Revue d'histoire du protestantisme

Comptes rendus

CR

Catherine Poinsignon, L’Éternel y pourvoira. Adèle Casalis et Mary Cadier, femmes de missionnaires au Lesotho. (1856-1914)

Éditions La Cause, 2022, 473 p.

Gabrielle CADIER-REY

L’histoire des missions n’a souvent été faite que par le haut, leur organisation, leur financement, leurs implantations et, bien sûr, leurs figures masculines. Ce livre, tout en s’appuyant sur les mêmes faits, en donne un autre visage, pas seulement parce qu’il est écrit sous une forme romancée, mais parce que suivant strictement le Journal personnel d’Adèle Casalis et la correspondance de Mary Cadier, il porte un regard féminin sur la vie quotidienne. Quand on connaît les photos et les documents, on voit combien l’autrice a été fidèle à ses sources, tout en y apportant ses propres réflexions de femme d’aujourd’hui. Au-delà du récit, c’est le rôle des femmes dans la mission qui est mis en valeur. Elles n’ont pas été seulement des épouses « soumises » et des mères de famille nombreuse (neuf enfants pour Adèle, sept pour Mary), elles collaboraient à l’œuvre de leur mari. L’histoire se déroule au Lesotho (Basoutoland depuis 1868), siège de la principale mission protestante française, où Eugène Casalis est arrivé, avec deux amis, en 1832. Tout en y évangélisant la population, il apprend la langue séchouane et fait œuvre d’ethnographe. Il devient le conseiller du roi Moshesh qui apprécie les transformations agricoles apportées à son pays, la multiplication des écoles, mais pas plus Eugène qu’Adèle ne réussiront à le convertir. Ni à faire abandonner par la population certaines coutumes « païennes », comme les danses rituelles ou la bigamie. Adolphe Mabille, époux d’Adèle Casalis, a pris la succession de son beau-père (1859) ; il est hyperactif, mais pas toujours aussi diplomate. Cependant, devant les exactions des Boers avides de conquête de terres, tous deux ont encouragé le roi Moshesh à se mettre sous la protection des Anglais. À la veille de 1914, l’œuvre comte 14 stations dirigées par des Européens et 13 autres sous la responsabilité d’évangélistes indigènes. Morija, grâce à Adolphe, est devenue une ville importante avec École normale pour former les instituteurs, École de théologie pour instruire des évangélistes, imprimerie, bibliothèque, etc. 228 écoles couvrent le pays. Les filles aînées d’Adolphe et Adèle, Flore et Aline, enseignent à l’École normale. Leur frère Louis va prendre la succession de son père, mort en 1894. Ce n’est pas une personnalité aussi clivante. Mais il doit trouver une épouse et part la chercher en France. Mary Cadier est fille de pasteur, elle a 25 ans, vit en vallée d’Aspe dans une famille très unie. Si pour Adèle, née au Lesotho et en parlant la langue, y faire sa vie est pour elle normal et heureux, qu’en est-il pour Mary ? Le dépaysement est total. À côté des joies il y a les souffrances, comme celle de se séparer pendant des années de ses enfants pour qu’ils fassent leurs études en France, il y a les maladies, les deuils, toutes les séparations. L’intérêt et le charme de ce livre c’est d’être écrit avec une sensibilité toute féminine, mettant en valeur certains faits qui passent généralement inaperçus.