Revue d’histoire du protestantisme

Comptes rendus

CR

Court de Gébelin, Les Toulousaines

Introduction et édition critique de Hubert Bost, Paris : Honoré Champion, 2023, 663 p.

Didier BOISSON

Avec l’édition critique des Toulousaines, Hubert Bost poursuit son travail de publication d’auteurs du xviiie siècle. Le volume comprend une introduction sur laquelle nous reviendrons, une bibliographie, le texte en lui-même avec la première édition de 1763 des Toulousaines, – complétée par de très nombreuses notes qui permettent de comprendre les sources utilisées et le travail effectué par l’auteur –, les variantes entre les deux éditions de l’ouvrage, et 146 lettres dont une partie écrite par Court de Gébelin, un index des Toulousaines et un index de la correspondance.

Le titre de l’ouvrage de Court de Gébelin a pour origine les trois affaires qui secouent les Églises réformées à Toulouse et dans sa région au cours des premiers mois de l’année 1762, soit la condamnation de la famille Sirven et les exécutions du pasteur Rochette et de Jean Calas. L’introduction très claire permet de revenir sur la genèse de l’ouvrage, le travail de Court de Gébelin et le « fiasco » de l’entreprise éditoriale, et de mesurer les enjeux de cet ouvrage. Instruit par différents canaux des événements qui se déroulent à Toulouse, il souhaite dénoncer la politique de la ville et de son parlement qui « durcissent la répression et intensifient la persécution contre les protestants », et montrer « la longue histoire de la répression » de cette ville (p. 9). Correspondant des Églises réformées de France à la suite de son père et ainsi bon connaisseur tant des Églises réformées de France que de leur histoire, enseignant au Séminaire de Lausanne, mais aussi controversiste et lecteur des philosophes des Lumières, Court de Gébelin « s’est préparé à combattre ce qu’il perçoit comme un regain d’hostilité envers les protestants, une tendance à inciter la haine contre eux et une façon d’inciter le gouvernement à relancer la répression qui les vise » (p. 18).

Les Toulousaines sont composées de trente lettres fictives adressées à un destinataire également fictif, Optime. Ces lettres sont datées entre le 20 septembre 1761, quelques jours après l’arrestation du pasteur Rochette dans la nuit du 13 au 14 septembre et la tentative des frères Grenier de le libérer le 15 septembre, et le 10 décembre 1762, deux jours après la libération de Nanette et Rose Calas, les filles de Calas, des couvents où elles étaient recluses. À lire la table des Toulousaines, plusieurs thématiques ressortent nettement : le fanatisme de la ville de Toulouse (5 lettres), les affaires à l’origine de l’ouvrage (12), les questions philosophiques sur l’intolérance et la tolérance centrées sur les écrits de Montesquieu (4), la défense des Église réformées de France et du calvinisme (9).

Hubert Bost aide le lecteur à comprendre comment l’ouvrage a été composé par Court de Gébelin, en particulier les recherches effectuées par l’auteur qui réunit des documents imprimés et manuscrits. D’une part, Court de Gébelin cite un certain nombre d’auteurs et d’ouvrages dans le texte même, mais aussi la correspondance publiée en fin de volume permet de compléter ces listes et de comprendre comment il a pu les consulter (documents manuscrits ou imprimés venant de ses correspondants, consultation d’ouvrages probablement à la bibliothèque de l’Académie de théologie de Lausanne, recherche de références chez des libraires, prêts de livres…). À l’image de son père qui a travaillé à l’Histoire des troubles des Cévennes, ouvrage publié en 1760 grâce à son fils, Court de Gébelin rassemble de nombreux documents en particulier pour dénoncer les procès intentés lors des affaires Rochette, Sirven et Calas, mais aussi le fanatisme de la ville et des institutions de Toulouse. Et il intègre certains de ces documents dans les Toulousaines. Concernant la défense du protestantisme au plan tant politique que philosophique, une place remarquable est faite à Montesquieu avec ce que Hubert Bost appelle une « lecture originale de passages de L’Esprit de lois et des Lettres persanes » (p. 38). En effet, la principale réponse des auteurs huguenots à L’Esprit des lois avait consisté à démentir le lien établi par l’auteur entre protestantisme et système républicain d’une part, catholicisme et système monarchique d’autre part. Ainsi, selon Court de Gébelin, « la pensée du philosophe bordelais tend à conclure à la supériorité du protestantisme et à sa parfaite adéquation à l’idéal de la monarchie modérée qu’il prône » (p. 37).

Mais les Toulousaines sont connues pour leur échec éditorial. Plusieurs éléments d’explication sont apportés. La rédaction de l’ouvrage est terminée au début de l’année 1763, mais Court de Gébelin n’a pas reçu l’aval des comités de Genève et de Lausanne. Des réserves sont ainsi émises par le chapelain de l’ambassade de Hollande à Paris ou des professeurs de théologie de Lausanne et de Genève. L’ouvrage ferait « courir des risques aux protestants de France », en annonçant une plus grande tolérance à l’égard des réformés, et en se portant garant de leur loyalisme monarchique. Court de Gébelin conteste le bien-fondé de ces critiques, considérant les comités trop prudents. Toutefois, alors que la première édition n’est pas encore sortie, il travaille déjà à une seconde plus courte qui s’avère tenir compte des premières remarques qui lui ont été faites. Il lui est même proposé un dédommagement sur les frais engagés s’il renonce à la première édition ! S’ajoute à la mi-mars l’opposition de Voltaire qui ne souhaite pas que les affaires Calas et Sirven soient mêlées. Ces oppositions cumulées conduisent Court de Gébelin à renoncer à distribuer les Toulousaines et à récupérer les exemplaires de la première édition qui ont été diffusés.

La publication des 146 lettres est un apport fondamental à la compréhension de l’histoire de cet ouvrage. Certaines ont déjà été publiées, beaucoup sont inédites. Les auteurs sont nombreux : outre celles écrites par Court de Gébelin, on peut noter celles de Paul Rabaut, de Voltaire, de Jean-Jacques Rousseau, de différents pasteurs du Désert, d’Étienne Chiron ou de La Beaumelle… En particulier les lettres que Court de Gébelin adresse à l’avocat genevois Charles Manoël de Végobre permettent de saisir les nombreux enjeux de cette publication.

Une nouvelle édition des Toulousaines – deux cent soixante après la première – sort un peu plus de l’oubli cet ouvrage « militant pour la tolérance civile » (p. 49), et nous pouvons remercier Hubert Bost pour ce travail érudit qui est désormais un outil essentiel entre autres pour les historiens et les littéraires qui s’intéressent tant à l’histoire de la tolérance qu’à la littérature clandestine huguenote.