Revue d’histoire du protestantisme

CR

Comptes rendus

Sylviane GUILLAUMONT-JEANNENEY, Marie Chavannes dans son siècle, 1876-1966. Transmission et liberté

Paris : L’Harmattan, 2023, 293 p.

Gabrielle CADIER-REY

Les journaux intimes, tenus généralement par des jeunes filles ou des femmes, intéressent les historiens pour leur apport à la connaissance de la société, à celle du vécu quotidien et quelquefois de l’intime. Mais tous ne se valent pas. Celui tenu par Marie Chavannes présente un triple intérêt. D’abord par la longue période qu’il couvre. Malgré des intermittences, elle l’a tenu tout au long de sa vie, y revenant au moment de son veuvage, comme un confident de son chagrin. Ce journal peut être complété grâce à une abondante correspondance qui a été conservée. Ensuite, Marie Chavannes a traversé le siècle s’enrichissant des multiples personnalités rencontrées grâce à son mari le docteur Octave Monod, à son gendre Jean-Marcel Jeanneney plusieurs fois ministre du général de Gaulle, à son fils Noël à l’ONU, à son amitié avec Clemenceau, à ses propres engagements au service de la cause des femmes. Enfin, Marie Chavannes est protestante et la religion a eu un rôle important dans son existence, passant de la foi ardente de la jeune fille à l’agnosticisme de la femme âgée. Ce livre n’est pas le texte même du journal de Marie, mais (parfois complété par des lettres) il est construit selon un plan thématique qui reprend les événements de sa vie. De cette riche existence, on peut, sans parler de sa vie familiale, retenir les deux principaux engagements de sa vie.

Depuis sa jeunesse, elle est attachée à deux œuvres philanthropiques, Les Amies de la jeune fille et l’Œuvre des gares, les deux ayant le même but : préserver des dangers de la grande ville les jeunes filles qui arrivent pour y trouver du travail. C’est à cela que correspondent les nombreux Foyers et Homes d’accueil créés dès la fin du xixe siècle par des dames de la bonne société protestante. En 1923, Marie Chavannes en devient la cheville ouvrière et s’y investit complètement. Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs de ces foyers ont été démolis ou sont trop vétustes. Marie Chavannes, qui préside l’œuvre, a besoin de fonds pour leur restauration. Elle va les recevoir grâce à l’intervention de son fils Noël auprès d’Anne Morgan (dont on sait le rôle fondamental dans l’aide qu’elle a apportée à l’Aisne dévastée après la Première Guerre mondiale). Quand elle démissionnera en 1950, elle laissera l’Association en état de marche. Il en sera de même de l’Œuvre des gares dont elle reste vice-présidente jusqu’en 1946.

Mais Marie Chavannes est aussi une intellectuelle. C’est pourquoi, incitée par des Américaines protestantes, elle va participer à la création de la branche française de l’Association des femmes diplômées de l’Université, l’AFDU, qu’elle préside de 1923 à 1933. Elle est aussi vice-présidente de la Fédération internationale de 1929 à 1936. Marie est passionnée par ce travail qui aide à la promotion des femmes, avec aussi l’idée de conforter la paix par la création de liens amicaux. Elle y est aidée par sa connaissance de l’anglais et de l’allemand. Un Bulletin, dont elle a la responsabilité jusqu’en 1939, sert de lien. Ses activités à l’AFDU lui vaudront la Légion d’Honneur en 1958. Signalons qu’un article de Nicole Fouché paru dans le BSHPF replace Marie Chavannes au milieu de toutes ces connexions protestantes1.

La famille Chavannes, à Lyon, appartenait à l’Église réformée libre créée par Adolphe Monod en 1831 et, dans sa jeunesse, Marie a participé activement à l’action caritative de son Église. Mais, au fil des années, le doute s’insinue en elle. Quand elle rencontre Octave Monod, qu’il lui avoue son agnosticisme, elle se sent en symbiose avec lui, partageant la même morale protestante rigoriste et le souci des autres. La mort de son mari en 1934 la laisse un temps désemparée, mais ses activités, notamment en 1937 la publication d’un livre consacré à Marie d’Agoult et la présence affectueuse de ses huit petits-enfants, l’aident à retrouver peu à peu la sérénité.

____________

1. Nicole Fouché, « Des Américaines protestantes à l’origine des “University Women” françaises 1919-1964 », BSHPF 146 (2000), p. 133-152.