Revue d’histoire du protestantisme

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Comptes rendus

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Genève : Labor et Fides, 2023, 376 p.

Gabrielle CADIER-REY

Le titre de ce livre pourrait faire croire à une histoire générale de l’accession des femmes au pastorat. En fait, il ne concerne que Genève et le canton de Vaud. Et cependant il a une portée plus large car les justifications employées pour soutenir ou refuser cette accession sont universelles, quel que soit le pays. Ces arguments sont ici développés dans le chapitre II : arguments bibliques, ecclésiologiques, essentialistes, que s’échangent partout conservateurs ou progressistes… Les Églises de Genève et de Vaud ont connu des évolutions différentes avec un décalage de quarante ans, qui ne sont pas à l’avantage de Genève. Le canton de Vaud s’est en effet révélé avant-gardiste grâce notamment à son Église libre.

Le livre s’ouvre avec une préface d’Anne Soupa, essayiste et théologienne catholique qui souhaite secouer la misogynie de son Église. C’est elle qui a créé le Comité de la jupe puis qui s’est proposée de prendre la succession de Mgr Barbarin comme évêque de Lyon. Elle remercie les protestantes pour leur détermination et aussi leur habileté dans leurs démarches et elle dénonce, chez les catholiques, le poids du célibat ecclésiastique et l’image négative portée par les femmes… depuis Ève.

Dans son introduction, l’autrice rappelle combien les femmes sont discriminées dans un bon nombre de religions, qu’elles « ont longtemps cheminé dans la nuit du patriarcat » et que c’est l’honneur du protestantisme réformé que d’avoir ouvert aux femmes toutes les responsabilités dans l’Église. Mais cela ne s’est pas fait facilement, ce que montre ce livre.

Avant les femmes pasteures il y a eu, pour répondre à leurs demandes, la création des ministères féminins qui formaient des diacres. Mais cela maintenait les femmes dans une position subalterne que certaines refusaient. Il y eut aussi les femmes de pasteurs qui ont joué un rôle important, se consacrant à la carrière de leur mari, assurant de nombreuses activités bénévoles. Mais cela répondait-il à une vocation ? D’autres femmes ont été très actives dans des œuvres philanthropiques regroupées en associations. L’Alliance des Sociétés féminines suisses (1900) est comparable au Conseil National des femmes françaises créé en 1901, et l’Association genevoise pour le suffrage féminin (1907) est antérieure à l’Union française pour le suffrage des femmes (1909). Il n’est pas précisé si ces sociétés étaient des branches suisses d’associations internationales comme l’étaient ces deux organisations françaises.

Avant que soit envisagé le pastorat féminin, l’Église réformée discutait sur leur « vote ecclésiastique », c’est-à-dire la possibilité de participer à l’élection du conseil de paroisse, ce qui leur sera accordé en 1908 dans le canton de Vaud et en 1910 à Genève. Pour l’éligibilité, ce sera accordé bien plus tard : 1943 à Genève, 1957 pour Vaud. Mais c’est seulement en 1970 que les femmes ont eu le droit de vote fédéral. L’auteur conclut en remarquant que les Églises ont constitué un laboratoire de participation démocratique avant que les femmes suisses obtiennent des droits civiques.

Avant qu’en 1972 la dernière Église réformée de Suisse ouvre le pastorat aux femmes, l’accession au pastorat s’est faite de façon empirique, grâce à l’action de pionnières à la forte personnalité dont l’auteur raconte les parcours en citant de nombreux textes, depuis la première, Marcelle Bard, consacrée en 1929. Mais ces pionnières ont eu des carrières difficiles. Ce n’est que rarement qu’on leur confiait une paroisse. Elles étaient aumônières dans un hôpital et/ou dans une prison de femmes. Quoique licenciées en théologie comme les hommes, elles n’étaient souvent considérées (et rémunérées) que comme des diacres. Toutes sont restées célibataires. À partir de 1972, les barrières tombent mais l’égalité ne se met en place que lentement. Et c’est aussi lentement que les femmes cherchent à apporter une touche féminine dans leur pratique, notamment en renouvelant la liturgie et en travaillant à la féminisation du vocabulaire employé, et que le ministère pastoral évolue vers une véritable collégialité. Les opposants qui n’ont pas désarmé dénoncent la perte de prestige du ministère pastoral et en accusent les femmes, refusant de considérer combien le contexte social et culturel de la population a évolué. Mais, comme le dit Élisabeth Parmentier dans sa postface, un des mérites de ce livre est d’avoir montré « des Églises non pas pourvoyeuses de ministères intemporels et à dimension sacrée, mais aux prises avec les questions de leur temps ».