Comptes rendus
CR
Jean-Paul Autant, Michel Hurault de L’Hospital (1559-1592). Recherches historiques sur la vie et la pensée de petit-fils du Chancelier de France Michel de L’Hospital (Vie des Huguenots, 96)
Paris : Honoré Champion, 2023, 802 p.
Jean-Paul Autant vient de publier sa seconde thèse de doctorat en histoire moderne dans la collection « Vie des Huguenots » aux éditions Honoré Champion, collection qui vise à investiguer l’histoire des réformés au cours des xvie, xviie et xviiie siècles et d’étudier la Réforme calviniste en Europe dans tous ses aspects sociaux et culturels. L’historien présente la biographie d’un homme – Michel Hurault de L’Hospital, seigneur du Fay (1559-1592) – qui fut un personnage secondaire dans la « grande histoire » du royaume de France, mais qui n’en est pas moins une figure paradigmatique de l’aristocratie française de foi calviniste au temps des guerres de Religion du xvie siècle. J.-P. Autant avait déjà soumis en 2015 une biographie de Michel de L’Hospital, grand-père maternel de l’homme dont il est question ici (Michel de L’Hospital (vers 1506-1573). Un humaniste Chancelier de France au temps des guerres de Religion, Panazol : Lavauzelle, 2015). Il est tout à fait logique que son intérêt pour le grand Chancelier de France ait conduit l’auteur à s’intéresser aussi à ses descendants et héritiers. Il ne faut cependant pas se tromper : quoique les approches des deux livres semblent les mêmes, cette impression est bien vite démentie, car la situation documentaire est complètement différente : tandis que Michel de L’Hospital a laissé de nombreux documents autographes1 et fait l’objet de nombreuses études et recherches, son petit-fils Michel Hurault ne nous est connu qu’à travers « une dizaine de manuscrits originaux portant sa signature » (p. 21), des mentions éparses et quelques études ponctuelles. Face à une si maigre documentation, J.-P. Autant a dû déployer tout son savoir-faire d’historien pour mener à bien sa tâche. Il a fait appel à un large éventail de sources différentes qui incluent, au-delà des documents d’archive, des monuments littéraires2 et artistiques3. De plus, son investigation souvent autoptique – une « historía » au sens originel du mot grec – l’a mené, entre autres, sur les lieux de mémoire de Michel Hurault, à Faÿ-lès-Nemours, au château Belesbat (Courdimanche-sur-Essonne), à Quillebeuf4. Cette recherche tous azimuts lui a permis, par exemple, de repérer un buste de Michel Hurault qui donne une idée visuelle du personnage5. Le résultat est un portrait complet d’un homme jusque à présent méconnu par l’historiographie moderne et une contribution précieuse à la reconstruction de l’histoire des huguenots.
L’auteur s’est attelé à la tâche de « concevoir l’ensemble du parcours du personnage, d’en distinguer les éléments constitutifs, d’en saisir les forces directrices et leur évolution », ce qui lui a permis « d’examiner les traits essentiels – parfois détails significatifs – qui, dans son environnement particulier, caractérisent la personnalité, la vie, l’action et la pensée » de Michel Hurault de L’Hospital (p. 26). L’approche choisie n’est pas innovante, mais s’inscrit plutôt dans la tradition historiographique positiviste des siècles passés. Nous sommes confrontés à une étude prosopographique qui présente un membre de la classe dominante et de l’élite sociale et politique en examinant ses origines, ses liens de parenté, son affiliation religieuse et son appartenance à certains groupes d’intérêt et aux cercles du pouvoir6. Un large espace est également accordé à l’histoire événementielle qui met en évidence les exploits civiques et militaires et les discours mémorables du personnage étudié7. Toutefois, c’est un défaut que l’on pardonne volontiers à l’auteur, qui sait bien le compenser par un grand talent de narrateur. Les qualités linguistiques sont sûrement l’un des points forts de ce livre, fluide et plaisant à lire, malgré son volume considérable qui pourrait en décourager la lecture.
La démarche est purement chronologique, voire annalistique, et suit de proche la biographie du personnage. Subdivisée en trois parties, elle embrasse d’abord l’origine, le parcours formatif et les premiers pas sur la scène publique (p. 27-122) et retrace ensuite les hauts et les bas de sa carrière politique sous les règnes et au service des rois Henri III (p. 123-329) et Henri IV (p. 331-632) jusqu’à la mort prématurée. La dernière partie donne aussi une vue d’ensemble des héritiers de Michel Hurault et de leurs fortunes jusqu’au xviie siècle. L’analyse est précédée d’une introduction (p. 15-26) qui expose la méthode et en démontre les limites. Des annexes (p. 633-721), une ample bibliographie (p. 723-766), les index des noms et des lieux (p. 767-786) et une table des matières (p. 787-802) complètent l’ouvrage. Il convient de s’attarder un peu sur les annexes dont l’utilité est indéniable : L’annexe 1 offre un tableau généalogique de Michel Hurault de L’Hospital qui visualise l’histoire familiale complexe qui unit les Hurault aux de L’Hospital. L’annexe 2 répertorie la vie de Michel Hurault en forme tabellaire, en reliant les dates biographiques aux événements historiques. L’annexe 3 reconstruit à l’aide des cartes ses déplacements. Les annexes suivantes reportent les transcriptions de ses manuscrits autographes (annexe 4), du seul poème qu’il a laissé (annexe 5) et des poèmes de son frère Paul, futur archevêque d’Aix (annexe 6). Les annexes restantes comprennent une collection d’images, en partie de la main du chercheur lui-même.
Il ne s’agit pas de discuter en détail, dans ce compte rendu, les faits individuels de la biographie de Michel Hurault qui feront l’objet d’une expertise des spécialistes en histoire politique et militaire du xvie siècle. En revanche, nous voudrions illustrer quelques chapitres de l’ouvrage qui présentent, à notre avis, un intérêt pour un public plus large.
Au chapitre 5, J.-P. Autant décrit un voyage d’études que Michel Hurault entreprit entre 1575 et 1578 à Genève, centre névralgique du calvinisme européen, alors gouverné par Théodore de Bèze. À Genève, Michel Hurault fut accueilli par le juriste François Hotman, mais il fit également étape à Zurich chez le théologien réformé Rudolf Gwalther. Il fréquenta probablement aussi l’université genevoise, même s’il ne s’y inscrivit pas. J.-P. Autant montre de manière convaincante qu’une telle formation, à la fois humaniste et confessionnelle, visait à honorer la mémoire de l’illustre ancêtre, mais aussi à forger une nouvelle élite calviniste et à la préparer à relever les défis futurs.
Au chapitre 9, nous rencontrons Michel Hurault en habit d’éditeur des œuvres de son aïeul Michel de L’Hospital. Cette difficile tâche collective qui fut accomplie avec le soutien de Guy du Faur de Pibrac, Jacques-Auguste de Thou et Scévole de Sainte-Marthe, aboutit à la première édition des Carmina du Chancelier (Carmina Michaelis Hospitalii Galliarum Cancellarii Epistolarum seu Sermonum libri sex, Paris 1585). Concernant ce livre, on lira avec profit les réflexions de J.-P. Autant sur la dédicace de Hurault au roi Henri III, dédicace qui reflète les espoirs placés dans le nouveau monarque qui seront bientôt déçus par l’édit de Nemours et la reprise de la guerre civile.
Après avoir débuté en politique8, Michel Hurault entreprit une carrière de diplomate qui le conduisit dans tous les pays réformés, de l’Angleterre de la reine Elizabeth Ire aux Provinces-Unies, des principautés protestantes du Saint-Empire aux régions à majorité calviniste en France. Comme illustré au chapitre 13, aux Pays-Bas il fit en 1588 la connaissance de Juste Lipse et se lia d’amitié avec lui. J.-P. Autant émet l’hypothèse que la lecture de ses Politiques (Politicorum sive civilis doctrinae libri sex. Qui ad Principatum maxime spectant, 1589) aurait influencé durablement la pensée et la vision politique de Michel Hurault. En tout cas, ce n’est pas un hasard si Juste Lipse est le dédicataire des deux Discours qui représentent, dans un certain sens, le véritable héritage intellectuel du chancelier de Navarre9.
La discussion sur ces deux Discours ssur l’estat de la France constitue l’une des pièces maîtresse de la thèse de J.-P. Autant. Au chapitre 14 il aborde le premier Discours de 1588, au chapitre 20 le second et au chapitre 26 leur réception, avec un aperçu de leurs éditions latines, allemandes et anglaises. Sur la base de sommaires, paraphrases, citations et commentaires, l’auteur offre une analyse approfondie et réfléchie des discours, en clarifie les contingences historiques et en illustre les points saillants. L’image qui en sort est celle d’un politicien pragmatique et clairvoyant (bien que partisan « navarriste »), mais à la fois fidèle à l’héritage spirituel de son aïeul Michel de L’Hospital, promoteur d’une idée de « tolérance civique » fondée sur la séparation de l’Église et de l’État.
Un autre sujet largement développé est la mort mystérieuse de Michel Hurault, survenue à 33 ans. La reconstruction des faits qui s’étend des chapitres 22 à 24, se lit comme un rapport de police ou un roman policier. Dans un récit serré, on découvre le lieu du crime – le village de Quillebeuf, sur l’estuaire de la Seine –, les circonstances – Hurault avait fortifié ce lieu stratégique à ses frais, mais le roi lui en refusa le gouvernement –, les raisons possibles du désaveu royal10, le déroulement des faits, les déclarations des témoins oculaires11, les causes du décès12. Le tableau qui ressort de la preuve est celui de rivalités mal celées13, de favoritismes, de conflits d’intérêt, d’ambitions déçues, d’intrigues et de trahisons. L’étude souligne particulièrement l’immense valeur (aujourd’hui difficile à comprendre) que les nobles attribuaient à l’honneur au début de l’ère moderne, lequel devenait un moteur primaire de tout leur agir et penser. À lire absolument, à cet égard, l’ultime supplique de Michel Hurault au roi dans une lettre du 10 juin 1592 (p. 514-516) laquelle, selon l’analyse de J.-P. Autant, pourrait être entendue, à la fois, comme acte extrême de soumission et comme demande de réparation d’un préjudice subi.
Concluons par quelques considérations plus générales. On est impressionné par la vaste érudition démontrée tout au long du livre par l’auteur qui passe avec aisance d’un domaine à l’autre et sait établir des liens transversaux entre les arguments plus disparates. Toutefois, l’amour de l’érudition peut parfois dépasser les bornes. Cela vaut surtout pour les notes en bas de page dont l’abondance est écrasante. Bien que celles-ci soient un « mal » inévitable de toutes les thèses de doctorat, on peut se demander si elles doivent nécessairement occuper une moitié ou plus d’une page14. Sans parler des notes elles-mêmes pourvues de notes additionnelles, marquées par astérisque… Il serait bon de revenir à la fonction originelle des annotations qui devrait être en premier lieu auxiliaire. À part cela, l’ouvrage de J.-P. Autant est une affaire qui tourne rond. Il faut particulièrement louer le travail rédactionnel méticuleux, qui n’a laissé que peu d’erreurs15, hormis quelques imprécisions plus fréquentes dans les citations en langues étrangères16. Mais ce ne seront certainement pas ces quelques erreurs qui priveront les lecteurs du plaisir de lire cette œuvre magistrale.
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1. Harangues, traités, mémoires, discours ainsi que recueils d’épîtres et de poèmes.
2. Parmi les sources plus proprement historiques étudiées, on doit mentionner les Mémoires de Philippe de Duplessis-Mornay et de Pierre de L’Estoile, les Histoires de Théodore Agrippa d’Aubigné et de Jacques-Auguste de Thou ainsi que La Confession catholique du sieur de Sancy du même d’Aubigné. En outre, J.-P. Autant cite de nombreux poètes : Dominique Baudier, Auger Gaillard, Jean de Sponde, Pierre de L’Estoile, Ronsard, d’Aubigné, Paul Hurault de L’Hospital, Michel Hurault lui-même.
3. Voir, par exemple, l’épitaphe de l’église Saint-Sulpice à Faÿ-lès-Nemours (p. 64) ou la discussion du tableau du peintre néerlandais Gillis van Coninxloo représentant le siège de Chartres par Henri IV en 1591 (p. 383-386).
4. Voir, par exemple, p. 59-66 et Annexes 3, 12, 13 et 14.
5. Celui-ci est aujourd’hui conservé au château de Versailles. Un portrait peint par François Bunel le Jeune, dont J.-P. Autant a retrouvé une mention, est perdu. S’ajoutent deux portraits d’Olympe Hurault, conservés l’un à la BnF et l’autre au Louvre (voir chapitre 25 ; reproduction photographique aux p. 4 et 711).
6. Ces thèmes sont principalement abordés dans la première partie de l’ouvrage.
7. Voir, par exemple, les chapitres 19 et 21, dédiés respectivement aux sièges de Chartres (1591) et de Rouen (1592).
8. D’abord il siégea au parlement de Paris, puis il exerça les fonctions de commissaire et de maître de requêtes, enfin il fut promu chancelier du roi de Navarre.
9. Les autres œuvres discutées par J.-P. Autant sont le traité sur la prononciation érasmienne du grec ancien, Apologeticum pro veteri ac germana linguae graecae pronuntiatione, que Hurault aurait écrit tout jeune sous la direction de Gaulthier-Chabot (p. 89-93), et l’Antisixtus (1589), « violent réquisitoire contre le pape Sixte Quint, accusé d’avoir été l’instigateur de l’assassinat du roi Henri III » (p. 333), parfois attribué à Hurault (chapitre 17).
10. Les raisons qui conduisirent à ce désaveu du côté du roi ne sont pas claires et pourraient s’expliquer, selon l’auteur, par une rivalité en amour ou le soupçon d’un complot avec les alliés protestants anglais et néerlandais, ou par l’hostilité et les calomnies du parti catholique, ou simplement de l’ingratitude royale.
11. Duplessis-Mornay parle d’une maladie de l’esprit plus que du corps d’un homme qui, selon son jugement, aurait été « assés precipité de soymesme » (p. 489) et aurait abusé de la bienveillance du roi.
12. Parmi les causes prises en considération il y a la mort naturelle (de dépression ?), le suicide et l’assassinat.
13. En particulier Roger de Bellegarde, Grand Ecuyer du roi, et Philippe de Duplessis-Mornay, conseiller du roi, se montrèrent des rivaux redoutables. S’ajoutent les jugements au vitriol d’Agrippa d’Aubigné.
14. Voir, par exemple, les remarques hors sujet sur la bataille du Pertuis-Breton (p. 45s, n. 1), l’arianisme (p. 418, n. 1), Tertullien (p. 421, n. 2), le mariage au début de l’ère moderne (p. 472, n. 1), les épreuves des justes selon les théologiens calvinistes (p. 496s, n. 2), les considérations de Montaigne sur Michel de L’Hospital (p. 507s, n. 6).
15. Pour ne nommer qu’une erreur assez étonnante, dans les notes infrapaginales Philippe Duplessis-Mornay, cité toujours correctement in extenso, devient « Ch. Duplessis-Mornay » dans les citations abrégées (par exemple p. 369, n. 7, mais aussi ailleurs).
16. – Pour le latin : la citation d’Horace (p. 567) devrait lire « impavidum » ; l’éditeur strasbourgeois mentionné (p. 577) doit sûrement être lu comme « Halcyonium », jeu de mot paradoxe basé sur le mythe d’Alcyone, lié à l’orage, et le nom de l’imprimeur, Windstill, qui en français signifie « sans vent » ; le titre cité (p. 578) devrait lire « commonefactio » sans n final ; dans l’épigramme en distiques élégiaques (p. 492, n. 4), les vers pentamètres ne sont pas indentés conformément aux normes philologiques.
– Pour le grec : Le titre cité (p. 608, n. 5) montre un curieux mélange de lettres grecques et latines qui devrait lire correctement « Τοῦ αὐτοῦ ἔπος εὐκτικὸν εἰς τὸ αὐτό ».
– Pour l’allemand : « Gelehrtenrepublik » (p. 160, n. 9) s’écrit sans ck ; à l’intérieur du titre cité (p. 577 et 578) on doit lire « Kriegsvnruhen » (troubles de la guerre) avec un n supplémentaire.