alles seine Erklärung, Staat, Leben, Kunst. Es ist alles, um einen glücklichen und sehr bezeichnenden Ausdruck Braensteds anzuwenden, eine religiöse That. »

253 103, 4, pp. 162-166.

254 104, 5, pp. 316-328 : « Überall erscheint das Wasser, das feuchte Element, als Sitz der großen Zeugungskraft der Natur. Von ihm wird das Erdreich geschwängert, und zur Hervorbringung aller Früchte bereitet. Jenem als dem männlichen tritt dieses als der weibliche Pol aller Schöpfung gegenüber. In dem Sumpfe sind die beiden zu einer ungetrennten, chaotischen Masse verbunden. Hier erscheint die Zweiheit der Grundkraft noch nicht zu gesonderten Potenzen auseinandergelegt. Das Schilfrohr, das aus dem Schlammboden emporschießt, ist die Frucht, mithin die äußere Darstellung jener in inniger Durchdringung ruhenden beiden Elemente. Es ist eine Selbstumarmung, eine in sich selbstzurückfliessendeBegattung des Stoffs, welche aus dem Sumpfgründe jenes üppige Leben hervorschießen läßt, und es stets erneuernd unvermindert erhaelt. Hier ist keines Menschen Hand thätig. Der Schlammboden allein erzeugt kraft der in ihm vereinigten Zweiheit der Schöpfungspole alles aus sich, läßt es dann absterben, und aus dem Verwelkten zum Ersatz des Gestorbenen neues Geröhr emporschießen. Ewig geht diese Arbeit fort, nie tritt Stillstand ein, nirgends wird eine Lücke sichtbar. Kleine Schilfpflanzen rücken nach, erstarken und ersetzen die dahinwelkenden Alten. In dem Sumpfe und dem ihn bedeckenden Geröhr tritt also das Gewebe der Schöpfung, der Ursprung und Fortgang der Erdzeugung, das Mysterium der ersten Ursache und Grundlage des physischen Lebens, dem erstaunten, ahnungsreichen Blick der ältesten Menschen, besonders schlagend, besonders anschaulich und besonders raethselhaft zugleich entgegen. Hier mitten in dem Röhricht errichtete er der zeugungskräftigen Materie seine Altäre, hier ahnte und verehrte er den großen Phallus der Natur. Hier erkannte er das Verhältniß zwischen Werden und Vergehn, sah deutlich an dem Absterben der alten, dem Nachschießen der neuen Pflanzen, wie Tod und Geburt nur die beiden äußersten, gleich nothwendigen Pole sind, zwischen denen sich alles Leben im Kreise bewegt. In dem Sumpfgrande tritt ihm das Chaos, die regellose Kraft der Schöpfung entgegen. Er sieht, wie das erste Wesen, das aus ihm hervorgeht, Eros ist, Eros die große vereinigende Macht der Liebe, deren Werk es ist, daß die chaotisch vermengten Elemente in steter Selbstumarmung zur Zeugung sich verbinden. Er sieht aber endlich, daß diese alle Potenzen umfassende Kraft, soll sie goldene Frucht tragen, aus der Regellosigkeit, mit der sie im Sumpfe üppig waltet, hinübergeleitet werden muß auf geregelte Bahnen, daß sie Zaum und Gebiß empfangen und dem Gesetz menschlicher Staatenordnung unterworfen werden muß. » Cette métaphore – l’agriculture et l’attelage de bêtes, surtout de chevaux – est filée à travers tout le manuscrit.

255 104, 2, p. 50, AnhangD-E et p. 62, Anhang 12-13 ; 104, 4, p. 252, Anhang 16.

256 Cf. supra p. 75 et note 26.

257 104, 4, p. 235, Anhang 255-256.

258 Pind. Pyth.10 ; cf. aussi supra, p. 111, l’étymologie de Bélénus, nom nordique d’Apollon, que Bachofen rapproche de l’âne.

259 104, 2, p. 50, AnhangC-D. Une réminiscence de cette origine se trouve aussi dans le pouvoir que ce dieu exerce sur les grenouilles. Suétone (Vie d’Octave 94) raconte que c’est grâce à sa nature apollinienne qu’Auguste arrive à se faire obéir des batraciens (104, 4, p. 204, Anhang 3).

260 104, 2, p. 51, Anhang 34.

261 104, 2, p. 62, Anhang 11.

262 104, 2, p. 76, Anhang 4-6.

263 104, 2, p. 76, Anhang 6-8 et 104, 10, pp. 722-730.

264 104, 2, p. 76, Anhang 9.

265 104, 2, p. 76, Anhang 10, Anhang 1.

266 104, 4, p. 187, Anhang 13, Anhang 4, Anhang 4.

267 Pour le combat entre Héraclès et Achélous, cf. 104, 4, p. 252, Anhang 41-43 ; pour le mythe d’Atalante, qui fait l’objet d’une analyse très détaillée, cf. notamment 104, 4, pp. 220-224.

268 104, 4, p. 252, Anhang 42, Anhang 1-p. 252, Anhang 52.

269 Cf. par exemple 104, 4, p. 202.

270 103, 3, p. 132, Anhang 2 verso.

271 Pour la relation entre la spiritualisation des dieux et l’agriculture, cf. 104, 10, p. 732.

272 Pour Apollon, cf. son rapport avec les ânes évoqué ci-dessus et son lien avec des grenouilles et autres amphibies (104, 4, p. 187 et tout le Anhangà cette page qui relate le mythe de l’Apollon de Ténédos et nous apprend qu’il est aussi un dieu des sources). Pour Diane, cf. son indentification avec la déesse tellurique Ops (103, 5, p. 208 verso, Anhang 5), sa localisation dans les marécages (104, 3, p. 166 et p. 167, Anhang 5) et le fait qu’elle est liée, comme son frère, aux symboles de l’âne et de la hache (104, 2, p. 62, Anhang 6 verso, Anhang 3 et 104, 4, p. 187, Anhang 6)

273 104, 4, pp. 196-200 et 104, 5, p. 283, Anhang 51.

274 103, 3, p. 132, Anhang 3 ; 104, 1, p. 32 ; 104, 3, p. 88 entre autres.

275 103, 6, p. 278 et 104, 4, p. 252, Anhang 64.

276 104, 9, pp. 708-710.

277 104, 5, p. 283, Anhang 11, Anhang 3-4 et p. 283, Anhang 13-22.

278 104, 5, p. 283, Anhang 11, Anhang 1 et 2.

279 104, 4, p. 187, Anhang 13, Anhang 3, Anhang 4.

280 103, 4, p. 166 pour le cygne et 104, 4, p. 187, Anhang 5 pour la hache et le crabe.

281 104, 3, p. 131 Anhang 9 pour la bague et 104, 4, p. 187, Anhang 7 pour la hache. Cf. aussi 104, 4, p. 187, Anhang 9, Anhang 3 : la signification religieuse d’un symbole précède toujours sa signification laïque.

282 104, 2, p. 76, Anhang 15 ; 104, 4, p. 251, Anhang 12. Cf. aussi 104, 9, p. 680 : le mythe est causé par le rite. Seul le symbole qui est la condition et la cause du mythe est vraiment fiable.

283 Une petite annotation marginale à 104, 3, p. 143, Anhang 12 nous rappelle qu’Ocnus est en fait un symbole, et non un mythe. Nous verrons cependant que cela n’est vrai que pour l’époque primordiale.

284 Pline, Histoire naturelle 35, 11, 40 et Properce 4, 3, 21.

285 104, 3, p. 143-p. 143, Anhang 10 et 104, 4, p. 235, Anhang 22.

286 104, 9, pp. 664-674.

287 104, 5, p. 283, Anhang 22-23 ; cf. supra la signification des abeilles.

288 104, 5, p. 283, Anhang 23-29 et Anhang 65.

289 Diod. 5, 82 : il part en Thrace pour s’y initier aux mystères de Dionysos ; selon Oppien (Choreget. 4, 265) les femmes fugitives de Thèbes lui donnent le coffre mystique contenant le jeune Bacchus, qu’il élève. Avec ses chiens dressés au combat, il se joint au dieu et l’accompagne en Inde (Nonnos, Dionysiaques 13, 5) ; chez les Syrausoniens, il est honoré dans le même temple que le dieu et considéré comme son fils (Cicéron, Verrines 4, 57). Cf. 104, 5, p. 283, Anhang 69.

290 104, 5, p. 283, Anhang 37-39.

291 104, 5, p. 283, Anhang 42-43.

292 104, 5, p. 283, Anhang 48-52.

293 104, 5, p. 283, Anhang 74, cf. manuscrit 100, p. 348.

294 104, 5, p. 283, Anhang 45.

295 GW II, p. 26 (= p. 24 B.) : « Dans toutes les civilisations, il est un seul et unique levier puissant, la religion. »

296 104, 2, p. 68.

297 104, 2, p. 62 verso, Anhang 4.

298 104, 2, p. 68, Anhang 6.

299 103, 4, p. 172.

300 104, 2, p. 68, Anhang 12.

301 Pour le lien entre le chien et le fait d’être enceinte, cf. 104, 2, p. 68, Anhang 10 et 104, 11, p. 834 ; pour le chien comme symbole de la terre, cf. 104, 2, p. 68, Anhang 11 et 104, 3, p. 113, Anhang 2 où il est également question du lien linguistique entre la colonne et le chien et de la signification de la colonne.

302 104, 4, p. 252, Anhang 87.

303 104, 5, p. 283, Anhang 19.

304 104, 5, p. 283, Anhang 13-14.

305 104, 5, p. 283, Anhang 28 et 59.

306 Plat. Symp.203 b. sqq.

307 104, 1, p. 20, où ce passage est biffé. Pour le parallèle entre la terre et Pénia, cf. 104, 8, pp. 596-606 et infra pp. 163-165.

308 104, 5, p. 283, Anhang 78.

309 104, 5, p. 283, Anhang 77.

310 104, 1, p. 28.

311 Cf. les exemples suivants et 104, 5, p. 283, Anhang 47.

312 103, 3, pp. 110-111 et 104, 4, p. 255, Anhang 55 pour Ligurós ; 104, 4, p. 239, Anhang 1 pour les deux autres noms.

313 103, 5, p. 242 verso, Anhang 4-6.

314 103, 4, p. 172.

315 104, 2, p. 68, Anhang 9, Anhang 2. La nature des Erynies, filles de la terre, confirme le caractère chthonien du droit. Dans sa conférence sur le Weiberrecht, Bachofen insiste sur l’opposition entre les Erynies et les divinités plus récentes que sont Apollon et Athéna. Cette opposition correspondra dans le Mutterrechtà celle entre un stade chthonien où règnent la matière et donc les femmes, et un stade plus spirituel, dominé par l’esprit et donc le père.

316 104, 4, p. 235, Anhang 41, Anhang 3.

317 104, 4, p. 255, Anhang 8.

318 104, 4, pp. 252 marge et 253 : « In dem (…) Hause führt Acca Larentia die Herrschaft, sie verfügt über alles gut. Das ist ganz im Sinn des alten Erdrechts gedacht (…). Nach diesemRecht ist die Mutter das allein Herrschende : sie giebt den Kindern den Namen, sie bestimmt den Adel der Abstammung, sie giebt sich zur Ehe, sie erwirbt sich selbstständig ihre dos. Denn das Weib bringt, wie die Erde, alles hervor. Die unsichtbar wirkende Kraft des Mannes kann in diesem System des rein physischen Naturrechts keine Beachtung finden. »

319 104, 4, p. 255, Anhang 18 verso : « Sie ist ihrem Mann nicht unterthan, sie verfügt frei über ihr Vermögen (…) und ist auch völlig freien Rechtes. »

320 104, 5, p. 283, Anhang 28.

321 Sa mère est Rhoio – la grenade, fille de Staphylos – la grappe de vin ; du côté maternel, nous trouvons donc deux symboles de la force créatrice matérielle.

322 104, 5, p. 283, Anhang 66-68.

323 Pour Dionysos, son hostilité au droit de la mère, son lien avec Aphrodite et la sexualité, cf. GW II, pp. 44-47 (= pp. 45-49 B.). Pour l’opposition Dionysos-Apollon dans le Mutterrecht, voir infra pp. 186-199.

324 104, 8, pp. 598-610. P. 601 : « In dem Mutterbegriff herrscht somit das Materielle, Stoffliche vor, und diese Grundseite ihres Wesens setzt sich auch darin fort, daß nur durch die Mutter alle Zeugung in das äußere sichtbare Dasein eintritt. Diesem Bilde des weiblichen Wesens entspricht nun das der Göttin. Isis vollkommen. Sie ist ganz allgemein das Weibliche in der Natur. » ; p. 602 : « Den vollsten Gegensatz zu dieser weiblichen Isisnatur bildet die männliche Potenz der Zeugung oder das Wesen des Osiris. Er tritt der Materie, dem Raum, Ort und Stoff der Erzeugung, als belebende Urkraft gegenüber. »

325 104, 8, pp. 604-610 : « War Isis jedermann sichtbar, (…) so ist dagegen Osiris der Unsichtbare. (…) Also verborgene Kraft, unsichtbares Zeugen und Schaffen ist das Wesen der Männlichkeit. Nirgends tritt sie in die Erscheinung, sie hat keinen Stoff, der dem Auge sichtbar würde. Stoff, Materie und alles was damit zusammenhaengt, Örtlichkeit und Räumlichkeit, gehört der weiblichen Natur. (…) Das angedeutete Verhältniß der männlichen und weiblichen Natur bringt es mit sich, daß die Mutter nie ungewiß sein kann, der Vater es aber nothwendig immer ist. Raum und Materie der Zeugung sind Dinge der sichtbaren Welt, und in Raum und Materie besteht der Zusammenhang des Kindes mit der Mutter. Der des Vaters ist unsichtbarer Art, wie ja die Männlichkeit ihrem Wesen nach unsichtbar und gar nicht von sinnlichem Stoffe ist, und in der ganzen Natur nirgends hervortritt (…). Die irdische Geburt hat keinen Vater, sondern die Mutter einen Mann. Das Vaterverhältniß ist immer nur durch Schluß abzuleiten. Weil die Mutter diesen Mann hat, so hat das Kind diesen Vater. Pater est quem nuptiae demonstrant. Man muß der Mutter Verheirathung kennen, um dadurch des Kindes Vater, nicht seinen wirklichen, sondern seinen rechtlichen herauszufinden. Durch seine Unsichtbarkeit und Einheitlichkeit erhebt sich das Männliche in der Natur über die Materie, die ganz dem Weiblichen anheimfällt. Sie (scil. : die Männlichkeit) scheint die Natur der Sinnllichkeit, an der sie doch ebenfalls theilhat, abzulegen, und unsichtbar über dem sichtbaren Stoffe zu walten. Sie nähert sich dem geistigen Wesen und tritt in dieser Erhebung erst in einen rechten Gegensatz zu der Weiblichkeit, die in dem Stoff und in der sinnlichen Erscheinung waltet. Darum nennt Plato das Geistige, die Idee (soulignés dans le texte) Vater, Mutter dagegen die Materie. das Räumliche und Örtliche. »

326 104, 8, pp. 610 et 634 : p. 610 : « Ihr Echo hat diese Grundanschauung von dem Verhaeltniß des Männlichen und des Weiblichen in der Natur gefunden in dem System der Namengebung, wie es die älteste Zeit befolgte, wovon aber auch späterhin, namentlich in Italien, Spuren geblieben sind » ; p. 634 : « Von den Lyciem erzählt Herodot 1, 173 (citation du passage en traduction). (…) Durch die Lykischen Grabschriften wird diese Bemerkung Herodots bestätigt. Aber darin irrt der Vater der Geschichte, daß die Lykier allein die mütterliche Abstammung in solcher Weise hervorgehoben haben sollen. Die Etruscischen Grabschriften zeigen vielmehr dieselbe Eigenthümlichkeit. » ; pp. 610-611 : « Nach den obigen Erklärungen kann das lykische System nicht mehr auffallend erscheinen. In der natürlichen Erscheinung hat die Geburt zunächst nur eine Mutter. Der Vater steht nur zu der Mutter, nicht zu ihrem Kinde in directem Verhältniß. Darum ist es ganz consequent, das Kind nur nach der Mutter Namen zu benennen, nur nach der Mutter Stand zu beurtheilen. Der Weiblichkeit gehört die Erscheinung, die Männlichkeit wirkt ganz im Verborgenen. Jene hat im Stoffe ihren Sitz, von ihr geht auch aller Stoff aus. Die männliche Zeugung dagegen hat eine immaterielle Natur, ihre Täthigkeit ist ein Erwecken, ein Beleben des im Mutterschooßeschlummernden Daseins. (…) Das heißt, er erweckt Leben, überall wo solches bisher schlief. (…) Solche Ansichten mußten das Übergewicht auf der Mutter Seite legen, und die Berücksichtigung des Vaters bei der Frage nach Adel und Abstammung gänzlich ausschließen. »

327 Cf. entre autres 104, 4, p. 235, Anhang 53 : la chaleur du soleil doit éveiller le germe de vie enfoui dans la terre et 104, 10, 792.

328 Il. 6, 146-149 : « Comme naissent les feuilles, ainsi font les hommes. Les feuilles, tour à tour, c’est le vent qui les épand sur le sol, et la forêt verdoyante qui les fait naître, quand se lèvent les jours du printemps. Ainsi des hommes : une génération naît à l’instant même où une autre s’efface » (traduction française : P. Mazon, Paris 1937-1938). Le passage discuté ici a été biffé par Bachofen.

329 104, 9, pp. 626-640. « Als Prinzip der mütterlichen <Abstammung> haben wir den Satz gefunden, daß jede Mutter die Stelle der Erde vertritt, daß somit die einzelnen Generationen mütterlicherseits insgesamt von der Erde herstammen. Prinzip der väterlichen ist hingegen der andere Satz, daß in dem Vater Osiris selbst zu irdischer Existenz gelangt, mit andren Worten, daß mit ihm ein Theil oder Ausfluß der Urkraft verkörpert erscheint. Nennen wir jeden solchen Ausfluß aus der göttlichen Zeugungsfülle der Natur, welche sich in Osiris vereinigt, einen Lar, so ergeben sich so viele solcher Laren als es Familien giebt. Jeder derselben enthält den Antheil an der allgemeinen Männlichkeit der Natur, welcher die Lebenskraft der einzelnen Familien ausmacht. Die aufeinanderfolgenden Geschlechter erscheinen hiernach nur als wechselnde Träger der gleichen Kraft. Der Lar ist immer derselbe, mag er von Vater, Sohn, Enkel, oder irgend einem weiterstehenden Gliede getragen werden. (…) Der Vater erzeugt sich in dem Sohne einen Nachfolger (…). Der Lar geht aus einer sterblichen Hülle in die andere über ; er schafft sich immer neue Organismen, in denen er wohnen kann. Jeden einzelnen dieser Organismen überdauert er. Er ist es, was bei dem Wechsel der Generationen sich gleichbleibt, bis er erschöpft und zu neuer Zeugung unfähig abstirbt (…). Jetzt ist es klar, daß die väterliche und die mütterliche Abstammung auf ganz entgegengesetzten Prinzipien beruht. Die mütterliche kennt keine Succession und kann keine solche kennen, weil von der Mutter Seite die Menschen ebensowenig von einander abstammen, als das bei den Blättern der Bäume der Fall ist. Von väterlicher Seite dagegen tritt eine Succession ein. Sie ist von der männlichen Naturkraft ebenso untrennbar, als die Nicht-Succession von der weiblichen […]. Der Sohn tritt nicht nur an des Vaters Stelle, er ist der Vater selbst. Er beherbergt und trägt mit ihm und allen dessen Vorgängern den gleichen Lar […]. In der väterlichen Linie giebt es keine Verschiedenheit der Individuen, sondern nur einen Lar. Umgekehrt giebt es in der mütterlichen keinen Lar, sondern nur Individuen. Dort hat die einzelne Person keine Bedeutung und keine Selbstständigkeit, die allein dem Lar als solchem zukommt ; hier dagegen hat nur die Person Existenz, hier giebt es keine Mehrheit miteinander durch Succession verbundener Personen. Die Folge davon ist, daß in der väterlichen Linie gar keine Abstammung genannt werden kann und genannt zu werden braucht ; man würde ja immer nur sich selbst, immer den gleichen Lar nennen, als der man eben selbst dasteht. Anders mit der Mutter ; diese muß genannt werden, und zwar in jedem Grade aufwärts besonders und von Neuem, weil sie alle gesonderte Individuen sind, die in keinem Zusammenhang untereinander stehen. Aber nicht nur der Muttemame wird dem Sohnesnamen beigegeben, sondern es ist auch das mütterliche Geschlecht, welches über Stand und Adel der Kinder entscheidet. Auch dieß wieder im Einklang mit denselben Prinzipien. In dem Vater tritt jedesmal der Lar selbst auf. Der Lar aber ist Ausfluß und Theil des großen Lar der gesamten Natur. Von der männlichen, väterlichen Seite ist daher zwischen den einzelnen Menschen kein Unterschied. Von dieser her sind sie alle gleich edler oder gleich unedler Geburt. Von Seite der Mutter dagegen tritt das Individuum hervor, das, wie es selbst die Verschiedenheit in sich schließt, so auch in die sonstige Gleichheit der Geschlechter Unterschiede hineinträgt. So ist ganz consequent, die Kinder in Bezug auf ihre Väter völlig gleich zu achten, da jeder Vater ein Lar, die Laren aber alle Ausflüße derselben Männlichkeit der Natur sind ; dagegen von der Mutter her die bürgerliche Stellung zu bestimmen, weil es nur die Mutter ist, welche als individuelle Potenz mit dem stets gleichen Lar eines Geschlechts in Verbindung tritt, und dadurch auch die individuellen Verschiedenheiten in die einzelnen Generationen desselben Gechlechts hineinträgt. »

330 GW II, pp. 94-96 (= pp. 84-87 B.).

331 « Denn in ihm (jenem berühmten Wort des Dichters) ist die Grundlage des Lykischen Mutterrechts unverkennbar enthalten. »

332 La marge de la page 610 où il est question de la relation entre les deux sexes dans le mystère de la création.

333 Pour l’importance de cette idée de succession et de continuité dans l’ascendance paternelle, et donc dans le système du droit du père, cf. notamment GW II, p. 436 (= p. 532 B.) : « Cette idée de succession, de continuité, est propre au droit paternel spirituel, et représente une des grandes conquêtes du droit romain. »

334 104, 4, p. 204, Anhang 2.

335 GW II, pp. 61-64 (= pp. 64-68 B.).

336 Dans le cadre d’une réflexion menée sur les divinités chthoniennes et leur lien avec les temps primordiaux, Bachofen ajoute que les Euménides d’Eschyle représentent l’antique droit des anciennes divinités de la terre opposé au nouvel ordre du monde, cf. 104, 2, p. 68, Anhang 6 marge.

337 Il s’agit des pages 626 à 640 du cahier 9.

338 104, 2, pp. 56-58.

339 104, 8, p. 610 et 104, 9, p. 638.

340 GW III, p. 1091 : « Mit der platonischen Grundkonzeption ist vieles von vornherein gegeben : gegeben ist die Entwicklung von unten nach oben, vom Stoff zum Geist, vom Mutterrecht zum Vaterrecht ; gegeben die Wertung dieser Entwicklungsstufen ; gegeben für die Menschheit, für die Völker, für den einzelnen Menschen das Ziel der Entwicklung : die Überwindung des Stofflich-Sinnlichen durch den Geist. »

341 Cf. supra tout le passage sur le mutisme de la matière et la parole de l’esprit pp. 127-128.

342 100, p. 348 et annexe.

343 104, 5, pp. 304-308 : « Entstanden aber ist die Materie, und mit ihr die Zeugungskraft der Materie durch das Wort, durch den Willen des höchsten Gottes, der außerhalb und über aller Materie thront. »

344 104, 2, p. 62, Anhang 7

345 104, 9, pp. 640-644.

346 Cf. la citation de Platon, République 4, 5,494 à 103, 1, p. 3 : « Die Weisheit ist ein so unendlich hehres Ding, daß man gar lange um ihren Besitz dienen muß. Alle Wahrheit aber, zumal die historische, ist ein Stück Weisheit. »

347 GW III, p. 925 (=p. 1195 B.).

348 104, 2, p. 50, Anhang D. On notera toutefois qu’il existe d’autres passages où Bachofen semble plus optimiste quant à l’issue de cette lutte.

349 104, 5, p. 283, Anhang 7.

350 104, 11, pp. 812-830.