Comptes rendus
CR
Hugues Daussy, Un royaume en lambeaux. Une autre histoire des guerres de religion (1555-1598)
Genève : Labor et Fides, 2022, 260 p.
À travers Un royaume en lambeaux, Hugues Daussy offre une synthèse à nouveaux frais sur les guerres de Religion qui ont embrasé le royaume de France, et plus largement toute une partie de l’Europe, durant la seconde moitié du xvie siècle. Sans prétendre initier ou prendre part à un renouvellement historiographique majeur, l’historien, spécialiste de l’histoire politique du protestantisme de la première modernité, offre un regard neuf et original sur le sujet. La force de l’étude réside dans le choix d’abandonner le récit chronologique traditionnel pour adopter une organisation résolument thématique.
Les six chapitres traitent en effet du contexte politique et social de la France du second xvie siècle, des répercussions internationales du conflit, des essais politiques tentés pour faire face à la crise, de la croissance de l’État monarchique, des conséquences humaines, sociales et matérielles de ces guerres, avant de conclure sur un ensemble de questionnements relatifs à la périodisation et à la nature des guerres de Religion. Une telle structure n’élimine aucunement les ponts entre les thèmes analysés et réintroduit également la trame chronologique à l’intérieur de chaque chapitre pour bien saisir les évolutions des différents sujets traités, permettant au lecteur d’obtenir une lecture claire des enjeux de ces guerres civiles. Car c’est bien là que l’auteur réussit son pari : en un nombre de pages relativement restreint, et sans jamais renoncer à affronter la complexité politique, militaire, théologique et polémique du temps, Hugues Daussy parvient à brosser des conflits religieux un tableau d’une grande clarté.
Débarrassée de l’enchevêtrement souvent inextricable des événements, l’analyse gagne en fluidité et en efficacité. Les deux premiers chapitres en sont la parfaite illustration. Hugues Daussy s’y attache en effet à présenter les acteurs du conflit autour des deux partis constitués des catholiques intransigeants et des huguenots. Plutôt que d’entrer dans une description détaillée de leur organisation et de leur composition, l’auteur choisit de mettre l’accent sur les mutations qui les traversent et qui expliquent la durée des affrontements et les profondes divisions politiques qu’ils génèrent. Une attention particulière est aussi apportée aux hommes de l’entre-deux dont l’importance numérique et politique ne cesse de croître au fil des décennies. Ce rapide portrait des acteurs des guerres de Religion rend parfaitement compte de la complexité du contexte et de l’ampleur des divisions qui déchirent le corps politique d’un royaume démembré. Il en va de même au sujet des conséquences internationales du conflit. Le deuxième chapitre met en lumière l’intense effervescence diplomatique qui traverse la période, permettant d’obtenir une vision claire des systèmes d’alliances européens, de leurs évolutions multiples ou encore des lignes de faille qui transcendent les frontières pour faire des guerres civiles françaises un véritable champ de bataille européen. De ce point de vue, l’ouvrage opère une synthèse bienvenue sur la dimension internationale des conflits religieux, une question devenue centrale dans l’historiographie récente des conflits.
Un royaume en lambeaux brille également par sa capacité à faire émerger les lames de fond qui traversent la société politique du second xvie siècle. Souvent ensevelies sous la trame événementielle de quatre décennies de conflits, ces mutations profondes apparaissent avec force au moment d’analyser les « guerres de plumes » que se livrent libellistes et théoriciens catholiques et protestants pour rallier les indécis à leur cause. Hugues Daussy offre de belles pages sur les conséquences de cette effervescence polémique. Celle-ci entraîne une brutale accélération de la pensée politique autour de la problématique de l’articulation entre engagement confessionnel et obligation de servir son roi, entre foi et fidélité politique. L’analyse du chemin tortueux qui mène, au début du xviie siècle, à l’autonomisation de la personnalité politique des sujets par rapport à leur personnalité religieuse, se révèle passionnante. Au-delà de cet « orage médiatique » (p. 144), l’étude du renforcement du pouvoir monarchique met bien en lumière les tâtonnements des rois pour asseoir leur autorité en des temps troublés : assemblées, dialogues, contrôle d’une partie de la noblesse, coups de Majesté et usage de plus en plus ordinaire de la puissance absolue se succèdent au gré des conflits pour finalement aboutir à l’installation d’un roi fort sur le trône d’un royaume à reconstruire. L’auteur insiste bien sur le fait que cette crise de croissance de la monarchie française est tout sauf un processus linéaire et couru d’avance.
Le dernier chapitre consacré à une « chronologie à réinventer » prouve enfin que l’ouvrage apporte de nouvelles réflexions sur la période. En remettant en cause la chronologie traditionnelle des guerres civiles débutant en 1562 pour se terminer en 1598, Hugues Daussy propose de réfléchir à ce que veut dire entrer en guerres civiles. Sans apporter de réponse définitive, il rend bien compte de la difficulté de déceler un point de départ précis qui aurait provoqué les conflits et privilégie l’idée d’un processus de montée en puissance progressive, à partir des années 1555-1557, d’une tension confessionnelle ponctuelle qui en est venue à se pérenniser par la lutte armée. De même, faire de l’Édit de Nantes la fin des conflits laisse de côté les résurgences des tensions jusqu’aux années 1630 ainsi que les politiques mémorielles mobilisées localement jusqu’au siècle des Lumières, voire l’épouvantail que constituent les « guerres de Religion », souvent citées à tort et à travers par nos contemporains. À cet égard, cette autre histoire proposées par Hugues Daussy invite les historiens à repenser leurs méthodes et leurs acquis, et tous les lecteurs à envisager les guerres civiles françaises sous un jour nouveau.