Jean de Léry est surtout connu aujourd’hui par son Histoire d’un voyage faict en la terre du Bresil, ouvrage qui a figuré à deux reprises au programme de l’agrégation de lettres. Ce « bréviaire de l’ethnologue », comme l’a qualifié Claude Lévi-Strauss, n’est que le second ouvrage de Jean de Léry, chaussetier de son état, devenu à son retour en France pasteur de l’église réformée.

Avant de coucher par écrit son expérience brésilienne, Léry est pris dans la tourmente des guerres de Religion. Pasteur à La Charité-sur-Loire, il échappe de justesse à la Saint-Barthélemy, et se trouve enfermé pendant presque un an dans la petite ville de Sancerre, assiégée par les troupes catholiques au beau milieu du royaume. Négociateur au moment de la reddition, fin août 1573, il écrit pour justifier ses tractations, jugées trop timorées par certains protestants, car n’ayant pas obtenu les résultats souhaités. L’Histoire memorable de la ville de Sancerre est publiée un an plus tard en 1574 et presque aussitôt traduite en allemand. Le point culminant de ce récit en forme de chronique est un épisode de cannibalisme, des parents ayant mangé leur petite fille âgée de trois ans. Cette horreur – cette sainte horreur, diront certains – sera conjurée de la manière la plus radicale. Les parents coupables d’un tel forfait sont brûlés vifs, et le cadavre de la satanique vieille femme qui les a conseillés pareillement jeté au feu.

Le chapitre X, qui retrace les divers épisodes de la famine, selon une gradation constante, depuis les rats, les chats et les chiens, jusqu’à la chair humaine, constitue l’acmé de la tragédie sancerroise, avant le brusque dénouement, qui ramène la ville fortement éprouvée dans le giron de l’Église catholique. Sous-jacent à la chronique sancerroise de Léry, il y a, bien sûr, le récit du siège de Jérusalem par Titus, tel qu’il est raconté par Flavius Josèphe dans La Guerre des Juifs. L’hébraïsant et helléniste Matthieu Béroald, bien présent à Sancerre, a pu mettre entre les mains de Léry cet ouvrage capital, que la chronique du siège de 1573 répète en mineur.

Enfin, et c’est le point le plus étonnant de ce sobre récit de siège, cinq références étendues au Brésil, où Léry avait auparavant séjourné quelque dix mois, viennent colorer cette chronique austère, transportant depuis la baie de Rio de Janeiro le hamac ou « linceul pendu en l’air », que les assiégés adoptent à leur usage, les cuirs pareils aux boucliers en cuir de tapir qu’ils dévorent à belles dents aussi bien sur le navire du retour que pendant le siège, le « boucan » ou barbecue, les vieilles avides de graisse humaine et, bien sûr, le cannibalisme.

Cette édition critique, publiée au Livre de poche, renouvelle l’édition déjà ancienne de Géralde Nakam, et la complète par plusieurs documents¹⁹. Le texte est établi d’après les exemplaires originaux conservés à la Bibliothèque du protestantisme français. Le premier appendice contient la version primitive du chapitre X, donnée d’après le manuscrit conservé à la Bibliothèque Méjanes d’Aix-en-Provence. Le second contient des extraits du journal de Matthieu Béroald, conservé à la Bibliothèque nationale de France. Ces divers documents avaient été naguère publiés par Bruna Conconi dans un ouvrage en italien²⁰.

Cette petite somme, complétée par d’indispensables notes critiques, un glossaire et une chronologie sommaire, offre sous un format maniable la totalité des pièces relatives au drame de 1573, conséquence tragique des massacres de la Saint-Barthélemy.