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Quelques théories du symbole et du mythe dans l'Allemagne du XIXe siècle

Philippe BORGEAUD

« La tradition mythique (…) exprime fidèlement la loi vitale de ces époques dans lesquelles le développement historique du monde antique trouve ses fondements ; elle exprime la manière dont on pensait aux origines ; manifestation immédiatement historique, elle est une authentique source de l’histoire, en qui l’on peut avoir la plus grande confiance. »1 Cette déclaration contenue dans la préface du Mutterrecht, que Bachofen a écrite au terme de son analyse des mœurs et institutions gynécocratiques, révèle d’emblée l’importance du mythe dans l’enquête du savant bâlois. Conçu par Bachofen comme l’histoire des temps primitifs, le mythe devient un instrument capital pour ses recherches sur le droit de la mère, un droit dont les premières manifestations, selon lui, remontent précisément aux aurores de l’humanité.

Nous ne prendrons guère de risque en affirmant que, s’il avait eu une autre vision du mythe, Bachofen n’aurait jamais élaboré sa théorie du droit de la mère. Cela montre l’importance qu’il faut accorder à sa conception du mythe, une conception étroitement solidaire, chez lui comme chez les savants allemands dont il s’inspire directement, d’une approche des notions de symbole et d’histoire2.

Pour essayer de fixer l’horizon épistémologique à partir duquel on peut évaluer l’originalité de l’entreprise de Bachofen, il convient de rappeler, sous forme d’esquisse, quelques grandes approches auxquelles il se réfère constamment, explicitement ou implicitement. Nous commencerons notre parcours avec Christian Gottlob Heyne (1729-1812), l’illustre prédécesseur de F. Welcker et K.O. Müller à la chaire d'Altertumswissenschaft (Science de l’Antiquité) de l’Université de Göttingen3. Ch.G. Heyne est considéré, à juste titre, comme le père des sciences mythologiques modernes. Inventeur d’un nouveau concept qu’il oppose à la notion classique de fabula – un terme compris par la majorité des honnêtes gens, au XVIIIe s. encore, comme désignant un récit purement fictif ne correspondant à aucune réalité, extrait d’un immense musée dans lequel venaient puiser poètes et artistes – Heyne crée la notion moderne de « mythe », sous l’appellation latine mythus4, transcrivant le grec mythos. Il convient selon lui de distinguer le mythus de ce que les Anciens, de manière péjorative, désignaient comme le « mythique », le mythikon des Grecs. Contrairement au mythikon (qui se laisse traduire en fabula), le mythus n’est ni une fiction, ni une invention des poètes. Le mythus est au contraire le véhicule d’expression nécessaire, naturel et universel d’une humanité primitive. Ainsi, le mythe ne relève ni du discours poétique, ni de l’allégorie. Produit d’une humanité ancienne, il apparaît comme une réaction aux manifestations menaçantes de la nature. Né dans un passé lointain, on ne peut espérer l’appréhender à l’aide de concepts inventés dans les laboratoires du savoir moderne. Pour comprendre le mythe, il faut, selon Heyne, se référer directement aux cultures qui l’ont produit. Mais de quelles cultures s’agit-il ? Un des traits intéressants de la théorie de Heyne est de ne pas considérer la culture grecque comme une culture des mythes. Homère et Hésiode se sont certes servis des mythes, mais ils n’étaient pas encore nés à l’époque où ces mythes se formèrent. Non, les vrais mythes doivent être recherchés ailleurs, chez les peuples qui appartiennent à la même phase d’évolution que ces premiers hommes, ancêtres des Grecs : selon Heyne, les tribus indiennes d’Amérique du Nord peuvent offrir, dans cette perspective, un témoignage précieux.

Cette invitation à l’utilisation de méthodes comparatistes pour comprendre les données antiques fut largement ignorée par les successeurs immédiats de Heyne qui préférèrent aborder les Grecs comme une entité isolée et absolue. Un de ses héritiers les plus fidèles dans la voie du comparatisme fut donc Bachofen5. L’utilisation abondante que Bachofen fait des matériaux ethnologiques et des récits de voyages dans le Mutterrecht suffit à montrer son adhésion aux vues de Heyne, avec lequel il partageait non seulement la vision comparatiste, mais aussi l’ambition d’entreprendre une histoire universelle, dont la culture primitive représente l’étape la plus ancienne. L’étude des tribus primitives, pour l’un comme pour l’autre, se révèle utile pour comprendre l’Antiquité aussi bien que l’histoire de l’humanité préhellénique. Elle permet d’assigner une place aux données isolées du monde ancien et de plonger dans un passé que les sources historiques ne sauraient atteindre. Certes, comme le souligne F. Graf, Heyne ne fut pas le premier savant à se servir du comparatisme dans le champ des religions antiques. Avant lui, Giambattista Vico (1668-1744) et Johann Gottfried Herder (1744-1803) s’étaient déjà penchés sur les conceptions et coutumes des paysans des régions reculées d’Italie et des marins d’Allemagne du Nord pour comprendre les conditions de production des mythes. Mais c’est avant tout chez le Père Lafitau (1681-1746) que l’on rencontre une des premières mises en place systématiques des éléments de la théorie comparatiste. Comme l’indique le titre très évocateur de son ouvrage le plus célèbre, Les mœurs des sauvages Ameriquains comparées aux mœurs des premiers temps (1724), Lafitau s’était servi en son temps déjà des parallèles indiens pour expliquer des données isolées et donc singulières de l’Antiquité. Sous l’angle du comparatisme, Lafitau peut donc être considéré comme un précurseur à la fois de Heyne et de Bachofen6.

Les mythes seraient le produit d’une humanité primitive. Ce postulat que Heyne emprunte à ses précurseurs français du XVIIIe s. est également présent chez Bachofen qui considère les époques anciennes comme les plus fécondes en mythes et en symboles7. Comme Heyne aussi, Bachofen pense que les mythes sont le produit d’une pensée collective. A la suite de Vico, de Herder et des frères Grimm, le savant bâlois nommera Volksgeist (transposition de genius populi, « génie du peuple ») le principe de cette pensée collective8. Heyne, lui, distingue deux catégories de mythes originels, le genre philosophique, genus philosophicum et le genre historique, genus historicum. Cette bipartition que l’on retrouve également chez K.O. Müller (1797-1840)9 est absente de la pensée bachofénienne pour laquelle le mythe est l’expression d’une réaction spirituelle face aux grands bouleversements qui ponctuent l’histoire. « La recherche historique est toujours confrontée à une manifestation spirituelle soumise à l’évolution et au perfectionnement ; les éléments réels et idéels de la tradition ne se présentent pas côte à côte, séparés, mais les uns mêlés aux autres, se dérobant par conséquent à toute tentative de distinction ou de séparation ; l’histoire du passé ne permet jamais d’atteindre une vérité de l’ordre du réel, mais toujours de l’ordre du spirituel. »10 La recherche historique selon Bachofen n’a de sens que dans la mesure où elle prend pour objet les idées développées par les hommes du passé. Il ne s’agit pas de reconstituer des enchaînements de faits, mais de comprendre les réactions mentales d’êtres humains, réactions d’ordre intellectuel ou spirituel, face à ces faits. Cette conception de la recherche historique est directement rattachée à une conception du mythe comme produit de la réaction mentale. Sans exclure la présence d’éléments réels (historiques) dans les mythes – il reste en cela très proche des positions de K.O. Müller11 – Bachofen a tendance à appréhender le mythe uniquement sous son aspect idéel12. Cette méthode a plusieurs avantages. Tout d’abord elle lui permet d’utiliser et d’interpréter tous les mythes, même lorsqu’ils revêtent un air d’invraisemblance ou qu’un fondement historique leur fait défaut : « Ce qui n’a pas pu se produire n’en a pas moins été pensé » déclare-t-il dans Tanaquil13. Ensuite, elle lui permet de recourir au comparatisme : les formes revêtues par le mythe sont multiples alors que l’idée qu’elles renferment est universelle ; il s’agit là d’une affirmation qui revient comme un leitmotiv dans son œuvre14. Cette prise de position est censée lui permettre d’effectuer les rapprochements les plus téméraires, sans qu’il se soucie du contexte historique des mythes qu’il compare. Il se distingue clairement, de ce point de vue, d’un K.O. Müller partisan jaloux de la spécificité grecque et donc opposé à toute méthode comparatiste15. On le retrouve, en revanche, très proche des idées de Heyne selon qui le comparatisme se justifie par le fait que la nature humaine est homogène et immuable, et que le mythe exprime précisément les aspects constants de la pensée16.

La conception du mythe est corollaire de celle du symbole. Cela est tout particulièrement vrai en ce qui concerne Georg Friedrich Creuzer (1771-1858) dont la Symbolik und Mythologie der alten Völker, besonders der Griechenprovoqua des réactions très vives au sein de l'Altertumswissenscha.fi du siècle dernier17. Ami de Karl von Savigny (1779-1861), alors qu’il est jeune professeur à Marbourg, Creuzer est un personnage qui suscita beaucoup d’animosité autour de lui, mais aussi beaucoup d’enthousiasme. Parmi les hellénistes qui tirèrent avantage de ses travaux et qui le proclamèrent, on trouve notamment K.O. Müller, qui rédigea deux comptes rendus de la Symbolik18. L’attitude positive du grand antiquisant, lequel ne manque toutefois pas de souligner qu’il ne peut lire une page de Creuzer sans y trouver un point de désaccord19, trouve un écho amplifié chez Bachofen, que l’on présente souvent comme un héritier tardif de Creuzer. Les nombreux extraits de la Symbolik qui sont consignés dans les archives de Bâle viennent confirmer ce sentiment20. Ils attestent l’intérêt qu’avait Bachofen pour les théories creuzériennes, et sa continuelle fréquentation de l’œuvre du grand « Symboliker ». Ils nous apprennent aussi que c’est surtout dans le cadre de ses recherches sur le monde funéraire qu’il s’est intéressé à la Symbolik. Le fait est d’importance et révélateur de la vision que Bachofen a du symbole. En effet, dès ses premiers travaux sur le monde funéraire, le savant bâlois considère la tombe comme le lieu privilégié du symbole21. Ainsi dans son autobiographie, quand il relate la découverte du monde funéraire au cours de son premier voyage en Italie (1842/43), il écrit : « C’est dans les tombes que le symbole s’est formé ou, en tous les cas, qu’il s’est le plus longtemps maintenu. Ce qui est pensé, ressenti, prié en silence au bord de la tombe, aucun mot ne peut l’exprimer ; seul le symbole qui repose dans sa gravité immuable et étemelle peut le faire pressentir. »22 Dans le manuscrit 104, le symbole apparaît comme le moyen d’expression d’un peuple primordial incapable de s’exprimer autrement que sous une forme imagée. Muet, de nature profondément tellurique, le symbole renferme les premières expressions religieuses de l’humanité. Bien qu’antérieur au mythe, plus simple et moins spirituel que celui-ci, le symbole agit de manière puissante sur l’esprit humain. « Les symboles figuratifs, note Bachofen, ont par rapport à la langue et à l’écriture l’avantage de révéler non pas des éléments isolés, de manière successive et donc sur un mode progressif, mais de révéler la globalité d’un seul coup, ce qui leur confère une force incomparable. »23L’idée selon laquelle le mythe, en sa discursivité, ne peut s’attacher qu’à une seule pensée à la fois tandis que « le symbole agit sur toutes les cordes de l’esprit humain »24 est également présente dans la Gräbersymbolik, où l’on retrouve la plupart des thèses développées à ce propos dans les archives, notamment sur l’antériorité du symbole par rapport au mythe25.

Les correspondances avec la vision creuzérienne sont en effet multiples. Pour Creuzer déjà, le symbole était le moyen d’expression d’une humanité primitive dans lequel se nouaient les qualités d’instantanéité, de totalité, de profondeur, de nécessité26. Chez Creuzer aussi on trouvait, caractéristiques du symbole, cet impact fulgurant sur l’esprit humain, ainsi que la richesse débordante du contenu27. Une idée chère à Bachofen, à savoir que les mythes sont des explications (ou explicitations) des symboles, lui vient aussi de Creuzer. En une fameuse formule : « Les mythes les plus anciens ne sont que des symboles exprimés », Creuzer soulignait le caractère narratif du mythe par opposition au caractère muet du symbole28.

Malgré de très nombreux emprunts, et tout particulièrement en ce qui concerne le dossier de l’orphisme29, Bachofen n’adopte cependant pas l’ensemble de la construction creuzérienne. Il rejette le modèle d’explication global de l’histoire des religions, selon lequel des prêtres asiatiques seraient venus en Grèce pour transmettre aux « rustres » Pélasges un enseignement élevé, d’origine orientale. Confrontés à l’incapacité des Pélasges à comprendre une argumentation discursive, ces prêtres étrangers, selon Creuzer, se seraient vus contraints, pour exprimer leur doctrine, d’utiliser les symboles de la culture pélasge, auxquels ils en ajoutèrent de nouveaux. Quant aux mythes, ils auraient tout simplement été inventés, par ces mêmes missionnaires, pour expliquer les symboles. La langue imagée des mythes refléterait la manière de penser de cette humanité ancienne, incapable d’abstraction.

Comme nous l’avons vu, le mythe pour Bachofen (comme pour Karl Otfried Müller) est une création inconsciente du peuple et non une invention des prêtres. La distinction est importante. En effet, celui qui désire découvrir dans le mythe un conservatoire d’informations sur les époques reculées se doit de le concevoir comme le fruit d’un processus inconscient et collectif et non comme le résultat d’une création délibérée. Bachofen ne pouvait donc suivre Creuzer dans son hypothèse de l’origine orientale, même si le vocabulaire qu’il emploie pour critiquer cette hypothèse trahit une influence creuzérienne30.

Un autre héritage dont on repère la trace dans les archives est la théorie d’un monothéisme primitif qui aurait précédé le polythéisme31. Comme Creuzer, Bachofen croit à l’existence d’une humanité primordiale, origine de toutes les nations, dont la religion fut une religion de la nature. Profondément matérielle, avec comme unique moyen d’expression le symbole, cette religion aurait revendiqué pour divinité première la Terre, source de toute création visible. Selon Creuzer, l’évolution religieuse aurait progressé à partir d’un monothéisme pur, une religion de la nature commune à l’ensemble de l’humanité. Le polythéisme serait apparu avec la séparation des tribus. Tandis que la langue première se diversifiait en autant de langues différentes, le langage symbolique, lui, ne se différencia qu’à la manière des dialectes à l’intérieur d’une seule et même langue. Les mythes et les légendes, selon Creuzer, représentent en leur infinie diversité autant d’« idiomes d’une langue maternelle originelle, universelle, la langue imagée du Levant »32. Les similitudes entre la pensée de Creuzer et celle de Bachofen ressortent ici avec force. Outre l'interprétation du symbole comme moyen d’expression d’un peuple primordial et homogène, ils partagent la vision d’une période située avant l’histoire, hors histoire, dotée d’une religion unique dont les symboles, ainsi que les mythes créés plus tard, ont gardé le souvenir. Pour Creuzer le noyau du mythe – qui transmet une idée originelle, unitaire, en dépit des multiples versions qui apparaissent au fil du temps – repose dans la nature spirituelle de l’homme. C’est ainsi que l’auteur de la Symbolik peut déclarer que les mythes « transposent dans un fait ce qui a été pensé »33. Cette idée d’une antériorité du pensé sur le factuel est également très présente chez Bachofen qui, en cela encore, se révèle un fidèle héritier de Creuzer. Notons que la réflexion instaurée par Heyne sur la relation, dans les mythes, entre un signifié réel, factuel, et un signifié idéel sera poursuivie, après Creuzer, par d’autres mythologues encore du siècle dernier, et en particulier par Karl Otfried Müller34.

A part le motif des prêtres missionnaires, il est un second point, d’ailleurs étroitement solidaire du premier, sur lequel Bachofen est en profond désaccord avec Creuzer : sa perception finalement négative du mythe. Destinés à transmettre un enseignement élevé à des peuples intellectuellement peu développés, les mythes, selon Creuzer, sont des récits inventés de toute pièce et qui, par la suite, ont subi diverses manipulations de la part d’individus malintentionnés35. Le résultat est une masse de récits absurdes ne pouvant plus être appréhendée par une méthode rationnelle. L’interprétation des mythes finit par dépendre en premier lieu des sentiments de l’interprète. Pour Bachofen, nous l’avons vu, le mythe ne saurait être un récit absurde, mais constitue au contraire une source directe pour la connaissance des conceptions religieuses de la protohistoire36. Il est le moyen d’expression de cette ancienne humanité dont il souligne la pureté, la simplicité et la beauté, des qualités qui contrastent avec la vision creuzérienne d’un peuple rustre et limité. L’éloge que fait Bachofen de cette humanité primitive et de ses moyens d’expression, le mythe et le symbole, fait écho à un passage des Prolegomenaoù Karl Otfried Müller, déjà, s’insurgeait contre les savants qui veulent expliquer l’origine du mythe par une insuffisance du langage37. Bien qu’il suppose lui aussi que la pensée primitive est incapable d’abstraction, et que le mythe est assimilable à un langage d’enfant, Müller présente ce langage sous des dehors parfaitement positifs et ressent le besoin de le valoriser. Bachofen partage cette tendance à idéaliser les temps primitifs, tendance qui contraste avec l’attitude parfois dépréciative de Creuzer.

Un autre savant dont le travail théorique sur le mythe est relativement méconnu, mais qui a joué un rôle considérable dans la genèse du système de Bachofen, est Eduard Gerhard (1795-1867), l’auteur du texte sur la Mère des dieux dont la lecture fut décisive dans l’élaboration de l’idée du droit maternel38. Ami de Bachofen avec qui il échange une riche correspondance39, Gerhard est surtout connu comme archéologue et cofondateur de « l’Instituto di correspondenza archaeologica » de Rome, un institut prussien très actif où se retrouvent de nombreux chercheurs de langue allemande et que Bachofen fréquente dès son premier voyage en Italie (1842/43)40. Nommé membre ordinaire en 185741, publiant divers articles dans le bulletin romain, Bachofen participe avec enthousiasme à la vie de cet Institut jusqu’au jour où W. Henzen refuse la partie étymologique d’un travail portant sur le mot Tylo. Mais on est alors en 1869, bien des années après les premiers voyages de Bachofen en Italie, et huit ans après la parution du Mutterrecht.

A côté de ses travaux proprement archéologiques, Gerhard s’est également consacré à l’étude de la mythologie et de la symbolique grecques. Décrit par Preller comme un « Symboliker »42, considéré par Creuzer comme le mythologue qui lui était le plus proche43, Gerhard rêvait d’établir une grammaire des symboles, avec leurs lois d’interprétation. On trouve une concrétisation de ce projet dans sa Griechische Mythologie, un travail publié en 1854/55 et que Bachofen cite à plusieurs reprises dans le Mutterrecht. L’ouvrage occupe deux volumes, dont le premier contient une longue introduction théorique concernant, en particulier, la symbolique. Le second volume est dédié à l’étude des divinités grecques que Gerhard divise en deux catégories, les divinités olympiennes et les divinités chthoniennes, une distribution que l’on retrouve également dans le Mutterrecht44. Dans les pages consacrées à la symbolique, Gerhard explique sa démarche comme une tentative d’établir « les premiers fondements d’un lexique symbolique grec »45. Il dresse des listes de symboles en indiquant leurs significations ainsi que les monuments antiques dans lesquels ces symboles apparaissent46. Gerhard définit le symbole, dont va dépendre le mythe, comme une « expression matérielle de la puissance divine ». Ce type de communication, relevant du langage imagé des temps primitifs, se réalise sous trois formes possibles : soit à travers ce que Gerhard nomme des propriétés (Eigenschaften), soit dans des corps (Körper), soit enfin dans des actions (Handlungen). Les propriétés (ou relations) symboliques sont en priorité la forme, le sexe, le nom et les épithètes des divinités et des héros, ainsi que les couleurs et les chiffres. Les corps symboliques représentent l’ensemble des corps dans lesquels s’exprime la divinité. On y trouve les créatures naturelles, telles les animaux, la flore, la forme humaine, mais aussi des objets créés par l’homme, tels le bouclier, le disque ou le fuseau. L’utilisation de la langue symbolique s’élargit encore lorsque les propriétés et les corps sont mis en mouvement, entrant ainsi dans la catégorie des actes symboliques. Ces actes, nous dit Gerhard, servent de motif et de fondement au mythe, lequel « doit être considéré comme un développement du symbole dont il est issu »47. Pour illustrer ce passage d’un corps inerte à une action, en d’autres termes le passage du symbole au mythe, Gerhard cite l’exemple du serpent, corps symbolique qui, représenté en mouvement, intervient dans des récits de métamorphose48. Gerhard met moins l’accent sur le caractère explicatif du mythe que sur sa nature profondément symbolique49. Le mythe, chez Gerhard, est un récit dans lequel des symboles, appelés corps symboliques, accomplissent des actions symboliques qui sont la plupart du temps empruntées à la vie humaine. Le résultat est un récit d’événements vécus par des dieux ou d’autres êtres préhistoriques. Né sans intervention des prêtres, le mythe communique une poésie issue directement de la conscience populaire (Dichtung des Volksbewusstseins)50.

La réflexion de Gerhard s’appuie sur de nombreux arguments rencontrés chez ses prédécesseurs. Pour le symbole, il se réfère bien sûr à Creuzer, mais il tient également compte des positions de Friedrich Gottlieb Welcker (1784-1868) et des élèves de celui-ci, Konrad Schwenck (1793-1864) et Johann Nepomuk Uschold (1806)51. Sa vision du mythe, toutefois, reste surtout tributaire des travaux de K.O. Müller dont il ne cesse de citer les Prolegomena. A la suite de Müller, il rejette la théorie de Creuzer sur l’influence des prêtres et attribue la création des mythes à la conscience populaire, une entité impersonnelle et non arbitraire. En revanche, Gerhard se démarque très clairement du même Müller lorsqu’il reconnaît dans la religion grecque en général et dans la mythologie en particulier des éléments d’origine asiatique et nordique52. Cela l’entraîne, en fin d’ouvrage, à établir des parallèles entre la mythologie grecque et celles de l’Egypte, de l’Inde, de la Perse, de l’Assyrie, de Babylone et de Phénicie, ainsi que celles des peuples nordiques, germaniques et Scandinaves53. Le bilan de ces comparaisons est clairement en faveur des Grecs. Loin de se dissoudre au filtre de ces multiples parallèles, l’originalité de la religion grecque ressort avec force. Mesurée dans ses moyens et ses intentions, elle s’est gardée de mettre au premier plan l’exaltation qu’il croit observer dans les cultes et mythes égyptiens, indiens, perses et germains, ou la sauvagerie de certaines traditions sémitiques, ou encore la croyance en une divinité étemelle, présente depuis le début des temps. La religion grecque, dans les termes de Gerhard, est humaine. Elle fait montre d’un sentiment sain de la nature, de beaucoup de grâce poétique, d’une fraîcheur de vie imprégnée par la crainte de Dieu. On retrouve en elle, plus qu’en toute autre religion de l’antiquité, ce désir ardent de la créature pour le royaume de Dieu. La religion grecque serait ainsi une préfiguration du christianisme54.

Entre les deux pôles que représentent Fr. Creuzer et K.O. Müller, on a l’impression qu’E. Gerhard a tenté une synthèse. Sans pour autant suivre Müller dans son refus de la méthode comparatiste, il désire aussi ardemment que lui sauvegarder la spécificité grecque. Gerhard assume du même coup deux héritages spéculatifs apparemment contradictoires sur l’origine de la mythologie grecque. Ce souci de synthèse est d’ailleurs présent dans toute la partie théorique de son ouvrage : Gerhard s’efforce à chaque occasion de présenter de manière objective les points de vue des différentes écoles. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles sa Griechische Mythologie a joué un rôle capital dans le dossier que Bachofen réunit au moment où il commence à travailler à l’écriture du Mutterrecht. On retrouve en effet, chez Bachofen, ce même effort de concilier, ou de réconcilier, Creuzer avec Müller.

Dans ce bref rappel de l’horizon historiographique du Mutterrecht, il est un autre mythologue encore qu’il convient d’évoquer. Il s’agit de Ludwig Preller (1809-1861), un helléniste qui rédigea le manuel de mythologie grecque le plus important du siècle dernier55, et dont le nom est cité de nos jours encore. Preller avait déjà eu l’occasion de s’exprimer sur le mythe quelques années avant la parution de sa Griechische Mythologie, dans un ouvrage fameux consacré à Déméter et Perséphone56. Fréquemment cité dans la Griechische Mythologie de Gerhard, cet ouvrage a également beaucoup intéressé et marqué Bachofen, comme le prouve le manuscrit 96 des archives bâloises57. Intitulé « Über Preller » et rédigé probablement en 1853, ce manuscrit contient un long résumé et des extraits du Demeter und Persephone.

Il convient de relever, dans un premier temps, que la théorie de Preller sur le mythe diffère beaucoup de celle du savant bâlois. Dès la préface de l’ouvrage qui nous retient ici, Preller distingue deux écoles principales qui ont marqué jusqu’à lui les études de mythologie grecque : l’école de critique littéraire (litterarisch-kritisch) illustrée par J.H. Voss et Ch.A. Lobeck, deux « Anti-Symboliker » farouchement opposés à Creuzer, et l’école dite de critique historique (historisch-kritisch) représentée par K.O. Müller. Soit dit en passant, l’antagonisme de ces deux écoles, tel que l’expose Preller, a laissé des traces profondes dans les sciences de l’Antiquité, où l’on voit s’affronter, aujourd’hui encore, partisans d’une approche philologique stricte et austère et partisans d’une approche historique et anthropologique. Convaincu de la supériorité de la première école, Preller critique plusieurs hypothèses présentes chez Müller et que l’on rencontre aussi chez d’autres savants du siècle dernier. Ainsi il ne croit pas que les mythes sont le fruit du Volksgeist. Pour lui, ils ne sont pas le produit collectif du peuple, mais le résultat du travail des poètes. Preller condamne également l’intérêt que l’école historique porte aux mythologies locales. Il craint qu’à force de vouloir souligner les différences à l’intérieur des traditions et des cultes locaux des Grecs on finisse par perdre de vue l’unité nationale. Preller en effet oppose à l’idée d’une mythologie locale celle d’une mythologie nationale. Cette dernière, issue de la première, correspond à un stade plus élevé de l’évolution, celui de l’art et de la poésie. La mythologie nationale est une mythologie poétique. Si la mythologie est devenue un bien commun à tous les Grecs, c’est grâce au travail des poètes. Ils ont retranché des mythes tous les éléments locaux pour n’y laisser subsister que les éléments « helléniques » (nous dirions aujourd’hui, à la suite des études de Gregory Nagy, qu’ils ont gommé les éléments « épichoriques » pour mieux créer du « panhellénique »). Cette réélaboration des mythes a été telle qu’il serait vain, selon Preller, de prétendre remonter en deçà d’Homère pour essayer de reconstituer des mythologies préhelléniques. Il vaut mieux, selon lui, reconnaître et accepter notre ignorance concernant les périodes anciennes, plutôt que de travailler sur des conjectures58.

Après ces critiques adressées à l’école de Müller, lequel, faut-il le rappeler, était encore en vie au moment de la publication du livre sur Déméter et Perséphone59, Preller entreprend une analyse détaillée du mythe des déesses objets de son étude. Parmi les réflexions les plus intéressantes sur la religion et la mythologie qui émaillent son texte, il convient de relever ce qu’il écrit de l’origine soi-disant égyptienne de la religion grecque. Hérodote à qui Preller, comme Creuzer et comme tant d’autres, attribue l’origine de cette idée60, aurait méconnu selon lui deux faits importants. Le premier est que chaque religion est l’expression d’une nationalité spécifique61. Chaque peuple a donc sa manière propre de penser les dieux. L’autre point concerne la période à laquelle les contacts entre l’Egypte et la Grèce ont eu lieu. Pour Preller de tels contacts ne sauraient avoir été déterminants avant la fondation d’Alexandrie ; leurs effets remonteraient donc à une date beaucoup trop tardive pour que l’on puisse supposer une influence décisive de l’Egypte sur le plan religieux. De plus, si on lit Plutarque, on s’aperçoit que tout ce qu’il raconte dans son Isis et Osirisn’est qu’une exégèse de l’enlèvement de Koré. C’est donc bien la religion égyptienne, selon lui, qui est tributaire de la religion grecque, et non l’inverse.

L’analyse du récit traditionnel relatif à Koré entraîne Preller à s’interroger sur le problème du mythe et de son rapport à l’allégorie. Dans la représentation qu’il se fait de l’évolution historique, les religions de la nature apparaissent comme des manifestations très anciennes. Elles se seraient développées au sein des tribus agraires qui peuplèrent la Grèce avant d’être soumises aux peuples helléniques qui, eux, pratiquèrent une religion à caractère « épique » (aristocratique et guerrier). Homère s’empara des traditions épiques et, à l’issue d’un travail de réélaboration, créa une véritable mythologie nationale. Pour Preller, les quelques mythes formés au sein des religions de la nature (indépendamment des traditions proprement « helléniques » et antérieurement à leur influence) furent, contrairement aux mythes homériques, de nature allégorique. Il en irait de même pour les cultes à mystères, qui apparaissent tardivement, mais qui sont le prolongement de cultes rendus à des divinités de la nature. La mythologie, selon Preller, ne connaît pas en effet un essor similaire dans tous les domaines religieux. Elle se développe surtout dans les religions où les dieux peuvent être appréhendés par les sens, et où ils sont représentés comme semblables aux êtres humains. Les religions mystiques, en revanche, ignorant l’anthropomorphisme, ne produisent pas de véritables mythes. Leurs moyens d’expression restent l’allégorie et le symbole62.

Chez Preller, comme d’ailleurs chez tous les autres penseurs du XIXe s., la théorie du symbole et du mythe est solidaire de la façon dont est conçue l’histoire religieuse. L’allégorie et le symbole, dans son système, renvoient aux tribus qui occupèrent la Grèce avant de se trouver soumises aux peuples helléniques. Les religions de ces tribus, religions de la nature, n’eurent selon Preller aucune influence sur Homère, si bien qu’il serait vain de chercher dans l’œuvre de ce poète les traces d’une quelconque mystique63. Plus tard, probablement durant la période qui sépare Homère d’Hésiode, des éléments issus des religions préhelléniques s’introduisirent dans la religion nationale. Parmi eux l’allégorie, à laquelle on recourra toujours plus, au fur et à mesure que la mystique se répandait dans la culture hellénique.

Les mythes allégoriques apparaissent donc plus récemment, dans nos sources, que les mythes épiques. Alors même que des éléments allégoriques devaient exister au sein des religions préhelléniques de la nature, leur introduction dans la religion nationale ne remonte qu’à une époque post-homérique64. Il en va de même pour le symbole, que Preller lie à l’allégorie. Si l’on peut supposer que des éléments symboliques étaient déjà présents dans les religions de la nature, le recours au symbole, dans la religion nationale, est plus tardif que le recours au mythe. Preller affirme par conséquent que l’importance du symbole ne se manifeste qu’aux époques post-homériques. Il s’oppose ainsi à K.O. Müller, lequel déclare non seulement que les symboles sont présents depuis le début des temps, mais surtout qu’il n’existe pas de véritables mythes allégoriques65.

Il est intéressant de suivre Bachofen dans sa lecture de Preller. En désaccord sur de nombreux points, le savant bâlois a tendance à ne prendre en compte que les éléments qui vont dans le sens de sa propre pensée. Il passe sous silence maintes questions pourtant longuement débattues par Preller. Il n’évoque ni le problème de la religion nationale, ni le rôle du poète dans l’élaboration de cette religion, ni la chronologie assez précise que Preller propose pour l’histoire de la religion grecque. En revanche il s’adonne, à maintes reprises, à de longues réflexions personnelles sur des sujets qui ne figurent pas ou qui ne sont abordés que marginalement chez Preller. Après avoir évoqué la symbolique de la Terre (Gê), Preller faisait de Déméter, et non pas de Gê, l’objet principal de son étude. Bachofen, pour sa part, et alors même qu’il est en train de lire Preller, met en évidence diverses conceptions de la Terre qu’il tente de rattacher à sa propre théorie du symbole et du mythe. Pour lui, le mythe est un moyen d’expression propre au stade agraire, l’ordre naturel le plus élevé. Le stade précédent, celui de la végétation spontanée, ne produisit pas de mythes, même si cette époque a laissé de nombreuses traces dans les mythes plus tardifs, sous forme de souvenir. Un autre monde sans mythes, nous dit Bachofen, est le monde funéraire. Très ancien, ayant comme unique moyen d’expression le symbole, le monde funéraire nous permet d’appréhender un monde primitif autrement disparu mais dont les croyances furent communes à toutes les nations anciennes.

On retrouve dans ce manuscrit consacré à Preller les principaux éléments de la théorie bachofénienne : l’antériorité du symbole par rapport au mythe, le lien du symbole au monde funéraire, et le postulat voulant que le mythe soit le mode d’expression d’une humanité déjà développée. Bien qu’il soit presque constamment en désaccord avec Preller, Bachofen ne le déclare pas66. Son objectif n’est pas d’engager un débat, mais de prendre chez Preller ce qui peut alimenter sa propre théorie. Le livre de Preller ne représente pour lui qu’une excellente source d’inspiration, un terreau à partir duquel il peut développer en toute liberté ses propres réflexions sur des thèmes qui réapparaîtront aussi bien dans le Mutterrecht que dans la Gräbersymbolik.

Ce petit tour d’horizon des théories rencontrées, étudiées et parfois discutées par Bachofen a montré tout ce que le savant bâlois doit aux recherches et réflexions de ses collègues antiquisants, prédécesseurs ou contemporains, cela même sur des questions à propos desquelles il avoue implicitement ou explicitement être en désaccord avec eux. Très proche de Creuzer en ce qui concerne l’approche du symbole, Bachofen adopte sur le mythe des positions qui relèvent aussi bien des théories de Heyne, que de celles de Müller et de Gerhard. Cette diversité dans les influences s’explique par le fait que Bachofen ne s’est jamais considéré comme l’élève d’un mythologue, ni comme un mythologue tout court. Le seul savant qu’il a explicitement reconnu comme son maître fut non pas un spécialiste des religions antiques, mais le juriste Friedrich von Savigny67. Cette absence de relation maître-élève avec un mythologue précis68 n’est bien sûr pas l’unique raison qui explique la difficulté que l’on a à identifier précisément les sources dans lesquelles Bachofen a puisé ses idées sur le mythe et le symbole. La parcimonie des références concernant l’aspect théorique de sa recherche, ainsi que tout simplement l’absence d’un développement théorique rigoureux, chez Bachofen, expliquent également cette difficulté. L’érudit bâlois ne désire ni développer une théorie globale et systématique, ni véritablement discuter les théories des spécialistes. Ses réflexions sur le mythe et le symbole, ils les livre de manière dispersée et non systématique, sans éprouver le besoin de les justifier, comme si elles allaient de soi. Bien qu’elles ne soient pas à proprement parler originales, ces réflexions ne peuvent pas non plus être simplement considérées comme des emprunts. Bachofen subit des influences croisées, la plus importante demeurant sans conteste celle de Friedrich Creuzer.

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1 GW II. p. 13 (= p. 10 B.).

2 Nous avons fixé notre choix sur des savants dont les théories présentent des affinités avec celle de Bachofen. Cf. F. Graf, « La materia come maestra. La teoria del simbolo e dei miti di Johann Jakob Bachofen e i suoi presupposti storico-scientifici », Quaderni di storia 28 (1988), pp. 17-39. Les ouvrages historiographiques consacrés aux antiquisants du siècle dernier sont nombreux. Pour la naissance des sciences mythologiques, voir en particulier F. Graf, Greek mythology : an Introduction, Baltimore 1994, pp. 9-34, ainsi que W. Burkert, « Griechische Mythologie und die Geistesgeschichte der Moderne », dans Les études classiques aux XIXe et XXe siècles : leur place dans l'histoire des idées, Entretiens de la Fondation Hardt, Vandœuvres-Genève 1979, pp. 159-199. On trouvera également de nombreuses indications sur les savants qui nous intéressent chez R. Schlesier, Kulte, Mythen und Gelehrte, Anthropologie der Antike seit 1800, Frankfurt am Main 1994.

3 Voir notamment : F. Graf, « Die Entstehung des Mythosbegriffs bei Christian Gottlob Heyne », Mythos in mythenloser Gesellschaft, Das Paradigma Roms, éd. par F. Graf, Stuttgart und Leipzig 1993, pp. 284-294 ; W.W. Briggs, W. Calder III, Classical scholarship, a Biographical Encyclopedia, New York/London 1990, pp. 176-182 ; R. Lullies et W. Sobering éd., Archaeologenbildnisse, Mainz am Rhein 1988, pp. 8-9 ; O. Gruppe, Geschichte der klassischen Mythologie und Religionsgeschichte, in W.H. Roscher, Ausführliches Lexikon der griechischen und römischen Mythologie, suppl. 4 (1921), pp. 107-112 ; K.O. Müller, Prolegomena zu einer wissenschaftlichen Mythologie, Göttingen 1825, pp. 317-321.

4 Sur la notion antique et médiévale du mythe, voir F. Graf, (1994), pp. 285-287.

5 Il convient de mentionner aussi E. Gerhard, dans le supplément à sa Griechische Mythologie. Pour l’influence de Gerhard sur Bachofen et pour la question du comparatisme, voir infra pp. 55-59.

6 Comme nous l’avons montré aux pp. 29-32, l’ouvrage du Père Lafitau joue également un rôle capital dans la genèse de l’idée matriarcale. Heyne divulgua ses propres idées sur le comparatisme dans le cadre de deux discours prononcés à l’occasion d’une fête académique en 1779 et publiés sous le titre Vita antiquissimorum hominum, Graeciae maxime, ex ferorum et barbarorum populorum comparatione illustrata, in : Opuscola Academica, vol. 3, Göttingen 1788, pp. 1-38. Dans son ouvrage Apollodori bibliothecae libri tres et fragmenta, 2. éd., Göttingen 1803, p. VIII, il encourage l’étude systématique des comptes rendus de voyageurs de son époque.

7 Mutterrecht, GW II, p. 17 (= p. 14 B.) : « Produit d’une période de la civilisation, dans laquelle la vie des peuples reste liée à l’harmonie de la nature, il partage avec elle cette obéissance inconsciente à des lois, qui manque toujours aux œuvres de libre réflexion. » Gräbersymbolik, GW IV, p. 62 : « Neue Symbole und neue Mythen erschafft die spätere Zeit keine. »

8 La notion de Volksgeistest présente chez Bachofen dès le manuscrit 103 (1855), 3e cahier, p. 114, où il dit à propos du mythe de Circé : « Das ist der Grund und Kern des Mythus. Aber die Form, welche ihm der Volksgeist gegeben, giebt ganz besonderes Zeugniss von der Liebe zu dem Wunderbaren und Zauberhaften, welche die Denkweise ältester Geschlechter beherrscht. » Le Volksgeistest également invoqué par Fr. von Savigny pour expliquer la naissance du droit, cf. A. Cesana (1983), pp. 27-34.

9 Bien que K.O. Müller désapprouve la classification proposée par Heyne (Prolegomena, p. 70), il ne peut échapper au modèle dualiste qu’il recrée selon des critères encore très proches de ceux de Heyne. C’est ainsi qu’il distingue deux catégories de mythes : ceux qui contiennent des indications géographiques, historiques, cultuelles, etc., et ceux qui tendent à l’allégorie. Cf. Ph. Borgeaud et N. Durisch, « La réception de K.O. Müller chez J.J. Bachofen » dans Zwischen Rationalismus und Romantik : Karl Otfried Müller und die antike Kultur, éd. par W.M. Calder III et R. Schlesier, Hildesheim, Olms/Weidmann, 1998, pp. 99-122.

10 Tanaquil, GW VI, p. 50.

11 Même si K.O. Müller, on l’a vu, a encore tendance à classer les mythes en deux catégories, l’idée d’une étroite solidarité du réel « historique » et du pensé « philosophique » est également présente chez lui, cf. Prolegomena, p. 67, p. 109.

12 Comme l’a relevé F. Graf (1988), p. 27, le fait de comprendre le mythe comme un phénomène spirituel non réductible ne vient ni de Bachofen, ni de Müller, ni de Creuzer, mais remonte à K. Ph. Moritz (1757-1793), l’ami de Goethe. Dans sa Götterlehre oder mythische Dichtungen der Altenparue en 1791, il affirme clairement l’autonomie du mythe comme produit de l’imaginaire humain, non réductible à des événements historiques.

13 p. 10. On trouve cette même idée développée dans le manuscrit 103 (1855), 3e cahier, pp. 95-96 : « Aber im Mythus hatte diese Erscheinung volle Realität, und darauf kommt es allein an. Ja, als mythische Facten sind alle dergleichen Erzählungen lehrreicher, als wenn ihnen die Eigenschaft physischer Realität zukäme. Denn nicht aus der letzten, nur aus jenen können wir des Volkes Denkund Anschauungsweise erkennen. »

14 Par exemple, 104, 6e cahier, p. 432 : « Ocnus spricht einen Gedanken aus, der nicht einem einzelnen Volke, vielmehr dem Menschengeschlecht angehört. Er liegt allen Religionen zu Grunde, so verschiedenartig auch der Mythus sein mag, in den er sich gehüllt. Nicht in der Idee, nur im Ausdruck derselben zeigt sich Mannifaltigkeit ; und die Verschiedenheit der Religionen liegt nicht sowohl in der Grundlage, von welcher sie ausgegangen sind, als in dem, was im Fortgang der Zeit unter Einfluss des Volksgeistes bei den einzelnen Stämmen der Erde daraus geworden ist. »

15 Cf. les Prolegomena, p. 229 : « Es gibt keinen Mythus ohne Lokal. »

16 Heyne, « Sermonis mythici sive symbolici interpretatio ad causas et rationes ductasque inde regulas revocata, in : Comment. Soc. Reg. scient. Gotting., nov. ser., vol 16 (1807), p. 293 (cf. Graf 1993, pp. 9-13).

17 Cf. E. Howald, Der Kampf um Creuzers Symbolik, Tübingen 1926. Les principaux meneurs de cette lutte contre la Symbolik de Creuzer étaient J.H. Voss (1751-1826), auteur de l'Antisymbolik (1824-1826), et Ch. A. Lobeck (1781-1860), élève de G. Hermann et auteur de l'Aglaophamus (1829), un ouvrage de référence sur les mystères grecs.

18 Les comptes rendus de la seconde édition de la Symbolik par K.O. Müller ont été publiés dans les Gött. gel. Anz. de 1821 et 1825 (= Kleine deutsche Schriften, éd. Eduard Müller, vol. 2, Breslau, 1848, pp. 3-25). Cf. aussi la présentation que fait K. O. Müllerde la théorie de Creuzer dans les Prolegomena, (1825), pp. 331-336. Pour une étude récente des rapports entre ces deux savants, voir J.H. Blok, « Quest for a ScientificMythology : F. Creuzer and K.O. Müller on History and Myth », History and Theory (déc. 1994), pp. 26-52.

19 Compte rendu de la Symbolik de 1825, p. 21 : « Ref. (= Müller) weicht in mehrern der Hauptpunkte von dem Verf. (= Creuzer) so sehr ab, dass er fast keine Seite des Buches lesen kann ohne einen theilweisen Widerspruch » (« Le rédacteur du compte rendu [à savoir Müller] ne partage pas les opinions de l’auteur sur plusieurs des points principaux, si bien qu’il ne peut presque lire aucune page du livre sans trouver quelque chose à redire »). Or, malgré ce constat général, Müller souligne chez Creuzer bien des éléments positifs, tant au niveau de la théorie (le mythe, en tant que langage imagé, « bildlich », est une forme d’expression qui remonte à la plus haute antiquité ; les mythes sont souvent des interprétations de symboles ; les symboles qui désignent l’inexprimable et l’infini peuvent être appelés mystiques) qu’au niveau de l’attitude du chercheur qui doit savoir faire preuve d’enthousiasme dans l’étude des anciens mythes. Cf. compte rendu de 1825, p. 23 : « Es ist hieraus klar, dass eine gewisse Begeisterung auch dem Mythologen kaum fehlen darf und dem Verf. (= Creuzer), dass er sich derselben hingegeben, mehr zum Lobe als zum Vorwurf gereichen muss : nur ist freilich gerade hierin dem Subjektiven sehr viel Spielraum gelassen » (« Il en résulte clairement qu’une certaine forme d’enthousiasme est nécessaire au mythologue, et le fait que l’auteur s’y soit livré mérite des louanges plutôt que des reproches : en procédant ainsi on accorde cependant fatalement un grand espace à la subjectivité »). J.H. Blok (1994), p. 29, relève également de nombreux points communs entre Müller et Creuzer concernant leur compréhension de l’histoire et du mythe.

20 On trouve des extraits de la Symbolik dans le manuscrit 86, daté de fin 1851 et intitulé « Betrachtungen zu Kreuzers zweitem Bande, neuntes Capitel. Die Alt-italischen Religionen » ; dans le manuscrit 93 (datation supposée : peu après 1853) qui comporte un extrait de Creuzer, vol. II, pp. 922-925, sur les fêtes funéraires ; dans les manuscrits 100 et 101 (datation supposée 1853) qui contiennent les recherches entreprises par Bachofen en vue des trois conférences prononcées sur les tombes devant la Basler Gesellschaft für Vaterländische Altertümer. Cf. infra pp. 81-91. Outre les extraits proprement dits, mentionnons également les nombreux renvois à Creuzer. Ainsi, dans les manuscrits 98, 99, 100 et 101, qui portent sur les tombes, la Symbolik est l’ouvrage moderne le plus fréquemment cité.

21 La symbolique des tombes n’a guère intéressé Creuzer. Ce désintérêt surprend d’ailleurs Bachofen qui déclare dans le manuscrit 99 (1852/53), p. 256 : « Les propositions exprimées plus haut sur la nature de la symbolique sont confirmées et expliquées par Creuzer ; on s’étonnera d’autant plus que ce maître ne fasse aucune mention de l’utilisation des symboles dans les tombes » (« Die oben über die Natur der Symbolik ausgesprochenen Sätze erhalten durch Creuzer ihre Bestätigung und Erläuterung, und es ist sich nicht nur zu verwundern, dass dieser Meister von der Verwendung der Symbole auf Gräbern keine Erwähnung tut »).

22 Selbstbiographie (1854), p. 359 : « In den Gräbern hat sich das Symbol gebildet, jedenfalls auch am längsten erhalten. Was am Grabe gedacht, empfunden, still gebetet wird, das kann kein Wort aussprechen, sondern nur das in ewig gleichem Ernste ruhende Symbol ahnungsreich andeuten. »

23 104, 3e cahier, p. 151 : « Denn das haben bildlich dargestellte Symbole vor Sprache und Schrift voraus, dass sie nicht die einzelnen Theile successiv und daher ganz allmählig, sondern das Ganze auf einmal und daher mit der grösst erreichbaren Kraft zur Anschauung bringen. »

24 GW IV, p. 62. On se plaira à relever que cette opposition entre la discursi vité du mythe et l’instantanéité du symbole traverse tout le XIXe s., et au-delà, avant de connaître une provisoire résolution avec la théorie lévi-straussienne où le mythe, qui s’arrache à l’« histoire » pour rejoindre le symbole, est simultanément chaîne syntagmatique (mélodie) et jeu d’échos synchronique (harmonie).

25 104, 9e cahier, p. 680 : « La première expression, la seule qui soit véritablement digne de confiance est toujours le symbole même ; le mythe est causé par lui, clopine derrière lui et ne peut se prévaloir en soi que d’une autorité restreinte » (« Das Erste, allein Zuverlässige ist immer das Symbol selbst, der Mythus wird durch dieses veranlasst, hinkt ihm nach und kann für sich selbst nur wenig Autoritaet in Anspruch nehmen »).

26 Symbolik 1 (1819)2, § 33, p. 64, : « Diese höchsten Aeusserungen des bildenden Vermögens nennen wir Symbole, und auf diesen engeren Kreis verkörperter Ideen sollte diese Benennung im streng wissenschaftlichen Gebrauch eingeschränkt bleiben. Sie sagt alles, was dieser Gattung eigenthümlich ist, und sie auf die höchste Stufe erhebt : das Momentane, das Totale, das Unergründliche ihres Ursprungs, das Notwendige ».

27 Symbolik 1 (1819)2, § 31, p. 59 : « Es ist wie ein plötzlich erscheinender Geist, oder wie ein Blitzstrahl, der auf einmal die dunkle Nacht erleuchtet ». Symbolik 1 (1819)2, § 30, p. 59 : « Denn bedeutsam und erwecklich wird das Symbol eben durch jene Inkongruenz des Wesens mit der Form, und durch die Ueberfülle des Inhalts in Vergleichung mit seinem Ausdruck. »

28 Symbolik 1 (1819)2, § 41, p. 91 : « … dass, (…) viele (= älteste Mythen) ursprünglich nichts als ausgesprochene Symbole sind. »

29 Bachofen, comme Creuzer, recourt fréquemment à la littérature néo-platonicienne et néo-pythagoricienne, laquelle reposerait sur des données très anciennes.

30 Comme l’a relevé F. Graf (1988), p. 25, la formule de Bachofen « le mythe est l’exégèse du symbole » a très probablement été empruntée à Creuzer qui lui, parle précisément des prêtres, et non du Volksgeist, comme exégètes du symbole.

31 Pour une critique de cette hypothèse de la part de K.O. Müller, voir les Prolegomena, pp. 243 et sq.

32 « Mundarten einer ursprünglichen, allgemeinen Muttersprache, d.i. der morgenländisch-bildlichen », cf. Creuzer, Aus dem Leben eines alten Professors, Leipzig/Darmstadt 1848, p. 61.

33 Symbolik 1 (1819)2, § 43, p. 99 : « Hierin ist also der Grundtrieb des Mythus recht sichtbar, das Gedachte in ein Geschehenesumzusetzen. » Pour montrer comment le mythe perd peu à peu de son contenu spirituel originel, Creuzer se sert de l’exemple de la chaîne d’or de Zeus (Iliade VIII, 18 et sqq.) qu’il fait remonter à un poème hindou. Là, nous dit Creuzer, « idée, symbole et parole se répondent parfaitement ». Lors d’une seconde étape, un autre philosophe transforme le symbole philosophique en un fait (« Factum »), Le mythe qui en résulte conserve encore la brièveté et la fulgurance de l’idée originelle. Mais voilà que l’aède de l’Iliade s’empare de ce mythe, l’intègre dans le corps du récit de la guerre de Troie. Oubliant sa signification originelle, il en use à propos de divinités qui ressentent et agissent matériellement. Par rapport au symbole originel, le mythe épique a beaucoup perdu en signification spirituelle, même si l’idée originelle et sa profondeur peuvent encore survivre derrière l’enveloppe discursive : cf. Symbolik 1 (1819)2, § 43, pp. 97-99.

34 Pour Müller, Prolegomena, p. 67, pp. 70 et sqq., p. 109, le mythe est un mélange de pensé et de réel.

35 Symbolik 43, p. 553 sq. Le passage est relevé et analysé par F. Graf (1988), pp. 26 et sq.

36 Bachofen reconnaît que le temps fait subir des altérations au mythe. Mais comme ces transformations sont en général le produit d’une adaptation inconsciente et non d’une critique réfléchie, elles ne compromettent pas sa valeur informative. Le mythe, en ses altérations successives, reflète fidèlement les différentes étapes de l’évolution : cf. GW II, p. 15 (= p. 12 B.).

37 Prolegomena, pp. 78-79. Comme l’indiquent les pages 317-318, Müller pense tout particulièrement ici à Heyne dont il résume la pensée : « Le mythe est un langage d’enfant ; besoin et indigence sont ses parents. » Cela dit, Heyne est précisément l’un des premiers à avoir crédité le mythe en lui ôtant sa réputation de tissu d’absurdités. En outre, Müller comme Heyne comparent l’expression mythique à un langage d’enfant (Prolegomena, p. 267). Ainsi, le principal reproche que Müller adresse à Heyne, c’est de recourir à des valeurs négatives (besoin et indigence) pour expliquer l’origine du mythe.

38 Voir supra p. 40. Cf. R. Lullies et W. Schiering (1988), pp. 20-22. O. Gruppe (1921), pp. 141-142.

39 La correspondance est publiée dans les GW X, cf. l’index, p. 604. E. Gerhard est un élève de l’école de Boeckh et de Wolf.

40 Cf. Selbstbiographie, pp. 356 et sqq. Bachofen se lia d’amitié avec Emil Braun (1809-1856), premier secrétaire de l’Institut, et avec son collègue Wilhelm Henzen (1816-1887).

41 Dans la Gräbersymbolik publiée en 1859, Bachofen se présente comme « Membre de l’institut archéologique de Rome ».

42 L. Preller, « Friedrich Creuzer, charakterisiert nach seinen Werken » (1838), in : E. Howald, Der Kampf um Creuzers Symbolik, eine Auswahl von Dokumenten, Tübingen, 1926, p. 145

43 Préface à la troisième édition de la Symbolik, 1836, p. XII : « Après Müller, E. Gerhard s’est récemment exprimé sur la nature et le traitement de la mythologie. Non pas en raison du jugement aussi juste qu’indulgent qu’a ce savant sur la symbolique, mais parce que je ne peux faire autrement sur la base de mes convictions, je déclare ouvertement que les principes et les vues de cet homme me conviennent plus que ceux de tout autre savant. J’y trouve esprit, profondeur et circonspection » (« Nach Müller hat sich neuerlich E. Gerhard über das Wesen und die Behandlung der Mythologie ausgesprochen. Nicht weil dieser Gelehrte über die Symbolik ein eben so gerechtes als mildes Urtheil gefällt, sondern weil ich nach meiner Ueberzeugung nicht anders kann, erkläre ich offen, dass mir die Grundsätze und Ansichten dieses Mannes unter allen am meisten Zusagen. Hier finde ich Geist, Tiefe und Umsicht »).

44 Cette opposition chthonien/olympien, Bachofen la trouvait aussi chez K.O. Müller dans son livre sur les Euménides d’Eschyle, un ouvrage qu’il connaissait bien, cf. infra pp. 184-188. Gerhard lui-même renvoie aux Eleusinien (§ 26, p. 29) de Müller pour fonder sa distribution du panthéon grec. Cette opposition chthonien/olympien n’est pas présente chez Bachofen dès le début de ses recherches. Dans le manuscrit 104 (1er livre, cahier iii, Anhang zu S. 138 unten 20 ; cahier x, pp. 778-782), Bachofen critique même sévèrement Müller pour cette bipartition. Les choses changent dès la conférence sur le Weiberrechtoù Bachofen reproche à Müller non seulement de n’avoir pas compris cette opposition, ce qui paraît bien étrange au regard de la critique qu’il lui porte dans le manuscrit 104, mais encore, de ne pas l’avoir liée, comme lui, à l’opposition droit de la mère / droit du père. Sur le caractère paradoxal de cette critique, cf. G. Arrigoni, « Il maestro del maestro e i loro continuatori : mitologia e simbolismo animale in Karl Ferdinand Solger, Karl Otfried Müller e dopo », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, classe di lettere e filosofía, vol. XIV, 3 (1984), pp. 997-998. Sur la genèse de cette opposition, cf. l’article de R. Schlesier, « Olympian versus Chtonian Religion », Scripta Classica Israelica 11 (1991-1992), pp. 38-51 (republié dans Kulte, Mythen und Gelehrte (1994), pp. 21-32).

45 E. Gerhard (1854), p. 16, N. 1 : « Hier sind die ersten Grundlagen eines Wörterbuchs griechischer Symbolik versucht worden. »

46 Gerhard pratiquait ce que l’on nomme la « Kunstmythologie ». Il n’étudiait pas les monuments antiques pour eux-mêmes, mais en tant que témoignages sur l’histoire culturelle et surtout religieuse. Les exemples de symboles qu’il donne sont donc souvent tirés de représentations figurées.

47 E. Gerhard (1854), p, 7, N. 1 : « Demnach ist der Mythus als Ausführung des Symbols zu betrachten, aus dem er erwächst. »

48 E. Gerhard (1854), § 46, p. 25. Outre les figures animales et certains objets manufacturés, ce sont surtout les différentes étapes de la vie humaine, telles la naissance, le mariage, la mort, qui font l’objet des mythes.

49 Comme le relève F. Graf (1988), p. 21, il y a une certaine contradiction chez Bachofen à vouloir définir le mythe comme l’exégèse du symbole tout en désirant le faire remonter à une pensée non réflexive et non spéculative.

50 E. Gerhard (1854), § 13, p. 7.

51 De Welcker, Gerhard cite notamment le supplément aux interprétations mytho-étymologiques de K. Schwenck (Etymologisch-mythologische Andeutungen, nebst einem Anhang von Fr. Gottl. Welcker, Elberfeld, 1823). Le Sinnbilder der alten Völker de Schwenck ainsi que la Vorhalle zur griechischen Geschichte und Mythologie, Stuttgart-Tübingen 1838/9 d’uschold sont utilisés par Gerhard pour établir les premiers fondements d’un lexique de la symbolique grecque (cf. p. 16, N. 1).

52 Contrairement à Creuzer lecteur d’Hérodote, Gerhard ne croit pas à une influence directe de l’Egypte sur les débuts de la religion grecque. Il rappelle que l’influence de l’Egypte n’est attestée de manière certaine qu’à partir de l’époque historique (cf. Gerhard, § 51, p. 31). Quant à l’Inde, qui joue un rôle prépondérant dans le système creuzérien, elle n’apparaît pas non plus parmi les inspirateurs décisifs de la religion grecque aux époques primitives. Gerhard préfère mener ses enquêtes du côté nordique (en renvoyant à Ch. G. Heyne, K. Ritter et H. Müller) ou en direction des populations assyriennes (§52, p. 32).

53 E. Gerhard (1855), vol. 2, pp. 323-358.

54 E. Gerhard (1855), vol. 2, pp. 357-358.

55 L. Preller, Griechische Mythologie, Berlin 1854 ; 1860-612 ; 1872-18753 ; 1894-19264 ; édition retravaillée par C. Robert, 1964-19675. L. Preller a également publié une Römische Mythologie en 1858.

56 L. Preller, Demeter und Persephone, ein Cyclus mythologischer Untersuchungen, Hamburg 1837.

57 On trouvera un résumé et un commentaire de ce manuscrit aux pp. 76-81 de ce volume.

58 Cf. la préface du livre qui se trouve aux pp. IV à XXI.

59 Dans une lettre adressée à K.O. Müller et annonçant la parution du Demeter und Persephone, Preller explique à son aîné comment, après avoir été l’un de ses adeptes, il s’est peu à peu distancé de lui. C’est son déménagement à Kiel ainsi que l’étude de l'Aglaophamus de Lobeck qui sont à l’origine de ce changement, cf. O. Kern, éd. Ans dem amtlichen und wissenschaftlichen Briefwechsel von Carl Otftried Müller, Göttingen 1936, p. 255-257, n° 113 (lettre du 30 décembre 1836). Concernant les rapports entre L. Preller, K.O. Müller et Ch. F. Lobeck, voir l’article de F. Graf (1993).

60 Hérodote II, 52. Il s’agit du fameux passage où Hérodote dit que les Pélasges invoquaient les dieux « sans désigner aucun d’entre eux par un qualificatif ou par un nom personnel ». « Plus tard, nous dit Hérodote, après beaucoup de temps, les Pélasges apprirent à connaître, venues d’Egypte, les désignations individuelles des dieux autres que Dionysos (ils apprirent bien plus tard celle de Dionysos) » (traduction de Ph. E. Legrand, CUF). Si Preller mentionne ce passage, c’est parce que Creuzer s’y réfère précisément pour fonder sa théorie concernant la préhistoire grecque : les Pélasges, un peuple rustre, ont été éduqués par des prêtres provenant d’une culture plus développée, l’Egypte avant-poste de l’Asie. Sur ce point, Gerhard suit davantage Preller que Creuzer (cf. Gerhard (1854), § 51, p. 31). On sait que ce passage d’Hérodote n’a pas cessé de fonctionner comme un opérateur essentiel de la réflexion moderne sur la Grèce et son rapport à l’origine : voir en dernier lieu, le débat inauguré, autour de ce dossier, par M. Bernal dans Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization. vol. I. The Fabrication of Ancient Greece 1785-1985, New Brunswick 1987.

61 L. Preller (1837), p. 37 : « (…) alle Religion (…) als eine eigenthümliche Manifestation der bestehenden Nationalitäten. »

62 L. Preller (1837), pp. 276-278.

63 Pour une vue contraire, cf. K.O. Müller, Prolegomena, p. 127 ainsi que son supplément sur Homère aux pp. 348-371.

64 L. Preller (1837), p. 281.

65 Prolegomena, pp. 257-259 pour l’ancienneté du symbole et pp. 121-123 pour l’absence de mythes purement allégoriques. Comme le suggère F. Graf (1993), on peut se demander dans quelle mesure l’interprétation que Millier donne du mythe de l’enlèvement de Koré dans les Eleusinien est réellement symbolique. Notons encore que les notions d’allégorie et de symbole que Preller lie ici sont clairement distinguées par Creuzer dans le 1er volume de la Symbolik (1819)2, § 35, pp. 70 et sq., une distinction que K.O. Müller approuve entièrement dans son premier compte rendu de la Symbolik (1821), p. 6.

66 Le manuscrit 96 semble souffrir de maintes contradictions qui s’expliquent par le fait qu’il contient aussi bien des réflexions personnelles de Bachofen que des passages recopiés chez Preller, cf. infra pp. 77 et 81. Non seulement Bachofen ne commente pas ces contradictions, mais il omet d’indiquer quels passages sont de lui et lesquels sont de Preller. Le seul moyen de le savoir était donc de comparer son texte avec celui de Preller et de repérer les passages plus typiquement bachoféniens.

67 Dans son autobiographie (1854), p. 355, Bachofen se définit comme un Savignien. A la p. 338, Bachofen s’adresse à son maître en ces termes : « Je parle à un professeur, dont l’enseignement oral et écrit m’a accompagné durant toute la durée sus-mentionnée (15 ans), à qui faire confiance est depuis longtemps devenu une habitude, et dont l’âge, qui seul est capable de conférer une objectivité de jugement douce et sereine, fait naître de lui-même une franche sincérité. » On notera tout de même que dans le manuscrit 104, Bachofen utilise le terme de « Meister » pour parler de Creuzer.

68 A l’exception, il est vrai, de Karl Otfried Müller. Mais leur relation fut très brève : cf. supra p. 35. Il faut aussi relever qu’avec Gerhard, une relation d’ordre amical s’était instaurée, dont témoigne la correspondance.