Le génie orgueilleux
Orage, lustral ; et, dans des bouleversements, tout à l’acquit de la génération, récente, l’acte d’écrire se scruta jusqu’en l’origine. Très avant, au moins, quant au point, je le formule : – A savoir s’il y a lieu d’écrire. Les monuments, la mer, la face humaine, dans leur plénitude, natifs, conservant une vertu autrement attrayante que ne les voilera une description, évocation dites, allusion je sais, suggestion : cette terminologie quelque peu de hasard atteste la tendance, une très décisive, peut-être qu’ait subie l’art littéraire, elle le borne et l’exempte. Son sortilège, à lui, si ce n’est libérer, hors d’une poignée de poussière ou réalité sans l’enclore, au livre, même comme texte, la disparition volatile soit l’esprit, qui n’a que faire de rien outre la musicalité de tout.
Mallarmé, La Musique et les Lettres1
Or, en art il n’y a pas (au moins dans le sens scientifique) d’initiateur, de précurseur. Tout est dans l’individu, chaque individu recommence, pour son compte, la tentative artistique ou littéraire ; et les œuvres de ses prédécesseurs ne constituent pas, comme dans la science, une vérité acquise dont profite celui qui suit. Un écrivain de génie aujourd’hui a tout à faire. Il n’est pas beaucoup plus avancé qu’Homère.
Proust, Contre Sainte-Beuve2
« Résistons à la petite vanité d’employer les formules génératrices ». Telle est l’injonction à laquelle Gustave Lanson demande que se rendent désormais les études consacrées à la littérature, auxquelles il recommande en revanche sa « Méthode de l’histoire littéraire », publiée en 1910. Car « nous ne savons jamais tous les éléments qui entrent dans la composition du génie, ni la proportion exacte de chacun dans le mélange, et nous ne pouvons pas prévoir le produit que la combinaison donnera. […] Tous nos mots qui expriment les données, don poétique, sensibilité, etc., enferment un effroyable inconnu. Il nous faut donc nous contenter d’analyser modestement ce que nous avons devant nous, de raconter des faits »3.
Certes, Lanson n’est pas insensible à cet inconnu qui fait le génie singulier d’un auteur et qui apparaît comme la matrice profonde au principe d’une œuvre littéraire, le lieu d’où elle tire son existence et reçoit sa forme particulière. « Il y aura toujours de l’inconnu dans Montaigne et Pascal, dans Bossuet et Rousseau, dans Voltaire et Chateaubriand, dans bien d’autres encore, et de la contradiction à proportion de l’inconnu » (p. 55). D’ailleurs, concède-t-il, la littérature est née de « cette vie secrète de souffrances et de rêves qui n’a pas su se réaliser dans le monde de l’action » (p. 33) : monument où, derrière les inscriptions qui recouvrent sa surface pour s’offrir au regard des lecteurs, se trouve enfouie l’énigme d’une vie qui ne fut qu’un songe, demeuré à jamais étranger aux réalités du monde et qu’on ne saurait prétendre dévoiler.
Mais Lanson rejette les expressions qui semblent élucider cet inconnu et rendre compte de la réussite d’une œuvre en rattachant sa genèse à une donnée dont on présupposerait l’existence et à laquelle on attribuerait une autorité transcendante : comme autant de lieux communs qui ne font que se substituer aux antiques invocations à Mnémosyne, aux Muses ou à tout autre figure de l’inspiration poétique, formules convenues – « terminologie quelque peu de hasard », dirait Mallarmé – qui croient accéder au mystère de la création et en expliquer l’émergence ou la nature en se contentant de faire appel au « don poétique », à la « sensibilité » ou aux « sentiments » d’un auteur dont, depuis le préromantisme, on privilégie le génie original (cela, afin d’aller à l’encontre des principes rationnels de la poétique classique qui entend soumettre à ses règles le « vain orgueil » d’un « poète sans art » qui, comme l’affirme Boileau, dans l’ignorance de ses propres limites, reste captif de son « génie étroit »4) – soit cette « activité créatrice de la fantaisie » qui caractérise, selon l’Esthétique de Hegel, l’individu dont la subjectivité possède les dispositions naturelles lui octroyant « le pouvoir général de la création artistique, ainsi que l’énergie nécessaire » pour en tirer une œuvre dont la forme corresponde à son véritable moi5.
Qu’en est-il alors de l’origine de la littérature ? Si ce n’est de l’Hélicon, et si la référence au génie ne permet pas vraiment d’y répondre, d’où prend-elle sa source ? « Question essentielle », reconnaît Roger Dragonetti dans son étude parue en 1961 sur « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé »6. Question essentielle qui est également présente dans sa thèse sur La technique poétique des trouvères dans la chanson courtoise, où il s’agissait de revaloriser « la fonction poétique du lieu commun » à l’encontre de la tradition romantique qui, favorisant les concepts de « spontanéité » et d’« originalité », s’avérait incapable de reconnaître une quelconque puissance d’invention aux poètes de la fin’Amor7. Comment comprendre en effet les principes de la création poétique à l’époque médiévale quand on n’a rien d’autre à lui appliquer que les « formules génératrices » associées à la figure mythique d’un poète « primitif » dont l’œuvre tout entière serait due à un talent inné, ne bénéficiant d’aucune aide, ou règle, extérieure ? Cette « question essentielle » – question qui porte sur l’essence même de « l’acte d’écrire » (ou sur son manque d’essence) : sur ce qui est mis jeu au moment de s’engager dans l’activité littéraire – Dragonetti n’aura de cesse de la scruter avec une constante attention. Elle est en effet d’autant plus difficile à résoudre que la littérature elle-même semble dans l’impossibilité d’expliciter ce qu’il en est de sa propre origine et de justifier du même coup son existence : comme si, depuis qu’elle rompit avec l’antériorité d’une Voix dont la mémoire sert de fondement au discours mythique ou religieux et lui permet de légitimer sa transmission, la littérature, pour avoir fait jouer à son profit les possibilités offertes par la lettre, au moment de réfléchir sur sa genèse, était prise de vertige.
Lanson, lui, va opposer à la célébration du génie poétique placé à l’« origine » de la littérature, l’inventaire des motifs qui constituent la tradition littéraire dont a hérité une œuvre, ainsi que l’étude des déterminations socio-historiques qui ont pu influer sur sa composition. C’est en retranchant le « dépôt des générations antérieures » (p. 35) qui fonde la culture d’un écrivain, comme le « présent qui s’est infiltré en lui », qu’il serait possible de « dégager son originalité réelle » (p. 36). Mais le véritable objectif que se fixe désormais Lanson n’est plus de répondre à la question de l’origine telle que tentaient de le faire les métaphores « génériques » ni, par conséquent, de désigner cette part d’inconnu qui formerait la spécificité d’une œuvre. « Si nous devons entreprendre la description des génies originaux, comment peut-on être sûr d’y atteindre ‘ce que jamais on ne verra deux fois’ ? L’individuel est-il jamais accessible ? » D’ailleurs, affirme Lanson, « ce que le génie individuel a, tout de même, de plus beau et de plus grand, ce n’est pas la singularité qui l’isole, c’est, dans cette singularité même, de ramasser en lui et de symboliser la vie collective d’une époque et d’un groupe, c’est d’être représentatif » (ibid.). Ainsi, par exemple, alors même qu’il vient d’admettre que Racine nous intéresse moins comme représentant du théâtre classique ou comme étape dans l’histoire du théâtre français, que parce qu’il est « une combinaison unique de sentiments traduits en beauté » (p. 35) – formule dont le caractère général témoigne de la même aporie que celle qu’il dénonce par ailleurs –, au moment où il s’agit par conséquent de définir une « individualité », Lanson propose plutôt de « faire apparaître l’homme de génie comme le produit d’un milieu » (p. 36). L’individu devient l’incarnation exemplaire du groupe et la littérature, « l’expression de la société ». Aussi, plutôt que d’utiliser les données extérieures à une œuvre particulière pour en saisir la singularité, serait-ce par quelque voie négative, il s’agit de la replacer dans l’espace de la réalité commune à l’ensemble de la collectivité humaine. Grâce à la littérature, l’étude de la société pourra même s’étendre « à ce qui n’a pas d’existence actuelle, à l’invisible que ni les faits ni le pur document d’histoire ne révèlent » (p. 46). Ainsi, l’inconnu de l’histoire se verra résorbé par l’étude de la littérature et de ce qui en motive l’existence. Lanson ne renonce donc pas à connaître la genèse d’une œuvre littéraire. Au contraire. Mais l’origine tient désormais au contexte historique et aux lectures de l’auteur, et l’étude qu’on pourra lui consacrer consiste à dégager les motifs qu’ils a employés et qui remontent à d’autres textes afin de retracer la filiation dessinée par l’engendrement successif d’œuvres nées les unes des autres. Comme si, en fin de compte, la réponse à la question de l’origine ne pouvait que se partager entre l’apologie d’une « originalité » dont le caractère « génial » ne saurait être qu’ineffable, et la recherche des sources. Les résultats obtenus par cette dernière seront ensuite présentés dans le sens inverse de leur découverte, soit selon l’ordre chronologique, ce qui permet du même coup de dissimuler le caractère infini d’une telle quête et l’aporie sur laquelle elle n’aurait manqué de déboucher à son tour. Le génie cède la place aux « faits généraux » (p. 36) afin de composer une histoire de la littérature. Comme l’écrit Philippe van Tieghem, le lansonisme est une « embryogénie de l’œuvre d’art » ou, selon la formule d’Antoine Compagnon, le récit d’« une genèse sans génie »8 : enfin débarrassée de la question de l’origine.
Pourtant, Lanson ne rejette pas purement et simplement la « critique littéraire » qui privilégie l’« originalité » des œuvres, qu’il qualifie également de « critique impressionniste » (p. 32) ou, encore, de « critique de génie » (p. 47)9. Il finit même par affirmer que « l’impressionnisme est à la base […] de notre travail » (p. 38). Car « nous ne pouvons prétendre à définir ou mesurer la qualité ou l’énergie d’une œuvre littéraire sans nous être exposés d’abord directement, naïvement à son action » (p. 37). Seulement, s’il s’avère « impossible d’éliminer notre réaction personnelle », il est « dangereux de la conserver » (ibid.). Aussi faut-il finalement « donner la chasse à cet impressionnisme » et « en purger nos travaux » (p. 32). « Tout se ramène » par conséquent, pour Lanson, « à ne pas confondre savoir et sentir, et à prendre les précautions utiles pour que sentir devienne un moyen légitime de savoir » (p. 39). Il est dès lors indispensable de « faire passer nos impressions et nos idées par une série d’opérations variées qui les transforment et les précisent ». « La méthode consiste » à les combiner, pour les y soumettre, aux « procédés exacts de recherche et de contrôle, à faire intervenir à propos diverses sciences auxiliaires pour les faire contribuer selon leur portée à l’élaboration d’une connaissance exacte » (p. 43).
Modestie et humilité. Telles seraient alors les principales vertus de cette « méthode historique » (p. 33) face à la « vanité » d’une critique qui, s’appuyant sur ses seules « impressions », se complaît dans les figures grandiloquentes d’une rhétorique qui s’ingénie en vain d’élever son panégyrique à une hauteur telle qu’elle lui permette d’atteindre l’éternel génie d’une œuvre. Plutôt que de croire pouvoir l’identifier au moyen de quelque expression figée et prétendre ainsi résoudre son énigme, il s’agit de se soumettre avec patience à l’analyse précise et ordonnée des faits, en éliminant toute implication individuelle. La méthode prônée par Lanson engage donc à produire du savoir en lieu d’un inconnu afin de fonder sur lui seul toute étude de la littérature. « Il faut s’efforcer de savoir tout ce qui peut être su, par les méthodes objectives et critiques. Il faut ramasser tout ce qui peut être obtenu de connaissance exacte, impersonnelle, vérifiable » (pp. 38-39). Tel sera désormais le principal objectif de l’enseignement prodigué aux étudiants de littérature, auxquels Lanson propose le programme suivant : « il est souhaitable qu’à l’Université les jeunes gens, que l’histoire littéraire intéresse, soient exercés successivement à toutes les opérations par lesquelles elle se construit, familiarisés avec le maniement de toutes les méthodes, qu’ils apprennent à constituer une bibliographie, à chercher une date, à confronter des éditions, à tirer parti des brouillons d’un chef-d’œuvre, à trouver une source, à tracer une influence, à débrouiller les origines d’un mouvement, à séparer les éléments d’une forme hybride ; qu’ils s’essaient à des synthèses partielles, à des expositions où la vulgarisation conserve au savoir sa précision et sa solidité » (p. 52). Et si, comme le reconnaît encore Lanson, « il y a toute une partie de la littérature qui ne s’enseigne pas » (p. 54), l’Université n’a pas à la prendre en considération : elle est abandonnée à ceux qui travaillent en dehors de son enceinte (telle est la fonction, et la place, assignées aux journalistes ou aux critiques de salon…). D’autant que, si l’on peut penser qu’il « y aura toujours de l’inconnu », déjà « le domaine de la science faite, de la connaissance incontestée va s’étendant » (p. 55).
Cette méthode, Lanson n’en revendique point la paternité (il ne pouvait qu’appliquer à lui-même le schéma généalogique utilisé pour son objet). D’autres avant lui l’auraient pratiquée, avoue-t-il, notamment les historiens de la littérature antique et médiévale. Il ne ferait qu’étendre leurs procédures à l’ensemble de la littérature moderne. Cette méthode trouve en effet son modèle privilégié dans la philologie classique et romane élaborée au cours du XIXe siècle. C’est elle, affirme Lanson au seuil de son exposé, qui a permis à Gaston Paris et à Joseph Bédier de « débrouiller la littérature française du Moyen Age » (p. 31)10.
Roger Dragonetti, par contre, ne manque jamais de mettre en question les présupposés, les objectifs et les prétentions de cette méthode philologique dont Gaston Paris fut, en France, un des initiateurs et des représentants les plus importants, afin de retrouver, par delà les explications de nature historique, le génie propre à la littérature. Il vaut donc la peine de mettre en évidence ici, de manière systématique, le contredit qu’il instaure avec les principales entreprises de l’histoire littéraire définies par Lanson. Certes, Dragonetti ne s’est jamais occupé de répondre de manière explicite à ce dernier et il ne s’agit assurément pas de mépriser les réalisations que permet la « philologie » médiévale ni les repères qu’offre l’histoire littéraire. En outre, Dragonetti n’a jamais cherché à définir une nouvelle « méthode » d’analyse de la littérature et s’est toujours méfié des dangers que pouvait avoir, pour cette dernière, un attrait excessif pour l’élaboration de procédures d’interprétation dont les règles seraient prédéterminées. Car c’est l’œuvre elle-même qui serait pourvoyeuse, en dernier ressort, des modalités de sa lecture ; c’est elle qui, dans sa singularité, serait la source de son propre enseignement. Cependant, malgré le risque d’en réduire peut-être la part d’aventure, je voudrais tenter de dégager ici, en me fondant sur les différentes études publiées par Dragonetti, les principes « méthodologiques » ou théoriques qui me paraissent en gouverner la rédaction, afin de souligner à la fois la cohérence des analyses proposées et leur objet. Pour ce faire, je suivrai, dans l’ordre, la « série d’opérations » énumérées et numérotées par Lanson dans « La méthode de l’histoire littéraire » (pp. 43-45)11.
Méthode de l’inconnu
La première opération définie par Lanson pour « connaître un texte » consiste à établir s’il est bien « authentique », « faussement attribué ou totalement apocryphe », à déterminer par conséquent avec exactitude sa paternité afin de fonder son origine dans un sujet historico-biographique qui permette d’y rapporter les questions qu’elle soulève. Roger Dragonetti choisit par contre d’interroger la figure et le nom de l’auteur en termes de structure, ou de fictions, soit comme fonctions signifiantes, ce qui implique un certain nombre de conséquences sur la pratique de la lecture qui doivent être prises en compte dans l’étude même de l’œuvre. C’est ainsi qu’il s’est employé à « arracher à l’évidence le fait, communément accepté par la critique, d’attribuer le Roman de la Rose à deux auteurs réels »12 : Guillaume de Lorris, dont le nom n’apparaît jamais que dans la fiction de celui qui se présente comme son continuateur, et Jean de Meun ne seraient que « les pseudonymes d’un auteur unique », soit les composantes d’« un élément formel nécessaire à la structure » d’une œuvre qui joue de leur opposition afin de mettre en scène, au niveau même de l’instance auctoriale, le contredit qui traverse l’écriture du songe d’Amour13. De même, là où Gaston Paris et Charles-Victor Langlois déchiffrent l’énigme qui sert de signature au Roman du Comte d’Anjou, pour ensuite en retrouver la trace dans des documents d’archives et attribuer à son auteur une identité historique, Dragonetti préfère remettre en jeu l’engin rhétorique derrière lequel celui-ci dissimule son nom et son surnom afin de les récupérer, mais dans une tout autre perspective, « sous l’espèce de l’asne et de l’asnier » – celui-ci n’étant « rien d’autre que cette puissance inconnue d’où l’œuvre a surgi pour ne cesser d’y faire retour »14.
La deuxième opération à laquelle doit se consacrer l’histoire littéraire, selon Lanson, consiste à établir si un texte est « pur et complet, sans altération ni mutilation ». Roger Dragonetti semble tout d’abord vouloir s’y conformer lorsqu’il s’efforce de démontrer, dans La vie de la lettre au Moyen Age, que « le Conte du Graal était parfaitement achevé », « à l’encontre de la conviction solidement établie depuis sept siècles » qui veut que son inachèvement soit imputé à la mort de son auteur, Chrétien de Troyes15. Mais ce n’est que pour mieux la subvertir. En effet, il ne s’agit nullement de substituer à une contingence apparemment extérieure le pouvoir de décision d’un auteur resté jusqu’au bout maître de son récit afin d’assumer une clôture quelque peu abrupte. « L’interruption du roman ne pouvait être que son achèvement même, le point de suspension où le corps de la lettre dévoile son creux », soit la signature, là où l’œuvre « vient à manquer », de cette « béance du savoir » dont le Graal est, sur le plan de la narration, le « signe illisible »16. La syncope du récit que la critique attribue au décès de l’auteur devient alors, plus fondamentalement, l’effet d’une disparition inhérente à l’écriture même de cette œuvre (dont le caractère remarquable paraît emblématique d’un processus inhérent à toute littérature). Dans le Roman de Flamenca, l’absence du salut d’Amour adressé par Guillem à Flamenca par l’intermédiaire d’un mari aveugle à sa ruse, ainsi que d’autres lacunes du texte, plutôt que de résulter – par on ne sait quel accident – de la disparition de deux feuillets arrachés au manuscrit ou de diverses autres formes de mutilation, deviennent, pour Dragonetti, une invite à « jouer une lecture » qui les perçoive comme « l’effet d’une exigence formelle » interdisant toute complétude qui vienne boucler le processus signifiant17. Le fréquent état fragmentaire des textes médiévaux résulterait dès lors d’une poétique généralisée de la « discontinuité » matérialisant la « troueüre » (le trou) qui gouvernerait la « troveüre » (l’art de la trouvaille) mise en œuvre par les troubadours et les trouvères, soit l’ouverture d’un « espace d’écriture où s’entend, à la faveur d’une confusion, la voix de l’Autre dans le même, voix de l’absence dont la poésie courtoise ne cesse d’envoyer les échos dans une sorte de balbutiement rythmique et musical venu d’un ailleurs ». « Autant dire que les plaies d’amour qui affleurent dans le tissu du texte n’auront été que la peinture de ses lacunes et la semblance de ses déchirures »18.
Plutôt que de chercher ensuite, comme le propose Lanson, « la date du texte » à partir d’événements historiques auxquels celui-ci pourrait faire allusion ou de s’appuyer sur elle pour ancrer la littérature dans un contexte socio-temporel et établir un parallèle avec la biographie de l’auteur, Roger Dragonetti s’en dégage afin d’entamer « une lecture a-historique de l’écriture symbolique de l’œuvre »19. « L’an quatre cens cinquante six », date sur laquelle Villon commence son Lais, et la précision qui l’accompagne – « Sur le Noel, morte saison » – apparaissent dès lors comme les éléments d’une écriture testamentaire qui feint de passer pour un document authentique ; elles ne servent pas à « fixer une chronologie extérieure, mais une nouvelle saison de l’âme »20. Car « un poète ne fait jamais date par la chronologie, […] sinon pour couvrir une écriture qui n’est pas datable »21 – d’autant que celle-ci prend naissance, ici, à l’heure même où son auteur s’assujettit à la mort.
Au lieu de considérer les variantes d’un même texte comme le résultat d’une dégénérescence due aux interventions fautives ou intempestives de scribes successifs – variantes qui n’auraient d’autre utilité que de servir, sous forme de « fautes », à établir le stemma qui permettra de reconstruire le plus exactement possible le texte original d’une œuvre dont l’édition critique serait le miroir fidèle – Roger Dragonetti les restitue à l’activité scripturaire : prise dans la dynamique propre du démon de la lettre, l’écriture n’est jamais autre chose que « le remaniement indéfini d’autres écrits […] dont l’invention réside dans le remaniement lui-même »22. Aussi, non seulement le scribe peut « faire œuvre d’auteur » en réécrivant à sa manière le texte qu’il est en train de lire (et c’est là une pratique dont la littérature médiévale offre d’innombrables exemples, et de toutes natures), mais, voudrait-il même limiter son rôle à celui de copiste, il « ne laisse pas inchangé le texte qu’il transcrit, du seul fait que la transcription est livrée indéfiniment à la force transformationnelle de l’acte d’écriture. D’où il résulte qu’il peut y avoir autant de versions différentes de l’original qu’il y a de copies »23. L’activité du scribe rejoint du même coup la fonction essentielle que Proust assigne à l’écrivain : celui de traducteur. Car il ne saurait y avoir d’auteur parfaitement original, capable de transcrire sans le réécrire dans la langue de l’école (le lieu du savoir) – langue qu’il dut apprendre pour se faire entendre des autres mais qui ne peut qu’être étrangère à sa voix antérieure, ou intérieure (sa langue « maternelle ») – « le livre de l’inconscient, entendons ce livre aux signes inconnus que chaque écrivain porte en lui et dont il se fait l’explorateur »24 : soit cette impression qui fait « la seule matière de l’art », selon Proust, et qui pousse un individu à tenter à nouveau pour lui-même, comme si rien n’avait jamais été réalisé avant lui et que tout restait encore à faire, ex nihilo, l’aventure de la création littéraire25.
A l’établissement du « sens littéral » qui, selon Lanson, doit servir de fondement à l’analyse littéraire, Roger Dragonetti oppose « l’initiative de la lettre », dont l’étymologie, au sens des Origines ou Etymologies d’Isidore de Séville, fournirait le modèle emblématique. Le sens y apparaît, non pas soumis à une définition qui en limiterait les potentialités, mais comme « une ‘énergie’ signifiante », une enargeia dont la lettre serait « le principe dynamique et générateur »26. « Les lettres, écrit en effet Isidore, sont comme qui dirait des chemins de lecture (litterae autem dictae quasi legiterae) ou bien parce qu’elles fournissent un chemin à ceux qui lisent (quod iter legentibus praestent) ou bien parce qu’elles se réitèrent (se renouvellent) dans l’acte de lecture (vel quod in legendo iterentur) »27. La lecture « étymologique » consisterait alors à s’engager sur ce chemin de lettres en se laissant porter vers l’origine des mots qui le composent dans un élan interprétatif qui serait capable d’en dégager les potentialités signifiantes28. « Interpréter, précise Dragonetti, est donc la pratique d’une genèse verbale dont la lettre première, en mouvement, fournit la force motrice de conduction associative en direction de la naissance du mot vrai : veriloquium »29. Interprétation soumise par conséquent à « cette force obscure du sujet désirant », pris dans le tissu littéral du texte d’où surgit le rêve d’une langue autre : fiction étymologique d’une langue primitive dont la lettre serait la « force génératrice », soit la « force d’origination des figures du discours » chargées de suppléer à ce qui, au défaut des langues, « manque au savoir »30.
Impossible, du même coup, de distinguer comme le fait Lanson, le « sens littéral » (fondé sur la grammaire et les « allusions historiques ou biographiques ») du « sens littéraire », d’opposer « l’expression générale et logique des idées » et les représentations « qui forment comme le sous-sol de la vie intime de l’auteur ». Plutôt que de traduire les « intentions profondes » de ce dernier – ou d’interpréter son inconscient – il s’agit à chaque fois de mettre en jeu le génie de la lettre qui fait la raison singulière de la littérature et sa véritable source d’inspiration ; soit cette généralité dont la « puissance signifiante […] ouvre le particulier à des symbolisations multiples, tenues ensemble par un rythme dont le réel demeure hors d’atteinte »31.
Selon Isidore de Séville, « la force des lettres leur permet de nous dire, sans l’usage de la voix, ce qu’ont dit les personnes absentes »32. Cependant, cette lettre qui vient suppléer l’absence de la voix – trace d’une langue muette, figure du silence – apparaît du même coup comme le signe de la défaillance de l’Idée (platonicienne), tout comme celle de l’Etre, privé désormais d’un Verbe susceptible de le représenter et d’être le socle capable de légitimer sa parole. Si, comme l’affirme Dragonetti à propos de Mallarmé, « la lettre est de part en part sémantique »33, elle ne permet pas de fonder un savoir définitif dont l’acquis pourrait être identique pour tous et le même à tout moment. Elle est le lieu « d’une force virtuelle qui ouvre l’espace de jeu des possibilités significatives du langage » sans que rien ne vienne en immobiliser le processus vibratoire, un espace qu’aucune analyse, linguistique ou autre, ne saurait clore en le réduisant à un sens déterminé. Ce qu’il ne faut pas confondre avec la « polysémie » d’un discours qui utilise plusieurs codes sémantiques entrelacés les uns aux autres mais dont les fils pourraient être néanmoins distingués34. La lettre, au sens où l’entend Dragonetti, est le lieu d’une irréductible puissance de contestation de tous les mécanismes de maîtrise du savoir et du pouvoir qui reposent sur l’emploi du langage. Elle fonctionne sur le mode de l’allégorie, figure qui permet de signifier autre chose que le sens propre du mot employé : mais c’est une allégorie sans fin, qui porte la lecture vers une signification constamment différée. Aussi, « l’obscurité demeure, parce qu’elle dépend du sens toujours caché que les mots reçoivent du poème »35 – et qu’ils ne cessent de recevoir d’un poème qui se renouvelle lui-même indépendamment du poète ou de son génie dont on croit pouvoir identifier la voix par delà son absence.
La lettre est dès lors le véritable principe initiateur de la littérature, son initiale, le précurseur auquel répondraient les écrivains de la génération suivante : son génie. C’est à sa virtualité « vocale » que réagit chaque individu, à cette puissance d’inconnu que la littérature ouvre en lui et qui le pousse à recommencer, « pour son compte, la tentative artistique ou littéraire ». C’est à quoi répond également Dragonetti, qui ne cesse de se confronter à cette force obscure – inconnue – de la lettre. Non pour l’élucider, mais pour en faire résonner l’énigme : butée contre laquelle il se heurte – et qui ne peut, en un sens, que condamner sa lecture à l’« échec » – mais d’où celle-ci ne manque par là-même d’être relancée, sans fin.
Aussi, au lieu d’examiner la biographie d’un auteur afin d’établir « de quel tempérament réagissant à quelles circonstances » son œuvre serait l’expression, comme le réclame Lanson, Roger Dragonetti met en avant les différentes pratiques rhétoriques qui concourent « à effacer positivement l’identité historique des auteurs »36. Car « ce qui dit je ce n’est pas un sujet empirique, mais une identité fictive – celle, à la lettre, de personne –, soit une instance inconnue »37. L’auteur apparaît donc moins comme un auctor pourvu de toute l’auctoritas que lui confère la tradition (et toujours susceptible de rejoindre le geste mimétique de l’actor), que comme un autor au sens où Dante l’interprète lorsqu’il le fait dériver du verbe avieo, qui signifie je lie. L’auteur s’entend ainsi comme un lieur de lettres (ou plus exactement comme un lieur de voyelles, afin qu’elles insufflent aux lettres la voix qui leur manque), soit comme le principe rythmique à l’œuvre dans la littérature : principe musical dont l’impulsion serait le véritable moteur de toute composition artistique, au lieu d’un vide, mais qui « ne peut être repéré que dans le silence dynamique de ses nœuds »38. Aussi, plutôt que de « réduire le nom propre à une pure identité biographique »39 et écarter ainsi l’énigme que pose la genèse interne de l’œuvre en la déplaçant sur un organe à la fois externe et antérieur qui préexisterait à l’acte d’écrire, il s’agit de répondre aux pratiques signifiantes du nom propre, telles les pseudonymes et autres engins comme celui dont joue l’auteur du Comte d’Anjou, qui consistent à « sauvegarder la part d’anonymat dans le travail de l’écriture en le recouvrant du nom d’un ‘autre’ »40. L’engin, qui désigne en ancien français les anagrammes, acrostiches et autres artifices avec lesquels certains auteurs signent leurs œuvres, et qui signifie également la ruse, représente ainsi de manière emblématique, pour Dragonetti, le véritable génie de la littérature (les deux mots provenant du même étymon : ingenium). Il n’y aurait de génie, dans les Lettres, qu’à partir du moment où celles-ci jouent entre elles de telle sorte à former un masque textuel derrière lequel l’auteur peut enfin disparaître. Le « personnage de conteur ou de chanteur lyrique » apparaît du même coup comme un produit de l’œuvre, davantage que son principe de causalité41. C’est ainsi que Chrétien de Troyes devient le « chrétien de Troie », dissimulant derrière le nom de la ville de Champagne celle de la cité païenne (dont les principales lignées du Moyen Age tirent d’ailleurs, grâce au roman, leur origine), cité dont il affuble orgueilleusement « la sirène antique d’un revêtement chrétien »42 ; que le nom de Jean Renart résume les « deux modes de la ruse », secrète et spectaculaire, mise en œuvre dans ses différents romans43 ; que celui de Rutebeuf, comme celui-ci le fait constamment entendre, s’identifie à l’animal dont la rudesse tient lieu de signature au sein d’une œuvre qui ne cesse de mettre en cause la vanité des vêtements rhétoriques dont se pare le poète croyant pouvoir échapper au jeu cruel du « démon de la ruse » qui le met à nu à coups de dés44 ; que le nom de François Villon porte à la fois la marque de sa « franchise », ou de son « affranchissement », et celle de sa « guille », de sa ruse, et tout aussi bien de cette « vilenie » qui vient contredire la poésie « courtoise »45. Quant aux nombreux Guillaume de la littérature médiévale, leur nom renvoie encore une fois à la ruse en jeu dans tout art de la lettre. Il ne saurait, alors, être indifférent que le premier troubadour connu, et vraisemblablement le premier auteur médiéval à faire œuvre non à partir de la Parole révélée, celle de la Bible ou des légendes hagiographiques, mais « de dreit nien », s’appelle Guillaume IX, le Comte de Poitiers, le « plus génial des Provençaux » (situé vers 1100). « Au commencement était Guillaume », affirme Dragonetti46. La rase prend désormais la place du Verbe divin. Ruse inaugurale d’une littérature qui se retrouve du même coup chassée d’un Paradis dont elle ne cesse de provoquer la nostalgie afin d’en recréer le rêve, et dont l’animal emblématique serait, avec le serpent de la Genèse, Renart : soit cet « art du rien » dont les fables voilent la gueule béante criant famine qui menace d’emporter au fond de son gouffre celui qui se laisse séduire par sa rhétorique47. Du coup, la lecture devient l’art de déjouer les stratagèmes d’un récit qui fait le mort pour mieux prendre son lecteur à la gorge. Car la littérature met en scène, pour son propre compte, les pratiques rusées ou mensongères d’une parole qui sert à masquer les stratégies de pouvoir de ceux qui l’emploient et dénonce ainsi les Renart de tous les états du monde qui s’en emparent pour asseoir leur domination, serait-ce derrière la revendication d’un « parler vrai » : en l’absence d’un langage qui soit transparent, mais encore d’une conscience qui puisse en avoir la maîtrise, il n’y a pas de « sincérité » ou de « naturel » qui ne soit déjà un effet du discours48. Cependant, la lecture est également « le plaisir de déchiffrer » cet « événement symbolique » qu’est une œuvre littéraire, à l’écart aussi bien de la vérité de Dieu, des exigences d’une morale confiante en ses préceptes, que des repères extérieurs offerts par la biographie de son auteur : quête « d’une identité inconnue, voire introuvable (ou toujours à trouver) dont le propre, hors d’atteinte, demeure à la fois, pour l’écrivain et son lecteur, le pôle fascinant et la raison d’être du roman »49.
A la « recherche des sources » qui, selon Lanson, doivent permettre de connaître les matériaux qui sont entrés dans la fabrication d’une œuvre, Roger Dragonetti oppose « le traitement rhétorique des ‘sources’ » dont témoigne la mise en scène, si fréquente dans la littérature médiévale, d’un livre latin, d’un conte ou de quelque lai breton que l’écrivain se contenterait de traduire et dont l’existence permettrait d’autoriser la pratique littéraire et de régler la question de sa provenance ; rhétorique de l’origine à laquelle participent également les fausses attributions d’auteurs et de citations, les falsifications de documents authentiques, les récits historiques fabriqués à toutes fins utiles, ainsi que les autres formes de supercheries qui relèvent de cet art du faux auquel les écrivains médiévaux se prêtent afin de fonder la vérité de leurs récits50. Non pour condamner une telle pratique, mais pour souligner un usage de la fiction qui « ne vise pas à exprimer la vérité, mais à la construire rhétoriquement et symboliquement en vue de la persuasion »51. A quoi l’on peut d’ailleurs associer les diverses pratiques de réécriture qui, au Moyen Age, participent de l’invention littéraire : reprises des lieux communs puisés dans la tradition, imitations, compilations, copies et toutes sortes d’emprunts, restitués par Dragonetti à leur force créatrice contre le primat romantique de l’« originalité », de la « sincérité » ou de la « propriété littéraire ».
Enfin, plutôt que d’étudier « le succès » et « l’influence » d’une œuvre, soit sa réception, au risque parfois pour le critique de soumettre sa propre lecture à celle du public apparemment visé par l’auteur, Roger Dragonetti préfère mettre en évidence la puissance de renouvellement de la littérature dont le mystère – et la « modernité » tout aussi bien – invite à chaque fois le lecteur à s’interroger lui-même « en questionnant le texte »52 : seule façon de répondre véritablement à « la force d’attraction de l’inconnu » qui ne cesse de faire retour dans la lettre de l’œuvre53. Impossible, par conséquent, de prendre simplement appui sur la bibliographie antérieure pour y ajouter une étude qui n’aurait d’autre ambition que de participer à cette entreprise de totalisation du savoir rêvée par Lanson et qui devrait aboutir à la constitution d’une Histoire littéraire intégrale et généralisée à laquelle chaque chercheur contribuerait harmonieusement en y apportant, humblement, le fruit d’un travail dont le champ aurait été préalablement défini. L’inconnu, au sens où l’entend Dragonetti, ne saurait être résorbé par l’érudition (ce qui n’implique pas qu’il faille pour autant la négliger). Car elle est un fait de structure et non un défaut d’information dans l’attente d’être comblé par la patience du chercheur qui voudra bien s’y atteler ou par quelque heureuse trouvaille. Quels que soient les progrès de la recherche et le perfectionnement des méthodes d’analyse, l’inconnu reste à jamais foncièrement inentamé. Aussi peut-on dire, pour paraphraser Proust, que chaque lecteur a, encore aujourd’hui, « tout à faire ». « Il n’y a donc pas d’histoire de la littérature, souligne Dragonetti, mais un ensemble de tentatives individuelles en direction de ce que Mallarmé appelle […] ‘l’in-individuel’. Chaque tentative est frappée d’une interruption radicale si bien que l’échec de l’une faisant place à l’échec de l’autre, révèle la faille qui troue l’histoire du sujet et par là même renvoie à ‘l’énigme en poésie’ qui est selon le mot de Mallarmé, ‘le but de la littérature’ »54.
Roger Dragonetti ne peut, par conséquent, qu’avoir une tout autre conception de l’enseignement que celle proposée par Lanson, qui a largement dominé, et domine encore aujourd’hui, en partie, l’Université, l’Université française tout particulièrement : et notamment l’enseignement de la littérature médiévale (ainsi que les entreprises éditoriales qui y sont attachées), qui semble accaparé par la préparation des concours comme si c’était là l’unique justification possible de son existence et le seul moyen de ne pas voir disparaître cette matière. A une telle conception, orientée principalement vers la constitution d’un savoir et qui ne trouve pas d’autre raison d’être à l’étude de la littérature que celle que lui attribue l’Institution, répond l’ouverture de l’oreille intérieure de chacun à la voix inouïe qui sourd de la lettre du texte. « L’essentiel, souligne Dragonetti, c’est qu’il y ait, à travers celui qui enseigne, un certain désir qui permette à ceux auxquels vous vous adressez de s’éveiller, bien sûr au savoir que vous enseignez, mais beaucoup plus à leur propre cheminement. A partir du moment où l’enseignement est d’abord force d’éveil, ceux qui sont éveillés, laissez-les courir leur propre aventure : ils n’arrêteront plus de chercher eux-mêmes leur propre voie. Le savoir peut vieillir. Ce qu’on savait hier, on peut parfois l’abandonner. Mais pas la voix que vous avez entendue. Ça, ça ne vieillit pas. Ça continue à résonner en vous »55.
Spéculation philogrammatique
En s’opposant ainsi aux principales opérations de l’histoire littéraire, Roger Dragonetti ne ferait-il que retrouver, sous une version plus « moderne », l’« impressionnisme » qui semblait caractériser la critique dénoncée par Lanson ?56 En attirant l’attention sur la force littérale d’un texte plutôt que de transmettre les connaissances objectives que l’on peut accumuler à son propos, en centrant sa lecture sur cette voix insaisissable qui traverse les Lettres, se contenterait-il de revaloriser l’inspiration comme fondement – inconnu – du génie de la littérature ? Non, évidemment. Il n’est pas question de rétablir l’ancienne rhétorique romantique glorifiant le sacre d’un écrivain dont l’« originalité » serait l’expression d’une subjectivité indépendante de toute grammaticalité de la langue. Au contraire. Au « coup d’aile »57 de l’inspiration, Dragonetti oppose, avec Mallarmé, la spéculation – au sens où l’entend ce dernier lorsque, au moment de reconnaître « en le son nul » de cette phrase insolite, venue de nulle part, qui chantait sur ses lèvres, « La Pénultième est morte », « la corde tendue de l’instrument de musique, qui était oublié et que le glorieux Souvenir certainement venait de visiter de son aile ou d’une palme », il sourit, « le doigt sur l’artifice du mystère », et se met à implorer « de vœux intellectuels une spéculation différente »58. Car « Le Ciel est mort »59 et, avec lui, « l’ancien souffle lyrique »60 qui, naguère encore, semblait capable d’emporter le Poète jusqu’à la source d’une Parole dont l’autorité divine le transformerait en son pur réceptacle. Du concert des sphères, il ne reste que « le son nul » – un son, mais dont la manifestation sonore se charge tout aussi bien du silence d’un « son nul » : « nul ptyx, / Aboli bibelot d’inanité sonore »61 – dans l’attente d’une « spéculation différente » : celle qu’offre le miroir de l’art, réduit désormais à n’être qu’un artifice, se réfléchissant lui-même afin que résonne, « au creux néant musicien »62, le mystère qui habite tout instmment de musique.
Une telle spéculation fut, pour Mallarmé, le résultat de la profonde crise métaphysique qu’il venait de traverser et qu’il relate en particulier dans une lettre fameuse écrite le 14 mai 1867 à son ami Cazalis, lettre que Roger Dragonetti cite à de nombreuses reprises. Il nous faut, à notre tour, nous y arrêter. Car là où Lanson applique la philologie médiévale à l’étude de la littérature moderne, Dragonetti s’appuie sur la « Philologie » au sens où l’entend Mallarmé dans Les mots anglais – soit cet art « inhérent au génie septentrional qu’est l’allitération »63 – pour mettre en cause la domination exercée sur la littérature du Moyen Age – une littérature qui, dit Mallarmé, « à jamais, reste l’incubation ainsi que commencement de monde, moderne »64 – par une tradition philologique qui présuppose la présence d’une signification déterminée qui préexisterait à toute littera et qu’elle se charge de dégager. Aussi, la lecture de Mallarmé par Dragonetti peut-elle, en retour, nous permettre de préciser le fondement « méthodologique » – ou sa fiction, au sens où Mallarmé affirme que « toute méthode est une fiction », dans la mesure où celle-ci est le « procédé même de l’esprit humain » du fait que le langage en est l’« instrument » privilégié65 – qui sous-tend l’entreprise critique qu’opère Dragonetti à l’égard de la littérature (ou serait-ce de l’allitérature ?) – à défaut peut-être de dissiper le « malaise » (qui n’a plus rien de « divin »…) engendré auprès de ceux qui cherchent à reposer leurs commentaires sur leurs certitudes d’être bien là où ils sont (c’est-à-dire à la place où les assigne l’Institution)66.
La crise éprouvée par Mallarmé commença, dit-il, par une « lutte terrible avec ce vieux et méchant plumage, terrassé, heureusement, Dieu ». Mais une telle victoire portait en elle-même sa défaite :
[…] comme cette lutte s’était passée sur son aile osseuse, qui, par une agonie plus vigoureuse que je ne l’eusse soupçonné chez lui, m’avait emporté dans des Ténèbres, je tombai, victorieux, éperdument et infiniment – jusqu’à ce qu’enfin je me sois revu un jour devant ma glace de Venise, tel que je m’étais oublié plusieurs mois auparavant.
J’avoue, du reste, mais à toi seul, que j’ai encore besoin, tant ont été grandes les avaries [sic] de mon triomphe, de me regarder dans cette glace, pour penser, et que si elle n’était pas devant la table où je t’écris cette lettre, je redeviendrais le Néant. C’est t’apprendre que je suis maintenant impersonnel, et non plus Stéphane que tu as connu, – mais une aptitude qu’a l’Univers Spirituel à se voir et à se développer, à travers ce qui fut moi67.
La mort de l’Ange qui fut Dieu, terrassé – ramené à terre – par qui osa se mesurer à lui, moins pour s’emparer de son pouvoir que pour l’en priver, ouvre désormais un espace vidé de tout principe transcendant d’où le génie de la poésie puiserait son inspiration afin de permettre à sa parole d’accéder à l’Idéal. Au souffle créateur auquel se soumet toute conception théologique ou lyrique du discours, succède un Coup de dés lancés au hasard : soit le geste destructeur (dont Dragonetti fait rejaillir le préfixe sur son homonyme et, du même coup, sur Dieu)68 d’une pratique littéraire qui ne peut que mettre en cause l’autorité divine d’un langage fondé sur le Nombre. « La Destruction fut ma Béatrice », affirme Mallarmé dans une lettre écrite quelques jours après la précédente à son ami Lefébure69. La négation du fondement ontologique de la Parole représenté par l’Ange (le messager de Dieu, soit son porte-parole), auquel est refusée la possibilité de servir de modèle à une mimesis littéraire désormais privée de tout référent, implique du même coup la Chute du poète, emporté à la suite de Lucifer dans l’abîme angoissant du Rien (Mallarmé réunissant ici en une seule et même figure, comme s’il s’agissait de les confondre ou d’interchanger leurs qualités, Jacob, obligé de lutter jusqu’à l’aurore contre l’Ange mystérieux qui lui interdit le passage de la rivière, et Satan, dont la révolte entraîna la perdition).
Cette descente en Enfer va cependant déboucher sur un miroir. Comme suspendu entre Dieu et le Néant, ce dernier semble interrompre le déclin du sujet. Le reflet qui s’y projette permet en effet à celui qui allait être englouti dans le vide de retrouver ce qu’il était et qu’il avait oublié, qui avait été en quelque sorte perdu de vue. Ce reflet s’avère également indispensable à l’exercice de la pensée. C’est grâce à la présence de ce miroir que Mallarmé peut affirmer dans sa lettre à Cazalis qu’au terme de la crise dont il fit l’expérience, sa « Pensée s’est pensée, et est arrivée à une Conception Pure »70. Sans cette glace devant elle, la plume qui s’applique à tracer des lettres sur la page blanche aurait plongé tout entière dans la Nuit. Mais celui qui s’y regarde et qui tient la plume n’a désormais plus rien à voir avec ce « Stéphane que tu as connu ». Il n’y a là aucune raison maîtresse d’elle-même pour appartenir à celle d’un homme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, nul sujet d’un cogito cartésien. Le je a été emporté dans le jeu de dés (pluriels) de la littérature, dont les « vingt-quatre signes » lancés dans l’abîme s’avèrent incapables d’interrompre leur course en s’immobilisant enfin sur le Nombre de l’unité71. Il n’y a plus personne – sinon, peut-être, un pur Esprit qui se donne à voir « à travers ce qui fut moi » et qui, au même moment, s’efface tel un fantôme au profit de son double spéculaire72.
Ce miroir où le génie poétique réfléchit son absence en même temps que celle du monde qu’il a entraîné dans sa Chute pour le réduire à « une poignée de poussière », est l’instrument emblématique de cette « spéculation différente » que permet, selon Mallarmé et, avec lui, Dragonetti, « le langage se réfléchissant » qui caractériserait toute fiction littéraire73. Au lieu d’une Parole de vérité, la littérature n’offre qu’un « spectacle » de Lettres, mis en scène « dans l’espoir de s’y mirer »74. Telle serait sa « vocation » : comme le souligne Charles Méla, la réflexion menée par Dragonetti consiste à « partir du Verbe, pour définir avec Mallarmé la littérature comme lieu de sa disparition, donc comme pure fiction de sa présence »75. Ce miroir des lettres permet alors de surmonter l’inquiétude engendrée par l’épreuve du Néant en tentant, sur le mode « d’une genèse réfléchissante »76 opérée par une parole qui s’autogénère (ou se régénère) à partir des lambeaux retirés du naufrage de la langue primordiale, de « tout recréer, avec des réminiscences »77. Mais une telle fiction spéculaire est toujours susceptible de se transformer en un mirage fascinant où l’écrivain (et son lecteur après lui) ira s’éprendre de l’apparence illusoire de quelque « Glorieux Mensonge »78 produit par l’art rhétorique et musical du bien dire : à l’instar de Narcisse, Narcisus li orgueilleus comme l’appelle le Roman de la Rose, dont la superbia (Ovide) finira par s’arrêter devant l’image qu’il voit se refléter sur l’eau du mireors perilleus (pour citer à nouveau le Roman de la Rosé), après avoir repoussé tous ceux qui lui offraient leur amour, dans l’attente qu’il était à son insu de ce visage à la beauté unique qu’il incarnait, encore inconnu de lui-même. Retenant ses larmes pour qu’en tombant elles n’emportent dans les replis de l’onde l’image dont elles auraient dérangé la belle ordonnance79, ne pouvant la toucher du doigt, Narcisse s’avère incapable de plonger jusqu’au fond obscur du puits que dérobe la lumière de ses yeux afin d’affronter sa propre disparition et de retrouver, tel Orphée, son Eurydice (soit, d’après les exégèses allégoriques du Moyen Age, le « jugement profond » ou le pouvoir d’invention qui est au principe de l’harmonie musicale mais qui ne peut que demeurer impénétrable à une raison humaine repliée sur ses propres représentations)80. Aussi Narcisse se laisse-t-il prendre au piège d’une réflexion captive de l’idée qu’elle se fait de la vérité de son désir. Fausse monnaie à laquelle Dante oppose l’éclat transparent de la sainte face dont il se fait le pèlerin81 ; et Mallarmé, celui de l’Ange déchu, oiseau défunt dont le vêtement orné de plumes irisées qui est resté aux mains des hommes masque, derrière le théâtre de sa propre fiction, « le trou magnifique ou l’attente qui, comme une faim, se creuse chaque soir, au moment où brille l’horizon, dans l’humanité – ouverture de gueule de la Chimère méconnue et frustrée à grand soin par l’arrangement social »82.
Mais qui suivre, cependant, de Dante et de Mallarmé, qui ne cessent l’un et l’autre d’accompagner Roger Dragonetti dans ses réflexions sur la littérature ? Car ils semblent y prolonger la lutte que mène la lettre contre son double : Dante, le poète de Dieu, apparaît en effet comme une incarnation de cet Ange avec lequel Dragonetti ne cesse de se battre en s’appuyant sur Mallarmé, le poète du Néant83. Mais faut-il vraiment mettre fin à leur contredit ? Car si Dragonetti célèbre, avec Mallarmé, la victoire d’une langue poétique surgie du vide où s’est engouffré un monde sans Dieu pour y faire résonner sa propre musicalité, avec Dante, il ne cesse pour autant de faire écho, semble-t-il, à l’exigence radicale d’un Verbe divin dont le silence ne peut que condamner la littérature pour la vanité de ses fictions. Les deux termes de ce conflit représentés ici par Dante et Mallarmé ne sont pas, d’ailleurs, aussi éloignés l’un de l’autre qu’il n’y paraît.
Avec Dante, Dragonetti semble tout d’abord faire de Narcisse l’habitant par excellence de la littérature. Ce qui n’est guère surprenant quand on sait qu’il hante quasiment toute la production poétique du Moyen Age. Il incarne en tout cas parfaitement cet « orgueil de l’artiste » où Dragonetti pointe le « principe moteur mais antichrétien de l’art »84, qui pousse l’écrivain à réfléchir sur le miroir du langage cette image de la beauté arrachée à Dieu dont il porte en lui-même le secret désir. Orgueil qui se manifeste autant dans les facetia et les gabs de Guillaume IX qu’à travers « l’orgueil luciférien de la raison démiurgique » auquel saint Bernard accusait Abélard de céder85. Mais qui apparaît tout aussi bien derrière « la figure idéale de l’humilitas chrétienne » que revendique une rhétorique s’efforçant ainsi de dissimuler les chatoiements séducteurs dont elle ne peut s’empêcher de parer un Verbe foncièrement irreprésentable86. Tel serait également le moteur qui entraîne le « grand chant courtois » à célébrer cette dame orgueilleuse dont il crée la fiction afin qu’elle serve de support à une parole poétique qui jouit de ses propres pouvoirs de réflexion. Jamais Jaufré Rudel n’atteindra cette auberge lointaine où se trouve enclose la dame aimée. Car « il n’y a pas d’auberge », affirme Dragonetti. Ou plutôt, « le poème est la seule auberge offerte au vain désir »87. Sa seule stanza. La passion de l’amant courtois n’est finalement, souligne Dragonetti à propos de l’amour de Paolo et Francesca, mis par Dante en Enfer, « qu’un narcissisme déguisé »88, c’est-à-dire un amour qui se coupe du monde pour s’enfermer avec les images fascinantes qui hantent le chant qui lui sert de demeure, mais qui, tel les sirènes, dissimule en vérité la mort et le vide d’une séparation radicale.
Cependant, et peut-être est-ce là la principale thèse vers laquelle Roger Dragonetti dirige inlassablement sa lecture, « la fiction porte en elle la nécessité de sa propre rature »89. La littérature ne se contente pas de réfléchir ses « exploits de plume » dans une mise en abyme tout entière consacrée à la glorification du pouvoir de l’art et dont la fiction auto-réflexive s’enfermerait sur elle-même, captivée par son rêve de Beauté. Car elle dénonce en même temps cet « orgueil menti par les ténèbres » auquel elle doit d’avoir allumé les feux dont se pare son génie90. Aussi, comme le soutient Dragonetti, la « spéculation différente » dont parle Mallarmé n’est-elle pas à « confondre avec l’image spéculaire » propre à Narcisse91. Ce qui se représente à travers « le développement réflexif des images » et qui doit permettre de résoudre « la question des origines » de la littérature92 – et tel est, me semble-t-il, l’enjeu essentiel de la critique réflexive de Dragonetti – c’est sa propre négativité. Là est la conséquence de cette crise destructrice d’où la littérature tire son existence même, de ce conflit qui opposa son héros, le démon orgueilleux de la lettre, à l’Ange chargé de défendre l’instance théologique d’un Verbe qui détiendrait la Vérité (et avec lui tous les discours qui se sont présentés à sa suite pour occuper sa place), la victoire du premier et la catastrophe qui en est l’inéluctable conséquence. Tel serait le scénario mythique que la lecture mallarméenne de Dragonetti nous invite à reconnaître à travers les jeux de la lettre comme la scène primitive de toute œuvre d’art – née d’un parricide divin analogue à la castration de Saturne dont le membre tombé à la mer donna naissance à Vénus (« Rien, cette écume… »). Le rêve sublime de l’inspiration poétique, que la littérature répercute au miroir de sa fable, se retrouve entrelacé désormais à la lettre meurtrière qui lui tient lieu d’incipit.
Ce que l’on appelle la « réflexivité de la littérature » est donc un des noms de cette crise qui la constitue, impliquant une séparation radicale avec l’antériorité d’une source dont l’autorité servirait de fondement à une parole inspirée, crise dont Mallarmé est le représentant lucide et dont Dragonetti souligne la portée générale par-delà les différents procédés rhétoriques qui feignent d’en dissimuler l’existence : prise de conscience, par la littérature elle-même qui met ainsi en cause ses propres mythes, de la littérature comme crise, soit de l’impossibilité dans laquelle se trouve le langage et la raison humaine à rejoindre l’origine de la vérité (car il ne saurait y avoir de poème où, enfin, le son embrasserait le sens).
Mais, si toute « tentative artistique et littéraire » de rivaliser avec le geste inaugural du Créateur s’apparente à une Chute, celle-ci, une fois réfléchie à son tour, peut aussi bien prendre l’aspect d’une nouvelle ascension (« J’attends, en m’abîmant que mon ennui s’élève… », écrit Mallarmé, non sans ironie, dans Renouveau)93. Seulement, à la différence de Narcisse, aucune fleur ne saurait suppléer « la disparition élocutoire du poëte »94 afin d’offrir l’image séductrice, et rassurante, de sa propre fiction au regard d’un lecteur qui croit pouvoir la cueillir. Aucun florilège, aucune anthologie ne saurait la recueillir. De ce poème absent (« … vierge vers »), il ne restera jamais qu’un écho. Contre l’asservissement du langage aux dogmes dont l’homme croit pouvoir dissiper l’angoisse qui s’empare de lui au bord du gouffre, la littérature donne – ou rend – aux Lettres la capacité d’extraire du Néant, où quelque Malin Génie les a entraînées avec lui, non pas le reflet d’une réalité objective ou fantasmatique qui feint de s’y représenter, mais ce qui manque aux choses qui existent à l’exception d’elles-mêmes :
Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets95.
Ce qui répond ici à la nomination, ce n’est donc, à la différence d’Adam donnant leurs noms aux animaux, aucun être réel, aucun objet, pas même une figure idéale ou quelque forme reflétée au lieu de son absence, mais le vide que le langage crée dans le monde afin de prendre son essor. Rien n’aura donc eu lieu que la musicalité d’un nom : celle d’un engin dont la pulsion rythmique sert de principe résonateur au poème secret dont il porte l’écho. Le Cygne est resté prisonnier de la glace où il a pris son envol, condamné à contempler sans fin dans le miroir des mots l’image inversée de son « coup d’aile ». Plume plongée dans l’encre d’un ciel nocturne, impuissante à s’éloigner du lac de papier sur lequel elle aura tracé les signes de son rêve aboli : ces lettres griffées sur le miroir – que Roger Dragonetti n’a de cesse de replonger dans le Néant afin de les restituer à leur puissance (ré) génératrice – et, selon l’oscillation dont joue le Sonnet en X en opposant à la lettre de l’inconnu l’« or miroitant » d’une syllabe à la « clarté radieuse »96, revenu du fond d’un temps enseveli telle une impression de rêve apparue en silence dans l’intervalle des mots, « quelque chose comme le Génie, écho de soi, sans commencement ni chute, simultané, en le délire de son intuition supérieure »97, le reflet d’un œil d’or.
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1 In Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1945, p. 645 (toute référence à l’œuvre de Mallarmé, à l’exception de sa correspondance, renverra à cette édition).
2 In Contre Sainte-Beuve, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1971, p. 220.
3 Gustave Lanson, « La méthode de l’histoire littéraire » [1910], Essais de méthode, de critique et d’histoire littéraire, rassemblés et présentés par Henri Peyre, Paris, Hachette, 1965, pp. 39-40 (je me contenterai désormais de renvoyer entre parenthèses aux pages de cette édition).
4 Boileau, Art poétique, III, 315, 313 et I, 5. La notion de génie original, mise en avant dans les Conjectures on Original Composition d’E. Young (1759) et An Essay on Original Genius de W. Duff (1767), sera défendue par le Sturm und Drang et s’imposera avec le romantisme.
5 G. W. F. Hegel, Esthétique, trad. S. Jankélévitch, vol. I, Paris, Champs-Flammarion, 1979, p. 356. Le génie original est au cœur des réflexions que Hegel consacre à « L’artiste » dans le chapitre final du livre sur « L’idée du beau ». Mais, souligne-t-il, « on ne peut formuler à son sujet que quelques remarques générales, bien qu’on se soit souvent posé la question de savoir d’où vient à l’artiste ce don et cette faculté de conception et d’exécution » (p. 353).
6 Roger Dragonetti, « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », Aux frontières du langage poétique (Etudes sur Dante, Mallarmé, Valéry), Romanica Gandensia, IX, 1961, repris dans ses Etudes sur Mallarmé, Romanica Gandensia, XXII, 1992, p. 32 (j’omettrai dorénavant de mentionner le nom de Dragonetti lorsque je ferai référence à des études dont il est l’auteur).
7 La technique poétique des trouvères dans la chanson courtoise. Contribution à l’étude de la rhétorique médiévale, Bruges, 1960, pp. 539 et suiv.
8 Philippe van Tieghem, Tendances nouvelles en histoire littéraire, Paris, Les Belles Lettres, 1930, p. 24, cité d’après Antoine Compagnon, La Troisième République des lettres. De Flaubert à Proust, Paris, Seuil, 1983, p. 207, et ibid., p. 197. « Pour la critique des sources, pour le recensement épuisant des matériaux », constate encore A. Compagnon qui consacre la première partie de son livre à « Gustave Lanson, l’homme et l’œuvre », « le génie est une res nullius, un déchet, une butée, un défaut de l’explication, comme tel un ‘élément’ de l’œuvre au même titre que les autres, un fait ultime et rebelle qui idéalement devrait se soumettre, quand la méthode sera vraiment exhaustive » (p. 194).
9 Critique qui remonte à Herder, qui soutenait qu’elle devait être, elle aussi, produite par un génie : « Auch die Kritik ist ohne Genius nichts. Nur ein Genie kann das Andre beurteilen und lehren » (Sämtliche Werke, éd. B. Suphan, Berlin, 1877-1913, vol. 18, p. 131).
10 « Nos vrais maîtres sont Sainte-Beuve et Gaston Paris », souligne encore Lanson (p. 42), qui se réclame de ce dernier à de nombreuses reprises. Il se réfère également à Langlois, lui aussi médiéviste, et Seignobos (p. 35). Cf. A. Compagnon, La Troisième République des lettres, op. cit., pp. 36 et 42.
11 S’il fallait trouver au Moyen Age un équivalent de l’opposition marquée ici entre « Lanson » (ou ce qu’il représente) et Dragonetti, c’est vers celle entre la scolastique et la lectio divina pratiquée par la tradition monastique qu’il faudrait se diriger, telle en tout cas que Dom Jean Leclercq conçoit cette opposition lorsqu’il définit l’objet de son livre, L’amour des lettres et le désir de Dieu. Initiations aux auteurs monastiques du Moyen Age (Paris, Les Editions du Cerf, 1957). La mystique des lettres désignée par ce titre n’est d’ailleurs pas étrangère à la pensée de Dragonetti, sinon peut-être qu’il faudrait en éliminer Dieu, ou le remplacer par le Néant. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il ne nous resterait que « l’amour des lettres », enfermé sur son seul objet. J’y reviendrai.
12 « Pygmalion ou les pièges de la fiction dans le Roman de la Rose », Orbis Mediaevalis. Mélanges de langues et de littérature offerts à R. R. Bezzola, Berne, Francke, 1978, pp. 89-90, repris dans « La Musique et les Lettres ». Etudes de littérature médiévale, Genève, Droz, 1986, pp. 345-346.
13 Le mirage des sources. L’art du faux dans le roman médiéval, Paris, Seuil, 1987, pp. 201 et 214.
14 « Qui est l’auteur du Conte d’Anjou ? », Médiévales, 11, 1986, pp. 94-95 et 97.
15 La vie de la lettre au Moyen Age (« Le Conte du Graal »), Paris, Seuil, 1980, p. 9.
16 Ibid., p. 10.
17 Le gai savoir dans la rhétorique courtoise. « Flamenca » et « Joufroi de Poitiers », Paris, Seuil, 1982, p. 131 (cf. également pp. 88-89).
18 Ibid., pp. 95 et 145.
19 « Qui est l’auteur du Conte d’Anjou ! », op. cit., p. 96.
20 « Lorsque l’‘escollier Françoys’ teste et proteste (Introduction à l’œuvre de Villon) », Lingua e Stile, V/3, 1970, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., p. 264.
21 « Le contredit de François Villon », Modern Language Notes, XCVIII/4, 1983, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., p. 292.
22 La vie de la lettre au Moyen Age, op. cit., p. 51.
23 Ibid., p. 48.
24 « Propos sur la traduction », « Et c’est la fin pour quoy sommes ensemble ». Hommage à Jean Dufournet, Paris, Champion, 1993, p. 428.
25 Proust, Contre Sainte-Beuve, op. cit., p. 211 ; cf. « L’écriture de l’‘impression’ dans la Recherche du Temps perdu », Saggi e Richerche di letteratura francese, 23, 1984, pp. 40-72.
26 La vie de la lettre au Moyen Age, op. cit., pp. 63 et 65. Sur la lettre, voir également l’étude de Charles Méla, en guise de compte rendu du livre de Dragonetti, « ‘La lettre tue’. Cryptographie du Graal », Ornicar ?, 25, 1982, pp. 141-61.
27 Isidore de Séville, Etymologiae, I, iii, 3-4 ; je cite ici la traduction proposée par R. Dragonetti dans « Propos sur l’étymologie », Fabrica, 1, 1983, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., p. 76.
28 Cf. Isidore de Séville, Etymologiae, I, xxix, 1-3.
29 « Propos sur l’étymologie », op. cit., p. 73.
30 Ibid., pp. 97 et 69-70.
31 « Les notes du général dans Les Géorgiques », in J. Starobinski, G. Raillard, L. Dällenbach et R. Dragonetti, Sur Claude Simon, Paris, Minuit, 1987, p. 97.
32 Isidore de Séville, Etymologiae, I, iii, 1.
33 « La littérature et la lettre (Introduction au Sonnet en X) », Lingua e Stile, IV, 1969, repris dans Etudes sur Mallarmé, op. cit., p. 55.
34 Cf. « Le livre de Mallarmé », Ornicar ?, 22-23, 1981, repris dans Etudes sur Mallarmé, op. cit., pp. 184-185.
35 « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., p. 15.
36 Le gai savoir dans la rhétorique courtoise, op. cit., p. 47.
37 Le mirage des sources, op. cit., p. 218.
38 « Auctor, autor, actor », Lettres de l’Ecole : Bulletin intérieur de l’Ecole freudienne de Paris, I, 25, 1979, p. 188, et Le mirage des sources, op. cit., p. 43. Voir également « Le sens du cercle et le poète (Commentaire grammatical d’un passage du Convivio) », Aux frontières du langage poétique, op. cit., pp. 79-92.
39 « Qui est l’auteur du Conte d’Anjou ! », op. cit., p. 90.
40 Le gai savoir dans la rhétorique courtoise, op. cit., p. 48.
41 Le mirage des sources, op. cit., p. 22.
42 Cf. La vie de la lettre au Moyen Age, op. cit., chap. I, « Noms et surnoms », et II, « Auteurs, scribes, enlumineurs », et plus particulièrement les pp. 20-22 et 35-38.
43 Le mirage des sources, op. cit., p. 12 ; l’œuvre de Jean Renart est analysée aux pp. 59-260.
44 Cf. « Rutebeuf : les poèmes de la griesche », Présent à Henri Maldiney, Lausanne, l’Age d’Homme, 1973, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 435-462 (cit. p. 442).
45 Cf. les nombreuses études que R. Dragonetti a consacrées à Villon, les quatre réunies dans la section sur « Le nom propre » de « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 255-342, ainsi que « La soif de François Villon », Villon hier et aujourd’hui, éd. J. Dérens, J. Dufournet et M. Freeman, Paris, 1993, pp. 123-136.
46 Le gai savoir dans la rhétorique courtoise, op. cit., p. 35. La citation précédente est tirée de « L’épisode de Francesca dans le cadre de la convention courtoise (Dante, Inf., V) », Aux frontières du langage poétique, op. cit., p. 107. Cf. l’ensemble du chap. II, « Les Guillaume », pp. 33-48, et « Aux origines de l’amour courtois. La poétique amoureuse de Guillaume IX d’Aquitaine », Sexualité humaine, Paris, 1966, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 169200.
47 Cf. « Renart est mort, Renart est vif, Renart règne », Critique, 375-376, 1978, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 419-434.
48 Cf. « L’invention du ‘naturel’ et de la ‘sincérité’ dans l’Institution oratoire de Quintilien », Compar (a) ison, 1995/I, pp. 167-183.
49 « Qui est l’auteur du Conte d’Anjou ! », op. cit., p. 98.
50 Le mirage des sources, op. cit., p. 11. Cf. la première partie de cet ouvrage, pp. 17-55, ainsi que « Le lai narratif de Marie de France. pur qui fu fez, coment et dunt », Littérature, Histoire, Linguistique. Mélanges B. Gagnebin, Lausanne, L’Age d’Homme, 1973, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 99121.
51 Le mirage des sources, op. cit., p. 19.
52 « Le sens de l’oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., p. 15.
53 Cf. « Les lieux du retour », Equinoxe, 16, 1996, pp. 133-142.
54 « Mallarmé ou le Malaise divin de la critique », Problèmes actuels de la lecture, sous la direction de L. Dällenbach et J. Ricardou, Paris, 1982, repris dans Etudes sur Mallarmé, op. cit., p. 202. Les citations de Mallarmé se réfèrent à Ballet (Crayonné au théâtre), p. 304, et Sur l’évolution littéraire (Réponses à des enquêtes), p. 868.
55 « Roger Dragonetti ou ‘l’orgueil de la littérature’ », propos recueillis par Christopher Lucken, Campus. Magazine de l’Université de Genève, 33, 1996, p. 43.
56 Comme l’en accuse Pierre Bec, dont l’article pour le moins malveillant qui lui est consacré, « Du son poétique médiéval à la lettre du pseudo-exégète », Cahiers de civilisation médiévales, XXIX, 1986, pp. 243-55, après avoir souligné que la poésie médiévale est « quand même inséparable de son enracinement historique » et qu’il faut s’en tenir à l’« intentio auctoris » (en latin…), s’achève par un traditionnel appel à l’« humilité »…
57 Mallarmé, « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui », p. 67.
58 Mallarmé, Le Démon de l’Analogie (Poëmes en prose), p. 272 ; cf. le commentaire que R. Dragonetti donne à ce passage dans « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., pp. 25-26, et surtout dans « Le démon de l’analogie de Mallarmé », Strumenti critici, 24, 1974, repris dans Etudes sur Mallarmé, op. cit., pp. 82-83.
59 Mallarmé, Azur, p. 38.
60 Mallarmé, Crise de vers (Variations sur un sujet), p. 366.
61 Mallarmé, Sonnet en X, p. 68.
62 Mallarmé, « Une dentelle s’abolit », p. 74.
63 Mallarmé, Les mots anglais, pp. 921-22.
64 Mallarmé, Catholicisme (Variations sur un sujet), p. 392.
65 Mallarmé, Notes, p. 851.
66 « (parce que, permettez-moi d’exprimer cette appréhension, demeure une incertitude) » (Mallarmé, Villiers de l’Isle-Adam (Quelques médaillons et portraits en pied), p. 481). Je ne peux évidemment mentionner à chaque fois tout ce que ma lecture de Mallarmé doit, ici, à celle de Roger Dragonetti. Elle s’est écrite, entre ses mots, avec ses mots (et, bien sûr, ceux de Mallarmé).
67 Mallarmé, Correspondance (1862-1871), éd. H. Mondor et J.-P. Richard, Paris, Gallimard, 1959, pp. 241-242 ; cf. les commentaires que R. Dragonetti propose de cette lettre dans « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., pp. 19-22, dans « Métaphysique et poétique dans l’œuvre de Mallarmé (Hérodiade, Igitur, Le Coup de dés) », Revue de métaphysique et de morale, 84, 1979, repris dans Etudes sur Mallarmé, op. cit., pp. 113-14 et 117-18, ainsi qu’ici même.
68 « Métaphysique et poétique dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., p. 123. Sur l’analogie entre Dieu, qui peut s’écrire Dé en ancien français, et le dé, cf. « Rutebeuf : les poèmes de la griesche », op. cit., p. 443 et n. 11.
69 Mallarmé, Correspondance (1862-1871), op. cit., p. 246.
70 Mallarmé, Correspondance (1862-1871), op. cit., p. 241.
71 Cf. « Le coup du cogito de Descartes dans le jeu poétique de Mallarmé », Echiquiers d’encre. Le Jeu d’échecs et les Lettres (XIXe-XXe s.), sous la direction de J. Berchtold, Genève, Droz, 1998, pp. 49-74. Vingt-quatre (deux fois douze) est le nombre de lettres que Mallarmé attribue, symboliquement, à l’alphabet (cf. La Musique et les Lettres, p. 646, et La littérature (Dyptique), p. 850).
72 Cf. Un fantôme dans le kiosque. Mallarmé et l’esthétique du quotidien, Paris, Seuil, 1992.
73 Mallarmé, Notes, p. 851.
74 Mallarmé, La Musique et les Lettres, p. 648.
75 Charles Méla, « L’aloi de la lettre », en Préface à La Musique et les Lettres, p. XVIII.
76 « Le démon de l’analogie de Mallarmé », op. cit., p. 80.
77 Mallarmé, Vïlliers de l’lsle-Adam (Quelques médaillons et portraits en pied), p. 481.
78 Mallarmé, Correspondance (1862-1871), op. cit., p. 208.
79 Cf. « Les larmes ou l’impuissance du langage (Commentaire d’un passage de La Jeune Parque de Paul Valéry) », Aux frontières du langage poétique, op. cit., pp. 149-156.
80 Cf. R. Dragonetti, « Le Nombre sans égal », Le Nombre du Temps. Hommage à Paul Zumthor, Paris, Champion, 1988, pp. 52-53.
81 Cf. « Dante et Narcisse ou les faux-monnayeurs de l’image », Revue des études italiennes, 11, 1965, pp. 85-146, et Dante pèlerin de la sainte face, Gand, Romanica Gandensia, XI, 1968.
82 Mallarmé, Crayonné au théâtre, p. 294.
83 Cette tension me paraît se manifester de manière particulièrement sensible dans l’architecture de l’ouvrage Aux frontières du langage poétique, notamment lorsqu’on passe de l’étude sur « L’épisode de Francesca dans le cadre de la convention courtoise (Dante, Inf., V) » à celle qui suit, « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé » (un troisième pôle est présent dans cet ouvrage, Valéry, mais je n’en tiens pas compte ici).
84 La vie de la lettre au Moyen Age, op. cit., p. 59.
85 Le mirage des sources, op. cit., p. 24 ; cf. « La modernité d’Abélard dans L’historia calamitatum », Bulletin du Centre protestant d’études, 40/7-8, 1988.
86 « L’image et l’irreprésentable dans l’écriture de Saint Augustin », Qu’est-ce que Dieu ?, Bruxelles, 1985, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., p. 21.
87 « L’épisode de Francesca dans le cadre de la convention courtoise (Dante, Inf., V) », op. cit., p. 109. Cf. « Aizi et aizimen chez les plus anciens troubadours », Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à Maurice Delbouille, Gembloux et Liège, Duculot, 1964, repris dans « La Musique et les Lettres », op. cit., pp. 201-227.
88 Ibid., p. 105.
89 « Métaphysique et poétique dans F œuvre de Mallarmé », op. cit., p. 122.
90 Mallarmé, « Quand l’ombre menaça de la fatale loi », p. 67.
91 « Le démon de l’analogie de Mallarmé », op. cit., p. 76.
92 « Le sens de l’‘oubli’ dans l’œuvre de Mallarmé », op. cit., p. 32.
93 Mallarmé, Renouveau, p. 34.
94 Mallarmé, Crise de vers (Variations sur un sujet), p. 366.
95 Ibid., p. 368.
96 Mallarmé, La Musique et les Lettres, p. 639, et Or (Grands faits divers, dans Variations sur un sujet), p. 399. Cf. « La littérature et la lettre (Introduction au Sonnet en X) », op. cit., pp. 66-70.
97 Mallarmé, Offices (Variations sur un sujet), pp. 395-396.