Revue d’histoire du protestantisme

Compte rendus

CR

Guy Saupin, 1598. Nantes et son édit / Didier Foucault, 1619. Vanini, un libertin sur le bûcher / Jack Thomas, 1762. L’affaire Calas. Religion et intolérance au siècle des Lumières

Portet-sur Garonne : Éditions midi-pyrénéennes, 2022, 47 p. / Portet-sur Garonne : Éditions midi-pyrénéennes, 2018, 47 p. / Portet-sur Garonne : Éditions midi-pyrénéennes, 2022, 47 p.

Hubert BOST

La collection « Cette année-là » propose de petits ouvrages qui présentent l’histoire d’une ville à partir d’une année marquante de son histoire : Toulouse, mais aussi Nantes ou Bordeaux, en attendant d’autres villes. Un spécialiste de l’événement considéré résume un événement ou présente une personnalité en rapport avec la ville et la date retenues, de manière très accessible. Chaque ouvrage se clôt avec quelques pistes bibliographiques. Parmi quasiment une cinquantaine d’ouvrages parus dans cette collection, trois concernent l’histoire du protestantisme français, présentés ici dans l’ordre chronologique des dates qu’ils traitent.

Guy Saupin, auteur d’une histoire de Nantes au xviie siècle : vie politique et société urbaine (PUR, 1996) et organisateur d’un colloque considérable sur Tolérance et intolérance religieuse. De l’édit de Nantes à nos jours (PUR, 1998) à l’occasion de son quatrième centenaire, étudie l’édit de Nantes (1598) à Nantes sous trois angles :

– Les raisons pour lesquelles l’édit a été promulgué à Nantes, ville ancrée dans le camp catholique (fin de la Ligue et soumission du duc de Mercœur) et les conditions dans lesquelles il y a été reçu.

– Le contexte plus général, tant en Bretagne (« Le rêve perdu du titre de “capitale de la Bretagne” ») que dans le cadre de la paix de Vervins signée avec l’Espagne. Dans cette partie, l’auteur montre avec un sens aigu de la synthèse le rôle joué par l’élite urbaine se rassemblant au service de la Réforme catholique.

– La troisième partie décrit la lente émergence d’une mémoire patrimoniale de l’édit, scandée par les centenaires nantais. En 1698, dans le contexte de la Révocation il n’est pas question de commémorer l’édit. L’auteur souligne la multiplicité des interprétations au cours du xviie, d’Henri IV à Louis XIV en passant par Rohan et Richelieu, et en propose en quelques lignes une interprétation judicieuse et équilibrée : « l’édit de Nantes, avant même d’être annulé, a été assassiné par l’intolérance de la hiérarchie de l’Église de France, qui a fini par rallier la monarchie à sa cause. Dans cette perspective, écrire qu’une révocation était implicitement contenue dans l’édit de Nantes garde son sens, mais postuler que l’édit de Fontainebleau était inscrit dans celui de Nantes s’avère être un véritable contresens » (p. 31). La commémoration n’a pas lieu en 1798, mais « elle aurait convenu au premier consul, Napoléon Bonaparte, si elle avait été postérieure au Concordat de 1801 ». Le troisième centenaire, en 1898, se déroule dans le contexte de l’affaire Dreyfus : on y relève le rôle de la SHPF (colloque à Nantes et excursion à Sucé), mais aussi l’ambiance à la fois antisémite et antiprotestante. Avec 1998 prévalent le « devoir de mémoire » et la commémoration communautaire au cours du second mandat municipal de Jean-Marc Ayrault. L’ouvrage évoque aussi le « prix de l’édit de Nantes » fondé en 1990 et certains de ses prestigieux lauréats.

Didier Foucault, qui a consacré une monographie à son auteur sous le titre Un philosophe libertin dans l’Europe baroque : Giulio Cesare Vanini (Champion, 2003) et signé une Histoire du libertinage (Perrin, 2007), a construit son ouvrage sous la forme d’un flashback à partir de la date du 9 février 1619, lorsque Vanini est brûlé sur la place du Salin à Toulouse.

Ce « moine italien en rupture de cloître », né en 1685 près de Lecce, est docteur en droit civl et droit canon (1606) ; ordonné prêtre, il devient prédicateur. On le retrouve à Venise entre 1606 et 1610. Mais pourquoi l’inclure dans cette trilogie « protestante » ? La première raison est que, sanctionné par sa hiérarchie et obligé de quitter Venise sollicite, avec un de ses frères carmes, l’aide de l’ambassade d’Angleterre : ils voudraient se réfugier outre-Manche et s’engagent à se convertir à l’anglicanisme. Accueillis par George Abbot, archevêque de Cantorbéry, ils sont bientôt déçus : ils écrivent clandestinement au pape Paul V pour obtenir son pardon et s’engagent à exercer les fonctions de prêtres séculiers sur le continent. Ils obtiennennt la grâce pontificale en octobre, mais George Abbot, furieux d’avoir été trahi, les fait emprisonner. Ils parviennent à s’évader et Vanini se rend à Paris où, pour se faire bien voir de Concini, il rédige une Apologie du concile de Trente. Nouveau voyage en Italie, puis retour en France à Lyon où il publie l’Amphithéâtre de l’éternelle providence (1615), et à Paris où il obtient l’imprimatur pour ses Admirables arcanes de la Nature, reine et déesse des mortels (1616). Dans ce dialogue philosophique sur les connaissances de son temps en physique, cosmologie, sciences de la terre et de la vie, la pensée s’organise autour de principes opposés à la foi chrétienne, bien que Vanini les présente sous le voile d’une adhésion formelle aux thèses de l’Église : « nulle Création divine mais un univers éternel, composé exclusivement d’une matière douée d’un mouvement propre ; pas de différence essentielle entre monde céleste et monde terrestre, pas plus qu’entre matière inerte et matière vivante ; la vie résulte de la chaleur solaire ; les espèces se transforment au point que l’homme pourrait descendre du singe ; les phénomènes psychiques et les sensations découlent d’une interaction entre les sens et le monde extérieur… » (p. 16). Le succès du livre dans les milieux libertins contraint Vanini à fuir, et il se réfugie à Toulouse environ un an avant son arrestation, soit pendant l’été 1617.

D. Foucault, qui a résumé le procès et la condamnation pour blasphème et athéisme au début de l’ouvrage, décrit le supplice de celui qui entend « allègrement mourir en philosophe » sur le bûcher toulousain. Il s’arrête ensuite sur la portée de l’événement, sur la présence de ce « libertin dans une ville dévote » vingt ans après la fin des guerres de Religion. C’est l’occasion de revenir sur la présence de la Réforme à Toulouse, sur le premier bûcher allumé en 1532 pour Jean de Caturce, sur la progression des idées évangéliques, sur la tentative de prise de pouvoir des protestants en 1562, leur défaite et leur expulsion de la ville – la célèbre « Délivrance », commémorée ensuite chaque année par une procession ; d’évoquer les assassinats en 1589 du président du parlement Étienne Duranty et de l’avocat général Jacques Daffis qui cherchaient une voie de compromis, le refus pendant deux ans d’enregistrer l’édit de Nantes ; et d’établir un lien entre cette atmosphère d’hostilité confessionnelle et l’affaire Vanini : « Au moins huit juges de Vanini siégeaient dans cette cour avant 1598. À quel titre les combats que la majorité d’entre eux avaient menés contre “l’hérésie” protestante les auraient-ils incités à la clémence envers un athée ? » (p. 23).

Par la suite, le souvenir de l’Italien s’efface de la mémoire toulousaine. Mais Pierre Bayle lui consacre un chapitre des Pensées diverses sur la comète (§ 182) qui illustre le paradoxe de l’athée vertueux : le fait que l’athéisme ait eu des « martyrs » prouve que les athées sont parfaitement aptes à se faire « une idée d’honnêteté qui a plus de force sur leur esprit que l’utile et que l’agréable ». On peut renvoyer à ce sujet à l’étude que l’auteur a naguère consacrée à « Pierre Bayle et Vanini » parue dans Pierre Bayle, citoyen du monde. De l’enfant du Carla à l’auteur du Dictionnaire (H. Bost et Ph. de Robert éd., Champion, 1999, p. 227-241).

Jack Thomas, auteur d’une grande enquête sur Les protestants du Languedoc et la justice royale de Louis XIV à la Révolution (Champion, 2022), est incontestablement l’un des meilleurs connaisseurs des trois affaires toulousaines de 1761-1762 : Rochette, Calas et Sirven. Il commence son livre par la « mort suspecte dans une famille protestante » de Marc-Antoine Calas le 13 octobre 1761. La famille et certains proches dont le jeune Gaubert Lavaysse sont rapidement suspectés de l’avoir provoquée au motif que Marc-Antoine aurait voulu se convertir au catholicisme. Puis c’est l’enquête des capitouls menée par David de Beaudrigue, d’emblée convaincu de la culpabilité de la famille, le brief intendit et le monitoire fulminé dans les paroisses pour recueillir des preuves de culpabilité. Les capitouls prononcent leur sentence le 18 novembre, mais celle-ci est cassée par le Parlement qui reprend l’affaire. Interviennent alors l’avocat David Lavaysse, son fils Étienne et son gendre Sénovert ; d’autres avocats comme Théodore Sudre, Joseph-Matthieu de Lassalle et Duroux fils – sous ce dernier nom se dissimule La Beaumelle, futur gendre de D. Lavaysse, qui rédige aussi La Calomnie confondue dont le pasteur Rabaut assumera la paternité. Jean Calas est roué le 10 mars 1762 sur la place Saint-Georges. il n’avoue rien et ne dénonce aucun complice : les autres membres de la famille sont mis hors de cour, à l’exception du fils Pierre qui est seulement banni, ce qui montre la nullité de l’argument du complot familial et confessionnel.

Après avoir résumé les conditions dans lesquelles l’affaire est instruite et jugée, l’auteur montre comment elle s’insère dans l’histoire du bastion catholique toulousain et résonne avec deux affaires simultanées : l’arrestation du jeune pasteur François Rochette à Caussade et la poursuite de Pierre-Paul Sirven – également accusé d’avoir tué sa fille – par le tribunal de Mazamet. Il rappelle ensuite de quelle façon l’intervention de Voltaire donne à l’affaire un écho national et même international et comment, trois ans après l’exécution de Jean Calas, sa mémoire est réhabilitée. Il faudra attendre l’édit de Versailles en 1787 pour accorder l’état civil aux « non catholiques », la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen en 1789 pour leur accorder la liberté de conscience et la Constitution de 1791 pour la liberté de culte.

J. Thomas note que les Calas bénéficient, depuis la seconde moitié du xxe siècle, d’une présomption d’innocence quoique les causes de la mort de Marc-Antoine « restent toujours incertaines à cause des imperfections de l’enquête de 1761-1762 ». Il raconte l’histoire des plaques commémoratives rue des Filatiers en 1948 (maison Calas), place Saint-Georges en 1997, et à nouveau récemment, plus explicite, sur la maison Calas.