Revue d'histoire du protestantisme

Comptes rendus

CR

Céline Borello et Aziza Gril-Mariotte (dir.), Imageries religieuses à l’ère industrielle. Supports, diffusion et usages (XVII e-XX e siècle)

Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2022, 235 p.

Julien LÉONARD

Ce livre, idéalement publié dans la belle collection « Arts et sociétés » des Presses universitaires de Rennes, est issu des travaux d’un colloque tenu à Mulhouse en 2016. Soulignons d’entrée la grande cohérence de l’ensemble, assurée également à la fin du volume par une bibliographie générale et un index, qui permettent de naviguer aisément entre des contributions qui, par bien des aspects, se font écho. Le sujet appelait de nombreuses illustrations, et chaque chapitre est généreusement appuyé par des documents en noir et blanc, en plus d’un très beau cahier central en couleur. Terminons cette brève présentation matérielle plutôt laudative par un léger regret, qui s’adresse à l’éditeur commercial et non aux directrices scientifiques : la lecture aurait assurément été plus fluide et plus pratique pour les chercheurs si les notes avaient été mises en bas de page, et non en fin de chapitre.

Si les modernistes pourront s’estimer à première vue frustrés par l’absence du xvie et la portion congrue du xviie siècle, dont on sait pourtant l’importance dans l’histoire de la diffusion des images religieuses dans le contexte des compétitions confessionnelles, ils devront bien se ranger à la justification très pertinente donnée par les directrices, et notamment dans l’introduction de Céline Borello. En effet, le centrage de l’attention sur le xviiie et surtout (c’est là le cœur de l’ouvrage) sur le xixe siècle s’explique aisément par la volonté de voir comment l’ère industrielle modifie la façon de produire, de diffuser et de percevoir les images religieuses. Cette problématique très précise permet d’embrasser un sujet pourtant très large, car les contributions portent bien sur les images religieuses au sens large, à la fois celles qui peuvent servir d’objets de dévotion et/ou de liturgie (et dans ce cas on se serait limité au monde catholique) et celles qui ont des fonctions historiques et mémorielles (y compris dans les mondes protestants donc), pouvant elles-mêmes appuyer de nouveaux modes d’évangélisation dans le contexte du xixe.

Sans pouvoir entrer dans le détail des contributions, mais en insistant peut-être sur celles qui peuvent intéresser le public de la RHP, notons que la structure même de l’ouvrage permet le dialogue entre les sujets, car elle se fait autour de trois parties thématiques, qui se recoupent parfois. Mais c’est volontaire, et ça permet de mettre la focale précisément sur un sujet, sans empêcher qu’il soit aussi traité ailleurs.

La première partie se concentre sur les façons diverses dont on peut mettre l’image au service de la foi, et les différents chapitres portent surtout sur le xixe siècle. Certains permettent, en partant de cet observatoire, de lancer des réflexions plus générales, et on lira notamment avec intérêt les réflexions d’Isabelle Saint-Martin sur la gravure comme art missionnaire, elle y montre les influences avec beaucoup de profondeur historique, mais pointe aussi des nouveautés radicales (masse de diffusion, usage de la couleur). En arrive-t-on à cette époque à une « nouvelle approche du sacré » (p. 47, Michaël Vottero) ? Le débat serait sans doute à lancer, pour savoir si le seuil quantitatif mène à une rupture et une altérité de nature.

La seconde partie est quant à elle centrée sur les supports des images. On remonte alors au xviiie siècle, par exemple avec l’imagerie des miracles de Saint-Médard, et on observe de façon fine et comparatiste comment le contexte et les objectifs des auteurs peuvent conditionner le choix de ces supports, mais aussi des stratégies commerciales et éditoriales. Dans cette dernière optique, l’exemple des Leblond, éditeurs d’estampes religieuses à Avignon aux xviiie et xixe siècles, étudié par Nastasia Gallian, est particulièrement frappant et révélateur. Mais on voit aussi ce que peuvent faire les modes : ainsi, on lit au fil des contributions pourquoi le religieux peut s’insérer dans les toiles imprimées pour l’ameublement, mais pas le papier peint.

La troisième et dernière partie est consacrée plus spécifiquement à la question de la diffusion et de la circulation des images, et là aussi le temps long est utile pour percevoir une longue transition, au cours de laquelle les réseaux traditionnels (foires, colportage) sont maintenus, mais où apparaît une véritable massification. Ces transformations permettent d’inclure alors des mondes protestants jusque-là souvent à l’écart. C’est ce que montre notamment Simone Baral sur le monde vaudois : il ne s’agit pas d’images pieuses à proprement parler, mais bien d’images religieuses à vocation mémorielle (par exemple rappeler la Réformation, les guerres de Religion, le Désert, bref les périodes « héroïques »), des images religieuses qui peuvent aussi servir de supports à une nouvelle phase d’évangélisation. Dans cette partie, notons aussi une courte étude de cas qui intéressera les lecteurs de la RHP, Daniel Travier nous y fait découvrir les estampes des assemblées du Désert produites selon diverses techniques à partir des années 1780.

De fortes convergences et des différences maintenues entre catholiques et protestants apparaissent régulièrement au fil des pages, et de façon assez heureuse en s’affranchissant des seuls enjeux théologiques sur les images, déjà connus. On sort ainsi de discours théoriques pour entrer dans une vraie histoire sociale, et même économique ; un article stimulant de Patrick Cabanel illustre parfaitement cette vision complexe. Ces études des images religieuses qui ne sont pas seulement (et même pas toujours d’abord) objets de dévotion, mais aussi des objets esthétiques, qui pénètrent la sphère domestique, sont passionnantes et on ne peut que souhaiter que cette veine historiographique soit nourrie dans les années à venir.